Couverture de RIPS_026

Article de revue

Interventions systémiques dans les organisations. intégration des apports de Mintzberg et de Palo Alto, De Boeck Université, 1998, 160 pages

Pages 211 à 214

English version

Intervenir conjointement au niveau de l’organisation et au niveau des relations

1Résumé : L’ouvrage Interventions systémiques dans les organisations, présenté ici par un de ses co-auteurs, a pour particularité de distinguer et d’articuler deux niveaux d’analyse et d’intervention dans les situations de travail : le niveau qui prend en compte les facteurs proprement organisationnels (relatifs à la structure de l’organisation, à la distribution du pouvoir, etc.) et celui qui porte sur les relations interpersonnelles. La prise en compte de ces deux niveaux permet à l’intervenant d’enrichir ses moyens d’action et de mieux les ajuster aux spécificités des situations par rapport auxquelles il intervient.

2Les demandes qui sont adressées aux consultants qui interviennent par rapport à des situations de travail sont souvent relativement complexes. Comment convient-il de les interpréter ? Comment, dans un premier temps, faut-il ordonner les différents éléments qu’elles contiennent ? L’option que nous avons prise dans l’ouvrage Interventions systémiques dans les organisations (Nizet & Huybrechts, 1999), consiste à distinguer les aspects de la demande qui relèvent de ce qu’on peut appeler le niveau interpersonnel, de ceux qui renvoient au niveau organisationnel.

3Prenons quelques exemples. Au niveau organisationnel, il peut arriver qu’un commanditaire fasse état, dans la formulation de sa demande, de conflits permanents entre tel et tel département, ou entre telle et telle catégorie de professionnels ; ou qu’il se plaigne d’un manque de dynamisme de son personnel, ou de résistances manifestées par celui-ci à l’égard de projets de changement ; ou encore qu’il soit préoccupé d’une désaffectation de la clientèle, etc.

4À ces dysfonctionnements organisationnels correspondent souvent, comme en écho, des relations qualifiées de « tendues », ou de « bloquées », entre deux ou plusieurs personnes : le directeur et son adjoint, le responsable du personnel et le représentant des syndicats, les responsables de deux départements, etc. Le commanditaire est lui-même souvent impliqué dans ces relations difficiles.

5Pourquoi préconisons-nous de distinguer ces deux niveaux ? Essentiellement parce que les sciences humaines, et en particulier le courant systémique, nous semblent avoir développé des outils relativement spécifiques, les uns permettant de comprendre ce qui se passe dans l’organisation et d’intervenir à ce niveau, les autres permettant de comprendre et d’intervenir au niveau interpersonnel. Dans l’ouvrage indiqué plus haut, ce sont les apports de Henry Mintzberg qui constituent notre référence principale, au niveau organisationnel (Mintzberg, 1982 ; Nizet & Pichault, 2001), tandis qu’au niveau relationnel, nous nous appuyons sur les apports de l’école de Palo Alto (Watzlawick, Helmick Beavin & Jackson, 1972), en particulier le courant de la thérapie brève (Fisch, Weakland & Segal, 1986).

Deux appuis théoriques principaux

6Mintzberg nous invite à dépasser les approches partielles des organisations (celles qui se cantonnent à l’analyse des structures, ou qui s’occupent des seules relations de pouvoir, etc.), pour proposer une approche globale, intégrant de multiples paramètres. Dans la mesure où ces paramètres s’accordent, l’organisation vit dans un état de relatif équilibre ; c’est le cas, très sommairement, lorsqu’une structure souple se combine avec un pouvoir décentralisé et un environnement relativement imprévisible. Plus souvent, des discordances apparaissent entre les différents paramètres, ce qui introduit des formes de déséquilibre ; par exemple, un environnement imprévisible est en tension avec une structure rigide et un pouvoir centralisé. Dans certaines circonstances, ces déséquilibres créent des dysfonctionnements que les responsables ne sont pas à même de gérer, ce qui les conduit à faire appel à un consultant extérieur. Celui-ci dispose de divers moyens d’intervention, en vue de restaurer l’équilibre – si toutefois cela s’avère possible et souhaitable –, ou de réduire les dysfonctionnements dûs au déséquilibre.

7L’école de Palo Alto, on le sait, offre des outils de diagnostic des relations bloquées – à partir notamment des notions de rétroaction positive, d’escalade symétrique, de complémentarité rigide, ou encore de paradoxe (Watzlawick et al., 1972 : 25-26, 105-116, 187-211) – et offre des moyens d’action à ce niveau : prescription du symptôme (Watzlawick et al., 1972 : 240-244), recadrage (Watzlawick, 1980 : 123-132), etc. Elle permet donc d’intervenir au niveau des relations interpersonnelles, en particulier celles que le commanditaire entretient avec ses collaborateurs. Mais l’école de Palo Alto permet aussi de comprendre ce qui se passe dans la relation que le commanditaire met en place avec l’intervenant, et de la gérer au mieux.

8À ce niveau spécifique, une règle de travail nous est apparue particulièrement utile : celle qui consiste à séparer ce qui à trait aux objectifs de l’intervention, de ce qui a trait aux moyens. Nous situant dans la ligne de la thérapie brève, nous préconisons en effet que le commanditaire de l’intervention – associé éventuellement à d’autres acteurs – fixe les objectifs de celle-ci. Le rôle de l’intervenant se limite, sur ce point, à aider le commanditaire à ce qu’il les définisse de manière précise et opérationnelle. Par contre, le consultant se ménagera, dès le début du processus, une marge de manœuvre importante au niveau des moyens de l’intervention. On fait en effet l’hypothèse que, si le commanditaire est amené à faire appel à un consultant externe, c’est parce qu’il met lui-même en œuvre, de manière récurrente, des moyens inadéquats, des moyens qui créent le problème plus qu’ils ne concourent à sa solution (Nizet & Huybrechts, 1999 : 52-53, 73-78).

Enrichir les outils d’intervention

9Distinguer les niveaux organisationnel et interpersonnel présente donc l’intérêt de démultiplier les outils d’analyse et d’intervention. En ce sens, notre modèle se distingue de ceux qui, s’appuyant uniquement sur les acquis de l’analyse organisationnelle, n’accordent, à notre avis, pas suffisamment d’attention aux phénomènes relevant des relations interpersonnelles ; il se distingue tout autant des tentatives d’aborder les situations de travail à partir des seuls outils de l’analyse systémique relationnelle, qui, à notre sens, ne donnent pas une prise suffisante sur les facteurs proprement organisationnels.

10S’il distingue deux niveaux d’analyse et d’intervention, notre modèle n’entend pas pour autant les séparer. Bien au contraire, nous considérons que, dans une situation de travail, les (dys)fonctionnements organisationnels et relationnels rétroagissent généralement les uns avec les autres, autrement dit, qu’ils forment système. Ceci, à nouveau, contribue à enrichir les possibilités d’action de l’intervenant, puisqu’il peut combiner les deux niveaux d’intervention suivant les modalités – et en particulier suivant l’ordre – qui lui semblent les plus opportunes. Dans certains cas, par exemple, les relations entre les différentes personnes impliquées dans la situation de travail sont tellement tendues qu’elles rendent quasi impossible la prise en considération de propositions d’amélioration du fonctionnement organisationnel. Un travail préalable, visant à assouplir ces relations, s’avère alors indispensable. Dans d’autres circonstances, il apparaît opportun de procéder d’abord, avec les acteurs, à une analyse du fonctionnement organisationnel. Cette analyse, menée en commun, a pour effet d’amener les personnes à ponctuer autrement leurs relations (Watzlawick et al., 1972 : 52-57, 92-96) : la « faute » des dysfonctionnements n’est plus attribuée au(x) seul(s) partenaire(s), puisqu’on découvre que les problèmes rencontrés relèvent en partie de facteurs organisationnels qui dépassent la responsabilité des personnes en présence. En d’autres termes, l’analyse organisationnelle sert, dans ce cas, à recadrer les relations.

Bibliographie

Bibliographie

  • Fisch, R. Weakland, J.H. & Segal, L. (1986), Tactiques du changement. Thérapie et temps court, Paris, France : Seuil.
  • Mintzberg, H. (1982), Structure et dynamique des organisations, Paris, France : Les Éditions d’Organisation.
  • Nizet, J. & Huybrechts, C. (1999), Interventions systémiques dans les organisations. Intégration des apports de Mintzberg et de Palo Alto, Paris/Bruxelles, France/Belgique : De Boeck Université, coll. « Management ».
  • Nizet, J. & Pichault, F. (2001), Introduction à la théorie des configurations. Du « One Best Way » à la diversité organisationnelle, Bruxelles/Montréal, Belgique/Canada : Gaetan Morin Editeur/De Boeck Université, coll. « Management ».
  • Watzlawick, P., Helmick Beavin, J. & Jackson, Don D. (1972), Une logique de la communication, Paris, France : Seuil, coll. « Points », n° 102.
  • Watzlawick, P. (1980), Le langage du changement. Éléments de communication thérapeutique, Paris, France : Seuil, coll. « Points », n° 186.

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