Christophe Ventura et Marc Verzeroli – Sur tous les continents, les forces religieuses, notamment celles issues des grands monothéismes, s’imposent comme des acteurs influents, sinon directs, des affaires politiques nationales, régionales et internationales. Quelles sont les principales formes d’expression de ces dynamiques et quels sont les principaux niveaux d’intervention de ces acteurs ?GILBERT ACHCAR – Le phénomène auquel vous vous référez a démarré dans les années 1980 avec la montée des mouvements religieux en tout genre. Bien sûr, le monde arabe et les pays à majorité musulmane ont été en première ligne – étant donné que ce phénomène a été particulièrement fort dans le contexte de l’islam –, mais il a pu également s’observer pour les autres monothéismes, tant le christianisme que le judaïsme. On a également pu l’observer, par exemple, avec la recrudescence des mouvements basés sur l’hindouisme en Inde, notamment le parti actuellement au pouvoir dans ce pays. Tout cela relève d’un phénomène mondial qui, me semble-t-il, ne peut être dissocié de la mutation néolibérale, particulièrement déstabilisatrice des conditions sociales. On a assisté à l’échelle mondiale, de manière croissante depuis les années 1980, dans la foulée de la crise des années 1970, à une précarisation massive des situations sociales, et donc à l’émergence des conditions typiques de production de ce qu’Émile Durkheim a appelé l’anomie. Comme il l’avait lui-même expliqué, l’anomie pousse les gens à se retrancher derrière des identités : religion, patrie, race, ethnie, etc…