Notes
-
[1]
Centre international d’études pédagogiques (CIEP, France), Fondation Esprit Francophonie (Suisse), Maison des langues, université de Genève (Suisse).
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[2]
Voir http://www.unil.ch/files/live//sites/magicc/files/shared/Revised_Conceptual_Framework_MAGICC.pdf, consulté le 2.3.2016.
Introduction
1 Entre la mise en place du programme d’action de l’Union européenne pour la mobilité des étudiants Erasmus (European Community Action Scheme for Mobility of University Students) en 1987 et celle du programme Socrates concernant l’enseignement supérieur en 1995, la mobilité des étudiants s’est développée et ne cesse de se développer dans un contexte de mondialisation et de crise économique. Des outils permettant une plus grande transparence et une comparabilité des enseignements, comme le système des trois cycles Licence-Master-Doctorat (LMD), celui des unités capitalisables transférables ECTS ou encore le Cadre européen des certifications (CEC) sont venus ensuite renforcer le dispositif.
2 Désormais, les étudiants ont la possibilité de s’inscrire dans une université à l’ étranger et de faire reconnaître leur parcours académique. Ils peuvent donc faire valider, par exemple, une partie du programme LMD qu’ils ont suivie hors de leur université d’origine. Ils peuvent également en plus, parfois, faire valider des connaissances et des compétences acquises en langues étrangères mais cela reste soumis au bon vouloir de leur université d’origine. Que dire alors de toutes les compétences transversales et interculturelles qu’ils acquièrent non sans effort lors de leur séjour à l’ étranger ? Elles ne sont absolument pas reconnues d’autant plus qu’elles sont acquises le plus souvent dans un cadre non-formel et/ou informel. Que faudrait-il donc pour arriver à les faire reconnaître et valider ?
1. Le système existant
3 À l’heure actuelle, la validation du séjour de l’ étudiant dans une université à l’ étranger se fait grâce au système européen des unités capitalisables transférables ou European Credits Transfert System (ECTS/CTC). On pourrait donc imaginer qu’à côté des unités de valeur correspondant aux déclinaisons du programme d’études académiques proposées par les différentes branches des facultés et donnant lieu à un contrat d’études entre les universités partenaires et les étudiants, il existe d’autres unités capitalisables et transférables en relation avec l’apprentissage et/ou l’auto-apprentissage linguistique, socioculturel ou encore d’autres compétences qui sont développées par les étudiants tout au long de leur séjour de mobilité en immersion.
4 Pour ce faire, il faudrait tout d’abord identifier ces compétences spécifiques développées par l’ étudiant de mobilité.
2. Essai de définition des compétences acquises par l’ étudiant de mobilité
2.1. Le Cadre européen de référence pour les langues
5 À la suite de Kohler (2001) et de bien d’autres, on peut s’appuyer sur le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) pour tenter de définir les compétences plurilingues et pluriculturelles acquises par un étudiant au cours de son séjour dans une université partenaire. Ces compétences peuvent se diviser en deux grandes catégories : les compétences générales individuelles et les compétences à communiquer langagièrement. Dans la première catégorie, on va trouver des savoirs, des savoir-être et des savoir-apprendre, qui peuvent être contextualisés et définis dans le cadre de la mobilité universitaire. Le CECR, lui-même, donne une définition complexe du plurilinguisme lié au pluriculturalisme, qui laisse deviner combien les compétences acquises par un étudiant de mobilité sont riches et diverses :
« Il faut resituer le plurilinguisme dans le contexte du pluriculturalisme. La langue n’est pas seulement une donnée essentielle de la culture, c’est aussi un moyen d’accès aux manifestations de la culture. L’ essentiel de ce qui est énoncé ci-dessus s’applique également au domaine le plus général. Les différentes cultures (nationale, régionale, sociale) auxquelles quelqu’un a accédé ne coexistent pas simplement côte à côte dans sa compétence culturelle. Elles se comparent, s’opposent et interagissent activement pour produire une compétence pluriculturelle enrichie et intégrée dont la compétence plurilingue est l’une des composantes, elle-même interagissant avec d’autres composantes » (Conseil de l’Europe, 2001, p. 12).
7 Dans la conscience interculturelle (définie selon le CECR comme étant la compréhension entre le monde d’où l’on vient et le monde de la communauté-cible), développée inconsciemment par l’apprenant en situation de mobilité interviennent, par exemple, l’observation de l’espace, de la société d’accueil (différences socioculturelles) ou encore le fonctionnement des institutions, de l’administration. En complément de ces savoirs, on trouve également des savoir-faire (Kohler, 2001), relevant de la maîtrise procédurale des savoirs et pouvant être définis comme la capacité d’adaptation au nouveau milieu en utilisant les stratégies adéquates aux différentes situations de communication, qui sont toujours imprévisibles et ne ressemblent en rien aux simulations que l’ étudiant a pu connaître et expérimenter en classe de langues, d’où l’acquisition non-formelle de nouvelles compétences.
8 Dans la seconde grande catégorie du CECR gravitant autour des compétences à communiquer langagièrement, on trouve des composantes linguistiques, pragmatiques mais aussi sociolinguistiques. Ces dernières sont cruciales pour l’ étudiant de mobilité, qui se trouve rapidement et durablement sensibilisé aux règles d’adresse et de politesse, aux rapports intergénérationnels, aux divers statuts sociaux, aux différences de registre, aux dialectes et aux accents, dont il avait avant son départ une vague connaissance livresque voire aucune connaissance.
9 Les deux grandes catégories de compétence identifiées par le CECR caractérisent des formes de « compétences intériorisées par des acteurs sociaux » incluant une composante stratégique.
10 Les domaines dans lesquels interviennent ces compétences sont aussi bien publics que personnels, professionnels ou éducationnels, ce qui fait que l’apprenant de mobilité travaille en permanence en quatre dimensions puisque chaque compétence peut s’acquérir dans l’un des domaines mais doit être transférée avec de potentielles adaptations dans les autres. Dans chacun de ces domaines d’intervention, les lieux, moments, structures institutionnelles, acteurs, objets, événements, opérations effectuées varient selon la géométrie du cadre situationnel, ce qui fait que « les compétences se déploient en interdépendance, à l’intérieur de l’espace aussi bien privé que public, aussi bien professionnel qu’académique » (Kohler, 2001, p. 43).
11 Des savoir-être vont également jouer un rôle important dans le développement des compétences d’adaptation de l’ étudiant de mobilité, qui va souvent se trouver confronté à des situations ambigües pour lui, dans lesquelles il lui faudra déployer la qualité fondamentale de relativisation dans l’appréciation des paramètres socioculturels du pays d’accueil (Kohler, 2001, p. 47).
2.2. Le domaine interculturel et les compétences interculturelles
12 À ce stade, il parait important de revenir sur les notions de socioculturel, culture et interculturel qui composent le domaine culturel et les compétences qui lui sont attachées. Cuq donne une définition anthropologique de la compétence socioculturelle englobant les compétences linguistique et communicative :
« Si une langue est appréhendée comme un guide symbolique de la culture, et la culture comme tout ce qu’il faut savoir ou croire pour se comporter de façon appropriée aux yeux des membres d’un groupe, les concepts de compétences linguistique et communicative seront considérés comme des sous-parties d’une compétence socioculturelle. C’est cette vision anthropologique qui étaye les approches didactiques interculturelles ou l’apprentissage intégré de langues et de matières non linguistiques » (Cuq, 2003, p. 49).
14 Cette définition anthropologique des compétences semble correspondre aux savoir-faire que l’on attend d’un étudiant de mobilité et qui sont également au centre du Cadre de référence pour les approches plurielles des langues et des cultures (CARAP). Le CARAP recense quatre approches plurielles : l’approche interculturelle, l’ éveil aux langues, l’intercompréhension entre les langues parentes et la didactique intégrée des langues. Ce cadre prend appui sur le CECR et sur sa définition de la compétence plurilingue et pluriculturelle. Les auteurs du CARAP parlent d’un « arsenal de savoirs, savoir-faire et savoir-être », qui, pour les faits linguistiques et culturels en général, relèvent de l’ordre du « translinguistique », du « transculturel » et qui, pour des aptitudes acquises à propos de/dans une langue ou culture particulière pour accéder plus facilement à une autre, relèvent de l’ordre de l’inter- linguistique, interculturel. (Candelier, 2007, p. 9).
15 Les auteurs du CARAP ont également tenté de clarifier la notion de compétence qu’ils qualifient, à la suite de Crahay, de « caverne d’Ali Baba conceptuelle ». Du tour d’horizon des différentes définitions (Crahay, Allal, Rey, Le Boterf, Perrenoud) qu’ils proposent, on peut retenir qu’« une compétence comprend plusieurs connaissances mises en relation, qu’elle s’applique à une famille de situations et qu’elle est orientée vers une finalité » et que l’on peut distinguer trois degrés de compétences (Rey et al., 2002, p. 6) ;
16 – savoir exécuter une opération en réponse à un signal (compétence de premier degré) ;
17 – posséder toute une gamme de procédures de base et savoir, dans une situation inédite, choisir celle qui convient (compétence de deuxième degré) ;
18 – savoir choisir et combiner correctement plusieurs procédures de base pour traiter une situation nouvelle et complexe (compétence de troisième degré).
19 Cette hiérarchisation des compétences rappelle celle introduite par Bloom dans sa taxonomie des objectifs éducationnels : connaissance, compréhension, application, analyse, évaluation, synthèse. De cette hiérarchisation, le CARAP a retenu seulement le diptyque compétences/ressources dans lequel « les compétences sont des unités d’une certaine complexité qui font appel à différentes ressources (relevant généralement à la fois des savoir-faire, des savoirs et des savoir-être) qu’elles mobilisent » (Candelier, 2007, p. 16).
20 Pour le domaine interculturel propre à l’ étudiant de mobilité, le CARAP distingue, par exemple, la compétence à gérer la communication linguistique et culturelle en contexte d’altérité et instaure la hiérarchie suivante :
21 La compétence de résolution des conflits/obstacles/malentendus ainsi que la compétence de médiation, selon le CARAP, seraient des compétences sur lesquelles s’appuierait la compétence à gérer la communication linguistique et culturelle en contexte d’altérité, qui les engloberait toutes les deux. Outre le fait qu’il nous semble que la compétence de médiation peut elle-même englober la compétence de résolution des conflits/obstacles/malentendus, cette hiérarchisation ne repose sur aucun critère objectivable comme le reconnaissent eux-mêmes les auteurs de ce cadre :
« Manifestement, nous devons admettre que nous nous trouvons devant un continuum où toute délimitation reste partiellement arbitraire et renvoie plus à la cohérence et à la pertinence didactiques des ensembles constitués qu’à une application de critères totalement objectivables » (Candelier, p. 20).
23 Pour notre part, nous abandonnerons toute tentative de hiérarchisation entre les différentes compétences sociolinguistiques, interculturelles, transculturelles qui sont à l’œuvre chez l’ étudiant de mobilité. Nous préférons nous en tenir à la notion de domaine inter/transculturel, qui regroupe l’ensemble de ces compétences. En outre, le CARAP permet de recenser les savoirs, savoir-faire, savoir-être relatifs au domaine inter/transculturel mais ne permet pas de les évaluer. Il ne nous renseigne pas davantage sur les modes d’acquisition de ces compétences : s’acquièrent-elles dans le cadre d’un apprentissage formel, informel ou non formel ? On parlera d’un apprentissage formel dans le cas de compétences acquises dans un apprentissage structuré et organisé en termes d’objectifs, de temps et de ressources, qu’il s’agisse d’un apprentissage en présentiel, à distance ou en ligne. L’ apprentissage informel découlera, lui, des activités de la vie quotidienne liées au travail, à la famille ou aux loisirs ; il n’est ni organisé ni structuré et possède la plupart du temps un caractère non intentionnel de la part de l’apprenant. L’ apprentissage non formel sera intégré dans des activités planifiées qui ne sont pas explicitement désignées comme des activités d’apprentissage mais cet apprentissage, cette fois-ci, est intentionnel de la part de l’apprenant (glossaire « Bologna Follow-up Group », traduction française).
24 Nous nous proposons maintenant, à l’aide des éléments identifiés précédemment, c’est-à-dire les savoirs socioculturels, les savoir-faire procéduraux ainsi que les savoir-être pris dans le contexte de l’ étudiant de mobilité, de voir dans quelle mesure les compétences qui leur sont associées peuvent être décrites, exemplifiées et évaluées de façon à pouvoir prétendre à une reconnaissance sur le plan académique et/ou professionnel.
3. Les savoirs socioculturels et le projet MAGICC
25 Avant de se livrer à une description, exemplification et évaluation des savoirs spécifiques de l’ étudiant de mobilité identifiés précédemment, il parait pertinent de voir s’ils n’ont pas été décrits, exemplifiés, évalués partiellement ou complètement par des dispositifs existants.
26 Cela semble être partiellement le cas avec le projet soutenu par la Commission européenne dans le cadre du programme d’éducation et de formation tout au long de la vie intitulé « Modularisation des compétences de communication académique multiculturelle pour les niveaux BA et MA » (MAGICC).
3.1. Description, objectifs et limites du projet MAGICC
27 Le projet MAGICC s’adresse aussi bien aux étudiants et enseignants universitaires qu’aux facultés, autorités politiques et employeurs.
28 Ses objectifs sont de :
29 – décrire et conceptualiser la compétence de communication multilingue et multiculturelle pour l’ éducation supérieure ;
30 – compléter le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) du Conseil de l’Europe ;
31 – mettre à disposition des outils transnationaux pour intégrer des dimensions académiques, interculturelles et d’apprentissage tout au long de la vie dans la construction du répertoire multilingue des diplômés ;
32 – promouvoir une compréhension commune des niveaux de référence et l’harmonisation transnationale de formes d’évaluation élargies ;
33 – promouvoir la visibilité et la reconnaissance par des tiers du profil multilingue et multiculturel des étudiants.
34 De par ses objectifs de description et de conceptualisation de la dimension multiculturelle de la communication à un niveau académique, MAGICC peut nous aider à définir et conceptualiser les compétences acquises par l’ étudiant de mobilité durant son séjour d’études dans une université partenaire. Ce projet propose également plusieurs outils permettant de mieux cerner les compétences interculturelles qui nous intéressent : un cadre conceptuel, des jeux de scénarios pédagogiques, des outils de transparence, un e-portfolio académique.
3.2. Le cadre conceptuel
35 Il donne une base théorique solide au projet MAGICC en définissant les éléments qui constituent la compétence de communication académique multilingue et multiculturelle et d’apprentissage tout au long de la vie. Les auteurs du projet ont pris en compte les travaux du CECR, la taxonomie de Blum mais aussi d’autres travaux et projets comme INCA, CARAP, LANQUA, LOLIPOP, ou encore « La prise en compte des compétences plurilingue et interculturelle dans l’ évaluation » (Lenz et Berthele, 2010). Ce cadre contient des acquis de formation transnationaux communs ainsi que des critères et grilles d’évaluation correspondants en relation avec des compétences académiques, interculturelles et stratégiques. Enfin, il fournit un concept cohérent et transparent sur lequel se basent tous les résultats du projet MAGICC (scénarios pédagogiques, outils de transparence et e-portfolio académique). Tout ce qui a trait aux compétences de communication académique multiculturelle peut s’appliquer à notre étude [2].
3.3. Les jeux de scénarios pédagogiques
36 Il s’agit de dix scénarios visant à développer et évaluer les compétences de communication académiques et interculturelles et d’apprentissage tout au long de la vie au niveau BA et MA. Ils se composent d’activités et tâches novatrices comme des simulations et jeux de rôles en relation avec des contextes académiques et professionnels réels avec pour objectif l’intégration de compétences transversales clés dans les profils académiques des étudiants. Ils sont présentés avec une vue d’ensemble montrant les prérequis et les types de compétences développées dans chaque scénario.
37 A priori, ces scénarios pédagogiques, dans la mesure où ils accordent une large place à l’interculturel, pourraient intéresser notre recherche. Cependant, ces scénarios s’inscrivent tous dans une situation d’enseignement/apprentissage formelle et sont construits sur le schéma traditionnel stratégie/problème. Or, comme le note Kohler (2001, p. 54), l’ étudiant de mobilité qui se trouve ipse facto en situation d’apprentissage en immersion, est soumis à l’inversion du rapport traditionnel de l’apprentissage formel : stratégie/problème. En effet, « il faut que le problème de communication à résoudre se présente pour que l’apprenant mette en œuvre la stratégie qu’il juge appropriée à la gestion de la situation de communication », d’où un schéma inversé problème/stratégie. Ces scénarios reposant sur des simulations de communication fictive ne peuvent tenir compte de la multitude des variations d’une situation donnée que l’apprenant va rencontrer dans la réalité de l’expérience immersive. « La gestion spontanée de l’imprévisible est ainsi une des caractéristiques de la situation immersive » (Kohler, ibid.)
38 Ce que l’ étudiant de mobilité aura à mettre en œuvre est bien au-delà des compétences développées dans ces scénarios, il s’agit d’une compétence d’adaptation immédiate dans des situations imprévues avec une résistance à la déstabilisation en même temps qu’une capacité d’ouverture et d’appréciation de paramètres socioculturels dans des situations fluctuantes. Vont également intervenir à ce niveau les paramètres du savoir-être comme la réflexion, l’impulsivité, l’extraversion ou l’introversion, qui peuvent, tour à tour, aider l’ étudiant de mobilité à trouver les bonnes stratégies.
39 L’ évaluation proposée par les auteurs du projet MAGICC pour ces scénarios s’appuie sur les travaux de Byram avec les critères de respect de l’altérité, tolérance à l’ambiguïté, découverte des savoirs, empathie, souplesse du comportement et conscience communicative. Byram distingue trois niveaux de développement et de pratique des six critères énoncés ci-dessus : compétence basique, intermédiaire et approfondie. MAGICC propose une évaluation sur quatre niveaux : Inadequate, Basic, Satisfactory, Full.
40 Cependant, les limites rencontrées ici avec les situations réelles de type problème/stratégie auxquelles l’ étudiant de mobilité est confronté, se retrouveront lorsque l’on voudra évaluer ces compétences. Il sera impossible de recourir à une évaluation traditionnelle, qui nécessiterait de suivre l’ étudiant en quasi permanence afin de pouvoir rendre compte de sa capacité à gérer les multiples situations de communication interculturelle auxquelles il doit faire face. On peut alors recourir à l’ évaluation par les pairs qui côtoient au quotidien l’ étudiant, par exemple, les colocataires de l’ étudiant ou encore ses camarades de classe. On pourrait également envisager un autre type d’évaluation que l’on pourrait appeler « évaluation par les tiers », à froid ou à chaud, qui proposerait un guide d’évaluation des réactions de l’ étudiant de mobilité face, par exemple, au personnel administratif de l’université partenaire et qui serait renseigné par ce même personnel administratif. Tout reste à inventer dans ce domaine informel.
41 Si l’on ne peut recourir aux scénarios proposés par le projet MAGICC dans le cas spécifique des compétences interculturelles, notamment celles qui vont être développées dans le cadre de situations informelles, a priori non observables, on pourrait, peut-être, en revanche, utiliser le concept de l’e-portfolio permettant d’illustrer un profil multilingue et multiculturel en complète autonomie.
3.4. L’ e-portfolio académique de MAGICC
42 Selon les concepteurs, cet e-portfolio permet aux étudiants de documenter de manière compréhensible, complète et comparable au niveau international non seulement leur profil multilingue général mais aussi leurs compétences académiques et professionnelles multilingues et multiculturelles, leurs compétences interculturelles et stratégies spécifiques. Il donne aux étudiants la possibilité de réfléchir à leur propre apprentissage des langues et leurs compétences interculturelles, de planifier et de gérer leur apprentissage. Il développe ainsi la capacité d’apprendre en autonomie. C’est un outil interactif et flexible dont le contenu est créé, assemblé et mis à jour continuellement par le propriétaire. Enfin, il est construit d’après le Portfolio européen des langues (PEL) du Conseil de l’Europe et vise à augmenter la reconnaissance et la visibilité par des tiers du profil multilingue et multiculturel des étudiants, en particulier par des employeurs et permet également aux employeurs de mieux utiliser les compétences multilingues de leur personnel.
43 Dans l’ état présent de la description et des possibilités d’évaluation des compétences informelles développées par l’ étudiant de mobilité en situation d’immersion, l’ e-portfolio académique de MAGICC semblerait l’instrument le mieux adapté à un recensement parcellaire – il ne peut en être autrement actuellement – des compétences particulières en jeu dans cette adaptation permanente, qui place l’ étudiant de mobilité dans des situations d’apprentissage inédites dues à la découverte et mise en pratique de sa triple identité linguistique et culturelle : il va, en effet, progressivement se découvrir et agir en tant que locuteur et acteur natif de sa langue et culture d’origine, apprenant et acteur de la langue et de la culture de son pays d’accueil et également locuteur bi/multilingue et acteur bi/multiculturel. Cependant, Little et Simpson (2011) ont relativisé l’utilisabilité du PEL pour la compétence interculturelle :
« Si l’on considère la compétence interculturelle indépendamment de la compétence communicative, deux questions se posent par rapport au PEL. Premièrement, comment peut-on y intégrer l’auto-évaluation de la compétence interculturelle et deuxièmement, sous quelle forme les expériences interculturelles peuvent-elles figurer dans le Passeport de langues et dans la Biographie langagière ? Lors du lancement du PEL, il n’existait pas de descripteurs validés empiriquement pour les compétences interculturelles et socioculturelles des apprenants en langue (Schneider et Lenz, 2001, p. 36). Depuis, de tels descripteurs ont été développés, par exemple par le projet INCA (www.incaproject.org). Il convient de noter cependant qu’ils ne peuvent être directement mis en relation avec les niveaux de compétence communicative du CECR. En effet, comme le font remarquer Schneider et Lenz, “on peut avoir une connaissance culturelle étendue par la seule lecture de traductions”. Ils estiment qu’il serait utile d’avoir des listes d’objectifs donnant le détail “des aspects d’une connaissance socioculturelle (connaissance de l’histoire, de la poli- tique, de la culture, etc.)” et “des composantes de la compétence interculturelle à acquérir (capacité à traiter des normes différentes et à décrypter des malentendus d’origine culturelle, capacité à se préparer à des séjours dans des régions d’autres cultures et à en tirer profit, etc.)”. Il est utile de souligner que connaissance culturelle et compétence interculturelle ne sont pas la même chose. Jusqu’à un certain point la compétence interculturelle dépend incontestablement de la connaissance culturelle, mais elle dépend aussi d’autres facteurs, comme, par exemple, l’orientation affective et l’attitude de l’individu et ses savoir-faire interpersonnels.
À supposer que nous disposions d’échelles de compétence interculturelle ayant fait l’objet d’un étalonnage empirique, il n’est pas certain qu’elles pourraient servir de supports à l’auto-évaluation puisqu’elles différeraient nécessairement des niveaux communs de référence du CECR par un aspect important. Les niveaux communs de référence sont définis par des descripteurs se référant à des comportements liés à la communication : en règle générale, nous savons ce que nous sommes capables de faire et ce qui est au-delà de nos compétences. En revanche, les composantes de la compétence interculturelle risquent de paraître plus floues en l’absence d’expérience interculturelle formelle, ce qui implique que, dans bien des cas, les utilisateurs de PEL pourraient se trouver dans l’incapacité à évaluer leur propre compétence interculturelle. Geneviève Zarate s’est déclarée opposée à l’idée d’une auto-évaluation fondée sur des listes de repérage et privilégie un moyen plus souple d’autoprofilage. L’ autobiographie de rencontres interculturelles est une approche possible ».
45 Dans la même optique, Aline Gohard-Radenkovic pointe la dimension moralisante des notions de tolérance, respect et bonne conduite du PEL du Conseil de l’Europe sur lequel s’appuie le e-portfolio de MAGICC. Elle rappelle que l’ingénierie du programme de mobilité estudiantine Erasmus correspond au départ à des enjeux de formation professionnelle pour une meilleure mobilité économique sur un marché de l’emploi mondialisé, enjeux qui ont évolué progressivement vers « une conception moins utilitariste et plus humaniste » (Gohard-Radenkovic, s.d., p. 86). Elle critique également « les attitudes de la psychologie réflexive » présentes dans la grille intitulée « Mon séjour de mobilité : par rapport à ma compétence interculturelle ». Elle fait notamment état des difficultés des étudiants de mobilité pour s’auto-évaluer sur les attitudes/aptitudes telles que « je sais repérer l’ethnocentrisme chez les autres, je sais me distancer de mes propres valeurs ». On pourrait ajouter « je sais gérer les malentendus », « je peux approcher une culture avec tolérance » etc. Il paraît, en effet, très difficile de s’auto-évaluer objectivement sur l’ensemble des aptitudes/attitudes du domaine inter/transculturel.
Conclusion
46 Le projet MAGICC, de par sa prise en compte des compétences interculturelles, pose quelques jalons pour une description des acquis de formation qui pourraient être proposés pour une reconnaissance des compétences informelles développées tout au long de son séjour par l’ étudiant de mobilité. Ainsi, parmi la compilation de tous les acquis traités dans MAGICC, on peut en retenir cinq qui concernent plus particulièrement les compétences qui intéressent notre propos. Il s’agit des compétences interculturelles pour la lecture, l’ écoute, l’interaction orale, la production orale, l’ écriture, académiques et professionnelles. En effet, si l’on considère, par exemple, la description des compétences interculturelles pour la lecture académique et professionnelle, on trouve les critères suivants :
47 – ouverture : tolérance vis-à-vis de l’ambiguïté : lire (reconnaissance, adaptation) ;
48 – adaptabilité I : flexibilité du comportement ;
49 – adaptabilité II : conscience communicative : lire (connaissance de soi, questionnement, analyse) ;
50 – connaissance : découverte de la connaissance : lire (acquisition, vérification, différenciation).
51 Ces critères sont précisés par des descripteurs, comme, par exemple : « accepter l’ambiguïté et le manque de clarté, et être capable de traiter cela de manière constructive », qui, eux aussi sont en adéquation avec la description de certaines compétences informelles développées par l’ étudiant de mobilité. À partir de ces critères et de ces descripteurs sont générées des grilles d’évaluation, qui, elles aussi, pourraient être transférées dans la cadre de notre étude. La question de savoir sous quelle forme doit avoir lieu l’ évaluation (évaluation par les pairs, par les tiers, etc.) demeure cependant sans réponse.
52 Or, pour proposer l’intégration de ces compétences interculturelles et autres compétences informelles dans un cursus universitaire, il faut répondre à un certain nombre d’exigences parmi lesquelles figure, à côté des acquis de formation et du nombre de crédits/ECTS, le type d’évaluation qui peut être continu, sommatif ou autre, à condition de pouvoir le spécifier. Il est clair que pour pouvoir évaluer ce type de compétences informelles, il convient auparavant de les avoir décrites mais également exemplifiées, ce qui est loin d’ être le cas pour les compétences informelles en jeu dans l’expérience de mobilité vécue par l’ étudiant. Ces compétences, qui sont transversales, sont pourtant fondamentales dans la mesure où ce sont elles qui permettront à l’ étudiant de devenir un véritable médiateur entre sa propre culture et la culture de son pays d’accueil.
53 Sans doute faudrait-il un autre projet européen de l’ envergure de MAGICC pour parvenir à définir, exemplifier, évaluer et expérimenter une mise en place pilote de la reconnaissance de ces compétences informelles dans un échantillon d’universités, avant de proposer une reconnaissance plus étendue à la fois sur le plan académique et professionnel.
54 Il convient en outre de rester extrêmement prudent, en général, dans le domaine de l’ évaluation et de la reconnaissance des compétences interculturelles. Aline Gohard-Radenkovic s’interroge à ce sujet sur la nécessité de « redéfinir les descripteurs culturels et les consignes du portfolio, impliquant un certain nombre d’aptitudes interculturelles acquises, en en questionnant la pertinence par rapport aux problématiques investiguées, voire en renonçant à l’idée même d’évaluation des compétences culturelles ou en la négociant autrement (Gohard-Radenkovic, s.d., p. 93).
55 Cette autre évaluation consisterait selon Gohard-Radenkovic et Zarate en une carte subjective individualisée, « qui livre(rait) une lecture explicite des circulations géographiques », et qui serait « indépendante de la morale et de l’idéologie ».
56 Lenz et Berthele considèrent également que les instruments INCA ou encore l’Autobiographie de rencontres interculturelles (AIE) ont une valeur expérimentale et ne seraient être employés tels quels sans aménagements, adaptations et améliorations (Lenz et Berthele, 2010, p. 31). L’ ensemble de ces constats vaut pour la reconnaissance et l’ évaluation des connaissances, habiletés et attitudes développées par l’ étudiant de mobilité.
57 Pour résumer la situation actuelle, on peut dire que les savoirs académiques acquis par l’ étudiant de mobilité dans sa discipline de référence sont à l’heure actuelle généralement reconnus – même s’il existe encore d’importantes difficultés pour la reconnaissance des équivalences et le respect des contrats d’études –, que les savoirs acquis sur le plan linguistique le sont partiellement par le biais du système des ECTS et qu’en revanche certains savoirs reposant sur des apprentissages empiriques ne sont pas du tout pris en compte. Il va s’agir, par exemple, de l’apprentissage de la culture du pays d’accueil, des conditions de vie, des croyances, des comportements et de tout ce qui touche à un savoir socioculturel ainsi qu’à la conscience interculturelle.
58 Il faudrait inventer d’autres formes de reconnaissance de cet ensemble d’apprentissages propres à l’ étudiant de mobilité. Il faudrait peut-être également réfléchir à la pertinence de la notion de compétence pour décrire cet ensemble d’habiletés, d’attitudes et de conscientisation, relevant le plus souvent d’un apprentissage informel et se situant à la frontière du culturel-interculturel-transculturel.
Bibliographie
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- Zarate, G. et Gohard-Radenkovic, A. (coord.) (2004). La reconnaissance des compétences interculturelles : de la grille à la carte. Paris : Didier/Cahiers du Ciep.
Notes
-
[1]
Centre international d’études pédagogiques (CIEP, France), Fondation Esprit Francophonie (Suisse), Maison des langues, université de Genève (Suisse).
-
[2]
Voir http://www.unil.ch/files/live//sites/magicc/files/shared/Revised_Conceptual_Framework_MAGICC.pdf, consulté le 2.3.2016.