Notes
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[1]
Pour un panorama de ce domaine, lire Boudes, 2008.
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[2]
« [L]e territoire [de la société], ses dimensions, sa configuration, la composition de sa population qui se meut sur la surface sont naturellement des facteurs importants de la vie sociale ; c’en est le substrat et, de même que, chez l’individu, la vie psychique varie suivant la composition anatomique du cerveau qui la supporte, de même les phénomènes collectifs varient suivant la constitution du substrat social. » (Durkheim, 2002 [1909], 11).
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[3]
« C’est un fait connu que Durkheim a lancé le thème de la morphologie sociale en vue de mettre sous le contrôle de la sociologie un certain nombre de disciplines des sciences humaines et de l’espace telles que l’ethnologie, la géographie, l’histoire et la démographie, en leur proposant un regroupement thématique » (Jonas, 1997, 22). Et l’auteur de rappeler que le terme d’« annexion » était déjà utilisé par König (1972 [1967]).
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[4]
Cf. les récits de Lévi-Strauss (1947 [1945], 515-516) qui compare la position des sociologues à celle « d’une mère assistant avec orgueil aux premiers pas de ses jeunes enfants et leur prodiguant ses conseils » et de Febvre (1922, 24-25) qui donne l’avantage au « petit groupe d’excellents travailleurs qu’Émile Durkheim avait su constituer autour de lui ». Sous l’apparente transcription désintéressée que propose Febvre, d’aucuns y voient une stratégie d’isolement des géographes face aux sociologues, ceci dans le but d’empêcher tout rapprochement entre ces disciplines et de préférer l’antique dynamique du lien entre histoire et géographie, quitte à éloigner encore celle-ci d’une heuristique aussi prometteuse que le rapport au sol des sociétés (cf. Dosse, 1987, 74-76 ; Fixot, 1997, 249-250).
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[5]
On trouve un tel raisonnement chez Bouglé (1938 [1935], 72) : « À noter d’ailleurs que la morphologie sociale une fois constituée, si elle devait, ayant embrassé dans sa totalité le substrat matériel des sociétés, essayer de fournir une explication totale de ce qui s’y passe, risquerait de tomber sous les mêmes reproches que les sociologies naguère ont adressés à la géographie. La connaissance de ce que M. Mauss propose d’appeler l’anatomie des sociétés ne saurait rendre compte à elle seule de leur physiologie. » Se rappelant Durkheim qui « protestait contre la psychologie matérialiste qui croirait réduire le mouvement des idées au mouvement des cellules » (ibid., 72-73), Bouglé réaffirme que la morphologie ne saurait expliquer totalement la physiologie et surtout que la physiologie a une certaine indépendance vis-à-vis des déterminismes qu’elle subit, que les représentations collectives sont relativement autonomes et par-là qu’elles ne se laissent pas réduire à la morphologie sociale.
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[6]
« Platon, poursuit Halbwachs (ibid., 31-32), […] préoccupé d’assurer la stabilité de l’État […], fixait le nombre des citoyens […]. Rousseau, dans son Contrat social, remarquait qu’il doit y avoir un rapport entre l’étendue du territoire et la forme du gouvernement […]. Montesquieu consacrait tout un livre de l’Esprit des lois au sujet suivant : des lois dans le rapport qu’elles ont avec le nombre des habitants. »
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[7]
« Toute population humaine doit être replacée dans un milieu à la fois social et matériel » (ibid., 155).
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[8]
Sur l’apport de Simmel à la sociologie de l’environnement, lire Gross (2001) et Boudes (2009). Sur le lien des deux penseurs à Bergson, on peut rappeler la préface de Girard à la réédition de 1970 de la Morphologie Sociale qui insiste sur le fait que « métaphysique et sociologie ont convergé chez Halbwachs vers une psychologie enveloppante et fine » et s’applique également à Simmel selon nous. Pour les collaborations, nous pensons aux contributions de Halbwachs aux Annales d’Histoire Économique et Sociale, qui impliquaient Febvre et Bloch (Jonas, 1997), et à l’ouvrage Die Groszstadt [La Métropole] (Bucker et al., 1903) auquel ont participé Simmel et Ratzel.
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[9]
Présentés et repris par Grafmeyer & Joseph, 1979.
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[10]
La citation est celle-ci : « Les relations entre la géographie humaine et l’écologie humaine, ou la morphologie sociale, comme Durkheim choisi de l’appeler, […] » (Park, 1926, 486, nous soulignons).
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[11]
À ceci s’ajoute les critiques qu’émettait la sociologie durkheimienne face aux études des groupes. En ce sens, lorsque Joseph (2001) associe Tarde et Park, il ne fait que prolonger cette divergence qui conclut l’article de Topalov (2006).
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[12]
Il en parle comme des « livres de description sans doute, plutôt que de science, inégaux, décevants quelquefois, mais le plus souvent très pittoresques » (Halbwachs, 1979 [1932]). L’adjectif « pittoresque » avait d’ailleurs servi à Maunier (1925, 879) pour sa notice du Hobo de Anderson : « ses descriptions sont plus pittoresques que précises ».
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[13]
À ce sujet, la démonstration de Topalov (2006, 563) souligne que le lien entre l’école de Chicago et le sociologue français est peu explicité dans ce livre. Topalov s’appuie en effet sur le commentaire de Grafmeyer & Joseph associant trop directement l’approche morphologique à celle écologique (Grafmeyer & Joseph, 1979, 35), mais il ne dit rien d’un autre commentaire des deux directeurs d’ouvrage (p. 25) mettant en avant les tentatives imagées de Halbwachs (1979 [1932], 324) pour rendre compte au mieux de l’apport de cette école et justifiant, par là, son insertion dans une perspective sinon historique pour le moins illustratrice.
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[14]
Cf. Vaillancourt (1996) ou Buttel & Humphrey (2001, 62) qui font remarquer que des sociologues de l’environnement tels que Dunlap et Catton « have urged the use of Duncan’s “ecological complex” or “POET” model […] as an analytical framework for guiding the work of environmental sociologists ».
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[15]
Cette citation de Halbwachs laisse cependant entrevoir sa vision sociocentrée de la matière sur laquelle nous revenons en conclusion.
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[16]
Il est clair que les figures de Dunlap et de Buttel s’inscrivent dans cette dialectique. « D’une certaine façon, […] Buttel était opposé au déterminisme environnemental tout comme le furent les écologistes sociaux des années 1930. Il était en réaction contre les écologistes humains de l’école de Chicago alors que la sociologie de Dunlap allait justement dans le sens de la position de l’école de Chicago et des écologistes humains néo-orthodoxes » (Vaillancourt et al., 1999, 174).
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[17]
Cf. Frey (2003, 24-25) « On peut ainsi affirmer sans trop de risque que le concept de morphologie sociale […] passe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale des mains de sociologues généralistes qui ne savent guère qu’en faire (le dernier en date ayant sans doute été Georges Gurvitch) dans celles de sociologues urbains comme Paul-Henry Chombart de Lauwe ou dans celles de géographes de l’aménagement et de l’urbanisme, en se rapprochant de celui de morphologie urbaine. »
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[18]
La lecture de la (non) prise en compte des formes matérielles de la société est double, soit l’on constate qu’elles sont revisitées par les représentations collectives et ne sont pas comprises pour elles-mêmes, soit elles transparaissent dans les représentations collectives et jouent donc un rôle, quoiqu’indirect. C’est à la première lecture que nous nous rattachons.
« A major and important idea in Population and Society [i.e. la traduction de Morphologie Sociale de Halbwachs] is that the intangible, attitudinal, mental and cultural phenomena of society evolve out of and are conditioned by the external, material, physical, countable, measurable, and structural aspects ».
Introduction
1La notoriété de Maurice Halbwachs tient notamment à la multiplicité de ses apports : la sociologie urbaine, de la consommation, des groupes sociaux, la psychologie sociale, le temps et l’espace social sont autant de thématiques marquées par son empreinte. Un autre concept lui est encore redevable : la morphologie sociale. Celle-ci fut introduite par l’école durkheimienne comme la partie de la sociologie traitant du substrat matériel de la société, à la différence de la physiologie sociale qui portait sur l’activité sociale elle-même. Bien qu’aujourd’hui en désuétude, la morphologie sociale a longtemps constitué un courant inspirant pour les sciences humaines et sociales. D’abord présentée par Durkheim (1992 [1894]), elle fut célébrée par Mauss à plusieurs reprises (2002 [1906], 2002 [1927]), détaillée dans les séries de L’Année sociologique, et l’ouvrage Morphologie sociale de Halbwachs (1938) acheva de favoriser sa diffusion à la postérité.
2Cet ouvrage demeure cependant le chant du cygne de ce courant, malgré les efforts de certains, dont Gurvitch (1958), pour rattacher la géographie sociale, la démographie sociale et les sociologies rurale et urbaine à la branche morphologique de la sociologie. En effet, happée par la demande sociale en France ou par le fonctionnalisme outre-atlantique et tirant partie de sa singularité liée au caractère sui generis du social, la sociologie exclut peu à peu tout lien entre le social et sa matérialité, son substrat matériel, son environnement physique ou son milieu naturel. Or, l’émergence récente d’une sociologie de l’environnement avançant la nécessité d’étudier les actions réciproques entre les sociétés et le milieu naturel [1] fournit l’occasion de revenir sur les travaux de morphologie sociale et sur l’apport de Halbwachs.
Pourtant, si l’approche sociologique de l’environnement est généralement présentée comme l’héritière d’une écologie humaine dite néo-orthodoxe prolongeant celle de Chicago (Dunlap, 1995 [1993] ; Vaillancourt, 1996), l’apport et l’intérêt de la morphologie sociale pour l’histoire et l’heuristique de ce domaine sont absents des discussions. Cet article approfondit cette histoire et reprend le déploiement de la morphologie sociale que propose Halbwachs en dépassant les limites que Durkheim et Mauss lui avaient données. Nous évaluerons la proximité de ce courant avec ceux désormais promus aux rangs de pionniers de la sociologie de l’environnement pour montrer que sans la morphologie sociale, les tentatives de Schnore et Duncan pour prolonger l’approche écologique dans les années 1950 et 1960 n’auraient pu ni s’affirmer ni, par conséquent, permettre les premières avancées de Dunlap ou de Buttel pour « fonder » la sociologie de l’environnement. Ceci permettra de conclure sur l’opportunité de faire de Halbwachs l’un des contributeurs à la construction de ce domaine.
Halbwachs et la morphologie sociale
Origine et postulat de la morphologie sociale
3Durkheim et Mauss ont très tôt donné une place fondamentale à la morphologie sociale. Le premier (Durkheim, 2002 [1909], 13) propose de diviser la sociologie en deux branches complémentaires : la morphologie sociale, qui étudie le substrat matériel de la société, et la physiologie sociale, qui s’intéresse à l’activité sociale, à la vie sociale elle-même. Il définit celle-là comme l’étude de la société dans son aspect extérieur [2]. Elle joue « un rôle prépondérant » dans les explications sociologiques à tel point que « [l]’origine première de tout processus social de quelque importance doit être recherchée dans la constitution du milieu social interne » (Durkheim, 1992 [1894], 111). Les propositions de Durkheim (1992 [1894], 1897) et la table des matières de la section « Morphologie Sociale » qui apparaît dès le second tome de L’Année permettent de rassembler les composantes de ce domaine comme suit :
- les aspects démographiques, qui engobent tant la « densité matérielle », le « volume de la société » ou la « masse » des individus. Il s’agit du nombre d’habitant et de leur répartition sur le territoire, mais également du resserrement moral des populations (la « densité dynamique ») et de « la nature et [de] la relation des choses de toutes sortes qui affectent les relations collectives » ;
- les aspects géographiques, qui comprennent d’abord les apports de la géographie humaine considérée comme une sous-discipline de la morphologie, l’étendue spatiale de la société, les limites des territoires, le rapport au sol des sociétés, la concentration rural/urbain ;
- les autres aspects, qui considèrent principalement les éléments techniques comme les formes des habitats, les voies de communications, ou les modalités d’usage des ressources naturelles.
« C’est sur cette base solide que doit s’édifier un jour une sociologie complète. Et cette base très large, de masses et de nombres, peut être graphiquement figurée, en même temps que mathématiquement mesurée. La morphologie sociale est donc l’une des parties de la sociologie les plus compactes ; elle peut donner les conclusions les plus satisfaisantes pour l’esprit. »
6Et c’est encore Mauss qui inscrit définitivement la morphologie sociale comme domaine autonome, comme partie nécessaire de la sociologie, avec sa contribution sur « Les variations saisonnières des Eskimos », sous-titré « essai de morphologie sociale ». Il la définit comme
« [La] science qui étudie non seulement pour le décrire, mais aussi pour l’expliquer, le substrat matériel des sociétés, c’est-à-dire la forme qu’elles affectent en s’établissant sur le sol, le volume et la densité de la population, la manière dont elle est distribuée ainsi que l’ensemble des choses qui servent de siège à la vie collective ».
Morphologie sociale et physiologie sociale
Morphologie sociale et physiologie sociale
7Ces définitions ne doivent pas masquer une seconde vocation de la morphologie sociale aux yeux de Durkheim et Mauss : celle d’annexer d’autres disciplines à commencer par la géographie ou pour le moins de poser une véritable barrière entre les limites matérielles des phénomènes sociaux et le déploiement de la géographie humaine sur le terrain du social [3]. En effet, dans le débat opposant géographes et sociologues pour l’étude du substrat matériel des sociétés, de leur rapport au sol et de l’influence du facteur tellurique en général, les sociologues ne masquaient pas leur désir d’inféoder les approches géographiques portées par Ratzel et Vidal de la Blache au projet d’une science sociologique générale – comme ils souhaitaient le faire également pour l’histoire et la psychologie sociale notamment. Les durkheimiens cherchaient également à « “sociologiser” le champ des travaux géographiques » (Fixot, 1997, 243) pour bénéficier d’une part de la reconnaissance institutionnelle de ceux-ci [4].
8Le débat, cependant, tourna court : Durkheim, une fois la protection cognitive permise par la morphologie sociale et la reconnaissance relative de sa discipline, se désintéresse de ce courant et de cette controverse, tout comme Vidal de la Blache, de son côté, s’en éloigne, à tel point que ni les sociologues ni les géographes n’achèvent la réflexion commencée et que « la querelle de la morphologie sociale entre les vidaliens et les durkheimiens montre [surtout] les faiblesses théoriques de chacune des deux disciplines » (Fixot, 1997, 255). Mauss suit le même élan que son oncle : bien que désireux de prolonger la morphologie sociale, comme il l’explique dans sa proposition de (re)découpage de la sociologie en 1927, il laisse à d’autres le soin de traiter ces questions, non sans avoir d’abord intégré ses travaux sur le substrat matériel des sociétés dans une réflexion plus large sur le symbolisme et le caractère englobant des faits sociaux.
9Il est vrai, également, qu’après la mort de Durkheim et l’orientation ethnologique de Mauss, la sociologie doit cibler ses luttes. Elle confirme son importance dans l’étude de la vie sociale, tenant ses positions face à l’histoire, la psychologie et la psychologie sociale, mais l’analyse des bases matérielles de la société demeure une entreprise paradoxale. Si Mauss voit la morphologie comme une moitié primordiale de la sociologie, évoquant « la grande place qu’elle occupe dans nos esprits » (Mauss, 2002 [1927], 12) et faisant d’elle la base solide à partir de laquelle devait s’édifier une sociologie complète (ibid., 22), il insiste autant sur la difficulté d’agencer entre elles les disciplines composant cette morphologie (ibid., 6). Bien qu’il revienne souvent sur les détails de ces sous-disciplines morphologiques et de leurs orientations pour affirmer leur nécessaire prise en compte, il perd de vue leur unité et leur généralisation pour n’en faire que des éléments hétéroclites à partir desquels le sociologue doit s’obliger à figurer la société dans l’espace, les nombres, et le temps (ibid., 31). De plus, la morphologie sociale est finalement confrontée aux mêmes critiques que celles que les sociologues portaient à la géographie. Quand cette dernière est attaquée pour sa généralisation du déterminisme tellurique, on se demande dans quelle mesure la morphologie sociale peut rendre compte de l’entière vie sociale [5].
En somme et en s’inspirant de Lakatos (1994), on peut dire que la morphologie sociale a joué un rôle de « ceinture protectrice » : la sociologie a protégé son « noyau dur » des postulats qui la mettaient en danger. Elle s’est aménagée un espace de discussion pour répondre à la mise en question de la prédominance du social par les tenants des substrats biologique et géographique.
Halbwachs et la morphologie sociale
10Ce n’est qu’en 1938 que paraît l’ouvrage de référence de ce domaine, sous la plume de Halbwachs qui embrasse et minimise tout à la fois les critiques et points faibles attribués à ce courant. Dans sa Morphologie Sociale, l’auteur propose d’abord une définition en quatre points des « structures ou formes de la société » (Halbwachs, 1938, 7) :
- « la façon dont la population se distribue à la surface du sol » (ibid., 7) ;
- les différences de genre, de composition par sexe et âge, qui rappellent que « [l]es sociétés humaines ne sont pas seulement en contact avec la matière. Elles sont elles-mêmes des masses vivantes et matérielles » (ibid., 11) ;
- la conscience que la société prend d’elle-même, la réalité de la vie psychologique ;
- les formes matérielles des organes de la société, de ses institutions.
11La morphologie sociale stricto sensu est une démographie. Cette dernière doit être étudiée pour elle-même car elle est une science sociale particulière. Le sociologue nous plonge alors dans une histoire et une géographie de l’accroissement de la population mondiale ; dans une étude sur la densité de population dans les grandes villes ; une autre sur les mouvements migratoires comme faits sociaux ; sur le sexe et l’âge ; la natalité, la nuptialité et la mortalité ; le renouvellement des générations. Il termine par une critique du rapport malthusien entre population et subsistance, avançant que le lien biophysique entre fécondité humaine et rendement de la terre doit également, sinon surtout, être analysé socialement, et précisément économiquement avec la loi de l’offre et de la demande.
12Halbwachs conclut sur l’importance des réalités matérielles des sociétés et de leurs institutions, et insiste sur la nécessité de lier l’analyse morphologique à l’analyse physiologique : « Puisqu’il n’est aucune des sociétés qui n’ait une forme matérielle, la morphologie sociale les embrasse toutes, et on pouvait en entreprendre l’étude en passant en revue toutes les sections principales de la sociologie » (Halbwachs, 1938, 185).
13À partir de ces morphologies spécifiques le sociologue dégage des formes et des mouvements dans l’espace, ce que Halbwachs traduit par cette loi :
« En d’autres termes, tout fonctionnement collectif a des conditions spatiales. […] C’est en ce sens que toutes les morphologies particulières, en tant qu’études des formes et des mouvements matériels des sociétés, se rejoignent dans ce que nous avons appelé la morphologie stricto sensu, qui se confond avec la science de la population ».
15Cette orientation rappelle l’intérêt de Halbwachs pour l’objectivation statistique et la nécessité de penser la population humaine dans un milieu à la fois social et matériel [7], et l’on peut se demander, avec Lenoir (1997), si Halbwachs n’était pas davantage démographe que sociologue, question que la récente réédition de son Point de vue du nombre (2005 [1936]), contribution clairement démographique, invite à poser encore.
16Ces entremêlements entre sociologie, géographie et démographie sont pourtant les véritables signes d’un complet embrassement de la morphologie sociale et de son heuristique. C’est d’ailleurs parce qu’il a su « la replacer dans un champ interdisciplinaire où la sociologie n’est pas hégémonique mais assurément partenaire » que Halbwachs doit être considéré comme le « [v]éritable inventeur de la morphologie sociale » (Jonas, 1997, 27). Ainsi, l’analyse démographique du volume et la densité des populations s’accompagnent chez lui d’un intérêt pour les conditions spatiales et, bien entendu, sociales de ces populations, et sa Morphologie sociale (1938) revendique sinon l’interaction entre ces trois facteurs dans l’ensemble des phénomènes sociaux, du moins la nécessité de recourir aux facteurs spatiaux et matériels en plus de ceux strictement sociaux pour expliquer les dynamiques de population :
Ce constat laisse penser que, mutatis mutandis, la morphologie sociale est tout à fait pertinente pour l’analyse des rapports contemporains entre nature et société, qui associent clairement ces facteurs (Boudes, 2008). D’ailleurs, l’ensemble des travaux de Halbwachs, en tant que figure incontournable de la morphologie sociale, entretient d’évidentes homologies dans sa pensée avec d’autres courants à l’origine de l’approche sociologique contemporaine de l’environnement.« Puisque [celles-ci] ne s’explique[nt] point par un jeu de forces purement mécaniques et physiques, conclut-il (1938, 203), il faut bien que le groupe règle et dirige lui-même, par l’opinion, par les coutumes, ces changements de sa forme et de sa structure. Le pourrait-il, s’il ne connaissait à chaque moment le milieu spatial, la disposition des objets qui l’entourent, s’il ne se percevait lui-même aussi de façon continue, dans son volume et ses déplacements ? »
Halbwachs et les inspirateurs de la sociologie de l’environnement
17Les rapprochements avec l’histoire de la sociologie de l’environnement passent par les affinités contextuelles et cognitives entre Halbwachs et les écologies humaines classique et néo-orthodoxe. Il serait également pertinent de tenir compte des relations entre les approches de Halbwachs et de Simmel : leur proximité avec Bergson et leurs collaborations parallèles avec des géographes et des historiens sont deux entrées qu’il faudrait approfondir [8].
Halbwachs et l’école de Chicago
18Mais le parallèle est surtout remarquable entre Halbwachs et Park à travers leur intérêt commun pour la sociologie urbaine. Tous deux sont considérés comme des précurseurs et/ou fondateurs de ce domaine (Lassave, 1997, 17 sq.). Les travaux du français sur les expropriations, le prix du terrain et le tracé des voies dans Paris (1928) ou encore la politique foncière des municipalités (2002 [1908]) ont ouvert la voie à de nombreuses approches sociologiques sur la ville. De leur côté, Park et ses collègues ont ciblé le même objet urbain [9] et sont désormais repris dans la plupart des introductions à la sociologie urbaine (e.g. Grafmeyer, 2000 [1995]).
19L’intérêt porté par les deux courants à la géographie est sans doute moins visible, mais tout aussi fédérateur. La comparaison de Schnore (1961) entre l’écologie humaine et la géographie américaine réaffirme le caractère pour ainsi dire secondaire de la géographie par rapport à la sociologie, tout comme Halbwachs proposait, sinon de subordonner celle-là à celle-ci, du moins de s’appuyer sur la morphologie sociale pour associer ces disciplines. Le compte rendu rédigé par Park (1926) sur la géographie française de Vidal et de Febvre rappelle lui aussi les propos critiques des tenants de la morphologie sociale face aux mêmes géographes et c’est dans ce même compte rendu que Park écrit que l’écologie humaine est identique à ce que Durkheim a choisi de nommer morphologie sociale [10].
20Le fait que Halbwachs se soit rendu à Chicago va-t-il dans ce sens ? Topalov (2006, 567-570) précise que Halbwachs fut invité par Faris pour aborder la sociologie française et la thématique du suicide, sans doute sous l’influence de Ogburn intéressé par l’approche quantitative de Halbwachs – mais non pas directement pour la morphologie sociale. Les commentateurs de ce séjour sont nuancés sur la signification de ce voyage car Halbwachs « ne semble pas avoir été particulièrement séduit, ou même intéressé, par l’écologie humaine de ses collègues sociologues [de Chicago] » (Rhein, 2003, 184). Les échanges scientifiques auraient davantage souligné la rupture nette entre la science sociologique française et les études d’observation d’outre-Atlantique (Topalov, 2006, 586), et Halbwachs serait resté « aveugle » à ce que lui proposaient ses confrères étasuniens : plonger dans la vie des groupes (ibid., 587). Topalov utilise l’expression de « contact culturel » (ibid., 564) pour décrire la découverte du nouveau monde par Halbwachs et parle du « jugement franchement condescendant » (ibid., 563) que celui-ci portait sur les travaux du groupe de Park. En effet, la difficulté d’Halbwachs à saisir l’ampleur de la sociologie de Chicago vient certainement du « rationalisme irréductible » (Marcel, 1999, 59) cher au durkheimien, mais plus encore des divergences méthodologiques entre les courants : l’analyse française de données, qualifiée de scientifique et/ou sociologique s’opposait à la production étasunienne de données, perçue comme pittoresque [11]. Si Halbwachs sait être assez péjoratif dans sa description du travail des sociologues de Chicago [12], cette « condescendance amusée » (Marcel, 1999, 56) contraste avec son « admiration pour la sociologie américaine » (ibid., 53), une « admiration envieuse pour l’audace de ceux qui allaient recueillir des informations sur le vif » (Topalov, 2006, 585).
21C’est probablement cette divergence méthodologique qui a minimisé les échanges théoriques car Halbwachs et Park partageaient au moins « la conviction que des contacts sociaux à la fois plus étroits et fréquents, mais aussi plus ségrégués dans l’espace font la spécificité du mode de vie urbain » (Marcel, 1999, 59). C’est pourquoi les premiers commentateurs de ce séjour font remarquer que le groupe de chercheurs de « l’école de l’écologie humaine » s’occupe de problèmes « qui sont inclus […] dans ce que Durkheim, Halbwachs et leurs disciples comprennent sous “morphologie sociale” » (Llewelyn et Hawthorn, 1947 [1945], 477) ou que la morphologie sociale de Halbwachs incorpore une perspective écologique « rigoureusement similaire à celle de Park » (Schnore, 1958, 631) et considèrent le voyage du sociologue français comme une preuve de cette complémentarité. L’article de Halbwachs rendant compte de ce voyage n’est d’ailleurs pas dénué de considération pour cette écologie humaine. Il présente l’ouvrage de Park et Burgess (1925) comme une étude suggestive, dont les imperfections sont relatives à l’émergence d’un courant dénué de tradition de recherche. À tel point que Grafmeyer et Joseph (1979) incluent cet article (Halbwachs, 1979 [1932]) dans leur recueil de texte sur l’école de Chicago – article qui clôture une compilation introduite par deux textes de Simmel [13].
Cette appréciation nuancée de la proximité de Halbwachs et de la morphologie sociale avec l’écologie humaine ne doit pas masquer l’évidente similarité dans les définitions de la sociologie. On trouve en effet d’un côté de l’Atlantique une division entre physiologie et morphologie quand de l’autre s’opposent les écologies humaine et sociale. Ainsi, lorsque Vaillancourt (1996) schématise cette dernière dialectique (fig. II), il ne fait que reprendre celle proposée par l’école durkheimienne (fig. I) :
Écologie humaine et écologie sociale
Écologie humaine et écologie sociale
22L’adjectif américain « biotique » fait largement écho au substrat matériel français : « Toutes les transformations physiques ou sub-sociales que subissent les individus afin de s’adapter les uns aux autres et qui ne font pas intervenir la pensée, sont appelées biotiques » (Llewelyn et Hawthorn, 1947 [1945], 482, s’appuyant sur Clements, 1905, 1916). Wirth (1979 [1939], 270) explique par exemple que le phénomène urbain doit être abordé selon les deux niveaux suivants : « 1) comme une structure matérielle formée sur la base d’une population, d’une technologie et d’un ordre écologique ; 2) comme système d’organisation sociale comportant une structure sociale caractéristique, une série d’institutions sociales et un modèle typique de relations sociales ». Ces mises en parallèles seront également prolongées dans la Human Ecology de Hawley (1950) à tel point que Buttel (1986, 364) convient que c’est bien cet ouvrage qui aurait définitivement « enracin[é] l’écologie humaine dans la morphologie sociale de Durkheim ».
Halbwachs et l’écologie humaine néo-orthodoxe
23Ce sont en effet les néo-orthodoxes des années 1950 qui ont établi un pont entre la morphologie sociale et l’écologie humaine. L’article de Schnore (1958) intitulé clairement « Morphologie sociale et écologie humaine », s’il se rapporte principalement aux travaux de Durkheim, souligne la finesse des développements de Halbwachs inspirés par ces derniers et la singulière proximité entre les avancées de Halbwachs et celles de Park.
Par ailleurs, Schnore (1958) et Duncan (1969 [1959]) reviennent tous deux sur une définition de la sociologie donnant un rôle important aux facteurs que mettait déjà en avant la morphologie sociale halbwachsienne. Il s’agit des composantes de leur « complexe écologique » (fig. III) qui schématise l’interaction des facteurs organisationnels (O), démographiques (P pour population), technologiques (T) et environnementaux (E) des sociétés et qui sont au fondement des premières approches sociologiques de l’environnement [14]. Ils insistent sur l’ambition explicative de la mobilisation des facteurs démographiques, technologiques et environnementaux pour rendre compte de l’organisation sociale. Halbwachs avait justement orienté la morphologie sociale vers cette voie : elle devait expliquer l’organisation et l’activité sociale, la nature physiologique de la société, à travers les facteurs démographiques, spatiaux et matériels et les logiques non strictement sociales. La particularité du complexe écologique est de nommer les variables intermédiaires entre le substrat social et la société, ce qui conduit à réfléchir ici à la manière dont la morphologie sociale et Halbwachs les ont eux aussi envisagées.« En plus de prolonger les analyses de Durkheim sur le suicide et les “représentations collectives”, la morphologie sociale de Halbwachs fait largement appel à la vision de son mentor et – dans le même temps – incorpore une perspective écologique qui est souvent saisissante de similarité avec celle de Park ».
Le complexe écologique
Le complexe écologique
24C’est le facteur démographique qui attire d’abord l’attention. Pour Halbwachs la morphologie sociale s’intéresse à la forme et aux mouvements des sociétés, matérialisés notamment par les dispositions et les migrations de populations. Duncan (1969 [1959]) détaille justement son modèle de complexe écologique dans une contribution à un traité de démographie (Hauser & Duncan, 1969 [1959]). La première partie de son article revient sur les apports de l’écologie néo-orthodoxe et sur la pertinence du complexe écologique et la seconde aborde les liens entre écologie humaine et démographie tout en les distinguant :
« Une façon simple de différencier les disciplines de l’écologie humaine et de la démographie est de caractériser la première comme, en partie, l’étude de la population comme un facteur du “complexe écologique” et la seconde comme l’étude des agrégats en tant qu’agrégats – i.e. abstraction faite de leurs propriétés organisationnelles ou structurales. ».
26La Morphologie sociale de Halbwachs (1938, 190) présentait aussi la population comme un des éléments de l’analyse morphologique (au sens large) avant de s’y intéresser pour elle-même. « La population, comme telle, est une réalité spécifique et autonome en ce sens qu’il faut expliquer des faits de population par d’autres faits de population. » C’est probablement à cause de cette insistance que Duncan et Pfautz, traducteurs étasuniens de cet ouvrage, le renomment Population and Society, Introduction to Social Morphology (Halbwachs, 1960). Ceci n’est pas sans conséquence sur la compréhension des thèses du Français : ainsi lorsque Hamilton (1961, 163) rend compte de l’ouvrage, il insiste à son tour sur le fait que les démographes sont avant tout des social morphologists.
27Le phénomène technique est commun aux deux approches et, comme la population, présente un intérêt pour lui-même autant que pour ses relations avec les autres facteurs. Les sociologues durkheimiens lui ont toutefois porté assez peu d’attention. « [À] quel degré toute la vie sociale ne dépend de la technique, s’interrogeait Mauss (2002 [1927], 14), c’est ce qui n’est pas encore suffisamment développé ». Seuls quelques-uns, dont Hubert, que Mauss (ibid., 17) qualifia de technologue, ou Sion (e.g. 1925, 1935) ont su faire vivre cette approche qui eut un chapitre dédié dans L’Année. Les voies et moyens de transports sont également au cœur de l’analyse morphologique et ont toujours eu une place réservée dans cette même revue. L’écologie humaine classique s’est aussi intéressée à ces phénomènes (e.g. Burgess 1979 [1925], 40-41).
28La question technique est centrale chez Halbwachs, notamment dans sa Morphologie sociale : pour expliquer les erreurs de prévision de Malthus, il montre que les transformations économiques et techniques permises par l’accroissement de population ont favorisé un meilleur usage des ressources ainsi que l’amélioration des moyens de transports des populations et des marchandises, empêchant alors la famine immodérée que prévoyait Malthus (Halbwachs, 1938, 138 sq.). Plus généralement, la morphologie économique que présente le sociologue associe étroitement les développements techniques aux mécanismes économiques.
29De plus, son article « Matière et société » rappelle combien la technique est un élément déterminant dans ce qu’il faudrait appeler le processus de socialisation de la matière première.
Les néo-orthodoxes ne disent rien d’autre lorsqu’ils considèrent les « changements technologiques » comme un facteur déterminant pour l’organisation sociale (Schnore, 1958, 626-627). Ainsi l’innovation technique permet-elle un meilleur ou un nouvel usage des ressources, un déploiement des modes de transport et de communication, et induit encore une évolution des activités des individus en abandonnant une partie de certains travaux aux machines au profit de nouveaux secteurs d’activité. Ceci, encore une fois, est très proche de la vision halbwachsienne (2002 [1938]) des différents stades d’évolution des groupes sociaux qu’il fait dépendre de leur rapport à la matière et dont les métiers les rattachent aux objets inertes (Marcel, 2008, 151). Dans tous les cas, la technique joue un rôle central dans l’analyse des classes, dont les milieux paysan et ouvrier sont les principales illustrations (Halbwachs, 2002 [1938], Chap. II et IV).« Tout se passe comme si la société, explique Halbwachs (2002 [1920], 8), avait imposé sa forme à la matière, donnée par la nature. Le progrès de la technique a consisté précisément en une réduction du contact direct que l’homme doit prendre avec elle. […] Ainsi l’organisation a de plus en plus résorbé la matière, si bien qu’à présent, lorsque l’appareil producteur livre à la société l’objet fabriqué, ou la matière première déjà élaborée, la société n’y retrouve que ce qu’elle y a mis, et qu’elle s’y retrouve donc elle-même. Elle n’y trouve presque rien qui ne porte sa marque. » [15]
Conclusion
31L’usage voulait que les seules écologies humaines classiques et néo-orthodoxes soient considérées comme les inspiratrices de la sociologie de l’environnement contemporaine (e.g. Buttel, 1986 ; Vaillancourt, 1996 ; Hannigan, 2006). Cependant leur proximité avec la structure même de la morphologie sociale autant que son déploiement par Halbwachs, lequel non seulement insista sur les aspects démographiques et technologiques des sociétés mais encore s’ingénia à prolonger ce qu’avait initialement formulé Durkheim ou Mauss, permet un rapprochement entre les différents courants. Leurs propositions communes en faveur d’une approche sociologique des phénomènes environnementaux et non strictement sociaux semblent à la base de ce rapprochement dont la figure suivante permet définitivement de saisir les traits.
32Ces schémas rappellent que la dialectique à l’œuvre dans chacune des approches prend forme dans le même jeu d’opposition/attraction entre les aspects strictement sociaux de la sociologie et ceux non strictement sociaux, qu’ils soient nommés matériels, biotiques ou environnementaux. Montrer que la pensée de Halbwachs participe de l’écologie humaine autant que de l’avènement du complexe écologique permet de faire de cet auteur un pionnier de la sociologie de l’environnement, tout en révélant l’homologie de la démarche analytique de la sociologie française naissante, associant morphologie et physiologie, avec le jeu de va-et-vient entre l’écologie humaine et sociale de l’école de Chicago [16]. D’ailleurs, l’écologie néo-orthodoxe a dû puiser autant dans son héritage américain que dans la morphologie sociale pour porter l’étendard de l’interaction entre l’organisation sociale, la population, la technique et l’environnement.
33Si la morphologie sociale est aujourd’hui souvent réduite à une approche géographique [17] ou socio-démographique (e.g. Baechler, 2005), ce travail rappelle qu’elle est aussi une incitation à penser tout ensemble les techniques, les populations, les organisations et leur milieu naturel. Le fait que les tenants du courant de modernisation écologique insistent à leur tour sur les dimensions matérielles du social (Mol et Spaargaren, 2006), qui plus est en s’appuyant sur les travaux de Castells (1996, cf. également 2000), laisse croire à une redécouverte progressive, sinon de la morphologie sociale elle-même, du moins de la nécessité de prendre en compte les aspects non sociaux autant que ceux strictement sociaux pour comprendre les phénomènes sociologiques contemporains. Dépassant notre propre ambition de souligner l’actualité de la morphologie sociale et de ses développements halbwachsiens, d’autres auteurs proposent d’aller plus loin et d’admettre « la prééminence de la morphologie sociale sur l’action sociale » dans les sociétés en réseau (Castells, 1996, 469, repris par Mol et Spaargaren, 2006, 41). La montée des thématiques telles que la justice environnementale et les inégalités sociospatiales (Cornut et al., 2007), celles des cadres et des modes de vie, traitant les caractéristiques sociales dans leur rapport à un quotidien teinté d’environnementalisme (Dobré, Juan, 2009), ou l’étude des réactions sociales suivant les catastrophes naturelles (sociology of disasters, e.g. Murphy, 2009), tout cela peut être étudié voire approfondi par l’approche morphologique.
34Pour l’heure, il semble plus raisonnable d’affirmer seulement que la dialectique morphologie/physiologie de l’école Durkheimienne est toujours d’actualité ; et puisque c’est bien la thématique environnementale qui la porte, en lui préférant au passage l’opposition écosystème/sociosystème qui caractérise plus formellement la sociologie de l’environnement (Boudes, 2008), alors elle ne peut que s’imposer davantage ces prochaines années tant l’interaction des sociétés avec la nature apparaît comme un enjeu inscrit dans le long terme.
35Il demeure néanmoins déplacé de faire de Halbwachs un tel fondateur de l’approche sociologique de l’environnement, car certains de ses positionnements sont ambigus et rappellent les difficultés de penser l’imbrication des relations entre les sociétés et leur milieu physique. En effet, s’il fallait définitivement en faire un des inspirateurs de ce courant, il faudrait revenir sur nombre de ses commentaires qui oscillent entre une prise en compte réaliste de l’importance de la nature et une réaction proche d’un constructivisme environnemental faisant des éléments matériels et naturels les produits de mécanismes sociaux. En écrivant par exemple que la société impose sa forme à la matière (Halbwachs, 2002 [1920], 8), il nie ainsi tout déterminisme matériel, toute prise en compte heuristique d’un fait matériel quand bien même il s’agirait du substrat humain cher à Durkheim : dans celui-ci encore la société ne retrouverait finalement que ce qu’elle y a mis [18].
36L’analyse que propose Jaisson (1999) des concepts de temps et d’espace social avancés par Halbwachs rappelle ce niveau d’abstraction dans lequel prennent place les idées pourtant les plus « matérielles » du sociologue. Son article sur la place des ouvriers dans l’organisation technique de la production (Halbwachs, 2000 [1920]) est révélateur de ce détachement de la matière de la société au profit des représentations sociales de cette matérialité.
« De tout temps, écrit-il (ibid., 23), les hommes ont été en relations avec la matière, et ils s’en sont fait de bonne heure des représentations. Bien des faits permettent d’induire qu’ils n’ont pas distingué nettement tout de suite entre la nature humaine et la nature matérielle, que, si l’on veut, le cadre tenait alors une place bien plus grande que le tableau, ou que celui-ci était transfiguré par celui-là, en prenait la couleur et l’aspect. »
38Autrement dit, le temps est venu d’abolir cette différence et de distinguer complètement la société (le cadre) de son milieu naturel (le tableau). Savoir si les variables biologiques ou géographiques ont leur part d’influence dans la matérialité sociale n’est pas l’objet central des propos d’Halbwachs. Comme la plupart des sociologues de son époque, il esquive le débat : ce qui est l’objet d’analyse est moins ces variables, qui sont associées d’ailleurs à d’autres variables (sociales, techniques, démographiques, économiques, etc.), mais bien la conscience collective qui intègre ces variables et cette matérialité.
Son positionnement face à Febvre souligne, non sans ambiguïté toutefois, la primauté donnée aux représentations. Il paraphrase la thèse de Simiand (1909, 729) selon laquelle « le véritable phénomène économique (ainsi que son explication) n’est pas dans les choses, mais dans l’esprit des hommes (par rapport à ces choses) », pour réaffirmer que si la morphologie s’appuie sur des phénomènes matériels, physiques, extérieurs, « c’est qu’ils expriment sensiblement des faits sociaux, des états et des directions de la pensée collective, et c’est en termes de représentations ou de courants de pensées sociales qu’elle les traduit » (Halbwachs, 1925, 907).« Il y a donc bien là, termine Halbwachs dans sa Morphologie sociale (1938, 198), tout un ordre de représentations collectives qui résultent simplement de ce que la société prend conscience, directement, des formes de son corps matériel, de sa structure, de sa place et de ses déplacements dans l’espace, et des forces biologiques auxquels il est soumis. »
Seule une considération chronologique de l’œuvre d’Halbwachs nous permet d’insister sur l’apport de sa morphologie sociale, mais seule une mise en œuvre empirique de celle-ci pourrait réhabiliter le sociologue et sa place dans l’approche sociologique de la matérialité. Le renouveau que connaît ce dernier est encore trop récent pour statuer sur cette éventuelle ouverture. D’une part on convient que la réédition du Point de vue du nombre ou la parution de M. Halbwachs, sociologue retrouvé (Jaisson & Baudelot, 2007) éloigne encore Halbwachs de cette morphologie sociale inspiratrice de l’approche sociologique de l’environnement et des aspects matériels de la société ; d’autre part l’intérêt pour ce penseur dans les études des groupes sociaux et professionnels et dans celles de la ville laissent penser que les relectures de Halbwachs ne font que commencer et reviendront sans nul doute, peu ou prou, sur son traitement de l’interaction entre les sociétés et leurs pendants naturels et matériels comme cela a été proposé ici.
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Mots-clés éditeurs : sociologie de l'environnement, Halbwachs, complexe écologique, écologie humaine, morphologie sociale
Date de mise en ligne : 16/05/2011
https://doi.org/10.3917/anso.111.0201Notes
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[1]
Pour un panorama de ce domaine, lire Boudes, 2008.
-
[2]
« [L]e territoire [de la société], ses dimensions, sa configuration, la composition de sa population qui se meut sur la surface sont naturellement des facteurs importants de la vie sociale ; c’en est le substrat et, de même que, chez l’individu, la vie psychique varie suivant la composition anatomique du cerveau qui la supporte, de même les phénomènes collectifs varient suivant la constitution du substrat social. » (Durkheim, 2002 [1909], 11).
-
[3]
« C’est un fait connu que Durkheim a lancé le thème de la morphologie sociale en vue de mettre sous le contrôle de la sociologie un certain nombre de disciplines des sciences humaines et de l’espace telles que l’ethnologie, la géographie, l’histoire et la démographie, en leur proposant un regroupement thématique » (Jonas, 1997, 22). Et l’auteur de rappeler que le terme d’« annexion » était déjà utilisé par König (1972 [1967]).
-
[4]
Cf. les récits de Lévi-Strauss (1947 [1945], 515-516) qui compare la position des sociologues à celle « d’une mère assistant avec orgueil aux premiers pas de ses jeunes enfants et leur prodiguant ses conseils » et de Febvre (1922, 24-25) qui donne l’avantage au « petit groupe d’excellents travailleurs qu’Émile Durkheim avait su constituer autour de lui ». Sous l’apparente transcription désintéressée que propose Febvre, d’aucuns y voient une stratégie d’isolement des géographes face aux sociologues, ceci dans le but d’empêcher tout rapprochement entre ces disciplines et de préférer l’antique dynamique du lien entre histoire et géographie, quitte à éloigner encore celle-ci d’une heuristique aussi prometteuse que le rapport au sol des sociétés (cf. Dosse, 1987, 74-76 ; Fixot, 1997, 249-250).
-
[5]
On trouve un tel raisonnement chez Bouglé (1938 [1935], 72) : « À noter d’ailleurs que la morphologie sociale une fois constituée, si elle devait, ayant embrassé dans sa totalité le substrat matériel des sociétés, essayer de fournir une explication totale de ce qui s’y passe, risquerait de tomber sous les mêmes reproches que les sociologies naguère ont adressés à la géographie. La connaissance de ce que M. Mauss propose d’appeler l’anatomie des sociétés ne saurait rendre compte à elle seule de leur physiologie. » Se rappelant Durkheim qui « protestait contre la psychologie matérialiste qui croirait réduire le mouvement des idées au mouvement des cellules » (ibid., 72-73), Bouglé réaffirme que la morphologie ne saurait expliquer totalement la physiologie et surtout que la physiologie a une certaine indépendance vis-à-vis des déterminismes qu’elle subit, que les représentations collectives sont relativement autonomes et par-là qu’elles ne se laissent pas réduire à la morphologie sociale.
-
[6]
« Platon, poursuit Halbwachs (ibid., 31-32), […] préoccupé d’assurer la stabilité de l’État […], fixait le nombre des citoyens […]. Rousseau, dans son Contrat social, remarquait qu’il doit y avoir un rapport entre l’étendue du territoire et la forme du gouvernement […]. Montesquieu consacrait tout un livre de l’Esprit des lois au sujet suivant : des lois dans le rapport qu’elles ont avec le nombre des habitants. »
-
[7]
« Toute population humaine doit être replacée dans un milieu à la fois social et matériel » (ibid., 155).
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[8]
Sur l’apport de Simmel à la sociologie de l’environnement, lire Gross (2001) et Boudes (2009). Sur le lien des deux penseurs à Bergson, on peut rappeler la préface de Girard à la réédition de 1970 de la Morphologie Sociale qui insiste sur le fait que « métaphysique et sociologie ont convergé chez Halbwachs vers une psychologie enveloppante et fine » et s’applique également à Simmel selon nous. Pour les collaborations, nous pensons aux contributions de Halbwachs aux Annales d’Histoire Économique et Sociale, qui impliquaient Febvre et Bloch (Jonas, 1997), et à l’ouvrage Die Groszstadt [La Métropole] (Bucker et al., 1903) auquel ont participé Simmel et Ratzel.
-
[9]
Présentés et repris par Grafmeyer & Joseph, 1979.
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[10]
La citation est celle-ci : « Les relations entre la géographie humaine et l’écologie humaine, ou la morphologie sociale, comme Durkheim choisi de l’appeler, […] » (Park, 1926, 486, nous soulignons).
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[11]
À ceci s’ajoute les critiques qu’émettait la sociologie durkheimienne face aux études des groupes. En ce sens, lorsque Joseph (2001) associe Tarde et Park, il ne fait que prolonger cette divergence qui conclut l’article de Topalov (2006).
-
[12]
Il en parle comme des « livres de description sans doute, plutôt que de science, inégaux, décevants quelquefois, mais le plus souvent très pittoresques » (Halbwachs, 1979 [1932]). L’adjectif « pittoresque » avait d’ailleurs servi à Maunier (1925, 879) pour sa notice du Hobo de Anderson : « ses descriptions sont plus pittoresques que précises ».
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[13]
À ce sujet, la démonstration de Topalov (2006, 563) souligne que le lien entre l’école de Chicago et le sociologue français est peu explicité dans ce livre. Topalov s’appuie en effet sur le commentaire de Grafmeyer & Joseph associant trop directement l’approche morphologique à celle écologique (Grafmeyer & Joseph, 1979, 35), mais il ne dit rien d’un autre commentaire des deux directeurs d’ouvrage (p. 25) mettant en avant les tentatives imagées de Halbwachs (1979 [1932], 324) pour rendre compte au mieux de l’apport de cette école et justifiant, par là, son insertion dans une perspective sinon historique pour le moins illustratrice.
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[14]
Cf. Vaillancourt (1996) ou Buttel & Humphrey (2001, 62) qui font remarquer que des sociologues de l’environnement tels que Dunlap et Catton « have urged the use of Duncan’s “ecological complex” or “POET” model […] as an analytical framework for guiding the work of environmental sociologists ».
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[15]
Cette citation de Halbwachs laisse cependant entrevoir sa vision sociocentrée de la matière sur laquelle nous revenons en conclusion.
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[16]
Il est clair que les figures de Dunlap et de Buttel s’inscrivent dans cette dialectique. « D’une certaine façon, […] Buttel était opposé au déterminisme environnemental tout comme le furent les écologistes sociaux des années 1930. Il était en réaction contre les écologistes humains de l’école de Chicago alors que la sociologie de Dunlap allait justement dans le sens de la position de l’école de Chicago et des écologistes humains néo-orthodoxes » (Vaillancourt et al., 1999, 174).
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[17]
Cf. Frey (2003, 24-25) « On peut ainsi affirmer sans trop de risque que le concept de morphologie sociale […] passe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale des mains de sociologues généralistes qui ne savent guère qu’en faire (le dernier en date ayant sans doute été Georges Gurvitch) dans celles de sociologues urbains comme Paul-Henry Chombart de Lauwe ou dans celles de géographes de l’aménagement et de l’urbanisme, en se rapprochant de celui de morphologie urbaine. »
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[18]
La lecture de la (non) prise en compte des formes matérielles de la société est double, soit l’on constate qu’elles sont revisitées par les représentations collectives et ne sont pas comprises pour elles-mêmes, soit elles transparaissent dans les représentations collectives et jouent donc un rôle, quoiqu’indirect. C’est à la première lecture que nous nous rattachons.