Couverture de RJE_174

Article de revue

Regards sur les émissions de gaz à effet de serre dans le mécanisme de compensation écologique

Pages 671 à 680

Notes

  • [1]
    Art. 1er, loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, JO du 1er janvier 1997, p. 11.
  • [2]
    Art. 4, Accord de Paris, v. not. M. Torre-Schaub, S. Lavorel, M. Moliner-Dubost et C. Cournil, (dir.), Quel(s) droit(s) pour les changements climatiques ? Actes du Colloque du Réseau Droit et Changement Climatique du 31 mars 2017, Université Paris 1, Paris, Mare et Martin, à paraître fin 2017.
  • [3]
    Art. L. 220-2 C. env.
  • [4]
    M. Moliner, Le droit face à la pollution atmosphérique et aux changements climatiques, thèse, Lyon 3, 2001.
  • [5]
    M. Moliner-Dubost, « Action sur les émissions. Instruments sectoriels », Jcl. Environnement et Développement durable, fasc. 3350.
  • [6]
    Exprimées en tonnes d’équivalent CO2, mais correspondant à l’ensemble des émissions de GES.
  • [7]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit de l’urbanisme et de l’environnement, t. 11, 2015, p. 33.
  • [8]
    S. C. Aykut, « Gouverner le climat, construire l’Europe : l’histoire de la création d’un marché du carbone », Critique internationale 2014/1, p. 39-55.
  • [9]
    M. Lemoine-Schonne, « La flexibilité de l’Accord de Paris sur les changements climatiques », RJE 2016/1, p. 48.
  • [10]
    Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, JO L 275 du 25 octobre 2003, p. 32-46 ; art. L. 229-5 et s. et art. R. 229-5 et s. C. env.
  • [11]
    Art. L. 229-5 et R. 229-5 C. env.
  • [12]
    C. Tronquet, J. Grimault, C. Foucherot, Projet VOCAL. Potentiel et déterminants de la demande volontaire en crédits carbone en France, I4CE, Étude Climat, janvier 2017.
  • [13]
    GIEC, R. K. Pachauri, A. Reisinger, (dir.), Changements Climatiques 2014 : Rapport de Synthèse, GIEC, 2014, http://www.ipcc.ch.
  • [14]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., p. 33.
  • [15]
    Art. L. 110-1 C. env.
  • [16]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité : de l’utilité technique d’un dispositif éthiquement contestable », RDI 2016, p. 586.
  • [17]
    Art. L. 110-1 I C. env.
  • [18]
    É. Naim-Gesbert, Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement. Contribution à l’étude des rapports de la science et du droit, Bruylant, VUB Press, 1999, p. 223.
  • [19]
    I. De Los Rios, « Les mesures réelles en droit de l’environnement », in Pour un droit commun de l’environnement : mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, 2007, p. 1571.
  • [20]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., p. 33.
  • [21]
    MEDDTL, Doctrine relative à la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel, mai 2012, 8 p., complétée par CGCC, Lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels, MEDDE, oct. 2013, 230 p. Elles ne portaient que sur « les milieux naturels terrestres, aquatiques et marins ».
  • [22]
    Art. L. 163-1 C. env.
  • [23]
    M.-A. Hermitte, « Le droit et la vision biologique du monde », in A. Roger, F. Guery (dir.), Maîtres et protecteurs de la nature, Champs Vallon, coll. Milieux, 1991, spéc. p. 85-86.
  • [24]
    Art. L. 163-1 I C. env.
  • [25]
    N. de Sadeleer, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 126.
  • [26]
    Art. L. 110-1 II C. env.
  • [27]
    Art. L. 122-1 III, respectivement 2° et 3° C. env.
  • [28]
    Art. R. 122-5 C. env.
  • [29]
    Art. L. 122-1 et suiv. C. env.
  • [30]
    CAA Lyon, 1re ch., 13 juin 2017, n° 16LY02269.
  • [31]
    CAA Paris, 1re ch., 10 juin 2014, n° 13PA01470, 13PA01559.
  • [32]
    S. Renard, L’ordre public sanitaire, étude de droit public interne, thèse, Rennes 1, 2008.
  • [33]
    Cette première recherche est réalisée dans le cadre du projet de recherches en cours Les dynamiques du contentieux climatique, dir. M. Torre-Schaub, dans le cadre de la Mission Droit et Justice 2017-2019.
  • [34]
    Art. L. 110-1 2° C. env.
  • [35]
    A. C. Pigou, The economics of welfare, Londres, MacMillan, 4e éd., 1932, 837 p.
  • [36]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., spé. p. 66-69.
  • [37]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, ibid., p. 67.
  • [38]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, ibid.
  • [39]
    F.-G. Trébulle, « Les titres environnementaux », RJE 2011/2, p. 203-226.
  • [40]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, ibid., p. 79.
  • [41]
    Art. L. 229-15 I C. env.
  • [42]
    Art. L. 229-5 et s. et R. 229-5 et s. C. env.
  • [43]
    Arrêté du 7 janvier 2013 relatif aux modes de calcul de l’affectation des quotas d’émission de gaz à effet de serre, JO du 11 janvier 2013, p. 855.
  • [44]
    Art. L. 229-15 C. env. ; à défaut de procéder à la restitution à l’identique, l’exploitant s’expose aux sanctions prévues à l’article L. 229-18 II C. env.
  • [45]
    Art. L. 229-14 I C. env.
  • [46]
    S. Aykut, A. Dahan, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Presses de Sciences Po, coll. Références, 2015, 752 p.
  • [47]
    C. Tronquet, J. Grimault, C. Foucherot, Projet VOCAL. Potentiel et déterminants de la demande volontaire en crédits carbone en France, I4CE, Étude Climat, janvier 2017.
  • [48]
    Art. L. 136-1 C. env.
  • [49]
    Art. L. 229-7 C. env.
  • [50]
    Art. L. 163-1 C. env.
  • [51]
    Art. L. 163-1 II C. env.
  • [52]
    G.-J. Martin, « La compensation écologique : de la clandestinité honteuse à l’affichage mal assumé », RJE 2016/4, p. 611.
  • [53]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op.cit., p. 411.
  • [54]
    M. Moliner-Dubost, « Action sur les émissions. Instruments sectoriels », op. cit.
  • [55]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., p. 537-538.
  • [56]
  • [57]
    Art. L. 221-1 et s. C. énergie.
  • [58]
    Cf. par exemple le projet d’extension de l’aéroport de Vienne-Schwechat.
  • [59]
    M. Torre-Schaub, « La justice climatique, À propos du jugement de la Cour de district de La Haye du 24 juin 2015 », RIDC, 4/2016, n° 3, p. 699.
  • [60]
    E. Gaillard, Générations futures et droit privé, vers un droit des générations futures, LGDJ, coll. Thèses, 2011, p. 218.

1La protection de la qualité de l’air ne relève pas seulement du droit à respirer un air sain [1] mais elle intègre le régime juridique du climat, fondé sur l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), voire de « neutralité carbone » [2], laissant aux États le choix des moyens pour atteindre cet objectif. En effet, les émissions de GES sont des sources de pollution de l’air, cette dernière étant notamment définie comme la pollution de nature à influer sur les changements climatiques [3].

2Comme l’avait déjà mis en lumière M. Moliner-Dubost [4], « la problématique des changements climatiques excède celle de la pollution atmosphérique, ce qui explique sans doute la distinction souvent opérée entre polluants atmosphériques et GES et, subséquemment, entre lutte contre les changements climatiques et lutte contre la pollution atmosphérique » [5].

3Cette distinction sur les finalités de la protection se retrouve dans le régime juridique de la compensation écologique, déterminée par son objet – la protection de la biodiversité, qui semble ne pas inclure la compensation carbone [6], alors même que la protection de la qualité de l’air relève de la protection du climat autant que de la protection de la biodiversité et de la santé publique.

4La compensation carbone se présente en deux mécanismes distincts, la compensation obligatoire et la compensation volontaire, reposant sur un même principe, « celui d’offrir une contrepartie aux émissions de GES par une réduction directe ou indirecte de même nature » [7]. La compensation réglementée est le produit [8] de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992 et du Protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 ainsi que, désormais, de l’Accord de Paris. M. Lemoine-Schonne le souligne, « les mécanismes de compensation des émissions de carbone à l’échelle internationale présents dans le Protocole de Kyoto, appelés “mécanisme de flexibilité”, ont été reconduits dans l’Accord de Paris sous l’intitulé : “mécanisme de développement durable” » [9]. En l’état actuel du droit, il s’agit des mécanismes de mise en œuvre conjointe (MOC), mécanismes pour un développement propre (MDP) et le marché des droits d’émission de GES, ce dernier ayant été organisé, en Europe, par le système européen d’échange de quotas d’émission de GES [10]. La soumission à ces compensations obligatoires ne vaut que pour une partie des opérateurs émettant des GES [11].

5La compensation volontaire permet à tout à chacun, particuliers, collectivités territoriales, entreprises, de compenser, par une diversité de moyens, les émissions de GES issues de son activité. Le cadre est souple tant sur les modes de réduction de GES offerts que dans la procédure à suivre. « La compensation se concrétise à travers l’achat de crédits carbone certifiant la réduction ou la séquestration de tonnes de GES. » [12]

6Dès lors, le champ d’application de la compensation carbone est relativement restreint, limité aux obligés d’un côté, et aux bonnes intentions de l’autre. Or, ce mécanisme de réduction des émissions de GES, déterminant pour la stabilité du climat et donc pour la protection de l’environnement [13], ne semble pas être véritablement pris en compte par la compensation écologique. Elle se caractérise par un lien fort avec le territoire concerné dès lors qu’elle vise à compenser les effets préjudiciables propres à un aménagement ou à un programme, ce qui limite l’introduction, en son sein, d’une compensation des émissions de GES, dont l’attache territoriale n’est pas matérialisée (I). Il peut pourtant pleinement intégrer celle organisée par le législateur, intensifiant les outils de lutte contre le changement climatique (II).

I – La complexité apparente de l’introduction des émissions de GES dans l’objet de la compensation écologique

7La compensation écologique revêt des formes multiples, « destiné[e]s à rétablir un équilibre donné » [14]. La compensation carbone répond à des principes similaires à ceux de la compensation écologique, mais n’est pas pleinement intégrée à son mécanisme de détermination, l’étude d’impact (B), car elle demeure attachée à une conception territoriale de la protection de l’environnement (A).

A – L’objet de la compensation écologique : une biodiversité territorialisée

8Les mesures de compensation écologique ont pour objet de compenser les atteintes à la biodiversité. Cette dernière se définit comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants. » [15]

9La Professeure A. Van Lang le soulignait, « l’approche retenue par le législateur se veut dynamique, insistant sur la complexité du fonctionnement des éléments naturels », l’attention du droit de l’environnement se concentrant « désormais à préserver l’intégralité du vivant et des milieux naturels, selon une conception écosystémique de l’environnement » [16]. Dès lors, l’air, parce qu’il est nécessaire à la survie du vivant et que sa qualité relève du patrimoine commun [17], appartient à cette biodiversité dont les atteintes doivent être compensées.

10Malgré la prévalence accordée par le législateur au terme écologique[18], on observe, dans le cas des compensations écologiques, une certaine déconnexion entre les mesures de protection de l’environnement et les mesures de lutte contre le changement climatique.

11La conception des mesures de compensation écologique ne permet pas d’intégrer les éléments immatériels tels que l’air. Ce sont des « mesures réelles », ayant « des répercussions directes sur l’élément à l’origine de l’atteinte » [19]. Les modes de compensation écologique, « quels qu’ils soient, sont invariablement mis en œuvre afin de répondre à une atteinte matérielle aux écosystèmes et aux habitats » [20]. Les lignes directrices du ministère relatives à la séquence « Éviter, Réduire, Compenser » [21] (ERC), puis les modalités de compensation définies par le législateur, renforcent ce constat.

12Si leur détermination est laissée au libre choix de l’opérateur, l’obligation réglementaire de compensation impose le respect d’une équivalence écologique effective pendant toute la durée des atteintes et d’être réalisée « en priorité sur le site endommagé ou, en tout état de cause, à proximité de celui-ci » [22]. Se dessine alors une nature matérielle, visible, tangible. La compensation écologique entend travailler sur un territoire donné, délimité. L’immatérialité de l’air, sa grande fongibilité, son caractère inépuisable freinent son introduction effective comme élément de la biodiversité dont les atteintes doivent être compensées [23], y compris celles réalisées par des personnes qui ne sont pas soumises au système de compensation carbone obligatoire.

13La matérialité des mesures semble distinguer la protection de la biodiversité de celle de l’air, et donc du climat, comme si la protection de l’un n’emportait pas la protection de l’autre, et cela est particulièrement visible dans le cadre des études d’impact.

B – La poursuite d’une vision territoriale de la biodiversité, l’absence de la problématique du climat dans les études d’impact

14Les études d’impact sont le vecteur classique de la compensation [24], parce que c’est l’« une des manifestations les plus éclatantes » [25] du principe de prévention sur lequel repose le mécanisme de compensation écologique [26].

15L’étude d’impact doit comporter une évaluation des incidences sur l’environnement, distinguant la biodiversité des terres, de l’air et du climat [27]. Elle doit contenir une description du projet et des incidences notables qu’il est susceptible d’avoir sur le climat [28]. À la suite de cette évaluation des impacts, l’opérateur doit déterminer les mesures de compensation qu’il entend mettre en œuvre pour compenser les atteintes résiduelles, celles qu’il n’a pu ni éviter ni réduire.

16La prise en compte des incidences sur le climat est limitée par l’exigence du caractère « notable » [29]. L’exigence d’un seuil prend le dessus sur la compensation, fixant une règle abstraite de prise en compte d’un dommage. Si le seuil n’est pas dépassé, alors la compensation n’a pas lieu d’être. En dehors des cas où la compensation de ces dommages est effectuée par le mécanisme de compensation carbone obligatoire, puisque le champ de l’étude d’impact s’applique à lui au regard des installations concernées, les émissions ne relevant pas de ce régime ne sont pas prises en compte par le mécanisme de la compensation écologique.

17Pour exemple, dans le cadre du contrôle de la légalité d’une déclaration d’utilité publique précédant la réalisation d’un boulevard urbain, la Cour administrative d’appel de Lyon souligne que l’étude d’impact prend en compte « les risques et les dangers liés à la pollution de l’air générée par le trafic automobile qui utilisera notamment le tronçon […] projeté […] que si l’augmentation des ratios d’exposition aux différents dangers liés à cette pollution en oxyde d’azote est relevée, les expositions à ces risques restent cependant inférieurs au seuil de référence ; que concernant les dangers liés aux particules (M 10), ce ratio demeure constant par rapport à la situation existante et à l’évolution du risque à l’horizon 2030 avec ou sans [le tronçon] ». Dès lors, « eu égard à l’importance du projet ainsi qu’aux précautions qui l’accompagnent, notamment en ce qui concerne la pollution de l’air et les nuisances sonores, les inconvénients qu’il comporte, […], ne peuvent être regardés comme excessifs et de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique » [30].

18La réduction des émissions de GES par rapport à la situation existante peut être également mobilisée pour justifier de l’utilité d’un projet. Ce n’est donc pas une mesure de compensation des émissions résiduelles mais un argument présenté au soutien du projet. Dans le contentieux de l’aménagement des berges de la Seine, le juge d’appel reprend les éléments de l’étude d’impact qui expose en ce sens que les émissions de GES « seront en régression, par rapport à la situation antérieure, par l’effet de la diminution significative du trafic routier sur les voies sur berges et que, de même, les concentrations, dans l’air ambiant, de polluants de type dioxyde d’azote et de dioxyde de soufre notamment, vont diminuer et qu’ainsi la qualité globale de l’air ambiant respiré par les populations devrait s’améliorer » [31]. La distinction est nette, mais artificielle, entre des polluants se rattachant à la problématique des émissions GES et d’autres, pourtant les mêmes, à celle de la santé publique [32] sans qu’apparaissent la question climatique.

19Agissant sur le changement climatique, les émissions de GES impliquent une distinction entre le territoire émetteur de GES et le territoire récepteur des effets climatiques là où la compensation écologique défend une approche territorialisée [33]. Pourtant, ces deux mécanismes répondent aux mêmes critères d’action et permettraient d’accentuer l’intégration de la question climatique en droit positif.

II – Réflexions sur une meilleure articulation des compensations carbone et ecologique en soutien à la lutte contre le changement climatique

20Si l’objet de la compensation ne semble pas être le même, distinguant artificiellement les atteintes à la biodiversité et les atteintes au climat, les compensations écologique et carbone répondent pourtant aux mêmes fondements (A). Cette similarité permet aux deux mécanismes de s’articuler, la compensation carbone pouvant sortir renforcée d’une intégration dans la compensation écologique (B).

A – Les principes fondateurs similaires des mesures de compensation écologique et de compensation carbone

21Le législateur de 2016 a défini la compensation écologique comme un mécanisme relevant du principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement [34]. Traditionnellement, les mécanismes de compensation carbone ont pour fondement le principe pollueur-payeur [35]. Les fondements semblent donc s’opposer. Toutefois, la prévention comme fondement de la compensation ne fait pas l’unanimité. Ainsi, pour M. Lucas, si le principe de prévention est bien au fondement des études d’impact, cela n’implique pas sa transmission, quasi-filiale, aux compensations écologiques [36].

22Prise dans son ensemble, la séquence ERC relève du principe de prévention, mais chacune des étapes dispose d’un gradient d’expressivité laissant aux deux premières le rôle d’assurer l’effectivité de la prévention des atteintes à l’environnement [37]. Pour les mesures de compensation, le degré de prévention est faible, elles « ne sauraient présenter un caractère préventif dans la mesure où le dommage est déjà survenu sans qu’il soit encore possible d’enrayer son extension » [38]. Elles n’ont pas pour but de prévenir la réalisation du dommage mais d’en pallier les effets préjudiciables. Les mesures compensatoires ne corrigent donc pas à la source les effets préjudiciables. Elles confirment simplement lesquelles des conséquences environnementales du projet sont jugées acceptables par la communauté. On retrouve à nouveau l’idée du seuil. Les mesures de compensation carbone sont, dans leur ensemble, des titres [39] correspondant au volume de gaz évité par un acteur dont un autre peut bénéficier pour compenser ses émissions de GES.

23M. Lucas poursuit : les mesures compensatoires « peuvent être considérées comme une application du principe pollueur-payeur » [40], en incluant le coût de la prise en compte des impacts résiduels futurs dans la détermination des conséquences environnementales supportables par la communauté. En ce sens, par exemple, les compensations du type des quotas de GES ne font que matérialiser, pour des activités données, à un moment donné, la tolérance de l’émission d’un seuil de GES [41]. Chaque installation industrielle intégrée dans ce mécanisme [42] doit disposer d’une autorisation administrative nationale d’émettre des GES, autorisation conditionnée à sa capacité à mesurer ses émissions. Une fois cette autorisation délivrée, elle se voit assigner un nombre de quotas annuels d’émission par l’autorité administrative compétente [43]. Le coût climatique des émissions de GES supporté par la collectivité est pris en charge par l’agent pollueur.

24Les mécanismes de compensation carbone sont fondés sur une logique incitative.Dans le cas des quotas, dès lors que l’installation industrielle dépasse sa limite d’autorisation d’émission, elle ne dispose plus des quotas suffisants pour couvrir ses émissions. Elle sera dans l’obligation d’acquérir la différence sur le marché à des exploitants d’installations obligés ayant émis moins de GES que prévu, disposant donc d’un surplus de quota [44]. Seule la réduction en amont de ses émissions permet d’éviter ce surcoût. De plus, chaque restitution de quotas s’accompagne de mesures de retrait d’un certain nombre d’autorisations par les autorités nationales, tous les quotas supplémentaires restitués étant annulés [45]. L’effet incitatif de la compensation écologique, présent notamment grâce au principe d’équivalence, est donc bien inscrit dans le cadre de la compensation carbone fondé sur le marché.

B – L’introduction des émissions de GES dans le mécanisme législatif de la compensation écologique

25La compensation carbone reste peu sollicitée car elle demeure enfermée, pour sa part obligatoire, dans des règles très strictes établies au prix de compromis divers [46]. Le mécanisme volontaire est, lui, largement sous-utilisé, notamment par les acteurs publics ou les particuliers [47]. La compensation carbone pourrait davantage s’articuler avec la compensation écologique afin de renforcer les moyens de lutte contre le changement climatique.

26La compensation écologique répond à l’impératif d’équivalence écologique [48] qui présuppose une certaine fongibilité des éléments atteints. Les compensations carbone sont par nature fongibles. Le quota est ainsi une « unité de compte représentative de l’émission de l’équivalent d’une tonne de dioxyde de carbone. » [49]

27Le principe d’équivalence est complété par le principe de proximité [50] qui semble alors éloigner la compensation carbone de la sphère de la compensation écologique, en distinguant la compensation quantitative de la compensation qualitative. La traçabilité des émissions de GES n’est que fictivement assurée par l’équivalent CO2, mais n’a pas d’attache territoriale ou personnelle autre que celle de correspondre au seuil d’émission déterminé par l’État. La pollution de l’air peut effectivement être ressentie localement, mais le phénomène du changement climatique produit par l’émission de GES est global et les zones impactées ne sont pas nécessairement les zones d’émission. Pour autant, ce principe de proximité est souple, dès lors, notamment, que le législateur autorise le recours au marché d’unité de compensation auprès d’un site naturel de compensation [51], les unités de compensation traduisant, en titre, la valeur écologique générée par un site [52]. Ce mécanisme est très proche de ce qui est mis en place pour la compensation carbone, comme par exemple les projets REDD+ (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation).

28Certes, la « compensation n’aurait véritablement de sens qu’à la condition de remplacer ce qui a disparu par une chose, non seulement de même valeur, mais aussi de même nature. La compensation d’un impact négatif sur le milieu naturel ne peut qu’être écologique » [53]. Mais dans le cas de la compensation carbone, la réduction du nombre de quotas délivrés comme la mise sur le marché de quotas non utilisés, l’attribution d’unités de réduction certifiée des émissions (mécanisme MDP) ou d’unités de réduction des émissions de carbone (mécanisme MOC), matérialise la réalisation de mesures concrètes de réduction des émissions de GES par d’autres acteurs que le pollueur. La compensation « écologique » est donc assurée indirectement, soit par la mise en œuvre de moyens technologiques, soit, par exemple, par la réalisation d’actions en faveur de la séquestration du carbone.

29La lutte contre le changement climatique mérite « une approche intégrée, impliquant non plus seulement de concilier la protection de l’atmosphère et du climat avec les objectifs potentiellement antagonistes des autres politiques (transports, urbanisme, énergie à titre principal) mais aussi de mettre ces politiques au service de cette protection » [54]. Face à l’urgence climatique, le véritable enjeu est d’impliquer l’ensemble des opérateurs émetteurs de GES.

30L’idée pourrait être de s’appuyer sur la compensation écologique telle que définie par le Code de l’environnement, puisque la compensation carbone ne s’oppose pas à ses modalités.

31Rejoignant les propositions de M. Lucas [55], une mutualisation des mesures de compensation carbone et écologique au sein des instruments de planification est envisageable, d’autant qu’ils sont désormais chargés de transcrire au niveau local les objectifs de réduction des émissions de GES (SRADDET, PCAET, etc.). Un marché s’inscrirait donc dans un plan local. En prenant appui sur les systèmes de compensation volontaires déjà existants [56], ou sur le mécanisme des certificats d’économie d’énergie [57], il serait envisageable de permettre à un maître d’ouvrage soucieux de valoriser ses mesures d’évitement des émissions de GES effectuées par la délivrance de certificats de compensation, valorisable auprès d’autres acteurs, publics ou privés, du territoire. Ces certificats pourraient, par exemple, servir à une collectivité territoriale pour matérialiser les résultats des actions en faveur de la réduction des émissions de GES.

32L’implication du niveau local dans la lutte contre le changement climatique doit se diversifier, notamment quant à la responsabilité de la limitation des émissions de GES. D’ailleurs, certains contentieux étrangers fondés notamment sur l’accroissement des émissions de GES de certains projets d’infrastructures, tel un aéroport [58], et l’invocabilité d’une obligation de diligence [59] amènent à se repositionner par rapport à la thèse défendue par M. Lucas : voir dans les compensations écologiques l’expression du concept de patrimoine commun de l’humanité. Bien plus que d’une logique de prévention, il s’agirait, dans ces compensations écologiques et climatiques, « au nom de la solidarité transgénérationelle et transpatiale » [60], de soutenir la lutte contre le dérèglement climatique en assurant la continuité du patrimoine écologique.

Notes

  • [1]
    Art. 1er, loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, JO du 1er janvier 1997, p. 11.
  • [2]
    Art. 4, Accord de Paris, v. not. M. Torre-Schaub, S. Lavorel, M. Moliner-Dubost et C. Cournil, (dir.), Quel(s) droit(s) pour les changements climatiques ? Actes du Colloque du Réseau Droit et Changement Climatique du 31 mars 2017, Université Paris 1, Paris, Mare et Martin, à paraître fin 2017.
  • [3]
    Art. L. 220-2 C. env.
  • [4]
    M. Moliner, Le droit face à la pollution atmosphérique et aux changements climatiques, thèse, Lyon 3, 2001.
  • [5]
    M. Moliner-Dubost, « Action sur les émissions. Instruments sectoriels », Jcl. Environnement et Développement durable, fasc. 3350.
  • [6]
    Exprimées en tonnes d’équivalent CO2, mais correspondant à l’ensemble des émissions de GES.
  • [7]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit de l’urbanisme et de l’environnement, t. 11, 2015, p. 33.
  • [8]
    S. C. Aykut, « Gouverner le climat, construire l’Europe : l’histoire de la création d’un marché du carbone », Critique internationale 2014/1, p. 39-55.
  • [9]
    M. Lemoine-Schonne, « La flexibilité de l’Accord de Paris sur les changements climatiques », RJE 2016/1, p. 48.
  • [10]
    Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, JO L 275 du 25 octobre 2003, p. 32-46 ; art. L. 229-5 et s. et art. R. 229-5 et s. C. env.
  • [11]
    Art. L. 229-5 et R. 229-5 C. env.
  • [12]
    C. Tronquet, J. Grimault, C. Foucherot, Projet VOCAL. Potentiel et déterminants de la demande volontaire en crédits carbone en France, I4CE, Étude Climat, janvier 2017.
  • [13]
    GIEC, R. K. Pachauri, A. Reisinger, (dir.), Changements Climatiques 2014 : Rapport de Synthèse, GIEC, 2014, http://www.ipcc.ch.
  • [14]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., p. 33.
  • [15]
    Art. L. 110-1 C. env.
  • [16]
    A. Van Lang, « La compensation des atteintes à la biodiversité : de l’utilité technique d’un dispositif éthiquement contestable », RDI 2016, p. 586.
  • [17]
    Art. L. 110-1 I C. env.
  • [18]
    É. Naim-Gesbert, Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement. Contribution à l’étude des rapports de la science et du droit, Bruylant, VUB Press, 1999, p. 223.
  • [19]
    I. De Los Rios, « Les mesures réelles en droit de l’environnement », in Pour un droit commun de l’environnement : mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Dalloz, 2007, p. 1571.
  • [20]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., p. 33.
  • [21]
    MEDDTL, Doctrine relative à la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel, mai 2012, 8 p., complétée par CGCC, Lignes directrices nationales sur la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur les milieux naturels, MEDDE, oct. 2013, 230 p. Elles ne portaient que sur « les milieux naturels terrestres, aquatiques et marins ».
  • [22]
    Art. L. 163-1 C. env.
  • [23]
    M.-A. Hermitte, « Le droit et la vision biologique du monde », in A. Roger, F. Guery (dir.), Maîtres et protecteurs de la nature, Champs Vallon, coll. Milieux, 1991, spéc. p. 85-86.
  • [24]
    Art. L. 163-1 I C. env.
  • [25]
    N. de Sadeleer, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 126.
  • [26]
    Art. L. 110-1 II C. env.
  • [27]
    Art. L. 122-1 III, respectivement 2° et 3° C. env.
  • [28]
    Art. R. 122-5 C. env.
  • [29]
    Art. L. 122-1 et suiv. C. env.
  • [30]
    CAA Lyon, 1re ch., 13 juin 2017, n° 16LY02269.
  • [31]
    CAA Paris, 1re ch., 10 juin 2014, n° 13PA01470, 13PA01559.
  • [32]
    S. Renard, L’ordre public sanitaire, étude de droit public interne, thèse, Rennes 1, 2008.
  • [33]
    Cette première recherche est réalisée dans le cadre du projet de recherches en cours Les dynamiques du contentieux climatique, dir. M. Torre-Schaub, dans le cadre de la Mission Droit et Justice 2017-2019.
  • [34]
    Art. L. 110-1 2° C. env.
  • [35]
    A. C. Pigou, The economics of welfare, Londres, MacMillan, 4e éd., 1932, 837 p.
  • [36]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., spé. p. 66-69.
  • [37]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, ibid., p. 67.
  • [38]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, ibid.
  • [39]
    F.-G. Trébulle, « Les titres environnementaux », RJE 2011/2, p. 203-226.
  • [40]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, ibid., p. 79.
  • [41]
    Art. L. 229-15 I C. env.
  • [42]
    Art. L. 229-5 et s. et R. 229-5 et s. C. env.
  • [43]
    Arrêté du 7 janvier 2013 relatif aux modes de calcul de l’affectation des quotas d’émission de gaz à effet de serre, JO du 11 janvier 2013, p. 855.
  • [44]
    Art. L. 229-15 C. env. ; à défaut de procéder à la restitution à l’identique, l’exploitant s’expose aux sanctions prévues à l’article L. 229-18 II C. env.
  • [45]
    Art. L. 229-14 I C. env.
  • [46]
    S. Aykut, A. Dahan, Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales, Presses de Sciences Po, coll. Références, 2015, 752 p.
  • [47]
    C. Tronquet, J. Grimault, C. Foucherot, Projet VOCAL. Potentiel et déterminants de la demande volontaire en crédits carbone en France, I4CE, Étude Climat, janvier 2017.
  • [48]
    Art. L. 136-1 C. env.
  • [49]
    Art. L. 229-7 C. env.
  • [50]
    Art. L. 163-1 C. env.
  • [51]
    Art. L. 163-1 II C. env.
  • [52]
    G.-J. Martin, « La compensation écologique : de la clandestinité honteuse à l’affichage mal assumé », RJE 2016/4, p. 611.
  • [53]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op.cit., p. 411.
  • [54]
    M. Moliner-Dubost, « Action sur les émissions. Instruments sectoriels », op. cit.
  • [55]
    M. Lucas, Étude juridique de la compensation écologique, op. cit., p. 537-538.
  • [56]
  • [57]
    Art. L. 221-1 et s. C. énergie.
  • [58]
    Cf. par exemple le projet d’extension de l’aéroport de Vienne-Schwechat.
  • [59]
    M. Torre-Schaub, « La justice climatique, À propos du jugement de la Cour de district de La Haye du 24 juin 2015 », RIDC, 4/2016, n° 3, p. 699.
  • [60]
    E. Gaillard, Générations futures et droit privé, vers un droit des générations futures, LGDJ, coll. Thèses, 2011, p. 218.
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