Notes
-
[*]
Praticien hospitalier, Centre expert bipolaire, hôpital Charles-Perrens, Bordeaux.
-
[1]
M. Masson, A. Del Cul, C. Henry, C. Gay et G. Malhi, « Lithium : le premier thymorégulateur », dans Les troubles bipolaires, ouvrage collectif, Lavoisier, 2014.
-
[2]
H. Verdoux, « Médicaments thymorégulateurs », dans Les troubles bipolaires, op. cit.
-
[3]
M.S. Bauer, L. Mitchner, « What is a “mood stabilizer” ? An evidence-based response », Am. J. Psychiatry, n° 161, 2004, p. 3-18
-
[4]
P.M. Llorca et D. Gourion, « Antipsychotiques », dans Les troubles bipolaires, op. cit.
-
[5]
ansm, Nouvelles conditions de prescription et de délivrance des spécialités à base de valproate et dérivés (Dépakine® Depakote® Depamide® Micropakine® et génériques) du fait des risques liés à leur utilisation pendant la grossesse. Lettre aux professionnels de santé, 26 mai 2015 (ansm.sante.fr).
-
[6]
R.F. Mc Knight, M. Adida, K. Budge et coll., « Lithium toxicity profile : A systematic review and meta-analysis », Lancet, 2012, n° 379, p. 721-728.
1Le trouble bipolaire est une pathologie dont la nosographie a fortement évolué ces quarante dernières années. De la restreinte psychose maniaco-dépressive au concept plus large de troubles bipolaires, au pluriel, l’entité clinique s’est étendue à des populations auparavant non « captées » par la nosographie psychiatrique. La population de patients concernés par ce diagnostic s’est ainsi considérablement élargie, amenant les psychiatres à majorer leur volume de prescription médicamenteuse, étant entendu que les recommandations internationales s’accordent sur le fait que la pharmacothérapie constitue le traitement de base du trouble bipolaire.
2Ces vingt dernières années, les pratiques de prescription se sont également modifiées. Le lithium, longtemps seul traitement disponible, est désormais concurrencé par des molécules plus récentes, initialement développées pour le traitement de la schizophrénie ou de l’épilepsie. Il fut pourtant longtemps le seul recours dans le traitement de la maladie maniaco-dépressive.
3Utilisé dès le xixe siècle en médecine, c’est surtout à partir des années 1940-1950 que, sous l’impulsion de psychiatres danois et australiens, le lithium fut promu dans le traitement des épisodes maniaques, puis, secondairement, dans la prévention des épisodes de toute polarité et le traitement des épisodes dépressifs [1]. Mais récemment, peu à peu, dans les recommandations émanant des sociétés savantes aussi bien que dans les ordonnances des médecins, les antipsychotiques de seconde génération et les anticonvulsivants ont supplanté les sels de lithium.
4Pour évoquer la légitimité de ces nouvelles molécules, nous ne pouvons faire l’économie de la définition d’un traitement thymorégulateur. Plusieurs définitions, plus ou moins exigeantes, sont retrouvées dans la littérature. Aucune ne peut se targuer d’être « officielle », dans la mesure où à ce jour aucune société savante n’a proposé de définition. On retrouve ainsi des définitions, proposées par différents auteurs, reposant sur des arguments plus ou moins consistants [2]. La plus « exigeante » d’entre elles est probablement celle proposée par Bauer et Mitchner, stipulant qu’un thymorégulateur doit être à la fois curatif et préventif, aussi bien sur les symptômes maniaques que dépressifs, selon deux essais contrôlés contre placebo [3]. En examinant objectivement l’ensemble de ces critères, seul le lithium peut être considéré comme un véritable thymorégulateur (on notera toutefois que le lithium ne convient pas à tous et que les anticonvulsivants et les antipsychotiques stabilisent l’humeur d’un grand nombre de patients).
5Mais en routine, il existe un hiatus évident entre ces données scientifiques et la réalité de prescription. Le lithium est peu prescrit en pratique, la faute peut-être à une réputation peu flatteuse de médicament lourd, complexe à mettre en place et à surveiller. À l’inverse, la communication des firmes commercialisant les antipsychotiques de seconde génération et les anticonvulsivants reposait et repose encore sur la maniabilité supposée de ces molécules et sur leur profil de tolérance censé être supérieur à celui du lithium.
6Pourtant, la littérature scientifique abonde de diverses problématiques de tolérance avec les anticonvulsivants et les antipsychotiques, ces derniers étant notamment impliqués dans la genèse de troubles métaboliques dont l’impact sur la santé des patients est clairement délétère [4]. De la même façon, l’actualité récente concernant la tératogénicité des dérivés valproïques, qui ne doivent désormais se prescrire que dans des conditions restreintes chez la femme en âge de procréer [5], vient jeter un voile sur cette gamme de médicaments largement utilisés, tant dans le traitement de l’épilepsie que dans celui des troubles bipolaires. À l’inverse, une publication récente dans une célèbre revue scientifique britannique tend à minimiser l’impact négatif du lithium aussi bien sur la fonction rénale que sur la santé du fœtus exposé [6], allant ainsi contre les idées reçues.
7Le fait de ne pas être porté par la stratégie commerciale d’une firme est incontestablement un handicap pour le lithium. Contrairement aux autres médicaments, il n’est pas issu de l’ingénierie pharmaceutique. Présent naturellement autour de nous, le lithium n’est pas brevetable et son commerce à fins médicales est peu rentable. Il se situe donc aux antipodes des nouvelles molécules. Il ne bénéficie pas d’une force de vente et la connaissance que peuvent en avoir les professionnels de santé ne repose que sur une démarche de formation, initiale ou continue, ou bien sur leur curiosité scientifique.
8En définitive, on pourrait en quelque sorte faire le constat suivant : pour traiter les patients souffrant de troubles bipolaires, nous disposons de deux solutions : soit prescrire une molécule ubiquitaire dont la découverte de l’action sur l’humeur relève des grands hasards de la science, mais qui présente un important niveau d’efficacité et un profil de tolérance désormais bien connu ; soit prescrire des traitements initialement développés pour traiter d’autres pathologies, comme le sont les anticonvulsivants et les antipsychotiques.
9Il n’y aurait finalement à ce jour aucun traitement « spécifique » des troubles bipolaires issu de la science pharmaceutique. Cette réalité reflète probablement le défaut de connaissance concernant la physiopathologie de ces pathologies. Les subtilités neurobiologiques qui régissent cette maladie nous échappent encore trop pour pouvoir élaborer de nouvelles molécules actives. À cette réalité s’ajoute un contexte économique défavorable pour l’industrie pharmaceutique et les organismes d’État en charge du remboursement des dépenses de santé. Dans ces circonstances, nous n’avons que peu de perspectives prochaines quant à la mise à disposition de nouveaux traitements. Raison de plus pour s’intéresser aux vieux…
Molécules disposant d’une Autorisation de mise sur le marché (amm) dans la prise en charge du trouble bipolaire en France
– Anticonvulsivants : Depamide® (valpromide), Depakote® (Divalproate de sodium), Lamictal®(lamotrigine), Tégretol®(carbamazépine).
– Antipsychotiques : Abilify ®(aripiprazole), Risperdal® (risperidone), Zyprexa® (olanzapine), Xeroquel® (quetiapine).
Notes
-
[*]
Praticien hospitalier, Centre expert bipolaire, hôpital Charles-Perrens, Bordeaux.
-
[1]
M. Masson, A. Del Cul, C. Henry, C. Gay et G. Malhi, « Lithium : le premier thymorégulateur », dans Les troubles bipolaires, ouvrage collectif, Lavoisier, 2014.
-
[2]
H. Verdoux, « Médicaments thymorégulateurs », dans Les troubles bipolaires, op. cit.
-
[3]
M.S. Bauer, L. Mitchner, « What is a “mood stabilizer” ? An evidence-based response », Am. J. Psychiatry, n° 161, 2004, p. 3-18
-
[4]
P.M. Llorca et D. Gourion, « Antipsychotiques », dans Les troubles bipolaires, op. cit.
-
[5]
ansm, Nouvelles conditions de prescription et de délivrance des spécialités à base de valproate et dérivés (Dépakine® Depakote® Depamide® Micropakine® et génériques) du fait des risques liés à leur utilisation pendant la grossesse. Lettre aux professionnels de santé, 26 mai 2015 (ansm.sante.fr).
-
[6]
R.F. Mc Knight, M. Adida, K. Budge et coll., « Lithium toxicity profile : A systematic review and meta-analysis », Lancet, 2012, n° 379, p. 721-728.