Notes
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[1]
Ce texte reprend et développe sous une forme nouvelle l’article « An adolescent and his imaginary companions: from near delusional constructs to creative imagination », publié dans le Journal of Child Psychotherapy, 30, 3, p. 273-295. Le texte a été présenté au cours de la Journée scientifique de la Fédération française de psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent, le 28 septembre 2019, à Angers. Il a été traduit de l’anglais par Marie-Christine Simeloff. Une nouvelle édition française de ce texte est prévue dans un ouvrage de l’auteur, Le Compagnon imaginaire. Écrits psychanalytiques, qui sera publié par les Éditions du Hublot (Larmor Plage).
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[2]
L’ange gardien est à l’origine l’archange Raphaël, dont la fonction est d’accompagner l’adolescent Tobias, fils de Tobit, lors de son premier départ de la maison et tout au long de son cheminement vers l’âge adulte (Belloli, 2000).
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[3]
Le nom qu’il donnait à son armure défensive est très intéressant. Les professionnels qui s’en servaient principalement par le passé étaient les pompiers, et Salvo était certes apte à éteindre les émotions chaudes. Cependant, la référence à un matériel dangereux, l’amiante, semble indiquer qu’il était conscient de la destructivité potentielle associée à cet équipement protecteur.
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[4]
Dans un article datant de 1971, Bach décrit le cas d’une patiente de 24 ans, qui se souvint d’un compagnon imaginaire qu’elle avait eu enfant. Robin avait été créé, lorsqu’elle avait 4 ans, au moment où sa grand-mère maternelle, qui s’était occupée d’elle, était décédée. L’enfant avait alors été sollicitée comme soutien par sa mère déprimée. La fonction de ses compagnons imaginaires – comme la patiente et la thérapeute finirent par le comprendre – était de l’aider à échapper à l’identification à sa mère déprimée. Un article ultérieur d’une psychanalyste américaine, Helene Bass Wichelhaus (1983), décrit l’apparition d’un compagnon imaginaire chez un de ses patients âgé de 28 ans. L’analyse suggère que cette figure incorporait des aspects de la thérapeute elle-même et d’une figure mâle puissante et était utilisée par le patient pour contrer des objets parentaux fragiles et défectueux.
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[5]
J’aimerais mentionner à cet égard l’importance des services de prévention dans le domaine des difficultés périnatales. Lors d’une réunion à Larmor Plage en mars dernier, il fut présenté le travail accompli dans un de ces services par une équipe de psychologues, d’assistants sociaux, d’infirmières et de psychomotriciens, qui offrent aux mères et aux bébés en difficulté la possibilité de passer une semaine à l’hôpital après la naissance pour faciliter la création d’un lien entre eux. Le cas de Salvo est pour moi l’un des multiples exemples attestant du besoin de ressources professionnelles supplémentaires pour contenir les angoisses archaïques qui peuvent submerger le bébé lorsque les capacités maternelles ne sont pas disponibles ou temporairement endommagées.
Introduction
1Je souhaite décrire dans cet article l’usage spécifique que fit un adolescent de ses compagnons imaginaires ainsi que la façon dont ils se développèrent et puis disparurent au cours de la thérapie. Mon hypothèse est que ces constructions représentaient des « dispositifs d’autoprotection » (Rhode, 2004), auxquels il avait recours pour contrer des angoisses archaïques d’anéantissement.
2Au moment où il me fut adressé, le patient avait 14 ans et demi et il présentait une forme moyennement grave du syndrome d’Asperger. Il avait un comportement bizarre, ne s’intéressait pas à grand-chose et rencontrait divers problèmes dans sa scolarité et dans ses relations. Il tentait de pallier son isolement par sa relation secrète à plusieurs amis imaginaires. Ces compagnons étaient dotés par lui d’un fort sentiment de réalité, qui en faisait des personnages de quasi-délire.
3Au cours du traitement, les caractéristiques et les fonctions des compagnons imaginaires évoluèrent. Salvo, comme je l’appellerai, put reconnaître la réalité subjective de ses compagnons. Il réduisit leur nombre et attribua à l’un d’eux la fonction de guide. Peu à peu, le fantasme rejoignit le domaine de la fiction littéraire et le compagnon imaginaire devint un personnage de roman. Parallèlement, la qualité de ses relations s’améliora : il se mit à prendre du plaisir dans un nouveau domaine d’études et à y connaître la réussite.
4Dans mon travail avec cet adolescent, j’ai été confrontée à un dilemme permanent. Les compagnons imaginaires remplissaient une fonction vitale pour lui en le protégeant d’angoisses mortifères, mais dans le même temps, par leur présence constante et le fait qu’ils étaient totalement sous son contrôle, ils limitaient sa possibilité d’établir des relations avec des êtres humains vivants.
5Le traitement de Salvo dura huit ans. Cet article se concentre sur les quatre premières années qui se conclurent par la disparition des compagnons imaginaires. Je vais commencer par passer brièvement en revue la littérature psychanalytique sur ce thème, puis je présenterai le matériel clinique. Et finalement je tirerai certaines conclusions.
La littérature psychanalytique sur les compagnons imaginaires
6La première étude la plus complète est celle de Humberto Nagera, datant de 1969, fondée sur des cas d’enfants, en psychothérapie à la Clinique Hampstead de Londres, qui présentaient ce fantasme. La présence de compagnons imaginaires n’était cependant, dans aucun des cas, la raison pour laquelle l’enfant avait été adressé en thérapie. Les données prises en considération provenaient aussi de l’observation des enfants et de l’analyse d’adultes, chez qui ce fantasme avait refait surface sous forme de souvenir.
7Dans la première partie de l’article, Nagera se concentre sur la description du fantasme, y compris sur sa fréquence, sa distribution entre les garçons et les filles, la présence du phénomène à différents âges, le moment de son apparition et de sa disparition, la définition d’un compagnon imaginaire et sa différenciation d’avec le jeu d’imagination employant des jouets. Il peut être utile de rappeler la définition, citée par Nagera, que donne la psychologue Margareth Svendsen (1934, p. 988) du compagnon imaginaire : « Un personnage invisible, qui a un nom et auquel on se réfère en conversation ou avec lequel on joue directement sur une certaine période de temps, plusieurs mois au moins, et qui détient un air de réalité pour l’enfant, sans base objective apparente. » Nagera considère aussi le rapport entre ce fantasme et la solitude de l’enfant, à la fois dans le sens concret d’être fils ou fille unique et dans le sens émotionnel.
8Le tableau concernant les caractéristiques des enfants qui créent des compagnons imaginaires est cependant tout à fait contradictoire. Comme le fait remarquer Nagera, certaines études montrent un rapport entre ce fantasme, un niveau élevé d’intelligence et un talent pour l’écriture, alors que, par ailleurs, de nombreuses questions se posent quant à leurs aspects pathologiques, tel qu’un possible trouble de l’épreuve de réalité, associé à un isolement social et à la dépersonnalisation. Le débat autour de ces questions a produit ce que le psychologue Seiffge-Krenke (1977) a nommé, respectivement, « l’hypothèse du don » et « l’hypothèse du déficit ».
9La deuxième partie de l’article de Nagera est consacrée à la description des différents rôles que le compagnon imaginaire peut remplir pour l’enfant : « précurseur » ou « auxiliaire » du surmoi (Sperling,1954), « véhicule pour la décharge de pulsions qui ne sont plus acceptables pour l’enfant » (Fraiberg, 1959), « personnification des idéaux du moi archaïque de l’enfant », ou « mesure temporaire compensant une réalité difficile et prévenant le développement d’une névrose généralisée (idem) ». Anna Freud (Freud, 1936) et Selma Fraiberg (Fraiberg, 1959) soulignent ce dernier aspect, lorsqu’elles montrent comment le recours au fantasme peut aider l’enfant à éviter le développement de symptômes névrotiques, tels que phobies ou inhibitions. Les conclusions de Fraiberg sont tirées de l’observation d’enfants, alors qu’Anna Freud, sans faire référence explicitement au compagnon imaginaire, décrit le cas d’un de ses patients, un petit garçon de 7 ans qui – à la différence du Petit Hans – utilisait son compagnon imaginaire, un lion, pour projeter et contrôler ses pulsions agressives à l’encontre de son père (Freud, 1936).
10Anna Freud et Selma Fraiberg évoquent cependant, toutes deux, le risque de confondre l’usage sain et l’usage névrotique de ce fantasme. Anna Freud souligne le fait que l’apparition de ce phénomène à l’adolescence est plus inquiétante qu’au cours de l’enfance, où la frontière entre fantasme et réalité est plus fluide. Fraiberg (1959) note qu’« il y a cause d’inquiétude si un enfant, de n’importe quel âge, est incapable de nouer des relations avec des êtres humains et préfère ses figures imaginaires ». Pour d’autres auteurs aussi, se situant dans une approche annafreudienne, tels que Bach (1971), Myers (1976, 1979) et Rucker (1981), une dynamique œdipienne est à l’origine de la création d’un ami imaginaire.
11On ne trouve aucune référence aux compagnons imaginaires dans les écrits de Melanie Klein, à l’exception de quelques lignes dans un article de 1948 lorsqu’elle note : « Un enfant de cinq ans avait coutume de prétendre qu’il possédait toutes sortes d’animaux sauvages, comme des éléphants, des léopards, des hyènes et des loups, pour l’aider contre ses ennemis. Ils représentaient des objets dangereux – des persécuteurs – qu’il avait apprivoisés et qu’il pouvait utiliser comme protection contre ses ennemis. Mais il apparut dans son analyse qu’ils substituaient son propre sadisme. » (Klein, 1995, p. 259.)
12Les auteurs suivants, qui se réfèrent à un modèle kleinien, ne manifestent aucun intérêt pour le compagnon imaginaire, à l’exception d’un article sur la fratrie de Margaret Rustin, qui le cite comme exemple de l’universalité de la constellation fraternelle dans le psychisme humain. Au cours des dernières années j’ai consacré, moi-même, plusieurs publications à ce thème en rassemblant dans un livre (Adamo, 2006) les contributions psychanalytiques majeures et en explorant dans différentes publications (2004, 2010, 2012) la fonction du compagnon imaginaire en tant que protection contre les angoisses archaïques. Le contexte théorique auquel je fais référence est représenté par des auteurs post-kleiniens tels que Esther Bick, Wilfred R. Bion, Donald Meltzer, Frances Tustin, Loan Symington, Judith Mitrani, entre autres. Une publication récente (2016) de Christine Cohen et Bianca Lechevalier décrit un cas qui présente des analogies intéressantes avec le patient dont je vais parler et l’aborde de manière semblable.
13En 1973, quelques années après la publication de l’article de Nagera, Benson et Pryor (1973) ont abordé ce thème selon les théories de Winnicott et de Kohut. D’après eux on peut envisager le compagnon imaginaire comme l’une des séries de « gardiens narcissiques », d’« objets-soi », qui remplissent une fonction de développement puisqu’ils protègent l’enfant de blessures narcissiques « en renvoyant et en réfléchissant le sentiment de perfection chez l’enfant ». L’étude de Benson et Pryor est la première d’une série d’articles (Benson, 1980 ; Bass, 1983 ; Klein, 1985), qui situent le compagnon imaginaire dans l’aire des phénomènes transitionnels et contribuent à l’exploration d’aspects spécifiques de ce fantasme, tels que la difficulté à tolérer la différenciation d’avec l’objet, le besoin de contrôle, la limite entre Moi et non-Moi, la réalité attribuée à ces personnages. Ces idées ont, comme on le verra, d’importantes implications en ce qui concerne la technique de traitement.
14Pour conclure ce bref aperçu, je voudrais mentionner quelques articles qui considèrent le lien possible entre le compagnon imaginaire et la perte d’un proche. Karpe et Karpe (1957) explorent le thème du compagnon imaginaire dans l’œuvre de l’auteur de Peter Pan, James M. Barrie, tandis que Pirlot et Lefrançois (1999) examinent la vie et l’œuvre de l’écrivain français Marie Noël. Dans les deux cas, l’apparition du compagnon imaginaire est liée à la mort d’un frère ou d’une sœur et à un processus de deuil incomplet.
15Ces articles sont représentatifs de tout un domaine d’études qui marque la présence de compagnons imaginaires dans la vie de certains auteurs et dans la littérature. L’espace manque ici pour discuter ce domaine complexe et fascinant ; il suffira de le garder en tête, puisque, comme les autres questions que j’ai soulevées, il s’agit d’un domaine pertinent pour le traitement vers lequel je me tourne maintenant.
Le traitement de Salvo
L’entretien avec les parents
16Salvo me fut adressé pour une psychothérapie à la suite d’une recommandation de son école. Il était en deuxième année de secondaire et son écriture s’était peu à peu détériorée, jusqu’à devenir illisible.
17Il était le fils unique d’un couple marié sur le tard. Sa famille appartenait à la moyenne bourgeoisie : coutumes sociales, décorum, bonnes manières semblaient être les valeurs dominantes des parents et le ciment de leur union. Ils avaient une vraie affection pour Salvo, en dépit de l’impression qu’ils donnaient de faire peu de place pour leur fils dans leur esprit et dans leurs émotions. Ce n’est qu’à la fin de la troisième année de thérapie que sa mère me raconta les événements traumatiques qui avaient accompagné la naissance de Salvo. Le bébé était né avec une grave exfoliation de la peau. « C’était un monstre me dit-elle, j’ai mis trois mois à pouvoir le toucher et j’ai interdit à tout le monde de le prendre en photo. En grandissant il s’est transformé en un beau petit garçon. »
18Cette situation était exacerbée par une série de maladies et de décès qui avait frappé la famille étendue et préoccupé la mère durant sa grossesse et pendant la première enfance du bébé. Lorsque j’ai vérifié mes notes après l’entretien, je me suis aperçue, stupéfaite, qu’il manquait les dates que les parents donnent généralement pour marquer les jalons du développement de leur enfant : sa première dent, ses premiers mots, ses premiers pas. Leur place, leur importance avaient été usurpées. J’étais confrontée à une liste de décès, un calendrier sans fin de maladies et de pertes.
19À un niveau profond, ces parents semblaient souffrir du manque de vitalité qui caractérisait leur relation à leur fils et ils tentaient d’y remédier en lui offrant des substituts. De dix-huit mois à huit ans une baby-sitter jeune et affectueuse s’était occupée de lui et, au moment de notre rencontre, une jeune femme venait l’aider à faire ses devoirs. Les parents apportaient un soutien entier à la thérapie, mais j’avais cependant le sentiment qu’ils n’étaient pas pleinement conscients de la gravité de l’état de Salvo. Ils faisaient allusion aux moindres signes de différends avec leur fils ou d’opposition de sa part comme à des choses inacceptables, à la limite du pathologique. En revanche, ils évoquaient le fait qu’il passait des heures dans sa chambre à parler tout seul ou à sembler parler à des gens qui n’étaient pas là, comme s’il s’agissait d’un simple comportement bizarre.
La rencontre avec Salvo
20L’apparence physique de Salvo suggérait une absence de corporel, de matériel. Grand, longiligne, pâle, il ressemblait à ses parents. « On dirait des sculptures de Giacometti ! » s’exclama une de mes amies en les voyant sortir de mon bureau, remarque qui saisissait leur apparence et identifiait son trait singulier : une sorte de réduction du corps au purement squelettique. Salvo avait les cheveux courts, portait des lunettes et des vêtements très démodés. Il parlait de manière artificielle avec un curieux accent toscan qui semblait refléter son vécu d’être à part, sans appartenance à sa génération, à son temps, ni à son milieu.
21Au cours des premiers entretiens, Salvo me parla des problèmes scolaires causés par son écriture. Il était parfois forcé de rédiger ses devoirs en lettres majuscules et il me confia qu’il n’arrivait plus lui-même à déchiffrer ce qu’il avait écrit. Sa vie scolaire souffrait aussi des relations difficiles qu’il entretenait avec ses camarades. Sa personnalité en faisait une cible facile pour les autres garçons. Mais une sorte de trêve avait récemment été conquise de haute lutte. Salvo ne réagissait plus aux provocations, prétendant que rien ne s’était passé et il tentait d’apaiser ses persécuteurs en leur rendant divers services.
22Avec beaucoup de précautions, il me présenta alors Victor et les autres. La première fois qu’il les mentionna c’était, comme on pourrait s’y attendre, au cours d’une histoire traitant d’égarement et de confusion. Salvo me raconta qu’un jour il avait essayé de se rendre en métro dans une autre partie de la ville, mais qu’il n’avait pas retrouvé son chemin et avait fini par se perdre, en partie en raison des directions que lui murmurait « Victor ». Moi aussi je me perdis car je ne pouvais comprendre sur le moment s’il faisait référence à quelqu’un qui existait vraiment ou qui était totalement inventé. Le message était cependant très clair, à savoir que toute demande de précision à ce sujet était hors de question.
23Lors de notre dernier entretien préliminaire il me raconta un rêve, le seul qu’il allait me rapporter avant longtemps. Dans le rêve : « Un garçon est assis sur une tombe. Il a été tué par sa famille et s’amuse maintenant à leur faire peur et à les persécuter. » Le rêve n’était pas accompagné d’associations, mais au cours de la même séance, Salvo se rappela un souvenir d’enfance. « Je suis avec ma baby-sitter, chez elle. Je joue avec des cubes. La baby-sitter m’observe et s’adressant à quelqu’un qui se trouve là s’exclame : “Regardez, il construit un cimetière”. »
24C’étaient les premières remarques, les premiers signes concernant le « paysage intérieur » (Williams, 2018) qui allait dominer notre travail au cours des premières années. Elles me communiquèrent, cependant, l’espoir qu’il avait que je sois en mesure d’observer, de donner voix et sens à la présence de ces aspects mortifères et de contrer leur attrait et leur pouvoir. C’est ainsi que je lui proposai deux séances de psychothérapie hebdomadaires, qu’il accepta avec ce que je perçus comme un soulagement muet et profond.
Le journal
25Lors d’une de ses premières séances Salvo m’apporta le journal qu’il avait écrit avant le début du traitement. Ce fut le seul document manuscrit de Salvo que je verrai avant longtemps. La détérioration de son écriture y était très nette. Au début, le journal s’adressait à un personnage anonyme, sous la forme de « très cher ». Il mentionnait ensuite une sorte de correspondant prénommé « Victor ». Dans les pages finales, référence était faite à Victor comme à un ami réel, et le journal s’adressait de nouveau à un personnage anonyme.
26Le journal couvrait une période de trois ans, de l’âge de onze ans à l’âge de quatorze ans, avec une année d’interruption. Salvo écrivait de manière concise sur sa passion du football, ses rares moments d’amusement, mais principalement sur ses échecs et les humiliations qu’il avait à subir à l’école. Victor apparaissait pour la première fois comme une sorte de précurseur d’un surmoi protecteur (Sperling, 1954), empêchant Salvo de donner un coup de poing à son professeur, et faisant appel à sa croyance religieuse concernant d’éventuels risques de suicide provoqués par la réflexion amère : « À quoi sert ma vie ? »
27L’apparition de Victor eut lieu au même moment que le début d’un processus de dépersonnalisation qui affecta sa perception des êtres humains. Comme l’écrit Eric Rhode (1998), c’est comme si « opérait une équation hallucinatoire du genre “existe presque, n’existe presque pas” ». Salvo notait que ses parents avaient fait une sortie « avec l’Héritage national », c’est-à-dire les membres d’une association culturelle, et il ajoutait « la révision est arrivée », se référant à la jeune fille qui lui donnait des cours privés.
28Une des dernières pages du journal était dominée par les mots « AU SECOURS ! » en lettres majuscules et le message me parvint cinq sur cinq, en dépit du fait que Salvo fit le commentaire, d’une voix détachée, qu’il faisait référence à une version latine.
Un monde peuplé d’ombres
29Les premiers mois de la thérapie, Salvo parla longuement de la mort de ses grands-parents, oncles et tantes, faisant montre de sa supériorité en termes de familiarité avec la mort. Cela n’avait rien à voir avec la fascination perverse d’autres jeunes, qui risquent, défient et courtisent la mort. Pour Salvo il s’agissait d’une gentille vieille dame, une amie de la famille. Bien que n’ayant pas encore quinze ans, il ne pouvait dire quoi que ce soit concernant son avenir proche sans ajouter : « […] si je suis encore en vie ». Ses mots sonnaient faux, tout comme ses vêtements et sa coupe de cheveux. « J’ai fait un test », me dit-il un jour, « il me donnait l’âge de quarante ans. J’ai l’impression d’en avoir quatre-vingt-dix, et pourtant […] je n’en ai que quinze ! ».
30Il écrivait parfois des lettres aux journaux pour commenter l’actualité. C’étaient des lettres anonymes mais qui semblaient rédigées par une vieille dame rigide et intolérante, observant les nouvelles générations avec une énorme distance, déplorant la perte des bonnes manières et la façon dont les jeunes parlaient, s’habillaient et se comportaient envers les adultes – une image frappante de la mère interne avec qui il était en identification projective à ce moment-là.
31Le monde de Salvo ne recensait que peu d’êtres vivants mais, en revanche, l’adolescent semblait entouré d’une foule de personnages, auxquels il n’aurait certainement pas fait allusion à ce moment-là comme à des « compagnons imaginaires ».
32Comme j’allais l’apprendre, ces personnages lui étaient devenus essentiels à la puberté, bien qu’il y ait eu un précurseur quand il avait huit ans. Cela avait été une période difficile pour lui car sa baby-sitter, qui était auprès de lui depuis qu’il avait dix-huit mois, était partie, et sa grand-mère paternelle, une dame pleine de vie qui aimait les enfants et jouait avec lui, était décédée. Au même moment, Salvo avait perdu son meilleur ami, car la mère de celui-ci, inquiète de l’étrangeté grandissante de Salvo, avait mis fin à la relation entre les deux garçons.
33Salvo parlait de ces « amis » avec de nombreux détails, sans mentionner leur statut dans la réalité. Il s’agissait de compagnons constants, tels que Carl, Thomas et Victor. Il me décrivit leur caractère, ainsi que leurs relations, faites également de jalousies et de rivalités. Il les considérait parfois comme du personnel à sa charge et osait occasionnellement déclarer qu’il pourrait se passer d’eux lorsqu’il aurait dix-huit ans. Il annonça une autre fois qu’ils étaient comme les quatre mousquetaires, « tous pour un et un pour tous ». Et puis il y avait les « amis » occasionnels, « la bonne équipe », comme ils les appelait. Un lundi matin, suivant un dimanche que je savais avoir été solitaire pour lui, il me dit : « Hier on a fait un gros chahut. On était dix-huit, on a disputé un match et on s’est bien amusés ! »
34Je me sentais transportée dans une autre dimension, dominée par un étourdissant sentiment d’irréalité. Je percevais une interdiction très claire de qualifier ces amis d’imaginaires, un tabou qu’il aurait été dangereux de ne pas respecter. Le risque étant qu’il ne me parle plus de tout cela et que je perde ma relation avec lui. Salvo n’avait jamais parlé à quiconque de ses compagnons imaginaires. Il mentionnait souvent, en outre, des cachettes où il dissimulait ses papiers et ses documents, des portes fermées à clé, des dossiers secrets sur son ordinateur, des amis éliminés de sa vie pour être entrés dans sa chambre et avoir mis du désordre dans ses affaires, des filles toxicomanes qui s’injectaient de la drogue dans les pieds ou d’autres parties couvertes de leur corps pour échapper aux recherches. Un jour il me parla d’un épisode qui l’avait beaucoup inquiété : il était sorti sur la terrasse et était en train de parler à haute voix avec ses « amis » lorsqu’il eut, soudain, l’impression qu’on l’observait. Il sentit la présence d’un voisin, qui le fixait. Son reflet dans le regard de cette personne était celui d’un fou. Il rentra très vite dans sa chambre. Je me rendais compte que Salvo voulait me prévenir du risque que je courais d’être expulsée, et des risques qu’il courait d’être pris au piège de son délire si je ne réussissais pas à lui porter aide.
35Au fil des ans je faisais constamment face à des dilemmes et à des décisions qui avaient des répercussions à un niveau technique. Je me trouvais d’un côté en accord total avec certains auteurs (Bass, 1983, par exemple), qui soulignent le risque de questionner la réalité des compagnons imaginaires du patient. D’un autre côté j’étais consciente du danger de la connivence avec le trouble de l’épreuve de réalité chez ce patient. Il importait que je sois à tout moment consciente de ce dilemme et que je garde les pieds sur terre, en discutant de mon travail avec des collègues et en lisant la littérature appropriée. Cela m’aidait à être vigilante et à ne pas faire l’impasse sur les aspects psychotiques évidents, tout en demeurant dans un état d’ouverture mentale, de confiance et d’espoir lucide.
Survivre à l’anéantissement
36Je fis très vite partie de l’univers de Salvo, peuplé d’ombres et de fantômes. Il me fut, en fait, immédiatement apparent que mon existence ne serait tolérée qu’à cette condition. Pendant très longtemps, l’état de torpeur dans lequel me plongeait Salvo durant les séances était tel que mon objectif premier était de rester éveillée. La somnolence et l’effort fourni pour ne pas y succomber introduisaient dans la thérapie la qualité mortifère dont étaient imprégnées la vie et la personnalité du patient. Salvo était toujours habillé en gris ou en beige. Son langage aussi manquait de couleur. Il avait une posture figée, rigide. L’espace autour de lui n’était pas empli de gestes, n’était ni éclairé ni assombri par des variations de lumière sur son visage. Il demeurait imperturbable.
37Durant cette première phase de la thérapie, Salvo ne me laissait aucune possibilité de dire quoique ce soit. Au cours des séances il parlait sans arrêt, j’étais ensevelie sous des masses de mots, de diatribes abstraites, à la lisière du sommeil et de l’anéantissement. Ne serait-ce que la moindre tentative de parole de ma part lui arrachait un bâillement poliment dissimulé derrière sa main.
38Les rares fois où j’essayais d’établir un rapport entre ce dont il me parlait, tels que sa peur du dentiste, des prises de sang, des piqûres, et son expérience de la thérapie, Salvo me corrigeait, pédant : « Non, le dentiste est un homme, vous êtes une femme », « non, je viens ici de mon plein gré, alors que je ne veux pas subir de tests », et ainsi de suite.
39Je compris que mon rôle était simplement de survivre et de lui montrer dans la durée que je pouvais rester éveillée et attentive. Il surveillait de près toute baisse de concentration de ma part et ne cessait d’imaginer des stratagèmes pour voir si je l’écoutais et si je me souvenais de ce qu’il avait dit. Je le voyais en face-à-face et il me fallait souvent me pincer sous la table en cours de séance pour ne pas m’endormir. Si je bougeais, ne serait-ce qu’un peu, en changeant la position de mes jambes, Salvo ralentissait et parfois cessait de parler. Je me sentais soumise à un entraînement cruel et systématique du comportement qui serait acceptable et celui qui serait pénalisé et puni. Son retrait, l’interruption du mince lien qui nous reliait étaient le signe que j’avais fait quelque chose qu’il ne fallait pas : j’avais tenté d’être en vie.
40D’autres choses cependant me tenaient éveillée, à part me pincer. Je percevais qu’il y avait de la beauté dans une partie cachée de son esprit et une profonde envie qu’on le comprenne, et que c’était la partie de lui qui espérait que je survive. « C’est facile de mettre une étiquette, mais savoir est difficile, et comprendre plus difficile encore » dit-il une fois. Avant l’une de nos premières séparations, il fit la remarque suivante : « Les sourires sont parfois comme des rideaux de scène, derrière lesquels ont lieu des tragédies. » Comme l’exprime si bien Christopher Bollas (1987), « les misères d’une personne deviennent la maladie de deux personnes dans la situation analytique ». Ma « maladie », mon sentiment d’anéantissement, était peut-être la seule chose à la disposition de Salvo pour me mettre au contact d’une partie bébé de lui, confrontée à une mère interne qui décourageait la vitalité du bébé, ne faisait preuve d’aucune résonance émotionnelle, en questionnant ainsi sa capacité de survie psychique.
41Longtemps avant que l’on me parle des circonstances traumatiques entourant la naissance de Salvo, c’est par l’intermédiaire de mon contre-transfert que j’en vins à connaître la catastrophe émotionnelle qui avait eu lieu dans la réalité externe et qui perdurait en lui. Ce n’est que grâce aux écrits de Bion, de Rosenfeld et de Polacco Williams sur l’usage clinique du contre-transfert que je pus survivre et tolérer de ne pouvoir, pendant très longtemps, que recevoir et digérer ces projections en moi, dans l’attente du moment où, je l’espérais, mon patient serait en mesure de recevoir quelque chose de ce que j’avais digéré et compris.
Les amis qui n’apparaissent pas sur les photos
42Au printemps de la première année de traitement, un développement important eut lieu. Une sortie avec l’école et les photos qu’il en rapporta lui offrirent l’occasion de me parler de ces vrais camarades et « des autres ». Il me montra la photo de ses camarades et j’eus le sentiment qu’il voulait me donner une preuve de leur existence. Puis il me dit que Carl, Thomas et Victor étaient là aussi, mais qu’ils n’étaient pas visibles sur les photos, « parce qu’ils n’existaient pas ». « De toute façon, ajouta-t-il, je n’aurais pas choisi de vraies personnes car je n’aurais pas pu les manipuler, alors qu’eux sont vides et que je peux leur donner mes idées. »
43Salvo semblait désormais en passe de reconnaître que ces figures avaient leur origine dans un processus de clivage et de projection de parties du soi et de ses objets. Le processus de fragmentation se réduisit également peu à peu et Carl émergea comme le caractère principal, un « conseiller spécial », un « guide spirituel ». Je le considérais parfois comme mon allié et pensais à la fonction de l’ange gardien dans la religion catholique (Pirlot et Le François, 1999) [2].
44Dans le transfert, également, Salvo semblait désormais se rapprocher d’une éventuelle reconnaissance de mon existence séparée et considérer que je pouvais moi aussi exister à ses « yeux/appareil photo », distincte de l’objet quasi inanimé et invisible, auquel il m’avait réduite les mois précédents. Les dernières semaines avant le congé d’été, une forte angoisse émergea à l’idée de m’avoir endommagée et détruite : « Ça a dû être extrêmement ennuyeux pour vous d’avoir à écouter un vieux dingue barbant comme moi, n’est-ce pas ? » Ces angoisses se déplacèrent et s’exprimèrent par la crainte que sa grand-mère ne meure. La pensée même était intolérable : Salvo décida de « débrancher » et partit en voyage avant la fin des séances.
45Je me demandai si Salvo redoutait le type d’objet que je pourrais devenir en lui durant notre séparation. Il m’avait auparavant raconté que, petit garçon, il s’était presque évanoui, un jour, au cimetière, en voyant son nom sur la tombe de son grand-père. Il portait en fait le même nom que lui. Il évoquait ainsi son angoisse claustrophobique d’être attiré et emprisonné dans « la tombe mentale » de la dépression par une mère thérapeute dont il avait le sentiment d’avoir tué la vitalité.
46Lors des dernières séances, il avait cependant aussi eu l’idée que Carl pourrait être la présence en lui de son grand-père mort qui le protégerait et le guiderait, pointant la possibilité que je devienne un objet absent, mais bon et bienveillant en lui.
Ordinateurs et âmes jumelles
47Au retour des vacances, après la découverte que j’étais toujours là et mentalement vivante et après les retrouvailles avec le cadre constant et régulier des séances, il se produisit un nouveau développement. La différenciation et la séparation firent leur apparition dans la relation thérapeutique. Des intervalles se créèrent entre ses mots, ouvrant un espace où il m’était possible d’exister. Un rythme se mit en place, une alternance qui ressemblait au pouls de la vie même. Il y avait un « je », il y avait un « vous » : il y avait des présences et des absences. À cette époque, Salvo se mit à faire usage de son ordinateur à la maison pour communiquer à distance. Au cours d’une séance il écrivit la lettre C, suivi du chiffre 6 et d’un point d’interrogation. Je regardai, intriguée. Salvo le lit et me le décoda : « Ça veut dire : “Es-tu là ?” (le son de « C6 » en italien est semblable au son de l’expression « Ci sei? » – « Es-tu là ? »). Il ajouta qu’il avait commencé à chatter en ligne. Je me sentis très émue. L’adolescent tapant sur son ordinateur m’évoquait l’image d’un fœtus, sur le point de naître, envoyant des signaux au monde extérieur pour s’assurer de la présence de quelqu’un qui soit prêt à l’accueillir et à répondre à ses messages. L’espace s’ouvrait pour une « conversation » entre un bébé-soi avide de contact et l’esprit d’une mère thérapeute.
48Salvo m’apporta un jeu qu’il avait reçu d’une fille rencontrée en ligne, dans lequel il fallait répondre à un nombre de questions visant à révéler des préférences musicales, livresques et autres. Il était ravi que les réponses de la fille soient presque les mêmes que les siennes. « Je vous le laisse » dit-il à la fin de la séance, parce que c’est un jeu sympa et qu’il n’y a rien de mal à ça. » Je m’interrogeai quant à la dernière partie de la phrase : « il n’y a rien de mal à ça ». Salvo disait-il que c’est normal qu’un bébé tente d’établir un lien avec sa mère ? Se rassurait-il, me rassurait-il sur le fait que rien de mal n’allait se passer et que l’on pourrait partager une délicieuse expérience d’accordage (Stern,1985), et que je pourrais, peut-être, devenir sa « compagne vivante » (Alvarez,1992) ?
49Toujours au sujet des ordinateurs, il me confia qu’il y avait des programmes qui permettaient de parler, d’ajouter sa voix et même de se voir, auxquels il « n’avait pas encore accès ». Salvo semblait occupé à conduire des expérimentations ayant pour but de rendre les gens plus vivants et de donner substance à ceux qui l’entouraient. Un processus se mettait en place, visant à renverser la dépersonnalisation graduelle notée dans le journal.
50Quelque temps après, hésitant, il décida de se rendre dans une ville voisine pour faire connaissance d’une fille rencontrée en ligne. Par précaution il partit avec un ami récent, Paolo. L’expérience s’avéra décevante. Il se sentit rejeté. Pour la première fois, cependant, cela ne le plongea pas dans une profonde dépression. Salvo et Paolo décidèrent d’écrire un livre ensemble qui raconterait leurs déboires d’un ton humoristique. Salvo avait trouvé un compagnon de mésaventure, tout en découvrant que l’humour peut être un important mécanisme de renversement de la réalité, permettant de s’en moquer sans forcément la répudier. Le livre vit le jour et s’avéra amusant.
51La relation avec Paolo devint une relation d’alter ego, d’âmes jumelles. « On sort tous les deux avec des filles », me confia-t-il après le deuxième congé de Noël. Il précisa ensuite que Paolo avait trouvé une petite amie, mais que lui-même n’allait pas tarder à en trouver une aussi. Au cours des jours et des mois qui suivirent, je fus témoin de ses efforts désespérés pour trouver quelqu’un. Au tout début il ne semblait pas s’agir essentiellement de nouer une relation avec une fille, mais plutôt de rétablir une relation jumelle avec son ami.
52Dans le transfert Salvo semblait osciller entre le besoin d’avoir une relation avec une thérapeute-jumelle, avec qui il pourrait fusionner, et une thérapeute-petite amie avec qui nouer une relation basée sur l’acceptation de la différenciation et de la séparation.
Les poèmes et la découverte des rimes
53Le même et l’autre faisaient désormais partie centrale du travail analytique. Salvo se mit à écrire des poèmes sur son ordinateur. La page n’était plus là pour recevoir son écriture indéchiffrable, le « langage secret » (Green, 1983), qui le défendrait des projections intrusives, mais elle représentait maintenant la mère-thérapeute « vide » (Rustin, communication personnelle) qui pouvait, grâce à sa rêverie, recevoir ses projections et ses communications, les transformer et les garder en mémoire.
54Un an et demi après le début de la thérapie, il m’annonça qu’il avait écrit de la poésie en rimes. Il cita plusieurs exemples de poètes qu’il étudiait à l’école, tels que Catulle, Ovide, Properce et m’expliqua son intention d’écrire un court poème qu’il dédierait à une fille pour qui il avait le béguin. Il se souvint soudain avoir décrété, au début de la thérapie, qu’il n’écrirait jamais quoi que ce soit sur l’amour et qu’il ne ferait jamais de rimes. J’évoquais ces vers isolés, détachés, en disant que c’était peut-être comme ça qu’il se sentait à l’époque. Je fis la remarque que les rimes permettent d’unir des mots semblables, mais pas identiques. De même, lui dis-je, il était maintenant davantage en mesure de tolérer des relations avec d’autres, tels que moi, confiant dans la possibilité d’une rencontre en dépit des différences. Comme l’écrit le poète Hopkins (cité par Jakobson, 1973) : « Il y a deux éléments dans la beauté que crée la rime dans l’esprit : la ressemblance ou l’identité de sons et la divergence ou le contraste de sens » (Hopkins, 1959).
55Salvo ajouta qu’il n’utilisait pas de couplets en rime, mais des quatrains en alternance, le même mètre, précisa-t-il, qu’utilise Dante. Je pensai à notre parcours et au fait qu’il me disait peut-être qu’il se sentait maintenant davantage capable de me reconnaître comme son Virgile, sa guide, mais je ne le formulai pas. Je fis cependant la remarque que la rime en alternance est une rime patiente, une rime qui sait attendre, tolérer le fait que quelque chose d’autre, un autre vers par exemple, peut se glisser au milieu avant que l’on puisse se retrouver. Je lui parlai de nous et de la façon dont il semblait plus en mesure de se débrouiller de la différenciation et de la séparation, et de garder un lien avec moi sans immédiatement se retrancher dans « l’identique » de ses amis imaginaires.
56Je lui parlai aussi des poètes, de ces voix anciennes, disparues depuis longtemps, qui nous parviennent par-delà l’espace et le temps. Je dis que c’étaient des voix qui avaient nourri l’imagination de générations et que lui aussi se sentait maintenant en mesure de leur faire une place dans son esprit, pour profiter de leur compagnie et de leur soutien.
57Des éléments d’amour transférentiel commencèrent à se manifester. Salvo faisait souvent référence à la « femme de l’écran », l’expédient rhétorique utilisé par Dante, selon lequel il prétendait dédier ses poèmes à une femme autre que celle qu’il aimait vraiment, afin de préserver l’identité de cette dernière. Salvo dédia des poèmes à une fille dont il semblait épris et à qui il faisait référence sous le pseudonyme de Luna (la lune). Je parvins alors à faire un lien entre l’amour pour une femme perçue comme belle et éclairante, mais aussi froide, élusive et hors de portée, et les sentiments qu’il avait envers moi. Salvo avait désormais une plus grande capacité à tolérer ce qu’il appelait le « niveau métaphorique » et faisait preuve de différentes réactions à mes prudentes interprétations de transfert. Il les acceptait parfois, alors que d’autres fois il faisait un imperceptible mouvement involontaire de la tête qui me faisait penser à un cheval se cabrant devant l’obstacle.
L’école imaginaire
58Il avait néanmoins du mal à se débrouiller des pénibles désillusions qu’il ne cessait de rencontrer en thérapie et ailleurs. C’est ainsi qu’apparut une nouvelle construction imaginaire. Salvo me dit qu’il avait une vingtaine d’« élèves » de différentes classes à qui il donnait régulièrement des leçons d’astrologie et d’amour. Il se déguisait pour aller acheter des registres à la papeterie qui fournissait son école et il me tenait constamment informée des progrès de ses « élèves ».
59J’étais de nouveau très inquiète. Je n’avais pas l’impression de me trouver avec un adolescent de dix-sept ans mais avec un enfant, à jouer à la maîtresse. Mais c’était l’aspect « faire semblant » qui manquait dans les récits de Salvo. Il n’y avait guère de place en séance pour des commentaires. Ce n’est que rarement, quand les liens étaient particulièrement évidents, que je faisais référence à cette école comme à quelque chose qui lui permettait de renverser les rôles et les impressions liées aux situations difficiles rencontrées à l’école ou dans ses relations.
60Salvo toutefois me remettait ses registres et tous les « devoirs » faits par ses « élèves » et je pensais qu’il me demandait de contenir ses aspects les plus perturbés qui risquaient de perdre contact avec la réalité. En me les confiant avant le congé estival, Salvo me dit que c’étaient des « âmes mortes », qui n’existaient que sur le papier et que je pouvais en faire ce que je voulais – les garder ou les jeter.
61D’un autre côté la vie à l’école et en dehors se passait mieux. Pour la première fois Salvo semblait avoir trouvé des professeurs compréhensifs qui acceptaient son écriture, toujours difficile à déchiffrer. L’approche plus souple de ses professeurs était facilitée par sa nouvelle capacité à exprimer des impressions et des pensées personnelles et à s’intéresser à des sujets tels que la philosophie et la littérature. Ce n’est qu’alors que sa mère put me parler de la grave condition de la peau du bébé à la naissance, comme si cette expérience traumatique ne pouvait être nommée qu’une fois qu’elle se sentait rassurée quant à la réparation possible. Ses parents éprouvaient du soulagement et parlaient parfois de mettre fin à la thérapie. Tout en reconnaissant que Salvo continuait d’être isolé et qu’ils se faisaient du souci quant à certains intérêts bizarres qu’il poursuivait depuis peu, tels que l’étude de l’astrologie ou de l’arabe. Ces inquiétudes leur permirent de comprendre la nécessité de poursuivre la thérapie, ce que je leur conseillais vivement.
L’autobiographie
62Au retour des vacances estivales Salvo reprit ses « cours » imaginaires, mais en parlant cette fois d’une « école virtuelle ». Âgé désormais de dix-huit ans, il se mit à prendre de vraies leçons de conduite avec son père. Nous parlâmes longuement de la façon dont il ignorait le « code de la route » de ses émotions. Il semblait s’agir en partie d’un déficit développemental réel – « Comment puis-je apprendre l’algèbre », s’exclama-t-il une fois, « si je ne connais pas les mathématiques de base ? » – et en partie d’une résistance à abandonner la route bien connue et à commencer à reconnaître ses éprouvés. Lorsqu’apparaissait une fissure dans le système de contrôle rigide qu’il nommait désormais son « costume d’amiante [3] », il somatisait immédiatement les émotions qui auraient pu surgir.
63Dans le contexte de ce travail d’intégration du soi, il se mit à écrire son autobiographie, intitulée Je dans mon propre rôle. L’histoire était vivante et parfois amusante, bien que révélant un œil implacable et brossant un portrait grossier et sans pitié des protagonistes. On travailla dessus. Peu à peu l’image de lui-même comme « poète incompris », enfant « à qui on avait dérobé son enfance », victime, fit place à la reconnaissance de certains aspects qui maintenaient les autres à distance et de sa responsabilité dans la difficulté qu’il avait à établir et à maintenir des liens.
64Nous approchions de notre quatrième congé estival. Salvo passa son examen final avec froideur et indifférence, obtenant les notes les plus basses dans ses sujets favoris.
Le roman
65En septembre nous parlâmes des différentes options qui s’offraient à lui quant au choix d’un sujet à l’université. Salvo opta finalement pour l’arabe. Ce choix était pour lui l’occasion de canaliser une passion secrète dans un cursus officiellement reconnu. Il adorait cette langue et se dédia totalement à son étude. L’incompréhensibilité de son écriture fit place à la maîtrise de signes manuscrits qui, dans son milieu, étaient incompréhensibles à la plupart. Le déplacement, représenté par une langue distante et inconnue, lui permit d’aborder des régions éloignées de son psychisme. Salvo, qui souffrait d’une véritable inhibition quant au contact physique, chercha le verbe « toucher » dans son dictionnaire arabe et ce fut l’un des premiers mots qu’il apprit.
66La relation thérapeutique devint elle aussi plus « touchante ». Il m’apprit des mots étranges, mystérieux. Il aimait me les apprendre et moi, j’aimais les apprendre. Dans le contre-transfert j’étais désormais le contenant pour une partie bébé de lui qui pouvait se nourrir de mots, de leur son mystérieux, mélodieux.
67Pour la première fois Salvo tomba amoureux d’une fille qu’il voyait régulièrement et à laquelle il était beaucoup plus attaché qu’il n’était prêt à l’admettre, à elle comme à lui-même. Il parlait de la relation à cette fille, qui durait depuis neuf mois, comme d’une grossesse et nous savions tous deux qu’il parlait de sa grossesse psychique, sa nouvelle capacité à posséder un espace intérieur. Le garçon Giacometti, rencontré des années auparavant, accédait finalement à une triple dimension !
68Il m’annonça alors qu’il avait décidé d’écrire un roman qui s’intitulerait Extra. Ce qui suit est extrait d’une séance durant laquelle le thème apparaît pour la première fois :
69Il dit qu’il a commencé à penser à un livre qu’il aimerait écrire. Il ajoute que l’idée lui est venue pendant la nuit. C’est le moment où les idées lui viennent en général. C’est en fait pendant la transition entre le sommeil et l’éveil.
70Je réfléchis que mon problème au début était de savoir comment réveiller Salvo de son délire et voilà qu’il me parle maintenant de la possibilité d’avoir des idées créatives, en franchissant le seuil entre le sommeil et l’éveil, la « barrière de contact », comme l’appelle Bion (1962), entre l’inconscient et le conscient.
71Salvo précise que ce sera une œuvre de science-fiction. Ça parlera d’un garçon qui se regarde dans un miroir et celui-ci se fend. Il découvre alors un passage, un trou, par lequel il passe pour entamer un voyage au cours duquel il rencontre divers personnages, y compris des poètes classiques comme Catulle.
72Je lui dis qu’au début de notre relation il aurait peut-être aimé trouver en moi sa parfaite réflexion. Ce fut douloureux de voir cette illusion se briser, mais cela marqua le début d’un voyage de découverte, une rencontre avec autrui et avec des parties de lui-même capables d’amour et de souffrance, comme Catulle.
73Salvo écoute et semble rassembler tout son courage. Il dit que le personnage central rencontre d’autres personnes également, pas seulement Catulle. Il rencontre des « amis imaginaires » qui compensent l’absence d’amis réels. Il parle à ces « amis », même en présence d’autres qui lui demandent : « Mais à qui parles-tu ? Il n’y a personne ! » Le héros comprend alors que ces amis n’existent pas et qu’on pourrait croire qu’il devient fou. « Mais c’est ton histoire Salvo ! lui dis-je, c’est ton histoire que tu peux maintenant reconstruire et raconter ! » C’est un intense moment de révélation que nous vivons tous deux comme tel.
74Salvo écrivit le livre. Extra est l’histoire d’un garçon qui reçoit la visite d’un extra-terrestre qui veut apprendre les coutumes de la jeunesse moderne. Le garçon lui sert de guide, mais n’en présente que les aspects négatifs. Au bout du voyage l’extra-terrestre repart et le garçon est réveillé par sa mère.
75En m’apportant le livre, Salvo précisa que, s’il devait être publié un jour, il aimerait qu’il y ait l’image d’un coucher de soleil en couverture. Dans Extra c’est le monde des compagnons imaginaires qui s’estompe, le monde peuplé de créatures qui font du chahut pour couvrir le silence de dimanches solitaires, de créatures qui lui obéissent et sur lesquelles il exerce un contrôle absolu.
76Nous étions maintenant arrivés au terme de quatre années de thérapie. Le parcours thérapeutique de Salvo fut encore long. Nous passâmes quatre années de plus à travailler sur l’armure de supériorité, d’arrogance et de toute-puissance qui le protégeait de l’admission de son humanité et à l’aider à se débrouiller des joies et des peines qu’il eut à souffrir pour accéder au domaine des relations intimes.
Remarques conclusives
77Le processus que vécut cet adolescent au cours de quatre années de thérapie l’aida à passer d’une position initiale d’où il percevait et décrivait ses compagnons imaginaires en termes concrets, à la limite du délire, à celle où ils purent regagner le domaine de l’imagination. À mesure que Salvo s’ouvrit et s’intéressa davantage à sa relation à sa thérapeute, ses relations extérieures se développèrent également. Les compagnons imaginaires ne disparurent pas totalement, mais se changèrent en personnages dans ses écrits, en public imaginaire et dans les voix des anciens poètes du passé.
78Les articles classiques sur les compagnons imaginaires (Freud, 1936 ; Fraiberg, 1959 ; Nagera, 1969) avancent l’idée qu’ils remplissent souvent une fonction de protection, mettant l’enfant à l’abri de la névrose. Dans le cas de mon patient, ces constructions le protégèrent d’un trouble autistique plus grave. Elles apparurent pour la première fois lorsque le petit garçon avait huit ans et qu’il fit l’expérience de nombreuses pertes. Elles réapparurent lorsque Salvo, à l’âge de quatorze ans, luttait pour contrôler les bouleversements du début de l’adolescence. Face à cette situation, il eut recours à ses compagnons imaginaires comme il l’avait fait au moment de la latence.
79Ces fantasmes étaient certainement au service des parties narcissiques et toutes-puissantes de sa personnalité, mais, d’après les recherches d’Esther Bick (1968,1986), de Joan Symington (1985) et de Judith Mitrani (2001), nous savons comment la toute-puissance primitive peut remplir une fonction de survie et Maria Rhode (2004) parle spécifiquement des « dispositifs d’autoprotection » des patients souffrant du syndrome d’Asperger. Les compagnons imaginaires étaient pourtant, à mon avis, l’expression d’une partie saine et créative de la personnalité du patient. Lorsqu’on put parler de l’aspect imaginaire de ces « amis » en thérapie, Salvo fit la remarque suivante qui venait du fond du cœur : « Oui mais ils m’ont bien aidé. » De même la petite Alice déclara à sa thérapeute, Christine Cohen : « Les imaginaires me protègent, ils aident à tenir debout. »
80Certains auteurs, comme Bach (1971) et Bass Wichelhaus (1983) décrivent des cas cliniques, où les compagnons imaginaires de leurs patients contenaient des aspects d’objets pleins de vie et de parties du soi pouvant compenser l’influence d’introjections mortifères [4]. Je pense que, dans le cas de Salvo, ces compagnons incorporaient des aspects de sa grand-mère qui adorait jouer avec lui et de sa baby-sitter, dévouée et sensible, et visaient à lui épargner l’exposition aux angoisses d’anéantissement.
81Ces éprouvés remontaient, à mon avis, à la naissance traumatique de Salvo. On se souviendra qu’au moment de la grossesse et de la naissance du bébé, la mère était préoccupée par des maladies et des décès dans la famille étendue. Elle semblait en outre souffrir du manque d’un tiers qui pût contenir sa blessure narcissique et ses angoisses et l’aider à établir une relation avec son enfant endommagé. La rencontre entre une mère traumatisée et déprimée et un bébé ayant besoin de contenance pour ses angoisses, intensifiées par les sensations douloureuses causées par sa peau abîmée, fut probablement une expérience catastrophique pour les deux protagonistes [5].
82Lorsque je me trouvais à un point avancé de mon écriture, je fis une expérience particulière. Je relisais le paragraphe sur l’entretien avec les parents que j’avais lu maintes fois. Cette fois, cependant, en tombant sur les mots de la mère : « C’était un monstre. J’ai mis trois mois à pouvoir le toucher et j’ai interdit à tout le monde de le prendre en photo […] », une pensée soudaine me traversa l’esprit : « Salvo non plus n’apparaît pas sur les photos ! » Je compris alors à un niveau profond la raison pour laquelle j’avais choisi ce titre, mais aussi la façon dont Salvo s’identifiait probablement à ses compagnons imaginaires et à leur particularité d’être là sans être là, de se sentir non vus, invisibles, non existants.
83Il y a de nombreuses années, Meltzer décrivit dans un séminaire l’expérience d’enfants non vus et non entendus, la comparant à celle d’un acteur qui jouerait devant un public d’aveugles et de sourds. Cette expérience, ajouta-t-il, est encore plus perturbante que de jouer devant des fauteuils vides car, dans ce cas, la présence du public peut au moins s’imaginer ! Je pense que dans la relation avec son objet primaire, le bébé Salvo avait été exposé à des vécus d’annihilation et que, pour survivre et garder un lien minimum avec son objet, il avait étouffé sa vitalité et renoncé à la recherche de contact émotionnel, en se condamnant à une condition dévitalisée, presque larvaire. Les compagnons imaginaires l’aidèrent au moment où la perte de figures, qui lui étaient importantes et représentaient une sorte d’enclave de relations émotionnelles, l’exposa encore une fois à ressentir de la solitude, du vide et les angoisses précoces sous-jacentes. Ils représentaient une solution de compromis, en assurant un semblant, une illusion, de relation qui le mettait à l’abri de tout risque émotionnel réel. Au fil du temps, le recours à ces fantasmes s’enracina dans sa personnalité et devint une partie de son armure défensive, son costume d’amiante.
84Le va-et-vient entre le recours que faisait Salvo à ses compagnons imaginaires et une ouverture à des relations aux êtres humains était fréquent. Ces fluctuations représentaient pour moi le fait qu’une partie de sa personnalité était addicte à ses dispositifs de protection. Lors de la première séance de thérapie, Salvo me raconta l’intrigue d’un roman policier qu’il envisageait d’écrire : il y était question d’une fille qui tentait d’échapper à des criminels qui la maintenaient prisonnière. Elle parvenait à trouver refuge et hospitalité. Puis elle disparaissait et on la retrouvait morte. Elle était toxicomane et les criminels connectés au monde de la drogue l’avaient retrouvée et l’avaient tuée.
85Avec le recul je pense qu’il évoquait sa peur que des parties de lui, tombées dans l’addiction à l’usage des compagnons imaginaires, ne poursuivent et n’attaquent les parties qui cherchaient refuge dans l’espace analytique. Les compagnons imaginaires, créés pour assurer la survie psychique, avaient fini par devenir ce que Gianna Williams (1997), appelle des « alliances douteuses », des figures qui, par leur présence constante et le total contrôle que le patient peut exercer sur elles, l’aident à échapper au processus normal de croissance, basé sur la relation de dépendance à un bon objet parental.
86Dans le processus psychothérapeutique, cela voulait dire qu’il me fallait évaluer d’un moment à l’autre si l’usage que faisait le patient du fantasme détenait une qualité plutôt protectrice ou plutôt défensive, selon la différenciation proposée par Anne Alvarez (1992), et tenir compte à la fois de la fonction positive du fantasme et d’un éventuel usage secondaire et pathologique qui pouvait en être fait.
87En conclusion, quand je pense à Salvo, au fond de moi, je secoue la tête, je souris avec affection, et je ne peux que confirmer toute la vérité contenue dans la remarque apparemment paradoxale de Bion (citée par Betty Joseph, 2007) quand il dit : « Ce patient est terriblement ennuyeux, il est probable qu’il deviendra fascinant. »
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Mots-clés éditeurs : addiction, adolescence, imagination créatrice, compagnons imaginaires, mécanismes d’autoprotection, syndrome d’Asperger
Date de mise en ligne : 24/09/2020
https://doi.org/10.3917/jpe.020.0121Notes
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[1]
Ce texte reprend et développe sous une forme nouvelle l’article « An adolescent and his imaginary companions: from near delusional constructs to creative imagination », publié dans le Journal of Child Psychotherapy, 30, 3, p. 273-295. Le texte a été présenté au cours de la Journée scientifique de la Fédération française de psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent, le 28 septembre 2019, à Angers. Il a été traduit de l’anglais par Marie-Christine Simeloff. Une nouvelle édition française de ce texte est prévue dans un ouvrage de l’auteur, Le Compagnon imaginaire. Écrits psychanalytiques, qui sera publié par les Éditions du Hublot (Larmor Plage).
-
[2]
L’ange gardien est à l’origine l’archange Raphaël, dont la fonction est d’accompagner l’adolescent Tobias, fils de Tobit, lors de son premier départ de la maison et tout au long de son cheminement vers l’âge adulte (Belloli, 2000).
-
[3]
Le nom qu’il donnait à son armure défensive est très intéressant. Les professionnels qui s’en servaient principalement par le passé étaient les pompiers, et Salvo était certes apte à éteindre les émotions chaudes. Cependant, la référence à un matériel dangereux, l’amiante, semble indiquer qu’il était conscient de la destructivité potentielle associée à cet équipement protecteur.
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Dans un article datant de 1971, Bach décrit le cas d’une patiente de 24 ans, qui se souvint d’un compagnon imaginaire qu’elle avait eu enfant. Robin avait été créé, lorsqu’elle avait 4 ans, au moment où sa grand-mère maternelle, qui s’était occupée d’elle, était décédée. L’enfant avait alors été sollicitée comme soutien par sa mère déprimée. La fonction de ses compagnons imaginaires – comme la patiente et la thérapeute finirent par le comprendre – était de l’aider à échapper à l’identification à sa mère déprimée. Un article ultérieur d’une psychanalyste américaine, Helene Bass Wichelhaus (1983), décrit l’apparition d’un compagnon imaginaire chez un de ses patients âgé de 28 ans. L’analyse suggère que cette figure incorporait des aspects de la thérapeute elle-même et d’une figure mâle puissante et était utilisée par le patient pour contrer des objets parentaux fragiles et défectueux.
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J’aimerais mentionner à cet égard l’importance des services de prévention dans le domaine des difficultés périnatales. Lors d’une réunion à Larmor Plage en mars dernier, il fut présenté le travail accompli dans un de ces services par une équipe de psychologues, d’assistants sociaux, d’infirmières et de psychomotriciens, qui offrent aux mères et aux bébés en difficulté la possibilité de passer une semaine à l’hôpital après la naissance pour faciliter la création d’un lien entre eux. Le cas de Salvo est pour moi l’un des multiples exemples attestant du besoin de ressources professionnelles supplémentaires pour contenir les angoisses archaïques qui peuvent submerger le bébé lorsque les capacités maternelles ne sont pas disponibles ou temporairement endommagées.