Couverture de RIED_238

Article de revue

Mobilisations citoyennes contre les accaparements fonciers en Mauritanie

Le cas du Brakna

Pages 61 à 88

Notes

  • [1]
    Voir notamment l’étude menée conjointement par l’Institut international de l’environnement et du développement (IIED), la Coalition internationale pour l’accès à la terre (International Land Coalition, ILC) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en 2012.
  • [2]
    Note officielle sur les conventions signées entre le gouvernement de la République islamique de Mauritanie et le groupe saoudien Al Rajhi.
  • [3]
    Procédure juridique par laquelle l’État inscrit des terres parmi le domaine public.
  • [4]
    Une institution financière non gouvernementale, à capitaux arabes, basée à Khartoum, au Soudan.
  • [5]
    Étant donné le caractère sensible de la question en Mauritanie, nous faisons le choix de préserver l’anonymat des personnes enquêtées.
  • [6]
    Cette terminologie a été utilisée pour la première fois par le Mouvement national démocratique (MND), de tendance marxiste, dans le sillage d’un conflit d’ordre communautaire en 1966.
  • [7]
    Président de la République de 1984 jusqu’à son renversement par un coup d’État en 2005.
  • [8]
    Terme arabe signifiant « expulsés ».
  • [9]
    « Il s’agit de groupes partageant, au moins virtuellement, des intérêts communs dans le domaine de l’accès aux ressources foncières et dans celui de leurs usages, et qui s’organisent, au moins momentanément, pour défendre ces intérêts » (Chauveau et Mathieu, 1998).
  • [10]
    Concrètement, un avis correspond à une feuille de dimension A4 où est mentionnée la volonté de l’État d’engager une procédure de domanialité pour une superficie donnée et demandant aux ayants droits de se manifester. Elle est publiée sur les murs des autorités régionales et départementales concernées.
  • [11]
    Pour la première concession, entre 2010 et juin 2011, trois avis ont été publiés par le Hakem (préfet) de Boghé. Un premier avis publié par le Hakem de Boghé, en septembre 2010, et faisant état de la décision de l’État d’attribuer 50 500 ha de terres au groupe Al Rajhi est remplacé par un autre, en mai 2011, qui réduit la superficie à 40 000 ha. Mais cet avis est vite annulé par les autorités administratives (ministère de l’Intérieur) et remplacé par un troisième avis, en juin 2011, qui ne mentionne plus les investisseurs saoudiens, mais évoque plutôt une procédure de domanialité au nom de l’État mauritanien.
  • [12]
    Le nombre de membres est variable en fonction de la taille de la commune. Ainsi la commune de Ould Birom comptait 7 membres, celle de Dar el Avia 6 membres et celle de Boghé 20 membres.
  • [13]
    Projet de renforcement des capacités de la société civile pour leur participation effective dans la définition, le suivi des stratégies et politiques pour un développement agricole et une sécurité alimentaire durable (Projet ARC/SA).
  • [14]
    Ces 31 000 ha s’intègrent dans une concession globale de 85 000 ha, dont 54 000 se trouvent dans la région frontalière du Trarza.
  • [15]
    Environ 750 euros.
  • [16]
    Gouverneur de région.
  • [17]
    La notion de « terres mortes » renvoie au droit musulman et celle de « terres sans maîtres » au droit colonial.
  • [18]
    Note officielle sur les conventions signées entre le gouvernement de la République islamique de Mauritanie et le groupe saoudien Al Rajhi.
  • [19]
    Hameau peuplé par des populations haratin et caractérisé par sa grande pauvreté.

Introduction

1Depuis 2008, de nombreuses entreprises – nationales et étrangères – cherchent à investir massivement dans l’acquisition et l’aménagement de terres dans la Vallée du fleuve Sénégal. Ce phénomène n’est pas propre à la Mauritanie, et de nombreuses études [1] ont été consacrées à cette « ruée sur les terres » dont le continent africain apparaît comme étant le principal destinataire. En Mauritanie, le gouvernement a tenté d’accorder, à partir de 2010, une succession de concessions foncières à des opérateurs privés arabes dans les régions du Brakna et du Trarza frontalières avec le fleuve Sénégal.

2Une première concession devait être accordée à un conglomérat familial saoudien, Al Rajhi, spécialisé principalement dans la banque et les finances, ainsi que dans l’agroalimentaire. Il a par le passé obtenu des concessions foncières à grande échelle sur les bords du Nil, d’abord au Soudan, puis en Égypte, pour la production de diverses cultures céréalières (blé, maïs, orge). En Mauritanie, des conventions ont été signées dès 2010 avec le groupe saoudien, pour des investissements dans différents secteurs – halieutique, agricole et pastoral – pour un montant total d’environ un milliard de dollars. La convention portant sur le secteur agricole prévoyait la mise à disposition, pour une durée de 99 ans, d’une superficie de 85 000 à 104 000 ha sur les rives du fleuve Sénégal. Le groupe s’engageait à y investir 355 millions de dollars et disposait de la liberté d’écouler la production tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays [2]. Pour respecter ses engagements, l’État entreprend, à partir de 2010, dans la seule région du Brakna, une procédure de domanialité [3] pour une superficie de 50 500 ha englobant les communes de Boghé, Ould Birom, Dar el Avia et Dar el Barka. Quelques années plus tard, en 2015, il utilise une partie des terres, devenues domaniales, pour accorder à un second investisseur, l’Autorité arabe pour l’investissement et le développement agricole (AAAID) [4], une superficie de 3 200 ha, cette fois-ci limitée à Dar el Barka. La concession est cédée pour une durée de vingt-cinq ans, en vue de produire des cultures maraîchères (oignons, pomme de terre). Les terres octroyées se situaient principalement dans le jeeri, qui correspond aux terres en hauteur, moins fertiles et difficiles à mettre en valeur, mais elles comportaient également des concessions parmi les terres convoitées du walo, qui correspondent aux terres inondées chaque année et où sont pratiquées des cultures de décrue.

3Ces concessions foncières interviennent parallèlement à un programme de rapatriement volontaire qui a conduit au retour, entre 2008 et 2012, de 24 536 réfugiés mauritaniens expulsés au Sénégal. La présence sur notre terrain de deux phénomènes de réinstallation de rapatriés et d’« accaparements de terres », contribue à complexifier la question de la recomposition de l’accès à la terre dans la région. Le mouvement de retour a contribué à tendre les rapports sociaux entre les différentes communautés qui peuplent la région, principalement autour de l’accès à la terre.

4Toutefois, dans le cadre de cet article, nous montrerons comment l’apparition de nouveaux enjeux fonciers, caractérisée par l’introduction d’acteurs privés étrangers, contribue à une recomposition des rapports sociaux autour du foncier. L’enchevêtrement de ces concessions foncières dans la même zone, leur succession dans le temps et surtout l’opacité et le manque de concertations qui les entourent ont contribué à faire naître un mouvement contestataire qui s’est renforcé au fil du temps, s’appuyant sur la création de structures de coordination (commissions foncières locales et départementales), d’un argumentaire bien établi et d’une union relative entre les membres du mouvement. Ainsi, à partir du cas de la région du Brakna, nous proposons de sortir d’une lecture conflictuelle des rapports sociaux communautaires en Mauritanie, à travers un conflit qui oppose l’État et des opérateurs privés à une alliance de populations locales issues de diverses communautés. L’étude du conflit permet de mettre en évidence les intérêts et les stratégies d’une multitude d’acteurs à différents niveaux, dans un contexte où la violence symbolique étatique ou privée est structurante et bien plus présente que la violence physique. L’analyse se fonde principalement sur des données primaires, recueillies à travers une série d’entretiens effectués avec les différentes parties au conflit, au niveau local (autorités, leaders du mouvement contestataire) et au niveau national (hommes politiques, fonctionnaires, médias, organisations non gouvernementales – ONG) [5]. Ces entretiens ont permis de collecter des documents inédits, dont le traitement permet de retracer le fil des événements. À noter que ces enquêtes ont été menées durant l’été 2016, à une époque où les conflits avec les opérateurs privés, toujours latents, avaient toutefois baissé en intensité.

5L’article se structure en trois parties : une première partie inscrit le conflit dans une temporalité longue, en introduisant le contexte national et local, marqué notamment par l’intervention, parfois violente, de l’État dans la régulation de l’accès à la terre. Une seconde partie expose la structuration et le développement du mouvement, en détaillant les méthodes d’action, les alliances avec des groupes extérieurs et le déroulement des événements. Une troisième partie aborde les stratégies de négociation mises en place face à un État hétérogène et les résultats obtenus.

1. Conflictualités locales d’accès aux ressources foncières

1.1. Le contrôle des ressources foncières par l’État

1.1.1. Question nationale et passif humanitaire

6En Mauritanie, les rapports entre communautés ont souvent été expliqués à la lumière de ce que l’on appelle communément la « question nationale [6] ». Depuis son indépendance, le pays est tiraillé par des tensions communautaires, entre des élites bidans, qui contrôlent la vie politique et économique du pays, et des élites haalpulaaren (peuls), soninkés et wolofs, qui se plaignent d’un modèle assimilationniste caractérisé par la place prépondérante de l’arabe et qui revendiquent une répartition plus équitable du pouvoir et des ressources entre communautés. Les principaux enjeux tournent autour de la définition de l’identité de l’État (arabe et/ou africain), de la question linguistique dans l’enseignement et l’administration, ou encore de la propriété foncière dans la Vallée du fleuve Sénégal (Marchesin, 1992 ; Ould Ahmed Salem, 2004).

7Le point d’orgue des tensions a été atteint lors des « événements » de 1989, qui aboutirent à l’expulsion au Sénégal, par le gouvernement mauritanien, de dizaines de milliers de ses propres ressortissants, principalement haalpulaaren et wolofs. En effet, en avril 1989, un incident frontalier classique entre éleveurs et agriculteurs prend soudainement de l’ampleur et sert de prétexte à des exactions au Sénégal et en Mauritanie contre des ressortissants mauritaniens et sénégalais. Le conflit prend ensuite une tout autre nature lorsque le régime de Ould Taya [7] expulse ses propres ressortissants : il devient un conflit interne. Il n’y a pas d’estimation précise, mais les chiffres oscillent entre 60 000 et 120 000 Mauritaniens expulsés ou ayant fui. Il s’agissait, en majorité, de Haalpulaaren qui vivaient le long du fleuve Sénégal. L’accaparement des terres fertiles du Sud et leur redistribution étaient un enjeu majeur lors de cette expulsion (Santoir, 1990 ; Vandermotten, 2004 ; N’Diaye, 2012). Il a été encouragé par un cadre législatif devenu plus favorable dans les années 1980.

1.1.2. L’ordonnance de 1983 et la redistribution des terres de la Vallée

8En Mauritanie, le régime foncier est régi par l’ordonnance de 1983, qui a mis fin à la propriété traditionnelle et instauré le régime domanial reconnaissant à l’État le contrôle des terres. La réforme foncière de 1983 était censée permettre la nationalisation de la terre, l’ouverture aux investissements privés et la fin des rapports sociaux archaïques (métayage, servage…) qui prévalaient. Cependant, comme dans bien d’autres contextes africains, l’exercice par l’État du monopole foncier a conduit plutôt à une gestion autoritaire, centralisée et clientéliste des ressources foncières selon le principe « la terre appartient à l’État » (Chauveau et Mathieu, 1998). Le premier décret d’application de l’ordonnance de 1983 a été publié en 1990, dans un contexte trouble, puis révisé en 2000 et en 2010. Dans ces circonstances, l’État mauritanien, en accord avec la législation foncière adoptée quelques années auparavant, a redistribué massivement les terres de la Vallée. D’abord au profit d’opérateurs privés nationaux, principalement des hommes d’affaires bidans, détenteurs du capital (Leservoisier, 1994). Mais parmi les bénéficiaires se trouvent également des communautés maures rapatriées du Sénégal, appelées musafirin[8], et principalement haratin (Ciavolella, 2010).

9L’État mauritanien a ainsi introduit les causes de tensions et de conflits fonciers dans les régions du Sud. Son action s’ajoute à d’autres facteurs de conflits, notamment l’introduction de l’irrigation dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) (Schmitz, 1993 ; Leservoisier, 1994), ainsi que les sécheresses des années 1970 qui ont accentué la pression sur les terres de la Vallée du fleuve Sénégal où se concentre l’essentiel des potentialités agricoles et pastorales du pays (Ould Cheikh, 1995). Il est donc tout à fait prévisible que le retour des réfugiés mauritaniens au Sénégal s’accompagne inévitablement de tensions liées au foncier.

1.2. Rapatriement et nouveaux enjeux fonciers

10Dès 1992, avec le rétablissement des relations diplomatiques et la réouverture des frontières, des réfugiés sont entrés au pays sans cadre officiel ni solennel. Une partie des réfugiés exigeait toutefois l’organisation d’un rapatriement « volontaire » sous l’égide du Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) désireux d’un cadre officiel permettant la reconnaissance des torts qu’ils ont subis et la restitution de leurs biens, notamment fonciers. Ce programme de rapatriement volontaire, entrepris par le régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi a conduit, selon les chiffres officiels, au retour de 24 536 réfugiés entre 2008 et 2012. La région du Brakna abrite deux tiers des personnes rapatriées, répartis dans 52 villages de retour dans la région. Parmi ceux-ci, les villages de Dar Salam et Houdalaye, situés respectivement dans les arrondissements de Dar El Barka et Boghé, ont accueilli plus de 2 000 rapatriés chacun, ce qui en fait les plus importants villages d’accueil au niveau national (UNHCR, 2012). Le retour des réfugiés a introduit de nouvelles formes de conflictualités qui se traduisent notamment par des revendications liées à la restitution des terres « spoliées ». Pas moins de 36 conflits ont été recensés par une étude du HCR (Kane, 2010) dans les villages de retour, opposant les communautés de rapatriés à leur population d’accueil.

11Lorsque le gouvernement, cherchant à attirer des investisseurs étrangers, engage une procédure de domanialité sur des dizaines de milliers d’hectares dans la région, le contexte foncier local est ainsi particulièrement tendu. Pourtant, l’ampleur de la concession et l’opacité dans laquelle elle a été octroyée ont conduit à une recomposition des alliances locales autour de nouveaux enjeux fonciers, avec l’apparition de nouveaux « groupes stratégiques [9] » (Chauveau et Mathieu, 1998) qui ne se constituent pas autour de clivages communautaires. Les figures de proue du mouvement contestataire sont issues des diverses communautés qui peuplent la zone : Haalpulaaren, Bidans et Haratin. Elles ont des parcours divers et des sensibilités politiques différentes. On trouve parmi eux des rapatriés, des musafirin, des opposants et des partisans du régime. L’annexe 1 présente les récits de vie de quelques leaders du mouvement. Ceux-ci, parmi d’autres, ont contribué à mettre en place une stratégie à différents niveaux, mobilisant des moyens et discours divers pour faire face à une menace de nature différente, provenant d’acteurs privés étrangers.

2. Du local au transnational, diversité du répertoire d’actions

12Les projets de concession foncière ont été entourés d’une grande opacité à tel point qu’il a été compliqué de reconstituer le déroulement des événements auprès des acteurs locaux. Les populations locales ont été informées par une succession d’avis [10], publiés par les autorités départementales de Boghé, avec des superficies, des lieux et des bénéficiaires parfois différents, traduisant une certaine improvisation des autorités [11]. Cela a également contribué à la confusion des populations locales, notamment sur les réelles intentions du gouvernement. Dès lors, une partie des habitants des villages affectés ont lancé un mouvement de protestation organisé autour de personnalités locales qui ont joué un rôle clé dans la mobilisation des populations ciblées et dans la constitution de l’argumentaire politique et juridique contre l’État et les investisseurs privés.

2.1. À la recherche de la structuration et de l’unité du mouvement

2.1.1. Création de commissions de suivi des affaires foncières et domaniales locales

13Faisant suite à la publication du premier avis, l’objectif a été de mettre en place, dès le mois d’octobre 2011 et sous l’impulsion d’un groupe de personnalités locales, principalement des chefs de villages et des élus locaux, des commissions de suivi des affaires foncières et domaniales au niveau de chaque commune. Celles-ci disposent d’un président et de membres désignés par une assemblée générale des délégués des villages se situant dans la zone concernée [12]. Les commissions ont joué un rôle essentiel dans la structuration du mouvement à la base : elles ont pour mission de mobiliser des soutiens à différents niveaux, informer les populations sur l’état de la situation et servir d’interface avec les autorités. En ce sens, elles contribuent à unifier la voix et les positions du mouvement. Toutefois, elles n’ont pas de mandat pour négocier avec les autorités ou l’investisseur, leur rôle se limitant au plaidoyer et à la recherche de financements afin d’éviter toute récupération politique du mouvement. Une commission intercommunale a également été mise en place et regroupe les membres des différentes commissions au niveau du département.

14L’organisation de commissions foncières a été suivie de près et appuyée par le Réseau des organisations de sécurité alimentaire (Rosa), et le Forum des organisations nationales de droits humains (Fonadh). Le Fonadh, qui regroupe dix-neuf organisations de différents types présentes partout dans le pays, a été créé en novembre 2000 et reconnu en août 2006. Il œuvre en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’homme et, à ce titre, s’est particulièrement positionné sur les questions liées au « passif humanitaire ». Le Rosa a été créé en 2010 dans le but, entre autres, de faire un plaidoyer pour contribuer à la sécurisation des moyens de production et à la promotion de la citoyenneté paysanne.

2.1.2. Chercher des alliés

15Une fois les commissions mises en place, celles-ci ont manifesté aux autorités locales et nationales leurs inquiétudes et leur refus d’accepter une décision qu’elles estiment « arbitraire » et en « violation de la réglementation en vigueur », selon une note écrite exprimant cette position. Puis, sur invitation du Rosa, et plus précisément l’organisation non gouvernementale Oxfam Intermon, la commission intercommunale s’est rendu à Nouakchott pour y tenir une conférence de presse en décembre 2010, l’objectif principal étant de porter la question au niveau de l’opinion nationale et internationale. Suite aux affiches publiées en mai et juin 2011, une seconde mission de la commission intercommunale a été organisée, à Nouakchott, en octobre 2011, cette fois pour s’entretenir avec différents acteurs, soit pour leur exposer leurs inquiétudes et rejet, soit pour les sensibiliser à la question. La mission a été reçue par le ministre des Finances, puis par le ministre de l’Agriculture et du Développement rural.

16Les commissions ont également rencontré les chancelleries occidentales (États-Unis, Espagne, Union européenne – UE) et l’Agence des Nations unies pour les droits de l’homme pour les informer de la situation. Elles ont aussi rencontré les leaders des principaux partis politiques d’opposition ainsi que certaines organisations de la société civile (Oxfam, Fonadh, Rosa, Association mauritanienne des droits de l’homme, etc.). Ces rencontres ont contribué à promouvoir la question foncière parmi les priorités des bailleurs et à orienter une partie de leurs financements au profit des organisations de la société civile engagées. Ainsi, le Rosa bénéficie depuis juin 2014 du financement d’un projet cofinancé par l’UE et Oxfam, d’un montant de 200 000 euros, en vue de renforcer les capacités de la société civile à porter la voix des petits producteurs dans les politiques les concernant [13]. De même, entre 2014 et 2016, le Fonadh a organisé des ateliers de réflexion autour de la question foncière dans le Sud du pays, en partenariat avec Oxfam, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et l’UE.

Figure 1 : Chronologie des principaux événements

Figure 1 : Chronologie des principaux événements

Figure 1 : Chronologie des principaux événements

Source : Ahmedou, 2019.

2.1.3. Chercher des financements

17L’action de plaidoyer mené par les commissions communales, à différents niveaux, a porté ses fruits dans la mesure où le premier projet de concession foncière a été assez rapidement suspendu par le gouvernement, du moins pour un moment. En effet, entre les mois de juin 2013 et janvier 2014, les autorités sont revenues à la charge et ont successivement publié un nouvel avis portant concession d’une superficie de 31 000 ha au profit du même groupe Al Rajhi, dans la région du Brakna [14], engagé la procédure de domanialité des terres et approuvé en Conseil des ministres les conventions avec le groupe saoudien. Face à cette nouvelle offensive, le conflit entre dans sa seconde phase et les populations se sont appuyées sur les bases déjà mises en place :

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Ils ont publié une affiche pour un second projet de 31 000 ha, toujours pour Al Rajhi. La différence est que l’un était de 50 000 ha, l’autre de 31 000 ha. On n’a pas compris la raison et on n’a pas cherché à la connaître. L’essentiel est que le premier projet a été abandonné et notre lutte a commencé pour le prochain. On n’a pas changé grand-chose dans notre organisation. Ça s’est inscrit dans la continuité. (Membre de la commission de Boghé, août 2016)

19Cette seconde phase du conflit est toutefois plus coûteuse. Les commissions ont notamment mobilisé les populations dans l’optique d’une démonstration de force auprès de ministres qui s’étaient rendus à M’Guerinatt, dans la commune de Ould Birom, pour une réunion avec les populations. Pour rassembler des centaines de personnes, les moyens financiers deviennent cruciaux et les appuis des organisations de la société civile insuffisants. Un mécanisme de financement interne a ainsi été instauré :

20

Nous avons mobilisé la population locale, loué des cars et créé des banderoles, et nous sommes allés à la rencontre des ministres à M’Guerinatt. Cela nous a coûté 300 000 MRO [15] sur notre propre budget, sans compter l’appui qu’on a reçu du Fonadh et du Rosa qui ont beaucoup travaillé avec nous. La mobilisation était plus importante durant cette seconde phase. Durant la première phase, on s’est beaucoup appuyé sur les moyens médiatiques et diplomatiques (ambassades). Pour la seconde phase, on a dû adopter des cotisations par village. Nous avons recensé les délégués par village et, pour chaque délégué, selon la taille du village, on a proposé des contributions. (Membre de la commission de Dar El Avia, juillet 2016)

2.1.4. Blocage des travaux topographiques et emprisonnement

21Les moyens d’action, qui se veulent toujours pacifiques, évoluent en fonction de l’intensité du conflit. Les deux premières phases du conflit, qui opposaient les populations au groupe Al Rajhi – ou plutôt à l’État – se sont déroulées sans heurts ni affrontements. Il faut souligner que l’investisseur saoudien, au courant des tensions sur le terrain, n’a entrepris aucune action visant à concrétiser le projet. Toutefois, en 2015, lorsque le gouvernement décide d’octroyer une parcelle de 3 200 ha à l’AAAID, des topographes sont déployés sur le terrain dans le cadre d’une étude de faisabilité. Leur travail est interrompu par un groupe d’habitants, alerté par une présence inhabituelle dans la cuvette. La commission communale, avertie, décide également d’organiser un sit-in permanent dans la parcelle et d’y dresser des tentes. Cette action sera empêchée par le Hakem (préfet), qui menace par ailleurs de détention toute personne entravant les travaux des topographes. Ces derniers seront de retour quelques mois plus tard, en août 2015, et une nouvelle tentative, conduite par un groupe de quatre personnes, d’interrompre le travail va conduire ces derniers en détention.

22Les détenus resteront dix-sept jours en prison et seront libérés à la suite de l’intervention du Premier ministre, Yahya Ould Hademine, ce dernier ayant été sollicité par la commission de Dar el Barka, qui se trouvait en mission à Nouakchott à cette période. Préalablement, une autre détention avait eu lieu, au mois de juin 2015 lorsque des membres de la commission, pourtant partisans du pouvoir, projetaient de déployer des banderoles de protestation, lors d’une tournée du président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, dans le Brakna. Ils ont été détenus de façon préventive, pendant une semaine, pour empêcher leur action. Ce climat marqué par les détentions a contribué à tendre le conflit. Parallèlement, la commission de Dar el Barka, avec l’appui des autres commissions communales, a intensifié son travail, au niveau de Nouakchott, auprès des hautes autorités, tout en organisant des sit-in chez le Hakem ou le Wali [16].

2.1.5. Une médiatisation du conflit à l’international

23Les commissions ont également entrepris une sensibilisation à l’international. Celle-ci s’est faite à travers la participation à des événements sous-régionaux. Ainsi, le président de la commission intercommunale a présenté une communication sur le conflit foncier du Brakna lors de la Conférence internationale « Stop à l’accaparement des terres », qui s’est tenue du 17 au 20 novembre 2011, au Mali (village Nyéléni, à Sélingué). Plus tard, en avril 2016, une délégation de la commission intercommunale a pris part à la Caravane ouest-africaine pour l’eau, la terre et les semences, qui s’est achevée à Dakar, au Sénégal, et qui regroupait des participants de la sous-région, afin de faire entendre les voix des communautés et populations et d’interpeller les autorités sur la question foncière.

24Par ailleurs, la diaspora haalpulaaren a également mené un travail de sensibilisation et d’interpellation. Leservoisier (2017) relate ainsi la création d’un groupement économique international destiné au développement de la région du Fouta Toro. Il affirme que la décision de créer ce groupement est directement liée au problème d’accaparement des terres dans la vallée, notamment dans la région du Brakna, mais aussi au Sénégal, faisant suite à la concession de 20 000 ha dans la commune rurale de Fanaye (département de Podor) au profit d’entreprises italo-sénégalaises. Le groupement, fondé en décembre 2014 à New York, a également des ramifications en Europe. Son but affiché est d’aider au développement des régions agricoles du fleuve pour éviter que les terres ne soient redistribuées à des opérateurs privés (Leservoisier, 2017).

2.2. Faire face aux pressions et aux dissensions internes

2.2.1. La question de la représentativité

25Les populations de la région ne sont pas toutes contre les projets de concession foncière. Ceux-ci sont notamment soutenus par de nombreux cadres et notables issus de la région. Leur premier combat a été de s’imposer comme étant les représentants légitimes des populations et de discréditer le mouvement de contestation. C’est notamment sous leur initiative que le Hakem a refusé de reconnaître les commissions foncières au motif que celles-ci ne seraient pas représentatives. À Nouakchott, certains hauts fonctionnaires issus de la région se sont également positionnés comme interlocuteurs avec les populations, tout en essayant de saper les efforts de sensibilisation des commissions foncières contre le projet.

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Les tentatives de dissension n’ont pas cessé. On travaille avec cette donne permanente. Lorsque nous sommes allés à Nouakchott pour sensibiliser, nos cadres politiciens, membres de l’UPR (parti au pouvoir), avaient déjà pris contact avec le ministre de l’Agriculture. Ces gens-là ont voulu nous faire barrage quand nous étions à Nouakchott, en voulant nous empêcher de rencontrer les autorités. Nos cadres n’ont reçu aucun mandat des populations, contrairement à nous, pour parler en leur nom. Ils constituent plutôt un rempart du pouvoir pour tenter de briser notre lutte. (Membre de la commission de Boghé, juillet 2016)

2.2.2. Pressions tribales et communautaires

27Par ailleurs, les communautés maures ont été les cibles de pressions politiques, jouant sur la fibre tribale, l’objectif étant de rompre la diversité communautaire du mouvement et de le réduire à un conflit entre le gouvernement et une minorité de Haalpulaaren qui serait « politisée ». Le village de Regba, dans la commune de Dar el Barka, peuplé par des Haratin de la tribu des Idjeijba, a ainsi été le théâtre d’une tentative de division, lors de la troisième phase du conflit, en 2015, opposant les populations et l’AAAID :

28

À Regba, les Maures blancs sont venus avec le maire d’Aleg pour convaincre les habitants d’abandonner le mouvement. Officiellement, ils étaient venus les soutenir, mais ils n’avaient pas tous le même mobile. Certains voulaient briser le mouvement, car si les habitants de Regba avaient abandonné, cela aurait été un déclic. Il serait resté seulement la communauté haalpulaaren de Dar el Barka qui n’est pas majoritaire dans la cuvette. Mais le mouvement est resté soudé. (Membre de la commission de Dar el Avia, août 2016)

2.2.3. « Politisation du conflit »

29Les tentatives de division communautaire interviennent dans une volonté plus large d’inscrire le conflit dans une dimension politique. En d’autres termes, le conflit serait manipulé par une minorité d’opposants au pouvoir cherchant à saboter les projets du régime, et ce, bien que le mouvement soit composé d’un certain nombre de partisans du régime. Les périodes électorales ont été particulièrement propices aux divisions. Boone (2009) a démontré que dans le contexte africain, où les droits de propriété sont fragiles, les périodes électorales favorisent l’expression d’un populisme électoral, avec l’usage de la terre comme ressource clientéliste. Les élections locales de 2013 et celle présidentielle de 2014 ont été l’occasion pour un certain nombre d’acteurs politiques de reconfigurer les alliances et, pour le gouvernement, d’écarter des élus locaux trop engagés contre les projets de l’État, et ce, bien qu’ils soient issus de la majorité présidentielle.

30

À Dar el Barka, le litige a pris une tournure politique lorsqu’il a opposé deux tendances politiques représentées par l’ex-maire (de 2006 à 2014), figure du mouvement de contestation, et le maire élu suite aux élections de 2014, partisan du projet. Tous deux sont membres de la majorité présidentielle et issus de tribus et familles influentes (Haratin et Haalpulaaren). Le maire nouvellement élu a souhaité déplacer le litige foncier sur le terrain politique et est parvenu à convaincre des membres du mouvement de protestation de ne pas assister aux réunions chez l’ex-maire en arguant qu’elles seraient « politisées » et que leur présence marquerait leur soutien à sa tendance.

2.2.4. Rupture avec la base

31Les missions menées à Nouakchott pour sensibiliser et alerter les acteurs nationaux ont été cruciales dans le cadre du conflit foncier. Mais elles comportaient le risque d’une rupture entre les notables qui se rendent dans la capitale et les populations qui poursuivent leur mobilisation à la base. Cela est survenu une fois, lors du litige de Dar el Barka, en 2015. La commission communale qui était en mission de longue durée à Nouakchott entreprenait des contacts avec les hautes autorités et se pensait investie par les populations pour engager des négociations avec le gouvernement. L’absence d’information des populations au niveau de la base a créé une certaine frustration, attisée par les diverses rumeurs qui circulaient sur un possible accord.

32

À un certain moment il y a eu un malentendu entre nous, voire une rupture. Nous, notre principe, c’est qu’il n’y a pas de négociation, et si elle doit avoir lieu, c’est ici et pas à Nouakchott. Eux, ils n’ont pas été mandatés pour négocier mais pour chercher des appuis. Ils ont entrepris deux semaines de négociation sans qu’on en soit informés, mis à part des rumeurs. On a adopté le profil bas, car n’étant pas tellement informés, on ne voulait pas envenimer la situation et éviter de montrer les dissensions. (Membre de la commission de Dar el Avia, août 2016)

33Les diverses pressions et tentatives de division sont toutefois restées relatives et n’ont pas réussi à ébranler un mouvement qui est resté soudé jusqu’à la fin.

3. Négociations, diversité des arguments et des discours mobilisés

34Pour faire face à l’État, qui dispose du droit légal d’immatriculer des terres en son nom, les commissions vont entreprendre l’élaboration d’un argumentaire détaillé et réfléchi, mobilisant principalement des sources du droit contradictoires avec la loi de 1983, mais également un discours politique axé sur le passif humanitaire de l’État.

3.1. Construire un argumentaire : entre rhétoriques normative et politique

3.1.1. Le débat autour des terres mortes

35La question des terres sans maîtres ou dites « mortes [17] » est le fondement par lequel l’État s’approprie les terres, au motif qu’elles ne seraient pas mises en valeur. Cette question suscite de nombreuses controverses entre légistes mauritaniens. Ainsi, Ould al Bara (2018) souligne que certains légistes considèrent que « la qualification de terre vacante et sans maître (mawât) ne peut être appliquée à un espace revendiqué comme pâturage usuel par un groupe particulier ». Les terres de la vallée sont lieux de pâturage, de culture et de pêche pour leurs habitants, et les concessions foncières englobent toutes les ressources (pâturages, eau, puits, forage), incluant également les nombreux villages, hameaux, ainsi que les cimetières de la région.

36

Purger les droits des tiers éventuels ne peut en aucune façon évacuer nos droits d’usage communs, collectifs, globaux et solidaires sur cette zone. Au-delà des droits des tiers, il y a nos droits généraux, collectifs, indivisibles. Ceux de l’accès permanent, sans préalable, aux ressources naturelles de notre terroir, ceux de pouvoir protéger les ressources et l’espace dont nous dépendons, de défendre et sauvegarder l’écosystème dans lequel nous vivons. (Commission intercommunale de suivi des affaires foncières et domaniales, Boghé, juillet 2011)

37Par ailleurs, Leservoisier (2017) met en évidence la difficulté de déceler une mise en valeur des terres dans la vallée du fleuve Sénégal, soulignant que « certains terrains de culture régulièrement inondés n’exigent pas de travaux de défrichement et sont cultivés tels quels au moment de la décrue ». Pour les populations interrogées, le problème se situe également dans le manque de ressources dont elles disposent pour aménager leurs parcelles et dans les mauvaises conditions climatiques.

38

Les conséquences de la sécheresse sont manifestes et l’État en a beaucoup profité. La situation a tellement changé. Les populations n’ont pas accès au système bancaire pour aménager leurs terres. Elles ne peuvent qu’attendre les inondations qui ne viennent plus. D’où le profit de l’État qui considère cela comme des terres mortes. (Membre de la commission de Boghé, août 2016)

3.1.2. La mobilisation de textes juridiques

39La lutte contre les projets de concession foncière s’est aussi faite sur le plan juridique. Dans un premier temps, les commissions, appuyées par le Fonadh et Rosa, ont tenté de déceler des vices de procédures. En effet, la loi exige, avant de procéder à l’affichage des avis publics, d’engager des études de faisabilité et d’impact, d’élaborer un programme de mise en valeur, de consulter les populations concernées et de recueillir l’avis écrit des municipalités concernées. De même, la publicité telle que prescrite dans les textes, c’est-à-dire au niveau de chaque commune et en langues nationales, n’a pas été faite. Autant d’éléments qui justifient, selon les commissions, l’annulation d’une procédure entachée de vices.

40Par ailleurs, les commissions communales s’appuient sur le potentiel pastoral de la zone pour justifier sa mise en valeur. La zone visée est à haute intensité pastorale. Elle est surexploitée par le bétail, avec la présence de forages pastoraux et des puits et mares pour l’abreuvage du bétail. À ce titre, les commissions ont soulevé la violation de l’article 54 de l’ordonnance foncière de 1983 qui stipule que

41

les concessions rurales ne peuvent être accordées dans les zones à haute utilité pastorale, dans les espaces vitaux ou les réserves foncières à proximité immédiate des cimetières, des forêts classées ou tout autre espace protégé […].

42Par ailleurs, le code pastoral est également mobilisé dans la mesure où il précise dans ses articles 11, 12 et 15 qu’« aucun aménagement […] ne sera entrepris s’il peut porter atteinte aux intérêts vitaux des pasteurs » ou « leur accès aux ressources pastorales ».

43Sur la base de leur argumentaire juridique, les populations ont pu contester les projets de concession foncière et les déclarer « en violation de la législation foncière ». De plus, avec l’appui du Rosa et du Fonadh, les commissions ont entrepris le recensement de l’ensemble des sites d’habitation, des points d’eau et des cimetières concernés par la concession foncière. Des groupes de travail ont également été mis en œuvre pour recenser les propriétaires de chaque cuvette concernée. Elles ont également listé l’ensemble des pièces administratives qui attestent d’une concession provisoire de propriété. Celles-ci étaient notamment délivrées au profit des coopératives de la région. Mais elles ont toutes été rejetées par les autorités départementales, estimant qu’elles étaient caduques et sans valeur au regard de la loi de 1983, et permettant ainsi à l’État d’engager avec succès sa procédure de domanialité en septembre 2013.

3.1.3. Le conflit comme une continuité des événements de 1989

44Une autre rhétorique développée par une partie du mouvement de contestation a consisté à le placer sur le terrain politique, notamment du passif humanitaire. En d’autres termes, les expropriations foncières récentes au profit d’opérateurs privés ne seraient qu’une forme nouvelle d’expropriation qui s’inscrit dans la continuité des expulsions de 1989, et qui traduisent la volonté de l’État mauritanien de contrôler les terres de la Vallée. Ce discours s’inscrit dans un contexte marqué par le rapatriement des réfugiés mauritaniens au Sénégal, achevé en décembre 2012.

45La restitution des terres dont ils ont été dépossédés est l’exigence principale des rapatriés. Mais dans un pays où le potentiel foncier ne cesse de diminuer, retrouver des terres dont on a été dépossédé il y a plus de vingt ans n’est pas aisé. Les rapatriés appuient leur revendication sur la promesse du gouvernement mauritanien de leur restituer leurs terres. Cet engagement exprimé « verbalement » par les autorités mauritaniennes aux représentants des rapatriés n’a pas été accompagné d’un cadre normatif coercitif. Les projets de concession foncière interviennent ainsi dans un climat de frustration et de déception, exacerbé par les promesses non tenues du gouvernement à l’égard des rapatriés.

46Au niveau national, ce discours est porté principalement par des mouvements politiques positionnés sur les questions de l’esclavage et du passif humanitaire. Ainsi l’organisation anti-esclavagiste Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), non reconnue, par les autorités, a introduit la notion d’« esclavage foncier » dans le débat national pour dénoncer les concessions foncières à grande échelle, qui s’inscriraient dans la droite lignée des expropriations de 1989. Dans ce cadre, une caravane contre l’esclavage foncier et la spoliation des terres a été organisé par l’IRA, en novembre 2014, en partenariat avec un collectif d’associations, dans les régions du fleuve Sénégal. La caravane, non autorisée par les autorités, s’est achevée à Rosso, dans la région du Trarza, par une violente répression, suivie de l’arrestation des organisateurs et des militants, notamment le leader du mouvement Biram Dah Abeid.

3.2. Négocier avec un État pluriel

47La consolidation de l’argumentaire était une étape essentielle dans la lutte pacifique menée par les commissions. Elle est d’autant plus importante qu’en face, l’État n’a pas été en mesure de présenter un discours uni et cohérent entre toutes ses tendances.

3.2.1. Divergences au sein de l’État

48De nombreux travaux scientifiques ont remis en cause le caractère homogène de l’État, en tant qu’entité unique qui agirait avec « préméditation, compétence et consensus » (Hall et al., 2015), et s’intéressent à son déploiement sur différentes échelles spatiales et administratives, en soulignant les multiples interactions avec des acteurs non étatiques (Hassenteufel, 2008). Cette approche par la sociologie de l’action publique privilégie une lecture de l’État comme étant un dispositif hétérogène et hybride ayant des acteurs multiples, aux intérêts divers et se livrant une lutte d’influence interne (Boone, 2009 ; Lund et Boone, 2013).

49Les commissions communales ont eu à négocier avec des interlocuteurs divers à des niveaux de responsabilité différents. Ils ont été reçus tour à tour par les ministres de l’Intérieur, des Finances et de l’Agriculture, tous ayant des prérogatives dans la question foncière. Dans le cadre du conflit spécifique de Dar el Barka, en 2015, le Premier ministre s’est chargé en personne des négociations. Les rencontres ont mis en évidence des divergences au sein même du gouvernement, entre partisans d’une ligne dure face aux opposants du projet, tel que le ministre de l’Agriculture, et ceux favorables à un apaisement et une suspension du projet, tel que le ministre de l’Intérieur.

50Par ailleurs, l’État a mobilisé des hauts fonctionnaires ainsi que des officiers supérieurs de l’armée, tous issus de la région, pour négocier avec les populations locales. Parmi eux se trouvent un général de l’armée, des secrétaires généraux de ministères, des responsables d’établissements publics, des conseillers du Président de la République et du Premier ministre, ou encore un ex-ambassadeur en France. Dans ce contexte, des cadres de la région ont été envoyés en mission pour résoudre, sans succès, le conflit de Dar el Barka, au mois de mai 2015. Plus tôt, en 2014, un officier supérieur de l’armée a été mandaté dans la région par les autorités pour faire un état des lieux et proposer des recommandations, faisant suite à la concession de 31 000 ha à Al Rajhi. Son rapport signale une mauvaise sensibilisation des populations et recommande de surseoir au projet tant qu’une sensibilisation effective n’a pas été menée. Les divergences entre les différents courants au sein de l’État ont contribué à rééquilibrer les rapports de force avec les opposants aux concessions foncières :

51

Je ne pense pas que le rapport de force était en notre faveur. Je n’ai jamais eu ce calcul, car, en Mauritanie, les alliances se font et se défont rapidement. Le temps est contre nous. Nous ne sommes pas bien outillés. L’administration peut calmer les choses pendant un mois ou deux et reprendre les hostilités. Moi, je ne peux pas rester mobilisé un mois, car il me faut nourrir ma famille. Je n’ai jamais compté sur le rapport de force, mais j’ai toujours eu l’idée que certains membres de l’administration auront le bon sens de prêcher un discours rationnel et faire marche arrière. (Membre de la commission de Dar el Avia, août 2016)

52La position de l’État a ainsi été exprimée par des personnalités distinctes à des degrés divers de responsabilité, ce qui a contribué à faire naître des réticences au sein même de l’appareil étatique.

3.2.2. L’issue des négociations

53Dans le cadre du conflit impliquant Al Rajhi, les populations ont exprimé leur rejet du projet, notamment eu égard aux importantes superficies en jeu. L’investisseur saoudien n’a jamais entrepris une quelconque action en vue de mettre en œuvre le projet, pas même une étude de faisabilité. Informé des tensions avec les populations, il s’est prévalu d’une clause dans les conventions avec le gouvernement mauritanien pour se retirer. Cette clause prévoyait que le gouvernement s’engage à « libérer les terrains de tous engagements, contraintes, avantages ou droits au profit des tiers [18] ». Le groupe saoudien aurait pourtant pu mettre en place les autres projets dans les domaines halieutiques ou pastoraux qui n’étaient pas interdépendants avec le projet agricole. Mais les investisseurs ont considéré le démarrage du projet agricole comme une condition sine qua non à leur engagement dans le pays.

54Dans le cas de Dar el Barka, l’investisseur, l’AAAID, a entamé les études techniques préalables à la mise en œuvre du projet. Les populations réunies autour de la commission de Dar el Barka ont élaboré des propositions s’articulant autour de la mise en place d’un comité tripartite (incluant investisseurs privés, État, populations locales) chargé de l’orientation stratégique du projet et l’adoption d’un plan de l’aménagement global de la région de Dar el Barka, qui délimite la zone du projet par rapport aux espaces exploités par les populations.

55Les propositions des populations ont été rejetées en bloc par le gouvernement, qui est passé en force dans le cas de Dar el Barka. Dans une réponse à une question orale d’un député de l’opposition sur le litige foncier, le ministre des Finances a souligné que « le concept de propriété communautaire est inacceptable dans un État central uni » et « que les projets de développement sur l’ensemble du pays ne sauraient être paralysés par de telles considérations » (Agence mauritanienne d’information, 2016). Un rapport de force qui a tourné en faveur des autorités et qui remet en cause les capacités du mouvement de résistance à s’adapter à un temps parfois long et dont l’État est maître.

56

L’État a une continuité. Nous, paysans, quelle force avons-nous ? Nous savons que, culturellement, aucun de nous ne prendra un bâton contre les investisseurs, à plus forte raison un fusil, surtout s’ils ont une autorisation et protection de l’État. Donc, ce qui me fait peur, c’est jusque quand peut tenir notre résistance et si nous pouvons amener l’État à reconnaître nos droits. (Membre de la commission de Dar el Barka, août 2016)

Conclusion

57Les conflits fonciers en Mauritanie s’inscrivent dans une temporalité longue et puisent leurs racines agraires et sociales dans des processus hérités (loi de 1983), des risques naturels (faibles potentialités agropastorales du pays, aléas climatiques) et un passif humanitaire (événements de 1989) encore vivace dans la mémoire collective. Au niveau national, les dynamiques politiques et les dynamiques foncières apparaissent indissociables, notamment faisant suite au rapatriement des réfugiés au Sénégal qui s’est accompagné de nouvelles revendications liées à l’affirmation de droits subjectifs, en premier lieu la restitution des terres expropriées lors de l’expulsion des réfugiés en 1989. La revendication de ces droits contribue à inscrire les conflits fonciers actuels dans le prolongement des événements de 1989. Au niveau local, les conflits récents que nous avons relatés ont été caractérisés par des périodes successives d’accalmie et d’intensité, en fonction des mesures prises par le gouvernement et du répertoire d’actions employé par les populations. Les négociations autour des conflits apparaissent comme étant des processus hybrides, où les alliances se font et se défont, et impliquant des acteurs à des échelles différentes et ayant des intérêts divers.


Annexe 1. Portraits croisés de leaders du Mouvement

DM, haut fonctionnaire à la retraite, rapatrié, Boghé

58Né à Djilom, près de Boghé, en juin 1947, DM est issu de la première promotion d’études primaires de Sarandougou et de la première promotion du collège de Boghé. Il poursuit ses études au lycée de Boghé puis de Nouakchott, d’où il est exclu en mars 1970, déjà à l’époque pour son militantisme syndical. Il est ensuite embauché par la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), où il poursuit son activité syndicale. Armé d’une conscience politique et révolutionnaire, il rejoint le Mouvement national démocratique (MND), mouvement clandestin de tendance marxiste. Il s’engage, en 1973, dans la « révolution professionnelle », à travers une formation théorique et pratique, en vue de renverser le régime de Mokhtar Ould Daddah. Puis, des dissensions internes et des conflits au sein du MND le conduiront à prendre ses distances et à retourner à la CNSS, où il est en charge des travailleurs migrants et de la coopération internationale. Il quitte définitivement la vie politique et syndicale en 1975, déçu que la seule formation à laquelle il croyait ait été noyautée et ait dévié de son combat. En 1989, DM est parmi les fonctionnaires mauritaniens expulsés au Sénégal ; il se retrouve alors dans un camp de réfugiés près de Saint-Louis. Il rejoint une structure militaire et politique, le Front pour la résistance armée de Mauritanie (Furam), où il milite pour l’unification du mouvement des réfugiés et prône leur retour dans le pays. Il rentre dans son village, en Mauritanie, en décembre 1991 puis parvient, avec l’aide des « hautes autorités » de l’État, à retrouver son emploi à la CNSS en février 1993. Se sentant marginalisé depuis son retour, il quitte avec frustration l’institution en 2002 alors qu’il est conseiller à la direction du recouvrement. Il vit depuis dans son village natal et a collaboré ponctuellement avec la mairie de Boghé.

BOI, imam de mosquée, Ould Birom

59BOI est né en 1970, à Regba, un village de la commune de Ould Birom où habite une communauté de Haratin, membre de la tribu Idjeijba. BOI se décrit comme un nomade, partageant sa vie entre la ville et la « brousse ». Il grandit dans son village jusqu’en 1986, date à laquelle il s’installe à Dakar, au Sénégal, pour entreprendre un petit commerce de détail. Il n’est pas épargné par les événements de 1989 et se retrouve parmi les musafirin expulsés vers la Mauritanie. Il devient, à ce titre, un rapatrié et se retrouve à Nouadhibou, entre 1991 et 1996, où il multiplie les expériences professionnelles, d’abord à la Société nationale industrielle et minière (SNIM) en tant qu’ouvrier manœuvre, puis dans une raffinerie, avant de devenir matelot. En 1996, il devient commerçant de bétail et ouvre une dibiterie à Nouakchott, mais il est contraint de rentrer définitivement à Regba, en 2002, pour être plus proche de ses parents, dont la santé est fragile. Il vit de ses productions céréalière et maraîchère et de divers commerces. Il est, par ailleurs, l’imam de la mosquée du village depuis sa création, en 1996.

CTOB, ancien sous-officier de l’Armée de l’air, Dar el Avia

60CTOB est né en 1958 dans la commune de Dar el Avia, plus précisément dans un Adwaba [19], devenu aujourd’hui le village de Mouftah el Kheir. Issu d’une famille paysanne maure (Haratin) de la tribu des Idjeijba, il a « la chance » d’être scolarisé à partir de 1965 à l’école d’Aleg. Mais sa famille étant dans le besoin, il quitte l’école prématurément pour intégrer l’Armée de l’air en 1977. Il poursuit une formation de trois ans au Maroc suite à laquelle il devient sous-officier. À son retour, CTOB cherche par tous les moyens à quitter l’armée qui ne correspond pas à son profil de « révolutionnaire ». Il y parvient en 1985 et rejoint la Société nationale industrielle et minière (SNIM) en tant que chef de section. Il s’engage syndicalement et devient délégué du personnel des chemins de fer, ce qui lui vaut très rapidement d’être « indésirable » auprès de la direction. En 1993, il est « éjecté » vers la société d’Assainissement, de travaux, de transport et de maintenance (ATTM), une filiale nouvellement créée de la SNIM, spécialisée dans les travaux publics, un domaine qui l’intéresse peu. À cela s’ajoute une dégradation de son statut et de ses avantages, qui va le conduire à « rentrer au bercail » pour cultiver la terre dans son village natal. Il ne le quittera que pour une aventure de courte durée en Arabie saoudite, à la recherche d’un avenir meilleur. Dans sa commune de Dar el Avia, CTOB s’investit dans « la chose publique » et devient, en 1996, conseiller municipal durant un mandat. À ce jour, il a plusieurs « casquettes » dans la société civile : président de la coopérative rizicole de Mouftah el Kheir, président de l’Union départementale des coopératives de Boghé et secrétaire général de la Maison de la société civile de Boghé.

Bibliographie

Bibliographie

  • Documents

    • Agence mauritanienne d’information, « La Mauritanie a réalisé des réformes institutionnelles profondes pour promouvoir le secteur privé et drainer les investissements (ministre de l’Économie et des Finances)», Nouakchott, 08/06/2016, http://fr.ami.mr/Depeche-36357.html (consulté en février 2019).
    • Position des habitants des municipalités de Ould Birom, Dar el Barka et d’Ajweir, 04/08/2013.
    • Procès-verbal de la réunion de la commission de prévention et d’arbitrage des conflits fonciers collectifs de la Moughataa de Boghé, 19/08/2013.
    • Procès-verbal de la réunion de la commission de prévention et d’arbitrage des conflits fonciers collectifs de la Moughataa de Boghé, 15/09/2013.
    • Procès-verbal de la réunion de la commission régionale de prévention et d’arbitrage des conflits fonciers collectifs, 15/09/2013.
    • Lettre du ministre de l’Agriculture au ministre des Finances relative à l’attribution des terres au groupe Errajihi, 22/09/2013.
    • Procès-verbal de réunion des commissions de Dar el Barka et Ould Birom pour le suivi des affaires foncières, 20/01/2014.
    • Lettre de la coordination des commissions de Dar el Barka, Ould Birom et Dar El Avia pour le suivi des affaires foncières au Président de la République, 30/01/2014.
    • Communiqué de presse des commissions foncières de Dar el Barka, Ould Birom et Dar el Avia pour le suivi des affaires foncières, suite à la rencontre de M’Guerinatt du 15 février 2014, 20/04/2014.
    • Position des habitants de Ould Birom, Dar el Barka et Dar el Avia par rapport au projet Al Rajhi.
    • Communiqué du Conseil des ministres attribuant la concession au Groupe Al Rajhi, 16/01/14.
    • Procès-verbal de réunion des commissions de Dar el Barka, Dar el Avia et Ould Birom pour le suivi des affaires foncières, 01/02/2014.
    • Lettre de la coordination des commissions de Dar el Barka, Dar el Avia et Ould Birom pour le suivi des affaires foncières au Président de la République, 02/02/2014.
    • Plainte des habitants de Dar el Barka, Dar el Avia et Ould Birome auprès du Médiateur de la République, 21/04/2014.
    • Note d’information de la commission d’information, 29/04/2015.
    • Compte rendu de la réunion avec le ministère de l’Agriculture, 04/07/2015.
    • Réaction de la commission de Dar el Barka au compte rendu de réunion du ministère de l’Agriculture, 07/2015.
    • Propositions des populations de Dar el Barka à propos de la mise en œuvre du projet d’aménagement agricole de 3 200 ha, 2015.
    • Cahier des charges pour la mise en œuvre du Projet d’aménagement et de mise en valeur agricole de 3 200 ha dans la zone de Dar el Barka, 2015.
    • Coordination intercommunale de Boghé, Dar el Avia et Ould Birom, Élémentspour un plan d’action provisoire, 2011.
    • Coordination intercommunale de Boghé, Lettre à Monsieur le président de l’ONG AMAD, à Nouakchott, 27/11/2011.
    • Déclaration de la Conférence de Nyéléni : « Stop à l’accaparement de terres, maintenant ! », 19/11/2011.
    • Note sur le processus d’accaparement des terres dans les communes de Boghé, Dar el Avia, Ould Birom dans la Moughataa de Boghé, Wilaya du Brakna, présenté à la conférence paysanne de Nyéléni, Mali, 19/11/2011.
    • Note sur les conventions signées entre le Gouvernement de la République islamique de Mauritanie et le groupe saoudien Al Rajhi.
    • Coordination des commissions de suivi des affaires foncières et domaniales des communes de Boghé, Dar el Avia et Ould Birom, Réponse aux affiches des 11/05/2011 et 13/06/2011 du Hakem de Boghé relatives à un terrain de 40 000 ha dans les communes de Boghé, Dar el Avia et Ould Birom, 06/07/2011.
    • Lettre de la Coordination intercommunale de Boghé, Dar el Avia et Ould Birom au Représentant de la commission des droits de l’homme des Nations unies à Nouakchott, 13/10/2011.
    • OXFAM Intermon, Potentialités agropastorales des communes de Boghé, Dar el Avia et Ould Birom : principales sources de vie des communautés locales, 4/08/2011.

Mots-clés éditeurs : migrations forcées, citoyennetés, conflits fonciers, droits de propriété

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Mise en ligne 17/05/2019

https://doi.org/10.3917/ried.238.0061

Notes

  • [1]
    Voir notamment l’étude menée conjointement par l’Institut international de l’environnement et du développement (IIED), la Coalition internationale pour l’accès à la terre (International Land Coalition, ILC) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en 2012.
  • [2]
    Note officielle sur les conventions signées entre le gouvernement de la République islamique de Mauritanie et le groupe saoudien Al Rajhi.
  • [3]
    Procédure juridique par laquelle l’État inscrit des terres parmi le domaine public.
  • [4]
    Une institution financière non gouvernementale, à capitaux arabes, basée à Khartoum, au Soudan.
  • [5]
    Étant donné le caractère sensible de la question en Mauritanie, nous faisons le choix de préserver l’anonymat des personnes enquêtées.
  • [6]
    Cette terminologie a été utilisée pour la première fois par le Mouvement national démocratique (MND), de tendance marxiste, dans le sillage d’un conflit d’ordre communautaire en 1966.
  • [7]
    Président de la République de 1984 jusqu’à son renversement par un coup d’État en 2005.
  • [8]
    Terme arabe signifiant « expulsés ».
  • [9]
    « Il s’agit de groupes partageant, au moins virtuellement, des intérêts communs dans le domaine de l’accès aux ressources foncières et dans celui de leurs usages, et qui s’organisent, au moins momentanément, pour défendre ces intérêts » (Chauveau et Mathieu, 1998).
  • [10]
    Concrètement, un avis correspond à une feuille de dimension A4 où est mentionnée la volonté de l’État d’engager une procédure de domanialité pour une superficie donnée et demandant aux ayants droits de se manifester. Elle est publiée sur les murs des autorités régionales et départementales concernées.
  • [11]
    Pour la première concession, entre 2010 et juin 2011, trois avis ont été publiés par le Hakem (préfet) de Boghé. Un premier avis publié par le Hakem de Boghé, en septembre 2010, et faisant état de la décision de l’État d’attribuer 50 500 ha de terres au groupe Al Rajhi est remplacé par un autre, en mai 2011, qui réduit la superficie à 40 000 ha. Mais cet avis est vite annulé par les autorités administratives (ministère de l’Intérieur) et remplacé par un troisième avis, en juin 2011, qui ne mentionne plus les investisseurs saoudiens, mais évoque plutôt une procédure de domanialité au nom de l’État mauritanien.
  • [12]
    Le nombre de membres est variable en fonction de la taille de la commune. Ainsi la commune de Ould Birom comptait 7 membres, celle de Dar el Avia 6 membres et celle de Boghé 20 membres.
  • [13]
    Projet de renforcement des capacités de la société civile pour leur participation effective dans la définition, le suivi des stratégies et politiques pour un développement agricole et une sécurité alimentaire durable (Projet ARC/SA).
  • [14]
    Ces 31 000 ha s’intègrent dans une concession globale de 85 000 ha, dont 54 000 se trouvent dans la région frontalière du Trarza.
  • [15]
    Environ 750 euros.
  • [16]
    Gouverneur de région.
  • [17]
    La notion de « terres mortes » renvoie au droit musulman et celle de « terres sans maîtres » au droit colonial.
  • [18]
    Note officielle sur les conventions signées entre le gouvernement de la République islamique de Mauritanie et le groupe saoudien Al Rajhi.
  • [19]
    Hameau peuplé par des populations haratin et caractérisé par sa grande pauvreté.
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