Notes
-
[1]
Voir Gabriel Sheffer, Diaspora Politics. At Home abroad, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
-
[2]
Voir Tony Smith, Foreign Attachments. The Power of Ethnic Groups in the Making of American Foreign Policy, Cambridge, Harvard University Press, 2000.
-
[3]
Voir Robin Cohen, Global Diasporas : An Introduction, Seattle, Washington University Press, 1997.
-
[4]
Voir Rey Koslowski (dir.), International Migration and the Globalization of Domestic Politics, Londres, Routledge, 2005.
-
[5]
Voir Paul T. Kennedy et Victor Roudemetof (dir.), Communities across Borders. New Immigrants and Transnational Cultures, Londres, Routledge, 2002.
-
[6]
Selon la définition d’un instrument d’action publique, qui s’apparente à « un dispositif technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur. » Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 113.
-
[7]
Pour une présentation exhaustive de cette histoire par-delà les frontières, lire l’ouvrage de Tadeusz Swietochowski, Russia and Azerbaijan : A Borderland in Transition, New York, Columbia University Press, 1995.
-
[8]
Voir Jamil Hasanli, Guney Azerbayjanda Sovet-Amerika-Ingiltere qarshidurmasi 1941-1946, Bakou, Neshriyyat Azerbayjan, 2001.
-
[9]
Voir David B. Nissman, The Soviet Union and Iranian Azerbaijan. The use of Nationalism for Political Penetration, Boulder, Westview Press, 1987.
-
[10]
D’après des enquêtes de terrain effectuées à Tabriz en 2005 et à Igdir en 2009. Cette Société est présidée par Mirza Ibrahimov, qui a joué un rôle central dans l’action culturelle envers l’Iran depuis la Seconde Guerre mondiale.
-
[11]
Entretien avec un ancien membre de Veten, Ganja, 27 janvier 2008.
-
[12]
En Azerbaïdjan, l’argument de la diaspora arménienne se retrouve dans les médias, la production stratégique ou le discours des autorités politiques.
-
[13]
Vaqif Arzumanli, Azerbaycan Diasporu, Bakou, Tehsil, Neshriyyati, 2001.
-
[14]
Entretien avec deux étudiants parisiens originaires de la République d’Azerbaïdjan, Paris, juin 2005.
-
[15]
Voir Bayram Balci, « Politique identitaire et construction diasporique en Azerbaïdjan postsoviétique », Cahiers d’Asie centrale, n° 19-20, 2011, pp. 261-276.
-
[16]
Nom donné en République d’Azerbaïdjan aux massacres de civils dans la localité de Khojaly le 25 et 26 février 1992, pendant la guerre du Karabagh.
-
[17]
Nom donné en République d’Azerbaïdjan aux massacres de près de 12 000 personnes par l’Armée rouge et le Dachnak, après la prise de Bakou entre le 30 mars et le 2 avril 1918.
-
[18]
Concernant le rôle de la communauté azérie en Russie, nous nous appuyons sur le travail d’Adeline Braux, « Les Azerbaïdjanais de Russie : une diaspora imaginée », in Marlène Laruelle (dir.), Dynamiques migratoires et changements sociétaux en Asie centrale, Paris, Petra Éditions, 2010, pp. 146-168.
-
[19]
Dans un discours prononcé au Hinckley Institute, le consul général de la République d’Azerbaïdjan à Los Angeles fait explicitement référence aux Turcs d’Iran et aux liens unissant les deux A zerbaïdjan, conformément à un discours qui exalte les liens unissant la République d’Azerbaïdjan et de l’Azerbaïdjan iranien. Le texte du discours est disponible sur le site du consulat.
1Les diasporas constituent aujourd’hui un objet d’étude bien connu des internationalistes. Deux principaux axes de recherche ont été développés : la pluralité des liens que les communautés immigrées entretiennent avec leur pays d’origine et leur pays d’accueil [1], et le rôle des groupes ethniques dans la définition de la politique étrangère, principalement à travers l’exemple américain [2]. Ces travaux ont en commun d’insister sur les transformations liées à la globalisation, qui donne une nouvelle dimension aux diasporas : elles s’inscrivent de plus en plus dans un espace transnational où les relations sont construites largement en dehors des espaces nationaux [3]. La multiplication des approches et des terrains sur les communautés immigrées a contribué à décrire une globalisation de la politique domestique dans les pays d’accueil [4] et la constitution de communautés qui développent des cultures transnationales [5]. Ces travaux ont en commun de réduire la marge de manœuvre des États dans les relations internationales, qui se trouveraient obligés de composer avec ces groupes ethniques de plus en plus globalisés et institutionnalisés.
2À rebours de cette perspective, l’exemple azerbaïdjanais montre comment un État élabore une politique envers sa diaspora pour renforcer sa position internationale. En août 1991, la République d’Azerbaïdjan accède à l’indépendance alors que les tensions intercommunautaires entre Azéris et Arméniens s’enveniment pour déboucher sur un conflit au Haut-Karabagh. Sortie perdante du conflit, la République d’Azerbaïdjan cherche à composer entre son héritage soviétique et des liens renouvelés avec le monde occidental pour assurer ses positions dans le Sud-Caucase. Pour ce faire, elle veut s’appuyer notamment sur les communautés azerbaïdjanaises de l’extérieur : l’objectif est de transformer ces expatriés en groupes de pression en mesure de mener des actions favorables à leur patrie d’origine dans leur pays d’accueil. D’abord appelées vetendesh (« compatriote »), ces communautés sont aujourd’hui connues sous le nom générique Azerbaijan Diasporu (« diaspora azerbaïdjanaise »), sorte de pendant à la diaspora arménienne, et sont l’objet d’une politique institutionnalisée de l’État depuis les années 2000. Cette politique montre comment la République d’Azerbaïdjan s’insère dans les relations internationales contemporaines et s’adapte à leurs nouvelles logiques. Si les conflits territoriaux et les questions énergétiques restent décisifs dans le Caucase du Sud, ils ne sont pas les seuls prismes à travers lesquels les États conduisent leur politique extérieure. Les États de la région jouent sur d’autres registres pour rehausser leur puissance et développent des instruments [6] nouveaux à cet effet. La politique diasporique en constitue un parmi d’autres que développe Bakou dans sa diplomatie d’influence, qui se veut de plus en plus présente en Europe occidentale.
La complexité du peuplement azéri
À l’origine de la politique diasporique de la République d’Azerbaïdjan
3Comprendre la politique diasporique de la République d’Azerbaïdjan nécessite de revenir sur l’héritage soviétique et le contexte de l’indépendance. Les cadres cognitifs de l’action du nouvel État envers les communautés azerbaïdjanaises de l’extérieur s’inscrivent dans la continuité de la politique soviétique des nationalités. Mais la politique diasporique doit également à la relation de rivalité qu’entretient la République d’Azerbaïdjan avec l’Arménie depuis l’indépendance.
Héritage soviétique et communauté de destin des populations azéries
4En République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan, l’intérêt pour les communautés azéries installées à l’extérieur du territoire soviétique remonte à la Seconde Guerre mondiale. L’Armée rouge envahit l’Iran et occupe les provinces septentrionales du pays. Après le départ des troupes soviétiques fin 1945, une république autonome est fondée en Azerbaïdjan iranien, qui est ensuite reprise militairement par Téhéran après presque un an de quasi-sécession. Pendant cinq années, l’URSS mène une intense propagande en Iran pour promouvoir le régime soviétique et renforcer l’identification nationaliste des populations turcophones à la nation azerbaïdjanaise [8]. Dans les décennies qui suivent, en RSS d’Azerbaïdjan, est mise en œuvre une politique systématique de repérage et de définition des caractéristiques nationales des populations azéries d’Iran. Elle contribue à attribuer aux populations turcophones de l’Azerbaïdjan iranien et de l’Azerbaïdjan soviétique des caractéristiques nationales communes. Conformément à la politique soviétique des nationalités, elles sont le substrat d’un discours postulant une communauté de destin des populations azéries. Il est particulièrement présent dans les institutions culturelles et académiques de la République soviétique, où se développe l’usage des toponymes Azerbaïdjan du Sud pour désigner les provinces du Nord de l’Iran et, plus tardivement, Azerbaïdjan du Nord pour la RSS d’Azerbaïdjan [9]. Ainsi, la période soviétique a entraîné une profonde intrication entre dimensions culturelles et motivations politiques dans le rapport aux populations azéries installées à l’étranger, celles-ci étant considérées comme un potentiel relais de puissance.
5Dans les dernières années de l’URSS, l’ensemble des républiques soviétiques connaît un renouveau de la question nationale. En Azerbaïdjan, ce contexte renforce l’intérêt pour les populations azéries installées à l’extérieur du territoire soviétique. La revue Odlar Yurdu (« pays de feu »), rédigée en script cyrillique, arabe et latin, est lancée pour être diffusée en dehors de l’Union soviétique. Elle met en avant le partage d’un héritage culturel commun à tous les Azéris. L’association Veten (patrie) est créée pour établir des liens avec les compatriotes de l’étranger. Les organisations officielles ne sont pas en reste. La Société azerbaïdjanaise pour l’amitié et les relations culturelles avec les pays étrangers multiplie les actions pour renforcer les liens avec les Azéris de l’étranger en invitant des personnalités culturelles d’Iran ou de Turquie à Bakou [10]. Le travail effectué en direction des communautés azéries vise à reprendre contact avec des populations avec lesquelles les relations se seraient distendues [11]. Pendant la période soviétique se sont donc progressivement mis en place des modes d’action privilégiés pour renforcer les liens entre la RSS d’Azerbaïdjan et les populations azéries installées à l’étranger.
La diaspora arménienne et le conflit du Karabagh
6Les premières années d’indépendance de la République d’Azerbaïdjan sont marquées par un contexte international et politique très difficile. Les affrontements intercommunautaires entre Arméniens et Azéris, qui ensanglantent les dernières années de l’Union soviétique dans le Caucase, débouchent sur une guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le principal enjeu du conflit est le Haut-Karabagh, une enclave majoritairement peuplée d’Arméniens de la République d’Azerbaïdjan. La demande de rattachement de l’enclave à la République d’Arménie entraîne un conflit armé qui tourne très rapidement en défaveur de l’Azerbaïdjan. Bakou est contraint de laisser une partie de son territoire sous le contrôle des troupes arméniennes, en plus du territoire du Haut-Karabagh. Le conflit se termine en mai 1994 par la signature d’un cessez-le-feu particulièrement défavorable à l’Azerbaïdjan. Malgré des résolutions des Nations unies et l’action du groupe de Minsk par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), puis l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la guerre du Haut-Karabagh reste l’un des conflits gelés caractéristiques de l’espace post-soviétique.
7En Azerbaïdjan, l’absence de résolution du conflit du Karabagh est principalement expliquée par la mauvaise volonté des États-Unis, de la France et de la Russie, qui soutiendraient les positions arméniennes dans ce dossier. Si le soutien de la Russie tient aux relations stratégiques qu’entretiennent Moscou et Erevan, l’appui des États-Unis et de la France serait à chercher dans le rôle que jouerait la diaspora arménienne pour amener les classes politiques occidentales à soutenir l’Arménie et à garantir l’autonomie du Haut-Karabagh. Il n’est pas ici question d’évaluer l’influence de la diaspora arménienne sur la politique étrangère de pays comme les États-Unis ou la France, question pour le moins difficile, d’autant plus qu’elle est composée de plusieurs groupes dont les logiques et les objectifs ne se recoupent pas nécessairement. Par contre, il convient de souligner que l’influence de la diaspora arménienne est construite comme une explication majeure de la position favorable dont jouirait Erevan dans le règlement du conflit qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur le Karabagh [12]. Cet argument a encore gagné du crédit avec l’accroissement de la puissance démographique, économique et militaire de l’Azerbaïdjan depuis le début des années 2000. Pour peser diplomatiquement face à l’Arménie, les autorités azerbaïdjanaises ont donc cherché à développer des relais auprès des communautés expatriées pour donner ainsi à l’Azerbaïdjan une base de soutiens similaire à la diaspora arménienne.
Une ambitieuse politique d’unification de la diaspora azerbaïdjanaise
8Il faut attendre les années 2000 pour que Bakou lance une énergique politique en direction des populations azéries installées à l’étranger, qui en viennent à être désignées sous le nom de diaspora azerbaïdjanaise. Pour ce faire, l’État azerbaïdjanais a créé des institutions dédiées en République d’Azerbaïdjan et s’appuie sur son réseau diplomatique pour favoriser le développement de la diaspora azerbaïdjanaise et sa constitution en groupe d’intérêt.
L’institutionnalisation par le haut de la politique diasporique
9Culture et politique se rejoignent dès les premières initiatives lancées en faveur de la diaspora azerbaïdjanaise en 2001. Le 7 novembre 2001, le professeur Vaqif Arzumanli organise une conférence à l’Académie nationale des sciences de Bakou sur l’histoire et l’actualité de la diaspora azerbaïdjanaise. Il publie à cette occasion un ouvrage sur la diaspora azerbaïdjanaise, qui en présente les principales caractéristiques et l’importance culturelle dans l’histoire de la région [13]. Elle est suivie, deux jours plus tard, par le Congrès des Azerbaïdjanais du monde, en présence du président de la République, Heydar Aliyev. Il rassemble plus de 600 participants originaires de 38 pays au palais présidentiel. Ce congrès international a pour vocation de célébrer l’existence et la vitalité de la diaspora azerbaïdjanaise, après lui avoir donné une caution scientifique.
10Dès l’année suivante, en juillet, est créé par décret présidentiel le Comité d’État pour la coopération avec les Azerbaïdjanais de l’étranger. En 2008, il prend le nom de Comité d’État pour la coopération avec la diaspora, tout en conservant les mêmes prérogatives. À sa tête est placé un diplomate, élu député en 2000, Nazim Ibrahimov. Il a préalablement contribué à structurer et unifier les organisations azerbaïdjanaises d’Ukraine, lorsqu’il était en poste dans le pays. Le Comité est divisé en directions géographiques qui ont pour mission d’établir et de développer des contacts avec les communautés azéries installées à l’étranger. Ses principales missions sont de contribuer au maintien et au développement de l’identité nationale des Azerbaïdjanais vivant à l’étranger, inciter au développement de liens entre ces derniers et contribuer au développement économique de l’Azerbaïdjan par l’action des expatriés.
11L’arrivée au pouvoir d’Ilham Aliyev, qui succède à son père à la présidence de la République, marque un renforcement de l’intérêt du pouvoir pour la diaspora. En 2006 et 2011, deux nouveaux Congrès des Azerbaïdjanais du monde sont organisés en sa présence. L’organisation des congrès mobilise de plus en plus de participants et veut rassembler l’ensemble des associations azerbaïdjanaises : le Congrès de 2011 rassemble plus de 1 200 participants originaires de 42 pays. Afin de les fédérer est créé un Conseil international de coordination azerbaïdjanaise, placé sous la présidence d’Ilham Aliyev. Autre initiative présidentielle, le décret de décembre 2007, qui instaure le 31 décembre comme jour férié pour célébrer la solidarité des Azerbaïdjanais du monde. Depuis, cette date est devenue un moment privilégié qui permet aux plus hautes autorités de la République de s’exprimer sur l’importance de la diaspora azerbaïdjanaise. Chaque année, le président de la République adresse ses vœux à l’ensemble des Azerbaïdjanais du monde et met en avant la diaspora, les liens qui l’unissent à la République d’Azerbaïdjan et son rôle dans la promotion internationale du pays.
Transformer la diaspora azerbaïdjanaise en groupe d’intérêt
12La politique diasporique est relayée à l’étranger par les représentations diplomatiques de la République d’Azerbaïdjan. Au sein des ambassades, un représentant du Comité d’État pour la coopération avec la diaspora a pour mission de faciliter et inciter les ressortissants, mais aussi des personnes qui ne possèdent pas la nationalité azerbaïdjanaise, à mener toute sorte d’action en faveur de l’Azerbaïdjan. Le représentant travaille également à mettre en réseau les Azéris de l’étranger pour développer des formes de solidarité transnationale. La création d’associations est encouragée pour réunir des Azéris de la République d’Azerbaïdjan et d’Iran, voire parfois de Turquie. Les étudiants azerbaïdjanais sont fortement incités à rejoindre les organisations de la diaspora et à jouer le jeu du développement de l’univers associatif de leur pays de résidence [14]. L’action menée envers la diaspora permet également à l’État azerbaïdjanais de surveiller les expatriés et de contrôler les partis politiques d’opposition pour circonscrire leur influence à l’étranger [15].
13Dans la continuité de l’héritage soviétique, l’action de la République d’Azerbaïdjan envers sa diaspora associe étroitement dimensions culturelle et politique. Pour ce faire, elle dispose d’un site web et, depuis plus récemment, d’une revue, Ölkem Jurnali (« le journal de mon pays »), et édite de nombreux ouvrages. Ces différents organes de propagande ont pour principale mission de relayer le discours national azerbaïdjanais. Un aspect central de celui-ci a trait aux violences entre populations arméniennes et musulmanes dans le Caucase. Ainsi, des manifestations sont organisées en souvenir du « génocide de Khojaly » [16] et du « jour du génocide » [17], lors desquelles les Azerbaïdjanais vivant à l’étranger sont mobilisés. Elles soulignent la relation de concurrence avec l’Arménie qui se déploie dans une compétition des mémoires des massacres entre les deux peuples. Sans être exprimé explicitement par les autorités azerbaïdjanaises, l’un des objectifs majeurs de la politique diasporique est de transformer les communautés azéries en groupes d’intérêt qui défendent, dans leurs pays d’accueil, les positions de la République d’Azerbaïdjan dans le conflit du Karabagh.
Les limites à la mise en œuvre de la politique diasporique
14Institutionnalisée par le haut, la politique diasporique de la République d’Azerbaïdjan rencontre des difficultés dans sa mise en œuvre. Elles ont trait à la profonde dissymétrie entre les communautés azéries installées à l’étranger, qui compliquent la mise en œuvre d’une politique unique. Les limites tiennent également aux référents identitaires et aux pratiques politiques hérités de l’époque soviétique : Bakou, en voulant contrôler étroitement les activités de la diaspora, limite par là même des initiatives autonomes qui pourraient contribuer à améliorer l’image internationale de la République d’Azerbaïdjan.
Les intérêts multiples des Azerbaïdjanais de Russie
15Ancienne puissance coloniale, la Russie possède la plus importante et la plus dynamique communauté azérie originaire du territoire de la République d’Azerbaïdjan – les estimations actuelles font état de près de 600 000 citoyens azerbaïdjanais présents en Russie [18]. Présente dans de nombreux secteurs économiques russes, elle est particulièrement active dans le domaine du commerce de détail depuis la chute de l’URSS. Elle joue ainsi un rôle économique non négligeable pour l’Azerbaïdjan puisque les envois de fonds représentaient, en 2006, 812 millions de dollars, soit 4 % du PIB de la République d’Azerbaïdjan. Mais la communauté azérie ne se limite pas au petit commerce, elle est aussi présente dans l’intelligentsia ou les grandes entreprises du secteur énergétique, illustrant l’importance technique de Bakou à l’époque soviétique et l’ancienneté des migrations vers les grandes villes de Russie.
16Cette diversité se retrouve dans les deux principales associations qui représentent la communauté azérie en Russie. L’autonomie nationale et culturelle des Azerbaïdjanais de Russie répond au statut juridique existant pour les personnes de nationalité russe mais appartenant aux groupes nationaux reconnus à l’époque soviétique. Son objectif est de servir d’interlocuteur avec les autorités russes aux niveaux fédéral et local pour tous les problèmes spécifiques à la communauté azérie de Russie, notamment aux niveaux administratif, éducatif et culturel. Peu en lien avec les autorités de la République d’Azerbaïdjan, elle ne se préoccupe pas des enjeux de politique étrangère et des relations entre Bakou et Moscou. La seconde association, le Congrès des Azerbaïdjanais de toute la Russie, est dirigée par des personnalités de premier plan. Elle a vocation à renforcer au plus haut niveau les liens entre la Russie et la République d’Azerbaïdjan. Deux de ses vice-présidents sont des acteurs majeurs du secteur énergétique – Vahid Alekperov, président de LUKoil, et Farhad Akhmedov, ancien directeur de Northgas – tandis que son président actuel, Mammad Aliyev, est une figure de la communauté médicale de Russie. Créée en mars 2001, l’association a tenu sa première assemblée générale en octobre 2001 en présence du président Heydar Aliyev, soit un mois avant que les premières manifestations au sujet de la diaspora soient organisées à Bakou. Si la question du Karabagh est évoquée de manière régulière, elle reste un enjeu secondaire, derrière les relations bilatérales entre la Russie et l’Azerbaïdjan et la place des Azéris dans la société russe. Finalement, la mise en œuvre de la politique diasporique en Russie se heurte aux intérêts multiples de l’importante communauté azerbaïdjanaise et à l’importance de préserver une relation apaisée avec Moscou.
La diaspora en Occident, un élément de la diplomatie d’influence de la République d’Azerbaïdjan
17La situation en Europe occidentale et en Amérique du Nord diffère profondément de la Russie du fait de la faiblesse numérique des citoyens de la République d’Azerbaïdjan, et de la présence de communautés azéries originaires d’Iran et de Turquie – plus ou moins importantes selon les pays. Le potentiel de mobilisation pour les autorités azerbaïdjanaises y est donc beaucoup plus faible, à moins d’inclure les Azéris originaires d’Iran et de Turquie. C’est ce que n’hésitent pas à faire les autorités azerbaïdjanaises, comme l’attestent les chiffres du nombre d’Azéris installés à l’étranger donnés par le Comité d’État pour la coopération avec la diaspora. Ainsi, le nombre d’Azéris atteindrait 100 0000 aux États-Unis, 300 000 en Allemagne ou encore 70 000 en France. En fait, dans leur calcul, les autorités de la République d’Azerbaïdjan intègrent les Azéris d’Iran et de Turquie, dont la présence en Occident s’explique, pour les premiers, par la vague de migrations qui a suivi la révolution de 1979 et, pour les seconds, par les migrations de travail vers l’Europe depuis les années 1950. On assiste donc à des tentatives pour impliquer ces populations et servir des intérêts de la République d’Azerbaïdjan, en lien avec les petites communautés originaires de la République d’Azerbaïdjan et les représentations diplomatiques. Ainsi, en novembre 2005, est ouvert un consulat de la République d’Azerbaïdjan à Los Angeles. Ce choix s’explique en partie par la présence d’une grande partie de la communauté irano-américaine [19], dont la mobilisation doit permettre de décupler l’influence de la communauté azérie aux États-Unis. Le second relais se trouve dans les communautés turques, qui possèdent des structures associatives plus anciennes avec un bien meilleur maillage en Europe. À Strasbourg, la représentation diplomatique de la République d’Azerbaïdjan auprès du Conseil de l’Europe tente d’organiser la diaspora en s’appuyant sur les populations immigrées originaires de l’Est de la Turquie, en plus des quelques citoyens azerbaïdjanais présents dans la ville. L’association la Maison de l’Azerbaïdjan organise régulièrement des événements culturels sur l’histoire et la culture de l’Azerbaïdjan, ainsi que des manifestations sur le conflit du Karabagh. Que ce soit avec les populations azéries originaires d’Iran ou de Turquie, les autorités azerbaïdjanaises rencontrent des difficultés à mobiliser des communautés qui restent très largement organisées autour du référent national iranien ou turc.
18Pour contourner ces difficultés, l’Azerbaïdjan dispose d’importantes ressources qui permettent une intégration par le haut du réseau associatif. En Europe, la Société européenne azerbaïdjanaise, lancée en novembre 2008 et basée à Londres, a pour objectif de développer les relations entre la République d’Azerbaïdjan et les pays européens et de sensibiliser les opinions publiques de ces derniers au conflit du Karabagh. Avec des bureaux en Grande-Bretagne, en Belgique, en Allemagne et en France, elle déploie son action pour fédérer les initiatives et coordonner les différentes associations azerbaïdjanaises présentes en Europe. Aux États-Unis, les associations azerbaïdjanaises se sont rassemblées pour former l’US Azeri Network, en reprenant les modes d’action des autres organisations ethniques actives à Capitol Hill. Ce lobby mène campagne auprès du Congrès américain sur la question du Karabagh ou sur l’occupation du territoire de la République d’Azerbaïdjan. Surtout, la politique diasporique n’est qu’un élément de la diplomatie d’influence que déploie la République d’Azerbaïdjan. Profitant de la manne pétrolière, Bakou multiplie les investissements dans les secteurs culturel, universitaire, sportif et économique en Europe et en Amérique du Nord. Ils concourent à la visibilité de la diaspora azerbaïdjanaise, qui est associée aux événements organisés par les représentations diplomatiques. Le dispositif dédié à la diaspora monte en puissance et doit permettre à Bakou de mieux faire entendre ses positions auprès des principaux acteurs internationaux. Le second enjeu de la politique diasporique tient aux alliances avec d’autres groupes de pression pour formuler des positions communes. La faculté à faire lien est nécessaire pour rivaliser avec l’organisation et le degré de mobilisation des associations arméniennes avec lesquelles sont directement en concurrence la diaspora azerbaïdjanaise. Du fait de l’importance des enjeux énergétiques au Sud-Caucase, les organisations azerbaïdjanaises ont plus de chance d’être entendues aux États-Unis en s’alliant avec les lobbies pétroliers avec lesquels ils partagent des intérêts communs.
19* * *
20La politique diasporique de la République d’Azerbaïdjan ne vise pas les populations qui ont connu un exil massif suite à la guerre du Karabagh. L’usage du terme « diaspora » témoigne de la tentative des autorités azerbaïdjanaises de mobiliser les communautés azéries de l’étranger pour relayer ses positions diplomatiques dans le conflit qui l’oppose à l’Arménie. L’objectif est de sensibiliser la communauté internationale aux revendications azerbaïdjanaises, en se servant du relais des communautés expatriées. L’exemple azerbaïdjanais vient rappeler qu’une diaspora peut être en partie construite et organisée par l’État dont elle est censée émaner. En cela, cette politique diasporique montre la faculté d’innovation instrumentale de Bakou qui, dans le cadre de sa diplomatie d’influence, développe un dispositif prenant en compte l’importance de la persuasion et le rôle croissant des individus dans les relations internationales. Cette prise en compte souligne les facultés d’adaptation d’un jeune État comme la République d’Azerbaïdjan à la nouvelle donne internationale. Celle-ci ne réduit pas nécessairement la marge de manœuvre des acteurs étatiques mais redéfinit les moyens dont ils disposent pour agir sur la scène internationale au détriment de la seule puissance coercitive. Les actions menées par la République d’Azerbaïdjan envers sa diaspora sont permises par l’augmentation rapide des ressources de l’État, permettant de développer de nouveaux moyens d’action internationale. Ils sont révélateurs des ambitions de la République d’Azerbaïdjan, qui est en train de s’imposer comme l’État-clé du Sud-Caucase.
Notes
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[1]
Voir Gabriel Sheffer, Diaspora Politics. At Home abroad, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.
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[2]
Voir Tony Smith, Foreign Attachments. The Power of Ethnic Groups in the Making of American Foreign Policy, Cambridge, Harvard University Press, 2000.
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[3]
Voir Robin Cohen, Global Diasporas : An Introduction, Seattle, Washington University Press, 1997.
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[4]
Voir Rey Koslowski (dir.), International Migration and the Globalization of Domestic Politics, Londres, Routledge, 2005.
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[5]
Voir Paul T. Kennedy et Victor Roudemetof (dir.), Communities across Borders. New Immigrants and Transnational Cultures, Londres, Routledge, 2002.
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[6]
Selon la définition d’un instrument d’action publique, qui s’apparente à « un dispositif technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur. » Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 113.
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[7]
Pour une présentation exhaustive de cette histoire par-delà les frontières, lire l’ouvrage de Tadeusz Swietochowski, Russia and Azerbaijan : A Borderland in Transition, New York, Columbia University Press, 1995.
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[8]
Voir Jamil Hasanli, Guney Azerbayjanda Sovet-Amerika-Ingiltere qarshidurmasi 1941-1946, Bakou, Neshriyyat Azerbayjan, 2001.
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[9]
Voir David B. Nissman, The Soviet Union and Iranian Azerbaijan. The use of Nationalism for Political Penetration, Boulder, Westview Press, 1987.
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[10]
D’après des enquêtes de terrain effectuées à Tabriz en 2005 et à Igdir en 2009. Cette Société est présidée par Mirza Ibrahimov, qui a joué un rôle central dans l’action culturelle envers l’Iran depuis la Seconde Guerre mondiale.
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[11]
Entretien avec un ancien membre de Veten, Ganja, 27 janvier 2008.
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[12]
En Azerbaïdjan, l’argument de la diaspora arménienne se retrouve dans les médias, la production stratégique ou le discours des autorités politiques.
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[13]
Vaqif Arzumanli, Azerbaycan Diasporu, Bakou, Tehsil, Neshriyyati, 2001.
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[14]
Entretien avec deux étudiants parisiens originaires de la République d’Azerbaïdjan, Paris, juin 2005.
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[15]
Voir Bayram Balci, « Politique identitaire et construction diasporique en Azerbaïdjan postsoviétique », Cahiers d’Asie centrale, n° 19-20, 2011, pp. 261-276.
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[16]
Nom donné en République d’Azerbaïdjan aux massacres de civils dans la localité de Khojaly le 25 et 26 février 1992, pendant la guerre du Karabagh.
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[17]
Nom donné en République d’Azerbaïdjan aux massacres de près de 12 000 personnes par l’Armée rouge et le Dachnak, après la prise de Bakou entre le 30 mars et le 2 avril 1918.
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[18]
Concernant le rôle de la communauté azérie en Russie, nous nous appuyons sur le travail d’Adeline Braux, « Les Azerbaïdjanais de Russie : une diaspora imaginée », in Marlène Laruelle (dir.), Dynamiques migratoires et changements sociétaux en Asie centrale, Paris, Petra Éditions, 2010, pp. 146-168.
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[19]
Dans un discours prononcé au Hinckley Institute, le consul général de la République d’Azerbaïdjan à Los Angeles fait explicitement référence aux Turcs d’Iran et aux liens unissant les deux A zerbaïdjan, conformément à un discours qui exalte les liens unissant la République d’Azerbaïdjan et de l’Azerbaïdjan iranien. Le texte du discours est disponible sur le site du consulat.