Couverture de JDJ_316

Article de revue

La prévention situationnelle : des travaux sous surveillance

Pages 31 à 32

1J’interviens en tant qu’éducateur de rue depuis 2005 dans le quartier des Rondières. Ces derniers mois, des actions dites de « prévention situationnelle » se multiplient. La « prévention situationnelle » a pour objectif majeur de prendre en compte la sécurité dans les aménagements des espaces pour réduire le sentiment d’insécurité. Celle-ci « désigne les mesures de réduction des occasions qui sont :

  1. dirigées vers des types très particuliers de délits ;
  2. consistent en des modifications des circonstances immédiates du délit systématiques et permanentes ;
  3. visent à rendre les délits plus difficiles, plus risqués, moins gratifiants et moins excusables pour bon nombre de délinquants » (Clarke, 1997).
Dernièrement, un square du quartier est devenu selon les pouvoirs publics : « un lieu compliqué » où se réunirait de manière régulière une bande de jeunes de la cité. Les élus locaux reprochent notamment à ces derniers de « squatter », ainsi que de s’adonner à des formes de commerces illicites.

2La municipalité a donc décidé de réaménager complètement l’îlot datant des années 1960, dans l’objectif de favoriser la tranquillité des habitants. Le coût des travaux de réaménagement de ce square est évalué à 120 000 euros. Il est financé à part égale par la ville et un bailleur social. Les crédits de financements de la municipalité proviennent de l’enveloppe du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) dans le cadre de la stratégie territoriale de sécurité et de prévention.

3L’îlot du quartier, devenu un lieu d’insécurité selon les pouvoirs publics locaux, sera donc « rendu aux habitants » comme le souligne le sous-titre d’un article du journal local. Selon le maire de la ville, les travaux vont certainement « bouleverser quelques habitudes et ce ne sera pas forcément bien vécu par ceux qui avaient pris l’habitude de s’approprier ce square. Mais on le fait dans un souci d’intégration, sans stigmatiser ni rejeter personne ».

4Le maire se veut prudent, la municipalité ayant mis plus d’un an pour composer le dossier d’aménagement. Les habitants ont été concertés en amont, les acteurs sociaux du quartier impliqués. Le projet de prévention situationnelle vise à faire disparaître les éléments naturels notamment composés des « hautes haies derrière lesquelles il était facile de disparaître, des arbres plantés proches et dont les ramures assombrissaient le square et rendaient dérisoire l’éclairage public » (La Nouvelle République).

5Sur cinquante arbres, il n’en restera que trois. Des dalles de gazon remplaceront l’espace bitumé, des massifs de fleurs, arbustes vont être implantés pour « colorer ce square aujourd’hui un peu sombre et un éclairage adapté permettra de redonner un véritable sentiment de sécurité à l’ensemble » (idem). L’adjointe au cadre de vie de la municipalité indique que l’objectif du réaménagement est de redonner à cet îlot sa fonction de départ : « un lieu de tranquillité où les enfants puissent jouer, les habitants s’asseoir sur un banc » (idem).

6Selon le titre d’un article du même journal local, ces travaux se feront sous surveillance. En effet, le responsable du centre social a été sollicité en vue de réfléchir à la meilleure manière de faire accepter ces travaux. Il indique : « C’est une bonne chose, ces travaux, pour l’image du quartier. Mais il est clair aussi qu’un certain nombre de jeunes du secteur, qui s’étaient approprié le square, ont bien compris que ce serait plus difficile pour eux désormais. Mais il fallait aussi montrer que ces aménagements ne sont pas faits contre eux, mais pour le profit de tous » (idem).

7Le centre social a donc le projet de réaliser un reportage photo portant sur la perception du changement en cours dans le but de recueillir la parole des jeunes et des habitants qui donnera lieu à une exposition. L’objectif est que les jeunes deviennent de vrais acteurs du changement dans leur quartier de par leur implication dans les travaux d’embellissement du square selon un journaliste du magazine de la ville.

8De plus, un éducateur de prévention (en l’occurrence moi) a été présent également toute la première semaine des travaux dans l’objectif de : « garder un contact permanent avec ces groupes de jeunes ». Mais en tant qu’éducateur de rue, j’ai également eu, en concertation avec le centre social, la responsabilité de placer deux jeunes membres du groupe de jeunes fauteurs de troubles dans le chantier pour : « inciter tous les autres à respecter le travail effectué ».

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9Le premier jour des travaux je me rends donc sur le chantier de réaménagement. Je rencontre mon collègue animateur du centre social qui prend des photographies, je salue le chef de chantier puis les deux jeunes impliqués dans les travaux.

10Une patrouille de police constate les travaux. Une dizaine d’habitants des immeubles est regroupée aux abords. Une dame âgée nous interpelle : « En plus ils embauchent les chefs de bandes ! ». Une autre poursuit : « Les arbres morts au sol, ils vont y mettre le feu ce soir ! Ça changera rien, c’est dans le hall qu’ils squattent ! En quarante ans, j’ai jamais vu ça, enfin bon ça éclaircira un peu ! ». Le chef de chantier répond à la dame âgée, un brin gêné : « C’est un réaménagement, on va tout refaire ! Après il y aura des pt’its arbustes. Au premier étage ils avaient beaucoup d’ombre. » La femme poursuit : « Oui, on aura une bonne visibilité de la fenêtre ».

11Il est indéniable que ces travaux ont également été impulsés du fait que le concierge des immeubles attenant au square est également l’élu responsable de la prévention de la délinquance de la ville. Une semaine après l’abattage des arbres, le gardien de l’immeuble envoie un courrier électronique aux acteurs sociaux de la ville : « Bonjour, le squatt revient en force au niveau du 7, square Luli,, ça commence des fois en tout début d’après-midi pour se terminer tard le soir. Le hall du 7 est devenu un espèce de local. Le souci c’est que le groupe s’en est pris aux locataires, car ils s’imaginent que c’est à cause des locataires que les arbres sont abattus. Un des jeunes s’en est pris à monsieur Dize, heureusement qu’il y avait un locataire pour les séparer… ».

12Aujourd’hui le square est un terrain vague littéralement « labouré » en l’attente des plantations futures prévues au printemps. Quant aux jeunes, ils se sont simplement déplacés dans le hall de l’immeuble voisin. Ils nous indiquent, malgré leurs participations aux travaux, ne pas être dupes des enjeux sécuritaires liés à ce projet de réhabilitation.

13Malgré ces constats, et le coût du projet, d’autres actions d’« assainissement situationnel », pour reprendre les propos de la responsable du cabinet du maire, sont prévus. Elle déclarait, il y quelques temps à la suite du rassemblement de « Sans domicile fixe » dans un espace public du centre-ville : « L’aspect haies hautes favorise ce genre de regroupements. On travaille à la mise en place d’une prévention situationnelle pour assainir la situation. On va procéder à un réaménagement de ce secteur, on ne touchera pas aux pins parasols, mais à ces hautes haies, qui favorisent ces comportements alcooliques discrets. On envisage de planter des plantes au ras du sol » (La Nouvelle République).

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