Notes
-
[1]
L’auteur a publié avec D. Djaiz, La révolution obligée. Comment réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des États-Unis, Éditions Allary, 2024.
-
[2]
T. Pech, « Le bilan de la Convention citoyenne », Études, n° 10, 28 septembre 2020, p. 43-51.
-
[3]
M. Vanier, « Zéro artificialisation nette : premières leçons », La grande conversation. Terra Nova, 7 septembre 2023 (en ligne : https://www.lagrandeconversation.com/ecologie/zero-artificialisation-nette-premieres-lecons/).
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[4]
J.-M. Offner, « ZAN, contre-enquête. De l’impasse légaliste de l’arithmétique foncière à l’ambition régulatrice de la gouvernance des sols », Urbanisme, août 2022.
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[5]
Réellement urbanisable, car ouvrir des zones à l’urbanisation dans des territoires où la demande est très faible ne change pas grand-chose…
-
[6]
É. Wasmer et A. Trannoy, Le grand retour de la terre dans les patrimoines : et pourquoi c’est une bonne nouvelle !, Paris, France, Odile Jacob, 2022.
- [7]
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[8]
M. Vanier, « 28 scénarios de prospective territoriale pour la France : relecture transversale », L’Information géographique, vol. 79, n° 2, Armand Colin, 2015, p. 79-91.
1 Le « Zéro artificialisation nette » ou son acronyme ZAN sont évoqués de manière particulièrement intense, souvent inquiète, dans les milieux de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme, des collectivités locales, de la construction et de l’immobilier depuis le début de la décennie. En 2021, à la suite de recommandations qui ont émanées de la convention citoyenne sur le climat, la loi Climat et Résilience fixe l’objectif de la neutralité foncière en 2050. À cette date, les nouvelles « artificialisations » devront être compensées par des « renaturations ». Pour les dix premières années de mise en œuvre de la loi (2022-2031), la loi Climat et Résilience a fixé un objectif de réduction de 50 % de la consommation des « espaces naturels, agricoles et forestiers » par rapport à la consommation réelle de ces espaces observée au cours des dix années précédentes. Alors que, dans un premier temps, les commentateurs ont critiqué la pusillanimité du Gouvernement qui n’a pas repris l’ensemble des propositions de la convention citoyenne pour le climat [2], dans un second temps, les débats ont principalement été alimentés par des experts, commentateurs et élus qui ont critiqué avec vigueur de nombreuses mesures qui en sont issues, notamment ce fameux ZAN. Dans un premier temps, faisons un petit tour des arguments des opposants. Ils nous permettront, dans un second temps, de voir ce qu’ils révèlent des défis de la planification écologique. Disons-le tout net : nous ne voulons pas « défendre » le ZAN. La loi et ses décrets présentent de telles imperfections qu’il est bien évident que ces textes devront être amendés. Notre préoccupation est de partir de cet exemple pour une réflexion plus générale sur les conditions de possibilité d’une planification écologique.
Une avalanche d’oppositions
2 Cinq séries d’arguments ont alimenté les discours des opposants au « ZAN ». Ces arguments sont d’ordre territorial, écologique, politique, social et institutionnel.
3 Premier argument : cette loi serait contre les campagnes [3]. Cette loi « condamne à mort le monde rural et à la glaciation les villes moyennes » (le député Olivier Marleix) ou est jugée « ruralicide » (le député Marc Le Fur). Les territoires les plus « consommateurs » de foncier sont davantage périurbains ou rétrolittoraux que véritablement ruraux. Néanmoins, l’argument a fait mouche. La loi a été révisée dès l’été 2022. Cette nouvelle mouture garantit la possibilité de la consommation minimale d’un hectare sur la décennie pour toute commune ayant prescrit, arrêté ou approuvé un document local d’urbanisme avant le 22 août 2026 (soit cinq ans après l’adoption de la loi Climat et Résilience). Actuellement, 26 000 communes sont concernées par cette « garantie universelle ». Les autres communes pourront toujours délibérer dans les trois prochaines années pour aller chercher l’hectare garanti en prescrivant l’élaboration d’un plan local d’urbanisme.
4 Deuxième argument : cette loi passerait à côté de l’enjeu écologique majeur. En se focalisant sur l’artificialisation des sols, ne laisse-t-on pas de côté les autres enjeux de qualité des sols, notamment les pratiques agricoles et sylvicoles très défavorables à la qualité des sols ? Ainsi, pour Jean-Marc Offner : « S’il s’agit de lutter contre l’imperméabilisation des sols et le ruissellement, alors l’agriculture intensive figure au premier chef parmi les responsables, accélérant le tassement des sols et l’érosion [4] ».
5 Cela mène au troisième argument : cette loi et les décrets qui l’accompagnent auraient été trop sensibles aux lobbies les plus puissants. En effet, il semble plus facile de s’attaquer aux pavillonneurs qu’aux agriculteurs pour améliorer la qualité des sols. Par ailleurs, si on lit en détail le contenu du décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023 relatif à l’évaluation et au suivi de l’artificialisation des sols qui va servir à comptabiliser l’artificialisation des sols après 2031, on peut s’amuser à y détecter les lobbies « gagnants ». Les gestionnaires d’aéroports pourront étendre leurs pistes et leurs aérogares : les surfaces végétalisées herbacées et qui sont à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d’infrastructures, sont considérées comme artificialisées ! Au grand soulagement des vendeurs d’abri de jardin et des piscinistes, les surfaces ne sont comptées comme artificialisées que si elles dépassent 50 m². Les activités extractives ainsi que les installations de production d’énergies renouvelables (sous certaines conditions) sont également considérées comme non artificialisantes.
6 Quatrième type d’argument : cette loi serait défavorable à l’accès aux logements des catégories populaires. En effet, les travaux d’économistes montrent que la raréfaction du foncier réellement urbanisable [5] augmente souvent les prix des logements [6]. Par ailleurs, si le recyclage des friches est toujours possible, il est nécessairement coûteux, notamment si les sols sont pollués ou les bâtiments complexes à restructurer. Bref, une telle loi peut conduire – surtout en l’absence de politiques locales correctives, heureusement possibles – à renchérir le prix des logements.
7 Cinquième et dernière catégorie d’argument : la loi ne tient pas compte des modalités de fonctionnement « réel » des collectivités locales. Les communes et leurs groupements sont financés en partie par une taxe assise sur le foncier : à terme, elles pourront moins jouer sur cette « base ». Le Sénat a donc produit un rapport sur les « outils financiers pour soutenir l’atteinte de l’objectif de zéro artificialisation nette » en juin 2022 pour éclairer cette question [7]. Par ailleurs, les rythmes d’urbanisation des communes sont souvent motivés par le fonctionnement des services publics locaux. Souvent, on crée un lotissement pour sauver ou ouvrir une classe. La loi est donc critiquée pour son inadaptation à la décentralisation telle qu’elle existe.
Quelles leçons tirer de ces difficultés ?
8 Face à une telle avalanche de difficultés, ne faudrait-il pas renoncer ? Le président du Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes a proposé de ne pas appliquer la loi. Cette proposition n’a néanmoins pas rencontré un écho très favorable. En effet, il est difficile de nier une utilisation souvent inconséquente du foncier : quelle région française ne compte pas de nombreuses friches ou des parcs de stationnement ou des voiries surdimensionnés ? Par ailleurs, si l’approche comptable du ZAN est évidemment intellectuellement peu satisfaisante, en appeler simplement au « bon sens » ou à la « vertu » des élus locaux est sympathique mais peu convaincant : l’artificialisation a été particulièrement intense quand bien même le Code de l’urbanisme invite depuis fort longtemps à une « gestion économe de l’espace » ! Si nous convenons qu’il serait fort préjudiciable de revenir à la situation antérieure, nous pouvons retenir trois leçons pour de futures réformes de planification écologique.
9 La planification écologique ne peut pas se construire sans un récit collectif rassembleur. La transition écologique avance par petites touches (dans le champ de l’aménagement avec les zones à faible émission, le zéro émission nette, notamment), sans qu’aucune vision d’ensemble soit réellement discutée. L’État a su produire des visions stratégiques ou prospectives, par exemple, la démarche Territoires 2040 au tournant des années 2010 [8]. Ces visions étaient certes floues, surtout indicatives, mais elles permettaient à chacun des acteurs de bonne volonté de voir la place que pouvaient jouer son territoire ou son institution dans une France intégrée à l’Union européenne. Certes, il y a une part d’hypocrisie ou d’égoïsme dans le discours de toutes les catégories territoriales et sociales qui refusent les contributions écologiques sous le prétexte que ce serait non à elles mais aux autres de faire le premier pas. Mais, on peut également comprendre le besoin de débattre sur la place de chacun dans un système territorial en recomposition. Les efforts demandés prennent davantage de sens quand ils s’insèrent dans une vision stratégique partagée.
10 Deuxième leçon : l’implication citoyenne est peut-être utile en « amont », pour proposer des solutions nouvelles pour les défis écologiques. Mais elle paraît surtout utile en « aval » pour connaître avec précision les difficultés concrètes de mise en œuvre des transitions écologiques et ajuster en fonction de la mise en œuvre de celles-ci. Les débats actuels se basent sur de grandes approximations et des calculs au doigt mouillé, en raison de l’absence de suivi précis. Effets sur les prix, les paysages, les densités, le fonctionnement des services publics locaux : une telle évaluation est absolument nécessaire pour détecter avec précision les difficultés. Une « convention citoyenne d’évaluation des trajectoires de transition » pourrait ainsi utilement documenter les situations, surtout si elle a une capacité à commander des études, recherches et expertises. Ces connaissances sont indispensables à toute adaptation in itinere.
11 Troisième leçon : l’État ne sait pas piloter les transitions. Le ZAN est une loi d’urbanisme, suivi par le ministère en charge de ce sujet, en l’occurrence le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Ce ministère n’est pas en charge des collectivités locales (c’est l’Intérieur), ni de la fiscalité (à Bercy), ni bien sûr de l’agriculture. Or, les défis de la mise en œuvre du ZAN sortent beaucoup du champ de l’urbanisme. Une mise en œuvre « optimale » du ZAN ne demande hélas pas seulement une réécriture du Code de l’urbanisme mais aussi, et peut-être surtout, une multitude de changements dans bien d’autres codes. Or, l’État ne sait pas bien orchestrer des bifurcations qui imposent de mobiliser des ministères ou agences étatiques multiples.
12 L’exemple du ZAN le montre avec netteté : la planification écologique n’est pas seulement affaire de volonté ou de vigoureuses réformes sectorielles. Elle implique de repenser la manière collective de décider et d’agir, de la commune à l’État. L’écologie, ce n’est pas donc un défi « en plus » à intégrer aux politiques publiques existantes : elle invite à repenser le contrat social.
Notes
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[1]
L’auteur a publié avec D. Djaiz, La révolution obligée. Comment réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des États-Unis, Éditions Allary, 2024.
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[2]
T. Pech, « Le bilan de la Convention citoyenne », Études, n° 10, 28 septembre 2020, p. 43-51.
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[3]
M. Vanier, « Zéro artificialisation nette : premières leçons », La grande conversation. Terra Nova, 7 septembre 2023 (en ligne : https://www.lagrandeconversation.com/ecologie/zero-artificialisation-nette-premieres-lecons/).
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[4]
J.-M. Offner, « ZAN, contre-enquête. De l’impasse légaliste de l’arithmétique foncière à l’ambition régulatrice de la gouvernance des sols », Urbanisme, août 2022.
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[5]
Réellement urbanisable, car ouvrir des zones à l’urbanisation dans des territoires où la demande est très faible ne change pas grand-chose…
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[6]
É. Wasmer et A. Trannoy, Le grand retour de la terre dans les patrimoines : et pourquoi c’est une bonne nouvelle !, Paris, France, Odile Jacob, 2022.
- [7]
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[8]
M. Vanier, « 28 scénarios de prospective territoriale pour la France : relecture transversale », L’Information géographique, vol. 79, n° 2, Armand Colin, 2015, p. 79-91.