Notes
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[1]
Au niveau de comparatisme auquel nous nous situons, le dossier n’inclut pas le champ des études urbaines. La dissociation entre foncier rural et foncier urbain relève avant tout de la nécessité d’identifier de manière pragmatique et suggestive le domaine d’investigation (le « rural » comme site d’enquête) sans pour autant enfermer l’objet d’analyse dans une catégorie a priori ou un concept (l’approche « ruraliste »). La suite de cette introduction ainsi que le contenu des contributions du dossier indiquent clairement que l’urbain et le rural relèvent d’un continuum ou d’un enchevêtrement d’arènes sociales à différentes échelles.
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[2]
Dans la suite du texte, les termes « foncier » et « terre » englobent les espaces pastoraux et les ressources naturelles. Le « foncier » est entendu comme l’ensemble des rapports des individus entre eux à propos de la terre. Sur ces conflits, voir Roudart et al., 2019 ; Berry, 2018 ; Blanc, 2018 ; Boone, 2014 ; Lentz, 2013 ; Peters, 2013 ; Amanor, 2012 ; Cramer & Richards, 2011 ; Anseeuw & Alden, 2010 ; Moyo & Yeros, 2005 ; Huggins & Clover, 2005. Parmi les espaces d’Afrique subsaharienne les plus cités où se sont déroulés des conflits violents à forte dimension foncière, figurent les régions des Grands Lacs et du fleuve Mano, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Soudan, le Kenya, l’Ouganda, le Zimbabwe, l’Éthiopie ; ce qui recouvre une partie majeure du continent.
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[3]
Pour la Banque mondiale, principal bailleur de fonds des réformes foncières dans les pays africains, voir par exemple Byamugisha, 2013.
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[4]
« Land-conflict-fetishism », terme de Goodhand repris par Van Leeuwen & Van Den Haar (2016: 102).
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[5]
Les conflits à dimension foncière (« land-violent conflict nexus », « land-related conflicts » ou « land-based violent conflicts » dans la littérature anglophone) qui nous intéressent ici s’inscrivent dans un large éventail de conflits violents, qui regroupe des conflits qualifiés dans la littérature de conflits communautaires, de crises politico-militaires, de guerres civiles et de conflits internes. Nous justifions infra le faible intérêt heuristique d’une approche typologique trop stricte au détriment de la prise en compte de la dimension processuelle des conflits.
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[6]
Elle a donné lieu à des travaux remarquables, comme ceux de Boone (2014).
-
[7]
Galtung (1969) a depuis longtemps distingué les situations de « paix positive » – qui offre des potentialités de transformation sociale vers plus de cohésion sociale –, de « paix négative » – qui dénote simplement l’absence de combat – et de « paix violente » – caractérisée par une forte violence sociétale structurelle.
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[8]
Nous reprenons la distinction faite par Le Velly (2007) entre deux formes d’encastrement complémentaires : l’encastrement-étayage et l’encastrement-insertion. Les termes d’« enchâssement » et d’« encastrement » sont ici équivalents.
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[9]
Hauge & Ellingsen, 1998 ; Peters, 2004 ; Richards, 2005 ; Le Meur et al., 2006. Dans la même veine, l’abondance (et non plus la rareté) des ressources a pu servir d’explication à la prolifération des « nouvelles guerres » dans les pays africains dotés de ressources naturelles hautement valorisées et facilement contrôlables par un groupe organisé. On a ainsi parlé de « malédiction des ressources » (resource curse) (De Soysa, 2000).
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[10]
L’argument de la pression démographique et foncière est modulable selon la vocation des différentes organisations d’aide au développement et à la reconstruction. Il est avancé par les organisations dédiées à l’appui aux agricultures familiales, quand les organisations qui promeuvent l’agriculture de marché et l’ouverture aux investissements internationaux voient l’Afrique comme continent « disponible » (Chouquer, 2012).
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[11]
Cuvelier et al., 2013 ; Bavinck et al., 2014. Pour une opinion plus nuancée, voir Humphreys, 2005.
-
[12]
Voir aussi Utas, 2012 ; Jackson & Dexter, 2014 ; Van Leeuwen & Van Den Haar, 2016.
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[13]
Fearon & Laitin, 2011 ; Jackson, 2006 ; Dunn, 2009 ; Geschiere, 2011 ; Côté & Mitchell, 2017 ; Boone, 2017. Les « guerres d’autochtonie » dont il est question ici ne relèvent pas de la problématique des luttes, portées par la « Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones », pour la reconnaissance des droits des « peuples premiers » ou des « populations minoritaires » (Bellier, 2013). Il existe un certain recouvrement des problématiques dans quelques rares pays africains.
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[14]
En contexte africain, la « jeunesse » ne renvoie pas seulement à un critère biologique, mais davantage à une « position relationnelle » socialement et culturellement construite par rapport à d’autres générations et par rapport à des attributs et à des ressources qui confèrent (ou non) une compétence sociale et un pouvoir de prise de parole (Chauveau, 2005 ; 26).
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[15]
Ou capacité socialement et culturellement construite des acteurs sociaux à se ménager des marges de manœuvre.
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[16]
Parmi de nombreuses publications sur cette question, voir Abbink & Van Kessel, 2005 ; Bøås & Dunn, 2007 ; Hoffman, 2011 ; Chauveau et al., 2012.
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[17]
Richards, 2005 ; Chelpi-den Hamer, 2009 ; Berckmoes & White, 2016 ; Montaz, 2015 ; Temudo & Abrantes, 2015.
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[18]
Nous n’incluons pas ici les transactions entre les gouvernements et les firmes, qui relèvent du pur land grabbing sans véritables contreparties pour les populations.
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[19]
Pour une synthèse sur les marchés fonciers en Afrique et leur encastrement social : Colin & Woodhouse, 2010 ; Lavigne Delville et al., 2017.
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[20]
Sur les incidences des transactions monétarisées (achat-vente, faire-valoir indirects, contrats agraires) sur les relations intrafamiliales et intergénérationnelles en Côte d’Ivoire : Chauveau, 2006 ; Colin et al., 2007 ; Chauveau & Richards, 2008 ; Kouamé, 2010 ; Chauveau & Colin, 2010 ; Bobo, 2012 ; Colin, 2017).
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[21]
Peluso & Watts, 2001 ; Sjögren, 2015 ; Péclard & Mechoulan, 2015.
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[22]
Arnaut et al., 2008 ; Utas, 2012 ; Cuvelier et al., 2013 ; Debos, 2013 ; Raeymaekers, 2013.
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[23]
Au sens de l’ensemble, plus ou moins stabilisé, des systèmes de sens, d’appartenance collective, de pouvoir et d’autorité, formels et informels, qui caractérisent le gouvernement des individus et des ressources dans le champ social rural (Le Meur, 2006 ; Jacob, 2007 ; Chauveau, 2017).
1En Afrique rurale [1], la place des tensions autour de la terre et des ressources naturelles dans des conflits armés mettant en danger la sécurité nationale et parfois internationale a attiré l’attention de nombreux observateurs sur les rapports complexes entre foncier et violence politique [2]. Les violences à propos de la terre prennent des formes extrêmement variées. Elles peuvent s’exercer directement par l’usage de la force dans le contrôle de la terre et des ressources naturelles, ou par des actions sur les populations rurales elles-mêmes. Elles peuvent être plus indirectes, voire emprunter l’apparence de dispositions légales pour discriminer telle ou telle fraction des populations en fonction de son origine ethnique, sa nationalité, sa religion ou son affiliation politique. Les conflits peuvent impliquer des types d’acteurs divers, notamment urbains. Ils peuvent, selon les cas, déclencher, faciliter, entretenir ou faire ressurgir de graves violences. Au bout du compte, les conflits fonciers peuvent avoir des incidences importantes sur le mode de gouvernement des espaces ruraux et sur la construction nationale des pays africains, comme on le verra dans cette introduction et dans les contributions.
2Le constat, ou la représentation qui en est faite, ne sont pas nouveaux. Depuis plusieurs décennies déjà, s’est développée à propos de l’Afrique la vision d’un continent encore à forte dominante rurale et particulièrement menacé par la raréfaction de la terre et la dégradation des ressources naturelles, mises en rapport avec l’insécurité de droits pour l’essentiel non formalisés du fait de la faiblesse des États. Cette interprétation, omniprésente dans les milieux de l’aide au développement [3], conduit à une vision mécaniste des liens entre foncier, violence et conflits en Afrique ; vision tellement répandue que certains évoquent un « fétichisme du conflit foncier [4] ». Pourtant, comme nous le verrons, la plupart de ces « spécificités » africaines ne résistent pas à l’analyse empirique. Par conséquent, l’utilisation des « aires culturelles » (Bayart, 2016) ne répond pas ici à l’existence d’une réelle spécificité des configurations africaines, mais constitue d’abord une stratégie épistémologique visant à questionner l’homogénéité des savoirs produits sur l’Afrique.
3Le présent dossier, consacré à la compréhension des liens entre foncier rural et conflits violents [5], souhaite contribuer à l’analyse critique de cette vision mécaniste. Celle-ci conduit en effet à aborder ces liens sous le prisme d’une confrontation entre deux entités abstraites et prédéfinies : d’un côté, ce qui relève des types de structures foncières proprement dites ; de l’autre, ce qui relève des types de conflit, l’ajustement interprétatif entre ces deux entités se faisant rétrospectivement par référence aux contextes, toujours particuliers. Cette approche, de type structuro-fonctionnaliste, est légitime en elle-même [6]. Cependant, force est de constater que nombre de ces travaux se caractérisent encore par la recherche à tout prix de relations causales généralisables, la qualification des conflits violents et des phases de post-conflit comme des événements temporellement discrets, de caractère exceptionnel, la caractérisation des États africains par leur seule faiblesse au regard du modèle normatif légal-rationnel ou, enfin, la tendance à qualifier la violence exclusivement à l’aune de critères visibles, standardisés et mesurables, sans questionner l’assimilation intuitive de la notion de paix à l’absence de violence [7].
4Par contraste avec la recherche de causalités et de matrices génériques explicatives généralisables, nous proposons une perspective que l’on qualifiera de continuiste et processuelle, dont le préalable incontournable est une connaissance approfondie des contextes. À cet égard, il convient de rappeler d’emblée deux choses. La première est que les conflits fonciers, même violents, ne débouchent pas nécessairement sur un engrenage de violences conduisant à des affrontements intercommunautaires, des brutalités gouvernementales et des guerres civiles. La seconde est que la majorité des violences foncières qui se déploient en Afrique rurale lors des conflits internes et dans les après-conflits relèvent de la panoplie des conflits fonciers, sinon ordinaires, du moins non exceptionnels dans la vie des sociétés agraires. Les belligérants reprennent souvent à leur compte, en les intensifiant, des formes de violence qui se manifestaient antérieurement au conflit dans l’histoire rurale de la région ou du pays.
5Nous cherchons ainsi à inscrire les violences liées à la terre à la fois dans des structures agraires et sociales plus générales et dans des formes de mobilisation armée plus larges, de manière à saisir dans son contexte spécifique la construction sociale et politique du volet foncier de ces conflits. C’est ce que nous appelons « l’indexation foncière » ou « la dimension foncière » des conflits violents. Ces termes recouvrent l’ensemble des marqueurs faisant référence à la problématique foncière qui interviennent dans les arènes et les trajectoires de ces conflits. C’est donc spécifiquement à l’imbrication des violences foncières dans les dynamiques sociales et politiques surplombantes que se consacre ce dossier, dans la perspective du holisme méthodologique. Il s’agit de rendre compte de l’enchâssement social et politique de l’enjeu foncier dans les conflits violents dans un double sens : 1) Comment les rapports des individus entre eux à propos de la terre sont socialement étayés et reconstruits dans le cours de leur mobilisation politique violente ; et 2) Comment la reconstruction ainsi opérée des rapports socio-fonciers s’insère dans les dynamiques institutionnelles plus larges, éventuellement en s’autonomisant [8]. La suite de cette introduction est construite en deux parties. La première est consacrée à l’approfondissement méthodologique de l’approche que nous qualifions de continuiste et processuelle des conflits violents à dimension foncière. Dans la seconde, la présentation des contributions du dossier permet d’exemplifier l’étude conjointe des conflits violents et des dynamiques foncières préconisée par cette démarche. Adoptant une vision commune, les contributrices et contributeurs de ce dossier aspirent ainsi à améliorer le dialogue entre, d’un côté, les travaux dans le domaine des conflits internes et des guerres civiles et, de l’autre, ceux qui portent plus spécifiquement sur les dynamiques foncières et leurs incidences sur les conflits violents.
1. Saisir les rapports entre terre et guerre
6Un retour réflexif sur la prépondérance d’une lecture causaliste et exceptionnaliste du lien entre foncier et conflit permettra d’abord de préciser le cadre de notre approche de l’enchâssement social de la dimension foncière des conflits. Nous évoquerons ensuite quelques outils théoriques pour retracer le processus décisif de transformation des ressources foncières en ressources politiques, condensé dans la formule souvent utilisée de « politisation des enjeux fonciers ». Nous proposerons enfin les principales clés qui peuvent permettre de saisir et caractériser dans leur diversité les modes d’imbrication des violences foncières dans les conflits violents.
1.1. De la recherche d’une causalité à la problématique de l’enchâssement
7La lecture « continuiste » des conflits violents à dimension foncière en Afrique est en particulier confrontée à la banalisation de leur explication par le poids décisif de quelques macro-facteurs, tels que la pression démographique et la rareté de la terre ou des ressources naturelles. Intuitive et mise en exergue par les médias, les politiques, les institutions internationales et de nombreux travaux d’expertise et de recherche, cette explication néo-malthusienne constitue une véritable mise en récit du caractère inéluctable et dramatique « des guerres pour la terre » en l’absence de politiques adaptées [9]. Le recours à cet argumentaire est également tentant pour des gouvernements confrontés à des mécontentements ou des rébellions. Invoquer des conflits fonciers qui résultent de la raréfaction des terres permet d’éviter de mettre en cause les aspects proprement politiques des conflits, le caractère délibérément provoqué de l’enchaînement des violences et, éventuellement, la responsabilité étatique dans la conflictualisation des rapports fonciers. Les bailleurs de l’aide au développement recourent aussi fréquemment au récit convenu de l’insécurité foncière résultant de la compétition pour la terre et du dysfonctionnement de la gouvernance foncière pour promouvoir des dispositifs de sécurisation foncière « modernes » fondés sur la formalisation des titres [10].
8Pourtant, le primat accordé à ces facteurs dans l’explication des conflits violents à dimension foncière peine à masquer le fait qu’ils n’en constituent des causes ni nécessaires ni suffisantes. Outre le fait que la relation causale (au sens statistique) n’est pas vérifiée [11], la pression démographique et la compétition pour la terre ne constituent pas les causes directes de l’émergence des conflits (Le Billon, 2001 ; Peluso & Watts, 2001 ; Boone, 2014). Le méta-récit proposé de la prolifération des « guerres pour la terre » élude l’existence d’une « chaîne causale » complexe entre la raréfaction des ressources, la compétition pour la terre et les guerres civiles (Boone, 2014). La littérature empirique montre en particulier que les conflits fonciers portent autant sur la ressource elle-même que sur la légitimité des règles et des autorités chargées de leur application (Peters, 2013 ; Lund, 2016). Sans méconnaître l’incidence incontestable de la pression démographique et de la compétition pour la terre sur la configuration de la question foncière en Afrique, cette incidence ne se réalise pas selon une trajectoire déterminée, mais de manière diffuse à travers l’enchevêtrement institutionnel de systèmes de règles, d’autorités et de pouvoirs différents et concurrents.
9Loin de correspondre à des causalités directes et généralisables, les conflits violents à dimension foncière s’inscrivent donc dans un éventail hétérogène combinant, à des degrés divers, les caractéristiques de deux types classiquement distingués dans la littérature : d’une part, les conflits qualifiés de « conflits communautaires » (communal conflicts) et, d’autre part, les conflits qualifiés de « crise politico-militaire », de « guerre civile » ou de « conflit interne » (internal conflicts, civil wars, state-based conflicts) (Gurr, 1993 ; Brosché & Elfversson, 2012). La qualification de conflits communautaires se polarise sur des clivages organisés autour d’identités socialement construites, qui peuvent être de nature très diverse (ethnie, religion, castes, lignages, entre autochtones et migrants, entre éleveurs et agriculteurs, entre générations…), tandis que la qualification de guerre civile se polarise sur l’État (son implication, son contrôle, son ancrage en milieu rural). Les conflits communaux et les guerres civiles constituent par conséquent des formes de violence organisée dont les interfaces doivent être spécialement explorées dans la perspective « continuiste » défendue ici. Envisagée sous le prisme des enjeux fonciers, la conceptualisation spécifique des tensions intra et intercommunautaires, où la dimension foncière est généralement très présente, permet de mieux comprendre comment ces antagonismes interagissent avec les conflits civils par la médiation des enjeux fonciers.
10Plutôt que de raisonner en termes de relations causales, il convient donc d’étudier des configurations complexes d’interdépendances entre terre et guerre (Bavinck et al., 2014 ; Van Leeuwen & Van Den Haar, 2016) ou, dit autrement, d’enchâssement social et politique des violences foncières dans des structures agraires et sociales et dans des formes de mobilisation violente plus larges. L’élément fondamental de la connexion entre les conflits fonciers locaux et les conflits violents de plus grande échelle ne réside pas seulement dans la place de la terre en tant que besoin essentiel, mais dans la question de savoir quand, où et comment des acteurs et des groupes sociaux sont en mesure d’agir de manière collective et violente en se réclamant de cette revendication, et de se connecter à d’autres agendas qui débordent de la question de l’accès à et du contrôle de la terre. Dans ces processus d’enchâssements multiples, la signification et la place de la terre (ce qu’elle représente et en quoi cela justifie de se battre pour elle) ne sont pas des données intangibles, mais des constructions sociales négociées et renégociées dans le cours du conflit violent (Van Leeuwen & Van Den Haar, 2016 ; Richards, 2005). C’est ce processus de politisation des enjeux fonciers qu’il s’agit de démêler.
1.2. La politisation des enjeux fonciers
11Comment caractériser la part des violences foncières dans ces conflits de manière moins intuitive, allusive et subjective que comme « déclencheur », « force motrice », « vecteur », « facilitateur » ou « aggravateur » ? Comment comprendre la propension de ces conflits à susciter et encourager la transformation des ressources foncières en ressources politiques, comme l’indique la formule consacrée de « politisation des enjeux fonciers » ?
12La sociologie des crises politiques et la sociologie pragmatique apportent quelques outils théoriques pour approcher ces mécanismes. Pour la sociologie des crises (Dobry, 1986 ; Aït-Aoudia & Roger, 2015), celles-ci correspondent à un état du système social caractérisé par la fluidité conjoncturelle des rapports sociaux et la production simultanée d’une « mobilisation multisectorielle des ressources » qui conduit à « désectoriser » la cause d’une injustice pour la transformer en cas exemplaire d’une cause collective. Rapporté à la problématique de l’indexation foncière des conflits violents, cela signifie que les rapports socio-fonciers demeurent certes en continuité avec le déroulement quotidien des activités dans ce champ des relations sociales (incluant la possibilité sociologiquement « normale » de conflits fonciers, comme indiqué précédemment), mais qu’il se produit simultanément une « mobilisation multisectorielle des ressources ». D’autres logiques sectorielles (territoriale, électorale, clientéliste, d’accaparement des ressources, de protection identitaire, de recrutement religieux, etc.) interfèrent avec les normes foncières socialement reconnues, contribuant à « désectoriser » les enjeux fonciers et à les convertir en ressources politiques et symboliques.
13Au sujet des conditions de recevabilité des « dénonciations publiques », la sociologie pragmatique met en exergue la capacité des différents groupes d’acteurs à opérer « un travail de généralisation » sur la portée des éléments de preuve de leurs revendications et sur la cohérence de leur action collective, afin de les faire valoir de façon acceptable dans l’espace public (Boltanski et al., 1984 ; Barthe et al., 2013). Rapporté à la question de l’indexation foncière des conflits, ce travail consiste à mettre en œuvre une « dé-singularisation » de l’enjeu foncier, de manière à opérer la connexion entre un enjeu singulier (la distribution des droits sur les ressources et leur sécurisation pour un groupe social déterminé) et des ensembles collectifs larges (groupes identitaires, classes sociales, partis politiques, etc.), faisant de la terre et des ressources qu’elle porte l’idéal du bien commun et le champ de mise à l’épreuve par excellence des principes constitutionnels de la société.
14La politisation de la question foncière résulte ainsi d’un ensemble de microprocessus qui concourent à faire des rapports des individus entre eux à propos de la terre un vecteur de violences transférables d’une échelle à une autre, selon une temporalité propre, souvent discontinue et n’excluant pas les reflux de violence. Les enjeux fonciers peuvent en effet être « dé-politisés », c’est-à-dire « re-singularisés », « re-sectorialisés » et désenchâssés plus ou moins temporairement des dimensions politiques et symboliques conflictuelles selon les spécificités régionales et conjoncturelles. Il est d’ailleurs fréquent que les pouvoirs en place s’efforcent, en général sans succès, sauf auprès des bailleurs de fonds, de « re-singulariser » les enjeux fonciers (« c’est seulement à cause du manque de terres qu’il y a des conflits… ») pour se dédouaner de leur responsabilité politique dans les situations de crise ou pour dépolitiser les débats autour d’une politique foncière qui favorise sa clientèle politique (par exemple par la légalisation systématique des droits coutumiers – Grajales, 2020a, 2020b).
15La simple invocation de l’instrumentalisation « politique », « ethnique » ou « tribaliste » de la question foncière ne suffit donc pas pour rendre compte des mécanismes complexes de mobilisation et d’enrôlement des acteurs dans les conflits civils. Les mobilisations collectives liées à des degrés divers à la terre ne vont pas de soi. Elles ne s’alignent pas mécaniquement sur telle ou telle ligne de fracture sociale, ethnique ou politique pour faire prévaloir des revendications, des intérêts ou des principes de justice établis une fois pour toutes. Même lorsqu’un conflit violent de grande envergure est associé sans doute possible à de profonds antagonismes agraires et fonciers, la composante foncière du conflit ne constitue jamais une condition suffisante pour l’enclenchement et l’embrasement du conflit. Les études empiriques montrent que, pour que s’opère le passage de la contestation foncière au conflit ouvert, puis à la violence à grande échelle, et pour que la terre devienne une ressource politisée, les revendications « doivent être organisées, canalisées, financées et nourries de l’extérieur du monde paysan » (Daudelin, 2003 : 13) par des « entrepreneurs de violence » et des « promoteurs d’alliance [12] ». Autrement dit, comme le rappelle Richards, « la guerre n’éclate pas parce que les conditions en sont réunies, mais parce qu’elle est organisée » (Richards, 2005 : 4, notre traduction).
16Le décryptage des mécanismes de politisation et de mobilisation violente autour des rapports socio-fonciers en Afrique nous éloigne clairement de l’idée commune selon laquelle se mobiliser pour préserver, gagner ou accroître collectivement son accès aux ressources foncières est un phénomène « naturel », toujours propice à alimenter la montée en échelle des violences lorsque les institutions foncières sont défaillantes, la pénurie de terre avérée et les inégalités insupportables. Notons au passage qu’une telle vision relève d’une analyse téléologique des guerres civiles, attentive davantage à leurs supposées « causes profondes » qu’à leur déroulement. Les guerres, comme toutes les situations de crise, produisent les conditions même de leur reproduction (Dobry, 1986), dès lors que leurs conséquences se métamorphosent sans cesse en nouvelles causes (Marchal, 2000 ; Coronil & Skurski, 2005 ; Højbjerg, 2009 ; Gayer, 2014).
1.3. Caractériser les violences foncières
17Sans chercher à dresser ici une typologie, nous pouvons évoquer quelques régularités caractéristiques de l’enchâssement social et politique du volet foncier des conflits violents. Elles peuvent servir de clés de lecture pour identifier les tensions les plus significatives par l’intermédiaire desquelles les violences foncières interfèrent sur les dynamiques sociales et politiques des sociétés concernées.
18Une des premières questions qui se posent à propos de la conflictualité liée à la terre en Afrique concerne la part qui revient aux « dominants » et aux « dominés » lorsque les violences foncières participent de conflits civils plus larges. D’après Daudelin (2003), une idée reçue fausse le débat sur les liens entre terre et conflit : celle selon laquelle « la violence vient principalement du dépossédé ou des organisations qui agissent, ou prétendent agir, en tant que ses agents » (Ibid.: 11). Selon cet auteur, la majeure partie des violences a été au contraire destinée à soutenir l’inégalité. On peut aussi évoquer la dépossession foncière induite des projets environnementalistes et de développement, et ses incidences sur les tensions sociales. En situation d’après-conflit, également, « les accords injustes sont souvent politiquement soutenables, simplement parce que les pauvres sont presque par définition faibles », avec ce corollaire alarmant que « prévenir le conflit à tout prix signifie souvent en faire payer le prix aux pauvres et aux faibles » (Ibid.: 11), alimentant alors la reproduction des violences, parfois moins visibles, mais tout aussi déstabilisatrices.
19Concernant spécifiquement la part des élites nationales dans l’indexation foncière des conflits et des crises, leur investissement dans la terre en tant que source de richesse (et pas seulement de pouvoir) est un autre facteur de variation. De ce point de vue, l’Afrique subsaharienne présente une particularité comparativement à la majorité des pays du Sud global, notamment ceux d’Amérique latine. Dans ces derniers, les élites ont perpétré depuis longtemps des violences de masse (légalisées ou non) pour consolider et accroître leur accès à la terre et à la propriété. Dans des contextes de mobilisations politiques spécifiques, ces violences ont régulièrement suscité des réactions collectives violentes des paysanneries qui sont devenues des éléments du « récit national » de ces pays. En Afrique subsaharienne, où l’investissement des élites politiques dans les activités agraires et la constitution de grands domaines ruraux a été plus tardif et moins massif (hormis le cas particulier des grands fermiers blancs en Afrique du Sud), le déclenchement des violences foncières et agraires est essentiellement le fait de ces élites et beaucoup plus rarement celui des paysanneries. Selon l’importance de leurs intérêts dans le foncier rural, ces élites peuvent choisir de passer par des moyens légaux d’accaparement par le titre et des institutions formelles, ou d’entretenir la confusion en tirant partie d’un pluralisme juridique de fait (Mathieu & Tsongo, 1998 ; Onoma, 2009). Dans les deux cas, les troubles qui en résultent peuvent susciter des tensions foncières structurelles d’autant plus facilement mobilisables dans des guerres civiles que les institutions étatiques, contrôlées par les élites nationales, interviennent davantage au niveau de la régulation foncière interne aux communautés paysannes et que les politiciens utilisent la terre pour alimenter des liens clientélistes, contribuant ainsi à politiser l’accès aux ressources foncières (Boone, 2014).
20La composante foncière des conflits violents et des guerres civiles tient une place particulièrement importante lorsque l’histoire agraire du pays est structurée par une forte mobilité intra-rurale des populations. Le cas le plus classique correspond aux affrontements qualifiés d’ethniques associés aux conflits internes dans les pays qui ont connu, notamment en Afrique de l’Est et Australe, une forte colonisation de peuplement et des déplacements forcés de populations vers des territoires dont elles n’étaient pas originaires. L’indépendance obtenue, les nouvelles élites politiques ont pu gérer à leur profit et à celui des populations acquises à leur clientèle une grande partie de ces terres, induisant la résurgence de revendications territorialisées de la part des anciens occupants. Le développement des migrations agraires, massives après les indépendances (en quête de travail et/ou de terre, internes aux pays ou transfrontaliers, souvent favorisées par les États pour mettre en valeur les « nouvelles frontières » agraires) a contribué à généraliser les tensions entre « autochtones » et nouveaux venus au sein de communautés rurales hétérogènes. Ces tensions ont exercé une forte influence sur les rapports entre les communautés rurales en mutation et le dispositif étatique, lui-même en continuelle formation. Ces configurations ont donné lieu à une catégorie de conflits internes qualifiés de « guerres d’autochtonie » (sons of the soil wars), dont la durée est généralement longue et les reprises fréquentes [13]. Elles ont contribué à l’émergence d’« espaces de la guerre », de « mosaïques guerrières » (Galy, 2003) ou de « complexes politiques émergeants » transfrontaliers (Vlassenroot & Raeymaekers, 2004) dans lesquels le contrôle de la terre devient une ressource politique. Dans la période actuelle, la dépossession croissante, sous l’égide des États, de la maîtrise foncière des populations locales au profit de grands travaux d’aménagement et de mise en valeur, d’entrepreneurs privés nationaux ou étrangers, ou d’organisations non gouvernementales internationales environnementalistes contribue à entretenir les migrations rurales sous contraintes et favorise les risques de provoquer de nouvelles « guerres d’autochtonie » (Hall et al., 2015).
21Le rôle des « jeunes », comme catégorie sociale distincte [14], et les tensions entre générations forment un ensemble d’éléments qui favorisent une forte indexation foncière des violences politiques. Cet aspect est abondamment souligné, tant dans la littérature sur les conflits internes que dans celle qui est consacrée aux dynamiques et aux crises foncières en Afrique rurale. La « jeunesse », terme ciblant surtout les jeunes hommes, s’avère en effet constituer un maillon déterminant entre, d’une part, les enjeux fonciers et les enjeux sociaux, politiques et économiques des violences et, d’autre part, les échelles locales et extra-locales de ces mêmes violences. L’« agencéité » (social agency [15]) des jeunes (ou identifiés comme tels) et la recomposition des relations intergénérationnelles sont en effet au cœur des processus de déplacement des tensions foncières locales entre aînés et cadets vers des arènes politiques nationales, où les « jeunes » imposent leur présence et leurs revendications comme miliciens et « vigilants [16] ». Une approche ethnographique fine montre que leur enrôlement dans les violences (sous des formes de mobilisation sécuritaire qui préexistaient souvent au conflit) et leur comportement dans l’après-conflit sont motivés par des logiques plus diverses, pragmatiques et constructives que l’aversion pour le monde rural et l’agriculture, l’opportunisme et l’absence de choix qu’on leur prête intuitivement [17]. Elle indique également que la médiation ainsi opérée par la problématique intergénérationnelle entre les arènes des conflits fonciers locaux et les arènes régionales et nationale des conflits civils ne dépend pas seulement de l’intensité des luttes à l’échelle la plus vaste. Elle est aussi façonnée par les structures sociales intrafamiliales et lignagères locales, dont la capacité d’intégration communautaire, notamment au regard de la redistribution des droits d’accès à la terre, peut varier considérablement d’une région ou d’un pays à l’autre (Chauveau & Richards, 2008).
22Enfin, le rôle de la marchandisation de la terre [18], maintenant à peu près générale en Afrique, dans les conflits violents que connaît le continent est une question en quelque sorte surplombante au regard des éléments précédents. Le développement des mécanismes marchands concernant l’usage et l’appropriation de la terre et, aussi importants, les arrangements contractuels régissant les modes de faire-valoir indirect, sont régulièrement cités parmi les principales causes qui confèrent à ces conflits une forte dimension foncière [19]. Les transactions marchandes sur la terre, sous leurs différentes formes (achat-vente, faire-valoir indirect, mise en gage, etc.), et l’individualisation des droits familiaux sur la terre à laquelle elles participent entretiennent en effet un rapport direct avec les différents facteurs de violences foncières évoqués ci-dessus : les inégalités et les rapports de domination au sein des structures agraires se trouvent aggravés par les cessions et les ventes de détresse de terres familiales ; les stratégies d’acquisition des élites conduisent à une concentration foncière et des exclusions croissantes ; les mobilités forcées, encadrées ou spontanées des populations rurales multiplient les pratiques monétarisées mais non sécurisées de transfert de droits. Les effets conflictogènes des transactions foncières marchandes et de l’individualisation des droits d’aliéner temporairement ou définitivement la terre sont de toute évidence une composante fréquente des violences foncières qui accompagnent les conflits africains.
23Il est néanmoins difficile d’en cerner toute la complexité. Dans la majorité des cas, les transactions marchandes et les transferts néo-coutumiers de droits se superposent, et les cadres d’analyse réducteurs qui sont appliqués à ces situations (la propriété collective traditionnelle versus la propriété individuelle moderne) se révèlent inadaptés : les systèmes néo-coutumiers ne sont plus forcément opposés au libre transfert de la totalité des droits, mais y surimposent des clauses non foncières, relevant de logiques politiques communautaires ; les mécanismes marchands standards, censés garantir le libre transfert des droits et leur sécurisation par le titre, considérés a priori comme économiquement et socialement désirables, peuvent se révéler impraticables ou s’avérer être des facteurs d’exacerbation des conflits existants et de création de nouveaux conflits (Colin et al., 2010) ; au-delà des relations entre cédants et preneurs, la marchandisation des transferts de terre a d’importantes conséquences sur les relations intrafamiliales et intergénérationnelles [20]. Il est clair que les transactions foncières marchandes ne relèvent pas du simple jeu de l’offre et de la demande, comme le label de « marchés fonciers » pourrait le laisser entendre. En particulier, elles sont rarement conçues par les cédants comme étant libératoires des obligations sociopolitiques dont ils estiment que les preneurs leur sont redevables (Chauveau & Colin, 2010). À ce titre, elles participent activement aux processus de mobilisation de la terre comme ressource politique dans les conflits violents (Colin & Woodhouse, 2010).
2. L’étude conjointe des conflits violents et des dynamiques foncières
24Cette liste non exhaustive des facteurs de variation de l’indexation foncière des conflits internes souligne les liens inextricables qui existent entre : (i) les dynamiques des rapports sociaux à propos des ressources foncières, dans leurs dimensions productives, politiques, identitaires et symboliques ; (ii) la violence politique ; (iii) les dynamiques de formation/construction de l’État et de son ancrage à l’échelle des communautés rurales locales ; et (iv) la mobilité des populations et l’hétérogénéité constitutive des communautés. Ce « nexus foncier, violence, État, communautés, mobilité » (Chauveau, 2017) circonscrit un champ d’interfaces entre le domaine des conflits violents et des crises, d’un côté, et celui des dynamiques foncières, de l’autre, dont les objets se recoupent, mais dont la spécialisation limite souvent l’enrichissement réciproque. C’est ce champ de tensions multiples que les contributeurs à ce volume ont exploré.
25Dans leur article sur le Mali (« Fabriquer l’identité à la pointe de la kalache. Violence et question foncière au Mali »), Ibrahima Poudiougou et Giovanni Zanoletti analysent l’articulation entre violence et conflits fonciers et leur imbrication avec les modes de gouvernementalité rurale dans trois localités du Mali confrontées à trois mouvements répertoriés comme djihadistes transnationaux. Déconstruisant le cadre uniformisant du « terrorisme », les auteurs montrent que ces groupes établissent un ancrage local par leur capacité à réguler les conflits fonciers, à solder de très vieilles rivalités pour le territoire et à fournir des ressources (armes, savoir-faire combattants) à des groupes rivaux. Ce faisant, ils transforment ces conflits, qui se politisent et changent d’échelle. Mais ils se transforment aussi eux-mêmes dans la mesure où la place qu’ils acquièrent dans ces conflits façonne leur base militante et leur orientation tactique.
26Jacky Bouju (« La rébellion peule et la “guerre pour la terre”. Le gouvernement par la violence des ressources agropastorales – Centre-Mali, Nord-Burkina Faso ») propose un autre éclairage à ce même conflit, en abordant les formes d’articulation des litiges fonciers entre éleveurs et agriculteurs avec les clivages internes aux sociétés peules, qui opposent les groupes asservis et castés rimaïɓe à l’aristocratie traditionnelle rimɓe, alliée aux pouvoirs d’État, à propos de l’administration des ressources agropastorales. Ces contestations résonnent, d’une part, avec l’érosion ancienne des formes d’autorité provoquée par la paupérisation des grandes familles rimɓe sous l’effet des sécheresses, et le déplacement des centres de gravité de l’activité d’élevage vers les lignages dominés ; et, d’autre part, sur la courte période, avec l’effondrement des régimes malien (2012) et burkinabé (2014), qui a laissé un vide sécuritaire propice à la formation de milices d’autodéfense, qui se sont autonomisées vis-à-vis des structures traditionnelles de pouvoir local. Ces transformations ont été mises à profit par des entrepreneurs politiques locaux pour forger un discours appelant à la formation d’une société égalitaire, dirigée contre les familles aristocratiques et les représentants de l’État, qui s’est articulée idéologiquement aux mouvements djihadistes radicaux. Cette « rébellion peule », une fois libérée de l’aristocratie rimɓe, a entrepris de remettre en question les arrangements tissés avec les groupes sédentaires dogon et bambaras dans l’accès aux ressources agropastorales et, plus globalement, avec le « pouvoir noir » incarné par l’appui de l’État malien à ces groupes sédentaires. Elle conduit aujourd’hui à l’installation d’une forme de « gouvernement par la violence » (Grajales, 2016) articulé à une variété de trafics, mais dont le contrôle des ressources agropastorales est un enjeu central.
27L’article d’Emmanuelle Veuillet (« Le grain contre le bétail : la contestation d’un ordre socio-politique imposé. Relecture des conflits agropastoraux de la région de Mundri, au Soudan du Sud ») présente une situation similaire. Au Soudan du Sud, la guerre d’indépendance a bouleversé les formes de régulation locale, en introduisant de nouvelles relations entre autorités villageoises et groupes affiliés à l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA – Sudan People’s Liberation Army). À partir d’une étude de cas dans la région de Western Equatorias, l’auteure montre comment la clientélisation de populations déplacées par la SPLA génère de nouveaux conflits pour la terre. En effet, le lien fort qui relie les commandants du mouvement à des populations appartenant au groupe des Dinka, déplacées pendant la guerre, aboutit à une très forte ethnicisation des conflits, politisant et polarisant les identités autour de la distinction entre Dinka et autres groupes. Le lien de clientèle qui relie les professionnels de la violence et les déplacés empêche la SPLA de se positionner en arbitre des conflits locaux, dès lors qu’elle en est elle-même partie prenante. Alors que l’ancrage social des groupes armés est souvent dépendant de leur capacité à fournir cette régulation, les alliances de la SPLA fragilisent sa base sociale et réduisent sa domination à une forme de coercition. Elle devient alors particulièrement vulnérable à des contestations locales, dès lors que l’expulsion des migrants dinka par des milices autochtones apparaît en même temps comme une révolte contre le nouvel ordre politique post-indépendance. Les rivalités foncières produites par les dynamiques de la phase indépendantiste de la guerre civile se prolongent ainsi dans ses phases subséquentes.
28Ces trois premiers articles portent sur des situations dans lesquelles les groupes qui s’affrontent se recrutent préférentiellement parmi des éleveurs et des agriculteurs. Bien que la ligne de démarcation entre agriculteurs, agro-éleveurs et pastoralistes soit bien plus floue et poreuse que ne le veut la vulgate développementaliste, on sait à quel point le récit sur l’opposition ontologique entre ces deux types d’acteurs est influent. C’est justement à une déconstruction minutieuse de ce récit que s’emploie la contribution de Charline Rangé, Sergio Magnani et Véronique Ancey (« “Pastoralisme” et “insécurité” en Afrique de l’Ouest. Du narratif réifiant à la dépossession politique »). L’objectif des auteurs est de retracer la circulation et les effets de ce « récit de politique » (policy narrative). À cette fin, ils déploient un double dispositif empirique. D’une part, ils retracent la façon dont la rivalité agriculteurs-éleveurs a été investie par les milieux du maintien de la sécurité comme un cadrage central des problèmes de violence. Cela passe par une étude attentive de ce secteur d’action publique transnationale, par une étude des courtiers qui ont porté ce récit et des ressources que celui-ci met à la disposition de ces réseaux d’acteurs. D’autre part, les auteurs montrent les effets potentiellement néfastes de ce récit dans le cas du Centre-Nord du Nigeria. Ils mettent ainsi en évidence la façon dont les autorités politiques nigérianes l’ont endossé, ainsi que la façon dont les médias nationaux ont alimenté sa centralité. Ce récit sert à justifier des politiques de privatisation des terres, la création de ranchs et la sédentarisation forcée de populations pastorales perçues comme dangereuses. L’analyse met ainsi en lumière l’intrication entre circulation des politiques publiques transnationales et conflits fonciers locaux.
29La problématique des politiques foncières, de leur circulation et de leur « greffe » dans des contextes politiques nationaux est également au cœur de la contribution sur l’Éthiopie de Mehdi Labzaé (« Une politique “pré-conflit” ? Violences et politiques foncières dans les basses terres éthiopiennes »). Dans ce pays, une politique de titrisation et de cadastrage a été promue dès le début des années 2000 au nom du développement agricole. Les tensions générées par cette politique sont particulièrement fortes dans les basses terres de l’Ouest, une région longtemps perçue par les élites des hauts plateaux du Nord comme une zone de frontière, une terre vide à mettre en valeur. Ces perceptions anciennes sont remises en selle par des programmes récents de titrisation qui se donnent le double objectif de fixer des droits de propriété individuels et de dégager des terres disponibles pour des investissements agro-industriels. En retour, ces politiques sont réappropriées par des élites locales qui les utilisent pour exclure des paysans originaires d’autres régions, mais présents dans la zone depuis des décennies (comme les groupes relocalisés à la suite des sécheresses des années 1970 et 1980), renforçant la dimension ethno-nationale de l’accès à la propriété. Ces dynamiques d’exclusion aboutissent à des heurts violents, qui questionnent la place de ces marges dans la formation d’un État éthiopien ainsi que les effets de son référentiel politique, désormais conjointement développementaliste et néolibéral.
30Plusieurs de ces contributions abordent à divers titres les liens entre les conflits fonciers, leurs chances de politisation et de radicalisation, et les dynamiques de pluralisme normatif qui caractérisent la plupart des sociétés africaines. Le gouvernement de la terre est, en Afrique peut-être plus qu’ailleurs, produit dans des enchâssements composites d’organes de pouvoir, se réclamant tous de registres de légitimité qui, s’ils ne sont pas forcément concurrents, ne se superposent pas. C’est cette problématique de pluralisme normatif, et ses rapports à des situations de violence multiforme, qu’explore l’article de Léo Montaz (« Mobilités, conflits fonciers et jeunesse. Dynamique des pouvoirs en pays bété, Côte d’ivoire »). Sa contribution montre comment la place des autorités néo-coutumières et leurs relations aux représentants locaux de l’État central sont transformées par le retour au village de jeunes urbains et leur aspiration à participer, en tant que catégorie sociale distincte (la « jeunesse »), aux arènes de pouvoir villageois, dans des contextes sociohistoriques profondément marqués par l’importance des oppositions aînés/cadets dans les trajectoires sociales et politiques locales. À partir de l’exploration ethnographique d’une querelle singulière, dont l’issue a été violente, l’auteur montre que les espaces politiques locaux sont mis sous tension, ce qui fournit un éclairage singulier à l’étude des conflits fonciers violents qui ont caractérisé les deux dernières décennies en Côte d’Ivoire.
31C’est également sur le conflit civil ivoirien que s’interroge François Ruf (« Au cœur des cycles du cacao et des conflits en Afrique de l’Ouest. Le triangle Côte d’Ivoire, Ghana et Burkina Faso ») à propos de ses formes d’imbrication avec la question de l’accès à la terre et de sa politisation. En référence à l’économie politique du secteur cacaoyer, prépondérant dans le paysage agraire ivoirien, il mobilise, en contrepoint, l’exemple du Ghana limitrophe, dont la dépendance similaire vis-à-vis de la cacaoculture et des enjeux de son expansion et de son maintien n’a donné lieu ni à des processus de polarisation socio-ethnique ni à la mise en connexion des conflits fonciers locaux et des confrontations armées, comme ce fut le cas durant la guerre civile en Côte d’Ivoire. L’auteur examine cette divergence à la lumière des caractéristiques temporelles et démographiques des cycles de la cacaoculture (vieillissement des arbres et des planteurs, déplacement des foyers de culture) auxquels les deux économies de plantation sont assujetties, et de leur interaction avec les structures politiques de chacun des pays. En Côte d’Ivoire, une politique coercitive de mise en valeur des terres de l’Ouest forestier favorable aux migrants a facilité le déroulement du « cycle du cacao » et participé à l’extension de la base politique du régime de Félix Houphouët-Boigny. Mais elle a aussi été à l’origine de clivages ethno-politiques et de tensions qui se sont accrues avec les incidences du cycle du cacao sur la recomposition des rapports de force entre les différents groupes de producteurs et, par répercussion, entre les différents partis politiques. Au Ghana, la reconnaissance des chefferies et de leur contrôle sur l’accès au foncier s’est combinée au souci des régimes successifs de limiter les inégalités ethniques dans l’accès aux ressources, réduisant les possibilités d’émergence de forces politiques étroitement articulées sur les recompositions sociales induites par le déroulement du cycle du cacao. Les trajectoires contrastées de l’économie de plantation de ces deux pays ne se comprennent cependant qu’en prenant en compte un troisième protagoniste : le Burkina Faso, grand pourvoyeur de migrants.
32Enfin, la contribution de Nancy Andrew (« South Africa’s Land Ownership System as Barrier to Social Transformation. Land Conflict and Forced Displacement of Black Farm Dweller Families »), dans la rubrique Document, ouvre sur d’autres thématiques à partir d’une étude des transformations du capitalisme agraire en Afrique du Sud. Partant du constat des espoirs frustrés de la réforme agraire de 1996 portée par l’African National Congress (ANC), l’autrice montre comment les formes de domination économique se sont reproduites dans les fermes commerciales après la fin de la lutte contre l’apartheid, à partir d’une étude au long cours portant à la fois sur les relations de métayage et le salariat agricole, deux catégories qui se recouvrent dans la pratique. Nancy Andrew montre ainsi que la fin de l’apartheid n’a pas transformé fondamentalement la structure des inégalités foncières. Alors que les élites de l’ANC avaient espéré que l’ouverture politique se traduirait par des transformations économiques et sociales dans les campagnes, c’est en réalité à une consolidation de l’ordre ancien, sous des habits plus respectables, que l’on assiste. S’il est vrai que les aspects les plus détestables de l’ordre social raciste et racialiste de l’apartheid tendent à s’estomper avec la reconnaissance des Noirs comme des sujets de droit, la domination de classe et de race adopte des formes plus légalistes ou est simplement médiée par les forces du marché. L’échec de la réforme agraire à enclencher un processus redistributif n’est pas dû à un simple manque de capacité administrative ou de volonté politique. Il découle plus fondamentalement du fait que la réforme agraire a cherché à aborder la question des inégalités foncières tout en préservant l’agriculture capitaliste de toute intervention, mais sans pour autant écarter les risques à venir de violences agraires.
33Les violences foncières peuvent ainsi se manifester dans le cadre de conflits civils sous des formes très diverses et intervenir sur les structures de gouvernance foncière de différentes manières : par les accaparements de terres, par les déplacements de population, par l’intrusion directe des protagonistes dans les juridictions et autorités locales de gouvernance foncière, ou en imposant leurs propres projets de territorialisation ou « d’espaces gouvernables [21] ». Il est fréquent que des groupes rebelles ou miliciens imposent leur rôle dans la régulation des conflits fonciers et la gouvernance des ressources naturelles, de façon à instaurer à leur profit une « économie de guerre », mais aussi un contrôle politique des populations et des dispositifs administratifs [22].
34On le voit dans toutes ces contributions, les processus d’inclusion des enjeux fonciers dans les dynamiques de violences politiques ne répondent pas à des modèles intangibles, qui feraient des violences armées à forte dimension foncière un « type » spécifique. Il n’existe pas d’exemple où le facteur foncier serait la cause ultime et encore moins unique des guerres civiles, au terme d’une montée en échelle et en puissance inexorable des conflits sur la terre. Aussi écrasant que puisse apparaître le phénomène global de raréfaction de la terre et de concentration de son usage, cette introduction et les contributions qui vont suivre montrent qu’il est nécessaire d’en revenir à la compréhension de la gouvernementalité rurale [23] et de ses dynamiques d’ensemble pour en restituer les incidences réelles. Il s’agit donc d’une approche, certes moins totalisante, mais à la fois plus exigeante empiriquement et plus heuristique que nous appelons de nos vœux.
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Notes
-
[1]
Au niveau de comparatisme auquel nous nous situons, le dossier n’inclut pas le champ des études urbaines. La dissociation entre foncier rural et foncier urbain relève avant tout de la nécessité d’identifier de manière pragmatique et suggestive le domaine d’investigation (le « rural » comme site d’enquête) sans pour autant enfermer l’objet d’analyse dans une catégorie a priori ou un concept (l’approche « ruraliste »). La suite de cette introduction ainsi que le contenu des contributions du dossier indiquent clairement que l’urbain et le rural relèvent d’un continuum ou d’un enchevêtrement d’arènes sociales à différentes échelles.
-
[2]
Dans la suite du texte, les termes « foncier » et « terre » englobent les espaces pastoraux et les ressources naturelles. Le « foncier » est entendu comme l’ensemble des rapports des individus entre eux à propos de la terre. Sur ces conflits, voir Roudart et al., 2019 ; Berry, 2018 ; Blanc, 2018 ; Boone, 2014 ; Lentz, 2013 ; Peters, 2013 ; Amanor, 2012 ; Cramer & Richards, 2011 ; Anseeuw & Alden, 2010 ; Moyo & Yeros, 2005 ; Huggins & Clover, 2005. Parmi les espaces d’Afrique subsaharienne les plus cités où se sont déroulés des conflits violents à forte dimension foncière, figurent les régions des Grands Lacs et du fleuve Mano, la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire, le Soudan, le Kenya, l’Ouganda, le Zimbabwe, l’Éthiopie ; ce qui recouvre une partie majeure du continent.
-
[3]
Pour la Banque mondiale, principal bailleur de fonds des réformes foncières dans les pays africains, voir par exemple Byamugisha, 2013.
-
[4]
« Land-conflict-fetishism », terme de Goodhand repris par Van Leeuwen & Van Den Haar (2016: 102).
-
[5]
Les conflits à dimension foncière (« land-violent conflict nexus », « land-related conflicts » ou « land-based violent conflicts » dans la littérature anglophone) qui nous intéressent ici s’inscrivent dans un large éventail de conflits violents, qui regroupe des conflits qualifiés dans la littérature de conflits communautaires, de crises politico-militaires, de guerres civiles et de conflits internes. Nous justifions infra le faible intérêt heuristique d’une approche typologique trop stricte au détriment de la prise en compte de la dimension processuelle des conflits.
-
[6]
Elle a donné lieu à des travaux remarquables, comme ceux de Boone (2014).
-
[7]
Galtung (1969) a depuis longtemps distingué les situations de « paix positive » – qui offre des potentialités de transformation sociale vers plus de cohésion sociale –, de « paix négative » – qui dénote simplement l’absence de combat – et de « paix violente » – caractérisée par une forte violence sociétale structurelle.
-
[8]
Nous reprenons la distinction faite par Le Velly (2007) entre deux formes d’encastrement complémentaires : l’encastrement-étayage et l’encastrement-insertion. Les termes d’« enchâssement » et d’« encastrement » sont ici équivalents.
-
[9]
Hauge & Ellingsen, 1998 ; Peters, 2004 ; Richards, 2005 ; Le Meur et al., 2006. Dans la même veine, l’abondance (et non plus la rareté) des ressources a pu servir d’explication à la prolifération des « nouvelles guerres » dans les pays africains dotés de ressources naturelles hautement valorisées et facilement contrôlables par un groupe organisé. On a ainsi parlé de « malédiction des ressources » (resource curse) (De Soysa, 2000).
-
[10]
L’argument de la pression démographique et foncière est modulable selon la vocation des différentes organisations d’aide au développement et à la reconstruction. Il est avancé par les organisations dédiées à l’appui aux agricultures familiales, quand les organisations qui promeuvent l’agriculture de marché et l’ouverture aux investissements internationaux voient l’Afrique comme continent « disponible » (Chouquer, 2012).
-
[11]
Cuvelier et al., 2013 ; Bavinck et al., 2014. Pour une opinion plus nuancée, voir Humphreys, 2005.
-
[12]
Voir aussi Utas, 2012 ; Jackson & Dexter, 2014 ; Van Leeuwen & Van Den Haar, 2016.
-
[13]
Fearon & Laitin, 2011 ; Jackson, 2006 ; Dunn, 2009 ; Geschiere, 2011 ; Côté & Mitchell, 2017 ; Boone, 2017. Les « guerres d’autochtonie » dont il est question ici ne relèvent pas de la problématique des luttes, portées par la « Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones », pour la reconnaissance des droits des « peuples premiers » ou des « populations minoritaires » (Bellier, 2013). Il existe un certain recouvrement des problématiques dans quelques rares pays africains.
-
[14]
En contexte africain, la « jeunesse » ne renvoie pas seulement à un critère biologique, mais davantage à une « position relationnelle » socialement et culturellement construite par rapport à d’autres générations et par rapport à des attributs et à des ressources qui confèrent (ou non) une compétence sociale et un pouvoir de prise de parole (Chauveau, 2005 ; 26).
-
[15]
Ou capacité socialement et culturellement construite des acteurs sociaux à se ménager des marges de manœuvre.
-
[16]
Parmi de nombreuses publications sur cette question, voir Abbink & Van Kessel, 2005 ; Bøås & Dunn, 2007 ; Hoffman, 2011 ; Chauveau et al., 2012.
-
[17]
Richards, 2005 ; Chelpi-den Hamer, 2009 ; Berckmoes & White, 2016 ; Montaz, 2015 ; Temudo & Abrantes, 2015.
-
[18]
Nous n’incluons pas ici les transactions entre les gouvernements et les firmes, qui relèvent du pur land grabbing sans véritables contreparties pour les populations.
-
[19]
Pour une synthèse sur les marchés fonciers en Afrique et leur encastrement social : Colin & Woodhouse, 2010 ; Lavigne Delville et al., 2017.
-
[20]
Sur les incidences des transactions monétarisées (achat-vente, faire-valoir indirects, contrats agraires) sur les relations intrafamiliales et intergénérationnelles en Côte d’Ivoire : Chauveau, 2006 ; Colin et al., 2007 ; Chauveau & Richards, 2008 ; Kouamé, 2010 ; Chauveau & Colin, 2010 ; Bobo, 2012 ; Colin, 2017).
-
[21]
Peluso & Watts, 2001 ; Sjögren, 2015 ; Péclard & Mechoulan, 2015.
-
[22]
Arnaut et al., 2008 ; Utas, 2012 ; Cuvelier et al., 2013 ; Debos, 2013 ; Raeymaekers, 2013.
-
[23]
Au sens de l’ensemble, plus ou moins stabilisé, des systèmes de sens, d’appartenance collective, de pouvoir et d’autorité, formels et informels, qui caractérisent le gouvernement des individus et des ressources dans le champ social rural (Le Meur, 2006 ; Jacob, 2007 ; Chauveau, 2017).