Notes
-
[*]
Juriste.
-
[1]
« La mise en cause des mineurs pour atteintes volontaires à l’intégrité physique », Observatoire national de la délinquance, Résultats et méthodes, décembre 2004, p.15.
-
[2]
De 1974 à 2001, le nombre d’infractions sexuelles enregistrées par les services de police et de gendarmerie est multiplié par 3.5. in Statistiques institutionnelles et violences sexuelles, Bruno Aubusson de Cavarlay, in Genres, violences sexuelles et justice, Jaspard et Condon, Documents de travail n°121, INED, 2004 p. 57.
-
[3]
Ibid.
-
[4]
La mise en cause des mineurs pour atteintes volontaires à l’intégrité physique, OND, op. cit., p.15.
-
[5]
Voy. Jean-Hugues Matelly et Christian Mouhana « Les indices d’erreur des statistiques policières », Libération, 11 janvier 2007. L’étude complète sur http://www.liberation.fr/_docs/Liberation-Mattely-Mouhana.pdf.
-
[6]
« Groupados », une expérience de prise en charge des adolescents aux comportements sexuels abusifs, Gérard, Sion, Blondeau, in Bulletin de l’action enfance maltraitée n°65 p.17 et Adolescent et agresseur sexuel : bilan d’une recherche, J. Dozois in Criminologie, 1994.
-
[7]
Les enfants qui abusent les autres enfants, M. Painchaud in Children who molest other children, in School psychologie review, vol.25, 1996.
-
[8]
69% des faits sont perpétrés seuls, contre seulement 29% en bande. Voy. égal. Laurent Mucchielli, « Le scandale des tournantes. Discours médiatique et contre-enquête sociologique », Éd. La Découverte, 128 pages.
-
[9]
« Adolescents auteurs d’abus sexuels : délinquance sexuelle ou dérapage ? », Y-H Haesevoets, chercheur, psychologue clinicien et expert auprès des tribunaux, in DIREM, bulletin n° 64, http://www.one.be/PDF/DIREM/direm_48.pdf.
-
[10]
Les traumatismes subis par les jeunes ne sont bien souvent pas exclusifs les uns des autres. 80% des jeunes délinquants sexuels ont subi un ou plusieurs évènements traumatiques dans leur enfance.
-
[11]
21% des actes ont lieu dans le cadre de la fratrie, 18% dans la famille élargie.
-
[12]
17% des faits se répètent pendant plus d’une année.
-
[13]
« Le droit pénal des mineurs entre son passé et son avenir », JF Renucci in RSC 2000 p.79.
-
[14]
« Justice pénale des mineurs : une théorie éprouvée par la pratique », F. Touret-De-Coucy in AJ pénal 2005 p.56.
-
[15]
Le suivi socio-judiciaire est instauré en France depuis la loi du 17 juin 1998 et comporte toute une série de mesures, parmi lesquelles une injonction de soins, qui sans pouvoir être réellement imposée, est proposée au délinquant sexuel après expertise psychiatrique. Celui-ci s’expose à une peine de prison plus lourde (jusqu’à 7 ans pour les crimes et 3 ans pour les délits) s’il s’y oppose. Il peut également être prononcé à la place d’une peine d’emprisonnement. Articles 131-36-1 à 131-36-8 du Code pénal.
- [16]
-
[17]
Décret de la Communauté française de Belgique du 12 mai 2004 relatif à l’aide aux enfants victimes de maltraitance (M.B. 14-06-2004). Voy. J. Trémintin, « Des agressions qui ne passent pas par un traitement judiciaire », JDJ-RAJS, n° 249, novembre 2005, p. 30-33.
-
[18]
Propos tenus par Nicolas Sarkozy dans Philosophie Magazine, avril 2007.
-
[19]
Art. 706-53-1 et suivants du code de procédure pénale (CPP).
-
[20]
Créé pour ficher les potentiels délinquants sexuels par la loi du 17 juin 1998, il a aujourd’hui été étendu à toutes les infractions violentes ou non (la dégradation en fait partie) par des lois successives. Il semble clair que l’objectif est de détenir l’empreinte génétique du plus grand nombre de personnes possibles, dans le but prétendu louable de faciliter l’élucidation d’affaires demeurées non résolues.
-
[21]
CPP, art. 706-53-2 2°.
-
[22]
CPP, art. 706-53-5.
1La délinquance sexuelle est un phénomène criminel qui ne laisse pas indifférent. L’opinion publique comme l’ensemble des professionnels du droit s’accordent sur l’horreur des agissements que constituent les actes relevant de cette catégorie.
2L’idée générale que l’on se fait de l’abuseur sexuel est en général celle d’un homme, adulte, se livrant à des actes déviants sur des mineurs, garçons ou filles, ou sur des femmes. Il est difficile d’admettre qu’un adolescent, voire même un jeune enfant, puisse s’adonner à des actes d’exhibitionnisme, d’attouchements, d’agressions sexuelles ou de viols sur leurs pairs, ou sur des adultes. L’opinion publique a plutôt tendance à nier la sexualité juvénile, ou à considérer certains comportements comme des jeux initiatiques et non comme des actes méritant une réponse spécifique, qu’elle soit pénale, socio-éducative ou thérapeutique.
3Pourtant, la délinquance sexuelle n’est pas l’apanage des adultes. En 2003, une personne sur quatre mis en cause pour un fait de violence sexuelle est un mineur. La part des moins de 18 ans dans les auteurs d’infractions sexuelles mis en causes aurait ainsi augmenté de 70% entre 1996 et 2003, selon l’OND [1].
4Il convient de ne pas nier cette réalité, dans l’intérêt du mineur auteur comme des victimes passées et potentielles. Sans stigmatiser systématiquement tout comportement un tant soit peu déviant, il importe de ne pas laisser en dehors d’une intervention socio-éducative et/ou judiciaire des enfants ou adolescents dont les actes s’inscrivent dans une dynamique de déviance sexuelle réelle. Les enquêtes autour de la personnalité de l’individu et les réponses doivent alors s’avérer adaptées à la jeunesse de l’auteur.
5Plusieurs questions se succèdent alors :
- la délinquance sexuelle des mineurs est-elle une forme de criminalité émergente ou est-ce une réalité qui nous apparaît avec plus d’acuité à dernière époque mais qui a toujours existé ?
- dans quel contexte les mineurs délinquants sexuels sont-ils amenés à passer à l’acte ?
- quelles méthodes d’enquête de personnalité, d’évaluation de la situation psychologique du jeune, et quelles réponses pénales ou éducatives sont adaptées à des mineurs s’adonnant à des actes sexuels déviants, délictuels ou criminels ?
La délinquance sexuelle des mineurs : une criminalité émergente ?
6Le domaine des infractions sexuelles est particulièrement sensible lorsque l’on aborde la question de son évolution. Pour les majeurs comme pour les mineurs, les chiffres de la délinquance sexuelle sont en progression [2]. La majorité des auteurs s’accorde cependant à dire que l’augmentation de la criminalité sexuelle constatée est, en grande partie, due à un changement de comportement des victimes qui hésiteraient moins à signaler les actes subis. Il est en réalité bien difficile de savoir où se situe l’impact de ces nouveaux comportements par rapport à l’évolution des chiffres.
7Par ailleurs, bien que l’accueil de celles-ci se soit très certainement amélioré ces dernières années, et que les tabous autour de la sexualité soient progressivement en train de tomber, il convient de ne pas omettre la pesante loi du silence qui règne encore autour de ces actes. L’auteur est bien souvent un membre de la cellule familiale ou un proche de la victime. Dans ces conditions, la honte et le poids des conséquences engendrées par la révélation publique d’un acte de délinquance sexuelle empêchent bien souvent la victime de dénoncer les faits commis. De manière générale, les familles ont trop souvent tendance à vouloir « étouffer » les affaires.
8Il existe donc incontestablement un chiffre noir de la délinquance sexuelle, qu’elle soit le fait de personnes majeures ou mineures.
9Concernant les adolescents et les enfants, les faits de criminalité sexuelle enregistrés se sont multipliés par 2 environ, entre 1995 et 2001, avec une croissance accélérée entre 1995 et 1998. Par ailleurs, les condamnations de mineurs pour crimes et délits de nature sexuelle se multiplient par 4 environ, entre 1984 et 2001 [3].
10Les mises en cause de mineurs pour violences sexuelles représentent, en 2003, 3 578 personnes, soit une augmentation de 67,7% par rapport à l’année 1996 [4]. Ces statistiques dépassent largement le nombre de décisions judiciaires mettant en cause des mineurs pour les mêmes faits (voir le tableau des condamnations en encadré).
11Il convient donc de relativiser ces chiffres pour ne pas céder aux tentations de fantasmes et de manipulation de l’opinion publique qui entourent souvent ces questions. Ceci correspond à un accroissement généralisé de l’enregistrement de mineurs mis en cause dans les statistiques de police à cette époque, ainsi qu’à un revirement de politique pénale à l’égard des mineurs délinquants depuis les années 90 qui sont traités comme tels, et moins souvent comme relevant uniquement de l’assistance à mineurs en dangers. Cependant, la méthode de comptage des actes de délinquance par l’OND prête encore à discussion [5].
12Il est en tout cas certain que les chiffres publiés de la délinquance juvénile en matière sexuelle sont en augmentation depuis une quinzaine d’année. Cependant, l’ « omerta » qui régnait auparavant autour de ces faits embrume quelque peu le tableau et il est extrêmement difficile de savoir si ce phénomène est réellement en expansion ou si l’évolution des chiffres trouve son origine dans les comportements des victimes comme des instances judiciaires.
13Toujours est-il que la société et les instances pénales se trouvent de plus en plus fréquemment confrontés à cette criminalité et qu’il convient d’en déterminer les causes et de trouver des solutions adéquates.
Le passage à l’acte du mineur délinquant sexuel
Qui sont les mineurs aux comportements sexuels déviants ?
14Les mineurs auteurs d’infractions sexuelles ont en moyenne 14 ans au moment des faits [6]. Ils sont souvent adolescents, mais de jeunes enfants pré-pubères peuvent également se voir reprocher des faits d’attouchements, voire d’agressions sexuelles [7].
15Contrairement aux idées reçues, ils proviennent de tous les milieux socioculturels et de toutes les origines. La réalité de la délinquance des mineurs dépasse malheureusement de loin le cliché de la « tournante » des banlieues, prenant pour triste victime une jeune fille maghrébine, agressée par ses voisins de cité dans une cave [8].
16Des profils psycho-pathologiques du mineur délinquant sexuel ont été dressés par les chercheurs, notamment anglo-saxons et belges [9]. Il présente souvent des troubles de l’identité, caractérisé par un défaut de mentalisation. Souvent introverti, en souffrance, présentant des difficultés à établir un contact social avec ses pairs, il a un vécu isolé voire persécutif de son entourage. Ces difficultés sont d’ailleurs bien souvent détectées à l’école, grâce à des manifestations d’inhibition dans l’échec, une instabilité ou des difficultés d’apprentissage.
17Les mineurs présentant des déviances sexuelles sont également fréquemment des enfants ayant évolué dans un contexte familial peu adapté. Des parents distants, absents, inaccessibles, alcooliques, voire maltraitants ou eux-mêmes abuseurs peuvent entraîner un comportement déviant de leur enfant au stade de l’adolescence, passage difficile entre l’enfance et la vie adulte, où la puissance du désir sexuel peut dépasser la curiosité normale et s’inscrire dans un schéma de délinquance [10].
Quand passent-ils à l’acte et avec qui ?
18La plupart des adolescents qui abusent sexuellement « trouvent » ou choisissent leurs victimes dans leur entourage familial ou social immédiat. Suivant le contexte, ils pratiquent un inceste avec un frère ou une sœur [11], une fois ou sur une durée qui peut atteindre plusieurs années, ou profitent d’une garde d’enfants, ou d’un moment d’intimité avec ceux-ci pour passer à l’acte. Les hypothèses sont hétérogènes, mais l’enfant ou l’adolescent agresse plus rarement une personne qui lui est totalement étrangère.
19Les victimes des mineurs agresseurs sexuels sont généralement plus jeunes que l’auteur, 7 ans en moyenne. La différence d’âge est en moyenne de 6 ans. 41% ont entre 0 et 12 ans, et seulement 9% sont des adultes. La majorité des viols et agressions sexuelles perpétrés par des mineurs ont donc lieu entre deux mineurs, dont la victime a généralement moins de 15 ans.
20Souvent dans le cadre familial, ceux-ci se produisent en majorité une seule fois, même s’ils peuvent parfois se prolonger pendant plusieurs années [12], sur une victime féminine, et généralement plus jeune que l’auteur des faits. Les recherches concernant les majeurs amènent à des conclusions semblables. Les explications du passage à l’acte sont cependant spécifiques au mineur et il est permis de penser que d’autres troubles du comportement amènent les majeurs à adopter ce genre de déviance, notamment des tendances pédophiliques avérées. Elles ont pourtant souvent les mêmes origines, et plus de la moitié de ceux-ci avouent d’ailleurs avoir commencé leur carrière criminelle à l’adolescence.
21Il convient d’apporter des solutions tout à fait spécifiques aux infractions sexuelles commises par des mineurs, adaptées à leur âge et donc aux perspectives d’évolution de leur personnalité, mais également au droit pénal des mineurs, qui propose des réponses pénales sensiblement différentes de celles concernant les majeurs.
À la recherche d’une réponse socio-éducative, thérapeutique et pénale adéquate
22Il est important de répondre correctement aux actes de délinquance sexuelle perpétrés par des mineurs pour plusieurs raisons.
23Tout d’abord, puisque l’enfant ou l’adolescent n’est pas un délinquant comme les autres - nous l’avons admis depuis longtemps - il convient, pour la justice, de trouver une solution, pénale ou éducative, voire également thérapeutique, qui permette en tout cas une prise en charge complète, destinée à l’aider à ne pas devenir un délinquant sexuel adulte.
24Par ailleurs, et cela nous semble tout aussi important, là ou les victimes potentielles de ce jeune doivent être protégées. Il n’est pas admissible qu’un jeune, parce qu’il est jeune, ne soit pas puni et/ou aidé comme le serait un majeur. Le risque d’un passage à l’acte à l’âge adulte n’en serait qu’augmenté. Le prendre en charge dès l’adolescence permet de réduire considérablement les risques de récidive. 50% des auteurs d’infractions sexuelles avouent avoir commencé leur carrière criminelle à l’adolescence, alors qu’ils sont condamnés pour la première fois à 26 ans en moyenne. Le schéma est bien souvent le même : exhibitionnisme, agression sexuelle, puis viol. Il apparaît donc également indispensable de protéger la société contre des « criminels en herbe », afin qu’ils ne s’ancrent pas dans un schéma délictuel qui relève souvent du cercle vicieux.
25Quelques groupes de travail se sont formés depuis une dizaine d’années, élaborant une procédure spécifique d’évaluation et de traitement des délinquants sexuels mineurs.
26En France, le droit pénal des mineurs est spécifique et relève de l’ordonnance du 2 février 1945, « charte de l’enfance délinquante » [13]. En matière d’infractions sexuelles, le concept de « mineur en danger », propre à la protection de l’enfance, prend également tout son sens. La situation du jeune doit être envisagée sous l’angle d’une approche éducative, et de sanctions ou de mesures éducatives mises à la disposition du juge des enfants, identiques à celles prévues pour d’autres types d’infractions. Par ailleurs, les sanctions spécifiques à la délinquance sexuelle, parmi lesquels le suivi socio-judiciaire, doivent être envisagées pour le mineur comme pour le majeur. Les faits doivent tout d’abord être qualifiés. La violence sexuelle comporte nombre d’incriminations répertoriées au livre II du Code pénal, parmi lesquelles le harcèlement sexuel (art. 222-33), les agressions sexuelles (art. 222-27) et le viol (art. 222-23 à 222-26), commis sur des personnes mineures comme majeures.
27L’atteinte sexuelle (art. 227-25), quant à elle, incrimine le fait pour une personne majeure d’avoir une relation sexuelle avec un mineur de 15 ans, consentant, estimant ainsi qu’à cet âge, on ne peut réellement être apte à consentir à un acte de nature sexuelle avec un adulte. La loi ne prend donc pas en compte la situation dans laquelle un mineur de 16 ou 17 ans aurait une relation consentie avec un jeune de quelques années son cadet. Le juge ne serait-il pas alors tenté ou contraint de qualifier ces faits en « agression sexuelle », voire même en « viol », ne disposant pas d’un texte approprié à la situation ? La différence est pourtant indéniable entre un mineur abusant d’un jeune frère ou d’une jeune sœur, sous la menace ou la chantage, et un mineur ayant une relation sexuelle plus ou moins consentie avec une adolescente, certes plus jeune que lui, mais qui n’a pas forcément ressenti l’acte comme une agression de nature sexuelle. Une fois le juge des enfants saisi d’une telle affaire, est mise en place, outre l’expertise psychiatrique, une mesure spécifique d’investigation et d’orientation éducative (IOE). Menée par une équipe pluridisciplinaire composée d’un assistant social, d’un éducateur, d’un psychologue et d’un psychiatre, elle présente l’avantage de durer 6 mois. Elle apporte ainsi un éclairage plus évolutif et permet d’appréhender plus finement les relations intrafamiliales et le contexte de l’infraction, bien souvent intrafamilial lui aussi [14]. Il permet notamment de déceler les conditions dans lesquelles l’infraction a été commise et le degré de consentement mutuel à l’acte.
28Par la suite, le juge des enfants dispose de bien des solutions, allant de la mesure éducative à la peine, en passant par la sanction éducative. Ce panel de réponses doit permettre de personnaliser au maximum la sanction pénale, principe directeur de la matière, qui doit être particulièrement respecté pour les mineurs. La juridiction pour mineurs, statuant en cabinet, au tribunal pour enfants, ou en cour d’assises des mineurs si l’infraction est un crime commis par un mineur de plus de 16 ans, choisira la peine la plus adéquate à la situation du jeune. En matière de délinquance sexuelle, un suivi dans un centre éducatif peut s’avérer opportun. Tout en veillant à ne pas abuser de la rupture avec le milieu social et familial, le contexte peut s’y prêter, voire l’imposer si l’acte a eu lieu au sein de la cellule familiale.
29Enfin, au moment du jugement, la mise en place d’un suivi socio judiciaire [15] peut être décidée, pour les mineurs comme pour les majeurs. Il sera suivi par le juge des enfants (et non pas par le juge de l’application des peines). Il permet notamment de proposer une thérapie au jeune, à la place d’un emprisonnement ferme ou à la sortie de prison. Il s’inscrit dans une dynamique de traitement et d’accompagnement, et évite les sorties sèches de prison, qui sont souvent des périodes très critiques pour les délinquants sexuels.
30Quelle que soit la solution préconisée par le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou la cour d’assises des mineurs, le rôle des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse est extrêmement important, notamment pour la mesure d’investigation et d’orientation éducative. Ceux-ci sont chargés d’accompagner les jeunes délinquants dans la voie de la sortie du cycle criminel. Il est cependant avéré qu’ils manquent cruellement de personnels compétents pour ce type d’infractions, notamment de psychologues et de psychiatres susceptibles de prendre les jeunes mineurs délinquants sexuels en charge. Tout comme pour les majeurs, les moyens manquent et les psychiatres ne se bousculent pas à la porte de la justice pour permettre la mise en place du suivi socio judiciaire ou de thérapies en collaboration avec la PJJ.
Les exemples étrangers
31L’expérience de certains pays étrangers est, à cet égard, remarquable. La Belgique et le Québec notamment, font preuve de détermination dans l’appréhension du problème de la délinquance sexuelle juvénile et mettent à bien des programmes particulièrement intéressants.
Les fichiers des empreintes génétiques
Le premier, crée par la loi du 17 juin 1998 et codifié aux articles 706-54 et suivants, concerne une liste d’infractions de plus en plus longue, allant des infractions sexuelles aux actes de dégradation. La liste ne cesse de s’étendre au gré des nouvelles lois pénales [1] et ne concerne plus aujourd’hui comme au début les seules infractions sexuelles ou violentes.
Placé sous le contrôle d’un magistrat, ce fichier est alimenté par les officiers de police judiciaire, qui recueillent les empreintes génétiques de toute personne condamnée pour l’un des faits énumérés à l’article 706-55 du Code de procédure pénale [2], mais également de toute personne à l’encontre de laquelle il existe des indices graves et concordants rendant vraisemblable qu’elle ait commis l’une des infractions visées.
Par ailleurs, le procureur de la République ou le juge d’instruction peut décider d’un prélèvement sur toute personne pour laquelle il y a une ou plusieurs raisons plausible de soupçonner qu’elle ait participé à un crime ou un délit, afin d’opérer des rapprochements. Ces empreintes ne pourront cependant pas être conservées si aucune suite n’est donnée au dossier.
Toute personne ayant commis ou étant soupçonnée d’avoir commis l’une des infractions entrant dans le cadre du fichier automatisé d’empreintes génétiques doit obligatoirement se soumettre au prélèvement. Le refus est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende si l’infraction est un délit. Le refus sera puni de 2 ans et de 30 000 euros d’amende s’il s’agit d’un crime. Cette peine se cumule alors, sans possibilité de confusion, avec la peine éventuellement prononcée pour l’infraction initiale ayant justifiée le prélèvement.
Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) contient aujourd’hui des dizaines de milliers de dossiers alors qu’il n’en contenait que 7000 en 2004. Il a en effet mis de nombreuses années à être mis en place puis à se développer.
Le second fichier des empreintes génétiques français a été mis en place par la loi Perben 2 du 9 mars 2004 avec deux objectifs : l’un était de faciliter l’identification et la recherche des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, l’autre était, à la différence du FNAEG, de prévenir la récidive des délinquants sexuels.
Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, outre le recueil des empreintes génétiques, impose des obligations à toutes les personnes fichées.
Les auteurs d’infractions sexuelles ou violentes visées par les articles 706-53-1 et suivantes, (personnes condamnées même non définitivement, même amnistiées, ou ayant bénéficié d’une composition pénale ou d’un non lieu fondé sur l’article 122-1 du CP), doivent déclarer leur adresse tous les ans, par lettre recommandée et justificatifs à l’appui, si ils ont été reconnus coupables d’un délit. Les personnes condamnées pour crime ou délit puni de plus de 10 ans, devront se présenter en personne au commissariat ou à la gendarmerie tous les 6 mois.
Tout changement d’adresse doit par ailleurs être déclaré dans les 15 jours. Mais le législateur ne s’est pas arrêté là. A l’occasion de la loi du 5 mars 2007 [3], le dispositif a encore été durci pour les personnes fichées. Si elles sont jugées particulièrement dangereuses, on ne sait malheureusement pas sur quels critères, elles pourront être astreintes à une obligation de pointage mensuelle, et non plus annuelle ou semestrielle, obligation qui devient automatique pour la juridiction de jugement ou le juge de l’application des peines si la personne est en état de récidive.
Tout manquement à l’obligation de déclaration d’adresse ou de présentation au commissariat fait encourir à son auteur une peine de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Les données sont conservées 30 ans en cas de crime ou de délit puni de plus de 10 ans d’emprisonnement, 20 ans dans les autres cas. Il est possible de demander à être retiré du fichier une fois que la condamnation a été effacée du bulletin n°1 du casier judiciaire, mais cette demande peut bien évidemment être refusée, par le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention, puis la chambre de l’instruction. Les textes régissant la mise en place et l’utilisation de ces deux fichiers ne comportent malheureusement aucune disposition spécifique concernant les mineurs. Ils peuvent se voir soumis à des prélèvements ADN et être fichés au fichier national des empreintes génétiques pour 40 ans ou au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes et être obligés de pointer au commissariat de leur quartier pendant 30 ans alors que la condamnation aura été effacée depuis longtemps de leur casier judiciaire.
Soulignons par ailleurs que l’inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes est une mesure de sureté : la loi est donc d’application rétroactive sur ce point et des personnes condamnées avant l’entrée en vigueur du texte peuvent se voir convoquées par un officier de police judiciaire pour procéder au prélèvement de leur ADN et, conséquemment, être obligées aux déclarations d’adresse et « pointages » pendant les 30 ans à venir, et ce même si leur condamnation date de plusieurs années déjà.
32L’institut Philipe Pinel, au Canada, a mis au point, dès 1979, des traitements spécifiques adaptés aux délinquants sexuels [16]. Sept institutions au Québec proposent désormais des traitements pour les agresseurs sexuels mineurs. On privilégie le recueil des données relatives à l’enfance du mineur, à son mode de vie actuel, à ses distorsions cognitives et à ses troubles du comportement. Les modalités de la réponse thérapeutique peuvent ensuite différer ; certains traitements ayant lieu en groupe, d’autres mettant en avant une approche individuelle, d’autres encore mariant les deux. Une collaboration étroite entre la justice et les réponses thérapeutiques semble s’être instaurée.
33En Belgique, le Groupados de SOS enfance de l’Université libre de Bruxelles (ULB) propose aujourd’hui des études et des thérapies très élaborées. Projet pilote de l’Aide à la jeunesse en Communauté française, ses travaux sont considérables et son action se poursuit actuellement dans le cadre du décret sur l’enfance maltraitée [17].
34Une approche évaluative du mineur est privilégiée, permettant de savoir s’il se situe à la limite de l’abus dans le cadre de la découverte de la sexualité ou s’il commet des abus sexuels avérés et répétitifs. Elle est le plus souvent réalisée sous la forme d’une expertise, demandée par le juge de la jeunesse ou le parquet. Elle est composée d’une dizaine de séances, étalées sur quatre à cinq mois, comprenant des entretiens cliniques et des tests psychologiques.
35Cette étape, qui se veut déjà thérapeutique est suivie d’un traitement en groupe psychodynamique, semi-ouvert, présentant les avantages de la mentalisation et de la prise de conscience des faits, du développement de l’empathie à plusieurs, et de la gestion de la violence et de l’agressivité dans une « mini société ». S’adressant uniquement aux adolescents ayant commis des abus sexuels sur d’autres adolescents, sur des enfants ou des adultes et contraints par la justice de suivre cette thérapie, l’objectif poursuivi par le Groupados est de promouvoir pour ces jeunes une prise en charge adaptée, ferme sur la condamnation des faits commis mais respectueuse de qui ils sont. Là encore, le tandem réponse pénale-réponse thérapeutique est très opportun et semble particulièrement prometteur pour la lutte contre la délinquance sexuelle des mineurs.
36Les recherches sur les mineurs abuseurs sexuels n’en sont qu’à ses balbutiements. À peine plus d’une dizaine d’études ont été réalisées sur le sujet, et souvent sur un nombre de sujets restreints. Si la réponse pénale est souvent encadrée par les possibilités offertes par le code pénal, la réponse thérapeutique peut certainement encore évoluer. Les expériences belges et québécoises sont encourageantes. La pathologie inhérente aux agressions sexuelles est réputée incurable. Pourtant, pour un jeune qui n’est auteur que d’un fait déviant, peut être est-il encore temps de tenter de le recentrer vers une sexualité conforme à la morale et aux normes juridiques ?
Le fichage à vie
37Contrairement à ce que semblent penser certains [18], la pédophilie n’est pas innée, de l’avis des professionnels de la génétique notamment. L’enfermement par le biais de la prison, à vie de préférence, n’est donc pas la solution et que l’on soit rassuré, le fauteur ne risque pas d’oublier son geste.
38Il sera de toute façon marqué du sceau de la délinquance sexuelle pendant de nombreuses années. Le statut de délinquant sexuel est « garanti à vie ». Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) [19] regroupe l’empreinte génétique de toutes les personnes condamnées ou mises en cause pour des faits de délinquance sexuelle [20]. Les mineurs n’échappent pas à la règle [21] et sont donc également soumis aux prélèvements de salives permettant de ficher leur empreinte génétique. Ils devront par la suite, s’ils sont reconnus coupables d’un crime ou d’un délit puni de 10 ans d’emprisonnement, pointer tous les six mois au service désigné par la préfecture, notifier chaque changement d’adresse dans les 15 jours, et cela pendant 30 ans. S’il s’agit d’un délit moins grave ou de personnes non condamnées définitivement, ils doivent notifier une fois par an par lettre recommandée leur domicile, avec justificatifs à l’appui (quittances d’électricité, contrat de bail ou attestation d’hébergement). Tout manquement aux obligations imposées par cette inscription au FIJAIS fait encourir au négligeant une peine d’emprisonnement de deux ans et 30.000 euros d’amende [22].
39Rien ne leur permet donc d’oublier l’acte qu’ils ont commis, même isolé, même à l’adolescence. Et si ce fichier peut se révéler efficace pour élucider certaines affaires non élucidées, il ne permettra jamais à un criminel sexuel de ne pas récidiver. Seule la prévention de la récidive, passant par un encadrement psychologique, des soins et une sanction appropriée, pourront éviter que de jeunes mineurs délinquants sexuels deviennent les « monstres » multirécidivistes, les violeurs et tueurs, qui font la une des journaux télévisés.
Notes
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[1]
« La mise en cause des mineurs pour atteintes volontaires à l’intégrité physique », Observatoire national de la délinquance, Résultats et méthodes, décembre 2004, p.15.
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[2]
De 1974 à 2001, le nombre d’infractions sexuelles enregistrées par les services de police et de gendarmerie est multiplié par 3.5. in Statistiques institutionnelles et violences sexuelles, Bruno Aubusson de Cavarlay, in Genres, violences sexuelles et justice, Jaspard et Condon, Documents de travail n°121, INED, 2004 p. 57.
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Ibid.
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La mise en cause des mineurs pour atteintes volontaires à l’intégrité physique, OND, op. cit., p.15.
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[5]
Voy. Jean-Hugues Matelly et Christian Mouhana « Les indices d’erreur des statistiques policières », Libération, 11 janvier 2007. L’étude complète sur http://www.liberation.fr/_docs/Liberation-Mattely-Mouhana.pdf.
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[6]
« Groupados », une expérience de prise en charge des adolescents aux comportements sexuels abusifs, Gérard, Sion, Blondeau, in Bulletin de l’action enfance maltraitée n°65 p.17 et Adolescent et agresseur sexuel : bilan d’une recherche, J. Dozois in Criminologie, 1994.
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[7]
Les enfants qui abusent les autres enfants, M. Painchaud in Children who molest other children, in School psychologie review, vol.25, 1996.
-
[8]
69% des faits sont perpétrés seuls, contre seulement 29% en bande. Voy. égal. Laurent Mucchielli, « Le scandale des tournantes. Discours médiatique et contre-enquête sociologique », Éd. La Découverte, 128 pages.
-
[9]
« Adolescents auteurs d’abus sexuels : délinquance sexuelle ou dérapage ? », Y-H Haesevoets, chercheur, psychologue clinicien et expert auprès des tribunaux, in DIREM, bulletin n° 64, http://www.one.be/PDF/DIREM/direm_48.pdf.
-
[10]
Les traumatismes subis par les jeunes ne sont bien souvent pas exclusifs les uns des autres. 80% des jeunes délinquants sexuels ont subi un ou plusieurs évènements traumatiques dans leur enfance.
-
[11]
21% des actes ont lieu dans le cadre de la fratrie, 18% dans la famille élargie.
-
[12]
17% des faits se répètent pendant plus d’une année.
-
[13]
« Le droit pénal des mineurs entre son passé et son avenir », JF Renucci in RSC 2000 p.79.
-
[14]
« Justice pénale des mineurs : une théorie éprouvée par la pratique », F. Touret-De-Coucy in AJ pénal 2005 p.56.
-
[15]
Le suivi socio-judiciaire est instauré en France depuis la loi du 17 juin 1998 et comporte toute une série de mesures, parmi lesquelles une injonction de soins, qui sans pouvoir être réellement imposée, est proposée au délinquant sexuel après expertise psychiatrique. Celui-ci s’expose à une peine de prison plus lourde (jusqu’à 7 ans pour les crimes et 3 ans pour les délits) s’il s’y oppose. Il peut également être prononcé à la place d’une peine d’emprisonnement. Articles 131-36-1 à 131-36-8 du Code pénal.
- [16]
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[17]
Décret de la Communauté française de Belgique du 12 mai 2004 relatif à l’aide aux enfants victimes de maltraitance (M.B. 14-06-2004). Voy. J. Trémintin, « Des agressions qui ne passent pas par un traitement judiciaire », JDJ-RAJS, n° 249, novembre 2005, p. 30-33.
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[18]
Propos tenus par Nicolas Sarkozy dans Philosophie Magazine, avril 2007.
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[19]
Art. 706-53-1 et suivants du code de procédure pénale (CPP).
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[20]
Créé pour ficher les potentiels délinquants sexuels par la loi du 17 juin 1998, il a aujourd’hui été étendu à toutes les infractions violentes ou non (la dégradation en fait partie) par des lois successives. Il semble clair que l’objectif est de détenir l’empreinte génétique du plus grand nombre de personnes possibles, dans le but prétendu louable de faciliter l’élucidation d’affaires demeurées non résolues.
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[21]
CPP, art. 706-53-2 2°.
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[22]
CPP, art. 706-53-5.