Peu d’observateurs et d’experts avaient prévu la révolution iranienne de 1979, parce qu’elle n’était pas censée survenir. Le témoignage de François Thual, ancien conseiller technique aux affaires stratégiques du président du Sénat et professeur à l’École de guerre, a valeur d’exemple : « Lorsque j’étais étudiant, explique-t-il, aucun livre ne parlait des chiites. Dans les années 1970, Yann Richard en a fait publier quelques-uns – sans quoi nous devions en commander en Angleterre. La réalité est donc double : l’émergence du chiisme comme facteur géopolitique d’une part, et l’émergence d’une prise de conscience que le phénomène chiite induit non pas “un seul” mais “des” islams. […] Une anecdote que m’a relatée Jean-François Poncet, alors secrétaire général de l’Élysée, est édifiante. Lorsque l’ayatollah Khomeiny s’embarque dans l’avion de Bagdad vers Paris, les services français préviennent Valéry Giscard d’Estaing qu’un chef religieux iranien souhaite atterrir en France. Le président français appelle le shah d’Iran et lui demande comment il convient d’agir avec ce monsieur qui s’appelle Khomeiny. Le shah d’Iran a cette réponse extraordinaire : “Je n’ai rien à faire de ce clochard. Faites ce que vous voulez”. Deux mois plus tard, le “clochard” était à la tête d’une révolution qui renversait le shah ».
L’anecdote, savoureuse, est significative de l’effacement du fait religieux, dans sa globalité, dans les sociétés occidentales post-Seconde Guerre mondiale. D’une certaine manière, le champ académique y participe également…