Couverture de JFP_037

Article de revue

Évolution sociohistorique de la famille

Pages 23 à 24

Notes

  • [*]
    Psychosociologue, cirfip.
  • [1]
    Ceci est la thèse de Philippe Ariès, contestée par?R. Fossier qui écrit que?le?sentiment de la réalité propre de l’enfant apparaît dès?l’an 1000, où les abandons d’enfants diminuent (Pierre?Guichard, Jean-Pierre Cuvillier, Pierre Toubert, La?famille occidentale au Moyen Âge, Bruxellles, Complexe, 2005, p. 189).
  • [2]
    Emmanuel Todd, La?troisième planète?: structures?familiales et systèmes idéologiques, Paris, Le Seuil, 1983, p. 23.

1« La famille humaine est une institution culturellement définie et variable selon les sociétés », écrit Durkheim dans La méthode sociologique, expression que reprendra Jacques Lacan dans Les complexes familiaux. Celui-ci définit la famille comme une structure complexe qui a besoin, outre l’observation de la psychologie concrète, de données comparées des autres sciences humaines. Ethnographie, histoire, droit sont nécessaires pour analyser l’évolution de la famille.

2Dans le récit biblique, la famille est le socle du développement de l’Histoire. C’est ce que nous comprenons à partir de l’ordre donné par Dieu au premier couple?: croissez et multipliez?! La famille est monogame, polygame, voire incestueuse. Abram et Saraï, les ancêtres fondateurs du monothéisme, sont dits frère et sœur, comme les pharaons d’Égypte et leurs épouses. Ils seront nommés?: Abraham et Sarah, en devenant parents, pour souligner l’importance de ce changement de statut, tandis qu’Agar va errer seule dans le désert avec son enfant Ismaël. Première famille monoparentale??! La structure familiale est patriarcale, ce qui importe est d’assurer la descendance et la continuité dans l’histoire. La filiation dans la religion juive est assurée par la pratique de la circoncision comme symbole de l’alliance avec Dieu. On peut y voir aussi la marque de la castration.

3La tragédie grecque du ve siècle avant J.-C. – Sophocle, Eschyle et Euripide – puise son inspiration dans les conflits entre des familles maudites par les dieux, comme les Labdacides et les Atrides. Sophocle montre comment la malédiction d’Apollon sur Laïos, le père d’Œdipe, coupable d’aimer son jeune élève, Chrisis, et de provoquer son suicide, va se transmettre à Œdipe et aux enfants qu’il a eus avec sa mère Jocaste. L’histoire de cette famille, outre l’interdit de l’inceste maternel morbide et le trouble induit sur la succession des générations, illustre également comment le secret sur ses origines est susceptible d’entraîner des traumatismes et de la honte sur soi pour les générations futures.

4La tragédie Antigone, de Sophocle, est un conflit entre la loi traditionnelle, loi de la famille, loi sacrée d’ensevelir les morts, et la loi de la cité, où celui qui a trahi est jeté hors les murs et livré aux bêtes sans tombe. Antigone veut donner une sépulture à Polynice et sera punie de mort par le tyran Créon, l’oncle d’Antigone. Sophocle nous laisse entrevoir que la loi de la famille est aussi importante et sacrée que celle de la cité?: le fils de Créon, amoureux d’Antigone, en fait le reproche à son père et va se tuer à son tour. L’Orestie d’Eschyle souligne l’importance de la loi du père et de son commandement sur la loi maternelle?: Oreste venge son père Agamemnon en tuant Clytemnestre, sa mère, et sera absous par le tribunal des hommes et des dieux, à la fin de la trilogie.

5Dans les sociétés traditionnelles, non occidentales, la parenté pouvait être confiée à d’autres personnes que les parents biologiques. Le lignage appartient au clan. Dans certaines régions d’Afrique ou d’Asie, l’oncle maternel occupe la place de l’autorité parentale et le géniteur n’est que l’époux de la mère. On est dans une tradition matrilocale.

6Dans la plupart des sociétés, la priorité n’est pas donnée à la parenté biologique.

7Dans l’Antiquité romaine, le système familial est patriarcal et le mariage est décidé par les parents pour le choix du conjoint. Le père est celui qui présente l’enfant, le garçon, sur le seuil de sa demeure. Il le soulève et le montre au public en le nommant. Cela montre bien le rôle de la famille comme institution sous le regard de la société. Cette famille romaine recouvre trois formes, la famille proche, puis la gens?– famille élargie, communauté de nom et de biens, qui comporte les personnes vivant sous le même toit – et enfin, l’agnat, qui réunit les membres d’une famille par les hommes. Le lien parental est un lien volontaire?: il ne suffit pas de naître dans une famille pour en faire partie et l’adoption est courante.

8Avec la chrétienté en Occident médiéval, l’Église impose le mariage, peu courant dans les mœurs, ainsi que le nom de famille à la population afin de fixer le groupe familial et d’en assurer la continuité religieuse. Elle encourage la famille nucléaire conjugale au sein de la population, plus aisée au contrôle. Les registres d’état civil sont tenus dans les paroisses. Le mariage devient prépondérant en France, en Allemagne, en Italie. Peu à peu, le nom patronymique devient le nom de baptême de l’homme accompagné du surnom. L’intégration de la femme à la maison de l’homme allait jusqu’à changer son nom personnel. Elle était donnée par son père, ou achetée par son mari ou encore enlevée par celui-ci sans dot. Cependant, dans certaines régions, c’est le surnom de la femme qui se transmet.

9Dans la noblesse, la transmission des terres et du patrimoine donne la priorité au droit d’aînesse et au lignage. Le plus souvent, le nom de famille est celui de la terre. Dans les campagnes, les paysans essaient de limiter les naissances et le nombre de bouches à nourrir. Dans les villes, le développement de l’artisanat, puis peu à peu de la bourgeoisie commercante à la Renaissance, conduit les familles à reconsidérer la place de l’enfant [1] et de la filiation pour la transmission des biens ou des charges, tandis que pour les familles pauvres, les abandons d’enfants sont courants. Avec la croissance du commerce à l’Époque moderne, le lignage et la transmission de «?la maison du père?» deviennent prépondérants et ce modèle qui vient de la féodalité se répand aussi dans la paysannerie de la France méridionale.

10Dans la seconde moitié du xviiie siècle, la structure familiale de la France du Nord est, selon la terminologie d’E.?Todd [2], nucléaire et égalitaire, la famille allemande autoritaire et inégalitaire, la famille russe communautaire?: le propos de l’auteur est de faire le lien entre la structure familiale et l’idéologie. La Révolution de 1789, par le vote de la Convention, proclame la liberté et l’égalité des hommes en droit. Elle refuse cependant d’adopter, sur le même modèle, l’égalité des hommes et des femmes, présentée par Olympe de Gouges. La femme va continuer à être considérée comme une mineure dans la famille et la société. C’est pourtant une période où va bouger quelque peu l’autorité du mari, quand celui-ci part au front défendre les couleurs de la République, et une autre répartition des rôles commence à se faire jour.

11Le xixe siècle va consacrer le triomphe des valeurs conservatrices de la bourgeoisie. On voit naître la famille conjugale au moment de la révolution industrielle et du déplacement des populations rurales vers les usines et les milieux urbains. Le mariage arrangé par les parents, plus que le mariage d’inclination, demeure en vigueur dans les familles. L’amour passion reste extraconjugal. La littérature romanesque de la seconde moitié du xixe et du début du xxe siècle s’appuie sur les contradictions entre la famille patriarcale, où l’autorité du père reste prépondérante, et le début de la contestation de cette place. Balzac, dans La comédie humaine, en 1834, évoque un père Goriot bafoué et ruiné par ses filles. Goriot, dont le seul bonheur est la visite de ses filles, meurt seul et Balzac nous montre la mort du père comme la fin d’un certain idéalisme de la famille. Au père déchu va succéder un nouvel héros, Rastignac, initié à la dureté du monde et qui en jouera.

12Zola, lui, va s’intéresser à la transformation de la vie sociale des membres d’une même famille?: les Rougon-Macquart, sous le Second Empire, et les conséquences de la révolution industrielle sur le monde des ouvriers et des employés.

13La culture romantique accentue la révolte des fils en Europe. Kafka, dans la Lettre au père, écrit l’insupportable de cette confrontation avec le père autoritaire.

14Le mariage et la famille sont considérés comme une aliénation par les philosophes – Schopenhauer, Kierkegaard, Nietszche. Pour ces penseurs, la famille perturbe la faculté de penser. Marx va jusqu’à prescrire l’abolition de la famille pour substituer l’éducation par la société à celle de la famille sous l’influence de la classe dominante. Fourier, socialiste utopique, dans sa critique de la société bourgeoise, propose en 1829 une communauté de travail, des phalanstères organisés comme une grande famille. La polygamie et le libertinage permettent l’optimisation du travail. Les enfants sont élevés en communauté.

15C’est dans ce moment de grande transformation de la société et d’interrogation sur la famille que va naître la psychanalyse, avec la rencontre de Freud et les hystériques en «?mal du père?». Freud, avec le complexe d’Œdipe et le refoulement, rend la famille responsable de bien des névroses, accentuées par les contraintes sociales et religieuses, thèses qu’il développe dans L’avenir d’une illusion, puis dans Malaise dans la civilisation. Dans «?Le roman familial des névrosés?», il souligne que le névrosé se plaît à penser que ses parents ne sont pas ses vrais parents et se construit une image de parents imaginaires, glorieux.

16Le xxe siècle va connaître de grands bouleversements politiques et sociaux qui auront des conséquences sur le système familial. La guerre de 1914 a permis à beaucoup de femmes de remplacer les hommes au travail et d’avoir une place différente de celle de la femme au foyer. Après la Seconde Guerre mondiale, l’augmentation du travail des femmes ne cesse de croître, facilitée aussi par la fabrication des objets du confort ménager. Avec les changements économiques, l’institution mariage perd ses rituels et n’est plus au centre de la famille. Le mariage d’amour a profondément transformé la famille. On attend du mariage la plénitude, l’harmonie, ce qui rend insupportable l’impossible du rapport sexuel, et entraîne une multiplication des divorces. La liberté sexuelle des années 1970, dans le couple et hors du couple, ainsi que l’arrivée de la contraception entraînent d’autres conceptions de la famille. On parle de familles recomposées, de familles monoparentales. Le désir d’enfant est remplacé par l’enfant du désir. L’enfant est au centre, alors qu’avant la famille se construisait à partir du mariage, privilégiant le lien entre plusieurs familles. Ce mode d’organisation est encore présent en Asie et en Orient.

17En France, le droit entérine le discours social et propose le terme de parentalité, suite à la fin de l’autorité pour le seul père en 1975. La loi consacre l’égalité des hommes et des femmes dans le couple ainsi que l’égalité des droits et des devoirs concernant l’éducation de leurs enfants. Le droit des enfants est également reconnu par une convention de l’unesco en 2002.

18Les drames du conjugo, les échecs de l’amour dans le non-rapport sexuel, la famille réduite à la filiation directe ont pour conséquence un surinvestissement affectif pour l’enfant. Les parents n’opposent pas de limites aux demandes d’objets, demandes qui se transforment en besoins. La plupart des enfants, à l’adolescence, même dans les classes sociales les plus modestes, ont un ordinateur dans leur chambre et parfois une télévision. Les enquêtes sociologiques soulignent combien les familles sont attentives à ce que leurs enfants ne se sentent pas différents des autres: «?Il aura tout ce que je n’ai pu avoir…?»

Notes

  • [*]
    Psychosociologue, cirfip.
  • [1]
    Ceci est la thèse de Philippe Ariès, contestée par?R. Fossier qui écrit que?le?sentiment de la réalité propre de l’enfant apparaît dès?l’an 1000, où les abandons d’enfants diminuent (Pierre?Guichard, Jean-Pierre Cuvillier, Pierre Toubert, La?famille occidentale au Moyen Âge, Bruxellles, Complexe, 2005, p. 189).
  • [2]
    Emmanuel Todd, La?troisième planète?: structures?familiales et systèmes idéologiques, Paris, Le Seuil, 1983, p. 23.
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