1Reconnue d’utilité publique, la Fondation de France, « fondation de toutes les causes », soutient, grâce à la générosité de ses donateurs, recherches et initiatives d’intérêt général qui répondent à des problématiques nouvelles mais aussi peu ou mal couvertes par les réponses existantes. Parmi ces programmes d’action, le programme Personnes âgées cherche à valoriser et favoriser la contribution des plus âgés à la vie sociale, et à promouvoir des réponses mieux adaptées à leurs attentes et plus respectueuses de leurs droits. Ce faisant, il s’agit aussi de contribuer au changement de regard sur le vieillissement et de concourir à la construction d’une société plus inclusive et plus ouverte. Dans ce cadre, le programme se donne notamment pour objectif de faire avancer la réflexion sur la fin de vie et la mort avec l’ensemble des acteurs concernés. Ainsi par exemple, « accompagner la fin de vie et l’après-décès » est un des axes de l’appel à projets : « Vivre ses choix, prendre des risques jusqu’à la fin de sa vie ».
Un engagement renouvelé sur la fin de vie et la mort
2Si, depuis 2013, les thématiques de la fin de vie et de la mort sont traitées dans le cadre du programme Personnes âgées, l’action de la Fondation de France en la matière a d’abord été centrée sur les soins palliatifs. Pendant 25 ans, entre la fin des années 1980 et 2013, la Fondation de France a en effet contribué au développement de la démarche palliative, en y consacrant un appel à projets spécifique au sein du programme Soigner, soulager, accompagner (programme aujourd’hui intitulé Humanisation des soins). Initiée en co-construction avec les acteurs impliqués dans le champ des soins palliatifs, l’action de la Fondation de France visait à faire évoluer les pratiques et les idées dans le sens d’un meilleur accompagnement des malades et de leurs proches et d’une plus grande formation des professionnels et bénévoles engagés à leurs côtés. Au-delà du soutien à l’ancrage d’équipes et de services spécialisés en soins palliatifs, il s’est ensuite agi de travailler à la diffusion de la démarche palliative à domicile et dans tous les services concernés par des décès fréquents. Ce sont ainsi plus de 1 600 projets qui ont été soutenus, autour de plusieurs grands axes. Désireuse de contribuer à la structuration du mouvement des soins palliatifs, la Fondation de France a par exemple aidé à se développer des mouvements de bénévoles d’accompagnement – en particulier la fédération Jalmalv –, mais a aussi œuvré à la sensibilisation du grand public et des acteurs – par exemple via la réalisation de films, comme par exemple celui réalisé en 1992 sur la souffrance des soignants et des médecins face à la mort des malades. Le soutien aux familles concernées par la fin de vie et la mort d’un proche fut également un axe de travail, comme le fut la problématique particulière des enfants en fin de vie – travaillée dès 1996. Parallèlement, la Fondation de France a accentué son soutien à la recherche en sciences sociales, à la recherche clinique sur la fin de vie et les maladies graves.
3En 2013, le programme dédié aux soins élargit son action en travaillant à leur humanisation tout au long de la trajectoire des malades et non uniquement au moment de la fin de vie. De même, il apparaît important de ne pas occulter la question de la mort dès lors qu’il est question du grand âge. C’est pourquoi la problématique sera dès lors essentiellement et explicitement traitée par le programme Personnes âgées.
Un interdit social de la mort
4Penser la fin de vie et la mort dans le contexte de la gérontologie nécessite de comprendre leur place dans la société. Si la mort est un phénomène universel, la manière dont on se la représente et dont on la vit varie selon les contextes socio-historiques. Il est largement documenté qu’existe, dans les sociétés occidentales contemporaines, un interdit de la mort, la chassant, signe d’un profond déni, de l’espace social. Nous sommes passés, pour reprendre les termes de Philippe Ariès, d’une mort « apprivoisée » à une mort « ensauvagée » (Ariès, 1977), c’est-à-dire d’une mort familière aux vivants, collectivement encadrée, à une mort socialement déniée. À différents niveaux, se font jour des formes d’occultation. Retenons-en ici quelques symptômes : les mourants sont mis à distance ; les morts maquillés et cachés ; les funérailles se font discrètes et les rites funéraires traditionnels s’affaiblissent ; la mort est tue, ainsi par exemple le deuil est renvoyé à la sphère privée et à l’échelle de l’individu. Moins circonscrite socialement, la mort est alors au risque de devenir envahissante, indépassable et de ressurgir de manière hypertrophiée ou obsessionnelle. À cette désocialisation de la mort comme du temps du mourir, s’ajoutent sa médicalisation et professionnalisation. De ces évolutions sociales, il ressort qu’on accompagne de mieux en mieux la mort, mais le plus souvent à travers le prisme technique, médical ou psychologique au détriment d’une prise en compte de sa dimension sociale.
5Qu’en est-il dans le contexte de la gérontologie ? Les progrès de la médecine ont permis de repousser la mort. Les décès surviennent statistiquement de plus en plus tard et la mort se trouve de plus en plus associée à la vieillesse. Par ailleurs, dès les années 1970, on a assisté à une transformation majeure des lieux de décès : on meurt moins à domicile mais majoritairement à l’hôpital, et les maisons de retraites sont en passe de devenir des lieux de vie fortement concernés par le mourir. Retenons ici quelques chiffres. En 2015, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), ¼ des décès enregistrés en France concernent des résidents d’Établissement d’hébergement pour personnes âgées (Ehpad) (Muller, Roy, 2018). En 2013, l’Observatoire de la fin de vie faisait état d’une moyenne de 20 décès par an et par Ehpad. 74 % de ces décès surviennent dans l’établissement, 25 % ont lieu à l’hôpital. Dans la plupart des cas, les décès nécessitent un accompagnement de fin de vie, mais 13 % d’entre eux sont des décès que l’on peut qualifier de « soudains ».
6C’est dans ce contexte que la prise en charge de la fin de vie est devenue une prérogative de ces établissements qui se doivent d’y apporter des réponses. Selon l’étude de la DREES, 87 % des Ehpad déclarent avoir mis en place des mesures particulières liées à la fin de vie, comme par exemple des conventions avec des équipes mobiles spécialisées en soins palliatifs, des procédures internes ad hoc, ou des formations destinées aux équipes, etc. Néanmoins, en écho au contexte social évoqué plus haut, la mort reste un sujet difficile à aborder dans le champ de la gérontologie et taboue dans les structures pour personnes âgées. Si en termes de savoir-faire, les équipes sont aujourd’hui mieux armées, elles le sont moins quant aux manières d’être et d’agir. Comment en effet se tenir aux côtés d’une personne mourante ? Comment agir face à des demandes de mort ? Comment accompagner une famille endeuillée ? Comment annoncer la mort d’un de ses proches à une personne âgée ? Le décalage est notable entre la manière – souvent simple – dont les personnes âgées abordent ces questions – « plus on avance en âge, moins on a peur d’en parler » disait une représentante d’Old up (association constituée de personnes âgées de 75 ans et plus) lors d’un atelier organisé par la Fondation de France [1] – et la manière dont les professionnels l’appréhendent. Des porteurs de projets soutenus par la Fondation de France témoignent de différentes situations où la mort se voit condamnée au silence. Sont ainsi évoquées des personnes âgées maintenues dans l’ignorance, le plus souvent par souci de les protéger, du décès d’un de leurs pairs ou d’un de leurs proches, silence qu’elles osent rarement rompre ; dans d’autres cas, on n’informe pas, parfois sur demande des familles, une personne âgée du décès d’un de ses proches. Certains souffrent de ce que l’on peut appeler, en référence à Norbert Elias (Elias, 2002), une forme d’« escamotage » : lorsque le brancard transportant le défunt emprunte « la petite porte » de l’Ehpad, lorsque se rendre aux funérailles n’est pas facilité par l’équipe dirigeante, ou encore lorsqu’il faut, sans délai, préparer la chambre pour accueillir une nouvelle personne après le décès d’un résident.
Penser la mort aussi pour « la paix des vivants »
7Au-delà de ce constat, les échanges avec les acteurs de terrain [2] ont permis d’identifier les besoins. Il n’existe évidemment pas de réponses standardisables mais, de manière générale, il apparaît crucial que soient créées les conditions d’un dialogue renouvelé sur la mort. C’est-à-dire qu’il y ait, dans les organisations, une possibilité de dire, de vivre la fin de la vie et la mort afin que les expériences mais aussi les souhaits des uns et des autres (personnes âgées, proches mais aussi professionnels et bénévoles) puissent être exprimés et entendus. Il ne s’agit évidemment pas ici de plaider pour une injonction à dire, rendant la mort omniprésente, au risque de la banaliser ou de renforcer sa part d’« inquiétante étrangeté » (Freud, 1919), mais bien de lui restituer une juste place en rendant possible le fait d’en parler.
8Il apparaît nécessaire de travailler dans deux directions. La première est celle de l’accompagnement de la fin de vie. Le défi à relever consiste à inventer les voies qui favorisent une réflexion partagée autour du respect des volontés des personnes âgées concernant les conditions de leur fin de vie et de leur mort (choix thérapeutiques, spiritualité, refus de soins, demande d’aide à mourir, menace suicidaire, absence de familles sont quelques-uns des dilemmes évoqués par les équipes). La seconde, l’accompagnement de l’après-décès. Il s’agit ici de soutenir les personnes affectées par un décès (une personne âgée ayant perdu un proche, un professionnel/un bénévole confronté au décès d’une personne accompagnée, les familles ou les proches endeuillés, etc.). C’est aussi la place des rites, dont on connaît l’importance pour « la paix des vivants » (Thomas, 2003), qui est posée et la nécessité de les réinventer.
9Certains acteurs travaillent déjà de manière fine et inventive pour répondre à ces enjeux, la Fondation de France souhaite soutenir cet effort et donner à d’autres les moyens de s’engager dans cette voie. C’est dans cet esprit que le programme Personnes âgées a choisi de faire de l’accompagnement de la fin de vie et de l’après-décès un axe de travail important, notamment en en faisant un des axes de l’appel à projets : « Vivre ses choix, prendre des risques jusqu’à la fin de sa vie ». Une conviction nous anime, intégrer la mort de manière structurelle/institutionnelle dans les services ou lieux de vie dédiés aux personnes âgées, la rendre moins étrangère, peut contribuer à ce que la douleur sociale qu’elle génère soit un peu apaisée.
Bibliographie
Références
- Ariès Philippe, L’Homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977.
- Elias Norbert, La solitude des mourants, Paris, Christian Bourgois, 1987.
- Freud Sigmund, « L’inquiétante étrangeté », Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1976.
- Muller Marianne, Roy Delphine, « L’Ehpad, dernier lieu de vie pour un quart des personnes décédées en France en 2015 », Études et résultats, DREES, 2018.
- Thomas Louis-Vincent, La mort, Paris, Que sais-je ?, PUF, 2003.