Notes
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[1]
Le film américano-mexicain Roma a été réalisé par Alfonso Cuarón et raconte la vie de la domestique Cleo au sein d’une famille aisée.
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[2]
Voir la vidéo à l’adresse suivante :https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/multimedia/video/video-interviews/WCMS_748090/lang--en/index.htm
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[3]
Le rapport a été réalisé par l’OIT et la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) : https://lac.unwomen.org/en/noticias-y-eventos/articulos/2020/06/trabajadoras-remuneradas-del-hogar-en-america-latina-y-el-caribe-covid-19.
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[4]
Dans l’introduction de leur dossier publié en 2020 dans la Revue internationale des études du développement (RIED), Natacha Borgeaud-Garciandía, Nadya Araujo Guimarães et Helena Hirata reviennent en conclusion sur l’expression « crise du care », qui désigne alors plutôt le besoin en main-d’œuvre pour prendre soin d’autrui.
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[5]
Nous utilisons ce terme, très imparfait, à défaut d’un autre, bien conscientes de sa construction sociale coloniale (Saïd, 1978).
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[6]
Voir, entre autres : Jelin, 1977 ; Chaney & Castro, 1988 ; Girard, 1996 ; Lautier & Marques Pereira, 1994 ; Stefoni, 2002 ; Borgeaud-Garciandía & Lautier, 2011 ; Bravo & Ordenes, 2016 ; Ratto, 2020. Pour plus de références, voir les travaux de Bruno Lautier.
1Dans une vidéo réalisée pour l’Organisation internationale du travail (OIT), l’actrice Yalitza Aparicio, qui incarne dans le film Roma [1] une travailleuse domestique de Mexico dans les années 1970, est sollicitée pour alerter sur les risques encourus par les dizaines de millions de travailleur·se·s domestiques à travers le monde en pleine crise du Covid-19 [2]. Cette vidéo a été diffusée le 16 juin 2020, date de la journée internationale des dites « travailleur·se·s domestiques », quelques jours après la publication d’un rapport analysant les impacts de la crise sur leur travail en Amérique latine et aux Caraïbes [3]. On y lit notamment que les travailleur·se·s domestiques sont particulièrement exposé·e·s aux risques sanitaires et psycho-sociaux, du fait de l’absence de mesures d’hygiène dans les maisons où elles·ils travaillent et, surtout, de l’obligation pour certain·e·s de rester habiter chez leurs employeuses·eurs, privé·e·s de leur entourage. Le rapport alerte sur la vulnérabilité accrue de populations déjà fragiles sur le marché du travail hors temps de pandémie, et sur l’enjeu à la fois local et international de renforcer leur protection.
2En parallèle de ce rapport, nous sommes plusieurs chercheur·se·s spécialistes des domesticités et du marché du travail à avoir fait ce constat. Des travailleur·se·s sont exclu·e·s du domicile par des patron·ne·s qui craignent la contamination ou n’ont momentanément plus besoin de leur service. Elles·ils se retrouvent alors sans emploi ou avec des horaires de travail et un salaire dégradés. D’autres sont au contraire sur-sollicité·e·s, incité·e·s à se couper de leur famille et à rester dormir au domicile pour réduire les risques de transmission du virus. D’autres encore sont contraint·e·s d’affronter les risques sanitaires à leurs dépens. En fait, la crise sanitaire actuelle a exacerbé les inégalités de situations déjà rencontrées par celles et ceux qui travaillent au domicile des autres. Avoir un·e ou plusieurs patron·ne·s, vivre sur son lieu de travail ou chez soi, être payé·e à l’heure, à la journée ou au mois, être déclaré·e ou employé·e au noir, sous contrat de travail écrit ou non, employé·e directement par la famille employeuse ou via une agence, faire partie d’un syndicat ou d’une association luttant pour le droit du travail sont des éléments qui, parmi d’autres, pluralisent les domesticités et rendent difficile la prise en charge globale des problèmes divers rencontrés par tel·le ou tel·le travailleur·se domestique. Cependant, force est de constater que les domesticités, aussi plurielles soient-elles, regorgent de (très) mauvaises conditions de travail et souffrent de désintérêt politique, ce qui les placent au sommet des métiers les plus pénibles et les plus dévalorisés. Ce n’est donc pas la crise du Covid-19 qui a créé ces conditions de travail : ce numéro a pour objectif de montrer qu’elles lui sont bien antérieures, et que la domesticité a toujours été un secteur « en crise » : en crise non pas d’emplois [4], mais bien en crise de droits. Les articles qui y figurent, à une exception près, ne traitent pas de la domesticité en période de pandémie : ils s’attachent à montrer les réalités qui l’ont précédée, et qui constituent un terreau fertile aux dégradations actuelles.
1. Poursuivre le dynamisme bien entamé de la recherche sur les domesticités
3Il y a près de dix-huit ans, paraissait dans la présente revue, alors nommée Tiers Monde, un dossier dirigé par Blandine Destremau et Bruno Lautier intitulé « Femmes en domesticité » (Destremau & Lautier, 2002). Dans l’introduction de ce dossier, les deux auteur·e·s qualifiaient la domesticité de « catégorie négligée par la recherche » et regrettaient le manque de travaux portant un regard politique sur une question qui, dans l’espace public, ne suscitait pas non plus d’intérêt de la part des médias et des personnes au pouvoir. L’enjeu était donc d’explorer plusieurs situations de domesticités, pour rendre compte de leurs points communs et établir les caractéristiques et trajectoires convergentes des travailleur·se·s domestiques à travers le monde. Depuis la parution de ce dossier en 2002, la domesticité n’est plus « négligée » par la recherche : les travaux de sociologie, d’anthropologie, de sciences politiques, d’économie et d’histoire sont désormais plus nombreux. Ce numéro a pour vocation de contribuer à alimenter les connaissances toujours plus fines des domesticités et, plus précisément, des domesticités dans les Suds à l’époque contemporaine, mais avec un parti pris et des points d’entrée qui nous semblent compléter, de manière originale, ce qui existe déjà sur l’objet.
1.1. La fin de l’invisibilité politique et académique
4Avant cela, rappelons quelques éléments de contexte sur le traitement politique et académique des domesticités. Elles sont alimentées par d’importants flux de travailleur·se·s, dont le nombre oscillerait entre 60 et 100 millions à travers le monde, selon l’OIT. Pourtant, ce n’est que récemment que les domesticités ont fait l’objet de préoccupations internationales : l’adoption, en 2011, de la convention 189 pour le « travail décent des travailleur·se·s domestiques », a mis un coup de projecteur sur les difficultés communes à nombre d’entre elles et eux pendant les quelques années précédant et suivant sa rédaction (Blackett, 2012 ; Albin & Mantouvalou, 2012 ; Fish, 2017 ; Poblete, 2018). Ce coup de projecteur a en partie été permis par les pressions exercées par des syndicats nationaux et fédérés à l’échelle internationale (Schwenken, 2011 ; Hobden, 2015). Il s’est matérialisé par une plus grande visibilité médiatique (même si elle reste relative) des situations de vie et de travail du personnel domestique. L’article de Charles Mamere et de Laëtitia Larcher, documentalistes à l’INA, qui figure dans ce numéro, en témoigne à partir du cas des médias français. Cette reconnaissance internationale a aussi eu des effets sur la production académique de travaux dédiés aux domesticités, comme en témoigne le Research Network for Domestic Workers Rights (RN-DWR). Ce réseau, qui a pour vocation de faire collaborer chercheur·se·s et activistes, s’est construit par groupes de travail qui ont bénéficié de financements internationaux au moment où le projet de convention était discuté. Il a impulsé une forme de « recherche-action » dans les années 2010, laquelle a contribué à légitimer les domesticités comme un objet de recherche, désormais implanté dans le champ académique et devenu attractif parmi les jeunes chercheur·se·s.
5Cela dit, la recherche n’a pas attendu la mise à l’agenda international des travailleur·se·s domestiques pour s’intéresser à elles et eux. Les historien·ne·s ont produit un vaste panel d’études portant sur les domesticités à partir du xve siècle (Pasleau et al., 2001-2005 ; Fauve-Chamoux, 2004 ; Fauve-Chamoux & Walls, 2005 ; Sarti, 2014). Aussi loin que les sources permettent de remonter, elles mettent en évidence l’importance de la domesticité sur les marchés du travail des pays dits « occidentaux ». Des études de cas localisées par pays y sont consacrées, en France (Dépatie, 2008 ; Zeller, 2016 ; Beal, 2019), en Espagne (Dubert, 2006), en Belgique (Piette, 2000) et en Angleterre (Abate, 2003 ; Delap, 2011) ou encore en Pologne (Kuklo & Kamecka, 2002). Mais les domesticités, passées et présentes, ne concernent pas seulement ces aires géographiques. C’est sur la mondialisation des domesticités, et dans la lignée de cette focale, que porte l’essentiel des travaux produits en sciences sociales depuis deux décennies. Les flux des travailleur·se·s domestiques, notamment des pays dits « du Sud » vers les pays dits « du Nord », suscitent toute l’attention (Drouilleau et al., 2009) : les domesticités sont appréhendées comme un phénomène dont l’histoire et la contemporanéité ont une dimension globale, inscrite dans les migrations nationales et internationales (Moya, 2007 ; Lutz, 2008 ; Hoerder et al., 2015). Leur dimension géopolitique a été mise en évidence : on sait désormais que ces migrations entraînent des flux d’argent importants et sont parfois organisées par les États exportateurs et importateurs, sous forme d’accords qui peuvent impliquer la formation des travailleur·se·s domestique et le ciblage de leur placement (Anderfuhren, 2002 ; Kindler, 2008 ; Debonneville & Killias, 2019).
6C’est donc en visibilisant, dans les travaux académiques, le travail domestique rémunéré, que la recherche a montré son invisibilité. Il est invisible des médias et des débats politiques parce qu’il s’exerce dans le domicile, donc dans un lieu clôt, qui plus est considéré comme inviolable, voire sacré ; et il est invisible des patron·ne·s, parce que souvent fait en leur absence, et parce que certaines tâches, comme le ménage, ne sont perceptibles que lorsqu’elles ne sont pas faites. Il est aussi invisible des institutions censées contrôler ou recenser le travail (lorsqu’elles existent), et de celles, comme les syndicats, qui l’encadrent et protègent les travailleur·se·s. En effet, bien que les luttes collectives et syndicales existent à leur égard, beaucoup de travailleur·se·s domestiques demeurent isolé·e·s d’un collectif de travail capable de centraliser leurs revendications, de les porter à l’agenda politique et d’organiser des permanences d’information et de conseils. Ces revendications sont pourtant nombreuses, à l’image des pénibilités qui caractérisent les domesticités. La prise en charge de la propreté d’un domicile ou du bien-être de personnes mineures et/ou non autonomes suppose un travail considérable et polyvalent, à l’implication tant physique (faire le ménage, laver ou déplacer une personne infirme, être en contact avec des produits chimiques abrasifs) que relationnelle (tenir compagnie, faire la conversation, garder un bon contact avec la famille employeuse) et émotionnelle (anticiper le mal-être des personnes dont on s’occupe, ne pas faire attention aux propos blessants qui peuvent être tenus). Sous couvert de déléguer les tâches triviales du quotidien que tout le monde peut réaliser, ces pénibilités sont peu reconnues et indemnisées par une rémunération peu élevée. De ce fait, le secteur attire une main-d’œuvre peu qualifiée et souvent marginalisée sur le marché du travail. Les femmes, pauvres, peu diplômées et immigrées sont surreprésentées parmi les travailleur·se·s domestiques, et d’autant plus vulnérables que les conditions d’emploi favorisent rarement une stabilité économique et sociale. Les contraintes temporelles de l’emploi domestique sont élevées. Certaines tâches ne favorisent pas l’articulation des temps de vie des domestiques, comme la prise en charge des enfants ou des personnes dépendantes, alors qu’une présence est requise au moment des repas, du lever et du coucher. Par ailleurs, les travailleur·se·s domestiques ont tendance à se faire embaucher par plusieurs patron·ne·s afin d’augmenter leurs heures rémunérées, bien que cela implique également des temps de déplacement élevés et un travail constant de recherche de nouveaux emplois. Enfin, les travailleur·se·s domestiques ne sont pas toujours déclaré·e·s et ne bénéficient pas souvent d’un contrat de travail, oral ou écrit. Les situations de travail informelles sont susceptibles d’accroître la subalternité des travailleur·se·s domestiques et l’asymétrie de leur relation aux patron·ne·s, intrinsèquement favorable à ces dernières·ers.
7Alimentées par des études de cas empiriques, les recherches sur les domesticités ont donc, à leur manière, contribué au dévoilement des nombreuses souffrances et contraintes qui pèsent sur les travailleur·se·s domestiques à travers le monde. Leur comparaison montre aussi des divergences dans les parcours, les expériences et les conditions de travail des travailleur·se·s domestiques, lesquels leur sont inégalement (dé)favorables. La richesse des études produites jusqu’à présent montre que les domesticités se traduisent par plusieurs réalités.
1.2. Penser les domesticités par la parenté et la maisonnée
8Ces réalités sont des réalités de travail, mais aussi et plus largement, des réalités de vie. Le terme « domesticités » et sa déclinaison au pluriel dans le titre de ce numéro n’ont en effet pas été choisis au hasard. L’étymologie du terme, formé à partir du mot domus, la « maison », « maisonnée », « famille », parle d’elle-même : elle permet de souligner que nous nous intéressons à un travail réalisé au domicile d’autrui, et donc au service d’une famille, et que cela a non seulement des effets sur ce travail et les relations qui le régissent, mais aussi sur la personne qui l’effectue et sa propre famille.
9Alors, insister sur la maison et la famille quand on étudie la domesticité peut sembler classique aux spécialistes qui nous lisent : les cinq décennies de travaux en sciences sociales qui nous précédent (Sarti, 2014) ont bien mis en évidence l’ambivalence des relations entre patron·ne·s et travailleur·se·s domestiques et leur couleur maternaliste. Ce fut à un point tel que le travail en lui-même, en tant que tâches, négociations, objet de régulations et d’encadrement juridique et politique, a parfois été effacé des analyses. Dans leur récent dossier intitulé « Politiser le travail domestique », Mélanie Jacquemin et Violaine Tisseau (2019) insistent sur le fait que l’effacement de la question du travail et du politique est d’autant plus flagrant dans des régions où ils sont moins structurés et institutionnalisés. L’enjeu était donc, pour elles, de réinjecter du travail et du politique dans la famille, la maison et l’intime. Nous pensons comme elles que les domesticités se comprennent d’autant mieux lorsqu’on ne choisit pas de les aborder par une seule de leur dimension (le travail, la famille, les relations, l’intime, le droit), mais qu’on les pense par leur multiplicité. Pour cela, notre démarche consiste à réinvestir les points de départ classiques d’étude des domesticités que sont la famille et la maison, tout en montrant qu’ils permettent d’appréhender cette multiplicité. Dans cette logique, les concepts anthropologiques de « parenté » et de « maisonnée » (Weber, 2013) résonnent mieux que ceux de « famille » et de « maison », puisqu’ils expriment une réalité qui dépasse la seule analyse des relations et du lieu, et permettent de penser les domesticités en se décentrant de notre regard « occidental » [5] et de nos définitions restreintes de la famille et de la maison. Ils sont assez peu utilisés dans les recherches sur les domesticités : pourtant, l’ouvrage de Félicie Drouilleau-Gay sur la domesticité à Bogota (2019) nous a convaincues du caractère heuristique de penser les domesticités par la parenté. C’est de la sorte que nous avons établi l’économie de ce numéro : les auteur·e·s n’emploient pas les termes de « parenté » et de « maisonnée », mais leurs articles nous en parlent. Dans ce numéro, Ester Martins-Ribeiro (« Filipinas in São Paulo: South-South Migrations and Domestic Service ») les aborde par les expériences des relations de subordination que vivent les travailleuses domestiques philippines à São Paulo. Regina Stela Corrêa Vieira (« Trabajo, cuidado y resistencia según trabajadoras domésticas sindicalizadas en Brasil ») les appréhende par le rapport au travail et au rôle social de filles et de mères des travailleur·se·s domestiques au Brésil. Kimberly Geronimo, Valentina Andrade et Nicolás Ratto (« La persistente informalidad laboral en el trabajo doméstico en Chile ») s’en saisissent par l’analyse de ce que fait le caractère informel de la domesticité aux possibilités de négociation du travail au Chili. Laura Carpentier-Goffre (« La domestication des filles, une affaire de famille(s) ») plonge quant à elle au cœur de cette question de la parenté en regardant comment les petites filles boliviennes et péruviennes sont socialisées, dans leur propre famille, à la domesticité. Priscilla Clayes et Audrey Richard-Ferroudji (« Les expatrié·e·s face à leurs employé·e·s domestiques à Pondichéry (Inde) ») la regardent du point de vue des patron·ne·s de travailleur·se·s domestiques expatrié·e·s à Pondichéry. Karina Boggio, Lorena Funcasta et María Cantabrana (« Trabajo doméstico remunerado en Uruguay ») nous renseignent sur le sens que donnent patron·ne·s et travailleur·se·s domestiques aux circulations des émotions dans la maisonnée, en Uruguay. Enfin, Gérard Amougou, Victorine Oyane Ossah et Estelle Vérine Salla Bezanga (« De l’assujettissement à la subjectivation ») montrent comment les jeunes hommes domestiques dans l’Extrême-Nord de Yaoundé façonnent leur identité masculine par des relations de parenté construites au sein de leur famille et de la famille employeuse.
1.3. Le défi des « échelles » d’analyse
10Le prisme donné aux relations de parenté et aux maisonnées des patron·ne·s et des travailleur·se·s domestiques est une invitation à décloisonner l’étude des domesticités : l’analyse fine des mécanismes relationnels, des émotions qui les sous-tendent, des pratiques et des représentations de l’intime sur lesquels ils reposent, ainsi que de leur violence, ne s’oppose aucunement à celle des cadres juridiques, des débats politiques et des luttes syndicales qui font (plus ou moins) avancer la cause des travailleur·se·s domestiques. En privilégiant une approche englobante des domesticités, notre parti-pris est d’appréhender les situations de travail domestique comme des expériences de vie qui leur sont intrinsèquement liées : le travail a des effets sur la maisonnée des travailleur·se·s, leur trajectoire sociale, leur manière de se percevoir dans la société et de circuler dans le monde, et ces éléments ont eux-mêmes des effets sur l’entrée dans la domesticité et les conditions de travail des travailleur·se·s. Ce décloisonnement constitue un défi analytique, et plus concrètement, d’écriture de la recherche sur les domesticités. Le choix des « échelles », qu’elles soient géographique, temporelle, empirique ou théorique, est un dilemme pour les chercheur·se·s en sciences sociales (Lahire, 1996 ; Grossetti, 2011). Considérer que la domesticité n’est pas qu’un travail, ni qu’une condition de vie, et qu’elle n’est pas qu’une affaire de relations, ni qu’une affaire d’institutions, nous offre la possibilité de dépasser l’opposition « micro-macro » ainsi que les clivages méthodologiques et théoriques. Cela ne signifie pas qu’il faille étudier en même temps, au sein d’un même article, toutes les dimensions des domesticités, naviguer entre le plus grand nombre d’échelles possibles et réconcilier toutes les manières dont elles ont été jusqu’à présent théorisées. Au contraire, chaque article de ce numéro repose sur un terrain, un axe d’analyse, et une façon d’écrire sur les domesticités qui lui est propre. Tous, en revanche, s’efforcent d’en dérouler les fils relationnels en rendant compte des configurations historiques (Bessière, 2003), et plus largement, des contextes (Avril & Cartier, 2019) dans lesquelles ils se construisent pour comprendre les spécificités relatives à l’ère géographique et à l’époque étudiées. Les points de vue à partir desquels ils raisonnent – celui des travailleur·se·s domestiques, des patron·ne·s, des syndicats, des régulations et du droit – se font écho et nous permettent, par l’ensemble qu’ils forment, de comprendre ce que sont, aujourd’hui, les domesticités dans les Suds. Loin de nous de penser que l’on aboutit de la sorte à un paysage exhaustif des réalités multiples de ces domesticités. En revanche, ce numéro est une invitation à poursuivre les recherches et les publications collectives sur ces réalités, pour sortir de l’analyse unilatérale (sur le travail, le maternalisme, ou les lois) des domesticités.
2. Contre le « Sud » exotique
11Pour contribuer à complexifier l’analyse des domesticités, ce numéro se centre plus spécifiquement sur des espaces géographiques où elles ont souvent souffert de représentations – académiques et populaires – homogénéisantes. Les archives de l’INA sont à ce propos révélatrices de l’image des domestiques du « Sud » qui circule parmi les médias français : une image plutôt misérabiliste, qui insiste sur les situations d’exploitation, voire d’esclavage, des domestiques (Charles Mamere et Laëtitia Larcher, « La médiatisation des domesticités dans les pays du Sud » dans ce dossier). Sans nier la surreprésentation de ces situations extrêmes dans les domesticités, nous avons l’ambition de ne pas les y réduire. D’une part parce que les conditions de travail et de vie des domestiques ne sont pas toujours mauvaises ; et lorsqu’elles le sont, il est nécessaire de se pencher sur leurs vécus subjectifs pour comprendre dans quelles ambivalences et contradictions sont pris·es les travailleur·se·s domestiques, leurs patron·ne·s, et les autres acteurs qui servent parfois d’intermédiaires dans leurs relations. D’autre part, il est nécessaire de sortir de cette vision unilatérale parce que cette qualification des situations de domesticités au « Sud » procède d’un regard occidental teinté de jugement exotisant envers des sociétés qui seraient « par essence » fondées sur la violence et l’exploitation. Les mauvais traitements des domestiques existent aussi au « Nord » et l’exploitation n’a pas de frontières.
12Comme pour le terme « domesticités », parler de « Suds » au pluriel plutôt qu’au singulier est une façon d’avancer vers la déconstruction d’une double homogénéisation : celles des domesticités au « Sud », et celle d’un « Sud » fictif qui serait un espace géographique, socio-économique et politique caractérisé par son uniformité – et, il faut le dire, son infériorité par rapport au « Nord ». Mettre le terme Sud au pluriel ne permet pas d’abolir de façon révolutionnaire les logiques coloniales et de pouvoir qui l’ont fécondé, que d’autres ont démontré et dénoncé bien avant nous (Hancock, 2007). Mais, sans doute faute de mieux, et parce que nous ne souhaitons pas non plus effacer la réalité des inégalités de richesse qui fracturent le monde, ce pluriel s’invite dans ce dossier comme compromis (imparfait) pour annoncer les lieux dans lesquelles œuvrent les travailleur·se·s domestiques dont nous parlent les auteur·e·s. Nous ne traitons donc pas des « Suds » dans leur intégralité mais mettons à l’honneur plusieurs pays : le Brésil, le Chili, l’Uruguay, le Pérou, la Bolivie, le Cameroun et l’Inde. Ces pays sont inégalement alimentés par les recherches sur les domesticités, particulièrement peu nombreuses sur ces deux derniers pays. Les recensions d’ouvrage contribuent à diversifier ces espaces géographiques et à offrir une profondeur historique au numéro en nous emmenant aussi en Afrique du Sud et en Indonésie. Au sein de cet éventail de pays, les auteur·e·s se concentrent sur une ville en particulier : tou·te·s ont le souci constant de prendre en compte ce contexte dans leur analyse des cas traités. Les domesticités dans les « Suds » sont ici plus justement des situations de domesticités dans des capitales, lieux privilégiés sur le plan empirique puisqu’ils concentrent une main-d’œuvre très importante et hétérogène.
2.1. Un décloisonnement institutionnel et intellectuel
13L’ambition de ce numéro sur les domesticités dans les « Suds » ne repose pas que sur une sélection géographique des cas traités. Elle repose également sur notre volonté de donner la parole à des chercheur·e·s qui sont spécialistes des « Suds », et qui sont institutionnellement rattaché·e·s à des universités aux « Suds ». La Revue internationale des études du développement constitue un support fertile pour cette démarche, qui, là encore, n’est pas simple. La production académique repose elle aussi sur des logiques de pouvoir infériorisant les institutions aux « Suds », responsables du défaut de moyens économiques qui leur sont alloués et de l’invisibilisation des travaux de nos collègues. Nous souhaitons, en les publiant, contribuer à démanteler ce système, même d’une manière insuffisante. Ne nous voilons pas la face : ce sont nous, chercheuses ayant été en partie formées ou travaillant aux « Nords », qui dirigeons ce numéro sur les « Suds », et il serait hypocrite de faire croire que c’est en sélectionnant des articles de collègues des « Suds » que nous résolvons (ou rachetons) notre propre domination coloniale. Nous nous sommes efforcées de prendre au sérieux ce décloisonnement institutionnel pour qu’il ne se réduise pas seulement à un effet d’affiche. Les auteur·e·s de ce numéro ont donc été invitées à affirmer leurs façons de faire la recherche sur les domesticités, qui ont considérablement décentré notre propre façon d’aborder cet objet. Concrètement, ce numéro rend compte de plusieurs méthodes et de plusieurs cadres théoriques et interprétatifs, qui invitent à assumer une réflexion plus philosophique, politique, voire prescriptive sur les domesticités.
14Cette diversité dans les approches des domesticités offerte par ce numéro plaide donc aussi pour un décloisonnement intellectuel, contre l’existence de ce qui serait un unique « bon » paradigme d’étude. Ce décloisonnement autorise à questionner autrement les domesticités ; notamment, sur la nature des relations entre patron·ne·s et travailleur·se·s domestiques, sur leurs effets individuels et sur leur place dans les dynamiques globales de domination, ainsi que le futur des emplois domestiques – et leur désirabilité. À partir de leur propre terrain, et en regard de celui des autres, certain·e·s auteur·e·s s’autorisent la critique sociale en abordant de front les problèmes sous-jacents des domesticités, tout en refusant d’entrer dans une interprétation strictement binaire qui opposerait exploitation et émancipation. Les travailleuses domestiques philippines rencontrées par Ester Martins-Ribeiro apparaissent ainsi tout autant résignées face aux mauvaises conditions de travail qu’elles revendiquent le fait de les assumer et d’incarner la force de travail à l’image de leur pays. Cette identité de travailleuses infatigables se retrouve chez les travailleur·se·s domestiques noires du Brésil dont parle Regina Stela Corrêa Vieira. Gérard Amougou, Estelle Vérine Salla Bezanga et Victorine Oyane Ossah proposent, quant à eux, d’analyser le rapport au travail domestique des jeunes hommes camerounais comme une étape importante dans la construction de leur identité masculine, tout en prenant le parti de déconstruire l’image d’un groupe incarnant passivement l’ethos de la servilité qui leur serait assigné depuis l’invasion peul-musulmane. Après une critique du désinvestissement du gouvernement chilien et des instances internationales face à l’emploi informel des travailleur·se·s domestiques, Kimberly Geronimo, Valentina Andrade et Nicolás Ratto proposent, en conclusion, des mesures concrètes pour soutenir les emplois de qualité, en passant notamment par une fiscalisation active. Une critique proche se dégage de l’article de Karina Boggio, Lorena Funcasta et Maria Cantabrana à propos de l’Uruguay, où, malgré la ratification précoce de la convention 189, les lois censées protéger les travailleur·se·s domestiques sont peu respectées. Enfin, c’est la violence des relations domestiques qui est dénoncée, appuyée sur une description rigoureuse, du point de vue des travailleuses domestiques boliviennes et péruviennes dans l’article de Laura Carpentier-Goffre, et de celui des patron·ne·s expatrié·e·s à Pondichéry dans celui de Priscilla Clayes et Audrey Richard-Ferroudji. Ces deux articles relatent, sans détour ni euphémisme, le poids de cette violence dans les mots et sur les corps, ce qui est inédit et surprenant au vu de son caractère a priori délicat et tabou. Finalement, l’ensemble de ces articles brosse un tableau de ce qui relèverait d’un grand malaise des domesticités – un malaise résolument intime et politique, structuré par des injonctions contradictoires dont les issues, incertaines, oscillent entre utopie et fatalisme.
15Les réalités de travail et de vie des travailleur·se·s domestiques, ici rapportées, sont donc très complexes : on peut sans difficulté imaginer que le quotidien d’une femme de ménage intervenant auprès de familles aisées, urbaines et françaises, diffère de celui de « petites bonnes » brésiliennes à temps plein chez une famille rurale, ou encore de celui des « butlers » dans les grandes familles d’Afrique du Sud. Le dossier dirigé par Blandine Destremau et Bruno Lautier, cité au début de cette introduction, a permis d’établir les grandes tendances du travail domestique à travers le monde, notamment au prisme de la « femme toute main » (Fraisse, 2009 [1979]). Pauvre et peu qualifiée, marginalisée sur le marché du travail, cette travailleuse domestique serait une mère de famille des « Suds », qui laisse ses enfants aux soins de sa famille, pour aller s’occuper d’enfants de familles blanches et riches dans les pays « occidentaux ». Cette représentation du quotidien et du parcours des travailleur·se·s domestiques est néanmoins réductrice et éloignée des situations domestiques réelles, toutes ne pouvant se résumer à cette figure mondialisée. C’est aussi ce constat qui nous a poussées à explorer les contours de ce portrait en assumant la spécificité des contextes localisés, pour déconstruire un ensemble de préjugés sur ce qu’est être travailleur·se·s domestique aujourd’hui, dans les « Suds ». Le numéro 217 de la présente revue, dirigé par Natacha Borgeaud-Garciandía et Isabel Georges (2014), a apporté des contributions intéressantes en ce sens. En s’intéressant aux trajectoires migratoires de travailleuses des « Suds », plusieurs des contributeur·rice·s ont montré la diversité des parcours de vie, des profils et des stratégies d’acteurs. Nous poursuivons cette entreprise en déroulant non seulement le fil des parcours migratoires mais aussi, et surtout, des rapports à l’intimité, à la famille, aux corps au travail, aux relations entre classes sociales et aux instances de régulation. Outre les travailleur·se·s domestiques, cela implique d’interroger les patron·ne·s, les familles des travailleur·se·s domestiques, les organisations syndicales et les institutions étatiques et internationales.
2.2. Des socialisations croisées
16Alors que le travail domestique est souvent considéré – tant par les patron·ne·s que par les pouvoirs publics –, comme un travail sans compétences, en réalité, il s’apprend, et requiert parfois une véritable conversion aux tâches et aux règles du jeu relationnel. L’insertion dans une carrière de travailleur·se·s domestiques est la résultante d’une pluralité de parcours de vie et de travail, ainsi que de dynamiques économiques, juridiques, politiques et morales qui orientent et justifient les actions des individus. L’apprentissage du service peut se faire dans différents espaces : celui de la maison, un espace de travail atypique, ou dans des formations extérieures plus établies. Pour les filles, cet apprentissage peut intervenir très tôt dans l’enfance et consiste à suppléer la mère de famille au sein du foyer. Intériorisées, les logiques domestiques sont considérées alors comme « naturelles » pour les femmes, assignées à la sphère privée. Laura Goffre-Carpentier nous en apprend beaucoup sur les logiques familiales et patriarcales qui encadrent cet apprentissage. L’originalité de l’approche tient principalement à la prise en compte des violences sexuelles et de l’exploitation du travail des femmes et des filles au sein de la famille, sujet peu abordé dans l’étude des domesticités. L’auteure dénonce « la mise en service domestique des enfants » relevant, d’une part, de « stratégies de survie familiales » dans un contexte de désengagement de l’État des espaces ruraux et pauvres, mais surtout, d’autre part, d’une logique patriarcale qui assigne les filles à être placées tôt dans des emplois domestiques comme seule possibilité d’avenir et sans possibilité de retour. La différence d’investissement des trajectoires des frères et sœurs est éloquente ; les sœurs s’occupent autant des travaux aux champs que leurs frères, mais sont également chargées des tâches ménagères et d’éducation des plus petits, quand elles ne sont pas placées dans des familles citadines. Les solidarités familiales seraient donc « à géométries variables » et les femmes ne seraient « pas tant des bénéficiaires que des instruments » de ces solidarités, tandis que les hommes en seraient les destinataires, comme en témoigne la collecte des salaires réalisée par le chef de famille pour ses propres besoins ou ceux, éducatifs, de ses fils. L’article permet alors de faire un parallèle entre les dispositions nécessaires à l’emploi domestique, qui « dépassent le cadre strict des compétences ménagères, pour inclure également des traits de caractère telles que la docilité, la réserve et le sens de l’abnégation », et celles acquises dès l’enfance par l’assignation aux tâches ménagères et à la réalisation d’un dur labeur. Ces dispositions recouvrent également la crainte de la figure paternelle, et plus généralement, celle des hommes, en tant que donneurs d’ordres, à qui il faut obéir, parfois sous la contrainte de violences physique, verbale ou sexuelle. Plus qu’une « affaire de famille », la domestication des filles et des femmes témoigne de l’exploitation plus que de la protection de celles-ci dans les familles, qui sont finalement un instrument de (re)production des mécanismes de domination et de production de main-d’œuvre domestique.
17En dépit de la féminisation extrême des domesticités, des hommes sont aussi concernés. Les formes « masculines » des domesticités sont un peu différentes de leurs formes « féminines ». Lorsque les travailleur·se·s domestiques ne réalisent pas le même travail selon leur sexe, ce sont les femmes qui sont assignées aux tâches à l’intérieur du foyer tandis que les hommes réalisent celles en extérieur sous les fonctions de chauffeur, jardinier ou aide aux champs (Beal, 2019). Les hommes occupent aussi les fonctions les plus prestigieuses du travail domestique, qui les amènent à se constituer un rôle de représentation et de direction et à côtoyer un public favorisé (Delpierre, 2019a). Cela dit, l’essentialisation du caractère genré de certaines tâches n’est pas universelle, et dans certains contextes, les hommes domestiques travaillent dans le foyer à des tâches peu valorisées qui seraient, ailleurs, perçues comme typiquement féminines. En Afrique de l’Est, l’emploi de « boys » auprès de familles plus ou moins fortunées est particulièrement fréquent et provient d’une tradition coloniale et militaire, comme l’a montré Christine Deslaurier dans son étude au Burundi (2019). La domesticité masculine y est très présente, bien qu’elle se féminise et rajeunisse. Dans ce numéro, Gérard Amougou, Estelle Vérine Salla Bezanga et Victorine Oyane Ossah s’intéressent au parcours d’adolescents camerounais ruraux migrant en ville afin de trouver un poste de gardiens de maison. Bien que la littérature sur les domesticités africaines soit bien établie (Hansen, 1989 ; Jacquemin, 2012 ; Hepburn, 2016), ce travail presque biographique permet d’approfondir les travaux portant sur les « boys » camerounais (Oyono, 1956), beaucoup moins connus. Cette contribution est d’autant plus originale qu’elle dépeint des situations de travail d’hommes travailleurs domestiques en situation de « live in », autrement dit, dormant au domicile de leurs patron·ne·s, et s’occupant de tâches peu valorisées, ce qui les distingue de l’image des majordomes, représentative d’une domesticité masculine avantageuse. L’immersion dans le contexte institutionnel, politique et ethnique de la région de Yaoundé permet de mieux saisir les dynamiques du marché très informel des gardiens de maisons. Si l’emploi domestique permet de subvenir aux besoins de leurs familles, les jeunes gardiens considèrent leur poste comme un tremplin leur permettant d’épargner avant de retourner à l’école ou d’investir une autre carrière professionnelle. La réalisation de ce scénario n’étant pas toujours possible dans les faits, elle renvoie tout de même une autre image du placement des enfants, bien différente de celle des filles boliviennes et péruviennes étudiées par Laura Carpentier-Goffre. Si l’assignation de genre favorisant l’entrée dans l’emploi domestique ne peut expliquer celle des adolescents au poste de gardien de maisons, celle liée à l’ethnie et à la classe sociale est plus pertinente, dans un contexte où les caractéristiques sociales des travailleur·se·s domestiques nous renseignent sur les positions sociales les moins favorisées (Moujoud, 2017 ; Delpierre, 2019b). Face à ce constat, l’article montre la manière dont les travailleurs domestiques mobilisent leurs ressources, et notamment « l’exit » (Hirschman, 1970), pour réduire l’asymétrie de la relation de service. L’expérience domestique est alors vue comme une manière de constituer un répertoire d’action afin de s’armer pour ses futures expériences professionnelles, et plus généralement, pour sa vie future.
18La littérature sur les domesticités s’attache plus à décrire les expériences des employé·e·s domestiques en rendant compte de leur accessibilité au marché national et international (Anderfuhren, 2002 ; Ehrenreich & Hochschild, 2003 ; Debonneville & Killias, 2019 ; Delpierre, 2020), de leurs conditions de travail et d’emploi et des luttes pour leur valorisation (Anderson, 2000 ; Dahdah, 2010 ; Schwenken, 2011) ou encore de leurs relations aux employeur·se·s et leurs vulnérabilités (Lutz, 2002 ; Bernardo, 2003). Elle s’intéresse plus rarement à l’autre partie de la relation, autrement dit au point de vue et au vécu des patron·ne·s. Or, se faire servir relève d’autant plus d’un apprentissage que les patron·ne·s ont des motivations et des ressources variées et vivent dans des contextes socio-économiques et politiques les incitant à recourir à des domesticités plurielles. Les recherches sur les domesticités mettent souvent en évidence la distance sociale, et notamment, économique, entre travailleur·se·s domestiques et patron·ne·s (Rollins, 1985). Pour autant, les situations de domesticités sont loin de ne concerner que des personnes riches qui emploient des personnes pauvres. Les caractéristiques socio-économiques des patron·ne·s cadrent l’offre domestique sur les marchés dédiés. Certain·e·s font appel à un·e travailleur·se·s domestique à temps partiel (Devetter & Rousseau, 2011 ; Malarmey, à paraître), tandis que d’autres recourent à une domesticité multiple à temps plein (Delpierre, 2019b). De plus, faire appel à un·e travailleur·se·s domestique peut être motivé par des besoins ponctuels limités dans le temps ou encore à la suite d’un changement de statut social, dans le cadre d’une expatriation.
19Dans la lignée des travaux interrogeant les dilemmes moraux liés à la délégation du travail domestique (Molinier, 2009 ; Le Renard, 2017 ; Cosquer, 2020), l’article de Priscilla Claeys et Audrey Richard-Ferroudji retrace les interrogations que posent l’adoption d’un nouveau mode de vie à Pondichéry, considéré comme privilégié, et les répercussions sur la vie des personnes employeuses. Devenir expatrié·e suppose de devenir dominant·e dans un nouvel espace social (Cosquer, 2018 ; Le Renard, 2019) et donc de pouvoir recourir à un·e ou plusieurs travailleur·se·s domestiques. Cette nouvelle pratique s’accompagne d’un apprentissage du rôle de patron·ne et des tâches qui leur incombent – recruter le personnel, le rémunérer, lui donner des ordres, le contrôler, interagir avec lui – qui sont l’apanage des élites de leur pays de départ. Elle nécessite également l’apprentissage de la cohabitation des espaces marqués par l’intime, où l’autre est à la fois familier et étranger. Ce changement d’habitudes, confortable mais aussi forcé par le poids des représentations sociales selon les auteures, donne lieu à une négociation des tâches déléguées au personnel domestique et de celles conservées par les patron·ne·s afin de maintenir une certaine forme d’autonomie au sein du foyer, une réalisation des tâches à leur goût ou encore pour « garder un “sens des réalités” ou de ne pas “prendre de mauvaises habitudes” en expatriation ». Si la gestion du personnel domestique interroge les valeurs démocratiques et de justice sociale des expatrié·e·s, la pratique révèle une intériorisation de la domination sociale et raciste envers leurs travailleur·se·s domestiques. Il s’agit alors de trouver des « petits arrangements avec l’égalitarisme » (Le Renard, 2017) afin de justifier les pratiques déployées pour encadrer le travail domestique. Contribution originale car complétant les travaux empiriques sur les domesticités en Inde, rarement étudiées, sur les patron·ne·s de travailleur·se·s domestiques et sur l’expérience d’expatriation, l’article montre la complexité de penser et tenir ce rôle dans un contexte national nouveau.
2.3. Quelles régulations et politisations des emplois domestiques ?
20La rencontre entre patron·ne·s et travailleur·se·s domestiques n’intervient pas toujours dans un contexte unique et prédéfini. Plutôt qu’un seul, encadré et visible, il existe autant de processus de mise en relation que de situations de travail, et donc de marchés de la domesticité. Le travail domestique rémunéré constitue un secteur où la part de travail informel est considérable, notamment dans les pays dits « des Suds », où les institutions de contrôle du travail sont l’objet de réorganisations. En contextualisant les situations de travail, les recherches sur les domesticités permettent d’approfondir les connaissances existantes sur les transformations qu’observent les marchés domestiques. En Amérique latine notamment [6], les marchés des domesticités se voient modifiés à la suite de prises de position gouvernementales et internationales sur la régulation du travail domestique. À titre d’exemple, l’article de Valentina Andrade, Kimberly Geronimo et Nicolás Ratto offre une analyse très documentée de la structuration du marché domestique au Chili autour des réglementations sur le travail informel. Dans la lignée du travail de Lorena Poblete (2018), les auteur·e·s interrogent l’impact de ces nouvelles lois sur la formalisation du secteur : s’il est à noter un léger recul du travail informel à la suite de la mise en place des lois, les statistiques s’inversent depuis quelques années. La cause de cette hausse est au cœur des questionnements de l’article, alors que le Chili est considéré comme l’un des pays d’Amérique latine les plus avancés en législation du travail salarié, et dont les actualités sont regardées de près. En commençant par présenter la situation du travail salarié domestique au Chili ainsi que les variations des conditions de travail et de la législation réglementaire, les auteur·e·s soulignent l’évolution de la forme des emplois domestiques – en majorité à l’extérieur, à temps partiel, avec une main-d’œuvre migrante –, qui explique en partie la difficulté à officialiser le secteur (les patron·ne·s ne cherchent pas à régulariser des emplois ponctuels de peu d’heure, tandis que la main-d’œuvre migrante connaît rarement la loi). En l’absence d’une politique multidimensionnelle qui assure la formalisation et l’amélioration des conditions de travail, l’application de la loi est négociée au niveau des ménages. Les travailleur·se·s domestiques sont donc dépendant·e·s de leurs propres ressources sociales, économiques et juridiques pour négocier leurs conditions de travail et d’emploi. Or, les individus ne sont pas tous égaux devant la connaissance du droit et la mobilisation de ressources juridiques, qui est davantage l’apanage des classes supérieures (Bourdieu, 1986). Les auteur·e·s déplorent le retour à un secteur majoritairement informel qui favorise l’individualisation de l’organisation du service, au détriment des travailleur·se·s domestiques, et qui représente un enjeu pour les pays des « Suds », fortement concernés par l’emploi domestique informel.
21Les marchés de la domesticité se structurent et se renouvellent à l’aune des fluctuations migratoires régionales et internationales. À la suite des travaux ayant théorisé les flux de la domesticité comme « chaîne mondiale du care », et ceux sur les « servantes globales » (« global servants ») (Glenn, 1992 ; Parreñas, 2001 ; Ehrenreich & Hochschild, 2003) qui prennent en charge les tâches domestiques, la garde des enfants d’autres femmes et qui s’occupent plus largement des personnes vulnérables, jeunes, âgées, et/ou dépendantes (Scrinzi, 2003 ; Moujoud & Falquet, 2010 ; Borgeaud-Garciandia, 2015), l’article d’Ester Martins-Ribeiro s’inscrit dans l’étude des mobilités des travailleur·se·s domestiques en s’intéressant au marché domestique brésilien et à l’insertion des travailleuses philippines. Si ces dernières sont particulièrement connues pour leurs compétences professionnelles valorisées sur le marché international de l’emploi domestique, c’est aussi parce qu’elles sont au cœur d’un système étatique qui s’est distingué par la rigueur du recrutement, de la formation et de l’exportation de ses natives à travers le monde (Debonneville, 2021). L’auteure souhaite analyser les spécificités de ces « Mercedes-Benz » des travailleuses domestiques (Mozère, 2002) souvent enquêtées (Parreñas, 2008 ; Tyner, 2009 ; Guevarra, 2010 ; Debonneville, 2014) qui s’exportent à São Paulo. L’étude du contexte national permet de montrer les dynamiques actuelles du marché domestique brésilien et la manière dont se négocient le travail et la division des tâches domestiques entre les patron·ne·s, les travailleur·se·s domestiques philippines et les autres travailleur·se·s sur le marché, alors que les compétences et les nationalités des candidat·e·s sont hiérarchisées. Au-delà des caractéristiques macro-sociales des travailleuses philippines, l’auteure cherche à montrer que chacune s’inscrit dans un parcours de vie qui lui est propre, malgré un parcours migratoire similaire. À travers les portraits de travailleuses philippines, l’auteure déconstruit l’image de « la philippine » modèle acharnée de travail, tout en montrant qu’elle n’est pas véritablement formée à affronter les contextes nationaux, parfois très spécifiques. Organisées ou non, les migrations « Sud-Sud » se réalisent donc à travers des parcours biographiques variés, témoins de la pluralité des situations de travail domestiques.
22Vivre l’expérience de la domesticité, c’est aussi vivre une expérience politique. Dans cette optique, Karina Boggio, Lorena Funcasta et María Cantabrana étudient les capacités d’empowerment ou d’agency des femmes de ménage uruguayennes dans la négociation de leurs conditions de travail et les manières de valoriser le travail effectué (Constable, 1997). L’intérêt de leur analyse réside, d’une part, dans la pertinence du cas étudiée pour décrire les situations de travail et d’emploi situées dans un contexte économique, social et politique particulier, au niveau national et régional. Elles s’inscrivent en faveur d’une contextualisation systématique des situations de travail domestique rémunéré nécessaire à la compréhension des logiques locales (Avril & Cartier, 2019) et laissent une place importance au discours des travailleur·se·s domestiques enquêtées. L’entrée sur le terrain par des organisations de travailleur·se·s domestiques est particulièrement originale car elle permet la collecte d’un matériau issu de discussions collectives autour d’ateliers thématiques et la possibilité d’établir des tendances de vécu ou, au contraire, de les nuancer. D’autre part, l’article interroge la définition des frontières de l’intime et des tâches réalisées au domicile familial en s’intéressant spécifiquement aux moments d’embauche et d’interruption de la relation de travail. Malgré un cadre contractuel défini par des réglementations nationales et internationales, le travail domestique rémunéré, particulièrement important en Uruguay, se négocie continuellement entre patron·ne·s et travailleur·se·s domestiques. L’article souligne la complexité de ces relations de travail et montre que certaines tâches, considérées comme techniques et ne nécessitant pas de recours à un travail relationnel pour sa réalisation (comme le ménage), sont tout de même porteuses d’affects. Travailler chez ses patron·ne·s et les côtoyer au quotidien nécessite une régulation systématique de son comportement. Veiller à maintenir des relations cordiales avec eux et elles ne fait pas partie du travail de ménage à proprement parler mais est nécessaire pour négocier ses conditions de travail. L’étude des rapports de pouvoir qui se jouent entre patron·ne·s et travailleur·se·s domestiques dans l’organisation du travail au domicile familial montre, d’une part, l’asymétrie de pouvoir qui s’exerce entre les deux parties et, d’autre part, les obstacles que rencontre chacune d’entre elles pour négocier les frontières de l’intime. Souvent évoqué par la littérature (Scott, 1990 ; Siméant, 2013 ; Delpierre, 2019c), l’article met en lumière la manière dont sont vécues ces négociations et les situations de conflits qui en découlent.
23Le manque de régulation de ces situations de travail ou les écarts avec l’encadrement prescrit sont porteurs de tensions, dont la durabilité peut mener à une relation de service conflictuelle et au recours à des actions collectives. Or, l’organisation des travailleur·se·s domestiques a toujours peiné à prendre forme, comme le montrent les travaux portant sur la syndicalisation des travailleur·se·s domestiques au xxe siècle en France, aux États-Unis ou encore en Amérique latine (Martin-Fugier, 1979 ; Fraisse, 2009 [1979] ; Palmer, 1989 ; Vasselin, 2002). Les motifs de contestation sont pourtant nombreux et s’inscrivent dans des logiques structurelles de domination (Casas, 2006 ; Borgeaud-Garciandía & Lautier, 2011 ; Memmi, 2016), (re)produisant des inégalités sociales de classe, de genre et de race. L’article de Regina Stela Corrêa Vieira met en lumière la dévalorisation du travail domestique rémunéré au Brésil, considéré comme un « sale boulot » délégué aux populations les plus précaires (les femmes pauvres et racisées). Dans la lignée de l’ouvrage Les bonnes de Rio (Vidal, 2007), l’auteure revient sur le phénomène de syndicalisation des travailleur·se·s domestiques du Brésil et le rôle de l’organisation collective dans la construction de l’image du travail domestique rémunéré et du droit le réglementant. L’inscription de ces situations de travail dans le cadre légal national dont dépendent les autres professions brésiliennes est issue d’une longue lutte, essentiellement syndicale, depuis le début du xxe siècle, qui constitue aujourd’hui une tradition pour la reconnaissance du travail domestique et la valorisation des conditions de travail. Instrument d’information et de résistance dans la relation de travail, les syndicats ont une importance considérable pour les travailleur·se·s domestiques du Brésil, que l’on ne peut comprendre qu’en s’intéressant au contexte social, économique, juridique et politique brésilien. À l’image de l’article de Caroline Ibos (2020) sur la cause des travailleuses du care en migration entre la France et la Côte d’Ivoire, l’auteure retrace les trajectoires de cinq anciennes dirigeantes d’un syndicat national qui donnent à voir, sous un nouveau jour, la porosité de la frontière entre le travail domestique et l’adhésion à un syndicat. Ces portraits de travailleuses militantes sont aussi l’occasion de comprendre l’inscription de leur travail dans des logiques de care, c’est à dire de s’intéresser à la manière dont travail et soin se rencontrent et se chevauchent dans la relation domestique.
Conclusion
24Dans ce numéro, nous ne prétendons pas faire le tour de l’analyse des domesticités aux « Suds ». Il s’agit plutôt d’une invitation à la poursuivre en se donnant la liberté d’explorer de nouveaux terrains, de mobiliser les outils conceptuels adéquats aux cas étudiés et, peut-être, d’oser réfléchir à la portée non pas seulement académique, mais aussi politique, de ce que nous relatons dans nos travaux de recherche à propos des domesticités. Derrière le souci d’une analyse objectivante, on perçoit, dans les articles de ce numéro, une autre ambition : celle de mesurer les effets des politiques locales et internationales menées en faveur du travail des travailleur·se·s domestiques. La conclusion commune que dégagent l’ensemble des auteur·e·s est celle d’une insuffisance, d’une inadéquation ou d’un manque d’application de ces politiques aux « Suds ». Alors, aussi spécifique que soit chaque contexte relaté, et commune la tendance à l’emploi informel, cette conclusion mériterait aussi d’être posée aux « Nords ». Par comparaison à de nombreux pays des « Suds », les pays des « Nords » apparaissent bien plus dotés en lois et en droits pour les travailleur·se·s. Mais cela est loin de signifier que les travailleur·se·s domestiques sont mieux traité·e·s aux « Nords » qu’aux « Suds ». D’une part, car ces lois et ces droits s’avèrent étonnamment lacunaires envers les domesticités, lesquelles demeurent en marge d’avancées sociales acquises depuis bien longtemps par d’autres secteurs professionnels. D’autre part, car une forte régulation des emplois domestiques ne signifie pas systématiquement qu’ils soient de qualité et adaptés aux revendications des travailleur·se·s domestiques. L’exemple est frappant en France, et plus largement dans l’Union européenne, où cette régulation, qui passe par une incitation à créer frénétiquement des emplois et une politique fiscale profitant avant tout aux (riches) patron·ne·s, contribue à la médiocrité des emplois domestiques (Carbonnier & Morel, 2018). Dés-exotiser les « Suds », c’est donc aussi regarder ce qu’il se passe aux « Nords », et prendre conscience des situations d’exploitation qu’ils recèlent et de leur très large contribution aux mécanismes de production globale des inégalités.
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Notes
-
[1]
Le film américano-mexicain Roma a été réalisé par Alfonso Cuarón et raconte la vie de la domestique Cleo au sein d’une famille aisée.
-
[2]
Voir la vidéo à l’adresse suivante :https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/multimedia/video/video-interviews/WCMS_748090/lang--en/index.htm
-
[3]
Le rapport a été réalisé par l’OIT et la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) : https://lac.unwomen.org/en/noticias-y-eventos/articulos/2020/06/trabajadoras-remuneradas-del-hogar-en-america-latina-y-el-caribe-covid-19.
-
[4]
Dans l’introduction de leur dossier publié en 2020 dans la Revue internationale des études du développement (RIED), Natacha Borgeaud-Garciandía, Nadya Araujo Guimarães et Helena Hirata reviennent en conclusion sur l’expression « crise du care », qui désigne alors plutôt le besoin en main-d’œuvre pour prendre soin d’autrui.
-
[5]
Nous utilisons ce terme, très imparfait, à défaut d’un autre, bien conscientes de sa construction sociale coloniale (Saïd, 1978).
-
[6]
Voir, entre autres : Jelin, 1977 ; Chaney & Castro, 1988 ; Girard, 1996 ; Lautier & Marques Pereira, 1994 ; Stefoni, 2002 ; Borgeaud-Garciandía & Lautier, 2011 ; Bravo & Ordenes, 2016 ; Ratto, 2020. Pour plus de références, voir les travaux de Bruno Lautier.