Couverture de ANSO_102

Article de revue

Sociologies de la musique

Pages 271 à 303

Notes

  • [1]
    Et sans même discuter les propos de V. Jankélévitch.
  • [2]
    L’article se consacre par conséquent à la France, sans exhaustivité. La mise en perspective des travaux des contributeurs reste à englober dans une perspective internationale plus vaste, au regard de ceux parus en Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, aux États-Unis avec la figure primordiale et très présente en France d’Howard S. Becker. Le colloque international sur « 25 ans de sociologie de la musique en France » qui s’est tenu en novembre 2008 à la Sorbonne et celui sur la sociologie de la musique qui s’est tenu en juillet 2009 à Lisbonne en témoignent également.
  • [3]
    Pas seulement pour les musiques dites savantes, le langage tonal étant au fondement des « musiques populaires modernes ». L’article d’Antoine Hennion dans ce numéro développe précisément « la question de la tonalité » en rapport à la langue et à l’articulation nature/culture.
  • [4]
    Une immatérialité relative au regard de l’existence des ondes sonores.
  • [5]
    Ce qui fait le « mystère » de la musique tel que pointé par Claude Lévi-Strauss, c’est « qu’un art aussi technique et formel, hautement codifié et contraignant, puisse toucher si profondément l’affectivité individuelle selon des modalités si variables, résistant souvent à la formulation. » (Donin, Campos, Keck, 2006, 3)
  • [6]
    Dans cet ouvrage, elle revisite les théories du xixe et du xxe siècles pour montrer les manques dans la construction d’une « véritable » approche sociologique des faits musicaux, qui dépasserait l’approche positiviste pour saisir le « sensible ».
  • [7]
    Plutôt que « faire de la musique » comme évoqué notamment par Denis Laborde (à paraître).
  • [8]
    « Une sociologie de la musique où la musique signifie plus que les cigarettes ou le savon dans des enquêtes de marché ne réclame pas uniquement une conscience de la société et de sa structure, pas uniquement non plus la seule connaissance des phénomènes musicaux à but d’information, mais la pleine compréhension de la musique dans toutes ses implications. » (Adorno, 1994, 6).
  • [9]
    Les trois conférences tenues par des auteurs ne relevant pas directement de la sociologie sont néanmoins publiés par la Revue Française de Sociologie (Colloque sur la musique, 1962) : deux textes sont ethnomusicologiques, André Schaeffner sur « Musique et structures sociales (Sociétés d’Afrique Noire) » (388-395) et Marina Scriabine sur « La musique et la Chine ancienne » (398-406), un troisième émanant d’un critique musical, Boris de Schoelzer, s’interroge sur la manière dont nous écoutons aujourd’hui la musique du passé (« La musique ancienne et nous ») (395-398).
  • [10]
    Organisé conjointement par Jacques Chailley (directeur de l’Institut de Musicologie) et plusieurs ministères, cette rencontre de cinq jours ne laisse pas trace d’une réflexion que l’on dirait aujourd’hui « sociologique » (Paris, Semaines musicales internationales de Paris, 1962).
  • [11]
    Il faudrait citer bien d’autres publications en dehors de la France, et exceptionnellement rapidement traduites comme (Élias, 1991), mais le croisement avec les recherches menées à l’étranger n’est pas toujours réalisé et les comparaisons internationales manquent. En outre, une interrogation de la base « web of science » montre que de nombreux travaux en langue française n’y sont pas recensés. Y apparaissent cependant les articles de la revue Poetics, l’International Review of Aesthetics and Sociology of Music ou la Revue de synthèse ayant une entrée « sociologie de la musique ».
  • [12]
    La musicologie française a mis plus de temps à se pencher sur l’analyse de la chanson et des musiques « populaires modernes » malgré les travaux pionniers de Jean-Rémy Julien nomment.
  • [13]
    Le rapprochement de leurs dates de naissance respectives, précisées au fil de la présentation des auteurs, ainsi que des données biographiques rarement abordées permettent de situer ces derniers les uns par rapport aux autres.
  • [14]
    Les propos qui suivent proviennent d’échanges par courriel de l’auteure en juin et juillet 2009 avec chacun des sociologues, que nous remercions chaleureusement de s’être prêtés à notre jeu de questions.
  • [15]
    Encore que, à propos de l’écoute, chacun soit bien un « amateur » actif.
  • [16]
    Pour paraphraser (Heinich, 1998).
  • [17]
    Expliquait-il lors du colloque « 25 ans de sociologie de musique en France. Ancrages théoriques et rayonnement international », Sorbonne, 6-8 novembre 2009.
  • [18]
    Comme il l’évoquait également lors du même colloque.
À la mémoire de Jean-Michel Berthelot

1La Musique et l’Ineffable, l’association des deux termes dans le titre éponyme de l’ouvrage de Vladimir Jankélévitch (1983 [1961]) augure d’un mystère de la musique et pose un rapport au sublime. Il suggère à la fois que la musique a partie liée avec l’indicible, mais aussi que celle-ci s’offre comme moyen de donner forme à l’inexprimable. Ce titre fait écho parallèlement à la difficulté de parler de la musique et de la qualifier, à la crainte même de l’appréhender qu’évoquent bien souvent ceux qui s’apprécient comme non-spécialistes, ceux qui ne se sentent pas armés d’un vocabulaire et d’outils adéquats. L’association des deux termes évoque encore (sans épuiser la palette des interprétations possibles [1]) un butoir contre lequel viendrait heurter la pensée même des « spécialistes ». Pourtant, la musique c’est aussi ce refrain qui nous accompagne au quotidien, un air, une chanson, le thème d’une symphonie. Et tout le monde, ou presque, en entend chaque jour, en discute avec d’autres souvent.

2Comment en parler en sociologue ? Comment la sociologie s’est-elle emparée de cet objet « musique » ? Cette question est déjà une manière assez inexacte de parler de musique comme phénomène social et esthétique. Il faudrait se demander plutôt comment les sociologies étudient les processus, les pratiques, les objets multiformes (instruments, disques…), les acteurs qui font la musique. Et d’ailleurs, objectera-t-on, faut-il parler de la musique, plutôt que des musiques ou de faits musicaux ? Nous y reviendrons, car la question est constitutive de l’approche sociologique choisie. Précisons toutefois que l’expression telle qu’employée dans cet article n’exprime pas une hiérarchisation entre ce qui serait de l’art ou n’en serait pas, ce qui reviendrait – au moins implicitement – à prôner l’exclusion de certaines formes ou de certains genres musicaux ; cela ne marque pas davantage l’oubli du faire et de son inscription sociale, culturelle et historique. Dans l’emploi générique, ici privilégié, le terme inclut toute forme de qualification d’une organisation sonore (et parfois aussi multi-artistique) comme « musique » par des groupes sociaux (ce qui est surtout valable en Occident, le terme n’ayant pas d’existence établie dans toutes les sociétés). Parler de sociologie de la musique équivaudrait en ce sens à parler de sociologie de la famille ou de l’éducation (sans préjuger de la multiplicité des modèles familiaux et des formes d’éducation).

3Sociologie de la musique donc. Ou plus exactement sociologies de la musique. Notre propos interroge les manières de concevoir une approche sociologique de la musique et les phénomènes étudiés dans ce domaine, mais aussi le rapport personnel et scientifique à la musique qu’entretiennent quatre des principaux auteurs qui ont insufflé un développement de ce champ disciplinaire dans les années 1980 en France [2] et qui contribuent à ce numéro de L’Année sociologique. Évoquer les itinéraires de recherche, les principaux thèmes et les problématiques qui jalonnent les travaux de ces auteurs nous invite au préalable à questionner le caractère « insaisissable » de la musique et à reconstituer les débuts de la sociologie de la musique en France. Cela nous conduira à souligner en retour comment la musique et les sociologies de la musique interrogent la sociologie de manière générale.

1 – Insaisissable musique ?

4Pierre Bourdieu a dit de la musique qu’elle était « l’art “pur” par excellence », elle qui « ne dit rien et n’a rien à dire » (Bourdieu, 1984). Ses propos ont pu paraître provocateurs : les tenants d’une vision d’un art au-dessus des contingences sociales y perçoivent une critique sous-jacente et une dépréciation. À l’opposé, pour les partisans d’une analyse sociologique de cette activité sociale comme toute autre, les termes de Pierre Bourdieu ont paru impropres tant la musique est faite de chair, par des humains, peuplée d’objets, mise en scène, liée aux industries culturelles… Sans doute faut-il y voir à la fois une discussion sur des représentations véhiculées par la musique dans notre société, et la désignation d’une spécificité de cette activité. Rappelons-en quelques caractéristiques bien connues.

5Cet art du sonore est d’abord un art du spectacle (en se référant à l’étymologie, c’est-à-dire appelant l’observation par l’avènement). Pour se faire entendre, il nécessite d’être « joué » ici et maintenant, par des interprètes donc, ou par des machines, à l’aide d’un disque, d’un fichier sonore… Techniques, instruments (au sens large, y compris la voix et les producteurs de son), supports en tout genre participent de son avènement dans un espace-temps précis, forcément situé, au terme d’une longue « chaîne de coopération » (Becker, 1988) mobilisant de nombreux acteurs. Et c’est grâce à un dispositif matériel, par une incarnation physique, dans de l’humain, de la technique, des objets, que le sonore parvient à nos oreilles. Toujours en devenir du temps qu’elle est jouée et écoutée, « une » musique est en fait une multitude de moments uniques.

6Même avec paroles ou bien « descriptive », empreinte de « conventions » musicales qui font sens pour un groupe social (Becker, 1988), une pièce de musique n’offre pas de signification directe et n’est jamais univoque. On retrouve la question du rapport de la musique au langage, longuement débattue par Claude Lévi-Strauss, nombre de sémiologues et de musicologues, dont on ne peut reprendre ici les observations, les thèses et les débats. Disons rapidement qu’il n’y a pas en musique de dispositif signifiant/signifié semblable à une langue, malgré l’existence de « langages » musicaux à la formalisation plus ou moins complexe faisant l’objet de « grammaires » [3]. En ce sens, la communication est essentiellement d’ordre symbolique. Ce qui mène tout droit à interroger les représentations (Constant-Martin, 2006), la construction d’un sens (non pas littéral mais multiforme et sans traduction immédiate possible) pour un groupe, d’une signification accordée par un/des individus et en partie partagée, et les émotions qui y sont associées.

7Le caractère souvent décrit comme impalpable, immatériel [4], fugace de la musique contribue à entretenir cette part de « mystère » [5], ce côté impénétrable qu’on lui prête souvent, cette « peur » parfois exprimée envers le « langage musical ». Comme l’ont montré philosophes, musicologues et psychologues, la musique entretient un rapport privilégié au temps (Imberty, 1981). Toute musique crée un temps spécifique, une durée, à la fois dans et en dehors du temps commun, permettant de suspendre le fil du temps chronométrique, de renouer avec d’autres temporalités (Prévost-Thomas, 2002), de se « syntoniser » avec d’autres (compositeurs ou auditeurs) (Schütz, 2007), de partager ensemble des émotions intenses. Maîtrise temporaire et symbolique du temps, la musique tisse un lien entre des individus, ouvre une fenêtre partagée, se pose face à la vie et à la mort, à la condition humaine et au devenir humain, aux capacités d’engendrement et de création. Parmi les autres arts et formes culturelles, la musique semble dotée (non pas « en soi », mais par ses propriétés socialement définies) d’un pouvoir symbolique particulier comme expérimenté à propos du féminin et du masculin tels que repérés en musique par nos propres travaux : historiquement en Occident, ce domaine artistique est le plus résistant à un partage des prérogatives entre hommes et femmes quant aux fonctions créatrices (composition, direction d’ensembles musicaux), sans parler même des modalités de la pratique (chant versus instrument, univers domestique/scène publique). Genre au sens esthétique et genre au sens sociologique codéterminent l’accès aux outils de création ainsi qu’à la reconnaissance symbolique des unes et des autres dans un domaine confinant – finalement – au sacré (Ravet, à paraître).

8Fait social et esthétique, la musique a aussi été caractérisée comme un « fait social total » en référence à Marcel Mauss. Pour Anne-Marie Green qui a défendu en sociologie cette conception initiée en sémiologie de la musique par Jean Molino, ce dernier distinguant le « fait musical total » (plutôt que la musique) des faits musicaux spécifiques (plutôt que des musiques), les différents « paliers en profondeur » – selon l’expression de Georges Gurvitch – de la musique imposent d’en étudier les aspects économiques, politiques, matériels et techniques, symboliques, etc., de saisir à la fois les dimensions sociales et sensibles de chaque fait musical (Green, 1993, 234) [6]. On ne peut présenter ici les théories et les travaux menés du côté de la philosophie, de l’herméneutique, de la sémiologie, de la musicologie et de l’ethnomusicologie qui discutent la « nature » du fait musical et les manières de l’appréhender. Précisons toutefois que concevoir la musique en termes de faits et de pratiques, mais aussi – plus récemment – l’envisager en termes de processus est une démarche partagée par d’autres disciplines (Cook, 2006).

9Proche de celle de certains ethnomusicologues et anthropologues de la musique, insistant sur l’importance du faire, cette direction de recherche sociologique est, à nos yeux, fructueuse. Étudier comment les acteurs fabriquent de la musique, du son qui prenne un sens esthétique pour un groupe social situé, pris dans un espace-temps, analyser ce « faire la musique » [7] où production, réception et « œuvre » sont inséparables, s’intéresser plus spécifiquement à la musique « en train de se faire », par exemple à la manière dont un(e) chef(fe) et un orchestre construisent ensemble une interprétation musicale (Ravet, 2007) porte à s’attacher aux interactions sociomusicales in situ, à prendre en compte aussi bien le contexte que les significations données par chacun à sa participation personnelle et à l’action commune. La musique est ici saisie en tant que processus qui s’actualise dans le « jeu » et par l’écoute, ce qui implique de porter attention à toutes les pratiques, à toutes les musiques.

10Cette posture à la fois théorique et empirique conduit à déceler les traces des interactions sociales dans la construction même du sonore ; elle interroge parallèlement le sens des pratiques musicales tel qu’il s’enracine dans l’expérience sonore (et sociale, indissociablement) et les propriétés esthétiques (répertoires, formes, instruments ou types de voix, etc.) des processus analysés. La connaissance du matériau musical et une pluridisciplinarité associant sociologie et musicologie s’avèrent, dans cette optique, très enrichissantes, voire indispensables. De la même manière, pour saisir tour à tour (plutôt que de manière simultanée) les différentes facettes de chaque fait musical, la collaboration avec d’autres disciplines comme l’histoire, l’économie, l’ethnologie ou les sciences politiques permet d’éclairer cette activité humaine, sociale et symbolique, liée à d’autres univers et semblable à bien d’autres activités, en se donnant la possibilité de préciser sa spécificité par rapport aux autres pratiques artistiques et culturelles.

2 – Les débuts de la sociologie de la musique en France

11Les réflexions sur les rapports entre musique et société ont une origine ancienne. Il suffit de penser aux écrits de Platon et d’Aristote sur la place à accorder aux musiciens dans la Cité et le rôle à donner à la musique dans l’éducation des citoyens, mais aussi aux représentations symboliques et politiques de la musique et des musiciens dans l’Antiquité. Les théoriciens de la Renaissance, puis les philosophes des Lumières – pour ne citer qu’eux – se sont penchés à leur tour sur la manière dont la musique entretient des liens avec le langage et la culture d’un peuple, avec l’expression des sentiments et des émotions, et sur ses relations avec le politique.

12Les fondateurs de la sociologie, quant à eux, ont initié une réflexion proprement sociologique sur l’art, sans y consacrer l’essentiel de leurs travaux (Péquignot, 2009) et en abordant rarement la musique en particulier. Max Weber représente une exception de taille. Son ouvrage posthume sur les « fondements rationnels de la musique » (Weber, 1998 [1921]) est précurseur : il propose une sociologie de la musique fondée sur une démarche de sociologie historique comparatiste, qui allie théorie et empirie et innove à la croisée de la sociologie et de la musicologie. Analysant la manière dont s’est traduit, en musique, le processus de rationalisation à l’œuvre en Occident, il considère à la fois les transformations du langage musical (la tonalité, l’harmonie, la notation), l’évolution des techniques (en matière de facture instrumentale en particulier), leur inscription historique, économique et sociale. Traduit tardivement en français par Jean Molino et Emmanuel Pedler, discuté à la lumière de travaux plus récents, l’ouvrage demeure un essai novateur et fructueux.

13Parmi les auteurs publiés en France et pour la musique spécifiquement, outre Lionel Landry qui pose que « la musique est un fait de conscience collectif » (1930, 114) dans son ouvrage sur la « sensibilité musicale » et Maurice Halbwachs (1950) qui publie un texte sur la mémoire collective chez les musiciens, Charles Lalo (1921) au début du xxe siècle, puis Marcel Belvianes (1951) et Alphons Silbermann (1955, 1968) ont chacun à leur manière tenté de poser les fondements d’une sociologie de la musique. Ces trois auteurs se sont situés par rapport à l’esthétique traditionnelle qui a partie liée avec la philosophie, en des sens contraires pour les deux derniers : Marcel Belvianes donne à lire une conception idéalisée de la musique (le caractère social de celle-ci tenant uniquement au fait qu’elle participe de la vie de chaque société), alors qu’Alphons Silbermann tend à sociologiser l’analyse (les œuvres sont appréhendées en tant que symptômes de la société). Cependant, leurs propositions, essentiellement théoriques, demeurent de l’ordre de l’« esthétique sociologique » (Lalo, 1921). À partir d’exemples d’œuvres, de compositeurs ou de situations de la vie musicale, se distinguant de l’histoire de la musique par leur effort de généralisation (Brévan, 2005), ils s’attachent à mettre en lumière des déterminations extra-esthétiques en maniant diversement le rapport aux valeurs, mais ils restent pris dans une « lecture sociale de l’art » (Hennion, 1993) qui oppose art et société, en une posture aporétique.

14Parallèlement, la « pensée spéculative allemande » (Menger, 1994) s’intéresse à la musique et produit des textes à (re)découvrir aujourd’hui. Comme celui de Max Weber, les écrits d’Alfred Schütz (2007) et de Theodor W. Adorno (1994) sont traduits tardivement en France et demeurent encore en partie méconnus. Pour ce dernier, à la fois sociologue, philosophe, musicologue et compositeur, il faut créer une méthode d’investigation « musico-sociologique » adaptée à chaque phénomène, conjuguant analyse « interne » des œuvres et analyse « externe » [8]. Fruit de forces insérées dans des rapports de production, chaque œuvre détient un « degré de vérité » rarement saisi par les consommateurs de musique. Cette théorie critique qui pose une relative (et illusoire) autonomie de l’art par rapport à l’aliénation engendrée par la société de consommation a été fort discutée, aussi bien par les musicologues que les sociologues, la force de ses jugements de valeur (en particulier ses prises de positions esthétiques contre le jazz tel qu’il le connaissait à son époque) rebutant. Son travail, qui participe d’une lecture sociale – élaborée – de la musique, reste marqué par l’emprise esthétique. C’est aussi le cas des travaux d’Ivo Supi?i? (1971), qui inscrit finalement davantage ses réflexions en histoire sociale qu’en sociologie, mais de manière opposée : ce dernier rejete du champ des compétences sociologiques l’interrogation sur la musique et sur les œuvres, réattribuée exclusivement à l’esthétique.

15En France, ce n’est qu’à partir des années 1960 que se développe une véritable sociologie d’enquête dans les domaines artistiques et culturels (Moulin, 1988). En raison des profondes transformations sociales et du champ culturel, à la faveur d’une demande institutionnelle émanant notamment du ministère de la Culture, un ensemble de travaux empiriques voit le jour. Ils répondent à un besoin de mieux connaître les producteurs et les consommateurs des arts et s’inscrivent dans le sillage d’une évaluation des politiques instituées pour « démocratiser » la culture. Deux courants se sont ainsi formés (Péquignot, 2009) : le premier regroupe des auteurs aux positions diverses comme Pierre Francastel, Roger Bastide et Jean Duvignaud gravitant autour de Georges Gurvitch ; le second se développe autour de Raymond Aron, avec les travaux des équipes constituées par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, d’une part, et Raymonde Moulin, d’autre part. Les arts plastiques, le théâtre, les publics, la photographie constituent les premiers domaines d’investigation. L’intérêt pour la musique vient plus tard.

16Pourtant, des colloques sur la musique ont lieu dans ces années-là en France : en 1961 se tient au Centre d’études sociologiques un « Colloque sur la musique » [9]. En 1962, le « Colloque international pour une sociologie de la musique : les nouvelles structures musicales constituent-elles un phénomène social ? » [10] interroge les transformations du langage musical « savant » ; il fait appel à des musicologues et ethnomusicologues, des compositeurs, des acteurs de la vie musicale, mais pas à des sociologues. Quelques contributions sociologiques paraissent sur la chanson (Bernard, 1964) et le jazz (Newton, 1966). Aux États-Unis, dans les années 1960 toujours, Howard S. Becker publie Outsiders (1985 [1963]) qui comprend deux chapitres consacrés aux « musiciens de danse » (les musiciens des clubs de jazz des années 1940-1950 à Chicago). Mais l’influence de ce dernier en France ne se fait sentir de manière majeure qu’à partir des années 1980, lorsque ses travaux sont traduits en français.

17À la faveur de la réinstauration d’une section « Sociologie de l’art » dans L’Année sociologique, Antoine Hennion constate ainsi en 1984 que « la sociologie de la musique est moins avancée que celle de la peinture » (Hennion, 1984, 379). Il lui consacre le premier débat thématique en discutant des travaux anglophones, ceux de l’anthropologue de la musique John Blacking dont Le sens musical était paru (traduit en français) en 1980 et l’ouvrage collectif intitulé Whose Music? A Sociology of Musical Languages (Sherperd et alii, 1977) proposant un « modèle théorique systématique » pour la sociologie de la musique. À cette époque, en effet, des travaux en langue anglaise fleurissent, en particulier sur le rock et la culture juvénile, comme ceux de Simon Frith qui publie un premier opus The Sociology of Rock (1978) bientôt suivi d’autres, ou ceux de Stith H. Bennett (1980).

18De manière générale, le colloque sur la « Sociologie de l’art » organisé en 1985 à Marseille par Raymonde Moulin apparaît comme fondateur d’un champ spécifique de la sociologie, celui de la sociologie des arts et de la culture. Sur la quarantaine de contributions, cinq portent directement sur la musique : pour les aspects institutionnels et économiques, Frédérique Patureau sur « L’Opéra de Paris ou les ambiguïtés de l’enjeu culturel » (Moulin, 1999 [1986], 83-93) ; du côté des professions artistiques et des marchés de l’art, Jean-Louis Fabiani sur les « Carrières improvisées : théories et pratiques de la musique de jazz en France » (231-246) et Pierre-Michel Menger sur « L’art, objet de science : la recherche musicale savante contemporaine » (247-260) ; enfin, à propos de la sociologie des œuvres, John Shepherd « Les exigences d’une sociologie des œuvres musicales : le cas des musiques “classiques” et “populaires” » (335-346) et Antoine Hennion « La musique est une sociologie : points de méthode, à propos des théories musicales de Rameau » (347-356).

19La fin des années 1970 et les années 1980 marquent ainsi le développement de travaux empiriques sur la musique en France et l’investissement de chercheurs qui vont consacrer pleinement – au moins un temps – leurs recherches à la musique. Si Bruno Brévan soutient en 1977 une thèse de sociologie historique sur la vie musicale parisienne et le concert sous le règne de Louis XVI et sous la Révolution, qui donne lieu à la parution d’un ouvrage (Brévan, 1980), les autres chercheurs se concentrent davantage sur la période contemporaine. Pierre-Michel Menger commence à publier sur la création musicale dans un premier article en 1977, avant son ouvrage sur La Condition du compositeur et le marché de la musique contemporaine en France (1979), bientôt suivi par Le Paradoxe du musicien (1983) issu de sa thèse de doctorat. Antoine Hennion fait paraître à la même époque des recherches sur l’industrie du disque : un premier document en 1975, suivi d’un ouvrage avec Jean-Pierre Vignolle sur L’Économie du disque en France (1978), puis de celui sur Les Professionnels du disque. Une sociologie des variétés (1981). La même année paraît le premier rapport de l’« Enquête sur les élèves et anciens élèves des écoles de musique contrôlées par l’État » auquel il participe. En 1983, Anne-Marie Green soutient sa thèse sur le rapport des adolescents de lycées professionnels à la musique, qui donne lieu à la publication d’un ouvrage intitulé Les Adolescents et la Musique (1986). Patrick Mignon commence à publier sur le rock et Jean-Louis Fabiani sur le jazz. À la fin des années 1980, Emmanuel Pedler fait paraître ses premiers articles sur l’opéra et sur l’écoute après avoir soutenu une thèse proposant une « sociosémiotique de l’opéra verdien » en 1984.

20On ne peut bien sûr citer tous les auteurs qui développent une réflexion d’ordre sociologique sur la musique à partir des années 1980 [11]. Avant Jacques Attali avec son « essai d’économie politique de la musique » (1977) et Françoise Escal avec Espaces sociaux. Espaces musicaux (1979), Paul Beaud et Alfred Willener avaient en effet proposé dès le début des années 1970 une réflexion sur la façon sans précédent dont la musique s’intégrait dans la vie quotidienne et se faisait porteuse d’une « nouvelle culture » (Beaud, Willener, 1973). Chercheur suisse héritier de la pensée d’Adorno, après avoir mené des recherches en sociologie du travail, Alfred Willener se consacre à la musique en travaillant successivement sur l’interprétation, les rapports sociaux à l’œuvre dans l’orchestre, l’improvisation. En outre, venus de la linguistique pour Louis-Jean Calvet, de l’histoire pour Jean-Claude Klein ou de la psychologie sociale pour Jean-Marie Seca, des études d’autres disciplines interrogent les rapports musique/société à propos de la chanson, pour les premiers (Calvet, 1981) (Klein, 1990), les musiciens de rock, pour le troisième (Seca, 1987).

21Les premières recherches empiriques en sociologie de la musique ont suivi plusieurs chemins, notamment celui des « nouvelles » musiques, et en particulier le rock, où la réflexion croise celle sur la « culture jeune » voire le « problème jeune », sur les politiques urbaines, sociales et culturelles, sur la part des industries culturelles et des médias dans ces phénomènes. Autre type de « nouvelle » musique, la musique contemporaine et la création ont été questionnées, à l’aune du rôle du marché et de celui de l’État et ses facultés d’intervention en France. Ainsi la répartition des tâches que l’on a parfois voulu voir entre une musicologie qui traiterait de musique « sérieuse » et une sociologie qui se consacrerait à la musique dite populaire n’est pas avérée du côté de cette dernière en France [12].

3 – Parcours intellectuels de quatre sociologues

22Dans ce contexte fertile, certains auteurs proposent un renouveau des approches théoriques, empiriques et épistémologiques par rapport à leurs prédécesseurs, en se distinguant notamment de l’« esthétique sociologique ». Les années 1980 et 1990 voient ainsi la parution d’articles et d’ouvrages qui font date. Face à la richesse et à la multiplicité actuelle des démarches, il paraît essentiel de revenir brièvement sur des travaux qui ont ouvert des voies heuristiques. Appartenant à la génération du baby-boom[13], les quatre contributeurs à ce numéro ont été formés d’abord à d’autres disciplines : la philosophie à l’ens, pour Jean-Louis Fabiani et Pierre-Michel Menger, comme nombre de sociologues avant eux (Raymond Aron, Pierre Bourdieu), mais aussi le droit, pour Emmanuel Pedler, les sciences de l’ingénieur et la musicologie, pour Antoine Hennion. Pour autant leur doctorat s’inscrit en sociologie, discipline à laquelle les chercheurs à leur suite seront plus fréquemment initialement formés. Revenons un temps sur l’itinéraire de recherche de chacun d’entre eux.

23Directeur d’études à l’ehess et professeur à la Central European University (Budapest), Jean-Louis Fabiani (n. 1951) a soutenu en 1980 à l’ehess, sa thèse sur l’étude des « configurations de savoir ». Elle a donné lieu à l’ouvrage Les Philosophes de la République (1988). Ses recherches actuelles interrogent des problématiques essentielles en sociologie de la culture sur savant/populaire et sur la légitimité culturelle. Tout au long de ses travaux court un fil qui le relie régulièrement à la musique, au jazz en particulier et au music-hall (Fabiani, 2006). Ce thème de recherche prend une importance dans son parcours sans doute plus forte qu’il ne le laisse entendre comme en témoignent les thèses qu’il a dirigées sur le rap (Pecqueux, 2003), le jazz (Roueff, 2007) et la globalisation des formes musicales (jazz/rock) (Dorin, 2005).

24Par le jazz se trouve abordée la question des « arts moyens », de la tension entre cultures savantes et populaires, des formes de réception et leurs variations historiques. Son article « Carrières improvisées » augure ainsi d’une analyse, non pas des carrières de musiciens de jazz au sens de Everett Hughes ou de la sociologie du travail, mais de la « constitution sociale de l’objet “jazz” en France » (Fabiani, 1986, 231) : il montre comment le jazz a été perçu et construit comme tel et quel a été l’impact des processus de théorisation de cette musique sur sa perception et sa caractérisation en « musique noire ». L’ethnicisation de cette musique a partie liée avec la constitution et l’influence d’une « jazzophilie » faite par des « blancs » en France. L’article évoque également le processus de légitimation du jazz, par le biais de politiques culturelles, d’un processus d’institutionnalisation (enseignement, commandes d’État…) et l’avènement d’« employés du jazz ». Mais les écrits qui suivent (Fabiani, 2008) nuancent cette analyse. Jean-Louis Fabiani montre que le jazz, loin d’être un « art moyen » en homologie avec les goûts de la « petite bourgeoisie », se révèle après enquête « un art de la tension entre deux extrêmes » comme il l’explique dans ce numéro. Au contact de terrains particuliers, la théorie de la légitimité culturelle telle que développée par Pierre Bourdieu en vient à être ainsi fortement amendée.

25Antoine Hennion (n. 1952) est professeur à l’École des Mines et membre du Centre de sociologie de l’innovation qu’il a dirigé de 1994 à 2002. Il développe une sociologie de la culture à partir de la musique à laquelle il consacre la majorité de ses travaux (parmi d’autres sur la radio, la publicité, le design, le vin, et plus récemment les « humanités altérées » par le handicap, la vieillesse, l’alcoolisme…). Comme pour les autres auteurs, on ne peut évoquer tous ses écrits, tant les thématiques de recherches sont fécondes. Elles portent principalement sur le disque, sur les élèves des conservatoires et l’enseignement musical en France, sur les amateurs et les auditeurs, l’écoute et les goûts, sur la musique ancienne, Bach et Rameau en particulier, mais aussi sur l’opéra, le rock…, et le conduisent à diriger des thèses par exemple à propos du heavy metal (Petesch, 2009). La médiation, puis les « attachements » et sa conception pragmatiste de la sociologie y trouvent leurs fondements.

26Dans ses premiers travaux sur l’industrie du disque, Antoine Hennion montre le rôle essentiel, dans la production d’une chanson de variété, du directeur artistique en tant que « médium » qui « incarne le public (ses désirs, ses envies…) » (Hennion 1981, 13). Dans La Passion musicale (1993), ouvrage issu de la thèse qu’il a soutenue en 1991, Antoine Hennion développe sa théorie de la médiation. Après avoir interrogé le « renouveau » de la musique baroque, sa redécouverte qui est en fait une réinvention de cette musique aujourd’hui à l’aide d’objets (instruments, disques… outre les traités théoriques anciens), il discute les théories en sociologie de l’art et en histoire (sociale) de l’art et explique que le moyen de saisir l’objet musique est de l’appréhender par ses médiations, par les liens musique-auditeur, par les gestes, la scène, les instruments, les partitions…

27Poursuivant ces pistes, il s’intéresse notamment aux amateurs et à Bach au cœur de deux ouvrages publiés en 2000. Avec le musicologue Joël-Marie Fauquet, il analyse comment s’est créé un goût pour les musiques du passé avec Bach au xixe siècle (Fauquet, Hennion, 2000). L’élaboration d’un « amour de la musique » et l’avènement de l’« amateur » (au sens de celui qui aime et cultive ce goût) sont constitutifs de l’appropriation de cette musique en la transformant (par des arrangements divers, en produisant discours et commentaires…) et modifient l’approche de la musique en général. Les différentes « figures de l’amateur » (Hennion, Maisonneuve, Gomart, 2000) doivent prendre place dans l’histoire de la musique, qui est aussi une histoire de l’écoute et du goût marquée par la « discomorphose ». Mis en parallèle avec l’effet d’une drogue, toutes proportions gardées, l’attachement pour la musique passe fortement par le rapport à des objets comme le disque.

28Dans l’héritage de la pensée de Bruno Latour et de Michel Callon, membres du même laboratoire de recherche, Antoine Hennion propose ainsi une approche pragmatiste de la sociologie et de la musique. En tant que telle et posée a priori, cette dernière n’existe pas, pas plus que le social. Pour reprendre les termes de l’auteur, les choses et les objets « nous font », par les « prises » qu’ils exercent sur nous. Les collectifs, les corps et les subjectivités font exister la musique dans un « faire ensemble ». Son approche de la musique se positionne ainsi contre la sociologie critique de Pierre Bourdieu, refusant une position qu’il estime « surplombante » (dominants/dominés) et sociologiste (marquée par le discours sur la « croyance »). Elle critique également les approches qui évacuent la musique parce qu’elles restent dans un dualisme entre sociologie et esthétique, objet et sujet. Dans la perspective qui est la sienne, insistant sur les capacités réflexives des acteurs, il faut partir de l’appropriation, montrer comment l’objet musique devient « objet de désir », producteur de sens et d’imaginaire. À la question essentialiste de la nature de l’objet se substitue alors l’interrogation sur « ce que fait la musique » et « ce qu’elle fait faire », à ceux qui la goûtent et l’apprécient.

29Pierre-Michel Menger (n. 1953) est directeur de recherche au cnrs et directeur d’études à l’ehess ; il a dirigé le Centre de Sociologie du Travail et des Arts de 1993 à 2009. La création musicale contemporaine a constitué son premier domaine d’investigation : notamment pour son doctorat on l’a vu, où il a réalisé une enquête d’envergure sur les compositeurs et leurs liens à l’État, ces travaux ayant été prolongés par une étude des publics de la musique contemporaine (Menger, 1986) et sur Les Laboratoires de la création musicale (1989). Il y montre le caractère « assisté » de la création (notamment le poids des commandes), les carrières des compositeurs étant très liées à cette institutionnalisation. La question des publics et de l’écoute de la musique contemporaine en découle ; elle interroge le schisme communément admis entre créateurs et auditeurs et montre la coupure entre une « consommation volontariste » et la perception de cette musique fondée sur des compromis.

30D’une terminologie bourdieusienne dans le Paradoxe du musicien (1983), l’analyse se déclinant en termes de prises de positions esthétiques à mettre en relation avec des dispositions sociales et la position professionnelle des créateurs, Pierre-Michel Menger en vient très vite à une critique de la théorie de la légitimité culturelle à propos de l’appréciation problématique (par mise en suspend du jugement critique) de la musique contemporaine même pour les auditeurs censés être les plus « cultivés ». De manière sous-jacente, la réflexion sur la musique comme type de langage, ses déterminations temporelles et historiques au regard des paradigmes esthétiques, est essentielle.

31Par la suite, ses recherches ont porté sur les comédiens et les intermittents, et, de manière générale, sur le travail et les professions artistiques, les marchés de l’art, les nouvelles formes de salariat. Aujourd’hui, il s’intéresse au monde académique à propos de questions telles que les inégalités de talent et de gain, questions au cœur de son ouvrage synthétique Le travail créateur (2009). L’analyse des professions artistiques et scientifiques est menée sous l’angle de la gestion de l’incertitude comme moteur des pratiques créatrices, à la lumière des enseignements de la théorie économique. L’incertitude engendre la surprise qui procure une gratification au travail de l’artiste ou du créateur, lui-même soumis à de perpétuels (ré)évaluations. Des différences minimes de talent produisent des inégalités patentes de réussite dans des univers « nécessairement inégalitaires », empreints de concurrence, comme le montre cette théorie de l’action en « horizon incertain ».

32Tout au long de cet ouvrage qui théorise son approche, la musique se fait entendre. Pierre-Michel Menger a d’ailleurs consacré en 2002 une analyse au talent et au génie à propos de Beethoven, où il critique des postures constructivistes (théoriques comme celle de Theodor W. Adorno ou empiriques comme celles de Norbert Élias et surtout de Tia DeNora) pour privilégier une analyse « dynamique » en termes de réseaux, de variations de talent qui se renforcent et finissent par produire des écarts conséquents en matière de soutien de l’activité et de reconnaissance du « génie ». Aux forces sociales de macro-acteurs en lutte, il entend opposer une analyse plus micro- sociologique, moins déterministe, où les stratégies des acteurs intègrent le feed-back produit par le jugement incessant des musiciens eux- mêmes et d’autres acteurs au jeu de concurrence du milieu. Y transparaît par touches, en particulier à la fin du texte, le statut historique, social et symbolique spécifique de la musique « sérieuse ou savante ». Après Beethoven et le génie, mais aussi Rodin et l’inachèvement, il approfondit dans ce numéro sa conception d’une sociologie de l’œuvre musicale. Ajoutons qu’il a dirigé plusieurs thèses sur le rock (Mignon, 1996), les professions et carrières musicales (Coulangeon, 1998), le lien entre innovation économique, sociale et esthétique pour la musique ancienne (François, 2000) ou les musiques électroniques (Jouvenet, 2003).

33Enfin, Emmanuel Pedler (n. 1956) est directeur d’études à l’ehess de Marseille. Sa thèse soutenue en 1985 et son habilitation à diriger des recherches (1996) portent entre autres sur l’opéra auquel il consacre un ouvrage (Pedler, 2003) et plusieurs articles mobilisant notamment une approche sociohistorique. Il s’intéresse aux carrières de spectateurs et d’auditeurs et travaille parallèlement sur l’écoute en dialoguant avec la musicologie. Pour caractériser les modalités et les paramètres de l’écoute plus précisément que dans les enquêtes sur les goûts musicaux, il mène par exemple des expériences à l’aide de « socio-audigrammes » (Pedler, 1994). Il montre ainsi que la finesse de l’écoute varie en fonction du degré de « conversion musicale », d’une part, mais aussi que les œuvres du « grand répertoire » peuvent faire à la fois l’objet d’une « lecture commune » et d’une « écoute savante », y compris chez les professionnels.

34Ses recherches sur le concert et sur l’institutionnalisation de la musique savante (Pedler, 2004) prolongent la mise en question des fondements de la théorie de la légitimité culturelle : pertinente quant à l’importance des institutions, cette théorie est à nuancer quant aux formes de réception qui, rapportées aux différents types de public, sont loin d’être uniformes pour un même groupe. Comme il le montre à propos d’une représentation du Bœuf sur le toit de Darius Milhaud (Pedler, 2004), « confrontation », « malentendus culturels » et « complicités dans le malentendu » caractérisent la réception en concert : musiciens et public lyrique sensibilisé à la musique dite savante apprécient de manière opposée la prestation, montrant la diversité des « entendements musicaux ». En outre, le concert et chaque type d’institution provoquent la construction d’un rapport particulier à la « chose musicale ».

35De manière générale, Emmanuel Pedler s’intéresse à la réception des œuvres – musicales, visuelles et théâtrales dans d’autres travaux – ainsi qu’aux formes culturelles de la communication, ancrant sa réflexion en sociologie de la culture. La sociologie de la musique continue cependant de l’occuper, par la direction de thèses par exemple sur le rap (Sberna, 2000) et les « musiques particularistes » (Cestor, 2004), mais aussi par la relecture de textes fondateurs en sociologie de la musique. Depuis la traduction du texte inachevé de Max Weber (1998), il œuvre à en montrer l’intérêt actuel pour la sociologie de la culture – à l’instar de ceux de Georg Simmel, mais aussi Alfred Schütz et Maurice Halbwachs comme il l’évoque dans ce numéro – au-delà des malentendus sur sa lecture (Pedler, 2006, 2008). En particulier, la démarche sociohistorique comparative et l’importance des techniques dans l’évolution des formes culturelles constituent des directions de recherche qu’il contribue lui-même à problématiser.

36La diversité des thématiques et des approches des quatre auteurs montre, s’il était encore besoin de s’en convaincre, que se lisent là des sociologies de la musique, des manières différentes et complémentaires de faire de la sociologie de la musique. Sociologies du travail musical, de la médiation, de la réception, sociomusicologie, elles sont liées à la sociologie des arts et de la culture, des professions, des réseaux, etc. Aucun des quatre auteurs d’ailleurs ne laisserait étiqueter ses recherches sous une seule acception, même s’ils citent l’une ou l’autre parmi leurs domaines d’étude. Ces quatre sociologues participent à l’impulsion donnée depuis le début des années 1980 à la sociologie de la musique en France, notamment en dirigeant des thèses, avec d’autres comme Anne-Marie Green. Le foisonnement des recherches depuis une dizaine d’années en France suit des pistes ouvertes par leurs travaux : recherches sur le travail et les professions musicales (interprètes, « musiciens ordinaires »…), la création et la production musicales (au sein des musiques « savantes » comme « populaires »), le marché de la musique (au fil de ses évolutions en fonction de l’apparition de nouveaux supports…), les institutions et les politiques musicales (« légitimant » par exemple des musiques comme le rock), l’écoute et les expériences musicales (où publics, mélomanes, amateurs au sens d’aficionados, ou encore émotions esthétiques sont appréhendés), les œuvres et les interprétations (au cœur d’interrogations toujours renouvelées)… tout en explorant de nouveaux terrains et d’autres approches. On en trouvera une présentation par Cécile Prévost-Thomas à la suite des études de nos quatre auteurs.

4 – Un rapport étroit à la musique

37Non spécifique à ce domaine – rebattue selon d’aucuns –, une question se pose pourtant avec acuité dans les débats sur les démarches heuristiques en sociologie des arts et de la culture, tout particulièrement en musique : faut-il être « musicien » pour mener des recherches pertinentes sur la musique, à tout le moins pour mener des enquêtes et comprendre ce qui se déroule sur le terrain ? « Musicien » s’entend ici en un sens large qui comprend de multiples acceptions : être formé à la musique, jouer soi-même de la musique d’une manière ou d’une autre, être reconnu comme l’un des membres du « milieu » sur lequel porte l’enquête (on n’emploie pas ici à dessein le terme « professionnel » qui ne recouvre pas forcément la même signification pour les acteurs concernés et pour l’observateur). Ou alors, la condition « minimale » requise est-elle de « bien connaître » le milieu étudié, voire d’apprécier particulièrement la musique qui y est produite ? Ou encore, rien de tout cela n’est-il nécessaire, l’implication pouvant représenter davantage une entrave, un biais potentiel contre lequel se prémunir ?

38Howard S. Becker, musicien de jazz et sociologue observant son propre milieu, dans Outsiders et d’autres écrits (Faulkner, Becker, 2009), représente actuellement une figure tutélaire pour de nombreux sociologues en contact avec un terrain musical spécifique. Les quatre auteurs dont nous venons d’appréhender le parcours intellectuel entretiennent chacun un rapport particulier à la musique, qui – contrairement à H. S. Becker – n’est pas de l’ordre de l’observation participante où relations personnelle et scientifique se mêlent indissociablement. Cependant, leur façon de concevoir la sociologie est pour chacun d’eux marquée par leur intérêt intellectuel pour la musique, par leurs goûts et leur pratique le cas échéant. Découvrir un tant soit peu le rapport qu’ils entretiennent avec la musique permet donc de mieux saisir la construction de leur pensée, outre leur approche de cet « objet » en tant que chercheurs [14].

39Tout d’abord, deux d’entre eux ont été formés longuement, en particulier à la musique dite classique qu’elle soit enseignée en conservatoire ou en cours particuliers. Les deux autres formulent des regrets face à une absence de formation et/ou un manque de pratique. Si Pierre-Michel Menger a « regretté infiniment de n’avoir appris le piano », Jean-Louis Fabiani explique :

40

« J’ai fait un peu de piano et de solfège étant enfant, mais surtout j’ai fait du chant classique à la Schola Cantorum quand j’étais à l’ens et plus tard. J’ai toujours regretté de n’avoir pas fait plus de musique et je reprends des cours ici à Budapest. »

41Emmanuel Pedler, quant à lui, a suivi un cursus d’apprentissage de la musique et du violon depuis l’enfance, qui s’est prolongé plus tard par la pratique de la musique de chambre :

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« Mon rapport privé à la musique est étroit depuis longtemps maintenant. Des études au cnr de Nice d’abord (prix de violon), poursuivies, à la fin, en parallèle avec mes études de droit. J’ai eu la chance à ce moment d’avoir Paul Tortelier comme professeur de musique de chambre. Depuis j’ai continué à pratiquer la musique de chambre – piano et violon et plus récemment clavecin et violon. »

43Pour Antoine Hennion, l’apprentissage de la musique s’est fait à partir de l’adolescence, à l’école, au sein d’une chorale de garçons. À la même époque, il commence à prendre des leçons particulières de piano auprès d’une professeure (« de la filière post-Cortot ») « qui était excellente pour apprendre à aimer la musique ». Il poursuit ses études de piano jusque pendant ses années de classes préparatoires puis d’étudiant à l’École des Mines, mais un tel apprentissage – exigeant – devient « de moins en moins tenable ». Parallèlement, il s’inscrit en musicologie à la Sorbonne où il soutient une maîtrise (1978). Il apprend également la clarinette durant quatre ou cinq ans avec un professeur de conservatoire « hypertraditionnel » et joue beaucoup avec des amis.

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« J’ai fait plein de musiques avec des copains, des déchiffrages (tout Bach instrumental à la clarinette basse ou presque !), des groupes dans la rue pour soutenir le comité Chili en jouant des mélodies sud-américaines à la clarinette, (…) un groupe d’amateurs aux Mines, etc. »

45Enfin vient l’apprentissage du chant, plus tardif, auprès de plusieurs enseignants successifs :

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« [Je ne faisais] plus de chorale, mais j’ai toujours chanté, fort et fort mal, sans avoir encore un goût particulier pour l’opéra, donc sans penser à travailler la voix. Le chant, c’est venu tard, vraiment tard, vers 45 ans, d’une copine qui m’a dit “m’enfin, tu chantes tout le temps, essaie de le faire pour de bon”. (…) Entre-temps, je m’étais mis à apprécier l’opéra, comme beaucoup avec l’âge, mais pas du tout Verdi-Wagner, au contraire, tous les autres, en particulier les Français du xixe siècle, à mon sens bien trop dédaignés. Et comme j’ai une grosse voix de basse-baryton, je prends un plaisir énorme à aller de Bach ou Fauré ou Schumann à Verdi, pour le chanter, ou Bizet ou Massenet… »

47Emmanuel Pedler et Antoine Hennion continuent à pratiquer la musique (« mais juste en amateur, on fait quelques auditions ou concerts aux Mines en fin d’année, rien de plus » explique ce dernier). Jean-Louis Fabiani est par ailleurs depuis onze ans président du conseil d’administration de l’orchestre des jeunes de la Méditerranée réunissant vingt et un pays. Quant à Pierre-Michel Menger, il est un fervent mélomane.

48Le goût prononcé pour la musique est partagé par les quatre sociologues. Il éclaire le choix de travailler sociologiquement sur celle-ci – de manière distincte pour chacun d’eux – goûts et rapport à la musique évoluant au cours des années de recherche. Pour Pierre-Michel Menger, la « rencontre » avec la musique a fondé une véritable passion, dont le récit est apparenté à celui que font certains musiciens de la naissance d’une « vocation » née d’un « coup de foudre » ou d’« une rencontre » précisément.

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« Mon rapport à la musique est celui d’une passion née à 11 ans, fortuitement (un ami de la famille décédé lègue, pour moi, un bureau en chêne que j’ai toujours et cinq 33 tours de musique classique – Beethoven, Mozart, Wagner – et c’est une étincelle qui se transforme en incendie dans mes neurones et ma sensibilité), et s’est transformée en goût profond uniquement par la médiation du disque, puis, à Paris, quand j’y ai fait mes études, du concert et de l’opéra. (…) Plusieurs camarades normaliens, surtout parmi les scientifiques, étaient d’excellents pianistes et j’adorais passer des nuits à les écouter jouer en sous-sol, rue d’Ulm. »

50Cette rencontre se double d’une « curiosité assez vive pour la musique moderne contemporaine, au moment même où [il] découvr[e] la musique » :

51

« Je me souviens d’avoir été médusé par l’écoute de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók, dont un camarade de classe m’avait passé le disque, puis d’avoir voulu écouter en classe de musique la totalité du Concerto de Jolivet dont la professeur de musique avait présenté un extrait aux élèves, et encore d’avoir été troublé par l’écoute d’œuvres de Varèse et Xenakis, qui passaient sur ce qui est devenu France-Musique ensuite. Tout ça dans ma province lorraine, à Forbach, où pas une once de musique vivante n’était à portée d’ouïe, jusqu’à la fin des années 1960. »

52Cela ne sera pas sans conséquence sur son investissement dans des recherches sur la création contemporaine, puisque explique-t-il : « cela m’a déterminé à choisir mon sujet de doctorat, mais pas au point de renoncer à la recherche pour apprendre l’écriture et la composition, comme me l’a proposé Maurice Ohana ». Pour Emmanuel Pedler le parcours est inverse. Il a commencé à travailler sur l’opéra selon un choix qui « a été plus directement piloté par des motifs intellectuels que par un goût pour [celui-ci] ». Il en va différemment aujourd’hui :

53

« Le parcours musical de mes enfants (…) m’a confronté à d’autres répertoires et m’a introduit à la musique baroque vers laquelle je penche de plus en plus. Ma curiosité pour la fin du xviie et le tout début xviiie italien s’ancre ainsi doublement : intellectuellement pour explorer dans une perspective wébérienne des voies encore indéfrichées, musicalement pour saisir la posture et l’expérience musicales des compositeurs et interprètes oubliés aujourd’hui (comme Veracini, Carbonelli ou Mascitti). »

54De son côté, Antoine Hennion a travaillé sur les « variétés » lors de ses premiers travaux sociologiques et musicologiques mais, également, moins par goût pour des musiques – dont il estimait alors qu’elles étaient situées en dehors du domaine de l’art – que par nécessité scientifique :

55

« A priori plus sensibles à la musique classique ou contemporaine et au jazz, tant par goût que par formation et intérêts théoriques, nous avons sur le terrain opéré un premier déplacement, qui s’imposait : le disque, c’est avant tout les variétés. »
(Hennion, 1981, 11)

56Quant à Jean-Louis Fabiani, il se reconnaît comme « amateur de jazz » (Fabiani, 2008) mais précise par ailleurs :

57

« Je me suis toujours intéressé à des objets périphériques en musique (jazz ou music-hall sur lequel je prépare un livre avec Jacques Cheyronnaud) mais j’ai des goûts personnels plus légitimes. »

58Les goûts des quatre sociologues les portent surtout vers les musiques communément classées comme savantes : musiques an-- cienne et baroque, musiques classique et romantique, opéra, musique contemporaine… Mais il peut comprendre des incursions vers d’autres répertoires. Antoine Hennion aime Bach avant tout, Schumann, Rameau et la musique française de la fin du xixe et du début du xxe siècles, mais il a aimé le rock des années 1960 (il regrette d’avoir vendu tous ses disques en 1968), le jazz (Charlie Parker, Archie Shepp) et la musique contemporaine. Surtout, le rapport personnel à la musique s’ancre dans des pratiques intimement liées à l’activité intellectuelle telle que l’écoute de disques :

59

« J’ai une énorme collection de disques, au fur et à mesure de mes strates de goûts en 33 tours puis cd (pas encore trop Internet). Mais surtout, sauf pour des rédactions pointues, je travaille en écoutant. C’est mon rapport no 1 à la musique aujourd’hui, même avant le chant (que j’adore, on sort de chaque leçon en possédant le monde, avec l’impression d’avoir enfin tout compris et de repartir à zéro mais que tout s’ouvre…). En fait je suis un écouteur de kilomètres et de kilomètres de musiques. »

60On le voit, le lien est fort et parfois indissociable entre une passion ou un goût pour la musique et la pratique scientifique. Le rapport qui s’est construit au fil des années avec certaines musiques a eu, de diverses manières, une incidence réelle sur le choix des sujets de recherche ou la manière même de faire de la sociologie. La question de la distance au sujet de recherche, de la « neutralité scientifique » et de l’objectivité y est mêlée. Si cette question peut apparaître comme banale, elle n’en demeure pas moins abordée par chacun des sociologues comme un questionnement au fondement de leur positionnement et de leur démarche. Dans la « préface » au Paradoxe du musicien, Raymonde Moulin donne comme « clé » de l’ouvrage l’« admiration [de Pierre-Michel Menger] pour l’activité de création » et explique :

61

« Je sais la fascination qu’ont exercée sur lui ses interlocuteurs et quel ascétique effort lui a demandé la prise de distance que le sociologue s’impose, par exigence de méthode, à l’égard du milieu observé. »
(Moulin, 1983, 6)

62Partageant ce principe d’une « distance » nécessaire avec son domaine de recherches lors de ses premiers travaux sur l’opéra, Emmanuel Pedler se montre aujourd’hui plus nuancé. Il adopte ainsi une position bien différente vis-à-vis de ses goûts et intérêts musicaux comme « moteur » de compréhension scientifique, à propos de la musique italienne des xviie et xviiie siècles. Il estime en outre que le rapport plus ou moins familier et complice à un répertoire et/ou une forme musicale agit en conséquence sur la teneur de l’analyse :

63

« J’avoue avoir toujours travaillé sur l’opéra (Italien et français du xixe) avec une certaine distance. J’ai longtemps été persuadé que cette distance était salutaire. Est-ce vraiment le cas ? L’intérêt porté à la forme musicale qu’on étudie est également un bon moteur pour la comprendre de l’intérieur. D’une certaine façon, expérimenter les deux postures – distance vis-à-vis de l’opéra du xixe et goût pour la musique italienne des xviie et xviiie siècles – constitue un dispositif comparatif intéressant. Je note que dans l’un et l’autre cas, les styles des recherches que j’ai développées ont varié significativement, sans doute parce que ces deux chantiers ont été engagés à des moments très différents (du déroulement de carrière, dans des contextes intellectuels qui ont bougé, etc.). Dans tous les cas il serait impossible de permuter les deux terrains (l’un éloigné, l’autre proche) sans modifier significativement les cadres d’analyse mobilisés. »

64Les thématiques des travaux d’Antoine Hennion recoupent ses goûts de manière générale, ainsi des amateurs et de la discomorphose, de Rameau et de ses théories, de l’opéra français, du travail sur Bach. Mais ce rapport à la musique fonde finalement toute sa démarche sociologique et la nécessité de ne pas dissocier l’objet et le goût pour l’objet de l’étude. On l’a vu, pour lui, il n’y a pas d’« objet » – là, en dehors – duquel le/la sociologue devrait se détacher pour mieux l’analyser. Tout se joue dans des rapports d’attachement qui impliquent le/la chercheur(e). Antoine Hennion a développé à plusieurs reprises « la nécessité de revenir sur la fausse évidence de l’injonction de distance et de recul, confondue avec une objectivité critique » qui est aussi une critique de la sociologie critique, comme à propos de l’écoute :

65

« L’écoute est bien aussi un défi à la sociologie : que peux-tu dire de la musique, sans mettre en jeu ton propre amour de la musique, et d’abord, sans écouter toi-même ? Le mot écoute est parfait, pour cela, il évite la dualité du rapport à l’objet (s’y connaître ou non, l’aimer ou non, se “faire avoir” en y croyant ou montrer la croyance en l’objet), pour rameuter une large palette d’aspects variés de l’activité musicale : l’attention d’un “je”, la présence-référence à d’autres, les effets de la durée, de la répétition, l’appareillage de l’oreille, les instruments de la production sonore, la réaction corporelle et le développement réflexif d’une sensibilité. »
(Hennion, 2004)

66Outre le choix des thématiques de recherche et la question de la distance et/ou de l’implication, l’incidence du rapport personnel à la musique sur la pratique sociologique s’inscrit ainsi dans la manière même de concevoir la sociologie. Cette incidence peut se traduire encore autrement, ces éléments étant très liés, au travers des questions intellectuelles qui taraudent le/la chercheur(e) mais aussi dans l’écriture elle-même comme le souligne Pierre-Michel Menger :

67

« Je crois bien avoir trouvé dans la musique au moins deux obsessions : le problème de la temporalité et de son architecture logique et sensible, et l’obsession du phrasé, dans l’écriture (quand je peux, en mettant l’accent sur les points importants d’une formulation de problème) et dans l’exposé oral. »

68Au travers des parcours intellectuels de ces quatre sociologues et de leurs préoccupations de chercheurs, la question du rapport personnel à la musique se trouve posée sous de multiples facettes. Si la pratique musicale (vocale ou instrumentale) n’intervient pas directement comme contribution à l’enquête [15], à l’entrée sur un terrain et à son exploration comme membre participant d’un milieu professionnel par exemple – ainsi qu’il a été évoqué pour Howard S. Becker et comme de nombreux sociologues à sa suite en useront –, la curiosité et les goûts musicaux constituent des aiguillons et des clefs d’entrée pour la recherche. La proximité avec des univers connus et appréciés, voire pratiqués, se retrouve chez de nombreux chercheurs actuellement. En musique, sans doute davantage que pour les arts plastiques ou la littérature, pratiques artistique et scientifique se trouvent mêlées et font en retour l’objet d’un travail réflexif. Par ailleurs, le caractère réputé impénétrable de la/des musique(s) pour qui n’y est pas initié et le langage formel et esthétique mobilisé impressionnent toujours. Ainsi, même avertis et « amateurs » du genre ou du style considéré, certains chercheurs ne s’autorisent pas à évoquer et à qualifier le matériau musical en propre, pas seulement par crainte d’empiéter sur le domaine de l’esthétique et de la musicologie. Une relation pratique et soutenue à la musique (par le chant, une activité instrumentale ou de création musicale) engendrerait-elle une déférence moindre que l’écoute de disques et/ou la fréquentation des concerts ? Permettrait-elle une approche familière au plus près du matériau musical ? Et qu’apporterait cette dernière, en particulier pour appréhender – sociologiquement – les œuvres et les processus créateurs ? Si de telles questions épistémologiques ne peuvent être ici tranchées, le positionnement théorique et empirique distinct de chacun des quatre auteurs considérés témoigne de leur pertinence.

5 – Ce que la musique fait à la sociologie [16]… et à la musicologie

69Comme Bruno Péquignot à propos de la sociologie des arts et de la culture (2000, 2009), on peut dire que la sociologie de la musique est « d’abord » de la sociologie. Elle lui emprunte ses outils conceptuels et empiriques, ses théories et ses méthodes, qu’elle questionne à l’aune de la spécificité de son domaine de recherche. Elle partage nombre de préoccupations avec d’autres domaines de la sociologie avec lesquels elle croise la réflexion (le travail et les professions, pour ne citer qu’un exemple). Par ailleurs, on peut tout aussi bien affirmer que la sociologie de la musique se trouve à la croisée de la sociologie et de la musicologie, ou plus radicalement qu’elle fait partie de la musicologie, « des musicologies » comme l’indique Danièle Pistone, musicologue qui a toujours œuvré pour des échanges entre musicologie et sociologie, en insistant sur la multiplicité des démarches : approches historiques, analytiques (elles-mêmes nombreuses), mais également économiques, sociologiques, psychologiques, anthropologiques… Si le dialogue avec les sciences sociales et les sciences cognitives, notamment, n’est pas du goût de tous les musicologues (notamment français), la « nouvelle musicologie » anglophone le pratique depuis longtemps.

70Plus qu’un amalgame entre deux disciplines, un mélange dangereux (car porteur d’un risque de méconnaissance des outils et des problématiques de part et d’autre), ce croisement disciplinaire – fécond nous semble-t-il – est généralement réalisé selon un ancrage propre à chaque contribution. Chaque discipline apporte à l’autre, mais les objectifs de recherche demeurent distincts. Pour dresser une ligne de partage artificielle, du côté de la musicologie, le but à atteindre réside généralement dans la connaissance de la manière dont un matériau « sonne », ce qui peut se traduire par la caractérisation d’un style par exemple. Cela peut impliquer de comprendre comment et pourquoi il sonne « comme ça », mais aussi – pour certains chercheurs – ce que ce « comme ça » veut dire pour un groupe d’individus à une époque donnée. À tout le moins, il s’agit de qualifier le musical et son organisation. Du côté de la sociologie, il importe souvent davantage de saisir les modalités d’une pratique donnée : qui est ou non concerné, comment, dans quelles conditions et dans quel contexte, depuis quand éventuellement, mais aussi quel est le sens donné à cette pratique par les groupes d’individus concernés. Toutes ces questions sont à rapporter – selon nous – au phénomène musical, à la manière dont une musique « sonne » et se déploie ; et donc aux processus indissociablement musicaux et sociaux d’élaboration, de qualification et d’appropriation du matériau sonore. Cela implique donc d’interroger les enjeux sociaux, symboliques et esthétiques sous-jacents liés à un phénomène musical en particulier.

71La sociologie de la musique interroge ainsi la musicologie, rejointe en cela par l’ethnomusicologie, en soulignant l’inscription sociale et l’incarnation dans des corps des faits musicaux, au sein de pratiques concrètes de création, de diffusion et de réception, aujourd’hui et dans le passé, pour toutes les musiques. Bien loin d’être un « art pur », la sociologie rappelle combien « la » musique est ouvragée par des humains. Cette discipline agirait-elle comme « mauvaise conscience » de la musicologie en soulignant les aspects que d’aucuns avaient tendance à (vouloir) oublier au nom de la « beauté » formelle ? de l’art pour l’art ? Étudiant les phénomènes musicaux les plus extraordinaires et « grandioses » comme les plus banals, des « génies » aux « musiciens ordinaires », des « chefs- d’œuvre » aux musiques d’ambiance, les sociologues peuvent dérouter en s’intéressant à ce qui ne sera pas examiné ni conçu comme « musique » par nombre de musicologues. Certains craindront une « réduction » sur et par le social, une banalisation mais surtout l’éviction de l’étude de la musique « elle-même ». D’autres musicologues, au contraire, mobiliseront la sociologie (ou l’ethnologie) comme étant indispensable(s) pour saisir la construction même du sonore, en particulier pour appréhender les dispositifs de création et les modalités d’interprétation ; ainsi du rôle de la technologie et de ses acteurs, des effets de l’enregistrement en studio, des supports et des circuits de diffusion, pour les musiques d’aujourd’hui (pas seulement « populaires ») qui conduisent à proposer de nouveaux outils analytiques.

72Quant à la sociologie, les quatre contributeurs de ce numéro montrent chacun à leur manière que partir de la musique opère des mises en question efficientes de la sociologie de la culture, du travail et des professions, de la sociologie en général… En travaillant sur la musique, Max Weber éclaire d’un jour nouveau sa théorie de la rationalisation à l’œuvre en Occident explique Emmanuel Pedler. En outre, dans sa propre contribution à ce numéro, ce dernier montre que les écrits sur la musique de Georg Simmel, mais aussi Alfred Schütz et Maurice Halbwachs, peuvent insuffler de nouveaux développements à la sociologie de la culture qui « peine à se renouveler ». D’ailleurs, les travaux qu’il a lui-même menés sur l’écoute, les goûts musicaux et le concert relativisent et nuancent la théorie de la légitimité culturelle, on l’a vu. En montrant l’importance des compétences musicales et les degrés d’« entendement musical », il complexifie et enrichit d’autant l’analyse de l’ancrage social des pratiques culturelles.

73Cette critique de la théorie de la légitimité culturelle, Jean-Louis Fabiani la mène également à partir de la musique ; invalidant la notion d’« art moyen », le jazz mais aussi le music-hall apparaissent comme des territoires propices pour la repenser. Plus généralement, la musique représente selon Jean-Louis Fabiani un « objet frontière », un objet qui résiste, qui nous oblige à le contourner et « à reconnaître nos limites », « sans dissoudre notre identité de sociologue » [17]. Cette conception le conduit à aller à l’encontre d’une visée impériale qui voudrait le « déshabiller jusqu’à la moelle dans un dépassement dialectique entre l’interne et l’externe », mettant ainsi en garde la sociologie des œuvres.

74L’angle d’approche de Pierre-Michel Menger diffère sensiblement. L’analyse des professions artistiques lui permet de voir l’émergence d’une nouvelle figure du travailleur, exerçant son activité au fil de projets, par contrat, où s’articulent précarité et engagement, incertitude et motivation, en raison de bénéfices escomptés dans l’avenir. Dans ce cadre, la musique constitue un terrain privilégié d’analyse, balançant entre savant et populaire, et offrant une multiplicité de cas intermédiaires où se font jour tous les degrés d’incertitude et toutes les formes d’appariements [18].

75En des termes assez proches de ceux de Roger Bastide dans Art et société, Antoine Hennion écrivait quant à lui en 1981 à propos du disque :

76

« Dans l’histoire des variétés se dessine en creux l’histoire de ceux qui n’ont pas la parole, comme dans la musique se réfugie ce que refoule le pouvoir des mots. Ce plus-de-sens suggère en définitive que nous renversions notre démarche : ce n’est pas tant à la sociologie, aux rapports sociaux tels qu’on les connaît, de venir expliquer le sens (ou le non-sens) de la musique, c’est plutôt à la musique de nous révéler un social inconnu. »
(Hennion, 1981, 19)

77Plus radical, il affirme plus tard « la musique est une sociologie » (Hennion, 1993, 365), indiquant par là combien le caractère “insaisissable” de cet art, cette forme culturelle entre science et pratique, pensée et sensation, oblige à considérer autrement l’« objet » de l’investigation scientifique. La question de la médiation vient de la musique, de la réflexion qu’elle suscite : il n’existe pas de musique en soi et pour soi, mais toujours dans une relation mobilisant l’observateur, d’autant qu’elle a toujours besoin de se faire réentendre pour exister. Dans le pragmatisme sociologique tel qu’il le prône, les objets nous agissent et la musique modèle la réflexion.

78Pratique du quotidien dans ses formes les plus banalisées (sans péjoration) et médiatisées, pratique de sociabilité reposant sur un réseau d’institutions pérennes (écoles de musique et conservatoires, opéras, orchestres, etc.) sans commune mesure avec celles des autres arts, domaine d’activité où s’observent des mutations sociales et économiques d’envergure, la musique apparaît enfin comme un médium doté d’une puissance onirique et d’un pouvoir symbolique remarquables dans notre société. Objet d’identification au sein des jeunes générations, investie de promesses d’émancipation sociale, auréolée de prestige, autant d’exemples effleurés qui évoquent la force des représentations et le pouvoir souvent attaché à la/aux musique(s). La sociologie des musiques, les sociologies de la musique constituent un champ d’investigation heuristique et dynamique.

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Notes

  • [1]
    Et sans même discuter les propos de V. Jankélévitch.
  • [2]
    L’article se consacre par conséquent à la France, sans exhaustivité. La mise en perspective des travaux des contributeurs reste à englober dans une perspective internationale plus vaste, au regard de ceux parus en Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, aux États-Unis avec la figure primordiale et très présente en France d’Howard S. Becker. Le colloque international sur « 25 ans de sociologie de la musique en France » qui s’est tenu en novembre 2008 à la Sorbonne et celui sur la sociologie de la musique qui s’est tenu en juillet 2009 à Lisbonne en témoignent également.
  • [3]
    Pas seulement pour les musiques dites savantes, le langage tonal étant au fondement des « musiques populaires modernes ». L’article d’Antoine Hennion dans ce numéro développe précisément « la question de la tonalité » en rapport à la langue et à l’articulation nature/culture.
  • [4]
    Une immatérialité relative au regard de l’existence des ondes sonores.
  • [5]
    Ce qui fait le « mystère » de la musique tel que pointé par Claude Lévi-Strauss, c’est « qu’un art aussi technique et formel, hautement codifié et contraignant, puisse toucher si profondément l’affectivité individuelle selon des modalités si variables, résistant souvent à la formulation. » (Donin, Campos, Keck, 2006, 3)
  • [6]
    Dans cet ouvrage, elle revisite les théories du xixe et du xxe siècles pour montrer les manques dans la construction d’une « véritable » approche sociologique des faits musicaux, qui dépasserait l’approche positiviste pour saisir le « sensible ».
  • [7]
    Plutôt que « faire de la musique » comme évoqué notamment par Denis Laborde (à paraître).
  • [8]
    « Une sociologie de la musique où la musique signifie plus que les cigarettes ou le savon dans des enquêtes de marché ne réclame pas uniquement une conscience de la société et de sa structure, pas uniquement non plus la seule connaissance des phénomènes musicaux à but d’information, mais la pleine compréhension de la musique dans toutes ses implications. » (Adorno, 1994, 6).
  • [9]
    Les trois conférences tenues par des auteurs ne relevant pas directement de la sociologie sont néanmoins publiés par la Revue Française de Sociologie (Colloque sur la musique, 1962) : deux textes sont ethnomusicologiques, André Schaeffner sur « Musique et structures sociales (Sociétés d’Afrique Noire) » (388-395) et Marina Scriabine sur « La musique et la Chine ancienne » (398-406), un troisième émanant d’un critique musical, Boris de Schoelzer, s’interroge sur la manière dont nous écoutons aujourd’hui la musique du passé (« La musique ancienne et nous ») (395-398).
  • [10]
    Organisé conjointement par Jacques Chailley (directeur de l’Institut de Musicologie) et plusieurs ministères, cette rencontre de cinq jours ne laisse pas trace d’une réflexion que l’on dirait aujourd’hui « sociologique » (Paris, Semaines musicales internationales de Paris, 1962).
  • [11]
    Il faudrait citer bien d’autres publications en dehors de la France, et exceptionnellement rapidement traduites comme (Élias, 1991), mais le croisement avec les recherches menées à l’étranger n’est pas toujours réalisé et les comparaisons internationales manquent. En outre, une interrogation de la base « web of science » montre que de nombreux travaux en langue française n’y sont pas recensés. Y apparaissent cependant les articles de la revue Poetics, l’International Review of Aesthetics and Sociology of Music ou la Revue de synthèse ayant une entrée « sociologie de la musique ».
  • [12]
    La musicologie française a mis plus de temps à se pencher sur l’analyse de la chanson et des musiques « populaires modernes » malgré les travaux pionniers de Jean-Rémy Julien nomment.
  • [13]
    Le rapprochement de leurs dates de naissance respectives, précisées au fil de la présentation des auteurs, ainsi que des données biographiques rarement abordées permettent de situer ces derniers les uns par rapport aux autres.
  • [14]
    Les propos qui suivent proviennent d’échanges par courriel de l’auteure en juin et juillet 2009 avec chacun des sociologues, que nous remercions chaleureusement de s’être prêtés à notre jeu de questions.
  • [15]
    Encore que, à propos de l’écoute, chacun soit bien un « amateur » actif.
  • [16]
    Pour paraphraser (Heinich, 1998).
  • [17]
    Expliquait-il lors du colloque « 25 ans de sociologie de musique en France. Ancrages théoriques et rayonnement international », Sorbonne, 6-8 novembre 2009.
  • [18]
    Comme il l’évoquait également lors du même colloque.
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