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Article de revue

La Turquie en Asie centrale : acteurs privés et étatique dans le développement d'une influence islamique turque dans les républiques post-soviétiques

Pages 9 à 31

Notes

  • [1]
    Sur la colonisation russe en Asie centrale, voir GORSHENINA S., ABASHIN S., « Le Turkestan russe : une colonie comme les autres ? », dossier spécial des Cahiers d’Asie centrale, n° 17/18, 2011 (http://asiecentrale.revues.org/index1130.html).
  • [2]
    KELLER S., To Moscow, Not Mecca : The Soviet Campaign Against Islam in Central Asia, 1917-1941, Praeger, 2001.
  • [3]
    McGLINCHEY E., Chaos, Violence, Dynasty: Politics and Islam in Central Asia, University of Pittsburgh Press, 2011.
  • [4]
    KARIM M., « Globalization and Post-Soviet Revival of Islam in Central Asia and the Caucasus », in Journal of Muslim Minority Affairs, vol. 25, n° 3, 2005, p. 439-448.
  • [5]
    BALCI B., « Central Asian Refugees in Saudi Arabia: Religious Evolution and Contributing to the Reislamization of their Motherland », in Refugee Survey Quarterly, vol. 26, n° 2, 2007, p. 12-22.
  • [6]
    ZARCONE T., « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », in Hérodote, n° 84, 1997, p. 57-76.
  • [7]
    AYDIN M. (ed.), Türkiye’nin Avrasya Maceras?, 1989-2006 – Avrasya Üçlemesi II, Ankara, Nobel Yayinevi, 2008.
  • [8]
    FIDAN H., « Turkish Foreign Policy Towards Central Asia », in Journal of Balkan and Near Eastern Studies, vol. 12, n° 1, March 2010, p. 109-121.
  • [9]
    Entretien avec Ahat Andijan, Istanbul, juin 2012.
  • [10]
    BAL I., « Turkish Model and the Turkic Republics », in Perceptions, Journal of International Affairs, vol. III, n° 3, 1998, p. 1-17 (http://sam.gov.tr/wp-content/uploads/2012/02/IdrisBal.pdf).
  • [11]
    KHALEED A., Islam aft Communism: Religion and Politics in Central Asia, University of California Press, 2007.
  • [12]
    BRILL M., BRILL O., « Sufism in Central Asia: A Force for Moderation or a Cause of Politicization ? », in Carnegie Paper, Carnegie Endowment for International Peace, June 6, 2007, (http://carnegieendowment.org/files/cp84_olcott_final2.pdf).
  • [13]
    International Crisis Group, Central Asia: Islam and the State, 10 July 2003 (http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/asia/central-asia/059%20Central%20Asia%20Islam%20and%20the%20State.pdf).
  • [14]
    RAHSID A., Taliban: Militant Islam, Oil and Fundamentalism in Central Asia, New Haven, Yale University Press, 2000.
  • [15]
    CHAUDET D., « Islamist Terrorism in Greater Central Asia: The ‘Al-Qaedaization’ of Uzbek Jihadism », Paris, IFRI, 2008, (http://www.ifri.org/files/Russie/ifri_uzbek_jihadism_chaudet_ENG_december2008.pdf).
  • [16]
    HANN C., PELKMANS M., « Realigning Religion and Power in Central Asia: Islam, Nation-State and Post-Socialism », in Europe-Asia Studies, vol. 61, n° 9, 2009, p. 1515-1541.
  • [17]
    GÖZAYDIN I., « Diyanet and Politics », in The Muslim World, vol. 98, n° 2/3, 2008, p. 159-176.
  • [18]
    KORKUT S., « The Diyanet of Turkey and its Activities in Eurasia after the Cold War », in Acta Slavica Iaponica, vol. 28, 2010, p. 117-139.
  • [19]
    Voir son site spécifique http://www.avrasya-is.org/
  • [20]
    AYDIN M., « Süleymancilik », in BORA T., GULTEKINGIL M., Modern Turkiyede Siyasi Düsünce: Islamcilik, Istanbul, Ilestisim Yayinlari, 2004, p. 308-322.
  • [21]
    Sur sa vie et ses œuvres, voir son site internet : http://www.osmannuritopbas.com/osman-nuri-topbas-hocaefendi-nin-hayati.html. Cette autorité religieuse a également des disciples en France, voir : http://www.terredepaix.com/soufisme/osman-efendi-paroles-dor/
  • [22]
    Sur Saït Nursi et sa pensée, il existe une abondante littérature en turc et anglais. Voir, entre autres, MARDIN S., Religion and Social Change in Modern Turkey: The Case of Bediuzzaman Said Nursi, New York, State University of New York, Albany, 1989, 278 p. Voir éventuellement aussi un site en français appartenant à des disciples de Sait Nursi : http://www.hayratvakfi.org/fr/
  • [23]
    Précisions ici toutefois que Fethullah Gülen s’est inspiré autant de Saït Nursi que d’autres figures religieuses de son époque. Parmi elles, le poète Sezai Karakoç et le philosophe Nurettin Topçu.
  • [24]
    HAKAN Y., Toward an Islamic Enlightenment, The Gülen Movement, Oxford University Press, 2013, p. 71-116.
  • [25]
    HENDRICK J., Gülen: The Ambiguous Politics of Market Islam in Turkey and the World, New York, New York University Press, 2013.
  • [26]
    En Turquie, la fondation qui organise les débats et rencontres intra et interreligieux est Turkiye Gazeteciler ve Yazarlar Vakfi (Fondation des Écrivains et des Journalistes de Turquie) : http://www.gyv.org.tr/. Des centaines d’autres structures similaires ont été lancées dans le monde. Voir par exemple celle de Paris, La plateforme de Paris : http://www.plateformedeparis.fr ou alors celle de Washington, Rumi Forum : http://www.rumiforum.org/
  • [27]
    HAKAN Y., op.cit., 2013.
  • [28]
    Voir, à titre d’exemple, CETINKAYA H., Fethullah Gülen’in 40 Y?ll?k Serüveni, Istanbul, Cumhuriyet Kitaplari, 2010.
  • [29]
    BALCI B., Missionnaires de l’islam en Asie centrale, les écoles turques de Fethullah Gülen, Paris, Maisonneuve et Larose et Institut français d’études anatoliennes, 2003.
  • [30]
    COMPAYRÉ G., « Grandeur et limite de l’enseignement jésuite », Encyclopédie de l’Agora, (http://agora.qc.ca/documents/jesuites--grandeur_et_limites_de_lenseignement_jesuite_par_gabriel_compayre).
  • [31]
    Voir le site de la Société Katev, qui gère les écoles turques au Kazakshtan : http://www.katev.kz/
  • [32]
    Sur les écoles turques au Tadjikistan, voir le site de la société qui les gère, Selale : http://www.shelale.org/tj/
  • [33]
    ALIYEV F., « The Gulen Movement in Azerbaijan », in Current Trends in Islamist Ideology, n° 5, December 2012. (http://www.currenttrends.org/docLib/20130124_CT14Aliev.pdf).
  • [34]
    GÜLEN F., Terror and Suicide Attacks: An Islamic Perspective, New jersey, The Light, 2004, 120 p.
  • [35]
    DEVLET N., « Taking Stock: Turkey and the Turkic World 20 Years Later », in The German Marshall Fund of United States, November 10 2011, (http://www.gmfus.org/wp-content/blogs.dir/1/files_mf/1321555956_magicfields_attachment__1_1.pdf).
  • [36]
    BALCI B., « Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale : implantation, fonctionnement et nature du message véhiculé par le biais de la coopération éducative », in Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 101-102 | juillet 2003, mis en ligne le 12 mai 2009, consulté le 24 février 2013 (http://remmm.revues.org/54).
  • [37]
    BALCI B., « Fethullah Gülen’s Missionary Schools in Central Asia and their Role in the Spreading of Turkism and Islam », in Religion State and Society, vol. 31, n° 2, 2003, p. 151-177.
  • [38]
    ALIYEV F., op. cit., 2012.
  • [39]
    L’affaire Ergenekon (nom mythique désignant une région de Sibérie d’où seraient originaires les Turcs) désigne un complot, raté, découvert en 2007, impliquant des centaines de personnalités militaires, mais aussi civiles, qui cherchaient par divers moyens (assassinats, agitation, attentats) à provoquer une forte instabilité dans le pays pour rendre légitime une intervention de l’armée et renverser le gouvernement civil islamoconservateur de Recep Tayyip Erdo?an. Découvertes et évitées, ces tentatives de coup d’État ont donné lieu à des procès historiques, dont celui de septembre 2012 qui a vu des centaines d’officiers et quelques généraux condamnés à de lourdes peines de prison. Perçus comme la preuve d’un progrès démocratique par certains et comme des règlements de compte politiques par d’autres, ces procès marquent la fin de l’omnipotence de l’armée, désormais soumise au pouvoir civil. Il a été reproché à la mouvance de Gülen de profiter de ces procès, grâce à ses réseaux d’influence dans l’appareil judiciaire, pour régler ses comptes avec l’armée et les cercles kémalistes par lesquels elle estime avoir été longtemps brimée.
  • [40]
    ABRAMSON D., « Foreign Religious Education and the Central Asian Islamic Revival: Impact and Prospects for Stability », in Central Asia-Caucasus Institute, Silk road Papers, March 2010. (http://www.silkroadstudies.org/new/docs/silkroadpapers/1003Abramson.pdf).
  • [41]
    KARAGIANNIS E., Political Islam in Central Asia: the Challenge of Hizb-ul-Tahrir, Routledge, 2010.
  • [42]
    MASUD M.K., Travellers in Faith: Studies of the Tablighi Jama at As a Transnational Islamic Movement for Faith Renewal, Brill, 2000.
  • [43]
    BALCI B., « La jama’at al Tabligh en Asie centrale : réactivation des liens islamiques avec le sous-continent indien et insertion dans un islam mondialisé », in Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 130 | février 2012, mis en ligne le 23 février 2012, consulté le 24 février 2013 (http://remmm.revues.org/7478).

1Islamisée dès les premiers temps de la conquête arabe, l’Asie centrale a été tout aussi profondément marquée par sa longue cohabitation avec la culture russe et soviétique que par la culture musulmane. Toutefois, les 150 ans qu’a duré la domination russo-soviétique achevée en 1991 n’ont pas suffi à anéantir complètement les liens qui relient les peuples d’Asie centrale au reste du monde musulman [1].

2Dans cet espace comprenant les cinq républiques issues de l’ex-URSS (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan), et malgré les campagnes antireligieuses, il y a toujours eu continuité en matière d’éducation islamique. Au côté des établissements officiels, certes en nombre très limité, fonctionnaient des cercles privés, plus ou moins clandestins, qui n’ont jamais cessé de pourvoir une éducation islamique transmise aux jeunes générations [2]. Et pourtant, malgré cette relative tolérance du régime soviétique vis-à-vis de la pratique islamique, la fin de l’URSS en 1991 constitue incontestablement une rupture fondamentale dans la vie de tous les peuples d’Asie centrale, plus particulièrement dans leur rapport à l’islam [3]. Les nouveaux pouvoirs politiques adoptent une attitude tout à fait bienveillante vis-à-vis de la religion, tant qu’elle reste sous le contrôle étroit du système politique. Cette nouvelle attitude du pouvoir politique vis-à-vis de l’islam, faite de libéralisme et de contrôle, favorise une certaine intégration de l’islam d’Asie centrale avec l’islam du reste du monde [4]. Ainsi, dès la fin de l’ère soviétique, des réseaux religieux de différentes nature et originaires de différents pays s’organisent et renouent des liens entre les musulmans d’Asie centrale. Le pèlerinage à la Mecque [5], hadjj ou oumra, mais aussi les petits pèlerinages sur les lieux saints en Asie centrale (mausolée de Bahauddin Nakshibend à Boukhara ou mausolée d’Ahmed Yesevi dans le sud kazakh [6], pour ne donner que ces deux exemples) redynamisent les relations entre l’islam d’Asie centrale et les islams arabe, turc et indo-pakistanais. De même, l’établissement de relations commerciales entre les pays d’Asie centrale et certains pays musulmans favorise là aussi des retrouvailles, des nouveaux contacts et des influences réciproques entre musulmans d’Asie Centrale et leurs coreligionnaires.

3L’objectif du présent article est d’analyser un des aspects de cette nouvelle ère dans l’histoire récente de l’Islam en Asie centrale, à savoir le développement de réseaux éducatifs islamiques, tant publics que privés, entre la Turquie et l’Asie centrale. La Turquie n’est en effet pas un pays anodin pour la plupart des pays de la région. Des liens historiques anciens, mais aussi une certaine parenté ethnique et linguistique la lient à tous les pays de la région, y compris au Tadjikistan dont la culture persanophone ne l’empêche pas d’avoir d’intenses relations avec la Turquie [7]. Trois aspects de cette coopération seront étudiés. Il s’agira dans un premier temps d’analyser les actions et les objectifs des principaux acteurs islamiques turcs impliqués dans cette coopération religieuse, et que sont l’État turc lui-même par le biais de la Diyanet, et diverses mouvances privées, dont la plus active est celle de Fethullah Gülen. Suivra ensuite l’analyse des interactions entre ces diverses influences turques et les principaux acteurs de l’islam centrasiatique, aussi bien privés qu’étatiques. À partir de ces deux strates d’analyse, nous développerons dans un chapitre conclusif l’impact de cet islam turc en Asie centrale en le replaçant dans le débat plus large des implications de la politique d’influence turque en Asie centrale depuis la fin de l’URSS. On verra ainsi que le volet religieux est dans une large mesure une des plus grandes réussites de la politique turque dans cet espace turcophone.

Le contexte politique et religieux en Turquie et en Asie centrale au début des années 1990

4Pour comprendre l’état actuel des relations islamiques entre la Turquie et l’Asie centrale, il est indispensable de s’arrêter un instant sur le contexte dans lequel évoluent les élites dirigeantes dans ces pays durant les premières années de l’indépendance. Celui-ci, favorable à la coopération multisectorielle se caractérise par trois aspects. En tout premier lieu, la volonté politique turque rencontre un fort soutien populaire pour un rapprochement avec les peuples frères d’Asie centrale. Ankara ambitionne de bâtir des relations fortes et intégrées avec les nouvelles républiques turcophones [8]. L’intérêt stratégique est tel, que la Turquie se dote d’un véritable ministère des relations avec le monde turcophone. Action symbolique, ce ministère est confié à un turc d’origine ouzbèke, Ahat Ajdijan dont la famille avait fui la répression soviétique dans les années 1940 pour trouver refuge en Turquie. L’idée est de créer une force politique turcique capable de peser sur la scène politique internationale [9]. Cette politique turque en Asie centrale a facilité les contacts et les échanges, dont la circulation des idées religieuses entre la Turquie et les nouvelles républiques centrasiatiques. Le deuxième aspect de ce contexte favorable réside dans le fait que les grandes puissances occidentales, Europe et États-Unis en tête, ont encouragé la Turquie à être active et influente en Asie centrale pour contrer une hypothétique influence saoudienne et/ou iranienne et par crainte de la propension des nouveaux États à épouser islamisme et radicalisme religieux [10]. Enfin, le troisième aspect est que le développement des flux, commerciaux, mais pas seulement, entre la Turquie et l’Asie centrale montre la bienveillance des autorités politiques centrasiatiques vis-à-vis de la Turquie. Ainsi, pendant les premières années de l’indépendance, angoissées face à un contexte international méconnu, et poussées par l’Occident et la Turquie à se rapprocher du « modèle turc de transition vers le marché, la laïcité et la démocratie » les élites centrasiatiques ont initialement accueilli favorablement les diverses influences turques, y compris religieuses. Toutefois, leur attitude changera par la suite, mais il faut bien souligner que leur ouverture initiale aux influences turques a facilité le travail des divers acteurs islamiques turcs venus s’implanter en Asie centrale. Parmi eux figure la Diyanet dont on va détailler les actions en Asie centrale. Pour comprendre dans quelles conditions elle opère, analysons tout d’abord les politiques des États en Asie centrale en matière de religion, des politiques religieuses qui sont à la fois en continuité et en rupture avec la période soviétique.

5Cette nouvelle politique est d’abord un changement, dans la mesure où le religieux n’est plus interdit, clandestin et chassé de l’espace public, mais bien au contraire, valorisé et fortement soutenu par une panoplie de mesures institutionnelles quand il répond aux besoins de la population et aux valeurs traditionnelles telles que définies par l’État comme conformes à une certaine vision officielle de l’islam. Cet islam, traditionnel et populaire, tel que pratiqué par la majeure partie de la population, est associé et intégré dans la nouvelle politique identitaire du pays [11]. L’héritage islamique et les grandes figures religieuses, de préférence celles qui ont été les moins politisées, sont réhabilitées et revalorisées. Ainsi, le soufisme, en tant que branche mystique et apolitique de l’islam traditionnel centrasiatique fait l’objet d’une vénération nouvelle, entretenue par les régimes, au motif qu’il constitue un rempart contre l’extrémisme et le radicalisme [12]. En Ouzbékistan, par exemple, le mausolée du grand mystique Bahauddin Nakshibend à Boukhara, fondateur de la nakshibendiyya, a été restauré, agrandi, et ouvert à la population. Au Turkménistan, de la même manière, le mausolée de Najmeddin Kubra a également été rénové et transformé en lieu de pèlerinage. Au Kazakhstan, le fondateur de la yasaviyya, Ahmed Yesevi, fait l’objet d’un même culte de la part du pouvoir kazakh. Et bien sûr depuis l’ouverture des frontières soviétiques en 1991, la plupart des dirigeants centrasiatiques effectuent le pèlerinage à La Mecque et dans les autres lieux saints de l’islam, se présentant ainsi respectueux de l’islam.

6Parallèlement, il est intéressant de noter que les nouveaux régimes n’ont jamais rompu avec les pratiques de l’ancien régime soviétique, en matière de surveillance des intellectuels et des religieux, quels qu’ils soient. Le contrôle d’État sur le fait religieux s’est même intensifié, dans le sens où la répression des vecteurs d’un islam non conforme aux normes fixées par les nouvelles autorités se révèle bien plus brutale [13]. Cette surveillance accrue et répressive du religieux s’est mise en place progressivement, au fur et à mesure que le pouvoir a vu se développer une religiosité et un activisme religieux échappant à son contrôle et défiant son autorité. En Ouzbékistan, s’est développé à partir de 1993 un islamisme ouvertement politique et radical, avec l’émergence du Mouvement islamique d’Ouzbékistan [14]. Surveillée, muselée, réprimée, cette fraction marginale de radicaux, opérant depuis le Tadjikistan voisin en proie à la guerre civile, a commis plusieurs attentats en Ouzbékistan. L’escalade et la diffusion de cet islamisme radical au Kirghizstan et au Tadjikistan ont incité les autorités à adopter des politiques religieuses quasi exclusivement sécuritaires, par ailleurs alimentées par la crainte, quasi obsessionnelle et en partie fondée, de voir l’islamisme des talibans et celui d’Asie centrale œuvrer insidieusement à l’instauration d’un ordre islamique dans les nouvelles républiques. Ce sentiment de collusion s’est avéré justifié quand effectivement ont commencé à coopérer de façon effective le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, les Talibans et Al Qaeda en Afghanistan [15].

7Ainsi, pour des raisons tant objectives (l’existence d’un incontestable phénomène djihadiste sur le territoire national, comme l’ont montré les attentats de Tachkent en 1999 et 2004) que subjectives (le sentiment que tout phénomène islamique non contrôlé est potentiellement politique et radical), tous les régimes en Asie centrale ont progressivement adopté des politiques religieuses autoritaires plus sévères. Ce contrôle sans concession s’effectue par le biais de deux organismes. Le premier est la Direction des affaires spirituelles, une instance religieuse héritée de la période soviétique, elle-même inspirée d’une structure similaire qui existait déjà pendant la période russe. Dirigée par la plus grande autorité spirituelle du pays, le mufti de la république, elle gère et organise l’islam. Elle nomme les imams, supervise la construction et la restauration des mosquées, l’ordonnancement des prières, etc. Elle est censée partager ses prérogatives avec une autre structure, mise en place dans chaque pays quelques années après l’accession à l’indépendance, le comité d’État pour les affaires religieuses. Contrôlés par des technocrates n’ayant pas forcément une formation religieuse, ils surveillent surtout la conformité des nouvelles organisations religieuses aux normes sécuritaires de l’État. Ces deux instances ont donc pour mission de surveiller l’évolution de l’islam [16]. Elles définissent la norme et décident de ce qui est admis ou admissible depuis l’étranger, que ça soit en termes de littérature ou d’idées religieuses ou encore de formation de cadres à l’étranger. Elles sont seules légitimes pour permettre ou non l’enregistrement officiel en qualité d’association religieuse, de même qu’elles ont le pouvoir absolu de décider avec quel pays et quels organismes la coopération religieuse doit être privilégiée. La Turquie et ses divers courants d’influence, dont le plus officiel qui est la Diyanet, sont, du fait de la parenté entre la Turquie et les États de la région, les plus sollicités dans cette coopération.

La Diyanet, à l’avant-garde de la coopération islamique entre la Turquie et l’Asie centrale

8La Diyanet ?sleri Ba?kanl???, Présidence des affaires religieuses, plus communément appelée Diyanet est sans doute l’institution la plus singulière qui atteste de la complexité et des ambiguïtés des relations en Turquie entre État et religion. S’inspirant partiellement d’une structure ottomane préexistante, la Diyanet est une vraie création du système républicain turc dont l’objectif était de gérer les relations entre État et islam. Elle supervise le fonctionnement des lieux de culte et l’organisation de l’enseignement religieux [17]. Elle est souvent l’objet de vives interrogations et polémiques, sur sa compatibilité avec la laïcité qui est l’un des principes fondamentaux de l’État turc. Active dans la vie politique intérieure turque, la Diyanet s’est invitée aussi dans la politique extérieure d’Ankara, et ce bien avant la fin de l’URSS. En Europe, à partir des années 1980, elle envoie des imams, et divers autres services religieux répondant à une demande exprimée par les migrants turcs. Ainsi, dans les ambassades et consulats turcs en Europe officient des attachés aux affaires religieuses chargés de servir, et éventuellement surveiller, les expatriés turcs. Toutefois, cette présence hors du territoire national se limite aux services rendus aux expatriés turcs et la Diyanet n’a alors pas vocation à coopérer avec d’autres États, si ce n’est avec l’Arabie saoudite ou l’Égypte dans le cadre de l’organisation du pèlerinage ou de l’envoi d’étudiants à l’université al Azhar. À partir de la chute du bloc de l’Est, elle commence cependant à accompagner la politique extérieure dans des régions autrefois ottomanes (les Balkans) ou faisant partie de l’espace culturel turcophone (Caucase, Asie centrale) [18]. Dès 1991, la Diyanet, et avec elle l’islam et la coopération islamique, devient un outil fondamental dans la politique d’influence turque dans tout l’ancien bloc socialiste, et plus particulièrement dans les républiques turcophones où elle s’implique directement dans plusieurs programmes d’action.

9Le premier volet de la coopération concerne la Avrasya Islam ?uras?[19], Conseil islamique eurasien, qui est une organisation rassemblant la Diyanet et les directions des affaires spirituelles d’une quinzaine de pays du bloc de l’Est (Bosnie, Kossovo, Albanie, Azerbaïdjan, Fédération de Russie, et tous les États d’Asie centrale sauf l’Ouzbékistan dont la coopération avec cette instance fut de courte durée). L’objectif de cet organisme qui s’est réuni 8 fois depuis 1995, le plus souvent en Turquie, est de permettre le dialogue, et à terme de favoriser une certaine convergence dans la manière de concevoir la place de l’islam vis-à-vis de la société et de l’État. Lors de ces rencontres au sommet, les autorités religieuses tentent de se mettre d’accord sur des questions aussi précises et rudimentaires que les dates des principales fêtes musulmanes. De fait sous patronage turc, cet organisme permet à la Turquie de véhiculer sa vision de l’islam, et d’œuvrer ainsi à l’exportation de son modèle politico-religieux dans ces pays où Ankara cherche à être influent.

10Ainsi, la Turquie par le biais de la Diyanet construit ou restaure des mosquées dans tous ces pays. À Bakou et Achkhabad, les plus grandes mosquées de la ville, en tout cas celles qui attirent le plus de fidèles lors de la prière de vendredi, sont celles construites par la Diyanet. Dans le domaine éducatif, dans tous les pays turcophones, sauf en Ouzbékistan, la Turquie crée des facultés de théologie, sur le modèle de celle de l’Université de Marmara, pour former les nouvelles élites islamiques. Des étudiants centrasiatiques sont accueillis par la Diyanet dans diverses facultés de théologie où ils sont formés pour servir dans leur pays à leur retour. De la même manière des imams turcs sont envoyés dans ces pays, certes en petit nombre et souvent dans les mois de ramadan uniquement, pour prêcher dans des mosquées en Asie centrale, en coopération avec les autorités religieuses locales. Enfin, une abondante littérature islamique de base, sur la vie du prophète, l’essentiel de l’éthique musulmane et l’histoire de l’islam, est imprimée en Turquie dans toutes les langues d’Asie centrale et distribuée gratuitement dans tout l’espace centrasiatique. Le bilan de ces actions vingt ans après la fin de l’URSS est plutôt positif pour Ankara, mais il doit être mis en perspective avec les autres contributions turques au renouveau de l’islam en Asie centrale, celles des mouvements privés.

11En effet, et c’est sans doute le plus intéressant à analyser, la contribution turque au renouveau de l’enseignement de l’islam est surtout l’œuvre de nombreux mouvements privés. Il convient de se pencher sur les plus importants qui portent le nom de leur maître fondateur : Osman Nuri Topba?, Süleyman Tunahan, Saït Nursi et Fethullah Gülen. Parmi ces mouvances, les plus simples à étudier sont celles d’Osman Nuri Topba? et de Suleyman Tunahan, deux autorités religieuses appartenant à des branches différentes de la confrérie dite nakshibendiyya, et qui affichent ouvertement la nature religieuse de leur présence en Asie centrale. Elles déploient leur action religieuse dans un cadre négocié avec le pouvoir local, si bien que leur progression est totalement transparente et contrôlée. Par contre, l’influence des disciples de Saït Nursi et ceux de Fethullah Gülen, deux mouvements historiquement liés, échappent partiellement à l’analyse par le caractère relativement secret et sibyllin de l’entreprise.

12Le groupe de Suleyman Hilmi Tunahan dont les disciples sont appelés Suleymanci est incontestablement le mouvement qui, sans être le plus influent, est celui qui affiche le plus ouvertement ses ambitions prédicatives en Asie centrale. Il a été fondé par Suleyman Tunahan, né en Bulgarie ottomane en 1889 et décédé en Turquie en 1959. Appartenant à la nakshibendiyya, il a été toute sa vie durant en conflit avec l’État turc, dont il désapprouvait la politique religieuse, et plus particulièrement son monopole, via la Diyanet, sur l’enseignement religieux [20]. La doctrine et l’action fondamentales de son mouvement sont axées sur la mission sacrée d’enseigner la lecture du Coran en arabe à tout un chacun. Selon les Suleymanci, n’est pleinement musulman que celui qui lit le Coran dans le texte, dans la langue du Prophète. De cet impératif découle la spécialisation du mouvement en Turquie, mais aussi en Asie centrale. En Turquie, les Suleymanci, qui se sont par ailleurs réconciliés avec la Diyanet dès 1972, administrent des madrasas et des écoles coraniques. En Asie centrale, mais davantage encore en Azerbaïdjan et en Géorgie, le mouvement a créé des petites madrasas dans le cadre d’accords signés avec les autorités locales. En Asie centrale, le mouvement est surtout présent au Kazakhstan et au Kirghizstan où les autorités sont plus ouvertes que celles dans les pays voisins envers les influences religieuses étrangères. Au Kirghizstan, cette mouvance gère une madrasa dans la ville d’Osh, une autre dans la ville voisine d‘Ozgen, ainsi qu’un important centre religieux dans la capitale Bichkek. Il s’agit toutefois d’établissements modestes, accueillant peu d’élèves pour des périodes de deux ou trois mois, le temps d’assimiler les rudiments de la lecture du Coran.

13Osman Nuri Topba? est une autre figure nakshibendie importante en Turquie à avoir noué des liens particuliers avec l’étranger [21]. Depuis Istanbul, et plus précisément Uskudar et le mausolée de Mahmut Hudayi Vakfi qui lui sert de quartier général, il gère d’importantes œuvres caritatives et éducatives. Ses œuvres mystiques ont été traduites en russe, kazakh et azéri et distribuées dans toute l’ex-URSS, là aussi à l’exception de l’Ouzbékistan et du Turkménistan, qui importent très peu de littérature religieuse. Ce mouvement a surtout acquis une certaine notoriété en Azerbaïdjan et au Kazakhstan. À Bakou, sa Fondation d’aide à la jeunesse azerbaïdjanaise dispose d’un grand centre religieux avec une importante bibliothèque et plusieurs salles de cours. En coopération avec la direction des affaires spirituelles d’Azerbaïdjan, elle gère aussi des établissements religieux en province. Au Kazakhstan, sa présence est plus discrète et se limite à des cercles informels de lecture et de réflexion sur l’islam et la place de ce dernier dans la société. En cela, la mouvance se rapproche d’une autre mouvance turque très active dans tout l’espace post-soviétique, celle fondée par Saït Nursi.

14Sait Nursi est né en 1876 à l’est de la Turquie, près d’Erzurum. Marqué par un islam mystique, il devient d’abord une autorité religieuse influente dans sa province d’origine, puis il accroît sa notoriété grâce à son engagement pendant la Première Guerre mondiale sur le front de l’Est, contre la Russie. Au moment de la fondation de la République turque sur les débris de l’Empire ottoman, il milite en faveur d’un régime politique nouveau fondé sur l’islam. En désaccord profond sur ce point avec Mustafa Kemal Atatürk et sa vision laïque et séculière, il renonce à l’engagement politique, et crée un mouvement quasi mystique, apolitique et piétiste [22]. Il est en cela comparable à d’autres autorités islamiques, comme Muhammad Ilyas et Mawdudi en Inde par exemple, qui, conscientes de la crise que traverse le monde musulman, cherchent à y remédier en prônant un plus grand attachement à un islam modernisé. Pour Saït Nursi, l’idée centrale est de prouver qu’islam, science et modernité sont compatibles, à condition que les sciences religieuses entrent à l’école moderne et que la madrasa s’ouvre aux sciences profanes. Entre clandestinité et semi-légalité, son mouvement devient populaire à travers tout le pays. Se développent un peu partout des cercles de lecteurs de son œuvre fondamentale, la Risale i Nur, lettre de la Lumière, une exégèse du Coran. Le contenu de cette lettre n’est pas politique, mais uniquement spirituel, et il n’a d’autres ambitions que d’expliquer le Coran et les autres textes fondamentaux de l’islam et hadith notamment. Saït Nursi meurt en 1960, laissant derrière lui un mouvement actif dans tout le pays, mais qui ne résiste pas aux tendances sécessionnistes entre différents groupes, chacun dirigé par un de ses disciples, et dévoué à une tâche particulière : diffusion de son œuvre maîtresse, promotion de ses idées dans les cercles académiques, ou encore l’éducation. Les plus notables disciples sont Mehmet Kutlular qui dirige toujours le quotidien Yeni Asya, Mehmet Kirkinci et Mustafa Sungur (décédé en décembre 2012). Fethullah Gülen est un autre disciple de Saït Nursi [23], le plus influent à l’heure actuelle, mais qui s’est tellement autonomisé des enseignements classiques de Nursi, qu’il fera l’objet d’un traitement à part. Mais auparavant, faisons le point sur les actions en Asie centrale des autres branches se réclamant des enseignements de Saït Nursi.

15Appelés Nurcu, de par leur affiliation à la philosophie de Saït Nursi, divers groupes peu structurés sont partis de Turquie dès 1990 dans tout l’espace musulman post-socialiste, mais plus particulièrement dans les républiques turcophones pour diffuser l’œuvre centrale du mouvement nurcu, la Risale i Nur, l’exégèse du Coran écrite en turc prérépublicain, mais traduite depuis dans pratiquement toutes les langues d’Asie centrale. La présence de ces cercles de lecture de l’œuvre de Saït Nursi est toutefois peu visible. En effet, ces réseaux n’opèrent pas dans le cadre d’établissements éducatifs visibles, mais plutôt dans des appartements privés. Ces cercles ne se considérant pas eux-mêmes comme un mouvement spécifique, ils ne demandent pas à être reconnus officiellement en tant que communauté religieuse dans les pays où ils opèrent. Dans toutes les républiques d’Asie centrale sauf en Ouzbékistan où toute présence nurcu est bannie, les Nurcus diffusent les idées de leur maître dans le cadre de leurs activités commerciales ou estudiantines, car bon nombre d’expatriés turcs en Asie centrale sont par ailleurs des responsables de petites et moyennes entreprises ou de jeunes étudiants inscrits dans des universités centrasiatiques dans le cadre d’échanges universitaires entre la Turquie et les pays turcophones. Pour ces cercles nurcu dont le poids et l’influence sont souvent exagérés par les autorités politiques, l’intention de véhiculer les idées du maître est parfaitement claire, et c’est précisément là que le groupe fondé par Fethullah Gülen, le plus influent en Asie centrale, fait dissension.

La communauté de Fethullah Gülen en Asie centrale, éducation moderne et séculière, et spiritualité islamique

16Né en 1938 à l’est de la Turquie au sein d’une famille conservatrice, Gülen reprend le discours de Saït Nursi, mais en valorisant tout particulièrement la dimension éducative. Ancrée au départ dans une pensée religieuse quasiment mystique, mais qui s’est progressivement politisée, la pensée de Fethullah Gülen vise à former une nouvelle génération « en or » (Altin Nesil), qui soit à la fois moderne, en adéquation avec son temps et fidèle à ses traditions turco-islamique [24]. La structuration du mouvement est lente, mais décisive : dans les années 1960, Fethullah Gülen forme ses premiers disciples dans la région d’Izmir, où il officie comme imam officiel au service de la République ; la décennie suivante voit les idées du mouvement se diffuser dans les autres régions de Turquie. Quand la Turquie bascule vers l’économie de marché à partir de janvier 1980, la mouvance, forte de centaines de milliers de sympathisants qui financent ses activités, se renforce en alliant réussite économique et foi islamique [25]. À partir de 1989, l’ouverture turque vers les Balkans, le Caucase et l’Asie centrale, permet aux disciples de Fethullah Gülen, appelés fethullahci ou güleniste (deux désignations qui plaisent peu aux intéressés) d’entrer dans la mondialisation tant économique que religieuse. Aussi bien en Turquie que dans tous les pays où elle est implantée, la mouvance de Fethullah Gülen privilégie quatre domaines d’action où elle est particulièrement influente.

17Dès le passage à l’économie de marché, la mouvance güleniste privilégie d’abord l’éducation et crée des milliers d’établissements éducatifs privés. Viennent ensuite les médias qui constituent l’autre socle du mouvement. Le quotidien Zaman (et sa version anglophone Todayzaman) est l’un des meilleurs quotidiens à paraître actuellement en Turquie. Plusieurs chaînes de télévision, comme STV, sont connues pour être des plateformes de promotion des idées de Fethullah Gülen. Troisième domaine privilégié par la communauté de Gülen, le milieu des intellectuels, à travers la création de forums dédiés au dialogue interreligieux, d’abord en Turquie puis progressivement à l’étranger [26]. Enfin, ces domaines de prédilection ne peuvent se passer de la présence de la mouvance dans des secteurs clés de l’économie et du commerce. Des centaines de grandes compagnies, mais surtout des milliers de petites et moyennes entreprises sont gérées par des hommes d’affaires qui se reconnaissent dans les idées de Fethullah Gülen.

18La mouvance se définissait au départ comme une communauté, cemaat, avant de préférer s’appeler hareket, mouvement. Depuis quelques années, du fait de la diversification de ses domaines d’activités, elle se définit comme hizmet, c’est-à-dire comme une communauté de services motivée exclusivement par la promotion des idéaux de dialogue et de paix sociale, à l’échelle planétaire. Pour appuyer cette affirmation, elle met en avant les rencontres interreligieuses qu’elle organise régulièrement dans tous les pays où elle est présente et les soutiens dont bénéficient les initiatives du mouvement dans des milieux non musulmans, chrétiens, juifs et autres. Fethullah Gülen est en effet un des rares penseurs musulmans à être soutenu et publiquement loué par des leaders religieux, juifs ou chrétiens en Turquie et dans la plupart des pays où sa mouvance est présente [27].

19Pour les organisations islamiques rivales du mouvement, notamment les plus fondamentalistes, comme celle des Kaplanci qui fut assez active dans la diaspora turque en Europe, les initiatives de Fethullah Gülen sont condamnables dans la mesure où, par leur apolitisme, leur modération et leur collaboration avec les « ennemis de l’islam », elles vident l’islam de son esprit combatif et perpétuent ainsi la soumission du monde musulman à l’Occident.

20Quant aux milieux séculiers et kémalistes turcs, notamment l’armée turque et sa hiérarchie, ils sont persuadés que les Gülenistes, sous couvert d’islam modéré, de paix sociale et de dialogue entre les civilisations, cherchent en réalité à travers un agenda caché, à islamiser les esprits pour à moyen ou long terme favoriser l’avènement d’un État islamique [28].

21À notre sens, chacune des assertions recèle un bout de vérité. Le mouvement güleniste diffuse incontestablement un esprit généreux et humaniste, qui n’est toutefois pas incompatible avec la progressive politisation qui lui est reprochée par les milieux laïques. Le mouvement de Gülen s’apparente, dans une version turco islamique, au phénomène jésuite. Il s’est probablement inspiré des écoles missionnaires créées par les Occidentaux dans l’Empire ottoman, et qui ont formé les élites post-ottomanes et républicaines [29]. L’idée ingénieuse de Gülen fut d’opérer une simple transposition de ce modèle occidental pour éduquer des élites turco-islamiques capables à leur tour de former les élites d’autres pays, en Asie centrale et dans le Caucase au départ, puis dans le reste du monde. Comme les jésuites avant eux, les Gülenistes mettent l’éducation « totale » au centre de leurs préoccupations et comme eux, ils cultivent un élitisme et un entrisme, qui dissimulent mal leur engouement pour l’influence et le pouvoir [30]. L’Asie centrale a été le terrain d’expérimentation de la mouvance, avant qu’elle ne devienne un mouvement transnational actif sur tous les continents.

Implantation et actions des disciples de Fethullah Gülen en Asie centrale

22Les services éducatifs rendus par la communauté de Gülen, cemaat, à toutes les sociétés post-soviétiques sont certainement ce qui a le plus favorisé et légitimé ses actions dans tous ces pays. De l’Azerbaïdjan jusqu’au Kazakhstan, les disciples de Fethullah Gülen ont créé des lycées et des universités qui répondaient à un véritable besoin des populations locales. Affaiblies par la sortie de l’Union soviétique, et en perte de repères identitaires, les sociétés d’Asie centrale, mais aussi les régimes en place ont répondu très favorablement aux sollicitations de la communauté pour ouvrir des écoles dans leurs pays. Mais précisons toutefois que les écoles de Fethullah Gülen ne se sont pas présentées comme telles en Asie centrale.

23Des entrepreneurs sont arrivés en premier en Asie centrale en tant que représentants d’associations d’hommes d’affaires, pour développer la coopération économique entre leur région d’origine en Turquie et diverses villes centrasiatiques, avant de proposer aux partenaires locaux de créer des écoles sur l’exemple des établissements privés en Turquie. Le contexte était alors très favorable à une telle coopération à la fois économique et culturelle et éducative. En effet, si au début de la décennie 1990 l’État turc, les élites kémalistes et l’armée se méfiaient de cette mouvance, la figure centrale de la vie politique turque de l’époque, Turgut Ozal, pour des raisons tant pragmatiques et politiques et du fait de ses convictions religieuses, a fortement soutenu les actions de Fethullah Gülen. Par ailleurs, les gouvernements d’Asie centrale, bien qu’ils le nient aujourd’hui, étaient très favorables à l’influence turque, avant de rejeter ce nouveau « grand-frère ». Pour tous ces pays, la Turquie et son influence multiforme étaient source d’inspiration pour un développement libéré de l’héritage soviétique. Ainsi, dans les premières années des indépendances, les services éducatifs de la cemaat, qui sur place n’affichait pas ouvertement ses liens spirituels avec Fethullah Gülen, étaient bien appréciés. En l’espace de quelques années, plusieurs entreprises éducatives ont développé un solide réseau éducatif dans toute l’Asie centrale. Au Kazakhstan il y a toujours, en décembre 2013, plus de trente lycées, une université et divers centres linguistiques [31]. Même en Ouzbékistan où toutes les écoles ont fermé en 2000, il y avait au départ une attitude très positive vis-à-vis de ces écoles dont le nombre approchait la vingtaine d’établissements, tous genres confondus. Leur fermeture était plus liée à la détérioration des relations entre la Turquie et l’Ouzbékistan qu’à la nature même des activités du mouvement de Fethullah Gülen. Au Kirghizstan, il y a à l’heure actuelle une dizaine de lycées et une université gérés par des disciples de Fethullah Gülen [32]. Au Tadjikistan, et encore plus en Azerbaïdjan, il y a aussi une forte présence éducative de la mouvance de Fethullah Gülen dont le développement se poursuit malgré certaines appréhensions des autorités locales [33].

24Le succès de ces écoles de la cemaat a fait la popularité du mouvement en Asie centrale, et c’est encore à l’heure actuelle grâce à elles que la communauté se maintient bien dans tous ces États, à l’exception de l’Ouzbékistan. Les attentats du 11 septembre 2001, qui ont contribué à la crispation des régimes d’Asie centrale vis-à-vis de tout phénomène religieux, ont considérablement freiné les capacités d’action des mouvements islamistes, même les plus modérés, en Asie centrale, mais n’a guère entamé la bonne image des écoles de Fethullah Gülen. Deux raisons au moins expliquent cette exception. En premier lieu, les Gülenistes ne se sont jamais présentés en tant que communauté religieuse en Asie centrale. D’ailleurs, ces écoles sont appelées « écoles turques », et rarement identifiées à Fethullah Gülen, sauf peut-être depuis quelques années maintenant que la communauté est mondialement connue. Par ailleurs, on constate qu’au lendemain des attentats du 11 septembre, les Gülenistes ont commencé à afficher plus ouvertement leur attachement à Fethullah Gülen, tout en prenant soin de le présenter davantage comme un intellectuel que comme une autorité religieuse. Invisibles jusqu’en 2001, les livres de Gülen apparaissent désormais davantage sur les bureaux des directeurs généraux des lycées, surtout pour mettre en avant et promouvoir ses travaux sur la paix, sur le dialogue entre les religions, sur la tolérance et le caractère modéré de ses convictions religieuses. De son côté, Fethullah Gülen, au lendemain des attentats du 11 septembre, a écrit un nombre considérable de livres et d’articles pour dénoncer toute forme de violence, perpétrée au nom de l’islam [34]. Son discours modéré, ouvert au dialogue interreligieux, s’est étoffé encore après les attentats du 11 septembre, et est évidemment diffusé partout dans les établissements s’inspirant de son mouvement. Faisant un pas considérable vers plus de transparence dans leurs activités, les écoles s’en sont retrouvées renforcées après 2001, malgré un contexte défavorable de suspicion et méfiance antireligieuse. Toutefois, l’Ouzbékistan, qui avait manifesté son hostilité aux écoles en les interdisant, bien avant le 11 septembre, et ce par opposition l’ensemble de la politique turque en Asie centrale, reste un cas à part [35].

Évolution du discours islamique de Gülen en Asie centrale

25Cette question est difficile à analyser, car depuis les premiers temps de son implantation en Asie centrale, la cemaat (ou hizmet selon la terminologie actuelle) n’a jamais avoué aucun objectif de prosélytisme vis-à-vis des sociétés d’Asie centrale, traditionnellement musulmanes, mais sécularisées depuis plusieurs décennies de répression et d’athéisme forcé soviétique. Or, le renforcement de la foi et sa conciliation avec la science et la modernité, objectifs fondamentaux chez Saït Nursi demeurent les buts ultimes de son disciple Fethullah Gülen. Pourtant, ses intentions n’ont pourtant jamais été ouvertement dévoilées en Asie centrale. Toutefois, on sait qu’au départ, entre 1990 et 1995, des responsables du mouvement en Asie centrale souhaitaient diffuser un discours islamique, et pourvoir concrètement en dehors des écoles à une instruction religieuse pour former des cadres bien éduqués, mais aussi si possible respectueux des préceptes de l’islam [36]. Cette première phase dans la stratégie globale d’implantation de la cemaat n’a pas duré longtemps, car assez rapidement les Gülenistes ont pris conscience que cela ne ferait qu’alimenter la méfiance des autorités locales et entraver voire remettre en question toutes leurs actions éducatives. Mais les cadres du mouvement ont surtout très vite compris que la population locale appréciait davantage les écoles par pragmatisme et intérêt personnel que par quête spirituelle.

26Se met alors en place une nouvelle stratégie, que Fethullah Gülen appelle le temsil. Il ne s’agit plus de diffuser l’islam par la dawa ou la tabligh qui désignent les méthodes classiques de prédication et de diffusion de l’islam, mais par le temsil, c’est-à-dire par l’exemplarité. Cette méthode suggère que le porteur du message vive noblement sa religion, en étant moralement propre, bien éduqué, et vertueux. La séduction par l’exemple devait ainsi attirer les interlocuteurs, spontanément tentés d’adopter la vision religieuse de la cemaat sans que cette dernière ne l’impose [37]. En ce sens, le temsil fonctionne comme une sorte de soft power, de méthode de persuasion qui s’impose naturellement. On constate même que le temsil précède le soft power et en inspire d’autres formes. La cemaat a vu son influence se renforcer en Asie centrale, et à partir de là, sur d’autres continents.

27Il est curieux de constater que cette stratégie de prosélytisme subtil « par l’exemple », qui a pourtant fait ses preuves, soit abandonnée aujourd’hui. Ou du moins elle n’occupe plus de place centrale dans la stratégie des Gülenistes pour se renforcer en Asie centrale. En effet, ici comme partout dans le monde, la cemaat évolue vers une forme de communauté qui ne parle plus de religion, mais de services, de hizmet, notamment éducatifs. Aussi, à l’heure actuelle, même si les disciples de Gülen en Asie centrale suivent un mode de vie conservateur musulman, leur engagement ne l’est pas à proprement parler. À la différence des autres mouvements religieux qui opèrent dans la région, ils ne créent pas des madrasas, des mosquées ou des écoles coraniques, et ne s’affichent même plus comme une communauté islamique. En effet, il n’y a rien de commun entre les activités éducatives de Fethullah Gülen et les actions purement islamiques du groupe de Suleyman Tunahan ou des nakshibendis de Osman Nuri Topba?, deux communautés islamiques dont on a analysé les services islamiques précédemment. Autant ces deux groupes se focalisent sur la construction de mosquées et de madrasas et la diffusion d’une abondante littérature islamique, autant les disciples de Gülen ne donnent aucunement le sentiment d’être une organisation islamique. Les membres du mouvement préfèrent s’attacher à une pratique de la foi discrète et exclusivement réservée à la sphère privée.

28Or, malgré leur discrétion, à partir de 2002, dans certains pays d’Asie centrale, la peur de l’islamisme fait peser sur la cemaat de lourdes menaces, moins du fait des attentats du 11 septembre que de l’arrivée de l’AKP au pouvoir en Turquie. C’est d’abord dans la Fédération de Russie, dans la région caucasienne, au Tatarstan et au Bachkortostan que les premiers ennuis commencent. Au sein de l’État russe, notamment dans les structures de renseignement, la méfiance vis-à-vis des écoles turques s’est peu à peu installée. Les écoles sont rapidement interdites et obligées de fermer, au motif qu’elles servent de canal de diffusion de l’islamisme et du panturquisme. En Asie centrale, tradition et passé soviétique obligent, ce qui se passe à Moscou résonne dans la périphérie. Aussi, les mesures de rétorsion en Russie convainquent certains pays d’Asie centrale à accroître la surveillance sur les activités de la mouvance. En Ouzbékistan, la question ne se posait pas, car les écoles avaient déjà fermé. En revanche au Turkménistan, où pourtant les relations avec la Turquie sont excellentes, et où un proche de Fethullah Gülen, Ahmet Calik, fut conseiller du président Turkmenbashi plusieurs années durant, la décision a été prise de fermer certains établissements, à l’exception de l’Université internationale turkmeno-turque et du lycée Turgut Ozal situés dans la capitale. En Azerbaïdjan, où l’image de la Turquie est également excellente depuis près de vingt ans, le gouvernement s’interroge de plus en plus sur le renforcement du contrôle nécessaire de la cemaat et de ses écoles [38]. Pourquoi alors les autorités cèdent-elles à l’inquiétude aujourd’hui alors que jusque-là elles appréciaient leurs services éducatifs sans trop se préoccuper de leur potentiel impact politique futur ?

29La raison de cette soudaine méfiance réside probablement dans l’arrivée au pouvoir de l’AKP en Turquie. Les élites centrasiatiques sont encore pour la plupart les vieilles élites soviétiques, profondément sécularisées, et elles interprètent le succès des islamistes modérés de l’AKP comme le signe que des activités éducatives, comme celles de Gülen, engendreront à terme un pouvoir politique conservateur et elles en rejettent l’idée. Il est excessif de taxer l’AKP d’islamisme, mais leur conservatisme jugé « trop musulman » par les Centrasiatiques suffit à attirer sur la cemaat les critiques et le regard suspicieux. De plus, la progressive politisation du mouvement en Turquie, ses bonnes relations avec l’équipe AKP au pouvoir (une situation qui change en automne 2013), le retentissement de l’affaire Ergenekon [39], ont été perçus en Asie centrale comme des preuves tangibles que la cemaat n’était ni un ordre mystique aussi innocent qu’elle veut bien le laisser penser, ni une organisation pieuse impliquée dans l’éducation et dépourvue de toute ambition politique comme elle le prétend.

30Pourtant, tandis que la cemaat suscite la méfiance, elle continue d’être très présente dans tous les pays de la zone (à l’exception de l’Ouzbékistan), et continue d’y exercer une certaine influence, avec toute la subtilité du soft power dont elle est passée maître. Ses établissements au Kazakhstan, au Kirghizstan, au Tadjikistan et au Turkménistan fonctionnent encore sans trop d’entraves, et bénéficient ouvertement des soutiens de la diplomatie turque, qui intègre leur action dans sa politique régionale.

31En effet, en matière de contribution au prestige et à l’influence de la Turquie dans cette région, il convient de faire trois remarques. Plus que l’État turc et ses rares centres culturels, ce sont les écoles de Gülen qui ont permis à la langue turque d’être diffusée partout en Asie centrale. Dans la capitale turkmène d’Achkhabad, le turc est devenu une langue de communication intercommunautaire presque aussi utile que le russe, et bien avant l’anglais. Dans le domaine économique, les entrepreneurs proches de la mouvance ont créé des liens solides entre la Turquie et les pays d’Asie centrale. De plus, le mouvement de Gülen, devenu transnational, permet aux étudiants et aux hommes d’affaires d’Asie centrale de voyager partout dans le monde, de participer à des rencontres et compétitions scolaires internationales ou à des forums de business. Le prestige et la réputation de la cemaat en Asie centrale profitent en réalité plus à la Turquie qu’à la cemaat même. En témoigne comme nous l’avons dit précédemment le fait que ces écoles sont plus connues des communautés, des autorités et des médias comme les « écoles turques » que comme des écoles gülenistes, directement affiliées au mouvement de Fethullah Gülen.

Quelle influence ces écoles exercent-elles sur l’islam en Asie centrale ?

32La question fondamentale qui se pose désormais quand on s’intéresse à la mouvance de Gülen en Asie centrale est d’estimer son impact sur les sociétés locales et sur l’islam centrasiatique. Ces écoles ont-elles une influence, et si oui laquelle, sur les sociétés locales et plus particulièrement sur les jeunesses et les élites de ces pays ? Mesurer cette influence est difficile à réaliser, car nous manquons encore de recul pour établir le profil sociologique d’un échantillon représentatif d’élèves sortis de ces établissements et juger de leur place dans la hiérarchie sociale, de leur rapport à la religion, de l’impact des enseignements gülenistes dans la société. Cette recherche est en cours, mais nous pouvons d’ores et déjà énoncer quelques débuts de réponse.

33Premièrement, la très forte majorité des élèves issus de ces écoles intègrent les meilleures universités de leurs pays et/ou à l’étranger, et pas seulement en Turquie. À l’issue de leurs études supérieures, ils obtiennent souvent des emplois prestigieux dans divers domaines, administrations publiques, milieu académique et secteur privé. On les retrouve à divers degrés de l’administration, dans les représentations diplomatiques de leur pays à l’étranger. Deuxièmement, on constate que ces jeunes élites ne sont pas forcément religieuses dans le sens où la religion ne relève pas de leurs préoccupations quotidiennes fondamentales et n’influe pas sur leur vie professionnelle. Elles sont certes conservatrices dans la plupart des cas, mais pas exclusivement, et se distinguent fondamentalement des jeunes cadres religieux. En cela, la ressemblance avec le phénomène jésuite tel qu’il a existé en Occident est saisissante. Dans les deux cas, la socialisation des élèves dans une structure éducative tenue par un ordre religieux ne fait pas d’eux des individus particulièrement pratiquants, mais dans un cas comme dans l’autre, le phénomène est totalisant, c’est-à-dire que la communauté absorbe l’individu, sans toutefois anéantir la part d’individualité de chacun.

Perceptions en Asie centrale des influences islamiques turques et leurs interactions avec les autres acteurs de l’islam centrasiatique

34Dès lors que les influences turques ne sont pas les seules à participer à la recomposition de l’islam en Asie centrale comme on l’a vu précédemment, se pose la question de la manière dont elles sont perçues sur place par les autres acteurs islamiques, publics et privés, tous engagés dans la compétition religieuse.

35Premièrement, comment les autorités religieuses officielles de chaque pays perçoivent-elles les influences turques ? Dans une très large mesure, en Asie centrale les États préfèrent la coopération interétatique aux initiatives privées, dont ils se méfient constamment de crainte de ne pouvoir totalement les contrôler. Ainsi, les directions des affaires spirituelles ont, en général, une très bonne image de la Diyanet dont elles apprécient les services rendus, notamment dans le domaine de l’éducation et la formation des nouvelles élites religieuses. Cette bonne perception de la Diyanet n’est toutefois pas effective en Ouzbékistan dont les relations avec la Turquie sont tendues notamment à cause de l’installation en Turquie dès 1993 des grandes figures de l’opposition nationaliste ouzbèke. À vrai dire, outre les tensions politiques, les autorités ouzbèkes n’ont jamais été très demandeuses de coopération islamique internationale, préférant former sur place leurs propres élites religieuses [40]. Quant aux influences turques autres que la Diyanet, les autorités d’Asie centrale ont tendance à les accepter avec réticence, et très souvent après avoir consulté le représentant de la Diyanet pour en savoir davantage sur leur vraie nature. Par exemple, les disciples de Suleyman Tunahan au Kirghizstan, comme au Kazakhstan, se voient accorder le droit d’opérer à la seule condition que la Diyanet émette un avis positif, et à la condition absolue qu’ils respectent sur place la tutelle et les orientations de la direction des affaires spirituelles.

36La question de la perception de la mouvance de Fethullah Gülen par les États est plus complexe. En effet, comme on l’a vu précédemment, l’action et le comportement de la mouvance ont évolué avec le temps et ont abandonné tout prosélytisme ouvert. La mouvance ne s’est jamais présentée comme institution religieuse ni comme institution tout court. Tout au plus, des associations éducatives se reconnaissant et s’inspirant des idées de Fethullah Gülen sans toujours l’exprimer ouvertement d’ailleurs, ont fondé divers établissements éducatifs, sans visées religieuses apparentes. Toutefois, même discrètes et relayées au second plan, les motivations religieuses des établissements de Gülen ne sont plus un secret pour les autorités d’Asie centrale qui donc se positionnent sur la mouvance en toute connaissance de cause. Ainsi, l’attitude vis-à-vis du mouvement ne se juge plus seulement à leur apport en termes d’éducation, mais aussi à l’aune de leur possible impact religieux sur la jeunesse qui fréquente ses écoles. Pour se prémunir contre d’éventuelles influences néfastes et ne privilégier que l’apport éducatif, les autorités surveillent avec vigilance le fonctionnement des écoles et le comportement des enseignants turcs.

37Les mouvements turcs n’étant pas les seules influences étrangères à laisser leur empreinte sur l’islam d’Asie centrale, il convient de mettre leur action en perspective avec les initiatives issues du monde arabe et du sous-continent indien. Celles-là, principalement représentées par le Hizb ul Tahrir et Jama’at al Tabligh, parmi les plus influents, n’ont ni les mêmes stratégies, ni les mêmes audiences dans cet encore vaste et vierge marché qu’est l’islam centrasiatique.

38Le Hizbul Tahrir (HT) est un mouvement islamiste politisé, mais pacifique, qui projette de faire chuter tous les régimes d’Asie centrale pour les remplacer par un même califat agrégé au califat mondial [41]. Né en Jordanie dans les années 1950, ce mouvement a eu un succès retentissant en Asie centrale, difficile à expliquer tant il est étranger aux traditions locales. À partir 1995, il s’implante solidement, notamment en Ouzbékistan et au Kirghizstan, et bien sûr secrètement puisqu’il est fortement combattu par les autorités. Opposé aux mouvances turques piétistes apolitiques, il n’entretient à notre connaissance aucun contact avec les mouvements originaires de Turquie. Le fait qu’il soit issu du monde arabe est une raison supplémentaire pour s’attirer le dédain des Turcs qui ont tendance à considérer l’Asie centrale comme leur espace d’influence réservé.

39La même indifférence prédomine entre les mouvements islamistes turcs et un autre courant, de plus en plus actif en Asie centrale, la Jama’at al Tabligh, originaire du sous-continent indien [42]. La JT se développe surtout au Kirghizstan et au Kazakhstan, où la législation en matière religieuse est plus souple et permet à plus de courants extérieurs de s’implanter [43]. Comme dans tous les pays où elle opère, la JT donne la priorité à la prédication par le biais de tournées à travers toutes les villes et villages du pays, mais aussi de plus en plus par le biais d’échanges entre les villes d’Asie centrale et le sous-continent indien. Mais là aussi, les interactions entre la JT et les mouvances turques sont quasi inexistantes. La JT est encore dans une phase où elle vise et séduit surtout les couches populaires et la jeunesse marginalisée, alors que les influences turques privilégiant l’action éducative et s’adressent davantage aux élites et classes aisées de la population. Les mouvements turcs diffusent un islam plus savant, plus complexe, tandis que les tablighis formés en Inde, au Pakistan ou au Bangladesh véhiculent un islam plus « minimaliste », qui insiste davantage sur la pratique quotidienne des principaux commandements de l’islam. Pour ces raisons, et parce que, une fois de plus, ils s’estiment chez eux dans cette Asie centrale, synonyme pour eux de Turkestan, les courants turcs entretiennent très peu de relations avec la JT, même si épisodiquement, certains tablighis fréquentent aussi les cercles religieux formés par les Turcs.

Conclusion : quel bilan de la politique turque dans ces pays ?

40S’interroger sur le bilan de la politique religieuse de la Turquie en Asie centrale nécessite une mise en perspective de l’ensemble des influences turques dans la région depuis une vingtaine d’années. En termes politiques et géopolitiques, il est indéniable que l’influence de la Turquie fut bien en deçà de ce qu’en espéraient les dirigeants turcs. En effet, l’union politique turcique solidaire tant rêvée par Ankara dans les années qui ont succédé la fin de l’URSS n’a pas vu le jour. De plus, le poids lourd géopolitique de la région, l’Ouzbékistan, est un farouche adversaire de l’influence de la Turquie en Asie centrale et de tous les projets intégrationnistes interturciques qu’elle propose. En termes économiques, l’influence de la Turquie semble avoir été plus remarquable, grâce au grand nombre de PME qui se sont implantées dans la région, mais qui sont toutefois loin de pouvoir concurrencer la présence économique de la Chine. En réalité, c’est dans le domaine culturel et religieux, deux domaines étroitement liés, que l’influence de la Turquie est la plus notable. Pour mesurer cette influence religieuse, nous manquons d’indicateurs concrets, malgré l’existence de certains travaux sérieux, mais incomplets, sur la coopération religieuse entre l’Asie centrale et plusieurs pays musulmans. Il n’existe pas, par exemple, de données officielles comparatives sur le nombre d’imams centrasiatiques formés par la Turquie et les autres pays musulmans, et nous n’avons pas non plus de données fiables sur la quantité de livres religieux distribués par la Turquie dans la région. Aussi, faute d’outils précis pour mesurer cet impact religieux turc, nous sommes obligés de procéder à une démarche combinatoire qui s’appuie sur nos données récoltées sur le terrain, ainsi que sur l’analyse dans ces pays des rapports entre État et religion et où l’on sent l’inspiration de la Diyanet.

41Le fait que la Diyanet maintienne encore des bureaux dans la plupart des pays atteste de l’importance de l’influence de l’islam turc en Asie centrale. Les attachés turcs aux affaires religieuses continuent de gérer une importante coopération islamique. À cela on peut objecter que la Diyanet ferme ses représentations au Turkménistan et en Azerbaïdjan, mais ces fermetures ne sont pas le signe d’une crise comparable à celle vécue avec l’Ouzbékistan. Au contraire, elle montre que la Turquie a formé suffisamment de cadres religieux et que cette coopération n’a plus lieu d’être soutenue par une instance spécifique. Par ailleurs, cela montre que grâce à la Turquie ces États sont en mesure désormais de former leurs propres élites islamiques. En outre, la Turquie est le seul pays à avoir envoyé dans ses représentations diplomatiques en Asie centrale un attaché aux affaires religieuses, de même qu’elle est le seul pays à avoir ouvert dans ces pays des facultés de théologie et des madrasas privées.

42L’influence religieuse de la Turquie se ressent également dans la création dans tous ces pays post-soviétiques de comités d’État pour les affaires religieuses. Ces structures de régulation des relations entre l’État et l’islam sont calquées sur le modèle turc de la Diyanet et de son mode de fonctionnement comme un ministère des cultes pensé par un État républicain fortement séculier. De fait, ce que fait la Diyanet en Turquie les comités d’État le font en Asie centrale. Dans les deux cas, en Turquie comme en Asie centrale, il y a une fonctionnarisation du personnel religieux, et par le fait d’un habillage administratif ambigu, on accorde de facto à la religion majoritaire, sunnite hanafite et traditionnelle, le statut de religion officielle. Si elle est difficile à quantifier, l’influence turque est bien là, et s’entend au quotidien, jusque dans la langue et la maîtrise du turc par une très large majorité des élites et cadres religieux locaux rencontrés, qui ont la plupart séjourné en Turquie ou étudié dans des établissements turcs dans leurs propres pays.

43Il est en revanche plus difficile de mesurer l’impact bien particulier de la mouvance de Gülen en Asie centrale et encore plus difficile de dire si cette influence est religieuse ou non. Les écoles de Gülen ont déjà formé des centaines voire des milliers d’élèves, dont certains commencent à occuper des positions importantes dans l’administration, les universités et le secteur privé.Toutefois, les premiers indices concernant leur impact sur les jeunes générations ne permettent pas de parler d’une influence fondamentalement islamique. En effet, l’islam développé et prôné par Gülen et les siens est davantage une synthèse entre islam mystique, nationalisme turc et humanisme transnational. Et les élèves issus des écoles de Gülen ont un rapport à la religion fort divers, certains étant religieux, mais d’autres indifférents à la chose religieuse.

44Au final, en vingt ans de coopération multisectorielle entre la Turquie et les républiques d’Asie centrale, c’est, paradoxalement, le volet religieux qui a été le plus actif et qui a créé le plus de liens entre les Turcs anatoliens et les populations turciques d’Asie centrale. Cette participation de la Turquie au renouveau de l’islam en Asie centrale est pour le moins paradoxale et ironique, quand on sait qu’en 1991 le modèle turc pour l’Asie centrale était vanté et encouragé pour sa laïcité et son sécularisme.

Notes

  • [1]
    Sur la colonisation russe en Asie centrale, voir GORSHENINA S., ABASHIN S., « Le Turkestan russe : une colonie comme les autres ? », dossier spécial des Cahiers d’Asie centrale, n° 17/18, 2011 (http://asiecentrale.revues.org/index1130.html).
  • [2]
    KELLER S., To Moscow, Not Mecca : The Soviet Campaign Against Islam in Central Asia, 1917-1941, Praeger, 2001.
  • [3]
    McGLINCHEY E., Chaos, Violence, Dynasty: Politics and Islam in Central Asia, University of Pittsburgh Press, 2011.
  • [4]
    KARIM M., « Globalization and Post-Soviet Revival of Islam in Central Asia and the Caucasus », in Journal of Muslim Minority Affairs, vol. 25, n° 3, 2005, p. 439-448.
  • [5]
    BALCI B., « Central Asian Refugees in Saudi Arabia: Religious Evolution and Contributing to the Reislamization of their Motherland », in Refugee Survey Quarterly, vol. 26, n° 2, 2007, p. 12-22.
  • [6]
    ZARCONE T., « L’islam d’Asie centrale et le monde musulman, restructuration et interférences », in Hérodote, n° 84, 1997, p. 57-76.
  • [7]
    AYDIN M. (ed.), Türkiye’nin Avrasya Maceras?, 1989-2006 – Avrasya Üçlemesi II, Ankara, Nobel Yayinevi, 2008.
  • [8]
    FIDAN H., « Turkish Foreign Policy Towards Central Asia », in Journal of Balkan and Near Eastern Studies, vol. 12, n° 1, March 2010, p. 109-121.
  • [9]
    Entretien avec Ahat Andijan, Istanbul, juin 2012.
  • [10]
    BAL I., « Turkish Model and the Turkic Republics », in Perceptions, Journal of International Affairs, vol. III, n° 3, 1998, p. 1-17 (http://sam.gov.tr/wp-content/uploads/2012/02/IdrisBal.pdf).
  • [11]
    KHALEED A., Islam aft Communism: Religion and Politics in Central Asia, University of California Press, 2007.
  • [12]
    BRILL M., BRILL O., « Sufism in Central Asia: A Force for Moderation or a Cause of Politicization ? », in Carnegie Paper, Carnegie Endowment for International Peace, June 6, 2007, (http://carnegieendowment.org/files/cp84_olcott_final2.pdf).
  • [13]
    International Crisis Group, Central Asia: Islam and the State, 10 July 2003 (http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/asia/central-asia/059%20Central%20Asia%20Islam%20and%20the%20State.pdf).
  • [14]
    RAHSID A., Taliban: Militant Islam, Oil and Fundamentalism in Central Asia, New Haven, Yale University Press, 2000.
  • [15]
    CHAUDET D., « Islamist Terrorism in Greater Central Asia: The ‘Al-Qaedaization’ of Uzbek Jihadism », Paris, IFRI, 2008, (http://www.ifri.org/files/Russie/ifri_uzbek_jihadism_chaudet_ENG_december2008.pdf).
  • [16]
    HANN C., PELKMANS M., « Realigning Religion and Power in Central Asia: Islam, Nation-State and Post-Socialism », in Europe-Asia Studies, vol. 61, n° 9, 2009, p. 1515-1541.
  • [17]
    GÖZAYDIN I., « Diyanet and Politics », in The Muslim World, vol. 98, n° 2/3, 2008, p. 159-176.
  • [18]
    KORKUT S., « The Diyanet of Turkey and its Activities in Eurasia after the Cold War », in Acta Slavica Iaponica, vol. 28, 2010, p. 117-139.
  • [19]
    Voir son site spécifique http://www.avrasya-is.org/
  • [20]
    AYDIN M., « Süleymancilik », in BORA T., GULTEKINGIL M., Modern Turkiyede Siyasi Düsünce: Islamcilik, Istanbul, Ilestisim Yayinlari, 2004, p. 308-322.
  • [21]
    Sur sa vie et ses œuvres, voir son site internet : http://www.osmannuritopbas.com/osman-nuri-topbas-hocaefendi-nin-hayati.html. Cette autorité religieuse a également des disciples en France, voir : http://www.terredepaix.com/soufisme/osman-efendi-paroles-dor/
  • [22]
    Sur Saït Nursi et sa pensée, il existe une abondante littérature en turc et anglais. Voir, entre autres, MARDIN S., Religion and Social Change in Modern Turkey: The Case of Bediuzzaman Said Nursi, New York, State University of New York, Albany, 1989, 278 p. Voir éventuellement aussi un site en français appartenant à des disciples de Sait Nursi : http://www.hayratvakfi.org/fr/
  • [23]
    Précisions ici toutefois que Fethullah Gülen s’est inspiré autant de Saït Nursi que d’autres figures religieuses de son époque. Parmi elles, le poète Sezai Karakoç et le philosophe Nurettin Topçu.
  • [24]
    HAKAN Y., Toward an Islamic Enlightenment, The Gülen Movement, Oxford University Press, 2013, p. 71-116.
  • [25]
    HENDRICK J., Gülen: The Ambiguous Politics of Market Islam in Turkey and the World, New York, New York University Press, 2013.
  • [26]
    En Turquie, la fondation qui organise les débats et rencontres intra et interreligieux est Turkiye Gazeteciler ve Yazarlar Vakfi (Fondation des Écrivains et des Journalistes de Turquie) : http://www.gyv.org.tr/. Des centaines d’autres structures similaires ont été lancées dans le monde. Voir par exemple celle de Paris, La plateforme de Paris : http://www.plateformedeparis.fr ou alors celle de Washington, Rumi Forum : http://www.rumiforum.org/
  • [27]
    HAKAN Y., op.cit., 2013.
  • [28]
    Voir, à titre d’exemple, CETINKAYA H., Fethullah Gülen’in 40 Y?ll?k Serüveni, Istanbul, Cumhuriyet Kitaplari, 2010.
  • [29]
    BALCI B., Missionnaires de l’islam en Asie centrale, les écoles turques de Fethullah Gülen, Paris, Maisonneuve et Larose et Institut français d’études anatoliennes, 2003.
  • [30]
    COMPAYRÉ G., « Grandeur et limite de l’enseignement jésuite », Encyclopédie de l’Agora, (http://agora.qc.ca/documents/jesuites--grandeur_et_limites_de_lenseignement_jesuite_par_gabriel_compayre).
  • [31]
    Voir le site de la Société Katev, qui gère les écoles turques au Kazakshtan : http://www.katev.kz/
  • [32]
    Sur les écoles turques au Tadjikistan, voir le site de la société qui les gère, Selale : http://www.shelale.org/tj/
  • [33]
    ALIYEV F., « The Gulen Movement in Azerbaijan », in Current Trends in Islamist Ideology, n° 5, December 2012. (http://www.currenttrends.org/docLib/20130124_CT14Aliev.pdf).
  • [34]
    GÜLEN F., Terror and Suicide Attacks: An Islamic Perspective, New jersey, The Light, 2004, 120 p.
  • [35]
    DEVLET N., « Taking Stock: Turkey and the Turkic World 20 Years Later », in The German Marshall Fund of United States, November 10 2011, (http://www.gmfus.org/wp-content/blogs.dir/1/files_mf/1321555956_magicfields_attachment__1_1.pdf).
  • [36]
    BALCI B., « Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale : implantation, fonctionnement et nature du message véhiculé par le biais de la coopération éducative », in Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 101-102 | juillet 2003, mis en ligne le 12 mai 2009, consulté le 24 février 2013 (http://remmm.revues.org/54).
  • [37]
    BALCI B., « Fethullah Gülen’s Missionary Schools in Central Asia and their Role in the Spreading of Turkism and Islam », in Religion State and Society, vol. 31, n° 2, 2003, p. 151-177.
  • [38]
    ALIYEV F., op. cit., 2012.
  • [39]
    L’affaire Ergenekon (nom mythique désignant une région de Sibérie d’où seraient originaires les Turcs) désigne un complot, raté, découvert en 2007, impliquant des centaines de personnalités militaires, mais aussi civiles, qui cherchaient par divers moyens (assassinats, agitation, attentats) à provoquer une forte instabilité dans le pays pour rendre légitime une intervention de l’armée et renverser le gouvernement civil islamoconservateur de Recep Tayyip Erdo?an. Découvertes et évitées, ces tentatives de coup d’État ont donné lieu à des procès historiques, dont celui de septembre 2012 qui a vu des centaines d’officiers et quelques généraux condamnés à de lourdes peines de prison. Perçus comme la preuve d’un progrès démocratique par certains et comme des règlements de compte politiques par d’autres, ces procès marquent la fin de l’omnipotence de l’armée, désormais soumise au pouvoir civil. Il a été reproché à la mouvance de Gülen de profiter de ces procès, grâce à ses réseaux d’influence dans l’appareil judiciaire, pour régler ses comptes avec l’armée et les cercles kémalistes par lesquels elle estime avoir été longtemps brimée.
  • [40]
    ABRAMSON D., « Foreign Religious Education and the Central Asian Islamic Revival: Impact and Prospects for Stability », in Central Asia-Caucasus Institute, Silk road Papers, March 2010. (http://www.silkroadstudies.org/new/docs/silkroadpapers/1003Abramson.pdf).
  • [41]
    KARAGIANNIS E., Political Islam in Central Asia: the Challenge of Hizb-ul-Tahrir, Routledge, 2010.
  • [42]
    MASUD M.K., Travellers in Faith: Studies of the Tablighi Jama at As a Transnational Islamic Movement for Faith Renewal, Brill, 2000.
  • [43]
    BALCI B., « La jama’at al Tabligh en Asie centrale : réactivation des liens islamiques avec le sous-continent indien et insertion dans un islam mondialisé », in Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 130 | février 2012, mis en ligne le 23 février 2012, consulté le 24 février 2013 (http://remmm.revues.org/7478).
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