Notes
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[1]
On considère donc les partis sous l’angle de la spécialisation des activités politiques et des activités destinées à soutenir la professionnalisation des acteurs politiques en démocratie. WEBER M., Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959.
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[2]
COLLOVALD A., “Les poujadistes ou l’échec en politique”, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, volume 36,1989, pp. 113-133.
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[3]
BAILEY Fr.-G., Les règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971; BOURDIEU P., “La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique”, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 36-37, février-mars 1981, pp. 3-24.
-
[4]
Largement mobilisée dans le cas d’autres partis labellisés populistes, comme le FN ou le FPÖ, l’explication par le charisme l’est aussi pour Andzrej Lepper en Pologne et Pia Kjæsgaard au Danemark. Sans mésestimer l’usage de la ressource charismatique, il convient de ne pas en faire la seule ressource pertinente et d’en comprendre les logiques de mobilisation. Au-delà, la rupture par rapport à l’approche en termes de “populisme” dans cet article est en réalité triple : tout d’abord par rapport à son contextualisme, qui conduit nombre de travaux à identifier une causalité hasardeuse et difficile à vérifier dans des phénomènes “lointains” (mondialisation, construction européenne, par exemple) ; ensuite par rapport à son typologisme, qui conduit à une recherche de la “véritable” nature de ces partis, objectivable dans une catégorie générale, au risque de provoquer une inflation étourdissante de labels et de classifications ad hoc, et enfin par rapport à son exceptionnalisme, dont l’explication par le charisme constitue un bon exemple et dont on peut convenir qu’il est “dicté discrètement par l’exigence d’un positionnement éthique et politique” face à ces partis (ROUSSEL V., “Labels politiques et construction de l’identité militante : le cas du Front national”, dans DOBRY M., (dir.), Le mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel, 2003, p. 239).
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[5]
Voir à titre d’exemples : BETZ H.-G., La droite populiste en Europe. Extrême ou démocrate ?, Paris, Autrement, 2004 ; IHL O. et al., La tentation populiste au cœur de l’Europe, Paris, La Découverte, 2003; PERRINEAU P., (dir.), Les croisés de la société fermée. L’Europe des extrêmes droites, La Tour D’aigues, Éditions de l’Aube, 2001.
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[6]
Cet article s’appuie sur deux enquêtes de terrain menées au Danemark et en Pologne, dans le cadre desquels ont entre autres été réalisés des entretiens avec des députés et des dirigeants de ces partis (cinq entretiens auprès de Samoobrona et quatre auprès du Dansk Folkeparti, auxquels il faut ajouter deux entretiens menés à Strasbourg avec des députés européens de Samoobrona). L’accès à l’échelon parlementaire a ainsi été considéré comme pertinent de la professionnalisation des acteurs, en relation avec l’accès donné à l’espace politique national aux partis représentés au Parlement.
-
[7]
COLLOVALD A., op. cit., 1989.
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[8]
PEDERSEN K., RINGMOSE J., “From the Progress Party to the Danish People’s Party – from protest party to government supporting party”, working paper présenté au workshop “Effects on incumbency on Organisation of radical Rightwing Parties”, ECPR Joint Sessions, Uppsala, 2004.
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[9]
KARPANTSCHOF R., Populism and Right Wing extremism in Denmark 1980-2001, København Universitet, Sociologisk Institut, série “Sociologisk Rapportserie”, n° 4,2002, pp. 32-33.
-
[10]
C’est notamment en référence aux positions du Danske Folkeparti sur l’immigration que le Premier ministre Poul Nyrup Rasmussen (S) avait exclu toute participation de sa part aux soutiens gouvernementaux après les élections de 1998. PEDERSEN K., RINGMOSE J., op. cit., 2004.
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[11]
Pour une description de l’histoire de Samoobrona, cf. entre autres KROK-PASZKOWSKA A., “The Polish Self-Defence Movement”, in MUDDE C. and KOPECKY P., Uncivil Society ? Contentious politics in post-communist Europe, Londres, Routledge, 2003, pp. 114-133.
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[12]
LUGOWSKA U., “Parliamentary Elections in Poland 2001, What Next for Self Defence ?”, Labour Focus on Eastern Europe, n°69,2001, pp. 4-13.
-
[13]
Or Samoobrona parvient davantage à mordre sur l’électorat urbain que le PSL. Aux législatives de 2001, par exemple, les agriculteurs ont accordé leur suffrage à 34,5 % pour le PSL et à 29,9% pour Samoobrona ; les habitants des zones rurales à 19,5 % pour le PSL et à 17,3 % pour Samoobrona (FEDYSZAK-RADZIEJOWSKA B., “Wie_ polska w wyborach : radykalizacja nastrojøw [La campagne polonaise au cours des élections : radicalisation des attitudes]” in coll., Przyszlo__ polskiej sceny politycznej po wyborach 2001 r. [L’avenir de la scène politique polonaise après les élections de 2001], Varsovie, ISP, 2001, p. 58). Rappelons que le PSL a obtenu 9,0 % des suffrages exprimés et Samoobrona, 10,2 %.
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[14]
On applique ici aux collectifs la notion de capital social, dans l’acception qu’en donne James Coleman. Considérer le capital social d’un groupement, y compris d’un groupement politique, permet de mettre en valeur l’insertion de cet acteur et/ou des individus qui le composent dans un ensemble de relations sociales qui oriente la structure de leurs ressources et en accroît l’opérationnalité. COLEMAN J., Fondations of Social Theory, Cambridge, Londres, Harvard University Press, 1990.
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[15]
Entretiens avec Alicja Lis, le 4 mai 2005, avec Kazimierz Wójcik, le même jour.
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[16]
On reprend cette opposition dans les motivations à l’engagement publiquement avancés par les militants à ROUSSEL V., op. cit. (sur les régimes de justification : BOLTANSKI L., THÉVENOT L., De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991).
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[17]
Entretiens avec Morten Messerschmidt, le 2 juin 2005, avec Louise Frevert, le même jour.
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[18]
GAXIE D., Le cens caché, Paris, Seuil, 1978.
-
[19]
Ibid, entretien avec Kenneth Kristensen, le 30 mai 2005.
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[20]
KARPANTSCHOF R., op. cit., p. 38.
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[21]
Ibid.
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[22]
Il s’agit en premier lieu des acteurs politiques nationaux, mais aussi européens, et notamment d’autres partis classés comme “populistes” ou “extrémistes”: le travail de positionnement dans l’espace politique danois passe alors par une distinction par rapport au Front National français, décrit comme trop “dur”, et par une affinité (parfois revendiquée) avec le parti de Pim Fortuyn aux Pays-Bas. Les enquêtés évoquent ainsi assez spontanément leur tolérance personnelle à l’égard de l’homosexualité, l’un d’entre eux fait même ouvertement état de sa propre homosexualité. Ce jeu de références positives et négatives permet également de se positionner comme “moderne”, “ouvert”, non sans relation avec le travail de légitimation des causes promues, et notamment de l’immigration.
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[23]
Cette notion est empruntée à la sociologie polonaise des événements de 1980 : RYCHARD A., “Pouvoir et économie, trois perspectives théoriques” dans ADAMSKI W. et al., La Pologne en temps de crise, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, pp. 37-52. On a plus particulièrement développé ces questions dans : ZALEWSKI Fr., “Conflits d’interprétations et conflits sociaux dans la Pologne postcommuniste : l’exemple des mobilisations paysannes”, dans Roger A., (dir.), Des partis pour quoi faire ? La représentation politique postcommuniste, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 61-76.
-
[24]
Les enquêtés réfutent massivement cette classification : “ils n’ont pas de preuve !” s’exclame l’un d’eux au sujet de ceux qui mobilisent cette catégorie. D’autres mettent en avant le caractère généralisé à tous les acteurs politiques de la pratique consistant à promettre davantage que l’on ne peut tenir, à avancer des solutions simples à tous les problèmes.
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[25]
Ainsi, alors que l’on observe une nette tendance à la “notabilisation” de Samoobrona (sélection des candidats pour les élections européennes de 2004 sur des critères de compétence politique – et donc de conformité au modèle dominant de compétence sociale de l’homme politique professionnalisé – positionnement comme outsider pour les législatives de 2005), Ewa Nalewajko peut-elle écrire, dans la lignée des schèmes les plus convenus sur le “populisme”, que “Samoobrona représente une variété de populisme social, c’est-à-dire de populisme de protestation, et a en outre un caractère plébéien. C’est un parti hostile à l’État et aux élites”, ou encore que les populistes “rejettent par principe toute forme de politique à long terme”. NALEWAJKO E., “Le populisme et sa dimension anti-européene”, in MINK G., NALEWAJKO E., Antyeuropejscy aktorze i ich kultury polityczne [Les acteurs anti-européens et leurs cultures politiques], Varsovie, ISP-PAN, 2004, p. 38, p. 26.
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[26]
Pour reprendre les mots d’Annie Collovald au sujet du FN en France ; cf. COLLOVALD A., Le “populisme du FN”, un dangereux contre-sens, Broissieux, le Croquant, 2004.
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[27]
De manière significative, certains travaux sur le populisme en Europe ne traitent pas des pays d’Europe centrale et orientale. Voir par exemple BETZ H.-G., op. cit. Ce découpage disciplinaire va de pair avec les préjugés dont est chargé le schème populiste sur la rupture avec l’ordre démocratique que le succès des partis ainsi désignés manifestent. Ainsi, dans un article sur les partis populistes antieuropéens en Pologne, Pascal Perrineau et Michael Mikenberg sont-ils conduits à affirmer que “la Pologne se situe quelque part entre les cas de “démocratie consolidée” du type occidental ou du type tchèque ou hongrois, et les cas de “démocratie non consolidée” que l’on trouve en Europe orientale, que ce soit dans l’Union européenne ou au-delà (Roumanie, Russie)”, et ce à partir de la construction d’une catégorie ad hoc de partis “populistes” rassemblant des acteurs très dissemblables mais totalisant 38,7 % des suffrages exprimés aux européennes de 2004. PERRINEAU P., MIKENBERG M., “La droite radicale, divisions et contrastes”, dans PERRINEAU P., (dir.), Le vote européen 2004-2005. De l’élargissement au référendum français, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 98.
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[28]
De ce point de vue, les résultats des élections de 2005 sont plutôt mitigés : aux législatives Samoobrona obtient avec 11,4% une timide troisième place, en deçà des résultats attendus, mais son leader reprend un léger avantage aux présidentielles, avec 15,1% lors du premier tour, ce qui l’élimine certes pour le second mais lui permet de revendiquer la présidence de la Diète.
1L’observation attentive des transformations ayant affecté deux partis européens fréquemment décrits comme “populistes”, le groupement protestataire paysan Samoobrona (Autodéfense) en Pologne et le Dansk Folkeparti (Parti du peuple Danois) au Danemark depuis leur apparition – respectivement en 1991 et 1995 – laisse voir leur sensible accumulation de ressources spécifiques aux entreprises politiques professionnalisées. Entre autres indicateurs, on peut avancer la constitution d’une réserve de permanents et d’auxiliaires (permanents de l’organisation, attachés parlementaires, experts), la reconfiguration de l’organisation pour lui permettre de répondre aux exigences des compétitions électorales ou encore de la réorientation des critères de sélection des dirigeants et des élus. Certes, ces partis ont pu dépasser une sorte de “taille critique” grâce aux ressources qu’ils tirent de leur insertion institutionnelle et de leur financement public à la suite de leurs succès aux élections. Cependant, certaines orientations attestent d’une inscription des pratiques de ces partis dans une forme politique correspondante au modèle légitime de parti politique en démocratie. On pense par exemple à la composition de programmes, à la mise sur pieds d’organisations de jeunesse, à la valorisation du travail parlementaire dans l’image publique du parti ou encore à une sorte de “bonne volonté politique” plus floue et plus générale qui se manifeste par l’adhésion, dans les situations d’interaction, aux modèles dominants des rôles politiques. Même si ces dernières conduites peuvent coexister avec des pratiques de dénonciation des acteurs politiques dominants et des règles du jeu que ces derniers tentent de contrôler, elles restent ainsi manifestement orientées par la référence à un modèle partisan légitimé par les pratiques politiques dominantes, à une image “officielle”, que ces partis héritent des jeux politiques constitués, de ce qu’est un parti politique dans les jeux démocratiques. Ces transformations semblent indiquer que la réussite de ces partis n’est pas seulement une réussite électorale, devant orienter prioritairement l’analyse vers le vote “populiste”. Il s’agit également, et peut-être avant tout, d’une réussite politique de consolidation de l’entreprise partisane et de participation aux jeux politiques. C’est ainsi vers la capacité de ces partis à fonder et à entretenir leur spécialisation politique, processus qui va leur donner accès à l’espace politique, dans la mesure où celui-ci est dominé par des professionnels de la politique, qu’il convient alors de rediriger l’attention [1].
2Précisément, l’étude des conditions d’entrée dans les jeux politiques de partis ou de groupements animés par des agents non professionnalisés et politiquement illégitimes, classés comme “populistes”, a été au cœur de certains travaux [2]. Confrontés à un cas d’échec à s’implanter dans l’espace politique, ils prennent une orientation structurale, qui conduit à mettre l’accent sur le déficit de ressources sociales du personnel de ces partis, qui est lui-même au principe du déficit de ressources politiques de la relation partisane. Certes, ces travaux ne prétendent nullement à la généralisation de leur système d’explication à tous les partis que les traditions académiques conduisent à classer comme “populistes”, précisément parce qu’ils s’inscrivent en faux par rapport à une approche taxinomique. Toutefois, justement parce qu’ils s’appuient sur des instruments méthodologiques ordinaires, ils offrent un cadre d’analyse auquel il est pertinent de confronter des partis ainsi labellisés, dans la mesure où les variations ou les régularités constatées pourront être confrontées non pas à des propriétés attribuées aux partis “populistes” dans le cadre d’une taxinomie unique, mais aux propriétés plus générales de l’espace politique. De fait, le Dansk Folkeparti et Samoobrona offrent des points d’observation contrastés sur la question des conditions d’entrée en profession politique des partis dits “populistes”. Représentant proclamé d’une paysannerie brisée par les réformes économiques des années 1990, Samoobrona semble correspondre au cas du porte-parole d’un groupe dominé, lui même dominé dans l’espace politique. Pourtant, Samoobrona est parvenu à accumuler des ressources politiques et à entamer un travail de construction de crédit politique visant non seulement à pérenniser sa place dans l’espace politique, mais aussi à obtenir des responsabilités gouvernementales. De ce point de vue, les résultats des élections de 2005 sont plutôt mitigés : aux législatives Samoobrona obtient avec 11,4% une timide troisième place, en deçà des résultats attendus, mais son leader reprend un léger avantage aux présidentielles, avec 15,1% lors du premier tour, ce qui l’élimine, certes, pour le second mais lui permet de revendiquer la présidence de la Diète. Son cas semble ainsi indiquer que des entreprises politiques fortement défavorisées dans l’accès aux ressources pourvoyeuses de légitimité politique peuvent entamer un travail de professionnalisation qui leur permet de surmonter ce handicap. À l’inverse, le Dansk Folkeparti se présente comme un parti formé par des acteurs politiques déjà professionnalisés, puisqu’il est issu d’une scission, en 1995, de quatre parlementaires du Fremskridtspartiet, un parti situé à l’extrême droite des jeux politiques danois. Son implantation préexistante dans les jeux politiques, et notamment dans l’arène parlementaire, le place ainsi en position d’accès relativement aisé à des ressources assurant la participation aux jeux politiques. Le cas du Dansk Folkeparti montre ainsi que des partis considérés comme “populistes” ne peuvent être tenus de manière systématique pour de nouveaux entrants – si l’on entend par là composés d’un personnel novice en politique– et que, d’une certaine manière, la question de l’accumulation de ressources politiques suffisantes pour se maintenir dans les jeux politiques impose sa nécessité à des groupements déjà professionnalisés. L’analyse doit alors s’enrichir, outre sa dimension structurale, d’une analyse des propriétés spécifiques de chaque situation, en prenant en compte les lignes d’action que les acteurs développent pour construire leurs chances de prendre pied dans l’espace politique, envisagé comme secteur autonome, régi par des règles spécifiques [3].
3Le Dansk Folkeparti et Samoobrona offrent donc l’opportunité de réévaluer la chaîne de causalité pertinente s’agissant de l’essor des partis “populistes”, dont le succès est fréquemment situé dans des causes manifestant la rupture de l’ordre démocratique que ces partis sont censés eux-mêmes incarner, comme le charisme de leurs chefs [4]. L’objectif de cet article est ainsi d’appréhender ces partis avec des instruments méthodologiques “ordinaire”, en s’interrogeant sur les stratégies qu’ils mettent en œuvre pour s’implanter dans les jeux politiques, là où les interprétations dominantes privilégient souvent des explications macro-orientées (mondialisation, dépolitisation, érosion des identités de classes), faiblement articulées aux processus empiriques concrets [5]. Toutefois, son objectif est aussi de développer des outils de compréhension des facteurs spécifiquement politiques de leur durabilité politique [6].
De “nouveaux entrants” dans les jeux politiques
4Le Dansk Folkeparti et Samoobrona apparaissent comme de nouveaux entrants dans les jeux politiques. On peut en tenir pour indicateur leur position dans les représentations parlementaires nationales. Certes, le marché des positions politiques offertes à la compétition politique est plus large (existence d’une seconde chambre en Pologne, postes gouvernementaux, postes politiques des institutions publiques, etc.) ou comporte d’autres niveaux (local, régional ou européen), mais ce segment apparaît plus structurant pour les rapports de force globaux dans des marchés relativement homogénéisés par l’inscription privilégiée des jeux politiques dans le cadre national. Dans les cas danois et polonais, les logiques institutionnelles propres au régime parlementaire accentuent encore l’investissement des acteurs dans la compétition pour l’accès aux arènes parlementaires.
les principaux partis et la proportion de nouveaux élus
les principaux partis et la proportion de nouveaux élus
5Dans le cas de Samoobrona, son caractère de nouvel entrant apparaît clairement (Tableau 1). La totalité de son groupe parlementaire en 2001 est ainsi composée d’élus qui ne figuraient pas dans la Diète élue en 1997. Par ailleurs, des calculs complémentaires indiquent que la proportion en son sein de députés n’ayant jamais obtenu de mandat parlementaire se monte à 86,2%, contre 53% pour l’ensemble de la Diète. D’autres partis sont également de nouveaux entrants et sont donc eux aussi fortement pourvoyeurs de nouveaux élus (PO, PiS et la LPR, dont les pourcentages de nouveaux élus n’ayant jamais obtenu de mandat parlementaire sont respectivement de 68,4 %, 59,1 % et 69,4%). Par ailleurs, les députés Samoobrona combinent le fait d’être novices en politique avec des ressources sociales relativement faibles. Ainsi, le pourcentage d’entre eux ayant un titre scolaire supérieur d’une filière générale n’est que de 14,03%. En revanche, 75,43% d’entre eux sont titulaires d’un diplôme secondaire et 49,12% d’un diplôme technique agricole (secondaire ou supérieur). Naturellement, le profil agricole du groupe Samoobrona transparaît aussi dans les activités professionnelles principales des élus : 45,6% étaient agriculteurs à la veille de leur élection. Ainsi pour-rait-on penser retrouver avec Samoobrona une situation typique, identifiée pour d’autres partis “populistes”, de nouvel entrant propulsant dans l’activité politique des agents sociaux faiblement dotés en ressources sociales et donc plus faiblement prédisposés à s’approprier des ressources spécifiquement politiques [7]. Toutefois, le cas du Dansk Folkeparti, moins dissonant, montre qu’il serait hasardeux de définir une configuration typique, généralisable à l’ensemble des partis qualifiés de “populistes”. Certes, le Dansk Folkeparti est un nouvel entrant, mais étant issu de relations partisanes préexistantes, sa première représentation parlementaire reflète cette insertion préalable dans les arènes politiques nationales (Tableau 2).
les principaux partis et la proportion de nouveaux élus aux
les principaux partis et la proportion de nouveaux élus aux
6La filiation du Dansk Folkeparti avec le Fremskridtspartiet apparaît nettement : quatre de ses députés de 1998 étaient auparavant élus du Fremskridtspartiet, dont sa dirigeante, Pia Kjærsgaard. Toutefois, son pourcentage de nouveaux élus dépasse nettement la moyenne du Parlement lors des élections de 1998 et 2001, avant de se rapprocher de la moyenne en 2005. Le Dansk Folkeparti apparaît donc comme engagé dans une configuration particulière, où il est, certes un nouvel entrant, mais où l’enjeu est le maintien de son volume de ressources spécifiquement politiques, notamment par rapport au Fremskridtspartiet, mais aussi où d’autres partis suivent des trajectoires similaires, notamment Det Radikale Venstre, estompant ainsi la rupture avec les principes plus généraux de transformation de la représentation parlementaire danoise.
La professionnalisation politique : un travail de construction des chances politiques
7Les années 1990 apparaissent ainsi pour le Dansk Folkeparti comme pour Samoobrona comme le moment de leur émergence, de leur implantation dans les jeux politiques. Considérer que c’est dans les jeux politiques que sont situés les processus pertinents, c’est alors constituer l’émergence de ces partis dans l’espace politique en question centrale. Il convient donc de s’interroger sur les modalités concrètes de leur inscription l’espace politique, ce qui demande de prendre au sérieux les stratégies que les acteurs développent pour prendre pied dans les compétitions politiques, ou pour les orienter à leur profit, ainsi que les représentations sur lesquelles ils s’appuient, dans la mesure où elles orientent leurs lignes d’action. Ce sont alors des transformations internes, ou des processus prenant place au sein de la relation partisane elle-même, qui doivent ici être considérés comme pertinents, à condition cependant de les relier aux transformations plus générales des espaces de jeux auxquels ils prétendent, et notamment aux transformations de l’offre politique globale.
8Dans cette perspective, le Dansk Folkeparti apparaît comme une tentative réussie de reconfiguration et de réactivation de ressources organisationnelles importées d’une autre entreprise partisane en perte de vitesse politique et électorale. Les dirigeants du Fremskridtspartiet avaient ainsi au tournant des années 1980 échoué aussi bien à se faire accepter par les autres acteurs politiques qu’à résoudre la crise de leadership causée par les démêlés judiciaires du fondateur du parti, Mogens Glistrup. La création du Dansk Folkeparti par quatre députés du Fremskridtspartiet menés par Pia Kjærsgaard en 1995 apparaît alors comme une tentative d’enrayer ce déclin. La réorganisation des ressources organisationnelles drainées du Fremskridtspartiet s’opère au nom d’un principe d’efficacité : les rapports de pouvoir interne sont centralisés, le filtrage des nouveaux membres est renforcé. L’une des finalités de cette recentralisation transparaît dans la stratégie de partisanisation de l’organisation : il s’agit entre autres d’écarter des individus pouvant brouiller l’image publique que le parti se construit, par leur “extrémisme” [8]. Ce processus de partisanisation réside simultanément dans un travail de marquage des frontières avec les univers militants du nationalisme danois. Ainsi, le Dansk Folkeparti se sépare-t-il en 1999 de militants issus du Dansk Forum (Forum Danois), une organisation étudiante perçue comme proche des néonazis et vivement combattue dans l’arène universitaire [9]. Parallèlement, les dirigeants tentent d’imposer une nouvelle image publique du parti, moins “libérale” et plus tournée vers le modèle social danois notamment, entreprise dans laquelle le Dansk Folkeparti se tourne vers des techniques reposant sur une spécialisation accrue des tâches politiques, comme le marketing politique. Durant toute cette période, un rôle important a été joué par Søren Espersen, un ancien journaliste devenu chef du service de presse et coauteur de certains textes programmatiques du parti. Last but not least, le Dansk Folkeparti met en œuvre une stratégie de politisation de la question de l’immigration, en relation avec la défense de l’identité danoise, sur le double mode de la reconversion et du réalignement électoral, là où le Fremskridtspartiet était principlement antifiscaliste et ultralibéral. L’ensemble de l’identité du parti est redéfinie autour de cet enjeu, que le Dansk Folkeparti parvient en outre à imposer comme question politique, autrement dit comme question qui structure les positionnements et les oppositions entre tous les partis politiques. C’est alors dans l’imposition réussie de ce rapport de force que réside le principe de sa stigmatisation par les autres acteurs politiques [10].
9Samoobrona se trouve face à une configuration d’entrée dans les jeux politiques sensiblement différente : il s’agit pour ce mouvement de convertir en entreprise spécifiquement politique une série de mobilisations sociales et de manifestations de rue réussies. Cette tension traverse l’histoire de cette organisation, puisque les deux logiques se chevauchent : si les mobilisations les plus réussies sont celles du printemps 1999, les premières tentatives d’entrée dans les jeux politiques remontent aux législatives de 1993, deux ans seulement après les mobilisations fondatrices de 1991. Les animateurs de ces premières mobilisations étaient des agriculteurs endettés confrontés au renchérissement de leurs dettes, après la suppression des mécanismes régulateurs propres à l’économie socialiste. Au cours des années 1990, la conversion de ce mouvement protestataire en organisation réussit sur le plan syndical, mais échoue sur le plan politique. C’est seulement après la vague de grèves paysannes, qui prennent notamment la forme de barrages routiers, en 1999 que Samoobrona s’impose comme acteur politique auquel les autres acteurs accordent du crédit : Andrzej Lepper, son leader, impose un rapport de force qui contraint le gouvernement à négocier. C’est ainsi seulement en 2001 que les élections législatives apportent des succès électoraux qui assurent une reconversion dans les jeux politiques des succès syndicaux antérieurs [11]. La période de stagnation électorale de Samoobrona renvoie en réalité à la nature des ressources politiques qu’elle peut produire tout au long des années 1990. Lors des premières tentatives d’entrée dans les jeux politiques (législatives de 1993, présidentielles de 1995), Samoobrona tente sans succès de puiser des ressources organisationnelles auprès de réseaux de la droite nationaliste, et notamment auprès de militants de l’association patriotique Grunwald, créée sous le régime socialiste. Or, les succès de 1999 coïncident avec une tentative de mobiliser d’autres ressources, en se tournant vers les forces de gauche alternatives au SLD, et notamment vers le petit parti socialiste PPS. Le rapprochement formel avec le PPS échoue, mais Samoobrona est partiellement parvenu a se reclasser à gauche. Comme dans le cas du Dansk Folkeparti, la redéfinition des ressources politiques pertinentes par les acteurs s’accompagne d’une part d’un travail de recadrage de l’image publique du parti (Andrzej Lepper met en avant ses affinités avec des notoriétés de la gauche “dure”, comme Jerzy Urban, ancien porte-parole du général Jaruzelski et propriétaire de l’hebdomadaire satirique anticlérical Nie, par exemple) et d’autre part, de la politisation d’une cause par un réinvestissement de la question sociale et des inégalités nées des réformes libérales (par exemple en inscrivant Samoobrona dans des luttes syndicales non-agricoles, comme lorsque Andrzej Lepper rejoint des ouvriers du textile en grève en mai 1999) [12]. Par ailleurs, le succès de Samoobrona prend place dans une conjoncture d’échecs répétés du PSL, le principal représentant de la paysannerie tout au long des années 1990, à s’implanter dans l’électorat urbain [13], mais aussi d’une instabilité chronique de la droite qui introduit une relative fluidité de l’espace partisan, tout particulièrement au moment de l’essor de Samoobrona, qui coïncide avec l’éclatement de la coalition de droite AWS créée en 1997 pour tenter de mettre fin à la division de la droite post-Solidarnosc. Significativement, Samoobrona peine en 2005 à conforter ses positions face à une droite désormais consolidée (les partis libéral PO et conservateur PiS arrivent largement en tête, avec respectivement 24,1% et 26,9% des suffrages exprimés).
10La comparaison entre Samoobrona et le Danske Folkeparti laisse apparaître de nombreux points communs dans leur modes d’entrée dans les jeux politiques. Ces deux partis parviennent ainsi à accumuler des ressources politiques, notamment des ressources organisationnelles, mais aussi des ressources sociales, si l’on entend par là capacité à inscrire la relation partisane dans un système de relations spécifique et orienté vers des activités de compétition politique [14]. Même si la ressource charismatique est mobilisée (aussi bien par Pia Kjæsgaard que par Andrzej Lepper) – peut-être autant à cause de ses rendements élevés pour des coûts faibles que par déficit de ressources d’autres types, ce qui peut instaurer un différentiel de ressources handicapant pour les compétitions ultérieures, comme en témoigne le meilleur résultat d’Andzrej Lepper aux présidentielles que de son parti aux législatives en 2005 – cette accumulation de ressources politiques apparaît comme l’un des traits principaux de ce travail d’implantation dans l’espace politique. La professionnalisation de ces partis permet alors de caractériser comme travail de construction des chances politiques les conjonctures de leur émergence dans les jeux politiques.
Registres de légitimité et crédit politique
11Aborder ces deux partis sous l’angle de leur professionnalisation, autrement dit poser la question de leurs chances de construire les ressources ayant cours dans l’espace politique pour pouvoir se produire comme acteur politique légitime, c’est également orienter l’attention vers les chances de leurs animateurs de s’approprier des rôles et des schèmes de conduite ou d’interprétation propres à les faire apparaître eux-mêmes comme des professionnels de la politique. Les députés Samoobrona apparaissent ainsi plus faiblement prédisposés à s’approprier les schèmes d’interprétation politiques. On peut ainsi vérifier que les récits d’engagements font une assez faible part à ce que les individus pourraient identifier comme des choix idéologiques ou des motivations d’engagement strictement politiques. Kazimierz Wójcik met en avant le manque d’entraide de la part des autres syndicats agricoles, Alicja Lis se présente comme ayant été “démoralisée” par l’indifférence face aux difficultés auxquelles sa petite entreprise familiale a été confrontée au début des années 1990 [15]. Même si ces récits font usage de catégories renvoyant à l’action syndicale, ils apparaissent mis en forme à partir des expériences individuelles, lesquelles ne sont pas situées en des termes politiques, mais plutôt évoquées sur le registre de la vie quotidienne, en référence à des difficultés à mener son existence dignement. En ce sens, ces récits s’opèrent sur le mode de la justification domestique. Ils s’opposent alors aux récits des députés du Dansk Folkeparti qui, lorsqu’ils évoquent leur engagement ou leur reclassement dans ce parti, se placent d’emblée sur un registre de justification politique [16]. Ainsi, Morten Messerschmidt fait-il remonter sa politisation à l’intérêt pour la politique qu’il a éprouvé lors du référendum de 1992 sur les accords de Maastricht, Louise Frevert évoque-t-elle les insatisfactions éprouvées en militant auparavant chez les conservateurs [17]. Par ailleurs, Morten Messerschmidt évoque la politisation de son entourage familial (mère social-démocrate), configuration prédisposant à un sentiment élevé de compétence politique, caractérisée par la capacité à s’autoriser un point de vue politique, en le composant avec des catégories spécifiquement politiques [18]. De surcroît l’un comme l’autre font-il, en écho avec d’autres, immédiatement référence à l’importance à leurs yeux de la question de l’immigration, renvoyant ainsi à une intériorisation des logiques de construction du parti autour de catégories et de questions perçues ou présentées comme politiquement légitimes [19].
12Or, les différences de registres entre ces récits renvoient aux propriétés de ces deux entreprises et à leurs modes particuliers de politisation de leur action. Quoique pouvant être rattachés tous deux à des mobilisations sociales prenant place dans des univers faiblement orientés dans leur structure et leur fonctionnement par la participation aux jeux politiques (mobilisations de rue et militantisme syndical dans le cas de Samoobrona, militantisme religieux et nationaliste dans le cas du Dansk Folkeparti), ces deux partis subissent inégalement l’attraction des règles des jeux politiques dominants. Elle apparaît relativement forte dans le cas danois, sous l’effet de différentes logiques. Les dirigeants du Dansk Folkeparti apparaissent ainsi contraints par la différenciation marquée de l’espace politique, dans une conjoncture générale de spécialisation ancienne et fortement légitime des activités politiques. Toutefois, cette emprise n’est pas automatique : si le Dansk Folkeparti se révèle vulnérable au modèle dominant d’action politique, c’est sous l’effet de son histoire et notamment de la distance entretenue par le Fremskridtspartiet avec ce même modèle, avec des rétributions faibles, voire négatives. Les luttes qui se produisent au début des années 1990 pour le leadership du parti prennent en effet place dans un double contexte : la stagnation du Fremskridtspartiet, déjà mentionnée, mais aussi le renouveau du militantisme religieux et nationaliste des années 1980, principalement avec l’Association Danoise ( Den Danske Forening) du pasteur Søren Krarup créée en 1987. Au sein de cette organisation se manifestent ainsi, dès ses premiers succès en termes de recrutement militants, des tendances à la partisanisation de l’organisation [20]. L’Association Danoise est ainsi conductrice de la politisation des carrières militantes de l’espace militant nationaliste, l’exemple le plus significatif étant celui du passage au Dansk Folkeparti de Søren Krarup lui-même. Par ailleurs, le travail de politisation entrepris par l’Association Danoise réside également dans son implication dans les luttes de représentations, par la politisation de la question de l’immigration, de l’identité danoise et de ses fondements chrétiens. De manière significative, Ole Hasselbalch, son dirigeant, déclarait en 1997 que l’Association Danoise avait atteint son but en réintroduisant dans le débat public la question de l’immigration [21]. La reconversion d’une partie de l’organisation du Fremskridtspartiet en nouveau parti en 1995 prend ainsi place dans une conjoncture de redéfinition des causes légitimes, des logiques d’engagements militants et de renouvellement des espaces militants eux-mêmes : si le Dansk Folkeparti est certes “tiré” par ses futurs dirigeants sous l’effet des choix stratégiques qu’ils opèrent (plus grande ouverture à des participations gouvernementales, redéfinition de l’image publique du parti autour des questions de l’immigration au détriment des références libérales), il est également “poussé” par des transformations au sein de certains segments politisés de la société et des espaces militants de la droite nationaliste danoise, processus qui assure à ces mêmes choix stratégiques leur opérationnalité identitaire et organisationnelle, leur “réalisme” au sein de la relation partisane.
13La logique de (re)professionnalisation qui prend place au Dansk Folkeparti au cours des années 1990 renvoie ainsi à des transformations multiples, que ses dirigeants orientent et travaillent à mettre en cohérence. L’investissement de la relation partisane, au détriment de la sociation militante, notamment, conduit ainsi à une relative hétéronomie par rapport aux règles du jeu politique : pour attester de la réussite de l’entreprise, le Dansk Folkeparti doit, certes, convertir ces transformations organisationnelles et identitaires en succès politiques et en performances électorales, mais il doit aussi se classer comme acteur politique et donc se livrer au travail de définition de son positionnement dans les jeux politiques, de définition de sa bonne distance avec les acteurs politiques dominants. Ce travail passe notamment par une activité assez intense de marquage des frontières : avec les groupements militants nationalistes ou religieux, qui peuvent “nuire à son image”, ce que les observateurs ont maintes fois remarqué, mais aussi avec les autres acteurs politiques, dans un même mouvement dialectique de repositionnement dans les rapports de force sociaux et politiques [22]. À l’inverse, Samoobrona se trouve prise dans des contraintes nées de son succès en tant que mouvement protestataire. D’une relation que ses animateurs eux-mêmes continuent de percevoir comme encore, au moins en partie, syndicale, ils doivent faire une entreprise politique, ce qu’ils font en construisant des liens pratiques et symboliques avec le mode d’action de Samoobrona avant 2001. Il s’agit notamment d’entretenir l’image publique de Samoobrona comme mouvement résolument situé en rupture avec les jeux politiques constitués et légitimes, comme le montre la stratégie consistant à briser avec éclat le jeu parlementaire par des occupations du micro et de la tribune de la Diète, par exemple. Ce travail de définition du mode d’action politique de Samoobrona dans les jeux politiques et notamment dans les jeux parlementaires prend en fait place dans une entreprise plus large de légitimation de Samoobrona par une réactualisation du clivage entre l’État et la société hérité de l’avant 1989 et auquel les luttes sociales des années 1980-81 ont donné une forme particulière. Samoobrona mobilise ainsi un registre d’action spécifique, résidant dans la mise en forme des intérêts sociaux non pas au cours d’une définition des lignes d’opposition entre eux, mais de leur opposition à l’État ou au politique. Le travail de généralisation auquel se livre Samoobrona repose ainsi autant sur l’affirmation symbolique du groupe dont elle se prétend le porte-parole que sur l’adoption d’un modèle dans lequel le groupe mobilisé agit comme une “classe pour les autres”, en devenant le porte-parole de l’ensemble de la société [23]. Le travail d’implantation dans les jeux politiques entrepris par Samoobrona passe ainsi par la réactivation d’un modèle d’action politique perçu dans un état antérieur des structures sociales comme “civique”, mais que les acteurs des conjonctures ultérieures décrivent comme “protestataire” voire “antidémocratique”, ce qui se trouve alors au principe de la classification de Samoobrona comme “populiste” et des luttes de labellisation auxquelles elle donne lieu [24]. La professionnalisation de Samoobrona, autrement dit la construction de sa légitimité spécifiquement politique, advient ainsi parallèlement à un travail d’entretien de la légitimité sociale du syndicat, à l’inverse du travail de marquage des frontières mené par le Dansk Folkeparti, notamment face au militantisme nationaliste et religieux.
14L’analyse menée au cours de cet article montre que le Dansk Folkeparti et Samoobrona peuvent difficilement être saisis au travers d’une catégorie unique, notamment celle de “populisme”. En effet, ces deux partis procèdent de logiques de mobilisation très contrastées (mobilisations “par le bas” pour Samoobrona, mobilisations dans l’arène parlementaire pour le Dansk Folkeparti) ; ils ne disposaient pas du même stock initial de ressources, ils ne politisent pas les mêmes causes et les contraintes de leurs espaces politiques de référence leur imposent des stratégies différentes. Par ailleurs, là où une analyse en termes de “populisme” conduit à organiser la causalité autour du charisme des leaders, la perspective ici adoptée, qui insiste sur la professionnalisation avérée de l’ensemble de la relation partisane, montre qu’il est hasardeux de s’en tenir à de tels postulats. Ainsi, l’observation des lignes d’actions concrètes suivies par ces deux acteurs offre une alternative à un mode d’interprétation fondé sur l’attribution automatique à l’objet des traits que la catégorie de “populisme” prête aux réalités qu’elle entend saisir [25]. Le “populisme” du Dansk Folkeparti et de Samoobrona sont de toute évidence une mythologie à revisiter [26]. En outre, l’adoption d’une focale comparative conduit à préciser davantage les limites des interprétations dominantes. En effet, constater que ce sont les mêmes logiques de professionnalisation politique qui président à l’insertion de ces deux partis dans les espaces politiques polonais et danois, qu’ils subissent l’un comme l’autre l’attraction des règles de la professionnalisation politique, permet de discuter l’idée fréquente selon laquelle les “populismes” ont en Europe centrale et orientale et en Europe occidentale des ressorts de causalité différents, afférant à la moindre “qualité” de la démocratie dans cette partie de l’Europe [27]. En revanche, à l’encontre d’une approche en termes de “populisme”, mettre l’accent sur le travail entrepris par ces partis pour se professionnaliser offre les moyens d’observer leur travail parallèle de redéfinition des contours et des principes de fonctionnement de l’espace politique, visant à leur permettre d’aller de la périphérie au cœur de l’espace politique. Ces partis apparaissent alors pour ce qu’ils sont : des entreprises politiques engagées dans une dynamique les conduisant à travailler les frontières de l’espace politique pour s’y implanter; c’est ainsi vers le rapport de force qu’ils tentent d’instaurer qu’il faut se tourner pour comprendre leur trajectoire, surtout lorsqu’elle apparaît délibérément orientée par leurs dirigeants vers une participation aux fonctions gouvernementales, comme c’est le cas aussi bien du Dansk Folkeparti que de Samoobrona [28].
Notes
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[1]
On considère donc les partis sous l’angle de la spécialisation des activités politiques et des activités destinées à soutenir la professionnalisation des acteurs politiques en démocratie. WEBER M., Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959.
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[2]
COLLOVALD A., “Les poujadistes ou l’échec en politique”, Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, volume 36,1989, pp. 113-133.
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[3]
BAILEY Fr.-G., Les règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971; BOURDIEU P., “La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique”, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 36-37, février-mars 1981, pp. 3-24.
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[4]
Largement mobilisée dans le cas d’autres partis labellisés populistes, comme le FN ou le FPÖ, l’explication par le charisme l’est aussi pour Andzrej Lepper en Pologne et Pia Kjæsgaard au Danemark. Sans mésestimer l’usage de la ressource charismatique, il convient de ne pas en faire la seule ressource pertinente et d’en comprendre les logiques de mobilisation. Au-delà, la rupture par rapport à l’approche en termes de “populisme” dans cet article est en réalité triple : tout d’abord par rapport à son contextualisme, qui conduit nombre de travaux à identifier une causalité hasardeuse et difficile à vérifier dans des phénomènes “lointains” (mondialisation, construction européenne, par exemple) ; ensuite par rapport à son typologisme, qui conduit à une recherche de la “véritable” nature de ces partis, objectivable dans une catégorie générale, au risque de provoquer une inflation étourdissante de labels et de classifications ad hoc, et enfin par rapport à son exceptionnalisme, dont l’explication par le charisme constitue un bon exemple et dont on peut convenir qu’il est “dicté discrètement par l’exigence d’un positionnement éthique et politique” face à ces partis (ROUSSEL V., “Labels politiques et construction de l’identité militante : le cas du Front national”, dans DOBRY M., (dir.), Le mythe de l’allergie française au fascisme, Paris, Albin Michel, 2003, p. 239).
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[5]
Voir à titre d’exemples : BETZ H.-G., La droite populiste en Europe. Extrême ou démocrate ?, Paris, Autrement, 2004 ; IHL O. et al., La tentation populiste au cœur de l’Europe, Paris, La Découverte, 2003; PERRINEAU P., (dir.), Les croisés de la société fermée. L’Europe des extrêmes droites, La Tour D’aigues, Éditions de l’Aube, 2001.
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[6]
Cet article s’appuie sur deux enquêtes de terrain menées au Danemark et en Pologne, dans le cadre desquels ont entre autres été réalisés des entretiens avec des députés et des dirigeants de ces partis (cinq entretiens auprès de Samoobrona et quatre auprès du Dansk Folkeparti, auxquels il faut ajouter deux entretiens menés à Strasbourg avec des députés européens de Samoobrona). L’accès à l’échelon parlementaire a ainsi été considéré comme pertinent de la professionnalisation des acteurs, en relation avec l’accès donné à l’espace politique national aux partis représentés au Parlement.
-
[7]
COLLOVALD A., op. cit., 1989.
-
[8]
PEDERSEN K., RINGMOSE J., “From the Progress Party to the Danish People’s Party – from protest party to government supporting party”, working paper présenté au workshop “Effects on incumbency on Organisation of radical Rightwing Parties”, ECPR Joint Sessions, Uppsala, 2004.
-
[9]
KARPANTSCHOF R., Populism and Right Wing extremism in Denmark 1980-2001, København Universitet, Sociologisk Institut, série “Sociologisk Rapportserie”, n° 4,2002, pp. 32-33.
-
[10]
C’est notamment en référence aux positions du Danske Folkeparti sur l’immigration que le Premier ministre Poul Nyrup Rasmussen (S) avait exclu toute participation de sa part aux soutiens gouvernementaux après les élections de 1998. PEDERSEN K., RINGMOSE J., op. cit., 2004.
-
[11]
Pour une description de l’histoire de Samoobrona, cf. entre autres KROK-PASZKOWSKA A., “The Polish Self-Defence Movement”, in MUDDE C. and KOPECKY P., Uncivil Society ? Contentious politics in post-communist Europe, Londres, Routledge, 2003, pp. 114-133.
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[12]
LUGOWSKA U., “Parliamentary Elections in Poland 2001, What Next for Self Defence ?”, Labour Focus on Eastern Europe, n°69,2001, pp. 4-13.
-
[13]
Or Samoobrona parvient davantage à mordre sur l’électorat urbain que le PSL. Aux législatives de 2001, par exemple, les agriculteurs ont accordé leur suffrage à 34,5 % pour le PSL et à 29,9% pour Samoobrona ; les habitants des zones rurales à 19,5 % pour le PSL et à 17,3 % pour Samoobrona (FEDYSZAK-RADZIEJOWSKA B., “Wie_ polska w wyborach : radykalizacja nastrojøw [La campagne polonaise au cours des élections : radicalisation des attitudes]” in coll., Przyszlo__ polskiej sceny politycznej po wyborach 2001 r. [L’avenir de la scène politique polonaise après les élections de 2001], Varsovie, ISP, 2001, p. 58). Rappelons que le PSL a obtenu 9,0 % des suffrages exprimés et Samoobrona, 10,2 %.
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[14]
On applique ici aux collectifs la notion de capital social, dans l’acception qu’en donne James Coleman. Considérer le capital social d’un groupement, y compris d’un groupement politique, permet de mettre en valeur l’insertion de cet acteur et/ou des individus qui le composent dans un ensemble de relations sociales qui oriente la structure de leurs ressources et en accroît l’opérationnalité. COLEMAN J., Fondations of Social Theory, Cambridge, Londres, Harvard University Press, 1990.
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[15]
Entretiens avec Alicja Lis, le 4 mai 2005, avec Kazimierz Wójcik, le même jour.
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[16]
On reprend cette opposition dans les motivations à l’engagement publiquement avancés par les militants à ROUSSEL V., op. cit. (sur les régimes de justification : BOLTANSKI L., THÉVENOT L., De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991).
-
[17]
Entretiens avec Morten Messerschmidt, le 2 juin 2005, avec Louise Frevert, le même jour.
-
[18]
GAXIE D., Le cens caché, Paris, Seuil, 1978.
-
[19]
Ibid, entretien avec Kenneth Kristensen, le 30 mai 2005.
-
[20]
KARPANTSCHOF R., op. cit., p. 38.
-
[21]
Ibid.
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[22]
Il s’agit en premier lieu des acteurs politiques nationaux, mais aussi européens, et notamment d’autres partis classés comme “populistes” ou “extrémistes”: le travail de positionnement dans l’espace politique danois passe alors par une distinction par rapport au Front National français, décrit comme trop “dur”, et par une affinité (parfois revendiquée) avec le parti de Pim Fortuyn aux Pays-Bas. Les enquêtés évoquent ainsi assez spontanément leur tolérance personnelle à l’égard de l’homosexualité, l’un d’entre eux fait même ouvertement état de sa propre homosexualité. Ce jeu de références positives et négatives permet également de se positionner comme “moderne”, “ouvert”, non sans relation avec le travail de légitimation des causes promues, et notamment de l’immigration.
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[23]
Cette notion est empruntée à la sociologie polonaise des événements de 1980 : RYCHARD A., “Pouvoir et économie, trois perspectives théoriques” dans ADAMSKI W. et al., La Pologne en temps de crise, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, pp. 37-52. On a plus particulièrement développé ces questions dans : ZALEWSKI Fr., “Conflits d’interprétations et conflits sociaux dans la Pologne postcommuniste : l’exemple des mobilisations paysannes”, dans Roger A., (dir.), Des partis pour quoi faire ? La représentation politique postcommuniste, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 61-76.
-
[24]
Les enquêtés réfutent massivement cette classification : “ils n’ont pas de preuve !” s’exclame l’un d’eux au sujet de ceux qui mobilisent cette catégorie. D’autres mettent en avant le caractère généralisé à tous les acteurs politiques de la pratique consistant à promettre davantage que l’on ne peut tenir, à avancer des solutions simples à tous les problèmes.
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[25]
Ainsi, alors que l’on observe une nette tendance à la “notabilisation” de Samoobrona (sélection des candidats pour les élections européennes de 2004 sur des critères de compétence politique – et donc de conformité au modèle dominant de compétence sociale de l’homme politique professionnalisé – positionnement comme outsider pour les législatives de 2005), Ewa Nalewajko peut-elle écrire, dans la lignée des schèmes les plus convenus sur le “populisme”, que “Samoobrona représente une variété de populisme social, c’est-à-dire de populisme de protestation, et a en outre un caractère plébéien. C’est un parti hostile à l’État et aux élites”, ou encore que les populistes “rejettent par principe toute forme de politique à long terme”. NALEWAJKO E., “Le populisme et sa dimension anti-européene”, in MINK G., NALEWAJKO E., Antyeuropejscy aktorze i ich kultury polityczne [Les acteurs anti-européens et leurs cultures politiques], Varsovie, ISP-PAN, 2004, p. 38, p. 26.
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[26]
Pour reprendre les mots d’Annie Collovald au sujet du FN en France ; cf. COLLOVALD A., Le “populisme du FN”, un dangereux contre-sens, Broissieux, le Croquant, 2004.
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[27]
De manière significative, certains travaux sur le populisme en Europe ne traitent pas des pays d’Europe centrale et orientale. Voir par exemple BETZ H.-G., op. cit. Ce découpage disciplinaire va de pair avec les préjugés dont est chargé le schème populiste sur la rupture avec l’ordre démocratique que le succès des partis ainsi désignés manifestent. Ainsi, dans un article sur les partis populistes antieuropéens en Pologne, Pascal Perrineau et Michael Mikenberg sont-ils conduits à affirmer que “la Pologne se situe quelque part entre les cas de “démocratie consolidée” du type occidental ou du type tchèque ou hongrois, et les cas de “démocratie non consolidée” que l’on trouve en Europe orientale, que ce soit dans l’Union européenne ou au-delà (Roumanie, Russie)”, et ce à partir de la construction d’une catégorie ad hoc de partis “populistes” rassemblant des acteurs très dissemblables mais totalisant 38,7 % des suffrages exprimés aux européennes de 2004. PERRINEAU P., MIKENBERG M., “La droite radicale, divisions et contrastes”, dans PERRINEAU P., (dir.), Le vote européen 2004-2005. De l’élargissement au référendum français, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 98.
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[28]
De ce point de vue, les résultats des élections de 2005 sont plutôt mitigés : aux législatives Samoobrona obtient avec 11,4% une timide troisième place, en deçà des résultats attendus, mais son leader reprend un léger avantage aux présidentielles, avec 15,1% lors du premier tour, ce qui l’élimine certes pour le second mais lui permet de revendiquer la présidence de la Diète.