La revue internationale et stratégique –Existe-t-il, selon vous, un « retour du religieux » ? Et sur quels ressorts s’appuierait-il alors ?JOSEPH MAÏLA – L’expression « retour du religieux » a quelque chose de surfait et de mystérieux. Je ne la partage pas, pas plus que les approches de sa datation, qui voudrait dire stricto sensu que le religieux avait disparu ou s’était tapi – mais où donc ? – et qu’il resurgissait à un moment donné, j’allais dire tout aussi mystérieusement. La question est d’autant plus complexe qu’elle est souvent posée d’un point de vue ethnocentrique occidental. C’est parce que l’Occident, dans son développement historique, a vu progresser dans ses sociétés l’obsolescence du religieux comme facteur de structuration de la vie sociale – et auparavant de la vie internationale – que l’attention au fait religieux et à son rôle a progressivement fini par lui apparaître secondaire et comme, de toutes les façons, vouée à disparaître. L’affaiblissement de la place de la religion dans les sociétés occidentales a été précédé par le travail critique de l’Aufklärung, qui suspecte dans la religion une aliénation de la conscience comme chez Karl Marx, un stade primitif de l’évolution vers l’âge du positivisme comme chez Auguste Comte, ou un état « enchanté » du monde comme chez Max Weber.
Si j’ai l’air d’insister de manière énumérative sur ces étapes et ces penseurs, ce n’est pas par académisme, mais simplement que ce rappel généalogique du regard porté sur le religieux a fini par constituer une doxa partagée – y compris par les diplomates – et un prisme de perception et de lecture…