Notes
- [1]
- [2]
-
[3]
J. Rancière, La mésentente. Politique et esthétique, Paris, Galilée, 1995, p. 143.
-
[4]
E. Zaccai, « Over Two Decades in Pursuit of Sustainable Development: Influence, Transformation, Limits », Environmental Development, 1 (1), 2012, p. 79-90.
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[5]
Ph. Hamman, « Definitions and Redefinitions of Urban Sustainability. A Bibliometric Approach », Urban Environment, 11, 2017, https://journals.openedition.org/eue/1540.
-
[6]
Terme usité dans l’action des DREAL et au sein de l’Éducation nationale ; par exemple : https://www.ac-amiens.fr/article/l-education-au-developpement-durable-121715.
-
[7]
Ph. Hamman, Gouvernance et développement durable. Une mise en perspective sociologique, Paris, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2019.
-
[8]
M. Mangold, « La maison individuelle "durable", une écologie de "bonne conscience" ? », Sciences de la société, 98, 2017, p. 110-125.
-
[9]
J. Cacciari, R. Dodier, P. Fournier, G. Gallenga, A. Lamanthe, « Observer la transition énergétique "par le bas". L’exemple des acteurs du bassin minier de Provence », Métropolitiques, 15 janvier 2014, http://www.metropolitiques.eu/Observer-la-transition-energetique.html.
-
[10]
Voir le site Transition France : http://www.entransition.fr/.
-
[11]
H. Marchal, J.-M. Stébé, La France périurbaine, Paris, Presses universitaires de France, 2018, p. 64-65.
-
[12]
Ph. Hamman, Les coopératives énergétiques citoyennes, paradoxe de la transition énergétique ?, Lormont, Le Bord de l’eau, 2022.
1 Suite à la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française, un nouveau Gouvernement a été annoncé le 20 mai 2022 [1]. Il a pour particularité de scinder un ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et un ministère de la Transition énergétique – même si la communication officielle sur Internet les rassemble et les présente œuvrer de concert à « élabore[r] et mett[re] en œuvre la politique du gouvernement dans tous les domaines liés à l’écologie, la transition énergétique et à la protection de la biodiversité » [2].
2 Il ne s’agit pas ici de commenter les changements successifs de dénomination depuis la création d’un ministère de l’Environnement en France en 1971. Mais un double constat s’impose. Premièrement, la labilité s’accroit depuis une quinzaine d’années, avec schématiquement une évolution sémantique de l’environnement vers la durabilité puis la transition : en 2007, est affirmé un ministère de l’Écologie et du Développement durable, qui devient en 2012 ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, puis en 2016 ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, avant d’être rebaptisé en 2017 ministère de la Transition écologique et solidaire, et en 2020 ministère de la Transition écologique. La labellisation des questions environnementales n’est pas anecdotique. Elle témoigne certes d’abord de mises en mots qui s’imposent sur les agendas internationaux et nationaux, mais aussi d’un balancement permanent entre l’affirmation d’un domaine d’action et son importance (protection de l’environnement, écologie, nature, biodiversité… ou énergie) versus le souci de ne pas s’en tenir à des démarches sectorielles et de favoriser la transversalité (durabilité, transition… qui renvoient autant à des enjeux économiques et sociaux).
3 Ceci conduit au second constat : la formule « bi-ministérielle » retenue en mai 2022 a un caractère nouveau depuis 2012 dans l’affirmation de deux champs de la transition, à la fois reliés entre eux et affichés dans leur autonomie, afin de mettre en œuvre le projet gouvernemental d’une Planification écologique et énergétique. Qu’en penser du point de vue d’une sociologie de l’action publique ?
4 L’agir « durable » ou « éco-conscient » est fréquemment présenté sous l’a priori de la « politique du consensus », mis à jour par Jacques Rancière [3]. Comment ne pas abonder à une conciliation entre le développement économique et l’avenir de la planète, menacée par la dérégulation climatique et d’autres risques globaux (tsunamis, inondations, sécheresses, catastrophes nucléaires…) ? On a pu analyser ainsi le succès du registre du développement durable, consacré par le Rapport Brundtland des Nations unies publié en 1987, et qui s’est largement diffusé par la suite tant au niveau international que national puis local [4]. Pour autant, certains y voient désormais un concept contingent, dont la portée pratique a été vérifiée durant les décennies 1990 et 2000 à travers la transformation des référentiels de politique publique en Europe, mais dont la crise financière mondiale de 2007-2008 a souligné les limites et les contradictions [5]. La croissance économique demeure le leitmotiv des principales institutions internationales tout comme de la plupart des États ; et, sur le plan environnemental, il est d’abord question de produire des innovations technologiques sans changer de modèle.
5 Dans ce contexte, l’énoncé de la transition s’est progressivement imposé. Ce registre prend ses distances avec toute lecture « catastrophiste » de la crise écologique : la « transition vers » exprime qu’il existe des solutions en vue. En même temps, il s’agit d’un référentiel planificateur – ce qui correspond au discours du nouveau Gouvernement –, voire normatif – ce qui fait lien avec la durabilité comme projet de société. Concrètement, il y a à la fois un appel au citoyen actif (que chacun s’engage à son niveau) et un discours de normalisation portant sur la sphère « privée » (consommer des produits de saison, prendre une douche plutôt qu’un bain, etc.), où il en va d’une « éducation au développement durable » [6], soit la métaphore de l’enfant qu’on éduque. Autrement dit, il faut rendre actif le citoyen lambda mais aussi le cadrer – enjeu de gouverne s’il en est [7].
6 De là ressort une dimension procédurale lorsqu’on parle de transition, à savoir l’organisation et la gouvernance du changement. Ce positionnement dans une dialectique adaptation/rupture est marqué par une dialectique entre des transactions de continuité (par exemple, construire des véhicules à moteurs « hybrides », ou limiter la vitesse en ville sans remettre en cause la circulation automobile, etc.) versus des transactions de rupture (par exemple, favoriser le vélo ou la marche en ville, renoncer à prendre l’avion ou à certains aliments, etc.). Ceci souligne la place du social (et de son acceptabilité : on l’a vu avec le mouvement de contestation des « Gilets jaunes »), et non pas une simple technicité (substituer une technologie à une autre en termes d’efficience accrue).
7 C’est dire que les transitions écologique et énergétique vont de pair ; il n’y a pas un ministère sociétal et un ministère technique. On assiste aujourd’hui à un processus de « carbonisation » de la transition – une stratégie nationale bas carbone a été publiée en 2015 – qui se concrétise notamment dans le secteur du logement. Tant parmi les acteurs de l’offre (architectes, constructeurs, artisans, promoteurs…) que les acquéreurs, les qualifications sont souvent celles de maisons « performantes », « passives », garantissant un confort thermique hiver comme été. Ces mises en catégories traduisent aussi potentiellement une « écologie de bonne conscience » pour qui peut se le permettre financièrement [8]. Pour être réelle, la transition énergétique se lit comme « un ensemble de changements attendus dans les manières à la fois de produire, de consommer et de penser l’énergie » [9], triptyque qui vaut autant dans la transition écologique.
8 Si distinction il y a, c’est plutôt à travers la coexistence de deux lectures de la gouvernance de la transition, qu’il s’agit d’associer. D’une part, on repère une dimension normative top-down, autour d’un scénario organisé « d’en haut », censé conduire d’un état A vers un état B jugé plus favorable. Ce scénario est piloté par les États et les acteurs publics via un certain nombre d’instruments : fiscalité et aides incitatives (primes pour la rénovation du logement, l’achat d’un véhicule moins polluant ou d’un nouveau système de chauffage…), édiction de normes (réglementation thermique dans le bâti…) et de labels (ÉcoQuartier…). D’autre part, s’est développé depuis 2006 le mouvement bottom-up des villes en transition (transition towns), qui en appelle à une économie locale durable et sobre avec une dimension d’engagement citoyen [10].
9 Paradoxalement, c’est peut-être ce dernier plan qui vient légitimer de façon « réaliste » l’organisation à deux têtes ouverte en 2022 : la mise en responsabilité de la transition ne saurait se lire « en bloc » comme un processus unique. Les exemples ne manquent pas pour l’attester. On peut penser aux classes intellectuelles et supérieures qui abandonnent la voiture en ville plus facilement que les classes populaires et moyennes en périurbain, tout en s’offrant davantage que ces dernières des voyages en avion [11] ; comme aux adhérents de coopératives énergétiques citoyennes, dont une partie peut y voir un geste actif pour réduire la dépendance aux énergies fossiles, sans nécessaire corrélation toutefois avec leur mode de vie en matière d’alimentation ou de déplacements [12]. Il n’y a jamais de lien mécanique simple et, en tant que marqueur politique, les découpages de l’appareil d’État et leurs priorisations peuvent traduire cet encastrement dans la complexité du social.
10 En ce sens, suivant une double dynamique verticale et horizontale, la transition écologique et énergétique se concrétise à mesure de ses incarnations territorialisées, dont la « cohésion » gagne à être un objectif transversal d’opérationnalisation et non tant l’affaire d’un des deux ministères plus que l’autre.
Date de mise en ligne : 28/09/2022.
Notes
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[3]
J. Rancière, La mésentente. Politique et esthétique, Paris, Galilée, 1995, p. 143.
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[4]
E. Zaccai, « Over Two Decades in Pursuit of Sustainable Development: Influence, Transformation, Limits », Environmental Development, 1 (1), 2012, p. 79-90.
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[5]
Ph. Hamman, « Definitions and Redefinitions of Urban Sustainability. A Bibliometric Approach », Urban Environment, 11, 2017, https://journals.openedition.org/eue/1540.
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[6]
Terme usité dans l’action des DREAL et au sein de l’Éducation nationale ; par exemple : https://www.ac-amiens.fr/article/l-education-au-developpement-durable-121715.
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[7]
Ph. Hamman, Gouvernance et développement durable. Une mise en perspective sociologique, Paris, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2019.
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[8]
M. Mangold, « La maison individuelle "durable", une écologie de "bonne conscience" ? », Sciences de la société, 98, 2017, p. 110-125.
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[9]
J. Cacciari, R. Dodier, P. Fournier, G. Gallenga, A. Lamanthe, « Observer la transition énergétique "par le bas". L’exemple des acteurs du bassin minier de Provence », Métropolitiques, 15 janvier 2014, http://www.metropolitiques.eu/Observer-la-transition-energetique.html.
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[10]
Voir le site Transition France : http://www.entransition.fr/.
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[11]
H. Marchal, J.-M. Stébé, La France périurbaine, Paris, Presses universitaires de France, 2018, p. 64-65.
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[12]
Ph. Hamman, Les coopératives énergétiques citoyennes, paradoxe de la transition énergétique ?, Lormont, Le Bord de l’eau, 2022.