Notes
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[1]
Article paru sous le titre de : Clinical applications of Matte Blanco’s thinking. Int J Psychoanal (2016) 97 : 1547-1573.
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[2]
Nda : Spacelessness
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[3]
Matte Blanco (1988, p 12) rappelle les mots-mêmes de Freud (1900, p 276) : « la ressemblance, l’accord, la communauté sont habituellement représentés dans le rêve par le rapprochement, la fusion en une unité… »
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[4]
Nda : traduction et italiques de Michel Sanchez-Cardenas (MSC).
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[5]
Bion (1970, p 41) : « L’espace mental est si vaste comparé à n’importe quelle réalisation de l’espace à trois dimensions que la capacité d’émotion du patient est ressentie comme perdue parce que l’on sent l’émotion elle-même s’écouler et se perdre dans l’immensité. »
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[6]
À ce sujet, voir Ginzburg (2004).
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[7]
En fait, il n’existe peut-être pas de pensée qui ne tire son origine d’une perception de la spatialité géométrique du corps mais nous n’avons pas ici l’espace suffisant pour développer cette notion. À son propos, voir en particulier Lakoff et Johnson (1980) et Wachtel (2003).
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[8]
Matte Blanco assista d’ailleurs dans les années 1930 aux séminaires de Mélanie Klein à Londres, il en fut profondément impressionné et il effectua sa deuxième psychanalyse auprès de Walter Schmideberg, le gendre de Mélanie Klein.
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[9]
Nda : traduction de MSC.
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[10]
Il convient de rappeler ici un passage de « Le Moi et le Ça » (Freud, 1923 ; p. 228) : « Mais les conséquences pour notre conception de l’inconscient sont encore plus importantes. La perspective dynamique nous avait apporté la première correction, le point de vue structural nous apporte la seconde. Nous sommes amenés à reconnaître que l’Ics ne coïncide pas avec le refoulé ; il reste exact que tout refoulé est ics, mais tout Ics n’est pas pour autant refoulé. Une partie du moi également, et Dieu sait quelle importante partie du moi, peut être ics, est certainement ics. Et cet Ics du moi n’est pas latent au sens du Pcs, sans quoi il ne saurait être activé sans devenir cs et on ne saurait rencontrer d’aussi grandes difficultés pour le rendre conscient. Nous trouvant devant la nécessité de poser l’existence d’un troisième inconscient, un Ics non refoulé, nous devons admettre que le caractère d’être inconscient perd pour nous de son importance. » (Mes italiques)
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[11]
Rayner (1995, p. 149, trad. MSC), qui a été un compagnon de route de Matte Blanco, rappelle aussi que « Parthenope Bion-Thalamo, la fille de Bion… rédigea une thèse de doctorat où elle comparait l’usage de la logique selon Bion et selon Matte Blanco. Elle nous avait rapporté que son père recommandait que les étudiants qui s’intéressaient à ses théories (celles de Bion) devraient utiliser Matte Blanco comme lecture de base ».
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[12]
« Turbulence symétrique et changement catastrophique : une investigation des états psychiques primitifs dans le sillage de Bion et Matte Blanco ».
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[13]
Nda : traduction de MSC.
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[14]
Nda : traduction de MSC.
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[15]
Voir aussi le cas rapporté par Richard Carvalho (in Ginzburg et Lombardi [2007], p. 177-185) où le passage d’une bi-logique non vitale vers une vitale est aidé par l’interprétation que cet auteur fait à une patiente de la confusion présente dans son transfert : ce qui est bienveillant pour elle représente en même temps un potentiel abuseur sexuel violent.
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[16]
Nda : traduction de MSC.
1Ignacio Matte Blanco (1908-1995) a laissé très peu de notations sur comment, verbatim, il faisait passer sa théorie dans les séances d’analyse et surtout sur quel type d’interprétations il donnait à ses patients. Ceci même dans ses deux ouvrages principaux The Unconscious as Infinite Sets (1975) et Thinking, Feeling and Being (1988). Ses successeurs, eux, ont eu à cœur de le faire (voir, entre autres, Rayner (1995, p. 118-136) ; Ginzburg et Lombardi (in Carvalho et al. (2009), p. 77-112) ; la deuxième partie de l’Inconscio antinomico (Oneroso, 1999, p. 199-286) ; L’emozione come esperienza infinita (Ginzburg et Lombardi, 2007)). À mon tour, je vais essayer de montrer comment je me sers de cet auteur. Comme lui-même n’a donc pas laissé, explicitement ou implicitement, des « guidelines », certaines des notations qui vont suivre ne peuvent prétendre à proprement parler – c’est inévitable – à une « fidélité totale » à Matte Blanco, même si j’essaie de suivre au plus près sa pensée. Et une remarque importante doit être faite dès ici : ne faisons pas dire à Matte Blanco ce qu’il n’a jamais dit : en particulier il n’a jamais prétendu que son approche doive effacer les voies plus classiques de l’analyse. Elle leur apporte simplement un point de vue complémentaire. C’est ce dernier que je vais tenter de développer.
Matte Blanco : une introduction clinique
2Matte Blanco met en relief certains points et cela va créer une écoute analytique particulière. Je vais passer de notion en notion comme on le fait sur des pas japonais. Selon Matte Blanco, dans l’inconscient, règnent deux principes majeurs : le Principe de Généralisation et le Principe de Symétrie.
3Le Principe de Généralisation fait que sont englobés dans des ensembles de plus en plus vastes des éléments présentant des analogies entre eux.
Un rêve met en scène un professeur et son élève. Dans le transfert, on comprendra qu’il s’agit du patient et de son analyste. Professeur et analyste font partie de la classe des « aînés qui montrent le chemin », classe qui pourrait être agrandie à l’infini et inclure les chefs, les pères, les moniteurs, etc.
5Le Principe de Symétrie fait qu’au sein des ensembles ainsi définis, les éléments ou les individus présentant une analogie deviennent équivalents entre eux.
Le professeur et l’analyste sont inconsciemment vécus comme équivalents et non pas simplement comparables.
7Ce principe de symétrie est ainsi nommé car il fait que les relations qui, pour la conscience sont asymétriques, deviennent symétriques pour l’inconscient. Exemple : si A est le père de B, pour la conscience B ne peut pas y être le père de A. Pourtant dans l’inconscient B peut l’être et ceci se révèle dans la psychopathologie :
9De même si la partie appartient au tout, l’inverse est vrai et le tout appartient à la partie :
C’est là la base même de la confusion entre l’objet partiel et l’objet total. « Le sein », auquel les analystes font si volontiers référence depuis Mélanie Klein, est en même temps une partie anatomique et il représente aussi l’ensemble des fonctions maternantes. Le sein partie du corps, fait partie de l’ensemble du corps de la mère et de ses soins, mais cette partie sert à désigner la mère et la maternance dans son ensemble. Autrement dit, si le sein fait partie de la mère, la mère fait partie du sein.
11On retrouve ainsi ce qu’avait écrit Freud (1938, p. 32) (dans les traces duquel Matte Blanco a d’ailleurs très explicitement souhaité placer ses travaux) :
… l’existence des plus insignifiants points communs entre deux éléments permet au travail du rêve de remplacer l’un par l’autre dans toute la suite des opérations.
13Matte Blanco a donc forgé ce terme de « Principe de Symétrie » pour répondre de ce qu’implique le fonctionnement de l’inconscient tel que Freud l’avait défini en 1915, dans son article « L’inconscient » :
Les « … absence de contradiction, processus primaire (mobilité des investissements), intemporalité et substitution à la réalité extérieure de la réalité psychique ».
15Matte Blanco (1975, p. 38) explique ainsi que lorsque le principe de symétrie s’applique, il ne peut plus y avoir de succession (puisque si x est après y, ceci est équivalent à ce que y soit après x). Et si une partie équivaut au tout, un professeur et un analyste sont des parties équivalentes à la classe à laquelle ils appartiennent tous deux et, de ce fait, ils sont équivalents entre eux. Une proposition et son contraire peuvent aussi être présentes (ce qui est différent et ce qui n’est pas différent devient la même chose : non contradiction). Ainsi par exemple, asymétriquement, on ne peut être mort et vivant à la fois, mais, symétriquement, oui, il existe une classe de ceux qui sont morts et vivants en même temps (ce qui apparaît aussi bien dans les deuils non faits que dans le mythe des vampires). Le temps et l’espace, enfin, s’abolissent. Si le tout et la partie sont équivalents, alors : un point situé sur une ligne = toute cette ligne = tout autre point de la ligne. Ainsi, tout moment ou tout point deviennent équivalents à tout autre moment ou point, ceci en dehors de tout ordonnancement spatial ou temporel. Tout ordre disparaît. Cette « logique » symétrique débouche donc sur les règles mêmes de l’inconscient telles que Freud les a décrites. L’intemporalité est la confusion des moments x et y dont on ne sait plus s’ils sont l’un avant l’autre. L’aspatialité [2], terme forgé par Matte Blanco, rend compte de la condensation et du déplacement (un même item peut être en différents endroits). Et, au total, toute notion d’ordre disparaît. Enfin, la symétrie fait qu’une chose peut être équivalente à son inverse car il y a absence de contradiction (par exemple il n’y a plus de contradiction entre la différence entre deux choses opposées et leur similitude). Tout ceci converge en une tendance à l’unification [3]. Si dans la conscience des éléments sont distincts, en effet, dans l’inconscient, ils vont tendre, comme nous l’avons vu, à se confondre pour peu qu’ils présentent une analogie. De proche en proche on en arrive ainsi à définir deux modalités au fonctionnement mental : le mode asymétrique et le mode symétrique.
16Au sein du mode asymétrique, il existe donc des éléments séparés et distincts, reliés par des relations unidirectionnelles :
Un père est un père et un fils est un fils. La relation de paternité est unidirectionnelle.
Un attaquant n’est pas un attaqué : il subit l’assaut du premier.
18Mais, dans le mode symétrique, opposés et contradictoires s’unissent dans des relations équivalentes du point de vue de leur direction :
Un père et un fils prennent des rôles équivalents (cf. supra, maltraitance sur plusieurs générations).
Pour un paranoïaque, être attaqué va de pair avec être attaquant. La relation d’attaque va dans les deux sens (sujet et objet y occupent un poste équivalent).
20De la sorte, le mode symétrique ne reconnaît pas les éléments individués mais il fonctionne par classes (ou ensembles). Ces ensembles ne sont pas définis par une relation directionnelle mais par une Fonction Propositionnelle qui peut aller dans différentes directions.
Pour le paranoïaque, toute personne est donc susceptible de devenir un attaquant, qu’il attaquera en même temps. Il ne perçoit pas la réalité de chaque individu (qui fait que l’on croise dans le monde relationnel des personnes de tout type, des plus hostiles au plus pacifiques, chacune ayant sa spécificité) mais seulement un groupe (toute personne y est équivalente à ses yeux à toute personne : elles font toutes partie du groupe des attaquants).
22Mode symétrique et asymétrique sont toujours présents dans le psychisme, quoiqu’en proportions variables. C’est là le fonctionnement bi-logique. Mais leurs proportions varient. On peut ainsi décrire plusieurs conjonctions bi-logiques :
Dans la normalité
23Des récits logiquement enchaînés (asymétriques) peuvent mettre en cause aussi des dimensions symétriques. On le voit en particulier dans des récits ou des rêves.
Récit publicitaire : les chaussures Tod’s se sont dites avoir été celles de Steeve McQueen. Ainsi, si j’achète des Tod’s, asymétriquement, je suis comme Steve McQueen et, en même temps, si la partie équivaut au tout, partageant mes chaussures avec lui, symétriquement, je deviens, je suis Steve McQueen. Tout comme, d’ailleurs, les Tod’s deviennent moi et deviennent Steeve McQueen et comme je deviens l’équivalent de toute personne portant ces chaussures. Les « tribus » qui se regroupent autour de tel ou tel article de mode ne fonctionnent pas autrement.
Un patient rêve que, sur son incitation, sa femme a une relation sexuelle avec un de ses amis, à lui, qui a un gros pénis (Matte Blanco, 1975, p. 208). L’analyse du rêve montre qu’il désirerait alors être sa femme (confusion des personnes, de lui, sujet, et d’elle, objet) et des sexes (il reçoit le pénis comme une femme ; sous couvert que ce soit sa femme qui reçoive en elle son ami, c’est son désir à lui d’être pénétré qui apparaît). De la sorte il acquiert le pénis de l’ami (à nouveau confusion sujet, lui, et objet, l’ami), que sa femme pourra lui transmettre du fait qu’elle l’a pris en elle (confusion : comme elle a pris le pénis en elle, elle le possède, et pourra le transmettre à son mari, qui désire augmenter sa puissance en acquérant celle d’hommes virils).
Dans la névrose
Pour le Petit Hans de Freud, chevaux mordeurs et pères sont pris dans une classe générale (Matte Blanco, 1975, p. 319), celle de « ceux qui ont un grand fait-pipi ». Et si les chevaux n’étaient que des chevaux (asymétrie), il n’y aurait pas de possibilité de phobie des chevaux. Ladite phobie met en effet en évidence une irruption de la symétrie dans la conscience. Le père de Hans et les chevaux sont en effet devenus équivalents pour Hans quant à leur dangerosité.
Dans les états limites
Anita a eu un long passé d’anorexique. Adulte, elle est prise de compulsions qui visent à maîtriser ses affects. Elle doit ainsi nettoyer sa salle de bains avec la plus grande attention. Une élaboration permet de voir que sous le masque asymétrique (de l’hygiène nécessaire et raisonnée) se cache un risque d’envahissement par un monde pulsionnel et corporel qui l’assiège. Les liquides extérieurs au corps (la salle de bains) et intérieurs (ses sécrétions diverses) se confondent, symétriquement, à ses yeux.
Dans la psychose
Matte Blanco (1988, p. 106-118) revisite longuement le cas de Schreber. Il rappelle avec Freud (1911) que Schreber ne projette pas sur Dieu ou sur Flechsig ses tourments nés de sa relation avec son père mais que lui-même, Dieu, Flechsig et son père ne font qu’un. De même les célèbres inversions qui traduisent selon Freud le mouvement homosexuel paranoïaque peuvent-elles désormais être lues à la lumière de la symétrie comme traduisant l’équivalence sujet-objet, l’équivalence haine-amour, l’équivalence d’un mouvement du sujet vers l’objet et celui de l’objet vers le sujet. Rappelons-les : dans sa description de Schreber, Freud met en évidence une série d’inversions : L’homme aimé homosexuellement (Je l’aime, lui, l’homme) devient pour la conscience son contraire : « Je ne l’aime pas, je le hais. » Ce qui devient, projeté sur l’extérieur : « Il me hait, ce qui justifie la haine que je lui porte. » On voit donc à l’œuvre des inversions au niveau des strates asymétriques où sujet et objet sont différenciés et où un mouvement peut donc se faire de l’un vers l’autre, celui de la projection en particulier. Ceci tandis qu’analysés en termes plus symétriques, on comprend qu’en profondeur, ces affects (amour-haine) sont indifférenciés, de même que le sujet et l’objet.
Par delà les classifications nosographiques
28On peut, en définitive, en arriver, dans une perspective matteblanquienne, à se soucier avant tout de la proportion de symétrie et d’asymétrie qui apparaît dans telle ou telle formation mentale, ce qui en renouvelle l’approche :
Dès lors, plusieurs questions se posent : Matte Blanco décrit-il une clinique avant tout cognitive ? Qu’en est-il de la multidimensionnalité de l’inconscient ? D’une révision possible de la théorie du rêve ? De celle de la projection et de l’identification projective ? De la relation entre théorie matteblanquienne et théorie freudienne ?Le syndrome de Münchausen by proxy ne peut être compris par les pédiatres que s’ils se sont aguerris à sa clinique. Sinon, il leur est inconcevable de pouvoir penser qu’une mère, souvent issue d’une profession soignante, soit à la fois celle qui veut créer la maladie chez son enfant et prétendre vouloir la faire soigner. De fait, c’est là une situation incompréhensible pour la conscience. Celle qui aime-sauve est-elle en même temps celle qui hait-détruit ? ! Comment un homme de science, un médecin, pourrait-il imaginer une telle confusion ? ! C’est pourquoi il faut souvent beaucoup de temps avant que ce diagnostic ne soit évoqué par les pédiatres. Matte Blanco nous aide mieux que tout autre à en comprendre la dynamique symétrisée (guérir = rendre malade).
« L’homme aux rats » (Freud, 1909, p. 65) est convaincu que l’on frappe à sa porte, que c’est là son père qui arrive bien que, pourtant, il sache parfaitement en même temps que ce dernier est mort. Ainsi, le discours, normal en apparence, de ce patient charrie-t-il en fait une contradiction insoluble (non-contradiction des opposés du mode symétrique).
Matte Blanco : une approche cognitive ?
29Au premier abord Matte Blanco peut donner l’impression d’avoir apporté une façon de comprendre avant tout les mécanismes de la pensée d’une façon éloignée de l’affect. C’est pourtant tout le contraire qu’il faut retenir. Matte Blanco décrit en effet, certes, la pensée mais la pensée en relation avec l’affect en présence. Il écrit (1975, introduction p. xviii) :
C’est le propos même de la bi-logique : elle se demande quelle est la logique présente dans les émotions et quelle place l’émotion tient dans la pensée logique [4] ?
31Ceci rompt avec la dichotomie affect-pensée. De fait, Matte Blanco montre que le monde de l’émotion correspond tout particulièrement à celui de la symétrie, ceci au point où les deux domaines ne font qu’un. Il développe ainsi le concept du Penser émotionnel (1975, p. 245), pour lequel un affect et une idée ne sont que les deux facettes d’un même mouvement psychique en réalité insécable. L’affect n’est pas comme un manteau que l’on jette sur une idée et qui lui donne sa teinte émotionnelle : ils sont inséparables.
Par exemple, lorsqu’un affect paranoïde se développe, les idées présentes sont celles de la persécution : ces idées et cet affect ne sont pas séparables.
33Et lorsqu’émotion il y a, les éléments que celle-ci concerne deviennent équivalents entre eux.
Pour la « pensée-affect paranoïde » toutes les personnes rencontrées deviennent des persécuteurs et toutes se valent de ce point de vue.
35Les classes qui sont concernées par le mode symétrique et le penser émotionnel sont réunies par une Fonction Propositionnelle qui est souvent celle de l’émotion concernée (ex. : peur d’être attaqué). Et ces éléments tendent alors à aller vers une double infinitisation : infinitisation en nombre (toutes les personnes peuvent entrer dans le groupe de persécuteurs, aussi bien réelles que potentielles), infinitisation en intensité (la persécution, laissée à sa logique, peut aller à l’extrême). Cette infinitisation est d’ailleurs très fréquemment rencontrée dans la clinique quotidienne : mégalomanie, omnipotence, sentiment d’impuissance totale, d’omniscience, de nullité, idéalisation, etc. sont des exemples banals de pensers émotionnels en voie d’infinitisation (Rayner, 1981, p. 409). Grotstein (2007, p. 66) a d’ailleurs insisté sur le fait que les borderline et les psychotiques n’ont pas de système de modulation ou de contenance qui réduise l’intensité de leurs vécus. Il cite un de ses patients (2007, p. 68) qui s’exprime ainsi : « Mes angoisses sont plus grandes que moi ! ». Là où la définition délimitée des affects par la pensée peut se faire lorsque l’asymétrisation opère, ces patients graves sont, eux, confrontés à ce que Bion [5] avait montré être la dimension infinie des phénomènes inconscients. En fait, pensée et affect se répartissent en strates. Dans la plus superficielle, purement asymétrique, les éléments abordés par la pensée (Thinking) sont distincts et l’émotion n’entrave pas leur différenciation. Puis, plus on va en profondeur et plus ces mêmes éléments sont confondus entre eux sous le coup de l’affect (Feeling). En définitive ils finissent par fusionner tellement que toute distinction en devient impossible et il y a simplement de l’Être (Being) (d’où le nom du livre de 1988 de Matte Blanco : Thinking, Feeling and Being). Ces strates ont un fonctionnement simultané dans le psychisme mais il peut se produire que le fonctionnement d’une strate prédomine.
Un exemple clinique nous en est fourni par le fétiche. Sa compréhension intellectuelle et logique, qui souvent n’échappe pas au fétichiste lui-même, met en évidence une incompatibilité : la femme n’est pas l’homme et le fétiche est un substitut de pénis qui présente seulement une analogie avec ce dernier. Plus en profondeur, le fétiche est cependant simultanément vécu comme une annulation de la castration de la femme : la femme au fétiche devient ainsi une femme qui a un pénis. Encore plus en profondeur, homme et femme sont totalement confondus et ne sont qu’un (par exemple dans certains cas de transvestisme ou de transexualisme plus ou moins psychotiques).
37La dynamique fétichique est l’illustration même de la bi-logique et des proportions variables de symétrie-asymétrie qui peuvent y être présentes :
De façon « normale », elle correspond à l’érotisme commun. Transparences et « accessoires » constituent la base du jeu avec la nudité de la femme ; jusqu’au dernier moment de sa dénudation, il ne sera pas dit qu’elle est châtrée (Freud, 1927, p. 136). Symétrie et asymétrie co-existent alors « en bonne harmonie » et chaque strate est présente en même temps que les autres. Puis viennent les contraintes plus fortes des fétichistes : sans déni de la castration, pas d’érotisme possible pour eux ; il faut que la symétrie, l’unification qui rend les contraires équivalents, soit plus présente (la femme au fétiche n’est pas un homme mais elle doit l’être tout de même ; par exemple un homme fétichiste ne pourra jouir que s’il a revêtu des sous-vêtements féminins). Aux degrés plus profonds encore apparaissent les phénomènes déjà signalés et plus proches de la psychose où les opposés sont totalement confondus. Ce qui était complexe de castration en surface (qui traitait de sexes différenciés) est devenu confusion des sexes en profondeur (ex. : un homme candidat à une transformation en femme se ressent au plus profond de son être être une femme).
Multidimensionnalité de l’inconscient symétrique
39La condensation permet d’introduire cette notion (que je résume ici de façon simplifiée). Partons de Freud (1900, p 136-140) qui décrit le rêve de « l’oncle à la barbe jaune » qui réunit deux barbus à « tête faible », l’oncle et l’ami R. Deux corps (à trois dimensions chacun) sont ici réunis dans une figuration onirique qui a trois dimensions (l’oncle à la barbe jaune) mais qui en fait en traduit six (les deux corps superposés). La conscience (celle qui exprime le souvenir du rêve) ne dispose pas de plus trois dimensions pour penser (plus celle du temps) et elle ne peut pas plus se représenter une figure à six dimensions que, par exemple, Jekyll et Hyde confondus (on voit dans ce célèbre roman l’un, puis l’autre de ces deux personnages, ils sont séparés pour être pensés distinctement [6]). Alors, comment une formation consciente-asymétrique peut-elle nous laisser deviner qu’elle figure la poussée d’un inconscient qui fusionne ses contenus ? Réponse : par la multiplication des volumes figurés ou bien par la multiplication des volumes implicites réunis dans un seul volume. La multiplication des volumes figurés est la projection d’une Fonction Propositionnelle relevant du penser émotionnel. Exemple : pour notre paranoïaque, c’est une armée potentiellement infinie de persécuteurs qui se lève. Par la multiplication des volumes implicites réunis : c’est l’exemple de l’oncle à la barbe jaune (la Fonction Propositionnelle étant ici : « avoir une tête faible »). Tout ceci dépasse d’ailleurs la géométrie (volumes corporels par exemple) et la condensation peut réunir entre elles les qualités les plus diverses : la faiblesse mentale, par exemple, n’est pas spatiale [7], mais elle peut réunir un ami, R., et un oncle. Cette multidimensionnalité des formations symétriques-inconscientes condensées est projetée sur des formations différenciées au niveau conscient-symétrique. Cela peut concerner des affects :
Une analysante exprime son attachement à son analyste puis, lors d’une séance suivante, elle lui dit qu’elle ressent un rejet raciste à son égard (il n’est pas du même pays qu’elle). On peut interpréter ceci de plusieurs façons :
- d’un point de vue asymétrique, dans les strates les plus superficielles, amour et haine sont différenciés et l’analysante exprime son ambivalence, voire le nécessaire recours qu’elle a au rejet pour prendre de la distance vis-à-vis d’un objet aimé dont elle redoute le rapprochement ;
- d’un point de vue symétrique, haine et amour peuvent être considérés comme indifférenciés dans un espace symétrique multidimensionnel et constituer la nature du lien indifférencié de cette patiente à son analyste. Mais, comme le psychisme ne peut porter à la conscience des contenus indifférenciés, il les transforme en entités distinctes haine-amour, sentiments énoncés ici l’un après l’autre.
Réviser la théorie du rêve
41Si, grosso modo, pour Freud le rêve est tentative de satisfaction de désir sous un jour masqué, ou répétition traumatique, si pour Bion il a pour fonction, non pas de refouler des contenus psychiques mais plutôt de pouvoir en créer, Matte Blanco, lui, permet d’ajouter une vue supplémentaire encore. En effet, si l’on considère, notamment avec Ginzburg (2007, 2010, 2012), qui a beaucoup approfondi cette question du rêve sous un jour matteblanquien, que ce dernier est la mise en forme en termes tridimensionnels de phénomènes affectifs qui comportent plus de dimensions que trois, on peut comprendre qu’il indique les points affectifs « chauds » du patient (ceux qui relèvent d’un penser émotionnel pluridimensionnel en voie d’infinitisation devant un certain affect).
Autrement dit, sous l’effet d’une poussée émotionnelle (qui peut être spécifiée par la Fonction Propositionnelle : « arrogance menaçante »), se crée un rêve dont la traduction en trois dimensions (+ temps) a l’allure d’une scène construite (la battue, avec ses personnages) mais dont les caractéristiques (infinitisation en intensité et en nombre de la scène, de ses personnages et de sa composante affective) montre en fait qu’elle se déroule dans le mode symétrique-émotionnel, ce dernier menaçant d’envahir tout le champ mental. Et l’angle d’approche de tels rêves va donc consister à pouvoir confronter le patient à ses propres émotions. L’interprétation qui en résulte est donc différente d’une interprétation transférentielle ou de celle d’un conflit interne.Une patiente (Ginzburg, 2007, p. 57) rêve d’une route de montagne où sont en grand nombre des 4 x 4, des bûcherons et des chasseurs qui font une battue au sanglier, ceci à la Kalachnikov. Une psychologue surgit d’une auto, véritable prototype d’arrogance. On peut ainsi comprendre que la psychologue (l’analyste dans le transfert, qui rappelle ainsi les parents de la patiente) est à la fois différenciée mais aussi qu’elle représente le prototype de personnages multipliés et figurant une menace intense. Au travers des nombreux véhicules et des acteurs de la battue, on voit leur infinitisation en cours, de même que pour le danger encouru. Mais si, en mode symétrique, sujet et objet sont confondus, alors, on peut aussi bien comprendre que les bêtes chassées sont les propres émotions de la patiente, dont la tonalité crée le contenu du rêve, ceci hors considérations transférentielles.
Révision de la projection et de l’identification projective
42Un des apports majeurs de Matte Blanco est d’avoir révisé la notion de projection et d’identification projective. Le premier terme est plus freudien et le second plus kleinien [8]. Mais, dans un cas comme dans l’autre, ils supposent la « migration » d’un contenu mental dans un autre espace (ex. : c’est l’autre qui est coupable, ou c’est l’autre qui ressentira ma douleur). Or que se passe-t-il si l’on prend en compte le mode symétrique ? Ceci : l’objet et le sujet y sont confondus. Comment dès lors pourrait-il y avoir un mouvement entre deux éléments puisqu’ils ne font qu’un ? Matte Blanco consacre une partie très importante de ses travaux à discuter ces notions (par ex. : 1988, p. 118-228) et il montre que, dans les strates profondes du psychisme, saturées de symétrie, on ne peut plus parler de projection à proprement parler mais de fusion : sujet et objet sont confondus, de même qu’intérieur et extérieur, ou objet partiel et objet total. Nous avons déjà abordé ce sujet à propos du président Schreber et de la conception freudienne de l’homosexualité. Ces notions nous amèneraient donc à considérer que, vu sous l’angle des strates profondes symétrisantes du psychisme, ce n’est pas de mouvements projectifs qu’il s’agit, mais d’une identification primaire sujet-objet. Le concept kleinien d’identification projective est donc intrinséquement bi-logique : asymétrique si on le considère en surface, il relève de la symétrie en profondeur (Matte Blanco, 1988, p. 146).
Relation entre théorie matteblanquienne et théorie freudienne
43Ginzburg (in Carvalho et al., 2009 p. 77) rappelle qu’utiliser la théorie de Matte Blanco ce n’est pas contester le reste de la théorie analytique mais disposer d’un nouvel outil pour comprendre des expériences dont la seule logique classique ne rend pas aussi bien compte. Ainsi Matte Blanco se situe-t-il à la fois dans les traces de Freud et s’en décentre-t-il. Il ne manque pas d’établir qu’il n’aurait pu développer son œuvre sans le préalable freudien mais, en même temps (1975, p. 69), il trouve que la psychanalyse s’est décentrée d’elle-même à ne considérer l’inconscient que comme une partie cachée du psychisme qui serait gouvernée par les mêmes lois logiques que celles de la conscience. Ces lois (cf. « L’inconscient », Freud), on l’a vu, sont différentes. Le mode symétrique n’est pas qu’inconscient : il a sa logique propre. Ceci implique que, si pour Matte Blanco, l’inconscient (en fait le mode symétrique, faudrait-il dire) est inconscient, ce n’est certainement pas qu’à cause des conflits qui l’habitent et qu’il faut masquer mais aussi du fait de sa structure multidimensionnelle. Par exemple la conscience ne peut mettre en forme un « oncle à la barbe jaune » qu’en trois dimensions alors qu’en fait il en a six. La conscience n’a pas les outils pour voir les dimensions du mode symétrique :
Au total, Matte Blanco introduit ainsi la notion d’« inconscient structurel », ou « inconscient non refoulé » (Matte Blanco, 1975, p. 70). « L’inconscient refoulé » est en effet un inconscient qui traite déjà de contenus asymétrisés (ex. : considérer qu’un désir s’oppose au surmoi implique de reconnaître un désir assez défini et un impératif surmoïque assez clairement définissable). Or dans l’inconscient-symétrie les contours de toute entité s’estompent et de telles entités n’existent plus [10]. La prise en considération de cet « inconscient non refoulé » influencera d’ailleurs de façon notable les compréhensions des buts que l’on peut donner à l’analyse, des types d’interprétations que l’on peut proposer aux patients, de la Réaction Thérapeutique Négative et de la Résistance. En effet, à propos de cette dernière, alors que le patient oppose une résistance à la levée des refoulements (ou des dénis, des forclusions, des dissociations, etc.), lorsque l’analyste peut l’aider à penser à la fois en mode symétrique et asymétrique certains contenus psychiques à trop forte composante symétrique, le patient est souvent enthousiaste pour continuer cette exploration soulageante et qui lui offre de nouveaux horizons (Matte Blanco, 1975, p. 114). La question n’est plus en effet ici celle d’une résistance transférentielle mais celle du potentiel envahissement du psychisme par un mode symétrique omniprésent (nous y reviendrons plus bas : voir le cas de Rachel).Le rêveur (et l’inconscient) se comportent comme un géomètre qui manie un nombre de variables supérieur à trois et qui est forcé d’utiliser dans sa représentation un espace de dimensions qui ne soit pas plus grand que trois.
Relation entre pensée matteblanquienne et bionienne
44Matte Blanco (1909-1995) et Bion (1897-1979) ont développé chacun leur œuvre en parallèle et, même s’ils se « … connaissaient et se respectaient l’un l’autre » [11] (Rayner, 1995, p. 6), ils ont laissé à leurs héritiers le soin de rapprocher leurs travaux. Sans pouvoir reprendre de façon exhaustive les parallèles que l’on peut faire entre eux, on rappellera tout d’abord ici avec Sprinz Mondrzak (2004) qu’ils ont tous deux mis l’accent sur les processus de pensée, conçus non pas comme purs phénomènes cognitifs mais comme issus du matériau même de l’affect, de l’émotion. Ceci a plusieurs conséquences sur les conceptions de l’appareil psychique et sur les interventions durant les cures :
45– Matte Blanco et Bion partent des aspects informes et infinis du psychisme inconscient (cf. la note de Bion déjà mentionnée [Bion, 1970, p. 41]) : « L’espace mental est si vaste comparé à n’importe quelle réalisation de l’espace à trois dimensions », etc.). Un infini, donc, dans lequel Bion met l’accent sur le proto-émotionnel et le sensoriel et où Matte Blanco insiste plus sur l’aspect indivis et symétrique.
46– Cet informe et cet infini sont sources de terreur, non pas en eux-mêmes mais lorsqu’ils ne sont pas conjugués avec un mouvement d’alphabétisation et de mise en narration (Bion, Ferro) ou, pour le dire en termes matteblanquiens, d’asymétrisation. Il faut un équilibre entre partie psychotique et partie non psychotique de la personnalité, ou entre mode symétrique et asymétrique. Lombardi (2009) a consacré un texte au titre explicite à développer ces fonctionnements où la pensée discriminante (alphabétisée/asymétrisée) ne peut assez se développer : « Symmetric Frenzy and catastrophic change : a consideration of primitive mental states in the wake of Bion and Matte Blanco [12]. » Il écrit (p. 1) :
Pour Bion, les liens psychiques sont récupérés à partir de l’informe obscurité de l’inconscient… Pour Matte Blanco l’indivisibilité est l’abysse dans lequel cesse toute différenciation… À la fois Matte Blanco et Bion mettent l’accent sur le contraste existant entre l’immensité de l’espace mental et l’ordre spatio-temporel introduit par l’activation des fonctions de la pensée [13].
48– De ce protopsychisme symétrique peuvent naître une infinité de dérivés représentés en mots qui, jamais, ne le résumeront ou ne le capteront totalement. Le mot est un rets qui entoure l’émotion et la circonscrit mais ne la remplace pas (on vient de le voir, brute, elle est infinie). Ferro écrit (2007, p. 201) :
« Les histoires agissent comme des filets retenant les émotions… »
50… mais elles ne les résument pas. Mondrzak le dit ainsi (2004, p. 603) :
La conscience réussit à capturer certaines parties de l’ineffable réalité en la transformant de façon à ce qu’elle puisse être perçue.
52Ceci ouvre d’ailleurs sur la question du nombre infini d’interprétations qui peuvent naître d’une même situation clinique et met en exergue que la théorie de Matte Blanco n’est pas fermée sur elle-même mais qu’elle constitue au contraire une ouverture au pluralisme analytique (Sanchez-Cardenas, 2011, 2013).
53– On peut légitimement situer ces deux auteurs dans le registre d’une psychanalyse qui insiste plus, donc, sur les processus de transformation, que sur la recherche de contenus cachés (par des refoulements, dénis, clivages…). Dans la perspective transformative, l’accent n’est pas exclusivement mis sur l’interprétation du transfert mais sur tout ce qui peut favoriser la création par le psychisme de ses propres instruments de contenance. La mise en relation des éléments du mode symétrique avec leurs possibles correspondants asymétriques (voir plus loin le paragraphe « En séance »), comptent autant que l’interprétation de contenu ou du transfert et tout autant que le développement de narrations multiples (Ferro, 2007). On verra dans les vignettes rapportées plus bas comment, même devant des exemples de transfert négatif, une approche matteblanquienne pourra être choisie pour jouer sur le facteur d’excès émotionnel (ce que Benjamin et Atlas [2014] appellent un « trop d’excitation » [too-muchness of excitement] en attente de rêverie de la part de la mère, ou de l’analyste). Inutile de dire que si, par ailleurs, la question de la participation de l’analyste à la constitution de la qualité même du transfert (Ferro, 2007) n’est pas abordée ici, pas plus que la notion de champ (Baranger et Baranger), ce n’est pas que je les considère comme parties négligeables mais que je dois me centrer sur les aspects les plus spécifiques de la pensée matteblanquienne.
En séance
« … on doit mentionner que les analystes qui ont la bi-logique à l’esprit ont dit qu’ils sont assis derrière le divan avec un esprit qui a une base légèrement différente qu’auparavant. »
55Au fil des cures, il se produit ainsi régulièrement qu’influencé par Matte Blanco, on puisse y introduire de nouvelles nuances. Les exemples qui vont être donnés sont donc des coups de projecteur sur des « moments matteblanquiens » tirés de différentes cures (et ils ne qualifient pas globalement le déroulement de celles-ci).
56– L’infinitisation des affects et leur « redimensionnalisation ». Voici Matte Blanco en train de citer ses propres interprétations, ce qui est rare. Un analysant, jeune marié, exprime qu’il est déçu à l’extrême : ses collègues tardent à lui faire son cadeau de mariage. Matte Blanco (1975, p. 291) lui souligne alors l’aspect violent de ses émotions :
« J’ajoutais que, comme il était la proie d’émotions si violentes, il était incapable de percevoir d’autres alternatives qui pourraient expliquer ce comportement envers lui. Cela aurait pu être, par exemple, que la personne en charge de récupérer l’argent était trop scrupuleuse et avait pensé qu’elle devait attendre jusqu’à ce que la dernière personne du groupe ait donné sa contribution. Ou bien que ceux qui n’avaient donné encore avaient pu avoir des problèmes personnels qui, d’une façon ou d’une autre, avaient induit du retard dans leur don. Quoi qu’il en soit, il semblait pouvoir y avoir de nombreuses raisons possibles pour le retard, qui étaient aussi plausibles que son explication à lui, laquelle lui semblait se résumer à une tentative de l’annihiler et de le transformer en une personne suprêmement mauvaise [14]. »
58Matte Blanco note qu’il pourrait se centrer sur d’autres thèmes (mouvements œdipiens, transfert…). Mais la priorité lui semble alors être celle de travailler l’infinitisation des émotions. Pour ce faire suffisent des mots simples, comme : « Vous pensez que vous courrez un danger infini », ou : « Vous ressentez que vous tombez dans la non-existence ». Le patient a pris conscience qu’il était en proie à une infinitisation, il a pu accepter facilement cette interprétation. Il a pu en ressentir un soulagement immédiat. Ce rééquilibrage des deux modes va ainsi vers une bi-logique vitale (1988, p. 58) (à l’inverse, dans une bi-logique non vitale, le mode symétrique menace d’envahir le mode asymétrique de telle manière qu’il entrave le fonctionnement psychique normal).
59Ce patient de Matte Blanco fait preuve de conflits assez limités on le voit. Mais une telle approche peut se montrer très utile dans des cas plus graves, et en particulier psychotiques.
60– Permettre le fonctionnement conjoint de l’émotion et de la pensée. Lombardi a livré des textes très cliniques (2016) où une perspective matteblanquienne apparaît dans sa prise en charge de cas graves. Le voici en particulier (in Carvalho et al., 2009, p. 108-111) devant un patient psychotique, Matteo. Lombardi écrit :
L’interaction émotions-pensées était un fait nouveau pour M., soutenu par une élaboration allant à l’encontre de sa tendance, toujours présente, à leur dissociation. Voici un moment du travail analytique :
P (Patient) : (D’un ton hésitant) Quand le professeur m’appelle par mon nom, je me sens bizarre. C’est une émotion, un embarras. Cela ne devrait pas se produire, je ne dois pas avoir les nerfs tendus.
A (Analyste) : (Je le sens intéressé par ses propres réactions et me sens encouragé à l’aider à articuler des distinctions en soutenant sa tendance à penser). L’esprit fonctionne avec les émotions mêmes, et avoir les nerfs tendus peut être pour vous une stimulation à penser.
P : Mais Dieu m’a fait d’une façon très différente car, moi, cette émotion, je ne l’ai jamais eue auparavant.
A : (Je continue à le sentir authentique, précise Lombardi) Mais, puisque désormais les émotions sont là, il faut apprendre à les gérer, et cela même lorsqu’elles risquent de vous envahir complètement. Pour cela vous pouvez différencier émotions et pensées, pour pouvoir vivre les émotions et les accompagner en mettant en marche la pensée.
À ce moment-là, M. s’arrête, très intéressé par cette différenciation : un type de réaction rare au sein de sa tendance à somnoler. Et, bien que n’ayant jamais sous-évalué son intelligence, je reste interloqué par son commentaire : P : Lorsque je réagis, je réagis avec les émotions : mais je pourrais réagir avec une autre partie. Normalement, cerveau et nerfs sont séparés ; en moi ils sont unis (et après un silence) : la tête sert à penser.
La conviction et la concentration marquant ces paroles ne me laissaient aucun doute : rendu à ce point, M. percevait en lui des forces émotionnelles (« je réagis avec les émotions »), de la confusion entre émotions et pensée (« en moi ils sont unis »), et la nécessité d’utiliser l’esprit pour penser (« la tête sert à penser »). Cette perception spontanée était la conséquence de tout le travail analytique antérieur sur la pensée, grâce auquel M. pouvait observer l’existence d’émotions, la catastrophe « symétrique » qu’elles induisaient, mais aussi désormais le besoin d’activer – grâce à la discrimination asymétrique – un déploiement (unfolding) de ses intuitions. Lesquelles intuitions, non élaborées par la pensée, lui étaient apparues dans les premiers temps de l’analyse être seulement la « voix de l’irrationnel ».
62En termes faciles à comprendre par son patient, Lombardi lui offre la possibilité de mettre en évidence les aspects de sa pensée ancrés dans le réel, mais aussi de lui en montrer les confusions ou les distorsions. Le patient peut ainsi rétablir un dialogue intérieur entre l’émergence symétrique des émotions et leurs correspondances possibles avec la pensée asymétrique.
63– Deux séances d’analyse et une de psychothérapie avec des interprétations inspirées de Matte Blanco. La mise en évidence du fonctionnement symétrique envahissant. Projection et identification projective ou Fonction Propositionnelle ? Une fois que l’on a, donc, entendu sur une nouvelle longueur d’onde le matériau apporté par le patient, comment intervenir à ce niveau ?
64Sans volonté d’exhaustivité, je vais me centrer sur quelques exemples significatifs où je montrerai mon type d’interventions (plutôt que l’historique des situations ou le déroulement étendu de la cure concernée).
65Marcelle est en analyse sur le divan, trois fois par semaine, depuis trois ans.
66Dans la séance qui précède celle que je vais décrire, elle a commencé à se plaindre de moi en me disant qu’elle ne ressent pas assez de présence de ma part dans les séances, que je l’abandonne, qu’elle y éprouve une solitude intense. Mais, immédiatement après, elle note sa gêne à exprimer des doléances vis-à-vis de quelqu’un qui, comme moi, incarne à ses yeux l’autorité et qu’elle vit comme lui étant supérieur alors qu’elle-même se sent devenir quantité négligeable en telle situation. Elle élargit son propos à toutes les situations où une personne lui semble être une figure d’autorité (médecin, avocat, maître d’école, professeur…) et ce déjà depuis son enfance. Devant ces personnes, elle ne peut se rebeller.
67J’entends donc ici qu’elle me parle d’une classe (celle des « autorités qui lui sont supérieures »). Un penser émotionnel se met en place chez elle, schématiquement le suivant : devant une situation où il y a doléances, abandon, tous les membres de la classe deviennent équivalents (toutes les figures d’autorité entraînent la configuration « personne supérieure vs elle-même négligeable et en tant que telle abandonnée »).
68Lors de la séance que je rapporte, elle revient sur ce thème :
Analyste : Ici se recréent des choses comparables : je vous suis supérieur, vous êtes quantité négligeable devant moi.
Patiente : Oui, mais cependant vous n’êtes pas maltraitant comme mon père l’a été.
A : Ce que vous savez. Mais vous me ressentez aussi comme maltraitant, abandonnant.
P : Vous avez été bienveillant. Si vous ne l’aviez pas été, j’aurais pu me révolter d’ailleurs.
A : Vous ressentez les deux choses en même temps. Que je suis bienveillant et que je vous néglige.
70J’opte donc pour lui montrer, dans le transfert, la coexistence en elle de deux courants opposés qui ne s’annulent pas. J’insiste sur leur coexistence simultanée plus que sur leur conflictualité, pour lui offrir une vue sur son fonctionnement symétrisé et pouvoir le penser asymétriquement. J’aurais pu insister plus sur son ambivalence conflictuelle (« Des sentiments contradictoires à mon égard s’opposent en vous ») ou sur son mouvement projectif et l’angoisse qui lui est sous-jacente (« Vous êtes en colère contre moi (la rébellion) et vous craignez que je vous néglige, que je vous abandonne en retour »). Ceci aurait été compatible avec le matériau apporté (et, d’ailleurs, sera abordé avec Marcelle lors d’autres séances).
P : Je ne me vois pas vous dire que ce que vous me dites « ne vaut rien », ne m’apporte rien [elle le dit donc néanmoins sous la forme d’une dénégation].
72Elle évoque différentes situations où elle n’ose exprimer son opinion. Puis elle associe :
P :… Je pense aussi à des situations où, moi, je me sens supérieure aux autres. Je suis surprise…
Pourquoi est-ce que je dois toujours me sentir supérieure ou inférieure ?
A : Il est toujours question de hiérarchie entre les personnes alors ?
74Je mets ainsi en évidence la Fonction Propositionnelle qui est en cause : « une personne est supérieure ou inférieure à une autre ». Sujet et objet se confondent : l’autre lui est supérieur ou elle est supérieure à l’autre.
75Marcelle réfléchit et imagine une situation de conflit qu’elle pourrait créer avec moi. Elle pourrait ne pas venir à ses séances car il y a des moments où elle les trouve trop contraignantes. Mais alors, dit-elle, elle devrait les régler tout de même. Elle conclut :
P : Je me sens assujettie par vous.
A : Vos séances ont un point commun avec de l’assujettissement : un cadre fixe et non amovible. Mais, dès lors, vous les ressentez comme un assujettissement total et, pour le coup, une relation d’aide que vous avez vous-même souhaité mettre en place, devient une situation d’assujettissement qui vous est imposée de l’extérieur.
77Je mets la Fonction Propositionnelle « assujettissement » en exergue et montre qu’elle est le pivot d’une symétrisation où des opposés (aider/contraindre) deviennent équivalents, ainsi que le sujet et l’objet (elle a demandé une analyse/je lui impose un cadre qui l’assujettit). Je montre aussi qu’une analogie (un cadre fixe) sert à créer une équivalence totale entre des situations différentes (aide et contrainte), qui tend vers une maximisation (une dépendance absolue vis-à-vis de moi et de mon cadre).
78La patiente associe alors sur la solitude ressentie dans les séances et s’interroge sur la validité de ma méthode thérapeutique. Mais, à ainsi s’interroger, elle a, me dit-elle, le sentiment « de me manquer de loyauté ». J’associe sur le contenu d’une séance passée :
A : Vous m’aviez raconté que votre mère avait été meurtrie de voir que vous ne repreniez pas sa voie professionnelle. Pensez-vous qu’elle ait ressenti que vous l’abandonniez ? Que vous lui manquiez de loyauté ? Elle s’est sentie seule ?
P : (après une pause réflexive)… oui… à partir du moment où j’ai opté pour une autre voie qu’elle, ma mère ne s’est pas intéressée à ce que je faisais… elle-même a dû se sentir abandonnée par sa fille, moi, qui refusais de poursuivre son travail… Je pense à une chanson (où une mère est triste et résignée).
A : Il est beaucoup question d’abandon : je vous laisse seule, je vous abandonne dans nos séances, votre mère ne fait plus attention à vous, vous l’abandonnez.
80J’insiste sur la Fonction Propositionnelle « abandonner » et sur comment sujets et objets se confondent autour de celle-ci.
81Dans les séances suivantes, nous découvrirons avec Marcelle comment elle se néglige elle-même : de façon répétitive et très destructrice, à peine a-t-elle réussi une entreprise personnelle qu’elle la dénigre et la ravale au rang de « minimum exigible ». De la sorte nous pouvons comprendre qu’elle « s’abandonne elle-même ». Cet « abandon d’elle-même » sera élaboré sur toute une série de séances à suivre et nous pourrons décomposer comment cela peut se vivre à un niveau asymétrique (elle et l’autre sont différenciés, elle projette sur cet autre sa crainte abandonnique) et à un niveau symétrique (elle confond ce qu’elle se fait à elle-même et ce que lui font les autres : sujet et objets sont confondus).
82Albertine est une patiente qui exerce un métier où il faut sans cesse gérer des conflits et mener des négociations. Nous avons travaillé en face à face quelques mois à une séance par semaine. Elle est sur le divan depuis un an, à raison de deux séances par semaine, lors de la séance que je décris, ceci peu de temps avant son passage à trois séances par semaine.
83Elle commence sa séance en me racontant qu’elle a eu une grande satisfaction professionnelle : elle a réglé une affaire avec brio, et ce devant un collègue plus jeune qui l’accompagnait. Elle s’est sentie fière d’être ainsi « l’aînée qui réussit et qui montre ». Mais ensuite, son supérieur hiérarchique lui a fait le reproche de ne pas lui avoir communiqué assez rapidement certaines informations concernant cette affaire. C’est qu’elle n’avait pas tous les documents pour ce faire, m’explique-t-elle. Et elle va lui demander un rendez-vous pour le lui expliquer. De plus, ce même chef a confié une mission à un collaborateur plus jeune qu’Albertine et elle s’en est sentie vexée. Comme je réalise en l’écoutant que le scénario qu’elle me raconte suit le même schéma que beaucoup d’autres, j’interprète :
A : Alors, voici des personnages que l’on retrouve souvent dans vos récits : vous réussissez, un chef vous fait des reproches, et un petit frère ou une petite sœur vous chipe la place.
85Je mets en évidence que des situations en apparence multiples (ici un chef et des collaborateurs plus jeunes ; ailleurs une rivalité avec une amie qui plaît plus qu’elle et qui l’efface aux yeux des autres ; auparavant la relation avec son père et ses frères et sœurs…) appartiennent en réalité à une classe d’éléments équivalents (le même conflit mis en scène plusieurs fois avec des personnages différents). À cette multiplication des scènes et des personnages rendus équivalents correspond un affect-Fonction Propositionnelle important pour elle (l’émotion liée à la séquence « réussite-reproches-rivalité »). En apparence nous sommes dans un mode asymétrique (les personnages différenciés de son récit entrent en conflit) mais, à vrai dire, il s’agit ici de la simple mise en forme asymétrique (personnages individués dans le récit d’un évènement particulier) d’un foyer émotionnel en réalité symétrisé et qui génère des scènes multiples et répétitives où, sous divers habits, les mêmes personnages reviennent sans cesse.
P : (après un silence réflexif)… je trouve que c’est vrai.
87Je note son ton de voix et je dis :
A : On dirait que vous le dites avec gêne, comme si je venais de vous critiquer.
P : Oui, c’est ce que je ressens.
A : Alors que j’essaie de vous aider à comprendre ce qui se passe en vous et l’origine de votre angoisse, vous le vivez comme une attaque.
89Je lui montre donc la symétrisation qui émerge : aide = attaque.
P : C’est que je me dis toujours que « seule la critique permet de faire mieux ». C’est ma théorie : pour progresser, il faut être critiqué… d’ailleurs, en en parlant, je m’aperçois que, pour tout ce qui m’arrive, je cherche toujours « le responsable ». À l’instant, je viens de vous prendre pour « responsable ».
A : En toute situation, il y a un responsable. Alors, toutes les situations sont confondues.
91La patiente perçoit elle-même son mouvement de globalisation et j’insiste simplement sur sa découverte de ses généralisation et symétrisation : tout dialogue ou aide (généralisation) ne vaut que pour son contraire, l’attaque (symétrisation). On notera au passage que l’analyste, moi-même, même s’il décortique les mouvements de pensée de sa patiente, ne le fait pas que comme s’il lui montrait un « schéma cognitif ». Il lui propose au contraire une exploration pas à pas de comment naît sa pensée devant un affect envahissant, en l’occurrence celui qui correspond à l’« aide-menace » symétrisée dans le transfert. Et, par mon interprétation, j’indique que l’on peut ne pas en rester à une vue figée dans le mode symétrique et envahie par celui-ci (aide = attaque) mais que l’on peut aussi avoir une vue plus différenciée-asymétrique des situations (Je l’aide et je ne l’attaque pas. La chose et son contraire, non, ne sont pas identiques). L’appareil à penser (du patient et de l’analyste) peut ainsi fonctionner en séance.
92Elle poursuit :
P : Je suis en train de faire une constatation qui me surprend : tout mon métier consiste à « trouver le responsable »… C’est la première fois que je m’en rends compte… Je pensais que « la recherche du responsable » était la clé de compréhension de toutes les situations de la vie.
A : C’est très important. Si c’est la seule clé que vous avez, « vous avez intérêt » à conserver cette façon de penser. Sinon, vous allez vous retrouver dans un brouillard où vous n’aurez plus d’idées du tout pour vous repérer et ce sera encore bien plus angoissant.
94Si Albertine quitte son schème réflexif, elle se trouve en effet confrontée à un monde purement symétrique car dépourvu de l’outil idéatif (les idées étant asymétrisantes par définition puisqu’elles différencient les situations et les réflexions) : changer de repères signifierait alors simplement pour elle les perdre tous et devoir affronter un changement catastrophique, une confrontation à l’infini du psychisme inconscient décrit par Bion (Bria et Lombardi, 2008). C’est ce que peut ressentir un voyageur qui, en contrée inconnue, se trouve privé de tout repérage topographique.
P : Oui, mais que faire ? Comment changer ?
A : C’est difficile, certes, mais vous avez commencé à le faire. D’une part vous réfléchissez ici, lors de vos séances. Et aussi, par exemple, vous avez choisi de prendre rendez-vous avec votre chef pour lui expliquer la réalité de la situation particulière qui s’est jouée avec votre affaire. Autrement dit, vous travaillez à changer une situation de reproches automatiques, qui se répètent toujours après vos succès, en une meilleure compréhension d’une situation particulière : par l’intermédiaire de la rencontre avec votre chef, vous faites vous-même fonctionner votre esprit pour rétablir ces différences.
96Je l’invite de la sorte à un meilleur enregistrement de ses capacités à penser-différencier.
P : Lorsque je réfléchis à froid, je peux penser clairement.
98On le voit, Albertine vient d’entrer en contact avec ses possibilités de penser asymétriquement et de prendre du recul sur comment l’affect peut brouiller ses idées et ses réactions.
A : Sinon, la pensée s’emporte : par exemple, lorsque vous avez ressenti que je vous critiquais, une « mise à feu » s’est opérée et vous avez commencé à « chercher le responsable ».
P : Oui… si je réagissais à chaud, je frapperais mon chef… c’est la pulsion qui parle… En fait, je me rends compte, que ce que je crains, c’est surtout de ne pas être appréciée… et au fond, c’est parce que je ne m’apprécie pas assez moi-même.
100Ces différents axes vont continuer à être explorés dans les séances qui suivent.
101Raphaëlle : Différencier l’affect là où il est informe. En deçà de l’ambivalence, la fusion des affects. Dans les strates profondes, les affects ne sont pas différenciés et, plutôt que de comprendre l’ambivalence sous l’angle du conflit, on peut la voir comme un envahissement du psychisme par ces affects fusionnés et non distinguables entre eux. Par exemple, la confusion (et non pas seulement le conflit) amour-haine peut engendrer des comportements où s’exprime une grande souffrance. Raphaëlle [15] a été une enfant négligée et manipulée par une tante qui l’utilisait comme confidente de sa sexualité en une sorte, pourrait-on dire, de « viol par l’oreille ». Devenue adulte, elle s’est surprise à son tour à manipuler sa fille et à induire des rapprochés trop importants avec elle, utilisant celle-ci à son tour comme réceptacle de ses confessions et effaçant ainsi la différence intergénérationnelle. Je la reçois deux fois par semaine en face à face depuis environ cinq ans lorsqu’elle me raconte avoir induit une discussion avec sa fille. Le thème en était « une adulte et une adolescente peuvent-ils avoir le même amant ? ». L’entendant, je ressens colère et irritation. Notre travail effectué jusqu’à ce jour semble balayé et ses comportements-problèmes paraissent resurgir. À partir de mon sentiment contre-transférentiel, j’interviens ainsi :
A : Vous exprimez un mélange de haine et d’amour indistiguables entre elles. De la haine vis-à-vis de votre tante (ce qu’elle m’a dit encore récemment) et vis-à-vis de votre fille à qui vous proposez une discussion de tonalité incestueuse. Et de la haine vis-à-vis de moi et de notre travail, dont les résultats semblent annihilés par de tels comportements. Vous avez de l’affection pour moi, et de la confiance aussi, et cela devient en même temps de la haine. Et de la haine envers vous-même : vous vous remettez vous-même dans une situation qui vous a fait énormément souffrir.
P : (troublée)… Je ne sais pas… si vous le dîtes, ça doit être vrai car vous connaissez ces choses… Mais je suis étonnée car, la haine, justement, est un sentiment que je ne connais pas [qui est dissocié donc]. Et certainement pas vis-à-vis de vous, à cause de notre relation. Je n’ai pas de haine vis-à-vis de ma tante, ni de mon père [une série de dénégations-dénis contredisant d’autres propos antérieurs]… À propos de ma tante, je garde plutôt un souvenir positif de la relation que j’ai eue avec elle. Je vous l’ai dit, c’est la seule qui m’a donné de l’affection quand j’étais enfant… Je n’ai pas de haine vis-à-vis de vous. Et même, au contraire, je vous ai déjà dit que je pouvais avoir peur pour vous.
A : C’est-à-dire ?
P : Lorsque je vous ai dit que je me faisais du souci pour vous car les psychiatres se font parfois attaquer par leurs patients.
A : Il me semble que c’est prêter là à d’autres de mes patients une dangerosité qui pourrait venir en fait de vous : la crainte que votre haine envers moi ne débouche sur une attaque. Amour et haine se confondent. Vous m’aimez et vous pourriez me tuer : un mélange indissociable.
P : (émue, les larmes aux yeux, après avoir réfléchi) : … Elle associe sur ses colères lorsqu’on l’embête de façon répétée. Elle se souvient d’une bagarre violente à l’adolescence avec une amie par laquelle elle s’était sentie trahie. Mais elle ajoute que, désormais – à l’approche de la quarantaine – le temps a passé et qu’elle ne pourrait plus réagir de la même façon.
A : Pouvoir considérer les différentes choses dont vous êtes constituée, dont la haine, vous permet d’être plus tranquillement vous-même, et plus dans votre temps à vous, celui de la quarantaine. Vous n’avez plus à vous sentir obligée de rester une petite fille qui parle avec une autre fillette (sa fille).
103La prise de conscience de la haine et le fait d’asymétriser celle-ci (elle est différenciée de l’amour) lui permet de ne plus être dissociée (cf. : « … la haine, justement, est un sentiment que je ne connais pas… ») et d’assumer ses affects. Le registre asymétrique gagne du terrain : ainsi, spontanément, la patiente se resitue clairement dans son temps chronologique réel (la quarantaine) et non plus dans une éternelle jeunesse qui lui fait mélanger les générations (atemporalité de l’inconscient symétrique). Dans les séances suivantes, Raphaëlle reviendra avec insistance sur la confusion des affects d’amour et de haine et ses associations la mèneront vers les nombreuses confusions des contraires dont elle avait pu s’imprégner dans sa famille. Celles de l’inceste mais d’autres encore, comme, par exemple, le souci permanent de sa mère pour sa propre santé, mère par ailleurs très grande fumeuse (et décédée d’un cancer du poumon).
Conclusion
104Matte Blanco décrivait ainsi le but de l’analyse :
Elle consiste à défaire une situation, un individu ou une chose donnés des attributs infinis qui sont implicites dans sa classe [16].
106Par exemple, grâce à l’analyse, un analyste pourra ne plus représenter la classe des personnages qui peuvent se multiplier sans fin, qui critiquent et qui « cherchent le responsable » (cf. supra, Albertine). Et ceux qui appartiennent à ladite classe passeront au second plan dans l’esprit du patient pour laisser place à une réflexion sur la Fonction Propositionnelle qui les réunit.
107D’emblée le traitement vu sous l’angle matteblanquien a donc une optique différente de « rendre conscient l’inconscient » (levée des refoulements, accès à une représentabilité…) ou de faire que « Là où était le ça, le moi doit advenir » (subjectivation, etc.). En effet, la bi-logique est une constante du psychisme et le mode symétrique en est une composante permanente qu’il ne s’agit pas que de traduire en termes asymétriques. Le mode symétrique, en effet, ne peut être « éclusé » en termes asymétriques, il persistera quoique l’on fasse et il restera inconscient par nature.
Un de mes patients rêve d’un « Méditerranéen » qui lui vend une nourriture avariée tout en la faisant passer pour fraîche. Je peux aisément lui montrer qu’il s’agit là, transférentiellement, de moi (cf. mon nom, à l’évidence ibère). Et que j’illustre ainsi sa peur générique d’être trompé. L’interprétation transférentielle nous sert ici : a) à montrer au patient une classe d’équivalence (« Tous ceux qui prétendent vous nourrir vous dupent, et moi comme les autres ») ; b) à l’aider à s’en dégager (cet analyste est lui-même, un individu, et non un prototype qui répète des expériences antérieures déjà vécues par le patient) ; c) à diminuer dans sa vie l’angoisse liée à cette façon systématique de percevoir les choses.
109Mais ces objectifs ne pourront annuler la capacité inconsciente-symétrique du patient à se créer des classes d’équivalence. Simplement, ici, on aura pu mettre en évidence la traduction possible en termes asymétriques (l’analyste est un individu et non pas la proposition fonctionnelle incarnée de la roublardise) d’un fonctionnement symétrisé particulier qui envahissait le psychisme du patient. En somme, et pour le dire en d’autres termes, il s’agit d’ouvrir la possibilité que les processus primaires ne tendent plus à envahir les processus secondaires. Mais ces processus primaires resteront bien entendu toujours une caractéristique de la personne. Les processus de symétrisation, lorsqu’ils ne contribuent pas à la psychopathologie, sont d’ailleurs le sel même de l’existence. Ils participent à la poésie de la vie, à ses métaphores, à ses symboles. Un enfant qui dit, sur la plage : « qu’il est une pierre léchée par la vague » (exemple cité par Rayner, 1981, p. 405) n’est pas en souffrance ; au contraire, il use de ses potentialités créatrices de symétrisation (en une formation que l’on pourrait dire « transitionnelle » : il est à la fois comme la pierre et il est la pierre).
110Arrêtons-nous d’ailleurs sur le terme de « penser » : il convient de le préciser. Si l’on se réfère à Descartes (« Je pense, donc je suis »), « être » a le sens de « penser » (« est » celui qui « pense »). Et que devient alors ici l’existence « brute » (éprouvée, avec ou sans pensée) ? Valéry (1938, p 585) pointe cette contradiction cartésienne avec humour lorsqu’il écrit : « Tantôt je pense et tantôt je suis ». Mais alors, à lire Valéry, penser et être sont-ils opposés ? La bi-logique selon Matte Blanco nous permet plutôt de les percevoir comme deux facettes d’un même fait psychique. Dans les strates superficielles, celui-ci est pensé (Thinking) (avec, comme aporie ultime, et jamais atteinte totalement, une pensée parfaitement claire, « froide », hors affect). En profondeur il est de moins en moins pensé et de plus en plus ressenti (Feeling), voire simplement vécu (Being). Le but de la thérapie devient alors qu’une libre circulation entre strates puisse avoir lieu et que toutes fonctionnent en parallèle, simultanément : qu’il puisse y avoir du penser clair et distinct, du penser-émotionnel (en termes de classes qualifiées par leur émotion), et du vécu. En bref, que le patient puisse dire, et surtout ressentir : « Je pense et je suis ».
111Les modalités pour arriver à ceci sont dès lors très variables. Ainsi déjà, le cadre même de toute analyse propose-t-il un vis-à-vis asymétrique au vécu symétrisé qui amène le patient vers la cure : ses limites et règles (asymétrie) instaurent une norme pour ce qui enflait sans borne (l’affect symétrisé en voie d’infinitisation). Il en va de même pour l’usage des mots car un mot est défini et donc par définition asymétrique (Matte Blanco, 1975, p. 115). Les modalités classiques de l’analyse (interprétations de contenus, de mouvements processuels, de transfert, recours de l’analyste à sa propre capacité de figurabilité pour donner forme à celle, déficiente, du patient (Botella, 2014) peuvent toutes concourir à instaurer cette asymétrisation dans le cadre d’une bi-logique assouplie (et non plus envahie par la symétrie). Tous ces élément sont, on le voit, banals en analyse, mais Matte Blanco permet de les aborder sous cet angle particulier : leur apport asymétrique, leur contribution à recréer une bi-logique vitale.
112Mais il existe tout de même un versant qui est plus spécifique de l’apport matteblanquien, du moins dans la façon dont je m’en sers, et qui consiste à essayer de « penser avec ». « Penser avec » le patient ses mouvements symétrisés envahissants et les lui mettre en évidence. Le langage que l’on peut utiliser alors (soit en basant sur ce qui naît intérieurement du contre-transfert, soit sur la reconnaissance plus extérieure qu’un mouvement symétrisé est visible chez le patient) peut rester simple. Nous en avons vu des exemples déjà. En voici un autre.
Rachel, en thérapie en face à face une fois par semaine (seulement une fois car elle vient de très loin), souvent dans un état proche du délire, se sent menacée physiquement par sa patronne, qui, à ses dire, la suit dans la rue. Et par d’autres femmes aussi, qui auraient ri d’elle dans un café où elle s’est rendue. Les unes et les autres « sont de mèche », pense-t-elle. Je lui interprète qu’il s’agit là d’une « diffraction » de l’image de sa mère (qui a été maltraitante à son égard) et, qu’à l’occasion, elle a pu penser que, moi aussi, je voulais l’influencer et lui nuire. En bref, lui dis-je, toutes ces personnes et moi-même faisons partie de la classe des personnes malveillantes qui la poursuivent et nous sommes maltraitants comme sa mère (je n’emploie pas le mot, technique, de « classe » ; je lui dis : « Toutes ces femmes, et moi-même, sommes malveillants, comme le fut votre mère »). En bref, je lui montre simplement que la classe des femmes persécutrices tend à montrer celles-ci comme se multipliant sans cesse (infinitisation du nombre des membres équivalents). À la séance suivante, elle dit avoir réfléchi à cette question de la « diffraction » et que cela lui a été très utile. Par exemple, elle s’est sentie plus calme et n’a plus eu le sentiment que son compagnon cherchait à l’embêter (apaisement de la persécution, que l’on peut entendre dans le transfert aussi, bien entendu). Et, à y réfléchir, elle s’est dit que toutes ces femmes qu’elle avait vues ici ou là n’y étaient que par hasard et non pas pour la traquer (… et il convient de préciser qu’il s’agit là d’un cas grave et cette pause dans ses interprétations persécutrices, déjà intéressante en soi, n’empêchera cependant pas que la suite du travail reste difficile auprès d’elle).
114Ce qui se passe ici est fréquent : le patient est intéressé par la mise en évidence des mécanismes des mouvements de symétrisation qui l’affectent (ex. : la « diffraction »). Après Matte Blanco, Rayner (1981, p. 410) insiste sur ce point : le patient ne réagit en général pas par une résistance à ce genre d’explicitation, mais au contraire par un vif intérêt, il manifeste un enthousiasme à approfondir ce type de travail. On a donc, dans de nombreux cas, une nouvelle possibilité de travailler sur la résistance et sur la réaction thérapeutique négative conçues ici en tant qu’impossibilités d’accéder à une asymétrisation suffisante au sein d’une bi-logique apaisée (non débordée par la composante symétrique) et non plus conçues seulement comme des attaques contre l’analyste ou contre les avancées de la cure (Carvalho, 2002) (certaines autres résistances ressortissant toutefois bien de ce dernier déterminisme).
115Par ailleurs, la psychanalyse française, dans la culture de laquelle j’évolue, est plus sensible à un travail sur les processus primaires qu’à ce travail plus « explicatif ». Il s’agit, chez nous, avant tout de « faire des vagues » psychiques (Aisenstein, 2007) par nos interprétations. Par exemple en reprenant simplement un mot significatif et chargé d’affect du discours du patient, ce qui est comme une étincelle qui va raviver la fulgurance des processus primaires et ramener au jour des contenus enfouis, ou permettre une nouvelle mise en perspective des conflits inconscients. Pourtant, mettre en évidence aux yeux du patient de possibles asymétrisations, quitte à ce que cela soit assez clairement explicatif, a aussi un grand intérêt. Tout d’abord, cela ne peut être confondu avec une simple démonstration intellectuelle. On part en effet de situations affectives (en séance, le patient exprime une émotion, et nous en vivons une auprès de lui) et non de schémas cognitifs désincarnés. Et aussi, de nombreux auteurs ont désormais insisté sur l’intérêt qu’il y a, en particulier chez les patients graves, à non pas insister trop rapidement sur des interprétations portant sur le transfert ou sur les affects, matériaux trop explosifs à manipuler pendant longtemps dans la cure, mais par contre à montrer au patient comment son psychisme est en train de fonctionner en séance. Il s’agit, en somme, pour le dire en termes bioniens, d’offrir à la partie psychotique du psychisme un répondant non psychotique (Williams, 2014), par exemple et parmi d’autres, montre tout l’intérêt qu’il peut y avoir il parle de patients chez qui le fonctionnement psychotique est important – à inciter ceux-ci, dans une perspective phénoménologique, à développer un intérêt, une curiosité vis-à-vis de leur fonctionnement mental et à pouvoir y noter les idées faussées et exagérées qui y règnent. Lors des cures de ces patients, qui sont tout sauf faciles à mener, rappelle Williams, il y a ainsi intérêt à créer une triangulation qui repose sur le dialogue entre deux psychismes non psychotiques (les parties non psychotiques des psychismes du patient et de l’analyste) et qui porte sur le troisième angle du triangle, celui de la partie psychotique du patient : « Une fois que le patient arrive à comprendre et à accepter qu’il a, dans sa personnalité, un côté psychotique qui sape sa vie émotionnelle non psychotique, j’ai pu constater qu’il y a une bonne chance que se produisent un investissement progressif en direction de la pensée non psychotique et un désinvestissement de la psychose » (Williams, 2014, communication personnelle).
116Au total, parcourir avec les patients, graves en particulier mais pas seulement, les aspects psychotiques (ou symétriques, ou en processus primaires) de leur personnalité à la lumière de leur possible asymétrisation (la lecture en processus secondaire de leur partie psychotique), leur donne, en bref, l’opportunité d’introjecter le fonctionnement d’un appareil à penser, celui de l’analyste, mis en mouvement en séance devant eux et ceci à l’occasion de l’expression par ces patients de leurs vécus émotionnels.
117Allant encore plus loin, je pense en outre que, souvent, nous ne faisons pas alors que montrer au patient que ses vécus symétrisés peuvent être interprétés en termes asymétriques. Je crois que, certaines fois, nous créons pour lui ces contenus asymétriques. Considérons par exemple le cas de Raphaëlle. Lui ai-je interprété à proprement parler l’ambivalence qui était présente en elle (faite d’amour et de haine) ? Je ne le pense pas. Elle nourrissait à mon égard un lien, un sentiment qui n’avait pas de nom. Je lui en ai donné deux potentiels, amour et haine, que j’ai séparés sous ses yeux en lui montrant qu’ils pouvaient servir de traduction possible à ses mouvements vis-à-vis de moi. Je me suis inspiré de ce que je ressentais dans mon contre-transfert mais, pour autant, si, moi, je pouvais différencier ces deux courants en moi-même, étaient-ils déjà là chez elle, en attente d’une simple mise en mots ? Je n’en suis pas sûr du tout. Rappelons-nous que le mode symétrique n’est pas une anomalie ou une version boiteuse d’un psychisme asymétrisé : il est une composante fondamentale et de plein droit de la pensée émotionnelle. Son aspect « coagulé » et sans nom ne représente pas toujours que le collapsus de sentiments distincts déjà préexistants.
118Pour conclure enfin, et pour citer Milton avec Bion (1965, p 183), Matte Blanco est un des auteurs qui nous aide le mieux à comprendre comment mettre en forme le psychisme informe lorsque celui-ci menace d’être trop envahissant, comment le transformer et redonner alors sa voix au :
« … monde s’élevant des eaux ténébreuses et profondes conquis sur l’infini vide et sans forme ».
Remerciements
Je veux exprimer ici ma gratitude au docteur Jaime Nos Llopis (Barcelone, Espagne) pour sa relecture de mon texte.Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : réaction thérapeutique négative, Matte Blanco, Bi-logique, rêve, identification projective, clinique, inconscient multidimensionnel, interprétation, inconscient non refoulé, résistance
Date de mise en ligne : 02/01/2019.
https://doi.org/10.3917/lapsy.181.0109Notes
-
[1]
Article paru sous le titre de : Clinical applications of Matte Blanco’s thinking. Int J Psychoanal (2016) 97 : 1547-1573.
-
[2]
Nda : Spacelessness
-
[3]
Matte Blanco (1988, p 12) rappelle les mots-mêmes de Freud (1900, p 276) : « la ressemblance, l’accord, la communauté sont habituellement représentés dans le rêve par le rapprochement, la fusion en une unité… »
-
[4]
Nda : traduction et italiques de Michel Sanchez-Cardenas (MSC).
-
[5]
Bion (1970, p 41) : « L’espace mental est si vaste comparé à n’importe quelle réalisation de l’espace à trois dimensions que la capacité d’émotion du patient est ressentie comme perdue parce que l’on sent l’émotion elle-même s’écouler et se perdre dans l’immensité. »
-
[6]
À ce sujet, voir Ginzburg (2004).
-
[7]
En fait, il n’existe peut-être pas de pensée qui ne tire son origine d’une perception de la spatialité géométrique du corps mais nous n’avons pas ici l’espace suffisant pour développer cette notion. À son propos, voir en particulier Lakoff et Johnson (1980) et Wachtel (2003).
-
[8]
Matte Blanco assista d’ailleurs dans les années 1930 aux séminaires de Mélanie Klein à Londres, il en fut profondément impressionné et il effectua sa deuxième psychanalyse auprès de Walter Schmideberg, le gendre de Mélanie Klein.
-
[9]
Nda : traduction de MSC.
-
[10]
Il convient de rappeler ici un passage de « Le Moi et le Ça » (Freud, 1923 ; p. 228) : « Mais les conséquences pour notre conception de l’inconscient sont encore plus importantes. La perspective dynamique nous avait apporté la première correction, le point de vue structural nous apporte la seconde. Nous sommes amenés à reconnaître que l’Ics ne coïncide pas avec le refoulé ; il reste exact que tout refoulé est ics, mais tout Ics n’est pas pour autant refoulé. Une partie du moi également, et Dieu sait quelle importante partie du moi, peut être ics, est certainement ics. Et cet Ics du moi n’est pas latent au sens du Pcs, sans quoi il ne saurait être activé sans devenir cs et on ne saurait rencontrer d’aussi grandes difficultés pour le rendre conscient. Nous trouvant devant la nécessité de poser l’existence d’un troisième inconscient, un Ics non refoulé, nous devons admettre que le caractère d’être inconscient perd pour nous de son importance. » (Mes italiques)
-
[11]
Rayner (1995, p. 149, trad. MSC), qui a été un compagnon de route de Matte Blanco, rappelle aussi que « Parthenope Bion-Thalamo, la fille de Bion… rédigea une thèse de doctorat où elle comparait l’usage de la logique selon Bion et selon Matte Blanco. Elle nous avait rapporté que son père recommandait que les étudiants qui s’intéressaient à ses théories (celles de Bion) devraient utiliser Matte Blanco comme lecture de base ».
-
[12]
« Turbulence symétrique et changement catastrophique : une investigation des états psychiques primitifs dans le sillage de Bion et Matte Blanco ».
-
[13]
Nda : traduction de MSC.
-
[14]
Nda : traduction de MSC.
-
[15]
Voir aussi le cas rapporté par Richard Carvalho (in Ginzburg et Lombardi [2007], p. 177-185) où le passage d’une bi-logique non vitale vers une vitale est aidé par l’interprétation que cet auteur fait à une patiente de la confusion présente dans son transfert : ce qui est bienveillant pour elle représente en même temps un potentiel abuseur sexuel violent.
-
[16]
Nda : traduction de MSC.