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Article de revue

Effet des pratiques et des connaissances sur la représentation sociale d'un objet : application à l'hygiène hospitalière

Pages 89 à 114

Notes

Introduction

1Cette étude est réalisée dans le cadre d’un contrat de recherche établi avec le Réseau Franc Comtois de Lutte contre les Infections Nosocomiales (RFCLIN) du CHU de Besançon. Ce réseau a pour objectif la surveillance et la prévention des infections nosocomiales grâce à des actions de formation et d’information des personnels. Dans le cadre des audits de pratiques réalisés au sein des services, le réseau a pu constater des écarts entre les prescriptions attachées aux protocoles et les pratiques d’hygiène. Parallèlement, les établissements audités présentaient un taux d’infections nosocomiales encore très élevé [1]. Ce résultat apparaissait en décalage avec les efforts fournis en ce qui concerne l’information et la formation des élèves infirmiers et des personnels.

2Notre étude vise une analyse des représentations de l’hygiène chez les personnels soignants et les élèves infirmiers en mettant en évidence l’impact de la connaissance et des pratiques. L’atteinte de cet objectif passe par deux étapes : l’appréhension de l’évolution des connaissances à propos de l’hygiène dans le cadre de la formation des personnels soignants (effet du niveau de connaissance), et la mesure de l’impact de l’exercice d’une profession dans laquelle sont mis en œuvre des protocoles d’hygiène (effet de la pratique).

3C’est dans cette optique que plusieurs groupes ont été ciblés : des personnels soignants (aides soignantes, infirmières et cadres de santé), afin de pouvoir comparer leur représentation sociale de l’hygiène hospitalière en fonction de leur pratique ; des étudiants en école d’infirmiers à différentes étapes de leur formation, afin d’étudier les modalités d’élaboration de la représentation sociale de l’hygiène hospitalière au cours de leur cursus ; des étudiants non spécialisés n’ayant ni connaissance de l’hygiène hospitalière ni pratique, appariés en terme d’années d’étude au groupe précédent, afin de constituer un groupe de référence permettant de faire ressortir les spécificités des étudiants spécialisés et des professionnels.

La théorie des représentations sociales

4Notre étude a comme soubassement théorique le concept de représentation sociale et plus particulièrement celui de représentation professionnelle. Il s’agit de se centrer plus précisément sur l’impact de deux facteurs dans le contenu et l’organisation d’une représentation : la pratique et la connaissance de l’objet. Pour cibler précisément l’impact de ces facteurs, il est apparu nécessaire de différencier ce qui relève du niveau culturel global de ce qui résulte de la stricte appartenance groupale, ici un groupe professionnel.

Représentations sociales et représentations culturelles

5La différenciation entre le niveau culturel et groupal nous conduit à nous tourner vers les études qui portent sur les relations existant entre les éléments constitutifs de la pensée sociale. Au sein de cet ensemble de recherches se trouvent les réflexions conduites notamment par Moscovici ou Rouquette. Dans la perspective développée par Moscovici (1961), les représentations sociales résultent de l’appartenance groupale des individus ; elles s’intercalent entre les représentations collectives et les représentations individuelles (cf. à ce propos, Sales-Wuillemin, 2005a). Selon Durkheim (1898) les représentations collectives sont culturelles, elles renvoient à des modes de pensée communs (mythes, histoire, normes, traditions) qui résultent de la trame des relations sociales entre les individus et entre les groupes. Elles s’intercalent entre le sujet individuel et la société globale. Les représentations individuelles sont propres au sujet, elles sont le fruit des interactions avec l’environnement dans lequel il évolue. Ces représentations orientent ses actions (Piaget, 1947, 2003).

6Selon Rouquette (1973, 1994a, 1996), la pensée sociale s’organise selon une architecture pyramidale, dont l’idéologie et l’opinion forment respectivement le sommet et la base. L’idéologie orienterait les représentations et les représentations guideraient les attitudes puis les opinions. Si un certain nombre de recherches ont été initiées afin de mettre en évidence les relations existant entre représentations sociales et attitudes (Eyssartier, Joule & Guimelli, 2007 ; Moliner, Joule & Flament, 1995 ; Moliner & Tafani, 1997 ; Souchet & Tafani, 2004 ; Tafani, 2001 ; Tafani & Souchet, 2001 ou entre idéologie et représentations (Gaffié & Marchand, 2001), il n’existe pas à notre connaissance en psychologie sociale de travaux empiriques qui proposent de distinguer de manière explicite ce qui relève du collectif de ce qui relève du groupal. Cette distinction est cependant nécessaire si l’on veut rendre compte au mieux de ce qui fait la spécificité de la représentation sociale. C’est ce que ce nous proposons de faire dans cette étude.

Représentations sociales : effet des connaissances et des pratiques

7De nombreuses recherches portent sur l’impact de la connaissance et de la pratique de l’objet sur la représentation sociale. Le niveau de connaissance de l’objet est un facteur qui se révèle avoir un effet au moment de la constitution de la représentation dans la phase d’objectivation et d’ancrage (Moscovici, 1961), mais également dans sa phase d’évolution (Salesse, 2002). L’étude de Moliner (1998) à propos de la fonction d’infirmière chez des étudiantes en formation, de jeunes débutantes et des professionnelles expérimentées montre clairement l’existence d’une différence de structure entre les représentations que ces trois groupes ont de l’objet de représentation. Salesse (2005) cherche à mettre en évidence le processus de structuration de la représentation sociale d’Internet chez des artisans. Elle utilise le questionnaire de mise en cause, le questionnaire de caractérisation et la technique d’associations verbales. Elle montre que ce processus est progressif et directement lié au niveau de connaissance dont disposent les sujets à propos de l’objet. Elle distingue plusieurs formes de connaissance qui vont de la simple connaissance déclarative (par description) à la connaissance par la pratique autonome intensive. L’évolution de la représentation se marque à chacun des niveaux et se traduit de trois manières différentes, dans la force des liens existant entre les éléments constitutifs, dans la complexité de l’organisation hiérarchique des composants (nombre de niveaux) et dans la connexité des éléments (nombre de relations).

8Les pratiques renvoient à des « systèmes complexes d’action socialement investis et soumis à des enjeux socialement et historiquement déterminés » (Abric, 1994, p. 7). Il a été montré que les pratiques communes participent à l’élaboration de la représentation par le groupe. De même, le changement de pratiques ou l’introduction de pratiques nouvelles a un impact sur l’évolution de la représentation (cf. Flament, 1987 ; Guimelli, 1989, 1994 ; Guimelli & Jacobi, 1990 ; Guimelli & Rouquette, 1992 ; Guimelli & Reynier, 1999 ; Flament, 2001). Ces pratiques peuvent recouvrir différentes réalités, selon Flament et Rouquette (2003). Il peut s’agir d’un passage à l’acte isolé ou de pratiques régulières, de manières de faire ou encore d’intentions de comportements. Les pratiques ont un impact sur la structuration de la représentation sociale, du point de vue de son organisation hiérarchique (système central/périphérique) et du point de vue de ses dimensions (descriptive, fonctionnelle, évaluative). Lorsque les individus ont une pratique de l’objet, la représentation apparaît plus structurée (cf. Rateau, 1998 ; Gruev-Vintila, 2006). Abric et Tafani (1995), montrent que, dans ce cas, c’est la dimension descriptive et fonctionnelle qui prévaut (c’est-à-dire ce qui relève de la définition de l’objet et des actions liées à l’objet). À l’opposé, lorsque les individus n’ont pas de pratique de l’objet, la représentation apparaît moins bien structurée, et c’est la dimension évaluative qui prévaut (c’est-à-dire les prises de position vis-à-vis de l’objet).

9Dans la littérature, pratiques et niveau de connaissance ne sont pas toujours distingués, et ces deux facteurs ont souvent été opérationnalisés sous la forme d’une variable globale appelée « distance à l’objet » ou « implication vis-à-vis de l’objet ». C’est dans cette perspective que se situent Dany et Abric (2007). Les auteurs utilisent un questionnaire dans lequel sont mesurées les croyances vis-à-vis du cannabis. Pour évaluer l’impact de la variable distance à l’objet, différentes mesures sont effectuées, qui portent sur les pratiques, les connaissances et l’implication des sujets.

Représentations professionnelles : effet des connaissances et des pratiques

10À la différence des représentations sociales, les représentations professionnelles portent sur des objets spécifiques à l’en­vi­ron­nement professionnel et correspondent à des savoirs conceptuels et procéduraux directement en rapport avec la formation et l’exercice du métier (Bataille, Blin, Jacquet-Mias, & Piaser, 1997 ; Blin, 1997).

11L’étude des représentations professionnelles n’est pas aussi développée que celle des représentations sociales. On trouve néanmoins les travaux conduits par Piaser (2004). L’auteur utilise la méthode d’entretien et l’analyse lexicale ALCESTE (Reinert, 1986). Il compare notamment la représentation que deux groupes de professionnels, pharmaciens en officine et pharmaciens hospitaliers, ont de leur profession. L’étude montre qu’il y a un lien entre les pratiques différentes de ces deux groupes et les représentations qu’ils ont de leur profession. Cela se traduit dans les prises de position par rapport aux thématiques abordées et dans l’organisation structurale de la représentation.

12L’effet des pratiques professionnelles a été largement mis en évidence sur la profession des infirmières. Guimelli et ses col­lègues (Guimelli, 1994 ; Guimelli & Jacobi, 1990 ; Guimelli & Rouquette, 1992) montrent grâce à l’utilisation de la méthode des Schèmes Cognitifs de Base (Guimelli & Rouquette, 1992 ; Rouquette, 1990, 1994b) que chez les infirmières qui ont mis en place des pratiques nouvelles spécifiques du rôle propre de l’infirmière, comparativement à celles qui sont restées dans des pratiques traditionnelles (application des prescriptions du médecin), la représentation du travail diffère radicalement. Cela se traduit par des différences au niveau de la structure de la représentation, l’item rôle propre étant central dans la représentation des infirmières ayant mis en œuvre les pratiques nouvelles, et sa valence significativement plus importante. Par ailleurs, le bloc relatif au rôle propre est valorisé.

13Peu d’études portent sur la représentation de l’hygiène. Zérillo (1998) interroge des étudiants (en psychologie et en formation d’infirmière) et montre que la représentation de l’hygiène s’articule autour des éléments « prévention des maladies », « bien être », « respect des autres », et « éviter les mauvaises odeurs ». Nous sommes là clairement dans le registre de l’hygiène corporelle quotidienne, différente de l’hygiène hospitalière. Une série d’études porte sur la représentation que les professionnels hospitaliers ont des infections nosocomiales (Quintard, Lecigne, Rogues & Parneix, 2003 ; Quintard et al., 2004). Elles révèlent que la représentation des infections nosocomiales diffère selon les groupes professionnels interrogés : médecins, infirmières (IDE), Aides-soignantes (AS) et Agents de Service Hospitalier (ASH). La représentation des médecins et des IDE est proche et s’articule autour des éléments formation des personnels et prévention, alors que celle des AS et des ASH se structure autour des trois éléments formation, mise en cause des soignants et problèmes de gestion. Cette étude a le mérite de porter sur des groupes bien identifiés au sein de l’hôpital. Elle permet ainsi de positionner chaque groupe en fonction de sa formation professionnelle et donc de ses connaissances à propos de l’objet, mais également en fonction de ses pratiques et ce en regard des autres groupes de professionnels. Bien que les auteurs ne le soulignent pas, l’approche est à nos yeux intéressante car elle permet, par différenciation, de mettre en évidence la spécificité de chaque groupe, mais également, par rapprochements, de montrer ce qui est commun à tous les groupes, au sein de la même organisation de travail. L’étude ne porte cependant pas sur l’hygiène, mais sur les infections nosocomiales.

Hypothèses

14En suivant les recherches réalisées dans le domaine et compte tenu de l’objet spécifique de représentation étudié, nous avons formulé l’hypothèse générale suivante : la distance par rapport à l’objet de représentation (variable opérationnalisée au travers de la prise en compte de la connaissance et des pratiques de l’objet) aura un impact sur le nombre d’éléments consensuels, le contenu et l’organisation dimensionnelle de la représentation sociale.

15H1 : Compte tenu de l’appartenance à une même communauté culturelle des groupes interrogés, on s’attend à une base culturelle commune à tous les groupes. On devrait donc observer des éléments conjointement cités par les individus, quelles que soient leurs pratiques et leur connaissance de l’objet (professionnels, étudiants spécialisés, étudiants non spécialisés).

16H2 : On s’attend néanmoins à un effet de la distance à l’objet. Cet effet devrait se traduire à trois niveaux : au niveau du consensus intragroupe (nombre d’éléments consensuellement produits par les individus interrogés ; proportion de ces éléments par rapport au nombre total de mots), au niveau des dimensions de la représentation mises en saillance (dimension fonctionnelle, descriptive ou évaluative) et au niveau du contenu des éléments évoqués (contenus référant à l’hygiène hospitalière ou à un cadre plus large, hygiène domestique et corporelle). Cette hypothèse se spécifie comme suit :

17H 2.1 : Lorsque les sujets ont une connaissance et une pratique professionnelle de l’hygiène (professionnels) impliquant des groupes de travail organisés autour d’une activité commune orientée vers des buts partagés, dans une organisation spécifique, on peut penser qu’ils mobiliseront la représentation professionnelle qu’ils ont de cet objet, c’est-à-dire la représentation de l’hygiène hospitalière. Il devrait donc y avoir :

  1. un grand consensus dans les réponses. Ceci devrait se traduire par la présence d’un grand nombre d’éléments concordants mobilisés à propos de cet objet et une proportion importante de ces éléments comparativement au nombre total d’éléments présents dans la représentation,
  2. une prépondérance de la dimension descriptive et fonctionnelle en rapport avec les gestes techniques de l’hygiène hospitalière,
  3. une homogénéité des contenus. Les éléments évoqués devraient exclusivement référer au cadre du travail c’est-à-dire à l’hygiène hospitalière.
H. 2.2 : Comparativement, on peut penser que lorsqu’il y a absence de connaissances et de pratiques professionnelles mais des connaissances et pratiques sociales quotidiennes (étudiants non spécialisés), les individus mobilisent une représentation sociale de l’hygiène, il y aura :
  1. un moins grand consensus dans les réponses des sujets,
  2. une centration sur la dimension descriptive et fonctionnelle en rapport avec la pratique quotidienne de l’hygiène,
  3. une hétérogénéité des contenus. Les éléments évoqués devraient recouvrir un cadre plus large que l’hygiène hospitalière incluant l’hygiène quotidienne c’est-à-dire l’hygiène domestique et l’hygiène corporelle.
H.2.3 : Dans cette perspective, on peut s’attendre à ce que les étudiants spécialisés se situent à un niveau intermédiaire entre les deux autres groupes.

Méthode

Variable indépendante et échantillon

18La variable indépendante distance par rapport à l’objet de la représentation est opérationnalisée en prenant en compte à la fois la mise en œuvre de pratiques en regard de l’objet et la connaissance vis-à-vis de cet objet. Trois modalités sont comparées, une absence de connaissance et de pratique, une connaissance avec peu de pratique, une connaissance et une pratique professionnelle de l’objet.

19L’échantillon est composé de 965 sujets répartis au sein de trois groupes (voir Tableau 1) :

  1. des personnels soignants : caractérisés par une pratique professionnelle et une connaissance spécialisée de l’objet. Afin que cet échantillon soit représentatif, il est composé d’aides-soignants (AS), d’infirmiers diplômés d’état (IDE) et de cadres de santé (CS) ;
  2. des étudiants spécialisés en soins infirmiers : distingués par une quasi absence de pratique de l’hygiène hospitalière mais une connaissance spécialisée de l’objet en raison de la formation suivie. Cet échantillon est constitué d’étudiants représentant chacune des trois années de formation en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) ;
  3. des étudiants en formation non médicale qui nous ont permis de tester la modalité absence de pratique et absence de connaissance spécialisée (groupe contrôle). Le choix s’est porté sur des étudiants en psychologie répartis dans les trois premières années du cursus de licence (Licence 1 : L1, Licence 2 : L2 et Licence 3 : L3). Cet échantillon a été choisi pour éviter toute variable confondue relative au niveau de culture générale. S’il est ici comparable dans les deux échantillons d’étudiants, il est par contre différent au sein du groupe des professionnels. La licence de psychologie est un diplôme homologué, référencé en France comme étant de niveau III (validant le suivi de 3 années d’études supérieures, niveau Bac + 3), tout comme le Diplôme d’État d’Infirmier (validant 2 années d’études supérieures, Niveau Bac + 2). Enfin le diplôme professionnel d’aide-soignant nécessite 10 mois de formation sans niveau préalable requis, ce diplôme étant homologué au niveau 5 (Brevet d’Étude Professionnelle/ Certificat d’Aptitude Professionnelle).

Tableau 1
Tableau 1
Niveau Étudiants non Étudiants Professionnels d’homologation spécialistes spécialistes 5 AS = 35 4 L1 = 105 IFSI1 = 176 3 L2 = 134 IFSI2 = 143 IDE = 114 L3 = 107 IFSI3 = 116 CS = 35 Total = 346 Total = 435 Total = 184
Répartition des effectifs au sein des trois échantillons.

Méthode de recueil des données

20Le recueil s’est fait grâce à un questionnaire d’associations verbales auto-administré. Le questionnaire débutait par une présentation générale de l’objectif de l’étude, l’analyse de la représentation de l’hygiène dans le cadre des soins dispensés à l’hôpital. La passation était dans tous les cas collective. Les participants étaient invités à donner les 10 premiers mots (ou expressions) qui leur venaient à l’esprit à partir de l’inducteur « hygiène ». Cette mesure nous a permis d’identifier les éléments spontanément évoqués par les participants à propos de l’objet.

Mode de traitement des résultats

21Les données ont fait l’objet d’un double traitement afin de mettre en évidence d’une part le consensus intra et intergroupe en ce qui concerne les mots associés, et d’autre part le contenu et l’organisation dimensionnelle de la représentation.

22La mesure du consensus à propos de la représentation de l’hygiène a été réalisée en deux temps, tout d’abord en établissant un seuil statistique à partir duquel les mots pouvaient être considérés comme significativement consensuels, en l’occurrence en calculant un test binomial (Lacassagne, Sales-Wuillemin, Castel, & Jébrane, 2001 ; Sales-Wuillemin, 2005a et 2005b). Ce test nous a permis d’établir le nombre d’éléments consensuels. Ensuite, nous avons calculé la proportion de ces éléments rapportée au nombre total d’éléments évoqués par les participants. Ce calcul nous a permis d’établir la quotité des cognitions partagées.

Résultats

Consensus intragroupe à propos de la représentation de l’hygiène

Le test binomial

23Nous avons calculé la fréquence de citation des termes, c’est-à-dire le nombre d’individus ayant évoqué chacun des mots associés. Afin de déterminer le seuil au-delà duquel il est estimé que les termes sont consensuellement cités par les sujets des différents échantillons, nous avons appliqué le test binomial. Le test binomial est un calcul de probabilité qui repose sur la loi binomiale. Il prend en compte à la fois le nombre de sujets, le nombre moyen de termes associés par les sujets et le nombre total de termes différents associés par chacun des groupes. Il permet de calculer avec précision pour chaque groupe la probabilité p que k individus aient produit le même mot associé. Nous avons choisi de ne retenir que les mots produits avec une probabilité p < .05. Dans le tableau présenté, si le seuil k est de 11, cela signifie que les mots associés par au moins 12 sujets le sont avec une probabilité qui diffère significativement du hasard. On peut donc en conclure que le mot est socialement significativement partagé par les membres du groupe considéré.

La quotité de connaissances partagées

24Au-delà de la simple fréquence de citation, il nous importait également de mettre en évidence la quotité de connaissances partagées. C’est pourquoi nous avons rapporté le nombre de mots les plus communément associés à l’objet de la représentation au nombre total de mots produits par les sujets. Le calcul de cet indice statistique nous a permis de tester l’homogénéité des cognitions au sein de chacun des groupes.

25Les seuils calculés à partir du test binomial (voir tableau 2) ont été adoptés pour la suite des traitements. N’ont ainsi été retenus que les termes pour lesquels le consensus était fort (effectifs strictement supérieurs aux effectifs préconisés par le test binomial).

Tableau 2
Tableau 2
Étudiants non spécialistes Étudiants spécialistes Professionnels k = 11 (p = .025) k = 10 (p = .025) k = 11 (p = .034)
Résultats du test binomial.

La mesure du consensus : l’indice de quotité de cognitions partagées intragroupe

26Nous avons opéré une comparaison intergroupe à partir de l’indice de quotité de cognitions partagées au sein de chaque groupe. Cet indice est calculé en rapportant pour chaque groupe le nombre de termes produits consensuellement par un nombre significatif de sujets au nombre total de termes produits par les sujets.

27L’analyse réalisée fait apparaître un effet général de la variable « distance par rapport à l’objet de représentation » sur le nombre de mots produits de façon consensuelle (voir Tableau 3). Cet effet apparaît particulièrement chez les professionnels pour qui le consensus est plus grand que pour les deux autres groupes. Ils produisent 16,3 % de mots consensuels. On peut penser que la professionnalisation et donc la connaissance partagée et la communauté de pratiques contribuent à la mise en place puis au renforcement de ce consensus, ce que l’on peut interpréter comme une activation conjointe d’un ensemble de cognitions attachées à l’objet. Ce résultat est conforme à notre hypothèse.

Tableau 3
Tableau 3
Étudiants non Étudiants Professionnels spécialistes spécialistes > résultats 51 (9,3 %) 54 (8,1 %) 30 (16,3 %) test binomial < résultats 492 612 154 test binomial Total 543 666 184 Chi2(2)=11,16 ; p=.003
Nombre de termes consensuels différents associés par chaque échantillon.

28Par contre, les étudiants spécialisés (8,1 %) ne se différencient pas des étudiants non spécialisés (9,3 %). Ceci invalide en partie l’hypothèse. Il nous faut conclure que l’exposition à des informations spécialisées à propos de l’objet et un faible nombre de pratiques, si elle crée de la connaissance partagée, ne crée pas forcément du consensus en ce qui concerne les éléments activés au sein de la représentation lors de la tâche d’associations verbales. Nous pouvons avancer l’hypothèse que la connaissance spécialisée des étudiants ne s’est pas transformée en une représentation professionnelle. Ce résultat peut être dû au faible nombre de pratiques en collaboration avec des professionnels au sein d’un groupe de travail, même si les stages sont suivis durant toute la durée de la formation. Les étudiants spécialisés semblent se situer à une étape strictement intermédiaire entre les professionnels et les étudiants non spécialisés.

29Un travail, au sein des instituts de formation, visant l’acquisition de cette représentation professionnelle afin de mieux préparer les futurs professionnels à un ancrage des pratiques professionnelles futures, pourrait, dans cette perspective, s’avérer nécessaire.

30Pour appréhender l’effet des connaissances acquises à propos de l’objet sur la représentation de l’hygiène, nous avons effectué une subdivision en 6 sous-groupes (voir Tableau 3 bis). Cette subdivision nous est apparue particulièrement pertinente pour ce qui concerne les étudiants spécialisés en soins infirmiers.

Tableau 3 bis
Tableau 3 bis
L1 L2 L3 9,13 5,88 10,43 IFSI 1 IFSI 2 IFSI 3 5,57 5,86 5 AS IDE CS 19,69 12,17 18,86
Pourcentage de termes consensuels différents associés pour chaque sous-groupe.

31La comparaison à l’intérieur de chaque échantillon ne permet pas de distinguer de différences significatives entre les sous-groupes (aucun résultat significatif). Il semble donc exister une forte homogénéité au sein chacun des trois échantillons. Chez les professionnels, ce résultat est conforme à nos attentes ; il est par contre étonnant au sein du groupe des étudiants en soins infirmiers (IFSI). On s’attendait en effet à observer une construction progressive des éléments de la représentation de l’hygiène hospitalière, ce qui devait se traduire par un contraste important entre les différents niveaux de formation.

Consensus intergroupe à propos de la représentation de l’hygiène hospitalière

32Les mots communs consensuellement et spécifiquement produits au sein de chacun des trois groupes sont un indicateur d’une base sociale commune. Ils relèvent de la représentation sociale ou professionnelle. Certains mots sont par contre consensuellement produits par l’ensemble des 3 échantillons : ils relèvent donc de la représentation collective de l’hygiène. Ils sont un indicateur d’une base culturelle commune indépendante des caractéristiques groupales des échantillons interrogés.

33Une analyse descriptive permet d’observer que 4 termes sont communs aux 3 groupes : « propreté », « désinfection », « microbes » et « savon ». Parmi ces termes seuls deux sont effectivement présents chez les 9 sous-groupes : « propreté » et « désinfection ». Enfin, ce qui différencie ces deux termes est leur fréquence d’apparition. En effet, le terme « propreté » est le terme le plus cité pour les trois échantillons ainsi que par les 9 sous-groupes. Cette observation n’étant pas valide pour le terme désinfection, il semble que le terme propreté ait une place toute particulière dans le corpus. Pour appuyer cette analyse, un trai­tement plus approfondi se révèle utile.

34Le terme « propreté » est à la fois le plus récurent et le plus prédominant en terme d’associations. Il nous faut conclure que l’élément « propreté » relève de la représentation culturelle de l’objet car il dépasse l’appartenance groupale des sujets et résiste aux insertions sociales.

35Un deuxième phénomène doit être souligné. Nous remarquons (voir Tableau 4) que plus le niveau de professionnalisme augmente (niveau de connaissance et de pratique), et plus les aspects culturels baissent en importance. En effet l’écart au 2e terme le plus cité s’amoindrit (la valeur du Chi2 baisse) et il est même à noter que le test du Chi2 n’est pas significatif pour les cadres de santé. La prédominance de ce terme devient moindre à partir de la troisième année au sein du groupe des étudiants IFSI. On pourrait conclure que la formation conduit les étudiants spécialisés à constituer un ensemble de connaissances professionnelles à propos de l’hygiène qui prennent la place des connaissances générales culturelles.

Tableau 4
Tableau 4
Groupes 1er plus cité 2e plus cité valeurs du Chi2 à 1 dl L1 93 (12) 52 (53) 37,45, p<.00009 L2 120 (14) 55 (69) 60,29, p<.00009 L3 94 (13) 54 (53) 35,05, p<.00009 Étudiants non spécialistes 307 (39) 161 (185) 140,71, p<.00009 Ifsi 1 155 (21) 82 (94) 68,82, p<.00009 Ifsi 2 103 (40) 60 (83) 26,38, p<.00009 Ifsi 3 76 (40) 59 (57) 5,12, p=.023 Étudiants spécialistes 334 (101) 194 (241) 94,43, p<.00009 AS 28 (7) 17 (18) 7,53, p=.0061 IDE 82 (32) 67 (47) 4,36, p=.036 CS 18 (17) 17 (18) 0,06, p=.81, NS Professionnels 128 (56) 97 (87) 10,99, p=.0009 Ensemble des groupes 769 (196) 330 (635) 407,27, p<.00009 Légende : Le chiffre entre parenthèses représente le nombre de personnes n’ayant pas cité le terme considéré.
Effectifs concernant les deux termes les plus cités pour chacun des sous-groupes (remarque : le 1er terme le plus cité est toujours propreté).

Conclusion intermédiaire

36Nous pouvons conclure de cette première partie des traitements qu’il existe une base culturelle dans les représentations, cette base étant commune aux groupes sociaux insérés dans une même société (ensemble social). Les groupes possèdent toutefois une spécificité particulière au sein de cet ensemble, et développent des représentations qui dépendent, c’est du moins ce que nous avons pu montrer ici, de leurs connaissances et de leurs pratiques en regard de l’objet.

37La base culturelle et la base professionnelle semblent d’ailleurs dans cette étude se situer dans un rapport inverse de proportionnalité : avec la spécialisation (augmentation des connaissances professionnelles) et la pratique professionnelle, la base culturelle laisse place à une représentation professionnelle (sans toutefois disparaître).

Des contenus spécifiques

38L’analyse du contenu de la représentation nous amène à considérer les termes associés par les sujets à un seuil de citation plus bas afin de travailler sur un corpus de données importantes et diversifiées. Ainsi, en référence aux recherches précédentes (Lacassagne et al. 2001) et en prenant en compte la taille du lexique, les analyses suivantes sont réalisées en prenant en compte les termes ayant été associés par plus de 10 % des sujets.

Les indicateurs sémantiques

39L’analyse factorielle des correspondances (AFC) permet de mettre en évidence les oppositions entre différents groupes à partir d’un tableau de contingence croisant les échantillons et les termes le plus souvent associés (Doise, Clémence, & Lorenzi-Cioldi, 1992 ; Vergès & Bouriche, 2001). Dans la présente étude cette analyse permet une visualisation de l’ensemble du champ sémantique et des trois échantillons.

40La réalisation systématique d’une analyse de la fréquence de chacun des termes socialement associés permet de mettre en saillance la spécificité de chaque groupe. Une population peut être caractérisée soit par le fait qu’elle possède un trait spécifique soit par le fait qu’elle ne partage pas, au contraire, un trait commun à toutes les autres populations.

41La corrélation entre les distributions d’effectifs des termes socialement partagés permet de montrer éventuellement l’existence non pas d’une simple différence, mais d’une opposition entre les représentations de nos différents échantillons (Lacassagne et al. 2001).

42L’AFC est significative (Chi2 (68) = 909,20 ; p < .001) et par conséquent exploitable (voir Figure 1). L’axe 1 permet à lui seul d’expliquer 73,5 % de la variance et peut être considéré comme le plus pertinent. Sur cet axe s’opposent les étudiants non spécialisés d’une part et le couple étudiants spécialisés – professionnels d’autre part. L’opposition formés/non formés (ni connaissance, ni pratique) semble donc la plus pertinente pour comprendre la variation globale de notre corpus.

Figure 1
Figure 1
Analyse factorielle des correspondances croisant les trois échantillons et l’ensemble des termes socialement partagés.

43Si on analyse le contenu des termes associés, on note que, comme attendu, le groupe d’étudiants non spécialisés a associé des termes de la vie courante en faisant référence à des actions domestiques quotidiennes en matière d’hygiène comme « se laver », « ménage », « nettoyer », « laver ». À l’opposé, les termes associés par les formés (professionnels et étudiants spécialisés) sont des mots spécifiques faisant référence à des procédures professionnelles comme « lavage des mains », « isolement », « asepsie », en référence donc à l’hygiène hospitalière. En résumé, deux conceptions s’opposent.

44L’axe 2, qui est relativement moins important, permet de comprendre l’opposition entre les professionnels d’une part et les étudiants spécialisés d’autre part. Cet axe oppose ceux que l’on pourrait nommer les professionnels experts (qui ont à la fois des connaissances et des pratiques) aux novices (qui ont des connaissances sans pratique). Cet axe nous permet de comprendre la construction de la représentation et le passage du monde étudiant au monde professionnel. Des termes généraux comme respect, règles et rigueur viennent s’opposer à des termes caractéristiques d’une pratique professionnelle comme « antisepsie », « précaution », « isolement ». Il ne s’agit pas dans ce cas de procédures abstraites, mais d’une référence directe à de véritables protocoles de soin et de prise en charge du patient ancrés dans des pratiques professionnelles.

45La comparaison des effectifs des termes socialement partagés va venir étayer l’AFC en spécifiant chaque groupe. Le tableau 5 permet ainsi de caractériser chacun des échantillons en le comparant aux deux autres. Cette analyse confirme que le groupe des étudiants non spécialisés semble être caractérisé par une association du mot hygiène à de l’hygiène domestique, cette association se traduisant par des termes de la vie courante qui font référence à des actions d’hygiène quotidiennes corporelle et domestique comme « se laver », « ménage », « nettoyer », « laver ».

Tableau 5
Tableau 5
Mots Étudiants Étudiants Profes- Tests (?2(2) ; p) non spécialistes sionnels spécialistes (N = 435) (N = 184) (N = 346) Antisepsie 0 0 28* 122,40 ; p<.01 Antiseptique 0 53* 0 68,33 ; p<.01 Asepsie 0 262* 68 311,44 ; p<.01 Décontamination 0 66* 19 55,88 ; p<.01 Désinfectant 64* 0 0 122,63 ; p<.01 Désinfecter 81* 0 0 158,19 ; p<.01 Désinfection 77 127 60* 7,83 ; p<.02 Douche 72* 0 0 139,19 ; p<.01 Eau 38* 0 0 70,77 ; p<.01 Gants 78* 45 0 59,00 ; p<.01 Hôpital 47* 0 0 88,39 ; p<.01 Isolement 0 0 45* 200,35 ; p<.01 Javel 93* 0 0 184,12 ; p<.01 Lavage 0 45 34* 59,48 ; p<.01 Lavage des mains 0 161 97* 213,12 ; p<.01 Laver 71* 0 0 137,11 ; p<.01 Ménage 53* 0 0 100,33 ; p<.01 Microbes 91* 55 19 32,71 ; p<.01 Nettoyage 77* 0 33 104,12 ; p<.01 Nettoyer 46* 0 0 86,41 ; p<.01 Précautions 0 0 27* 117,90 ; p<.01 Prévention 0 55 33* 60,06 ; p<.01 Propreté 307* 334 128* 31,39 ; p<.01 Protocole 0 76* 35 70,42 ; p<.01 Règles 0 45* 0 57,51 ; p<.01 Respect 0 61* 0 79,34 ; p<.01 Rigueur 0 59* 19 49,26 ; p<.01 Sain 35* 0 0 64,97 ; p<.01 Santé 128* 0 19 208,49 ; p<.01 Savon 161* 61 19 134,73 ; p<.01 Sécurité 0 0 27* 117,90 ; p<.01 Se laver 37* 0 0 68,83 ; p<.01 Soins 35* 0 0 65,74 ; p<.01 Stérilisation 59 53 0* 34,30 ; p<.01 Toilette 35 73 0 37,27 ; p<.01 Légende : * ?2 significatif à p < .01
Distribution des effectifs en fonction des termes cités par plus de 10 % des sujets des trois échantillons.

46Le groupe des étudiants spécialisés quant à lui se distingue par une représentation de l’hygiène organisée autour de termes faisant référence non plus à l’hygiène corporelle et domestique, mais à l’hygiène hospitalière avec toutes ses implications (« antiseptique » « asepsie » « décontamination »). On note cependant une importance des aspects normatifs (« règles », « respect » et « rigueur »).

47Le groupe des professionnels se différencie par l’emploi de termes renvoyant à des protocoles précis (protocole de « lavage », de « lavage des mains », d’« isolement », de « désinfection » des locaux).

48Ces distinctions lexicales entre les trois groupes se retrouvent quantifiées dans le tableau de corrélations (voir Tableau 6). Pour le calcul des corrélations, deux termes (propreté et désinfection) ont été supprimés, car ils masqueraient l’effet de la corrélation du fait de leur très forte fréquence. De plus, les résultats concernant ces termes ont déjà été traités.

Tableau 6
Tableau 6
Étudiants spécialistes Professionnels Étudiants non spécialistes –0,44 (p = .006) –0,46 (p = .004) Étudiants spécialistes 0,65 (p = .0008)
Corrélations entre les distributions des trois échantillons.

49Ces résultats viennent renforcer les précédents car ils mettent en évidence un effet de la variable connaissance. En effet, une opposition apparaît entre formés (étudiants spécialisés et professionnels) et non formés (étudiants non spécialisés). Ces corrélations sont très significativement négatives. Par contre, l’effet de la variable pratique ne s’observe pas ; on voit apparaître une corrélation forte et positive au sein du groupe des formés entre les étudiants spécialisés qui n’ont pas de pratique professionnelle et les professionnels qui ont une pratique avérée.

Conclusion

50Cette étude avait pour objectif la mise en évidence de l’impact des connaissances et de la pratique professionnelle sur les représentations. Deux résultats retiennent plus particulièrement notre attention. Le premier est en relation avec l’analyse des représentations professionnelles et sociales, le second avec l’objet de notre étude, l’hygiène hospitalière. Pour ce qui concerne le premier point, malgré des insertions sociales multiples (pratiques, connaissances, croyances), nous remarquons que les trois groupes présentent une base culturelle commune. Elle apparaît de façon très nette. Ce résultat vient confirmer l’existence d’une architecture globale qui articule représentations collectives, représentations sociales et représentations professionnelles.

51Une analyse approfondie fait apparaître des différences notoires entre les représentations que les trois groupes ont de l’hygiène : les professionnels présentent un ancrage de la pratique dans une connaissance professionnelle précise, la représentation qu’ils ont de l’hygiène s’inscrivant directement au sein de leur en­vi­ron­nement de travail qu’est l’hôpital. Les étudiants spécialisés ont des connaissances qui semblent relativement précises sur l’hygiène hospitalière, mais elles apparaissent abstraites et normatives ; ils évoquent une représentation qui est intermédiaire entre la représentation professionnelle et la représentation sociale. Quant aux étudiants non spécialisés, leur représentation de l’hygiène est liée à leurs pratiques sociales ; ils évoquent une représentation de l’hygiène qui s’appuie essentiellement sur leur rapport à l’hygiène, circonscrite à un cadre domestique et corporel.

52Les individus des trois groupes évoquent des représentations distinctes de l’hygiène, et pourtant on note une base collective commune. Ce résultat nous conduit à confirmer l’existence d’une représentation collective de l’hygiène, partagée par les groupes sociaux, cette représentation semblant englober les représentations sociales et professionnelles. Ces dernières dépendent des pratiques (professionnelles/sociales) vis-à-vis de l’objet, mais également des connaissances (spécifiques ou générales).

53Pour ce qui concerne le deuxième point, les résultats de l’étude nous conduisent à souligner l’importance que revêtirait, au sein de la formation en soins infirmiers dispensée aux étudiants en cours de spécialisation, d’associer les savoirs théoriques à des gestes professionnels précis, afin que le savoir ne reste pas général et abstrait mais s’articule dans des schèmes de connaissances spécifiques à la pratique professionnelle. Ainsi, les protocoles comme celui du « lavage des mains » pourraient être associés aux savoirs théoriques comme par exemple « les caractéristiques et le mode de développement des bactéries » ou les « techniques d’asepsie ». La formation actuelle ne comporte pas cette mise en relation : les étudiants suivent des enseignements théoriques puis effectuent des stages, les savoirs théoriques n’étant pas encapsulés dans l’action (Pastré, 1999).

54D’un point de vue pédagogique, les résultats de cette étude nous ont conduits à faire des propositions de formation concrètes. Il s’agirait de commencer par filmer des situations réelles en faisant varier les contextes (comme, pour ce qui concerne le lavage des mains, les différentes installations possibles : savon bord évier ou savon mural) et, sur cette base, mettre en place une observation des gestes techniques (en groupe de travail) grâce à une grille de recueil, puis une analyse et une réflexion en groupe afin de confronter les savoirs théoriques aux règles appliquées par les professionnels.

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Mots-clés éditeurs : représentation sociale, effet des connaissances, effet des pratiques, représentation professionnelle, hygiène hospitalière

Date de mise en ligne : 01/01/2011

Notes

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Sciences Humaines et Sociales

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