Couverture de RISS_183

Article de revue

Le rôle des statistiques sur l'origine ethnique et la « race » dans le dispositif de lutte contre les discriminations au Canada

Pages 31 à 48

Notes

  • [1]
    La Loi sur les Indiens de 1876 rassemble toutes les lois antérieures à ce sujet. « Révisée en 1951, la loi fédérale constitue un véritable régime de tutelle des Indiens (autant individuellement que collectivement) […]. (Elle) détermine aussi bien le statut d’Indien que l’appartenance à la bande, la structure politique et administrative que la gestion des réserves, les exemptions de taxes et l’administration financière tout en faisant des Indiens des pupilles de l’État » (Dupuis, 1991 : 42).
  • [2]
    Les législations canadienne et provinciales sur les droits de la personne couvrent un éventail plus large de motifs que l’article 15 de la Charte canadienne. C’est le cas de la Charte québécoise, qui, en plus des motifs énumérés dans la Charte canadienne, prohibe la discrimination en raison de la condition sociale, de la grossesse, de l’orientation sexuelle, de l’état civil, de l’opinion politique, de l’âge, de la langue, d’un handicap ou de l’utilisation d’un moyen pour palier ce handicap, ainsi que le harcèlement.
  • [3]
    Il s’agissait d’origines surtout Nord-américaines et européennes, ainsi que des catégories suivantes : Antilles, personne de couleur, Indiens, Autres endroits, Naissance en mer, Lieu de naissance inconnu.
  • [4]
    Le Statisticien en chef de Statistique Canada a dû publier une réponse dans les journaux et sur le site Web de Statistique Canada, où il exposait que la question avait pour but de fournir des renseignements au gouvernement et aux employeurs pour appliquer la Loi sur l’équité en matière d’emploi et évaluer son impact.
  • [5]
    Cette expression est considérée comme un euphémisme de la « race », donc comme un produit du racisme. La présidente du Congrès juif canadien affirme que « n’importe quelle minorité qui est la cible de fanatiques est une minorité visible ». Plusieurs s’inquiètent du différentialisme qu’elle exerce, et de ses effets divisifs sur les Canadiens. D’autres craignent que les discriminations à l’égard des minorités audibles soient négligées (comme les francophones dans l’Ouest canadien). Voir Canada, Chambre des Communes (1983 : 5 : 6).
  • [6]
    En 1998, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été amendée afin de reconnaître qu’une plainte peut être fondée sur plusieurs « motifs » ou « catégories » prohibés de discrimination, ou sur les effets d’une combinaison (ou intersection) de critères (S.C. 1998 c.9, s.11., art. 3). On note dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada une reconnaissance progressive de « l’intersectionnalité » comme expérience spécifique.
  • [7]
    La symétrie des motifs a aussi induit un processus d’essentialisation de la discrimination par la réification des motifs prohibés, faisant exister en soi la discrimination « raciste », ou « sexiste », de manière quasi-autonome, ceci en raison du caractère formaliste de l’interprétation juridique, du traitement presque exclusivement individuel des cas et de l’examen principalement statistique des situations analysées du point de vue des résultats plutôt que de celui des processus de production y menant. Ces trois logiques ont conduit à une réduction de la réalité sociale : la discrimination est isolée des autres formes d’inégalités et l’assignation ethnique ou raciale est séparée des autres facteurs d’inégalité.

1Les statistiques sur les caractéristiques ethnolinguistiques – et le poids démographique – des différents groupes qui composent la population canadienne jouent un rôle majeur dans ce pays depuis le début de la colonisation française. Elles sont au fondement même de l’organisation politique et institutionnelle, des rapports entre les groupes, de leur reconnaissance et de leurs droits constitutionnels et, plus récemment, de la mise en œuvre d’un dispositif juridico-politique en matière d’égalité et de lutte contre les discriminations.

2En effet, le Canada a une longue tradition en matière de collecte de données sur l’origine ethnique et la « race » puisque déjà, le premier recensement effectué en Nouvelle-France en 1666 – afin d’assurer le développement de la colonie – distinguait les colons français des Autochtones, en excluant ces derniers des données sur la population de la colonie. Les besoins en données statistiques – et la construction des catégories pour désigner les groupes au cours de l’histoire – renvoient très directement aux enjeux démographiques, économiques et politiques au cœur des rapports de pouvoir et de concurrence entre les divers groupes majoritaires et minoritaires composant la société canadienne à différentes périodes : les Autochtones (ou nations Amérindiennes et Inuites), les Français, les Britanniques et les populations issues de l’immigration internationale. Historiquement, le Canada a non seulement été une colonie française et britannique, puis un pays d’immigration, mais il constitue, au plan constitutionnel et dans les faits, une structure fédérative à la fois multiculturelle (Loi sur le Multiculturalisme, et art. 27 de la Charte canadienne des droits et libertés), multinationale (présence de plusieurs nations, art. 25 de la Constitution) et bilingue (Loi sur les langues officielles, et Charte). L’application des lois et des programmes qui découlent de ces particularités sociohistoriques – notamment en matière d’égalité et de lutte contre les discriminations – nécessite la production de données statistiques sur les diverses caractéristiques de la population, au fondement même de la structure fédérative du pays et de son identité « nationale ».

3Depuis la fin des années 1960, la statistique joue un rôle majeur dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de lutte contre les discriminations au Canada, ainsi que dans l’approche judiciaire des discriminations (Potvin et Latraverse, 2004). La Cour suprême du Canada a expressément souligné le rôle de la statistique dans l’élaboration de la preuve des discriminations (O’Malley c. Simpsons-Sears [1985, 2 R.C.S. 536] et Bhinder c. Chemins de fer nationaux [1985, R.C.S. 561]) et dans l’évolution du concept même de discrimination dans la jurisprudence et la doctrine, par le passage de la discrimination directe à la discrimination par « effet préjudiciable », puis à la discrimination systémique. Le Canada s’est donc doté très tôt d’une institution nationale centralisée de production statistique – Statistique Canada – dont une partie du mandat consiste à recueillir et analyser des informations statistiques à des fins de politiques et programmes publics. Les données produites sont donc utilisées par les ministères et organismes de tous les paliers de gouvernement pour planifier et formuler leurs politiques, puis contrôler des programmes et appliquer des lois envers des « groupes désignés ».

4Au Canada, la problématique de la discrimination en raison de l’origine ethnique concerne à la fois les minorités linguistiques, dont les droits constitutionnels touchent principalement le droit à l’éducation et à l’accès aux services publics, les Autochtones, qui sont administrés par des ministères dédiés mais sont également concernés par les dispositifs d’équité en matière d’emploi et d’éducation, et les minorités ethniques et « visibles » qui, au-delà des dispositifs d’intégration des immigrés, sont la pierre angulaire du dispositif d’action positive en matière d’emploi et de lutte contre les discriminations. En matière de lutte contre la discrimination religieuse – motif visé par tous les dispositifs transversaux et souvent assimilé par la doctrine juridique à une modalité de la discrimination en raison de l’origine – ce qui domine l’approche canadienne est l’obligation d’accommodement raisonnable au respect des principes religieux individuels, ainsi que des plans d’application et une jurisprudence élaborée sur le sujet. Le dispositif mis en œuvre au niveau fédéral est à toute fin similaire à celui qui est appliqué dans chaque province canadienne.

5Cet article resitue l’historique de la mise en place du dispositif anti-discrimination, ainsi que les définitions légales et pratiques des catégories statistiques sur la « race » et l’origine ethnique dans une stratégie d’égalité et de lutte contre les discriminations. Il montre comment la construction de ces catégories, leur évolution, la transformation des nomenclatures et les débats qu’elles ont suscitées s’inscrivent dans l’histoire des rapports de pouvoir entre les différents groupes majoritaires et minoritaires au Canada. Il fait également ressortir que le recours aux statistiques sociales, aujourd’hui reconnu comme fondamental, voire essentiel, autant dans les cours de justice que dans l’élaboration des législations et des politiques publiques, témoigne d’une articulation accrue entre les domaines de la recherche, du droit et des politiques dans la lutte contre les discriminations au Canada depuis une trentaine d’années.

L’historique de la mise en œuvre d’un dispositif antidiscriminatoire

6Le dispositif canadien en matière de discrimination est fondé sur des textes constitutionnels ou à valeur constitutionnelle et des politiques publiques ayant vocation à favoriser la mise en œuvre du droit et la promotion de l’égalité. Il est caractérisé, d’une part, par des protections constitutionnelles spécifiques, tels les droits des Autochtones et les droits linguistiques des francophones et des anglophones, inscrits dans l’histoire politique du pays et ses institutions, et d’autre part, par des outils juridiques et institutionnels transversaux, couvrant une partie ou la totalité des critères de discrimination, tels que la Charte constitutionnelle des droits et libertés, les législations canadiennes sur les droits de la personne et sur l’équité en matière d’emploi, ou encore les Commissions des droits de la personne.

7Ce dispositif a été façonné par l’histoire du pays, qui se caractérise par des vagues successives d’établissements de populations, les Autochtones d’abord, suivis des colons français puis britanniques, et enfin, d’une immigration de « peuplement » de plus en plus diversifiée. À partir du xviiie siècle, les rapports (de concurrence) politiques et économiques, voire démographiques qui vont s’établir entre colonisateurs français et anglais – qui se sont appelés les « deux peuples fondateurs » – vont déterminer l’ensemble de l’organisation sociale et de la structure politique du Canada, en minorisant d’abord les Autochtones – sous la tutelle de la Loi sur les Indiens de 1876, encore en vigueur aujourd’hui [1] – puis les diverses populations immigrantes venues s’installer au Canada à partir du xixe siècle. Après la Nouvelle France, puis la Conquête britannique de 1759, qui a mis les Anglais dans une position dominante face aux Français (dix fois plus nombreux à l’époque), le poids démographique des conquérants restera, jusqu’à la fin du xixe siècle, un enjeu majeur dans leurs rapports avec les vaincus. L’effort des colons britanniques a consisté à attirer des immigrants d’origine britannique (et loyalistes) pour poursuivre et consolider la stratégie de colonisation dans une perspective d’homogénéisation et de contrôle de la population du territoire. Ces rapports de concurrence entre colonisateurs vont donner lieu à des régimes politiques successifs, qui montrent clairement que le Canada constitue, depuis ses origines, un pays à la fois divisé et profondément pluraliste, non seulement sur le plan culturel – parce qu’il comporte plusieurs identités (nationales, majoritaires ou minoritaires) distinctes – mais aussi structurel, puisqu’il se caractérise par un dédoublement de la structure sociale en institutions parallèles : l’Acte de Québec de 1774, qui reconnaît des droits linguistiques et religieux aux vaincus (institutions judiciaires, réseaux d’écoles et d’hôpitaux, lieux de cultes, etc.) ; la création du Haut et du Bas-Canada par la Loi constitutionnelle de 1791, qui met en place des institutions politiques différenciées, à nouveau réunies en 1840 (l’Acte d’Union), après la révolte des Patriotes ; l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867 (Loi constitutionnelle), qui fonde la Confédération canadienne autour de l’idée d’une entente entre « deux peuples fondateurs », unis politiquement mais possédant respectivement des « droits acquis » par l’histoire, garantis par la Constitution. Le fondement historique des deux « peuples » sera toutefois évacué par la Réforme constitutionnelle de 1982, qui officialise l’indépendance constitutionnelle du Canada, enchâsse la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution, consacre le bilinguisme et le multiculturalisme du Canada, de même qu’un « Patriotisme constitutionnel » (Leydet, 1992), comme système effectif de droits au fondement de la citoyenneté et de l’identité canadiennes.

8Les rapports de pouvoir entre les groupes nationaux ont aussi eu des répercussions sur l’immigration et l’intégration des immigrants à l’un ou l’autre des deux « peuples » depuis le xixe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale se manifeste au Canada anglais une volonté de construire le Canada sur le modèle de l’État-nation et de « l’Anglo-conformity ». Dans l’immédiat après-guerre s’exercera le passage du statut (concret et symbolique) de colonie britannique à celui de nation, ainsi que le développement accéléré d’une politique de nationalisation et de construction de l’État providence canadien – un processus semblable à celui qui se produisait au Québec, avec la montée de l’indépendantisme des francophones et du « nationalisme étatiste ». L’identité nationale s’actualise et se renforce par la voie constitutionnelle, à travers une structuration institutionnelle nationale, ou « pancanadienne », dont un appareil statistique centralisé (Statistique Canada) de compétence exclusivement fédérale. De plus, la première Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 institue un fondement national à l’identité du citoyen, qui n’est plus un « sujet britannique ». Cette loi misera de manière ouvertement préférentielle sur l’immigration d’origine britannique et américaine.

9Mais à partir des années 1960, le Canada se dotera d’une politique et d’une législation non discriminatoire en matière d’immigration. En 1962, le Gouvernement adopte un Règlement qui abroge les dispositions préférentielles et les remplacent par des critères de sélection « objectifs », axés sur le niveau d’études, l’employabilité et les qualifications professionnelles et techniques des immigrants. Puis le Règlement de 1967 élimine toutes les dispositions discriminatoires fondées sur la race, la religion, la culture, la langue et l’origine nationale, en instaurant un système d’évaluation par « points » appliqué à tous les candidats à l’immigration. Une nouvelle Loi sur la citoyenneté, adoptée en 1977, définit qu’est citoyen toute personne née au Canada ou née à l’étranger d’un parent canadien, ou qui a obtenu la citoyenneté par naturalisation.

10C’est aussi au cours des années 1960 que paraît la première grande étude statistique ayant démontré la profonde stratification ethnique et sociale du Canada, ou la « Mosaïque verticale » qu’il constituait (Porter, 1965). Cette analyse a contribué à la mise sur pied, par le Gouvernement fédéral, de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1970), qui avait le mandat de recommander des mesures « pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée » (1965 : 143), tout en examinant la situation des autres groupes ethniques. Les rapports issus de cette commission ont analysé et révélé de profondes inégalités socio-économiques entre les Français, les Anglais et les minorités issues de l’immigration, inégalités mesurées à partir des données des recensements et de données administratives. Dans un contexte de fortes revendications autonomistes et indépendantistes du Québec, ce constat mènera le Gouvernement fédéral à traiter, dans un double mouvement, les enjeux linguistiques entre groupes nationaux, puis les enjeux de la polyethnicité, en adoptant d’abord en 1969 la Loi sur les langues officielles, afin de donner à tout le Canada un caractère bilingue et de favoriser l’accès des francophones à tous les postes de la fonction publique fédérale. Il s’agit de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le premier grand « programme d’action positive » canadien, qui va consacrer juridiquement l’existence des « individus » anglophones et francophones, donc des minorités de langues officielles dans toutes les provinces du Canada, en évacuant l’idée d’un Canada fondé sur l’égalité entre « deux nations » ou « peuples fondateurs ». Cette loi sera suivie d’une Politique du multiculturalisme en 1971, qui reconnaît le pluralisme culturel et normatif, stipulant que le pays est formé de diverses cultures qui ont droit au respect et à l’existence dans le cadre du bilinguisme. Elle sera remplacée en 1988 par la Loi sur le multiculturalisme, plus axée sur l’égalité sociale et la lutte contre le racisme que sur la célébration des cultures, en raison de l’accroissement des minorités dites « visibles » (définies plus loin) depuis l’adoption d’une politique d’immigration non-discriminatoire.

11Ces divers changements législatifs auront beaucoup d’incidence sur la collecte et le codage des données statistiques sur l’origine ethnique et la « race », comme nous le verrons ci-après. En fait, l’ensemble du dispositif de lutte contre les discriminations s’appuie sur la production de données statistiques au Canada. Au cours des années 1980, le rôle des données statistiques sera central dans le développement et l’acceptation du concept juridique de discrimination systémique dans la jurisprudence en matière de droits de la personne, ainsi que dans la mise en place d’un dispositif pour la combattre, notamment par la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

Le rôle des statistiques dans le dispositif

12Au Canada, le cœur du dispositif de lutte contre les discriminations repose sur la Charte canadienne des droits et libertés, enchâssée dans la Constitution de 1982. L’article 15 de la Charte (sur le droit à l’égalité) interdit la discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques, sous réserve des programmes d’action positive. La Cour suprême du Canada, cour de dernière instance qui entend les appels provenant de tous les tribunaux canadiens dans tous les domaines du droit (civil, administratif, pénal et constitutionnel), a donné une interprétation large à l’article 15 : la discrimination est prohibée non seulement pour les motifs énumérés, mais aussi pour tout motif « analogue », et l’ensemble des instruments provinciaux, fédéraux ou internationaux sur les droits de la personne peuvent être pris en considération pour déterminer ces motifs analogues [2]. Les tribunaux canadiens ont rendu plus de trois cents décisions invoquant les dispositions de la Charte afin de conformer les lois canadiennes aux principes et aux valeurs qu’elle contient. Puisque les questions constitutionnelles peuvent être soulevées dans tout litige impliquant des particuliers, des gouvernements ou des organismes gouvernementaux, la Charte a eu une incidence majeure sur la promotion et la protection des droits de la personne, ainsi que sur la reconnaissance et l’exécution des droits de plusieurs groupes minoritaires et défavorisés.

13Outre la Charte de 1982, le gouvernement fédéral adoptait en 1977 la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui prohibe la discrimination dans la prestation de services, la location, le logement, l’emploi, l’affichage des enseignes et des avis, et pose le principe de « l’égalité des chances et de l’épanouissement ». La Cour suprême du Canada a de surcroît décidé que les articles 7 et 10 interdisent la discrimination par suite d’un « effet préjudiciable » (adverse effect discrimination, ou discrimination indirecte), ainsi que la discrimination systémique, et elle prévoit des dispositions pour la combattre. Elle s’applique aux entreprises soumises, en raison de leur domaine d’activité, à l’autorité fédérale, ainsi qu’au gouvernement fédéral et aux gouvernements des Territoires du Yukon, du Nord-Ouest et du Nunavut.

14Les provinces ont aussi adopté leurs législations (ou « codes ») portant sur les droits de la personne, qui couvrent les entreprises et les organisations sous leur autorité. Toutes ces législations ont un statut quasi constitutionnel et ont préséance sur les autres lois en cas de litige. Elles offrent une protection contre la discrimination provenant des autorités gouvernementales ou des rapports privés entre individus.

15Ces législations sont mises en application par des Commissions (canadienne et provinciales) des droits de la personne, qui reçoivent des plaintes de discrimination et peuvent faire enquête de leur propre initiative ou à la suite d’une plainte pour discrimination, afin de favoriser un règlement entre les parties. Elles ont aussi le pouvoir de proposer l’arbitrage du différend ou de saisir le Tribunal (fédéral ou provincial) des droits de la personne créé par la loi, si elles le jugent opportun, et d’agir à titre de représentantes du plaignant devant ce Tribunal. De plus, elles peuvent proposer, après enquête, l’implantation d’un Plan d’équité en emploi dans un délai fixé par elles. Elles ont pour mandat de piloter la mise en œuvre de plans d’équité ou de programmes d’accès à l’égalité (pae), ordonnés par un tribunal ou par la voie législative. Enfin, elles produisent et diffusent de l’information et des activités d’éducation sur les droits de la personne, effectuent et publient des enquêtes, des analyses et des avis sur des situations susceptibles d’être discriminatoires. Les Commissions produisent, dans leur rapport annuel remis au Parlement (fédéral ou provinciaux), des données statistiques sur les plaintes reçues, les dossiers ouverts, les enquêtes menées, les jugements rendus, et ce, par motifs et secteurs d’activités (emploi, logement, etc.).

16La Cour suprême a construit par sa jurisprudence un concept évolutif de la discrimination au cours des 25 dernières années à l’aide, notamment, des éléments de preuve fournies par les outils statistiques : elle a initié le passage de la discrimination directe à la discrimination par « effet préjudiciable », puis à la discrimination systémique, en adoptant également l’obligation « d’accommodement raisonnable ». Sa jurisprudence affirme que l’égalité exige plus qu’une simple concurrence égale pour les emplois et les services, mais aussi l’adoption de mesures positives pour répondre aux besoins de certains individus dont la participation égale en matière d’emploi et de services n’est pas assurée. L’interprétation de l’égalité repose désormais sur l’idée d’égalité des chances évaluée en regard d’une analyse des résultats, un passage de l’égalité formelle vers l’égalité réelle ou « substantive ».

17La notion de discrimination par suite d’un « effet préjudiciable » signifie que les employeurs et les fournisseurs de services ne peuvent ignorer l’effet de leurs politiques sur leurs employés et leurs clients s’ils manifestent une inégalité de fait identifiable sur la base des motifs prohibés. Pour leur part, les arrêts O’Malley c. Simpsons-Sears (supra), et Bhinder c. Chemins de fer nationaux créent « l’obligation d’accomodement raisonnable » et en fixent les limites. Dans l’arrêt O’Malley, la Cour suprême du Canada a confirmé que lorsqu’une politique d’horaire d’entreprise est préjudiciable à un employé à cause de sa religion, l’employeur doit prouver qu’il s’est efforcé d’accommoder ses besoins religieux au point de causer une « contrainte excessive » à l’entreprise en termes de coûts, de santé et de sécurité. Dans Commission des droits de la personne de l’Alberta c. Central Alberta Dairy Pool (1990) 2 rcs 489), la Cour a décidé que l’obligation d’accommodement aux besoins particuliers d’un employé surgissait dès qu’un règlement d’emploi avait pour lui une conséquence préjudiciable. La Cour estime désormais que toute discrimination en matière d’emploi doit être motivée par une « exigence professionnelle justifiée », avec l’obligation de chercher un accommodement jusqu’à ce que cela crée « une contrainte excessive ».

18Toutefois, les notions d’effet préjudiciable et d’accommodement raisonnable ne permettaient pas d’appréhender toute la complexité du phénomène des discriminations. C’est à cette fin que le concept de « discrimination systémique » a été adopté et consacré par la Cour suprême, dans Action Travail des Femmes c. Chemins de fer nationaux (1987 1 rcs 1114), qu’elle a défini, en emploi, comme :

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… la discrimination qui résulte simplement de l’application des méthodes établies de recrutement, d’embauche et de promotion, dont ni l’une ni l’autre n’a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l’exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l’exclusion favorise la conviction, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du groupe, qu’elle résulte de forces « naturelles », par exemple que les femmes « ne peuvent tout simplement pas faire le travail ».

20La Cour a conclu que la discrimination systémique nécessitait des remèdes de nature systémique, comme l’ordonnance d’une mesure d’équité en matière d’emploi, rendue par le Tribunal des droits de la personne du Canada dans cette affaire. En outre, il n’est pas nécessaire de démontrer que tous les membres du groupe subissent un effet préjudiciable pour bénéficier de cette mesure (Symes c. Canada, 1993 4 rcs 695). Dans l’arrêt Action travail des femmes, ainsi que dans Robichaud c. Canada (1987 2 rcs 84), la Cour suprême du Canada a considéré que la Loi canadienne sur les droits de la personne (infra) doit être interprétée de manière à donner effet à son objet premier, qui est d’ordre réparateur mais aussi d’ordre préventif et éducatif. Le principal objet de la loi est de supprimer la discrimination et de corriger les conditions socialement indésirables, de sorte que le motif ou l’intention importe peu. La Cour a d’ailleurs étendu la responsabilité des employeurs en soutenant qu’eux seuls peuvent changer le milieu de travail et agir comme « moteurs de changements ». L’intention est de rompre le cercle vicieux de la dynamique systémique (surqualification, chômage, inactivité, concentration, dissuasion, etc.) à l’aide d’un analyse de système et d’un programme d’équité en emploi qui enclenchent, à partir d’objectifs numériques, un processus positif, se caractérisant, entre autres, par un effet d’attraction (afflux plus grand de candidats des groupes cibles), un effet de solidarité ou de réseaux, un effet de promotion (meilleure prise en compte de ces candidatures, formation en entreprise, filières de promotion) et un effet de diffusion (sortie des ghettos d’emploi, diminution des stéréotypes à leur égard) (Chicha, 1989).

21Deux autres grandes décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne ont aussi permis de circonscrire les conditions de preuve en matière systémique: une cause concernant les femmes aux postes de combat – Gauthier et autres c. Forces armées canadiennes (1995 chrr d/ 90) – et une autre sur les minorités visibles dans la fonction publique – L’Alliance de la capitale nationale sur les relations interraciales c. Canada (Santé et Bien-être social) (1997 28 chrr d/ 179). Ces causes ont nécessité des éléments de preuve statistique pour expliquer les effets inégalitaires observés, se concentrant sur leurs interactions dans une perspective diachronique. L’interdépendance entre les pratiques de l’entreprise, les institutions reliées au marché et les comportements individuels a été reconnue par les tribunaux, à l’aide notamment de statistiques sur la sous-utilisation de cette main d’œuvre, qui constituent un élément explicatif majeur de la preuve de l’inégalité des chances.

22Cette notion de discrimination systémique a conduit à l’adoption, en 1986, de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, qui opère de concert avec les législations sur les droits de la personne. En effet, la place des statistiques sociales dans la preuve et la lutte contre la discrimination systémique a été au centre des travaux de la Commission sur l’égalité en matière d’emploi, dont le rapport, publié en 1984, constituera la pierre angulaire de la loi et des programmes fédéraux d’équité en emploi (Abella, 1984). Constatant l’immobilisme des données relatives à l’intégration en emploi de ces groupes, ce rapport a mis en évidence les limites des résultats d’un dispositif se limitant à l’accès à la justice et aux plaintes individuelles de discrimination, alors que les membres des groupes historiquement victimes de discrimination rencontraient une discrimination collective et systémique.

23L’équité en emploi est donc associée à la nécessité d’implanter de façon proactive, c’est-à-dire dans la foulée d’une obligation législative, des programmes spéciaux comportant des objectifs numériques à atteindre en termes d’embauche. La loi adoptée a pour but de réaliser l’égalité en milieu de travail et, à cette fin, de corriger les désavantages subis par quatre groupes historiquement victimes de discrimination en emploi : les femmes, les personnes que la « race ou la couleur place parmi les minorités visibles du Canada », les Autochtones et les personnes souffrant d’une incapacité. La réalisation de l’égalité signifie que nul ne doit se voir refuser d’avantages ou de chances en matière d’emploi pour des motifs étrangers à sa compétence. Selon la Loi, l’équité en emploi requiert, outre un traitement identique des personnes, des mesures spéciales et des aménagements adaptés aux différences, s’il y a lieu. Elle repose sur l’hypothèse selon laquelle la meilleure preuve qu’un milieu de travail n’est pas affecté par la discrimination systémique est que la représentation des groupes désavantagés dans le personnel de l’employeur reflète leur distribution dans le bassin de main-d’œuvre disponible. Elle oblige les employeurs à prendre les mesures qu’elle énumère en vue d’éliminer la discrimination systémique. Elle concerne les entreprises fédérales de plus de cent employés ainsi qu’un grand nombre de secteurs de l’administration publique fédérale (environ 495 organismes qui emploient environ un million de personnes).

24Les mécanismes mis en œuvre comprennent l’examen des pratiques d’emploi, l’élaboration d’un plan d’équité et l’établissement d’objectifs en la matière. Conformément à la Loi, l’employeur met en œuvre un Plan d’équité en procédant à l’analyse de son système d’emploi et de rémunération ainsi qu’à celle de la composition de son effectif dans le but de déterminer les objectifs numériques à atteindre eu égard à la représentation des groupes désignés dans le bassin de disponibilité pertinent, et ce par catégorie professionnelle. Il doit adopter un ensemble de mesures destinées à supprimer les obstacles à l’emploi. L’augmentation de la représentation des membres des groupes désignés en fonction de leur disponibilité sur le marché actif de l’emploi, et dans chaque catégorie professionnelle de l’entreprise, est un objectif central de la démarche. Le postulat sur lequel repose la stratégie numérique est à l’effet que la juste représentation des divers groupes dans l’emploi permet d’atteindre une forme de parité qui impose une réponse corrective à la discrimination systémique. C’est la théorie de la « masse critique », susceptible de transformer en elle-même les rapports entre les individus dans une organisation ou société données. La méthodologie de cette approche (et son application efficace) repose et dépend des statistiques à toutes ses étapes : lors de l’épuration des éléments discriminatoires des systèmes d’emploi des entreprises; lors de la détermination de la disponibilité à l’emploi des membres de ces groupes dans une région géographique donnée ; lors de la détermination de la proportion jugée raisonnable pour assurer la représentation équitable des membres de ces groupes dans le milieu de travail. En outre, les employeurs doivent préparer tous les ans un rapport statistique et le rendre public.

25La commission Abella a donc tracé le mandat d’un vaste programme statistique sur l’équité en emploi, touchant autant Statistique Canada que les commission des droits et les employeurs. En effet, les entreprises visées sont tenues de fournir chaque année à l’organisme d’application de la loi des données relatives aux taux d’activité, à la répartition professionnelle et aux échelles salariales de leurs employés, par groupes cibles. C’est la Commission canadienne des droits de la personne (ccdp) qui est responsable de mettre en œuvre la Loi, et c’est le ministère des Ressources Humaines Canada (rhc) qui procède à la compilation et à l’évaluation des Rapports annuels de progrès des entreprises. La première supervise les initiatives des entreprises qui doivent s’y conformer et effectue des vérifications de leur rendement, qui implique la collecte et la production de données statistiques à plusieurs étapes. Le second reçoit les rapports annuels des entreprises, qui contiennent des informations quantitatives transmises aux fins du classement des entreprises : effectif de l’entreprise, composition, présence comparative des membres des groupes désignés et des autres travailleurs par type d’emploi dans l’entreprise, promotion, départs et rémunération. Le processus de classement procède en deux étapes statistiques et accorde une cote de performance aux entreprises en fonction de certains indicateurs.

26D’autre part, Statistique Canada est tenu de fournir des données pertinentes permettant à l’organisme d’application d’établir des lignes directrices et de formuler des objectifs. Ceci suppose que l’on ajoute au questionnaire du recensement des questions permettant de dresser un tableau global de la situation des groupes cibles en milieu de travail et que des études longitudinales soient régulièrement réalisées afin de mesurer l’évolution de la situation. Les exigences en matière de collecte de données, notamment les définitions, ont été établies par l’organisme d’application conjointement avec Statistique Canada, et l’analyse tant des données recueillies par les employeurs que de celles recueillies par le recensement ou d’autres enquêtes sont sous la responsabilité de Statistique Canada.

27Pour répondre à ce mandat, le gouvernement fédéral mit sur pied un Programme statistique sur l’équité en matière d’emploi (pseme), afin d’assurer la collecte de données sur les quatre groupes désignés. Ce Programme effectue et coordonne la production des données qui ont trait à l’équité en emploi. Il est basé sur un consensus quant à l’interprétation et à l’application des concepts, définitions, normes et méthodes employées, ainsi que sur le contenu des questions utilisées pour recueillir les données entre les ministères et organismes fédéraux responsables des politiques et programmes d’équité en emploi. Pour faciliter l’échange d’information, le gouvernement a créé le Groupe de travail interministériel sur l’équité en matière d’emploi (gtiee), présidé par Statistique Canada, qui doit veiller à ce que « les concepts, les définitions, les méthodes, les données et autres éléments devant être utilisés aux fins de l’équité en matière d’emploi […] soient pertinents et cohérents et conviennent à tous » (Statistique Canada, 1994 : 4).

28Pour la mise en œuvre de l’équité en emploi, Statistique Canada a dû concevoir et modifier ses questions d’enquête et introduire la variable de « minorités visibles » dans le recensement, qui devait être acceptée par les employeurs, les groupes de revendication, les ministères fédéraux et les tribunaux (Beaud et Prévost, 1999). De plus, Statistique Canada a dû modifier ses systèmes de classification normalisés, ses périodes de référence pour la population active et sa terminologie.

29Les données sur la « disponibilité » de la main-d’œuvre externe sont définies comme des « données sur le nombre ou le pourcentage de membres de groupes désignés possédant les compétences requises dans le marché du travail pertinent, pour des professions déterminées ou des groupes particuliers de professions ». Il s’agit de déterminer leur proportion parmi les personnes possédant les qualifications de base pour occuper un type d’emploi donné dans une zone de recrutement pertinente (et non dans la population globale). En effet, pour déterminer si leur main-d’œuvre est représentative des quatre groupes désignés par la Loi, les employeurs ont besoin de données repères sur le bassin de travailleurs potentiels. C’est par une comparaison entre la représentation des groupes cibles dans l’entreprise et leur disponibilité sur le marché du travail pertinent qu’on peut déterminer leur éventuelle « sous-utilisation » à corriger, et établir les objectifs quantitatifs de représentation. Les commissions provinciales des droits de la personne produisent, à partir des données sur la disponibilité de Statistique Canada, l’instrumentation et les données statistiques nécessaires à la mise en œuvre des Programmes d’accès à l’égalité par les employeurs.

L’évolution des catégories statistiques dans les recensements et enquêtes

30Si un grand nombre d’institutions – telles les Commissions des droits de la personne et les ministères – produisent, compilent ou recueillent des données s’inscrivant dans une problématique de lutte contre les discriminations, Statistique Canada est l’organisme central de collecte et de production statistiques. Une grande partie de son mandat consiste à recueillir et analyser des informations statistiques à des fins de politiques et programmes publics. À cet effet, Statistique Canada joue un rôle de coordination au sein des gouvernements fédéral et provinciaux et collabore avec les ministères à la collecte et à la publication des renseignements statistiques. Le dispositif canadien de production des données se caractérise par une étroite collaboration entre Statistique Canada, les chercheurs universitaires et les décideurs publics dans nombre d’enquêtes menées à travers le Canada, notamment sur les questions d’ethnicité, d’immigration et de discriminations.

31Le principal instrument statistique est le Recensement, qui a largement contribué au développement de la colonie et du système confédéral depuis 1867. La Loi constitutionnelle de 1867 précise (art. 8 et 15) que le recensement quinquennal doit fournir des chiffres de population afin d’établir le nombre des représentants de chaque province au Parlement fédéral et de fixer les limites des circonscriptions électorales fédérales. En outre, elle garantit des droits linguistiques spécifiques aux francophones et anglophones à travers le Canada, ce qui a exigé la production de données censitaires sur la langue, la religion et les origines ethniques de la population. Les questions sur l’immigration, la langue, la citoyenneté, le lieu de naissance, l’origine ethnique, l’appartenance à une « minorité visible, l’identité autochtone, l’appartenance à une bande indienne et le statut « d’indien inscrit » sont liées aux lois, politiques et programmes du Canada en matière de droits des Autochtones, de multiculturalisme, de citoyenneté, d’immigration, de bilinguisme, de droits de la personne, d’équité en emploi, d’établissement et d’adaptation des immigrants, de cours de langues pour les immigrants, ou de programmes pour les immigrants indépendants ou parrainés et les réfugiés.

32L’élaboration des nomenclatures de Statistique Canada s’effectue depuis des années avec la collaboration de nombreux acteurs, par la voie de consultations. Ces partenariats apparaissent essentiels pour justifier le contenu auprès des répondants, de même que dans les discussions avec le Commissariat à la protection de la vie privée, et au moment de la publication des résultats. Compte tenu du contexte délicat en matière de protection des renseignements personnels et de l’exigence de produire des données qui répondront aux besoins en termes de politiques, de programmes ou de recherche, Statistique Canada demande aux utilisateurs de données – ministères et organismes, milieux de la recherche et associations – leur avis, avant chaque recensement, quant à la nature et à la quantité de renseignements qu’ils souhaitent trouver dans la base de données du recensement. Le processus de consultation du recensement (quatre ans avant celui-ci) dure environ six mois et des centaines d’utilisateurs ou personnes intéressées y participent, par soumissions écrites et réunions.

33Les catégories « origine ethnique », « minorités visibles », « lieu de naissance des parents » et « Autochtones » ont fait leur apparition dans les recensements et enquêtes à différentes périodes et se sont transformées en fonction des évolutions démographiques et sociales, des enjeux politiques et des priorités des administrations publiques, du secteur privé, du milieu de la recherche et du grand public. Par exemple, la question sur la religion est posée tous les dix ans depuis 1871 et n’a pas beaucoup changée alors que les questions relatives à l’origine ethnique ou « raciale », dans tous les recensements depuis 1871, à l’exception de 1891, ont connu d’importantes transformations d’un recensement à l’autre, ce qui pose un problème de comparabilité des données. Voyons comment se sont constituées ces catégories et nomenclatures dans les recensements.

Origine ethnique et Autochtones

34Il faut situer la première collecte de données sur l’origine ethnique et raciale aux tous premiers recensements. En 1767, la Nouvelle-Écosse et l’île St. John’s (maintenant île-du-Prince-Édouard) identifiaient les origines ethniques et raciales de leurs habitants, la « race » étant répartie en trois catégories (Blanc, Indien, Nègre). De même le Nouveau-Brunswick, en 1824, classait la population en fonction de la « race », en deux catégories (Blanc et De couleur). En 1851 et 1861, les recensements du Haut-Canada (maintenant l’Ontario) et du Bas-Canada (le Québec) utilisaient une combinaison d’identificateurs relatifs au lieu de naissance et à l’origine ethnique pour catégoriser la population [3]. Aux recensements de 1871 et 1881, la méthode de collecte suivait la pratique établie avant la Confédération : les recenseurs catégorisaient eux-mêmes les répondants, à partir d’exemples d’origines qui leur étaient données comme seules instructions (française, Anglaise, Irlandaise, Africaine, Sauvage, Allemande) (White et al., 1992). Et les renseignements sur les lieux de naissance des résidents canadiens étaient recueillis séparément.

35Aux recensements de 1901 à 1946, la question sur l’origine ethnique a été modifiée, d’une part parce que le recensement de 1891 n’avait pu recueillir des données exactes sur les groupes Canadiens francophones et Acadiens, et d’autre part, parce que l’immigration en provenance de l’Europe de l’Est avait fortement augmenté. En fait, on mesurait à l’époque l’origine « raciale » des Canadiens : il avait été précisé aux recenseurs que pour les répondants d’ascendance européenne, les antécédents ethniques du père déterminaient l’origine du répondant, sauf pour les répondants d’origine mixte (européenne/non-européenne). Les personnes d’origine non-européenne devaient indiquer le groupe racial auquel elles appartenaient, et devaient se déclarer « nègres ou mongoles » (Chinois ou Japonais), selon le cas. Les répondants ne devaient indiquer qu’un seul groupe et la « race » se retraçait par le père, sauf pour les répondants de sang mêlé (européen/non européen ou autochtone/européen). Dans les recensements entre 1901 et 1941, les instructions relatives à l’origine autochtone ont beaucoup varié. En 1901, les répondants qui étaient à la fois d’origine autochtone et européenne devaient déclarer « Métis ». Cette règle a été changée pour les recensements de 1911 à 1931, où les personnes ont dû donner l’origine et le nom de la tribu de la mère. En 1941, toutefois, les personnes de sang autochtone et européen devaient à nouveau se déclarer « métis ».

36Après la Seconde Guerre mondiale, l’origine raciale est abandonnée comme critère de classification dans les recensements, et remplacée par le terme « origine ethnique ». Les termes « groupe ethnique » et « origine ethnique et culturelle » sont aussi utilisés. La langue est aussi devenue un critère important pour déterminer l’origine d’une personne. Au Recensement de 1951, la langue de l’ancêtre paternel lors de son arrivée sur le continent définit l’origine ethnique du répondant, et ce lien très explicite entre langue et origine persiste jusqu’en 1971. Une liste de réponses codées apparaît pour différents groupes, dont la mention « Juive » dans les groupes européens et la mention « Indienne ». Il n’y a pas de groupes non européens, mais le terme « nègre » est indiqué dans les instructions aux recenseurs comme étant un groupe ethnique. Toutefois, la spécification de l’origine autochtone était complexe, surtout pour une personne de sang mêlé. En pareil cas, le recenseur devait examiner si la personne vivait ou non dans une réserve. Dans l’affirmative, il inscrivait l’origine « indienne », sinon, l’origine de l’ancêtre paternel.

37En 1961 et 1971, le questionnaire du recensement stipule que l’origine ethnique doit être celle de l’ancêtre paternel à son arrivée sur le continent, et les répondants ne peuvent indiquer qu’une seule origine, sauf pour les Indiens (autochtones) de naissance, qui devaient indiquer s’ils étaient membres d’une bande. En 1961, plus de trente groupes sont énumérés dans l’ordre alphabétique et un espace vide est offert pour la réponse. À partir de 1971, le recensement est effectué (à 98 %) par autodénombrement, au moyen d’un questionnaire livré par la poste à chaque résidence, sauf pour les résidents des réserves indiennes et des régions éloignées et du Nord, qui sont recensés par interview.

38Ce n’est qu’en 1981 que l’origine ethnique n’est plus déterminée par l’ancêtre paternel. Une telle notion arbitraire de l’origine ethnique n’était plus acceptable sur le plan social et politique, et ne pouvait être défendue sur la base des connaissances sociologiques. La question de 1981 demandait à quel groupe ethnique ou culturel appartenait le répondant, ou ses ancêtres, à la première arrivée sur le continent, avec la possibilité d’inscrire plusieurs groupes ethniques, donc des origines multiples. Les cases de réponse présentaient quinze groupes, dont un seul d’origine non européenne (Chinois), énumérés en fonction du nombre de fois qu’ils ont été indiqués dans le recensement précédent. Un espace était aussi prévu pour l’inscription des groupes qui ne figuraient pas dans la liste. La question sur l’origine ethnique demande au répondant autochtone d’indiquer s’il est Inuit, Indien inscrit, Indien non-inscrit ou Métis. Il s’agit des catégories issues de la Loi sur les Indiens. Le Guide du recensement demande aux autochtones de ne pas tenir compte de la fin de la question sur l’origine ethnique : « à votre première arrivée sur le continent ».

39En 1986, la référence temporelle à la question sur l’origine ethnique (« à votre première arrivée sur le continent ») est supprimée, à la demande des groupes autochtones. Or, certains ont pu comprendre qu’on leur demandait leur identité ethnique plutôt que leur ascendance. Dès lors, de nombreuses questions ont été testées sur l’identité et l’ascendance ethniques, ainsi que sur la race, en vue du recensement de 1991. De plus, une case de réponse « Noir » apparaît dans la liste des quinze groupes énumérés. Cette case a été ajoutée pour répondre aux besoins de données dans le cadre de l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. On demande au répondant de préciser plus d’un groupe s’il y a lieu, en ajoutant trois espaces d’inscription. Enfin, la nomenclature désignant les autochtones change à nouveau. L’expression « Indien de l’Amérique du Nord » remplace les termes antérieurs, mais on ajoute une seconde question afin d’indiquer le groupe approprié (Inuit, Indien inscrit, non inscrit et Métis). En 1991, la question sur l’origine est similaire à celle de 1986, mais le Guide du recensement précise que la question fournit des renseignements utiles aux associations ethniques ou culturelles, et que l’origine ethnique ou culturelle se rapporte à l’origine des ancêtres, aux « racines » ethniques de la population, et ne doit pas être confondue avec la citoyenneté ou la nationalité.

40Le recensement de 2001 comportait quatre questions visant à identifier les Autochtones : question 17 sur « origine ethnique », 18 sur « Identité autochtone », 20 sur l’appartenance à une « bande indienne ou Première nation » et 21 sur le statut d’ » Indien inscrit » ou d’ » Indien des traités ». Pour la première fois, la réponse « canadien » est acceptée.

41On constate donc que des modifications aux origines saisies, au libellé ou à la présentation de la question, aux exemples inclus, aux instructions fournies et au traitement des données ont été apportées à tous les recensements. La transformation du contexte social et législatif dans lequel les questions sont posées, et l’évolution de la conception qu’ont les répondants de leur origine ethnique, de celle de leur enfant ou de leurs opinions sur ce sujet ont une incidence sur le dénombrement des groupes ethniques. La connaissance des antécédents familiaux ou la période écoulée depuis l’immigration peuvent influer sur les réponses fournies, tout comme la confusion avec d’autres concepts comme la citoyenneté, la nationalité, la langue ou l’identité culturelle. Des considérations d’ordres social ou personnel peuvent influencer les schémas de réponse à cette question, et il persiste toujours une ambiguïté à propos des origines des personnes, puisque les relations ethniques (et « raciales ») sont des processus qui changent continuellement (Lieberson, 1992). Les individus franchissent souvent les « frontières » ethniques, comme l’a bien défini Barth (1969), ce qui peut refléter l’assimilation, le passage de groupes de statut inférieur à des groupes de statut supérieur, les pressions sociales, l’influence des mariages mixtes sur les conjoints ou sur les enfants, la migration vers d’autres régions, ou un écart croissant entre les générations dans les groupes d’immigrants. Mais les groupes peuvent aussi persister en dépit des personnes qui franchissent leurs frontières, et ces tendances ne reflètent pas nécessairement une défaillance de la procédure de dénombrement. Les choix des répondants, et tous les facteurs énumérés ont donc des répercussions sur les chiffres et la comparabilité des données d’un recensement à l’autre. Le recensement est considéré comme un « instantané » pris à un moment donné, et c’est en reconnaissant les processus simultanés de changement et de persistance quant aux origines que le recensement fournit des données significatives et pertinentes à cet égard.

42De fait, depuis 1901 surtout, les données sur l’origine ethnique et « raciale », publiées dans le détail, ont notamment permis aux chercheurs d’effectuer d’importantes monographies, études et analyses de la situation socioéconomique et des zones d’établissement des différents groupes ethniques au Canada. En outre, la cueillette de données sur l’origine ethnique ne soulève pas de controverses au Canada, et les ministères fédéraux et provinciaux font usage, dans leurs sondages, politiques, programmes et documents administratifs, des catégories de Statistique Canada. Les diverses consultations effectuées par Statistique Canada avant chaque recensement montrent que la question fait consensus auprès des nombreux utilisateurs de données, bien que certains la trouvent imprécise, notamment parce qu’elle porte sur les ancêtres, sans préciser une période de référence, et que le choix « canadien » dans l’exemple a tendance à compliquer la situation.

43C’est pourquoi le Canada a décidé de recueillir des données plus détaillées sur l’origine et l’ascendance ethniques, non seulement en ajoutant des questions sur la « race » (voir « minorités visibles » plus bas), sur les autochtones et sur les « deuxièmes générations » (lieu de naissance des parents) dans le recensement de 2001, mais aussi en menant des enquêtes approfondies (et longitudinales) sur ces questions. En effet, deux importantes enquêtes nationales de Statistique Canada, récentes mais non récurrentes, portent spécifiquement sur la question de l’origine ethnique : l’Enquête sur la diversité ethnique, effectuée par Patrimoine Canada et Statistique Canada, et l’Enquête longitudinale auprès des immigrants (eli).

44La première est une enquête post censitaire à grande échelle portant sur un échantillon tiré du recensement de 2001, qui a pour objectif d’éclairer l’élaboration de politiques dans les domaines du multiculturalisme, de la prévention du racisme et de la discrimination, et des langues officielles. Elle apporte des informations sur la diversité ethnique du pays, le lien qu’entretiennent plusieurs « générations » de répondants avec leur(s) origine(s) ethnique(s), la participation dans la société, la discrimination et le traitement injuste. Le ministère du Patrimoine canadien avait demandé à Statistique Canada (sc) d’élaborer et de mener une enquête sur l’appartenance ethnique, en prenant soin de traiter ses diverses dimensions et les questions connexes sur la diversité changeante du Canada. L’enquête a poursuivit deux objectifs : mieux comprendre la façon dont les antécédents des personnes influencent leur participation à la vie sociale, économique et culturelle du Canada ; mieux saisir comment les Canadiens de différentes origines ethniques interprètent et déclarent leur appartenance ethnique, ou comment il choisissent (ou non) certaines identifications ethniques.

45Pour sa part, l’Enquête longitudinale auprès des immigrants du Canada, effectuée en 2000-2001 par Citoyenneté et immigration Canada et Statistique Canada à partir des données administratives sur les admissions permanentes des immigrants, vise à mieux connaître les besoins des nouveaux immigrants au Canada et leurs processus d’adaptation (trouver un logement, apprendre ou améliorer une des deux langues officielles, participer au marché du travail ou avoir accès à des possibilités d’études et de formation). L’elic a pour objet d’examiner le processus d’intégration de cohortes d’immigrants arrivés en 2000-2001 au cours des quatre années qui suivent leur arrivée au Canada, période cruciale durant laquelle ils nouent des liens économiques, sociaux et culturels dans la société.

Minorité visible

46La catégorie de « minorité visible » est issue des travaux de la Commission Royale sur l’équité en matière d’emploi, qui a débouché sur l’adoption de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Selon le Règlement sur l’équité en matière d’emploi, les personnes appartenant à une minorité visible sont celles (autres que les autochtones) « qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche et qui se reconnaissent comme telles auprès de leur employeur ou acceptent que celui-ci les reconnaisse ainsi ». Le terme minorités visibles englobe dix groupes, cités dans la question 19 sur « le groupe de population » : les Noirs, les Indo-Pakistanais, les Chinois, les Coréens, les Japonais, les personnes venant du Sud-Est asiatique, les Philippins, les autres personnes venant des Îles du Pacifique, les habitants de l’Asie occidentale, les Arabes et les Latino-Américains. Ces groupes comprennent environ cinquante groupes ethniques.

47Avant 1996, il fallait croiser les questions sur l’origine ethnique, le lieu de naissance et la langue afin d’obtenir l’information recherchée. Cependant, un nombre croissant de répondants déclarait une origine ethnique « canadienne », ce qui donnait les résultats obtenus par le biais de cette question de moins en moins pertinents aux fins d’un décompte des « minorités visibles ». Dès lors, Statistique Canada a élaboré une question spécifique en reprenant des catégories établies non pas par l’appareil statistique mais par les autorités responsables de l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, afin que le Canada puisse disposer de données plus précises pour l’administrer (Beaud et Prévost, 1999). Cette question répond donc à des obligations légales, fixées par la loi et les programmes afférents à cette loi [4].

48Contrairement aux questions sur la religion et l’origine ethnique, la question sur les « minorités visibles » dans les recensements, posée pour la première fois en 1996 (et reprise en 2001), s’est attirée certaines critiques avant d’être acceptée aux fins de l’équité. L’usage du concept et de la catégorie de « minorités visibles », et le débat sur la mesure de cette population, remontent au début des années 1980. En 1982, le gouvernement fédéral parraine une conférence sur « les minorités visibles et les médias », et son Secrétariat d’État sur le Multiculturalisme commande plusieurs enquêtes traitant des relations raciales. En 1983, une conférence sur « les femmes des minorités visibles et l’emploi » est organisée par le ministère du Travail de l’Ontario, et la Ville d’Ottawa crée un Comité consultatif sur les minorités visibles. En 1983, le gouvernement fédéral forme un Comité spécial à la Chambre des communes sur la participation des minorités visibles dans la société canadienne. Les nombreux mémoires présentés par plusieurs associations et organismes publics lors des audiences publiques tenues par ce Comité font ressortir que la Politique du multiculturalisme de 1971 est une mesure insuffisante pour répondre aux inégalités vécues par les minorités visibles, inégalités mises en évidence par diverses données sur la sous-représentation des minorités visibles dans les institutions publiques importantes. Malgré son utilité (et son utilisation déjà courante à l’époque), la notion de « minorités visibles » suscite des discussions animées. Si un grand nombre de participants accepte l’expression, plusieurs s’inquiètent de ses implications [5]. Mais le débat va surtout porter sur la production de données statistiques pouvant éclairer la situation des minorités visibles, ainsi que sur d’éventuelles mesures de redressement en leur faveur. On souligne la difficulté à établir des mesures fiables. Plusieurs sont d’avis que les évaluations fort divergentes sur le nombre de Noirs au Canada ne permettent pas de faire des diagnostics précis sur les besoins de ces populations et que la question sur l’origine ethnique dans le Recensement est inadéquate pour fournir de tels renseignements. L’idée d’inclure dans le recensement une question portant sur la « race » ou le « groupe racial » est soulevée (Canada, 1984).

49Le rapport du comité spécial débouchera sur la création de la Commission royale sur l’égalité en matière d’emploi, qui va consacrer officiellement la notion de « minorité visible » et conduire à l’adoption, en 1986, de la Loi sur l’équité en matière d’emploi (Abella, 1984). Cette Commission, qui a porté son attention sur la « discrimination systémique » affectant les groupes-cibles, a reçu, dans le cadre de ses travaux, plusieurs documents de recherche qui notaient, entre autres, que plus de 80 % des plaintes soumises à la Commission ontarienne des droits de la personne concernaient le secteur du travail (dont la moitié environ portaient sur les motifs de « race » ou « origine ethnique »), que les données sur le nombre de Noirs au Canada étaient incertaines, et que les discriminations touchaient particulièrement les Noirs, Chinois, Japonais, Asiatiques du sud, Asiatiques du sud-est et Latino-Américains. Cette première liste de minorités visibles ne fut pas utilisée par l’enquête de la Commission auprès de plusieurs sociétés d’État et entreprises bénéficiant de contrats fédéraux. Dans cette enquête, le questionnaire administré définissait les « minorités visibles » comme étant des personnes « non blanches ». Or, comme le souligne le rapport de la Commission, des catégories plus fines devaient être développées afin de mieux identifier les groupes qui rencontrent plus de difficultés que les autres.

50Dans ses recommandations, la Commission trace le mandat d’un vaste programme statistique qui requiert d’ajouter au recensement des questions permettant de dresser un tableau global de la situation des groupes cibles en milieu de travail. La Loi sur l’équité en matière d’emploi reprend la définition des minorités visibles utilisée par l’enquête de la Commission Abella : « personnes qui ne sont pas autochtones ni de race blanche ». Emploi et immigration Canada devait très rapidement subdiviser cette population en catégories plus fines : Noir, Chinois, Japonais, Coréen, Indo-pakistanais, Antillais, Arabe, Asiatique du sud-est, Latino-Américain, Indonésiens, originaire des Îles du Pacifique. Ce sont à peu de choses près ces catégories que l’on retrouvera dans les recensements de 1996 et de 2001.

51Avant 1996, le recensement comportait bien sûr une question sur l’origine ethnique, mais celle-ci avait été conçue dans un tout autre but. Les problèmes qu’une telle utilisation des données sur l’origine ethnique pouvait engendrer ont été soulignés par Statistique Canada dès la fin de 1984. Ainsi, une comparaison des données relatives à l’origine ethnique avec celles sur le lieu de naissance révélait que « presque la moitié des personnes nées en Haïti ont déclaré être d’origine ethnique française, et de nombreuses personnes nées en Jamaïque ont déclaré être d’origine britannique ». L’inadéquation de la question sur l’origine ethnique à dénombrer les minorités visibles peut être illustrée par de nombreux cas de figure, comme celui des personnes noires nées aux États-Unis ou dans un pays européen. La subjectivité de la question sur l’origine ethnique apparaissait difficilement compatible avec le caractère plus « objectif » de la visibilité, celle-ci étant liée à un attribut physique, la couleur de la peau.

52Statistique Canada attira donc l’attention sur le risque important d’une « sous-évaluation substantielle » des minorités visibles qu’impliquait le recours aux seules données sur l’origine ethnique. Mais au recensement de 1986, le questionnaire ne contenait toujours pas de questions permettant d’identifier directement les personnes des minorités visibles, et il a fallu calculer les chiffres de façon indirecte. La question sur l’origine ethnique demeurait la principale source pour estimer leur nombre et certaines modifications furent apportées, dont l’ajout de deux groupes non européens (« Chinois » et « Noir ») et quatre autres groupes cités en exemples (Indien [Inde], Philippin, Japonais et Vietnamien). En vue du recensement de 1991, de nombreuses questions relatives à l’ascendance et à l’identité ethniques, de même qu’à la race furent testées. Mais la question sur l’origine connut peu de changements. Malgré les problèmes relatifs à une sous-évaluation de certains groupes et à la popularité grandissante de la réponse « canadienne » à titre d’origine ethnique, celle-ci demeura le fondement des décomptes et projections des minorités visibles. Une stratégie globale couvrait l’interaction des quatre variables ethnoculturelles (origine ethnique, lieu de naissance, langue et religion) afin d’effectuer ces totalisations.

53En 1992, lors des audiences du Comité spécial chargé de l’examen de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, plusieurs témoins ont insisté sur la sous-évaluation que ces procédures d’imputation n’arrivaient pas à corriger, ce qui amena le Comité à recommander que Statistique Canada perfectionne ses données.

54En dépit de cela, de nombreuses études statistiques ont été menées sur le sujet et sur la base de ces données dérivées à partir de la fin des années 1980. Par exemple, la Direction générale de l’équité en matière d’emploi et Immigration Canada publiaient déjà une série de documents de travail et de rapports sur la situation des groupes désignés. Le Conseil ethnoculturel du Canada publiait aussi régulièrement des études statistiques visant à illustrer les iniquités subies par les minorités visibles (Kobayashi, 1992 : 586). Par ailleurs, les rapports annuels des ministères et organismes gouvernementaux, fédéraux et provinciaux, comportaient généralement à partir de cette période une section sur l’équité en emploi, dans laquelle on trouvait des données statistiques se rapportant aux groupes cibles. Enfin, la plupart des articles traitant de la situation des minorités visibles et publiés dans les revues scientifiques comportaient des données issues du recensement et de ses produits dérivés.

55Entre 1985 et 1995, tout en fondant ses principales analyses de la situation des minorités visibles sur des données dérivées de la question sur l’origine ethnique, Statistique Canada a mené pas moins de dix enquêtes ou expérimentations contenant une ou des questions visant à mesurer directement les minorités visibles (Statistique Canada, 1995 ; Beaud et Prévost, 1999 ; Boxhill, 1991). Par ailleurs, d’autres enquêtes que celles de Statistique Canada ont intégré des questions sur les minorités visibles au cours de la même période. Les formulaires de demande d’emploi de la fonction publique fédérale, notamment, incluaient une question sur le sujet et plusieurs employeurs – des universités offrant des programmes d’équité en emploi par exemple – faisaient de même. Aucune de ces questions n’a toutefois été jugée suffisamment satisfaisante pour être retenue en vue du questionnaire du recensement de 1991 (Boyd, 1992).

56Mais en dépit de la décision de ne pas inclure de question sur la « race » dans le recensement de 1991, le besoin d’un instrument permettant un décompte adéquat des minorités visibles continuait à se faire sentir. Au recensement de 1996, Statistique Canada décida de maintenir la question sur l’origine ethnique telle quelle plutôt que de chercher à l’améliorer, mais en ajoutant une question portant directement sur les minorités visibles, reprenant les catégories établies par Emploi et Immigration Canada depuis quelques années et avec lesquelles l’organisme, comme le public, devenaient familiers : de variable dérivée (de l’origine ethnique, du lieu de naissance et de la langue maternelle), la « visibilité » devenait maintenant une variable de recensement. En novembre 1993, le test du recensement national révéla que la question sur les minorités visibles rencontrait très peu d’opposition (Renaud et Costa, 1994), le test permettait d’évaluer les procédures de dérivation auxquelles on avait recours depuis bientôt dix ans. Ce que l’on soupçonnait (une sous-évaluation marquée de certains groupes), se confirma. En fait, seulement 72% des personnes ayant répondu « Noir » ont donné des origines compatibles. Par ailleurs, 90 % des personnes ayant donné une origine ethnique équivalant à « Noir » ont répondu « Noir » à la question sur les minorités visibles. L’analyse des résultats du test révéla que, parmi les minorités visibles, le groupe « Noir » était celui qui avait le plus tendance à répondre « Canadien » à la question sur l’origine ethnique. Tous les autres groupes présentaient une cohérence plus forte, sauf celui des Latino-Américains. Les résultats du test étaient donc globalement favorables à l’introduction d’une nouvelle question sur les minorités visibles dans le recensement de 1996, ce qui fut fait. Maintenue en 2001, la variable n’est plus remise en question comme le montrent les consultations effectuées par Statistique Canada (Statistique Canada, 2003).

Conclusion : quelques éléments prospectifs

57Cet article montre que la mesure des discriminations selon l’origine ethnique ou la « race » au Canada s’inscrit dans un contexte sociohistorique spécifique, composé de multiples composantes nationales, ethniques, culturelles et sociales, qui entretiennent des rapports différents les unes avec les autres depuis le début de la colonisation. La production des données, des nomenclatures et des catégories a donc suivi l’évolution même des rapports historiques entre les différents groupes, qui ont conduit à l’adoption et à la transformation de nombreuses législations. C’est non seulement l’histoire, mais aussi le climat social, légal et politique du temps qui a modelé la façon dont les lois ont été élaborées et appliquées. Ces questions sont généralement bien acceptées (voire reconstruites) par les utilisateurs de données et la population dans la mesure où elles s’inscrivent explicitement dans une logique d’atteinte de l’égalité et de lutte contre les discriminations depuis la fin des années 1960.

58Pour appliquer les nombreuses législations, et mettre en œuvre un dispositif à tous les paliers de gouvernement de la fédération, les statistiques ont joué, et continuent de jouer, un rôle essentiel, en amont comme en aval. En matière de discriminations – et par conséquent, d’atteinte de l’égalité – la cueillette de données sur toutes les composantes sociales et ethnoculturelles de la société a, depuis longtemps, permis de comparer la situation socioéconomiques des groupes (ou catégories) entre eux afin de mieux saisir et combattre les inégalités en tant qu’effets des discriminations. Elle a aussi permis l’évolution juridique du concept même de discrimination (de directe à indirecte puis systémique), pour tous les motifs, ainsi que des diverses législations visant à la combattre. Les dispositions sur les Programmes d’équité ou d’accès à l’égalité en emploi témoignent de ce rôle essentiel des statistiques, qui ont joué et interviennent encore à toutes les étapes du processus de décision, d’élaboration, d’application et de contrôle de ces programmes par les Commissions des droits de la personne et les ministères concernés. Les données statistiques sont aussi centrales dans les recours mis en place, devant les Commissions des droits (plaintes, enquêtes, éléments de preuve) comme devant les tribunaux. Enfin, nous avons vu comment les nomenclatures des recensements et des enquêtes statistiques nationales sont sujettes à des changements selon les transformations sociales, politiques, législatives, juridiques et scientifiques, exprimées par les besoins en données des différents utilisateurs.

59En outre, on constate l’étroite liaison entre l’élaboration et l’application des législations, des politiques et programmes et la production, fortement centralisée, de données statistiques nationales. Au Canada, les champs scientifique, juridique et politique interagissent et s’influencent réciproquement en matière de discriminations, autant sur le plan théorique que méthodologique. La multiplication des consultations et des collaborations entre Statistique Canada, les ministères et les chercheurs universitaires en témoignent. Les travaux en sciences sociales sur les discriminations ont mis en évidence la complexité des modes d’oppression et des facteurs identitaires, sociaux, structurels, historiques et psychologiques qui interagissent dans les situations discriminatoires. Les travaux des sciences sociales ont largement contribué, directement ou indirectement, à l’évolution de la compréhension de la discrimination et à la légitimité sociale de l’approche systémique, par la construction de « diagnostics » ou « d’évidences » de son existence, de sa dynamique collective, de sa mesure et des solutions possibles pour la contrer. Sur l’origine ethnique ou la « race », les recherches ont mis en évidence tout un ensemble de règles, de pratiques et de valeurs qui permettent d’expliquer les inégalités statistiques actuelles entre le groupe majoritaire et certains groupes minoritaires, dont les Autochtones, les immigrants et les minorités visibles. Du statut juridique de ces groupes dans l’histoire comme fondement de leur place dans la société aux différences dans l’éducation, à leur absence sur la scène politique, à leur concentration dans des catégories d’emplois, à leur infériorité salariale et aux résistances de certains milieux à reconnaître leur égalité, l’enchaînement des causes de l’engrenage social qui les handicape comme groupe et les relègue au bas de l’échelle sociale, a été démontré par l’articulation des données produites.

60Cette notion de discrimination systémique ouvre aujourd’hui la porte à une approche dite « contextuelle » de la discrimination, qui repose sur la prise en compte de l’intersectionalité des motifs de discrimination par les tribunaux et une preuve d’experts fondée sur des données de diverses sources. Les sciences sociales ont initié la réflexion sur l’intersectionnalité des motifs de discrimination (sexe, couleur, condition sociale, etc.), formulés par elles en termes d’articulation des rapports sociaux ou des modes de domination depuis les années 1970, et cette réflexion pénètre aujourd’hui la sphère du droit, qui cherche à développer une approche intersectionnelle dans l’application et l’interprétation des législations sur les droits de la personne (Commission Ontarienne des droits de la personne, 2001 ; Crenshaw, 1989 ; Sheppard, 2001).

61En effet, les processus historiques et les réalités sociales ne correspondent pas à la définition symétrique des catégories légales inscrites dans les chartes et les lois sur les droits de la personne [6]. Il existe donc une tension progressive entre le langage symétrique et neutre des motifs légaux de discrimination (l’interchangeabilité [7]) et l’expérience asymétrique, historique, sociale et inégale, de la discrimination vécue par les groupes visés, expérience qui repose sur une « intersectionnalité » des catégories différenciées faisant varier qualitativement les expériences entre elles. Dès lors, au Canada, les commissions des droits et les tribunaux commencent à adopter une approche contextualisée et intersectionnelle de la discrimination, permettant de tenir compte et d’analyser les cas de discrimination fondés sur des motifs multiples ou entrecroisés. Cette approche porte moins son attention sur les « caractéristiques » des personnes que sur la façon dont elles sont construites et traitées socialement, et tient compte du contexte historique, social et politique – donc des préjudices historiques dont a (ont) été victime(s) le(s) groupe(s) d’appartenance d’une personne – afin de reconnaître l’expérience particulière et complexe de la discrimination vécue, due à la confluence de tous les motifs pertinents qui sont en cause. Dès lors, cette approche juridique appréhende la discrimination comme un processus s’inscrivant dans des rapports sociaux et s’exprimant de manière systémique.

62Ce débat sur l’intersectionnalité des facteurs de discrimination évolue largement en s’appuyant sur les diverses approches des sciences sociales, notamment quantitatives (approches multivariées, régressions multiples). On peut situer l’origine de ce débat dans les premières études sur la stratification ethnique au Canada, dont l’analyse statistique de Porter (1965) sur la « mosaïque verticale » canadienne, qui inspira profondément les travaux de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme dans les années 1960, puis ceux de la Commission Abella sur l’équité en matière d’emploi.

63Les approches multivariées (par régressions multiples) permettent d’établir des diagnostics de situation et des comparaisons entre groupes, en contrôlant le plus grand nombre de variables, et l’impact, l’interaction (ou l’intersection) des autres variables. Par exemple, pour mesurer l’effet de variables indépendantes (ex. race, ethnicité, revenu) sur la qualité de vie (variable dépendante), cette méthodologie permet de saisir l’impact indépendant ou combiné de chacune de ces variables simultanément. Par cette technique, on peut non seulement montrer l’impact d’une variable indépendante, lorsque tous les autres facteurs sont contrôlés ou maintenus constants, mais aussi mesurer le poids (ou l’importance) de l’effet de chaque facteur sur la variable dépendante, ainsi que leur interaction. L’approche résiduelle procède généralement par analyses de régressions multiples des données censitaires, et part de l’hypothèse que le degré de discrimination peut être mesuré par le résidu des différences (en termes d’occupation, de chômage, de revenu ou d’autres indicateurs d’emploi) entre des groupes d’origines ethniques distinctes, une fois prises en compte les autres variables reliées aux caractéristiques individuelles, au capital humain ou à la durée de séjour. La discrimination apparaît comme un écart « inexpliqué » entre des groupes, une fois les variables contrôlées.

64Les résultats de ces analyses dépendent du nombre de variables contrôlées, dont certaines ne sont pas disponibles dans les recensements. De même, la nature transversale des données des recensements ne permet pas de distinguer les différentes cohortes d’immigrants, arrivées à des périodes différentes, donc de comparer la performance économique des groupes à travers le temps. Ces lacunes sont aujourd’hui comblées par des enquêtes longitudinales, en plein développement au Canada, qui permettent de dépasser le thème unique de l’individu comme unité d’observation et d’analyse à un moment donné dans le temps pour intégrer des unités plus grandes (cohortes, générations) dans une évolution temporelle et un cadre familial, communautaire, ou sociétal plus dynamique. Elles cherchent à mieux saisir la relation entre les catégories, souvent perçues comme « statiques » et le cours ou les transitions de la vie et les facteurs contextuels (incluant les discriminations), afin de voir comment les changements aux niveaux micro et macro induisent des changements dans la signification ou l’intensité de la différenciation (ethnique, raciale, religieuse, etc.), le rôle du groupe et des réseaux sociaux. Elles permettent d’étudier des processus (comme les effets de la discrimination), ce que les indicateurs provenant de données transversales empêchent. Elles ouvrent la porte à la mesure du lien entre, d’une part, la déqualification et la dévalorisation, issues des discriminations, et d’autre part, les stratégies de « surinvestissement », de constitution de « réseaux » et de contournement des obstacles. Plus encore, elles permettront de mesurer le capital social différencié des immigrants ou des minorités (réseaux, ressources de ces réseaux, place occupée dans ces réseaux, etc.) et ses effets sur leur identification ethnique, leur capital financier (argent, revenu), leur capital humain (éducation, expérience de travail, connaissance linguistique) ou leur capital culturel (valeurs, mode de vie). Elles ouvrent aussi à une prise en compte de diverses variables de contexte, plus qualitatives, encore difficiles à mesurer.

Bibliographie

Références

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Notes

  • [1]
    La Loi sur les Indiens de 1876 rassemble toutes les lois antérieures à ce sujet. « Révisée en 1951, la loi fédérale constitue un véritable régime de tutelle des Indiens (autant individuellement que collectivement) […]. (Elle) détermine aussi bien le statut d’Indien que l’appartenance à la bande, la structure politique et administrative que la gestion des réserves, les exemptions de taxes et l’administration financière tout en faisant des Indiens des pupilles de l’État » (Dupuis, 1991 : 42).
  • [2]
    Les législations canadienne et provinciales sur les droits de la personne couvrent un éventail plus large de motifs que l’article 15 de la Charte canadienne. C’est le cas de la Charte québécoise, qui, en plus des motifs énumérés dans la Charte canadienne, prohibe la discrimination en raison de la condition sociale, de la grossesse, de l’orientation sexuelle, de l’état civil, de l’opinion politique, de l’âge, de la langue, d’un handicap ou de l’utilisation d’un moyen pour palier ce handicap, ainsi que le harcèlement.
  • [3]
    Il s’agissait d’origines surtout Nord-américaines et européennes, ainsi que des catégories suivantes : Antilles, personne de couleur, Indiens, Autres endroits, Naissance en mer, Lieu de naissance inconnu.
  • [4]
    Le Statisticien en chef de Statistique Canada a dû publier une réponse dans les journaux et sur le site Web de Statistique Canada, où il exposait que la question avait pour but de fournir des renseignements au gouvernement et aux employeurs pour appliquer la Loi sur l’équité en matière d’emploi et évaluer son impact.
  • [5]
    Cette expression est considérée comme un euphémisme de la « race », donc comme un produit du racisme. La présidente du Congrès juif canadien affirme que « n’importe quelle minorité qui est la cible de fanatiques est une minorité visible ». Plusieurs s’inquiètent du différentialisme qu’elle exerce, et de ses effets divisifs sur les Canadiens. D’autres craignent que les discriminations à l’égard des minorités audibles soient négligées (comme les francophones dans l’Ouest canadien). Voir Canada, Chambre des Communes (1983 : 5 : 6).
  • [6]
    En 1998, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été amendée afin de reconnaître qu’une plainte peut être fondée sur plusieurs « motifs » ou « catégories » prohibés de discrimination, ou sur les effets d’une combinaison (ou intersection) de critères (S.C. 1998 c.9, s.11., art. 3). On note dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada une reconnaissance progressive de « l’intersectionnalité » comme expérience spécifique.
  • [7]
    La symétrie des motifs a aussi induit un processus d’essentialisation de la discrimination par la réification des motifs prohibés, faisant exister en soi la discrimination « raciste », ou « sexiste », de manière quasi-autonome, ceci en raison du caractère formaliste de l’interprétation juridique, du traitement presque exclusivement individuel des cas et de l’examen principalement statistique des situations analysées du point de vue des résultats plutôt que de celui des processus de production y menant. Ces trois logiques ont conduit à une réduction de la réalité sociale : la discrimination est isolée des autres formes d’inégalités et l’assignation ethnique ou raciale est séparée des autres facteurs d’inégalité.
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