Notes
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[1]
Célia Belin, « Les protestants évangéliques aux États-Unis et la politique étrangère américaine », Annuaire français des relations internationales, vol. VII, Centre Thucydide – Université Paris II Panthéon-Assas, 2006.
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[2]
Conceptualisée par Jean-Jacques Rousseau, la religion civile vise à unifier les membres d’une communauté. Aux États-Unis, religion et politique sont mêlées depuis la fondation du pays et ont pour but de souder la nation américaine. Pour plus de détails, voir Mark Benett McNaught, La religion civile américaine. De Reagan à Obama, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
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[3]
Bernadette Rigal-Cellard, « Le président Bush et la rhétorique de l’axe du Mal », Études, tome 399, 2003.
-
[4]
Sonia Arnal, « À quel Dieu George W. Bush se voue-t-il ? », Allez savoir, n° 30, Université de Lausanne, octobre 2004.
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[5]
Bernadette Rigal-Cellard, op. cit.
-
[6]
Jon Huang, Samuel Jacoby, Michael Strickland et K.K. Rebecca Lai, « Election 2016 : Exit Polls », The New York Times, 8 novembre 2016.
-
[7]
Josiah Hesse, « Donald Trump is no saint, but I know why evangelicals love him », The Guardian, 5 septembre 2017.
-
[8]
Célia Belin, op. cit.
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[9]
Aleksandra Sandstrom, « Faith on the Hill, the religious composition of the 115th Congress », Pew Research Center, 3 janvier 2017.
-
[10]
Jon Huang, Samuel Jacoby, Michael Strickland et K.K. Rebecca Lai, op. cit.
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[11]
Kim Sengupta, « The real reason Trump declared Jerusalem the capital of Israel was because he feared losing his evangelical voter base », The Independent, 8 décembre 2017.
-
[12]
Julie Ingersoll, « Why Trump’s evangelical supporters welcome his move on Jerusalem », The Conversation, 8 décembre 2017.
-
[13]
« Dans le monde, un chrétien sur quatre est évangélique », La Croix, 29 janvier 2015.
-
[14]
Sébastien Fath, « L’Église catholique face à la concurrence évangélique », Areion24.news, 17 février 2017.
1La décision de Donald Trump, en décembre 2017, de transférer l’ambassade des États-Unis en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem a pu apparaître comme un énième avatar du fantasque président américain. En réalité, ce « rêve » de faire de Jérusalem la capitale de l’État hébreu s’inscrit dans le rapport historique de l’Amérique au religieux, caractérisé par une conviction quant à un rôle « missionnaire » dans le monde et dans la lutte éternelle – et biblique – du Bien contre le Mal. La vision de cette Jérusalem « resanctifiée » trouve ses origines dans des courants chrétiens évangéliques qui n’ont cessé de se développer et de s’affirmer depuis la création des États-Unis.
2« Le terme évangélique, du grec evangelion, “évangile”, qui signifie “la bonne nouvelle”, est apparu en Europe au XVIe siècle, au cours de la Réforme, lorsque des penseurs catholiques ont cherché à qualifier les Églises protestantes qui prônaient un retour aux enseignements de la Bible. » [1], précise Célia Belin. Alors que l’on estimait en 2011 le nombre d’évangélistes dans le monde à 506 millions, on les estime actuellement à environ 619 millions. Ils seraient 20 % de ce total à être américains. La particularité des évangélistes états-uniens est à rapprocher du message des Pères fondateurs convaincus d’avoir été choisis par Dieu pour conquérir l’Amérique et en faire un phare de la civilisation, la Nouvelle Jérusalem en somme. Religion de conversion, le christianisme évangélique a trouvé un terreau plus fertile aux États-Unis que dans la vieille Europe.
3Si l’importance de la croyance semblait s’être quelque peu érodée de la conscience politique américaine dans les années 1960 à 1980, elle s’est soudainement raffermie à la faveur de l’effondrement du bloc soviétique dans les années 1990. L’adhésion à une foi, qui jusque-là restait principalement un ferment social et communautaire – souvent simplifié dans son interprétation, surtout dans les États ruraux et du « Bible Belt » –, est redevenue peu à peu une conscience exprimée, notamment lors des campagnes électorales, durant lesquelles de plus en plus de candidats, républicains comme démocrates, multiplient les références à Dieu, à la mission de l’Amérique, à un retour progressif à une morale plus structurée et à une vision plus manichéenne du monde.
4Cette progression des mouvements évangéliques en fait des partenaires économiques et politiques incontournables, à tel point que l’on parle, aux États-Unis, de « religion civile » [2]. La grande diversité de « tendances » au sein du mouvement évangélique – méthodistes, épiscopaliens, adventistes, etc. – n’empêche nullement l’unicité et le succès d’une vision du monde dessinée à partir de la Bible.
L’avènement de l’évangélisme politique
5Si la jonction entre les courants évangéliques et les néoconservateurs s’opère dans les années 1990, les attentats du 11 septembre 2001 auront par la suite une influence déterminante, transformant un président jugé illégitime par beaucoup en fer de lance d’une Amérique de retour au combat – moral et guerrier – contre les forces du Mal. George W. Bush a en effet su profiter de ce choc pour impulser une forme de sursaut national. Comme l’explique Bernadette Rigal-Cellard, « président non élu par le vote populaire et médiocrement apprécié avant le 11 septembre, il sut à cette occasion adopter le ton prophétique qui sied à l’Amérique, et parler à ses concitoyens le même langage qu’une grande partie d’entre eux entendent depuis toujours dans leurs églises, voire dans leurs écoles. » [3]
6Après les nazis défaits en 1945 et la chute du bloc soviétique en 1990, un nouvel ennemi se profilait donc face à des États-Unis regroupés autour d’un président « messager » : l’islam politique, celui qui avait pourtant combattu aux côtés de l’Amérique contre les communistes. Prenant la tête de cette nouvelle croisade, les États-Unis visaient également à imposer à toutes les forces occidentales de s’unir pour survivre. Cette attention à l’égard de l’islam politique et de ses dérives islamistes, destructrices et meurtrières sous l’influence d’Al-Qaïda, a également servi de levier à la montée en puissance des courants chrétiens et évangéliques non seulement en Amérique du Nord et en Europe, mais aussi en Amérique latine, en Afrique subsaharienne ou encore en Asie. La lutte contre le terrorisme et l’obscurantisme religieux s’est ainsi muée en retour aux sources et en quête de purification. De cette vision tranchée du monde a progressivement émergé une vision millénariste de la civilisation : après avoir sauvé le monde du bloc communiste, il fallait désormais le sauver du péril islamiste.
7Le combat des Bush, chefs de file de l’« axe des croisés » pour le « nouvel ordre mondial », renvoyait clairement à celui des chrétiens du XIe siècle qui lancèrent les mouvements pour libérer le tombeau du Christ à Jérusalem. George H. W. Bush est méthodiste, suivant les préceptes du prédicateur John Wesley ayant vécu au XVIIIe siècle. Malgré des mœurs plus dissolues, George W. Bush fait partie des « Born Again », ces chrétiens qui redécouvrent leur foi plus tardivement. Et s’il a été élu après son père, il l’explique d’ailleurs par la volonté de Dieu [4].
8De même que Bill et Hillary Clinton, G. W. Bush a suivi le courant méthodiste qui domine le « vieux Sud » américain et prône un renouveau du christianisme issu du protestantisme européen ainsi qu’un mode de vie rigoureux, strict, liant directement la personne à Dieu. Sonia Arnal évoque à ce titre un fait important de la vision méthodiste : G. W. Bush « est convaincu que les États-Unis ont un rôle messianique à jouer au niveau mondial, qu’ils doivent montrer la voie en termes de politique et de mode de vie ». Pourquoi en douteraient-ils depuis qu’on leur a conféré ce rôle à la victoire contre l’Allemagne nazie en 1945, puis lors de la chute de l’Union soviétique en 1990 ? En outre, ne sont-ils pas depuis leur création la Nouvelle Jérusalem, pour faire référence à l’ancienne, qu’ils tiennent alors coûte que coûte à protéger et sauver du Mal ? Le lien « biblique » avec Israël est évident dans leur esprit et justifie le soutien indéfectible de Washington à l’État hébreu. Reconnaître Jérusalem capitale de l’État d’Israël n’est donc que la dernière étape d’un long processus historique, dans lequel sionistes religieux et chrétiens évangéliques se retrouvent solidaires aux avant-postes de la civilisation, face aux « ténèbres » incarnées par une partie des mondes arabo-musulmans. Les références religieuses se sont ainsi multipliées dans les discours et dans les actes émanant de la Maison-Blanche, jusqu’à sa caractérisation dans l’expression « l’axe du Mal » [5], et la désignation d’ennemis que l’on retrouve aujourd’hui chez D. Trump.
Un acteur incontournable de la politique étrangère américaine
Les ressorts religieux de l’électorat de Donald Trump
9La politique de D. Trump s’inscrit donc dans la lignée de certains de ses prédécesseurs, c’est-à-dire dans une vision manichéenne et de plus en plus religieuse du monde, largement dictée par la Bible. Tout comme les Bush, D. Trump exalte à sa manière le sentiment que les États-Unis ont bien été élus par Dieu pour sauver le monde. Cette conviction est portée publiquement par les mouvements évangéliques et autres « Born Again », qui constituent sa base électorale et profitent aujourd’hui de la place idéologique de la religion dans le champ public américain. Le « style Trump » achève ainsi de déséquilibrer la vision traditionnelle de la laïcité américaine. Il confirme la fin du religieux comme socle social et lien d’une communauté, mais peu interventionniste dans les affaires publiques. Il ne s’agit pas de simplifier ni de surestimer cette influence spirituelle dans la vie politique américaine, au sein de laquelle la tradition laïque a par ailleurs toujours droit d’expression du fait de la puissance de l’administration. Mais ces groupes religieux ont néanmoins réussi à investir le champ politique, notamment le Congrès, et à refaire de la Bible un puissant moteur d’unité nationale.
10Il est, en outre, intéressant de se pencher sur l’électorat de D. Trump pour tenter de mieux comprendre une partie des intérêts qu’il défend. En novembre 2016, protestants et catholiques se sont en effet davantage mobilisés en sa faveur que pour H. Clinton – 58 % de protestants et 52 % de catholiques pour D. Trump, contre respectivement 39 % et 45 % pour H. Clinton [6]. Les résultats sont encore plus significatifs parmi les Blancs évangélistes et les chrétiens blancs « Born Again » : 81 % ont voté pour D. Trump, contre seulement 16 % en faveur de sa concurrente. En outre, plus les électeurs se rendent à un office religieux, plus il apparaît qu’ils ont voté en faveur de D. Trump. Pour un certain nombre de croyants protestants et évangélistes, cette élection qui a surpris le monde entier peut être considérée comme un message divin, un miracle après les deux mandats de Barack Obama, jugés particulièrement destructeurs pour la grandeur de l’Amérique. D. Trump avait le monde contre lui, de l’establishment à la « communauté internationale ». Les évangélistes sont sensibles à ce sens de la persécution. Ils ont, dès lors, trouvé leur « héros » en ce candidat, car eux-mêmes se sont toujours sentis comme les plus marginalisés et persécutés parmi les courants religieux du pays. Leur renouveau depuis plusieurs années sonne comme une revanche, qui permettrait la renaissance et la purification de tout ce qui avait corrompu et affaibli l’Amérique. Même s’ils ont conscience de ne pas avoir le meilleur représentant en matière d’image, ils approuvent « son plan économique de dérégulation, la baisse des taxes, et les restrictions en matière d’immigration » [7].
L’importance de la politique étrangère pour les évangélistes
11C’est dans les années 1960 que les évangélistes ont pris conscience qu’il fallait sortir de la sphère privée et du développement personnel et individuel. Dès 1976, la campagne de Jimmy Carter leur a permis d’intervenir dans les grands débats de société, de l’avortement jusqu’à la question de l’interdiction de la prière à l’école. Ils sont depuis convaincus que c’est par la politique qu’ils pourront modeler une société meilleure. Cette nouvelle droite chrétienne s’empare du débat public et pèse désormais dans les élections, davantage en soutien des candidats républicains. Célia Belin précise : « La Christian Coalition devient même en 1992 une “force majeure” du Parti Républicain et se flatte d’avoir été un “élément décisif” dans la victoire républicaine au Congrès en 1994. […] Fort d’avoir compris l’attachement des Américains à une certaine spiritualité dans la sphère politique, […] le stratège politique de George W. Bush, Karl Rove, a mené avec succès une opération séduction auprès de la droite chrétienne, en particulier auprès des 4 millions des Protestants évangéliques qui ne s’étaient pas mobilisés en 2000. Résultat : 78 % des Protestants évangéliques ont voté pour George W. Bush à l’élection présidentielle de 2004, soit 4 points de plus qu’en 2000, et ce chiffre s’est élevé à 88 % dans les rangs les plus traditionalistes » [8].
12L’empreinte évangéliste fut largement présente durant les deux mandats de George W. Bush : messages bibliques reconnaissant la supériorité de Dieu dans nombre de discours, défense de la liberté religieuse, combats moraux contre une société trop progressiste, politique américaine dictée comme un modèle pour le monde. De la guerre du Viêtnam au 11-septembre, en passant par la révolution islamique en Iran, les protestants évangéliques sont devenus de plus en plus interventionnistes. Leur message divin doit être exporté au nom de la paix dans le monde et de la lutte contre les forces du Mal. Leur principal outil : évangéliser, à plus forte raison qu’avec la montée de l’islam politique, les chrétiens commencent, selon eux, à être en danger dans le monde. Après le 11-septembre, le développement de la politique américaine d’ingérence et de renversement de certains régimes a séduit les évangélistes. Leur combat trouve également une incarnation dans nombre de missions humanitaires, notamment en Afrique, à travers de grandes campagnes anti-avortement. Aux États-Unis, le retour d’un républicain à la Maison-Blanche en 2016, après la parenthèse Obama, représente un nouvel élan face à l’évolution libérale d’une société qui, face aux revendications égalitaires sociales, de genre ou encore par les débats sur le contrôle des armes à feu, aurait affaibli ses valeurs morales, traditionnelles, spirituelles et religieuses.
13Présents au Congrès dans leurs différentes sensibilités, les évangélistes pèsent de tout leur poids dans la politique américaine. Les travaux du Pew Research Center permettent de saisir la composition religieuse du Congrès américain depuis 2016 [9]. 91 % des 535 parlementaires se reconnaissent chrétiens, dont 55,9 % protestants et 31,4 % catholiques. Les évangélistes totalisent 189 des 299 membres du Congrès côté protestant, soit 63,2 % du total des protestants. Additionnés à quelque 7,7 % de catholiques évangéliques, soit 13 sur 168, l’on peut donc estimer l’influence des courants évangéliques et mormons à environ 70 % du Congrès.
14Leurs combats trouvent leur place au sein du nouvel ordre mondial : l’islam est un ennemi, Israël est menacé de toutes parts et il faut lui apporter encore davantage son soutien. Quand D. Trump prétend redonner de la grandeur aux États-Unis, il apparaît d’autant plus fondamental de l’accompagner dans cette lutte contre l’empire du Mal. Dans ce contexte mondial de montée des blocs civilisationnels, les protestants évangéliques se sentent investis de la nécessité de se battre pour garder leur rôle de « phare du monde libre ».
15Leur rapport aux armes et à la domination militaire américaine dans le monde vient de la « Bible Belt », l’un des foyers évangéliques du pays. Puisque Dieu a confié aux États-Unis la protection du monde, il importe d’être armé en conséquence, surtout pour s’engager dans une guerre qui, à leurs yeux, se révélera « juste ». Il faut, en outre, pouvoir sécuriser les zones les plus instables de la planète, parmi lesquelles le Moyen-Orient. À travers un certain nombre d’associations là encore, les évangélistes agissent sur le terrain humanitaire là où les chrétiens sont maltraités. Au-delà du prosélytisme, ils représentent à la fois une force de frappe politique, un réseau culturel et religieux, ainsi qu’un maillage relationnel interconnecté avec l’ensemble des pays qui leur apparaissent stratégiques. Sans ces réseaux et cette toile, les évangélistes ne se seraient pas développés aussi rapidement sur tous les continents ces trois dernières décennies. Selon cette logique, le Moyen-Orient représente un intérêt majeur pour prolonger leurs zone et stratégie d’influence. Cette dernière ne s’arrête toutefois pas là : le poids des évangélistes pour contenir la menace représentée par l’Iran est d’autant plus important que ce sont les Américains et les Israéliens qui doivent être à la tête de ce combat. Pour certains d’entre eux, le risque de troisième guerre mondiale serait le seul salut possible pour une humanité à la dérive. Un conflit majeur permettrait en effet au monde de renaître sur des bases purifiées. La décision de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem ne relève donc pas de la folie du seul D. Trump, comme certains aimeraient simplement à le penser, mais d’une construction de l’esprit profondément ancrée et empreinte de références théologiques.
La jonction sioniste et chrétienne : Jérusalem et Nouvelle Jérusalem réunifiées
16Est-ce un motif suffisant pour rapprocher les visions du monde des sionistes religieux, d’une part, et des chrétiens évangéliques, d’autre part ? Alors que le président B. Obama tentait de réparer les dégâts causés par son prédécesseur dans la région, D. Trump semble déterminé à la polariser à nouveau, en passant en revue la liste de ses alliés et de ses opposants. C’est là toute la signification du rapprochement opéré avec B. Netanyahou après huit ans de blocages diplomatiques sous B. Obama. Au risque même de contrarier la communauté juive américaine, puisque 71 % des juifs américains ont voté pour H. Clinton à la dernière élection présidentielle, contre seulement 24 % pour D. Trump [10].
17Si D. Trump, une fois président, a annoncé vouloir déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, et donc déclarer cette dernière capitale d’Israël, c’est de toute évidence pour donner des gages à ses électeurs évangéliques, pour qui elle est un symbole important : ville éternelle des juifs, elle doit leur revenir avant la fin du monde « Une enquête récente a révélé que 82 % des évangélistes blancs croient que Dieu a donné Israël au peuple juif ; une conviction partagée par seulement 40 % des juifs américains. Parmi ces évangélistes, il y a ceux qui croient en la prophétie de la “fin des temps” prédisant le contrôle juif de toute Jérusalem, une guerre des civilisations, et un choix des juifs pour embrasser le christianisme ou mourir dans la colère de Dieu. » [11] Pour beaucoup des soutiens évangéliques de D. Trump, « cet acte est la clé vers la progression des événements qui conduiront au retour de Jésus » [12]. Peu importe donc le droit, pourvu que les actes des hommes aillent dans le sens des lois divines.
18*
19Les courants évangéliques aux États-Unis sont devenus en quelques décennies de puissants leviers et sources de pouvoir. En reconnaissant Jérusalem comme la capitale d’Israël en décembre 2017, D. Trump se réinscrit au cœur du combat mondial contre le Mal, incarné par une partie des mondes arabo-musulmans. C’est par la conviction politico-religieuse de la destruction créatrice chère à son électorat qu’il compte redessiner le monde. Les événements autour de la question de Jérusalem sont éclairants à cet égard. Combattre des idéaux opposés aux intérêts américains est également un bon moyen de détourner l’attention du monde sur l’influence croissante des radicaux chrétiens qui gangrènent désormais le sommet de la première puissance mondiale.
20Le déclin déjà annoncé de l’empire américain n’affaiblirait pas véritablement cette vision du monde chrétienne rigoriste – voire intégriste. Depuis une dizaine d’années, en effet, ce mouvement connaît une progression globale fulgurante et rend la sphère publique de plus en plus perméable à ses principes. L’Asie est le continent qui compte le plus d’évangélistes – 183 millions, la Chine étant en tête avec 62 millions –, devant l’Afrique – 165 millions [13]. En Occident, on évalue les évangélistes à 112 millions, dont 92 millions aux États-Unis et 20 millions en Europe [14]. Un chrétien sur quatre dans le monde est donc évangéliste. Aux États-Unis, où environ un chrétien sur trois est de cette obédience, la croyance s’est de plus en plus invitée au cœur du politique au vu des succès électoraux républicains dus à ces franges ferventes – à l’exception de la « parenthèse » Obama. Avec un taux de progression annuel avoisinant les 7 %, les évangélistes chinois représenteront dans moins de quinze ans le même nombre que les évangélistes américains. La question de leur pouvoir d’influence est donc ouverte.
Notes
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[1]
Célia Belin, « Les protestants évangéliques aux États-Unis et la politique étrangère américaine », Annuaire français des relations internationales, vol. VII, Centre Thucydide – Université Paris II Panthéon-Assas, 2006.
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[2]
Conceptualisée par Jean-Jacques Rousseau, la religion civile vise à unifier les membres d’une communauté. Aux États-Unis, religion et politique sont mêlées depuis la fondation du pays et ont pour but de souder la nation américaine. Pour plus de détails, voir Mark Benett McNaught, La religion civile américaine. De Reagan à Obama, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.
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[3]
Bernadette Rigal-Cellard, « Le président Bush et la rhétorique de l’axe du Mal », Études, tome 399, 2003.
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[4]
Sonia Arnal, « À quel Dieu George W. Bush se voue-t-il ? », Allez savoir, n° 30, Université de Lausanne, octobre 2004.
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[5]
Bernadette Rigal-Cellard, op. cit.
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[6]
Jon Huang, Samuel Jacoby, Michael Strickland et K.K. Rebecca Lai, « Election 2016 : Exit Polls », The New York Times, 8 novembre 2016.
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[7]
Josiah Hesse, « Donald Trump is no saint, but I know why evangelicals love him », The Guardian, 5 septembre 2017.
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[8]
Célia Belin, op. cit.
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[9]
Aleksandra Sandstrom, « Faith on the Hill, the religious composition of the 115th Congress », Pew Research Center, 3 janvier 2017.
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[10]
Jon Huang, Samuel Jacoby, Michael Strickland et K.K. Rebecca Lai, op. cit.
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[11]
Kim Sengupta, « The real reason Trump declared Jerusalem the capital of Israel was because he feared losing his evangelical voter base », The Independent, 8 décembre 2017.
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[12]
Julie Ingersoll, « Why Trump’s evangelical supporters welcome his move on Jerusalem », The Conversation, 8 décembre 2017.
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[13]
« Dans le monde, un chrétien sur quatre est évangélique », La Croix, 29 janvier 2015.
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[14]
Sébastien Fath, « L’Église catholique face à la concurrence évangélique », Areion24.news, 17 février 2017.