Couverture de JDJ_304

Article de revue

Absentéisme et décrochage

Pages 12 à 15

Notes

  • [1]
    J. Malet, « Décrochage et scolarisation », JDJ n° 294, avril 2010, p. 8-17.
  • [2]
    Circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme », préambule.
  • [3]
    La Circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme » généralise le recours à l’application « Sconet absences ». La loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 impose aux établissements de présenter une fois par an un rapport d’information sur l’absentéisme scolaire.
  • [4]
    C. Blaya « Décrochages scolaires. L’école en difficulté », De Boeck, 2010, p. 98. D’après l’enquête menée auprès d’élèves absentéistes (1.232 réponses), un élève absent plus de 15 fois en 3 mois présente 67,86 % de risques de décrochage.
  • [5]
    Ibid., p. 68.
  • [6]
    Pour un état des lieux des différents dispositifs existant en France, voir C. Blaya, op. cit., p. 125-138.
  • [7]
    Ibid.
  • [8]
    D’après l’article L. 313-7 du Code de l’éducation instauré par la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie : « Chaque établissement d’enseignement du second degré (…) et ceux de l’enseignement agricole, et chaque centre de formation d’apprentis ou section d’apprentissage transmet, à des personnes et organismes désignés par le représentant de l’État dans le département (…) ainsi qu’à la mission locale pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes (…) les coordonnées de ses anciens élèves ou apprentis qui ne sont plus inscrits dans un cycle de formation et qui n’ont pas atteint un niveau de qualification fixé par voie réglementaire ».
  • [9]
    C. Blaya, 2010, p. 152 sur le programme « Check and Connect » ; « Fusion jeunesse : Un programme québécois contre le décrochage scolaire » (menant à une réduction de 40 % du taux d’absentéisme et une augmentation de 12,6 % du taux de diplômés), ToutEduc, www.touteduc.fr, 20 décembre 2010 ; « Élèves exclus mais pas perdus », sur l’action de l’Apcis à Stains (aussi dans JDJ n° 302, février 2011, p. 6).
  • [10]
    C. Blaya, 2010, p. 96.
  • [11]
    Modifié par la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire. Pour une analyse approfondie de la loi, voir J.-L. Rongé, « Allocations familiales : suspension, suppression, délégation ; Contrôle de la fréquentation scolaire… et d’autres comportements », JDJ n° 296, juin 2010, p. 8-15.
  • [12]
    Union Nationale des Associations Familiales ; « L’absentéisme scolaire », Études qualitatives n° 3, novembre 2010, p. 12 ; téléchargeable sur http://www.unaf.fr/spip.php?article11219.
  • [13]
    UNAF, « L’absentéisme scolaire, le point de vue des jeunes « absentéistes » et de leurs parents », étude qualitative, Paris, septembre 2010, p. 25.
  • [14]
    Étude qualitative de l’UNAF « L’absentéisme scolaire, le point de vue des jeunes « absentéistes » et de leurs parents », Paris, septembre 2010, p. 25.
  • [15]
    C. Blaya, 2010, p. 69.
  • [16]
    Selon une étude, basée sur un questionnaire, soumis à 1.158 étudiants de première année au sein des universités des États-Unis, la dépression serait le premier facteur d’arrêt de la scolarité. En anglais sur http://news.msu.edu/story/8930
  • [17]
    C. Blaya, 2010, p. 70.
  • [18]
    C. Blaya, p. 97 : la question portait sur le nombre d’absences sur l’année.
  • [19]
    Ministère de l’Éducation nationale, Note d’information 07.24 : l’absentéisme des élèves dans le second degré en 2005-2006.
  • [20]
    Blaya, p. 67, recherche menée par O’Keefe en Angleterre 1994.
  • [21]
    E. Douat, « L’école buissonnière : pour penser l’absentéisme autrement », Broché, La Dispute, 2011.
  • [22]
    www.laurent-mucchielli.org, 20 février 2011.
  • [23]
    C. Blaya, p. 97.
  • [24]
    Voy. notes 13 et 14.
  • [25]
    C. Blaya, p. 98.
  • [26]
    Cité par C. Blaya, p. 67.
  • [27]
    C. Blaya, 2011, p. 87, p. 97.
  • [28]
    C. Blaya, 2011, p. 85.
  • [29]
  • [30]
    Ladite circulaire prévoit la convocation de l’élève, le rappel de ses obligations en matière d’assiduité ainsi que l’application de « punitions » et le prononcé de sanctions éducatives (avertissement ou blâme) dans les cas les plus graves.
  • [31]
    Voir le rapport Bockel et le rapport Bénisti : J.-M. Bockel, « Prévention de la délinquance des jeunes », novembre 2010 ; http://www.-kel-_La_prevention_de_la_delinquance-des_jeunes.pdf ; commentaire : J.-L. Rongé et S. Turkieltaub : JDJ n° 300, décembre 2010, p. 32-42. J.-A. Bénisti, « Mission parlementaire sur la prévention de la délinquance des mineurs et des jeunes majeurs », février 2011 ; http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/cgi-bin/brp/telestats.cgi?brp_ref=114000073&brp_file=0000.pdf
  • [32]
    Ces mesures dites de prévention sont énoncées dans la loi 2007-297 du 5 mars 2007.
  • [33]
    J. Malet, « Décrochage et scolarisation », op. cit, en note 1.
  • [34]
    « Il est apparu qu’un certain nombre de mesures déjà expérimentées dans certains établissements sont de nature à réduire sensiblement l’absentéisme : il s’agit par exemple de mesures portant sur les rythmes scolaires, sur l’organisation de la vie scolaire, ou visant à renforcer le dialogue entre les élèves et les adultes de la communauté éducative, entre les parents et l’établissement, ou bien encore par des approches pédagogiques différenciées, visant à accroitre la motivation des élèves en les aidant à percevoir le sens des apprentissages ».
  • [35]
    C. Blaya, 2011, p. 66.
  • [36]
    C. Blaya, 2011, p. 67.
  • [37]
    Article L. 131-8 du Code de l’éducation.
  • [38]
    Ibid. Cette disposition, introduite par la loi précitée, n’est cependant pas totalement nouvelle puisque le versement pouvait déjà être suspendu, sur intervention du président du Conseil général, dans le cadre du contrat de responsabilité parentale (art. L. 222-4-1 CASF). Mais en pratique, les président de Conseils généraux se sont montrés peu enclins à déclencher ces sanctions, d’où cette nouvelle attribution confiée à l’inspecteur d’académie afin d’accélérer la procédure en neutralisant l’inaction le président du Conseil général.
  • [39]
    Voy. J.-P. Rosenczveig, « Cool Papa ! J’t’apporterai des oranges… ! », JDJ n° 297, septembre 2010, p. 9-11.

1Le « décrochage scolaire », entendu par le ministère de l’Éducation nationale comme la sortie prématurée ou sans diplôme du système scolaire, a été érigé au rang de priorité nationale par le président de la République, avec le lancement du plan « Agir pour la jeunesse » le 29 septembre 2009. Dans son discours, le président a même entonné un chant guerrier en parlant de « mener une guerre sans merci contre le décrochage scolaire ».

2Des actions contre la sortie prématurée des jeunes du système scolaire ont pu être initiées dès 2009, dans le cadre du fonds institué par la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008. Toutefois l’approche retenue par les pouvoirs publics ne semble pas viser « la restauration du lien scolaire ou à soutenir les élèves en difficulté ». « Il s’agit davantage d’un repérage et d’un comptage des situations de décrochage »[1] en aval du processus de décrochage. Dans la même veine, la circulaire n° 2011-028 du 9 février 2011 « Lutte contre le décrochage scolaire » vise les jeunes de 16 à 25 ans déjà sortis de la formation initiale et non ceux qui sont en risque de décrochage.

3L’approche caractérisant la lutte contre l’absentéisme scolaire, ou le manquement à l’obligation d’assiduité scolaire, également érigée une priorité nationale [2], diffère au niveau du diagnostic et des mesures prescrites. Si le repérage et le comptage sont aussi au cœur des mesures prises en réponse à l’absentéisme [3], la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, semble plutôt viser à lutter contre les parents d’enfants absentéistes, tenus pour seuls responsables du comportement de leur enfant.

4Ce fossé surprend d’autant plus qu’il existe « une relation très significative entre l’absentéisme et décrochage scolaire : plus un jeune est absent, plus il présente de risques de décrocher » [4]. Par ailleurs, des études permettent d’établir que « décrochage et absentéisme sont souvent liés à un mal-être à l’école » [5], soulignant que ces deux phénomènes ont des facteurs déclencheurs semblables.

Les orientations actuelles de la lutte contre le décrochage [6]

5Des initiatives spécifiques prises à destination d’une catégorie ciblée de la population, les jeunes issus des banlieues, Le « Plan banlieue espoir » et son volet concernant l’éducation et le décrochage ne semblent pas être à même de résorber les inégalités dans l’apprentissage. Délivrer les promesses d’accès ne remet pas en cause les causes des inégalités, en favorisant surtout la mobilité sociale des meilleurs élèves [7].

6Conformément à l’instruction interministérielle n° 09-060 JS du 22 avril 2009, visant à organiser le repérage des décrocheurs de la formation initiale et construire une meilleure coordination locale pour accompagner les jeunes sortant de formation initiale sans diplôme, la circulaire n° 2011-028 du 9 février 2011 « Lutte contre le décrochage scolaire » instaure des plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs, « mode de coordination des acteurs locaux de la formation, de l’orientation et de l’insertion des jeunes adapté au contexte du territoire sur lequel elle est implantée ». Cette circulaire organise le repérage et le suivi des jeunes de 16 à 25 ans qui ont décroché du système de formation initiale en cours ou en fi n d’année, sans avoir acquis un niveau de diplôme minimal, afin de leur proposer dans solutions de formation ou d’insertion [8].

7Les pouvoirs publics sont désormais assujettis à une obligation nouvelle de suivi et de transmission des coordonnées de ses anciens élèves ou apprentis qui ne sont plus inscrits dans un cycle de formation et qui n’ont pas atteint un niveau de qualification fixé par voie réglementaire. Reste à observer si les mesures qui seront prises par les coordinations locales sur la base des informations transmises par les établissements s’inscriront réellement dans la lutte contre le décrochage, ou alors se contenteront de repérer et d’orienter vers les filières professionnelles.

8On peut en effet regretter que les jeunes encore soumis à l’obligation scolaire ne soient pas davantage soutenus par des mesures de prévention et d’accompagnement renforcé (telles que les RASED dont les moyens sont insuffisants et la survie constamment menacée). Pourtant, des solutions existent pour restaurer le sentiment d’appartenance à l’institution scolaire et l’estime de soi des élèves, ainsi que le montrent des exemples français et étrangers [9].

Absentéisme au pluriel

9Délimiter le champ de l’absentéisme n’est pas aisé, car la définition des faits relevant de l’absentéisme est imprécise. Or, pour se prononcer sur un phénomène, il faut pouvoir s’appuyer sur des définitions communes, des modes de calcul et des chiffres comparables. Même au sein des ministères, les définitions varient [10].

10La définition de l’absentéisme, adoptée par le ministère de l’Éducation nationale, est énoncée dans la circulaire 96-247 du 25 octobre 1996, désigne un « comportement marqué par la répétition d’absences volontaires ». L’article L. 131-8 du Code de l’éducation [11], qui permet de déclencher les sanctions contre les parents, se réfère à des absences « sans motif légitime ni excuses valables ». Ces épithètes se prêtent à de multiples interprétations, ainsi qu’il ressort de l’enquête menée par l’UNAF[12], selon laquelle « toute absence donnant lieu à un mot des parents est classée « absence justifiée » quel que soit le motif donné », si bien que les absences volontaires sont loin d’être toutes comptabilisées [13].

11L’unité de mesure de l’absentéisme varie aussi d’un établissement à l’autre. Dans certains établissements, une heure est comptabilisée comme une demi-journée et un retard est comptabilisé comme une absence [14]. Cela s’explique sans doute par le fait que des études tendent à montrer que « ce type d’absentéisme parfois précurseur d’un absentéisme plus régulier traduit un manque de motivation et une démobilisation partielle de la part des élèves » [15] et mérite ainsi la vigilance de la communauté éducative.

12Cet absentéisme de l’intérieur est souvent le fait de jeunes effacés, qui souffrent souvent de dépression [16]. Comme nous le verrons, dans certains cas, « l’école et la culture de l’établissement favorisent le manque d’investissement et le développement d’un sentiment de non-appartenance qui contribuera à des conduites d’évitement » [17].

13La circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme » fait désormais la distinction entre trois niveaux d’absence, la première absence, trois demi-journées et quatre demi-journées, et trois niveaux d’intervention.

14S’agissant, non plus des définitions institutionnelles, mais des pratiques des jeunes absentéistes, 24,92 % d’entre eux disent s’être absenté pour un cours, 38,55 % pour une demi-journée et 44,28 % pour une journée entière, d’après une recherche menée par Catherine Blaya en 2010 auprès des collégiens de 12-16 ans [18]. Au total, 35,9 % des élèves interrogés déclarent s’être absentés sans excuse les trois derniers mois. Près de 2 % des élèves interrogés déclarent plus de 10 absences ce qui correspond à ce que le ministère considère comme de l’absentéisme lourd [19]. Les absences de plus d’une journée concernent 16,57 % des élèves interrogés.

15Ceux qui mettent en place des stratégies d’évitement de certains cours [20] sont considérés par certains auteurs comme la forme prépondérante d’absentéisme en Angleterre, corroborant le propos d’Etienne Douat[21], qui conclut que ces élèves dénommés « absentéistes » ne sont en réalité ni décrochés, ni accrochés tout à fait. S’appuyant sur une recherche de près de trois ans menée auprès de jeunes absentéistes, il interroge ainsi le terme d’absentéisme : « En nommant absentéistes des élèves qui sont en réalité encore très présents, en se polarisant sur la surveillance, le comptage et la répression des jeunes et de leurs familles, supposées défaillantes, l’institution s’interdit de penser la complexité du phénomène, tout en déployant des dispositifs souvent contre-productifs » [22].

Qui sont ces jeunes qui s’absentent ?

16Les chiffres collectés par les institutions montrent que les établissements les plus touchés par l’absentéisme sont ceux qui accueillent les populations les plus fragilisées. Parmi les absentéistes, on compte une grande proportion de redoublants. Les études montrent enfin que ce sont les garçons qui sont le plus souvent absentéistes et le plus concernés par l’absentéisme dit « lourd » [23].

Pourquoi s’absententils ?

17Le terme absentéisme renvoie à de multiples motifs d’absence et ne permet pas de saisir le phénomène dans toute son épaisseur. À cette fi n, ce sont les jeunes absentéistes eux-mêmes qu’il convient d’interroger. Or, si la circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme » prescrit aux établissements de convoquer le jeune dès les premières absences pour lui rappeler son obligation d’assiduité et les conséquences de sa violation, il n’est pas prévu que le jeune soit entendu sur les motifs de son comportement. Cela ne veut pas dire que les établissements scolaires s’y opposent, mais que cela reste facultatif.

18En revanche, chercheurs et associations se sont attelés à recueillir les réponses des jeunes. L’étude menée par l’UNAF [24], à partir de trente cas de jeunes, aboutit à la conclusion que l’absentéisme est causé en priorité par le mal-être et les difficultés psychiques (14 cas), dont une partie liées à l’école, les difficultés scolaires (10 cas) et enfin par une mauvaise orientation des élèves (6 cas).

19Les recherches menées par Catherine Blaya montrent que « les raisons avancées par les absentéistes sont majoritairement d’ordre scolaire avec 91% des réponses qui concernent les enseignants, la matière enseignée ou l’école en général » [25].

20Une recherche menée sur 37.000 élèves de collège montre que « les élèves absentéistes sont loin de rejeter l’expérience scolaire dans son ensemble(…). Ils élaborent des stratégies afin d’éviter certains aspects de celle-ci » [26]. Notons que l’ennui, le manque d’intérêt ou le manque de pertinence vis-à-vis des attentes des jeunes sont des motifs majeurs invoqués par les absentéistes [27]. Or le vécu dépressif serait important chez les élèves qui s’ennuient. Il faut appréhender l’ennui comme symptôme d’une inadaptation, d’un dysfonctionnement de l’élève ou de l’école [28]. Éric Debarbieux rappelle que 24 % des absents chroniques le sont par peur du harcèlement de leurs pairs à l’école [29].

21À mille lieux du vécu des jeunes, les mesures mises en exergue [30] par la circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme », indiquent que les pouvoirs publics identifient la méconnaissance de la loi (des obligations et des sanctions) comme la cause de l’absentéisme scolaire. De là, un pouvoir incantatoire est attribué au rappel de la loi, estimé à la cessation du comportement transgressif. Ce « juridisme » qui domine aussi les politiques publiques de prévention de la délinquance, présuppose que les individus font toujours des choix rationnels et partant sont entièrement responsables de leurs actes, occultant les causes sociales, environnementales.

Les absents, tous délinquants ?

22L’absentéisme est aujourd’hui souvent associé aux activités délinquantes dans les discours politiques [31] de la majorité, et les mesures en vigueur participent des mêmes logiques de responsabilisation des parents que celles prescrites dans le cadre de la prévention de la délinquance [32].

23La circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme » dispose en préambule que « l’École ne laissera plus aucun élève courir le risque de la déscolarisation, prélude à la désocialisation et, parfois même, à la délinquance ».

24L’intérêt pour ces questions est vif dans la mesure où la crise économique ne permet plus d’absorber ces jeunes sans diplôme ou qualification, sachant que l’accès au marché du travail n’est déjà pas facile pour les jeunes diplômés qui se retrouvent disqualifiés en raison de l’augmentation de leur nombre et de la concurrence en résultant. On est loin des années 60, où l’on considérait l’arrêt des études pour des élèves en échec se concluait par un arrêt de la délinquance, car dans cette période de plein emploi, il était aisé pour eux de trouver facilement du travail, tout en étant dépourvus de diplôme ou de qualification. « L’arrêt de scolarité pour des élèves en échec [se concluait] plutôt par un arrêt de la délinquance » [33].

25Mais on est également loin de 1996 lorsque la circulaire 96-247 du 25 octobre 1996 préconisait des sanctions mais aussi leur pendant, des mesures de prévention [34] et d’accompagnement et mettait l’accent sur l’absentéisme comme symptôme du malaise des élèves.

26Il n’est pas question ici de prétendre qu’il n’y a aucune corrélation entre absentéisme et délinquance. Toutefois, il est impératif de chercher des réponses dans les données du terrain et non dans les présupposés idéologiques qui dominent et faussent le débat sur l’absentéisme. Corrélation n’équivaut pas à cause.

27Aucune étude n’a encore permis d’établir si la délinquance est une cause ou une conséquence de l’absentéisme. Ce que les études récentes démontrent, en revanche, c’est que les absents, dans leur grande majorité, ne s’adonnent pas à des actes de délinquance lorsqu’ils manquent à leur obligation d’assiduité [35].

28La division en sous-groupes, selon la régularité des absences, montre que seuls les absents fréquents disent commettre régulièrement des actes de délinquance. Que font donc les absents ? 59,19 % restent chez eux, tandis que 28,16 % se rendent dans les lieux publics [36].

Les parents présumés coupables ?

29La loi n°2010-1127 du 28 septembre 2010 « visant à lutter contre l’absentéisme scolaire » a modifié l’article

30L. 131-8 du Code de l’éducation en renforçant la répression à l’encontre des parents. Le dispositif comporte plusieurs mesures, l’avertissement, l’information au maire, la saisine du président du Conseil général et la suspension du versement des allocations familiales sur décision de l’inspecteur d’académie.

31Un avertissement peut être adressé aux parents (par l’inspecteur d’académie sur saisine du directeur de l’établissement) s’ils n’ont pas fait connaître les motifs de l’absence ou ont donné des motifs inexacts ou encore si leur enfant a manqué quatre demi-journées dans le même mois [37].

32Les élèves envers lesquels un avertissement a été prononcé font trimestriellement l’objet d’une transmission d’informations au maire. Si le même élève réitère quatre demi-journées d’absence dans la même année, en dépit de l’avertissement, l’inspecteur d’académie enjoint la suspension du versement des allocations familiales et l’organisme débiteur des prestations est tenu d’obtempérer [38]. Le versement n’est rétabli que si les absences cessent pendant un mois. La suspension devient suppression si l’élève réitère quatre demi-journées d’absence sans motif légitime ni excuses valables.

33Cette approche, de responsabilisation des parents présumés défaillants, relève de l’idéologie. Aucune étude n’a démontré qu’infliger une sanction aux parents aurait des répercussions mécaniques sur le comportement des parents et du jeune. Est-il possible que le jeune absentéiste agisse selon un calcul coût/avantage, que les parents soient responsables de tous les maux ? Non, sauf à vouloir masquer d’autres facteurs tout aussi sinon plus prégnants, comme les facteurs scolaires et psychologiques, dont la prise en compte nécessite des politiques publiques ambitieuses.

34Par ailleurs, cette approche s’avère illogique, car comment sanctionner les parents pourrait-il contribuer à restaurer l’autorité parentale, alors que ces sanctions ont pour effet de placer les enfants dans une position de toute puissance vis-à-vis de leurs parents, exposés à des sanctions du fait des absences de leur enfant ? [39]

Les RAR mènent rarement à la mobilité sociale

Le sociologue Pierre Merle, à contre-courant des « résultats jugés encourageants » du rapport émanant du ministère de l’Éducation nationale, dénonce l’échec des Réseaux Ambition Réussite (RAR). Instaurés en vue de réduire les écarts de réussite scolaire entre les élèves scolarisés en RAR ou de « réussite scolaire » et ceux qui ne le sont pas, ce dispositif regroupe des collèges qui concentrent massivement difficultés sociales et scolaires identifiés afin de constituer les RAR. Ces derniers s’inscrivent dans le cadre de « l’Éducation prioritaire », dans le sillage des ZEP, puis des REP qu’ils remplacent.
Pierre Merle conteste les conclusions ministérielles en montrant le caractère partiel et partial des méthodes d’évaluation. La réduction alléguée de l’écart de réussite scolaire entre les élèves de RAR et les autres ne serait basée que sur les évaluations en fin d’école primaire dont « la pertinence technique fait par ailleurs polémique » et dont les résultats positifs ne concernent que les mathématiques, alors que les évaluations faites en troisième, plus significatives, prouvent que les écarts persistent.
Concernant la réduction alléguée du taux de redoublement, le sociologue souligne que le lien de causalité n’est pas établi entre ces chiffres et le dispositif des RAR, sachant que « les décisions de redoublement [relèvent] parfois moins de l’évaluation des compétences des élèves que de directives rectorales » visant à accélérer la sortie du système scolaire et la réorientation post-troisième.
Enfin il note que le nombre de demandes de dérogation déposées par les parents, au moment de l’inscription en sixième est bien supérieur dans les zones relevant des RAR (1 parent sur 4 au lieu de 1 sur 10), de même que le nombre de demandes de mutation des enseignants dans d’autres établissements (de 27,7 % en 2006 à 47,7 % en 2009).
Signalons qu’une évaluation est en cours au sein l’Institut de recherche sur l’éducation (IREDU), Université de Bourgogne (C. Blaya, « Décrochages scolaires. L’école en difficulté », De Boeck, 2010. p. 126).
Pour en savoir plus : « Réseaux ambition réussite : un bilan contestable » selon le sociologue Pierre Merle, ToutEduc, 14 mars 2011, http://www.touteduc.fr/index.php?sv=34&aid=3385 ; « Les collèges « ambition réussite » : un bilan négatif, une politique non prioritaire », Observatoire des inégalités, 18 février 2011, http://www.inegalites.fr/spip.php?page=article&id_article=1394 ; Bilan des RAR, Ministère de l4education nationale, publiée en janvier 2011, http://www.educationprioritaire.education.fr/index.php?id=339 ; circulaire du ministère de l’Éducation nationale n°2006-058 du 30 mars 2006, « Principes et modalités de la politique de l’éducation prioritaire » ; http://www.education.gouv.fr/bo/2006/14/MENE0600995C.htm

Date de mise en ligne : 22/01/2013

https://doi.org/10.3917/jdj.304.0012

Notes

  • [1]
    J. Malet, « Décrochage et scolarisation », JDJ n° 294, avril 2010, p. 8-17.
  • [2]
    Circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme », préambule.
  • [3]
    La Circulaire 2011-0018 du 31 janvier 2011 « Vaincre l’absentéisme » généralise le recours à l’application « Sconet absences ». La loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 impose aux établissements de présenter une fois par an un rapport d’information sur l’absentéisme scolaire.
  • [4]
    C. Blaya « Décrochages scolaires. L’école en difficulté », De Boeck, 2010, p. 98. D’après l’enquête menée auprès d’élèves absentéistes (1.232 réponses), un élève absent plus de 15 fois en 3 mois présente 67,86 % de risques de décrochage.
  • [5]
    Ibid., p. 68.
  • [6]
    Pour un état des lieux des différents dispositifs existant en France, voir C. Blaya, op. cit., p. 125-138.
  • [7]
    Ibid.
  • [8]
    D’après l’article L. 313-7 du Code de l’éducation instauré par la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie : « Chaque établissement d’enseignement du second degré (…) et ceux de l’enseignement agricole, et chaque centre de formation d’apprentis ou section d’apprentissage transmet, à des personnes et organismes désignés par le représentant de l’État dans le département (…) ainsi qu’à la mission locale pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes (…) les coordonnées de ses anciens élèves ou apprentis qui ne sont plus inscrits dans un cycle de formation et qui n’ont pas atteint un niveau de qualification fixé par voie réglementaire ».
  • [9]
    C. Blaya, 2010, p. 152 sur le programme « Check and Connect » ; « Fusion jeunesse : Un programme québécois contre le décrochage scolaire » (menant à une réduction de 40 % du taux d’absentéisme et une augmentation de 12,6 % du taux de diplômés), ToutEduc, www.touteduc.fr, 20 décembre 2010 ; « Élèves exclus mais pas perdus », sur l’action de l’Apcis à Stains (aussi dans JDJ n° 302, février 2011, p. 6).
  • [10]
    C. Blaya, 2010, p. 96.
  • [11]
    Modifié par la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire. Pour une analyse approfondie de la loi, voir J.-L. Rongé, « Allocations familiales : suspension, suppression, délégation ; Contrôle de la fréquentation scolaire… et d’autres comportements », JDJ n° 296, juin 2010, p. 8-15.
  • [12]
    Union Nationale des Associations Familiales ; « L’absentéisme scolaire », Études qualitatives n° 3, novembre 2010, p. 12 ; téléchargeable sur http://www.unaf.fr/spip.php?article11219.
  • [13]
    UNAF, « L’absentéisme scolaire, le point de vue des jeunes « absentéistes » et de leurs parents », étude qualitative, Paris, septembre 2010, p. 25.
  • [14]
    Étude qualitative de l’UNAF « L’absentéisme scolaire, le point de vue des jeunes « absentéistes » et de leurs parents », Paris, septembre 2010, p. 25.
  • [15]
    C. Blaya, 2010, p. 69.
  • [16]
    Selon une étude, basée sur un questionnaire, soumis à 1.158 étudiants de première année au sein des universités des États-Unis, la dépression serait le premier facteur d’arrêt de la scolarité. En anglais sur http://news.msu.edu/story/8930
  • [17]
    C. Blaya, 2010, p. 70.
  • [18]
    C. Blaya, p. 97 : la question portait sur le nombre d’absences sur l’année.
  • [19]
    Ministère de l’Éducation nationale, Note d’information 07.24 : l’absentéisme des élèves dans le second degré en 2005-2006.
  • [20]
    Blaya, p. 67, recherche menée par O’Keefe en Angleterre 1994.
  • [21]
    E. Douat, « L’école buissonnière : pour penser l’absentéisme autrement », Broché, La Dispute, 2011.
  • [22]
    www.laurent-mucchielli.org, 20 février 2011.
  • [23]
    C. Blaya, p. 97.
  • [24]
    Voy. notes 13 et 14.
  • [25]
    C. Blaya, p. 98.
  • [26]
    Cité par C. Blaya, p. 67.
  • [27]
    C. Blaya, 2011, p. 87, p. 97.
  • [28]
    C. Blaya, 2011, p. 85.
  • [29]
  • [30]
    Ladite circulaire prévoit la convocation de l’élève, le rappel de ses obligations en matière d’assiduité ainsi que l’application de « punitions » et le prononcé de sanctions éducatives (avertissement ou blâme) dans les cas les plus graves.
  • [31]
    Voir le rapport Bockel et le rapport Bénisti : J.-M. Bockel, « Prévention de la délinquance des jeunes », novembre 2010 ; http://www.-kel-_La_prevention_de_la_delinquance-des_jeunes.pdf ; commentaire : J.-L. Rongé et S. Turkieltaub : JDJ n° 300, décembre 2010, p. 32-42. J.-A. Bénisti, « Mission parlementaire sur la prévention de la délinquance des mineurs et des jeunes majeurs », février 2011 ; http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/cgi-bin/brp/telestats.cgi?brp_ref=114000073&brp_file=0000.pdf
  • [32]
    Ces mesures dites de prévention sont énoncées dans la loi 2007-297 du 5 mars 2007.
  • [33]
    J. Malet, « Décrochage et scolarisation », op. cit, en note 1.
  • [34]
    « Il est apparu qu’un certain nombre de mesures déjà expérimentées dans certains établissements sont de nature à réduire sensiblement l’absentéisme : il s’agit par exemple de mesures portant sur les rythmes scolaires, sur l’organisation de la vie scolaire, ou visant à renforcer le dialogue entre les élèves et les adultes de la communauté éducative, entre les parents et l’établissement, ou bien encore par des approches pédagogiques différenciées, visant à accroitre la motivation des élèves en les aidant à percevoir le sens des apprentissages ».
  • [35]
    C. Blaya, 2011, p. 66.
  • [36]
    C. Blaya, 2011, p. 67.
  • [37]
    Article L. 131-8 du Code de l’éducation.
  • [38]
    Ibid. Cette disposition, introduite par la loi précitée, n’est cependant pas totalement nouvelle puisque le versement pouvait déjà être suspendu, sur intervention du président du Conseil général, dans le cadre du contrat de responsabilité parentale (art. L. 222-4-1 CASF). Mais en pratique, les président de Conseils généraux se sont montrés peu enclins à déclencher ces sanctions, d’où cette nouvelle attribution confiée à l’inspecteur d’académie afin d’accélérer la procédure en neutralisant l’inaction le président du Conseil général.
  • [39]
    Voy. J.-P. Rosenczveig, « Cool Papa ! J’t’apporterai des oranges… ! », JDJ n° 297, septembre 2010, p. 9-11.

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