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Article de revue

La nouvelle gestion publique “en action”

Pages 177 à 185

Notes

  • [1]
    Pour une remarquable analyse historique des politiques de réformes de l’administration en France par exemple, voir BEZES Ph., Gouverner l’administration : une sociologie des politiques de la réforme administrative en France ( 1962-1997), thèse de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, 2002.
  • [2]
    OSBORNE D. and GAEBLER T., Reinventing Government : How the Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector, Reading (Mass.), Adison Wesley, 1993.
  • [3]
    Voir note 2 supra.
  • [4]
    GOUVERNEMENT FEDERAL, Fondements de la modernisation de l’Administration fédérale, Bruxelles, 28 avril 2000.
  • [5]
    Pour une présentation synthétique des ambitions de la NGP, voir HOOD C., “A Public Management for All Seasons ?”, Public Administration, 1991, n °69( 1), pp. 3-19; POLLITT C., “Management Techniques for the Public Sector : Pulpit and Practice”, in PETERS B.G. and SAVOIE D.J., (eds), Governance in a Changing Environment, Montreal / Kingston, McGill-Queens’s University Press, 1993, pp. 203-238; POLLITT C. and BOUCKAERT G., Public Management Reform. A Comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2000.
  • [6]
    MERRIEN F.X., “La Nouvelle Gestion Publique : un concept mythique”, Lien Social et Politiques – RIAC, 41, Printemps 1999, p. 102.
  • [7]
    HOOD C., The Art of the State : Culture, Rhetoric, and Public Management, Oxford, Oxford University, Press, 1998.
  • [8]
    GIBERT P. et THOENIG J.C., “La gestion publique : entre l’apprentissage et l’amnésie”, Revue Politiques et Management Public, vol. 11, n° 1,1993, p. 8.
English version

1Des vagues successives – pour ne pas dire des modes – de modernisation du service public visent, de manière récurrente mais selon des préceptes renouvelés, à transformer les structures de l’appareil administratif, ses processus internes et la culture de ses agents.

2Au cycle de la rationalisation des choix budgétaires, avatar francophone du “Planning Programing Budgeting System” (PPBS) anglo-saxon, a par exemple succédé l’idéal de la transparence administrative promue par le libre accès aux documents administratifs ou l’institution du médiateur. Ce nouveau répertoire a lui-même été rapidement dépassé par la gestion de la qualité, les centres de responsabilité et l’évaluation des effets des politiques publiques. De toute évidence, les réformes de l’administration semblent aussi vieilles et pérennes que celle-ci. Le phénomène bureaucratique est perçu ou, mieux, sciemment construit comme un problème politique lancinant. Le “souci de soi” permanent de l’État appelle et légitime donc un énième projet de modernisation, annoncé souvent à grands fracas par un ministre volontariste et porté par divers réformateurs croyant à sa faisabilité politique (intellectuels, hauts fonctionnaires, consultants privés, etc.) [1].

3Depuis une décennie, la mouvance de la Nouvelle Gestion Publique constitue indéniablement le paradigme dominant en matière de transformation de l’État. La crise des finances publiques, le mécontentement des citoyens vis-à-vis des prestations administratives, le développement des technologies de l’information ont été autant d’arguments pour affirmer la nécessité de “Réinventer le gouvernement” [2] aux États-Unis ou d’adopter une “Nouvelle Gestion Publique” (NGP) dans les pays du Commonwealth, au Benelux et en Suisse.

4Ce mouvement de réformes d’inspiration néo-managériale suscite des réactions en sens divers. Les techniques ou les méthodes proposées ne sauraient être dissociées ni des discours qui les portent – appuyés par un recours aux anglicismes (“process reengineering”, “benchmarking”, “best practices”, “value for money”, “performance indicators”, …) destiné à en asseoir la légitimité ou le bien-fondé – ni des acteurs politiques et administratifs chargés de les transformer en réalisations concrètes. Derrière la rhétorique managériale se cachent des enjeux de pouvoir et des luttes partisanes dont les effets viendront moduler, anéantir ou au contraire renforcer les objectifs visés. Ainsi, certains voient, à travers les réformes inspirées de la NGP, une tentative pour les gouvernements de réaffirmer leur autorité sur l’administration, de l’instrumentaliser et de la cantonner dans sa fonction de gestionnaire de services.

5Un processus de réflexivité critique s’impose par rapport aux discours dominants, largement diffusés par les consultants en organisation, plusieurs instances internationales (Banque mondiale, OCDE, etc.) voire par le monde académique. Poussés à l’extrême, certains principes de la NGP risquent en effet de se trouver en opposition avec les règles fondatrices des services publics dans les démocraties occidentales. Ainsi, l’accent mis sur les résultats et les effets de l’action publique – objectif au demeurant louable – et l’assimilation du citoyen à un client ne condui-raient-ils pas à mettre en péril la continuité du service et l’égalité de traitement de ses usagers ? C’est en ayant à l’esprit ces considérations que nous avons préparé ce numéro de la RIPC, lequel ne prétend nullement dresser un bilan exhaustif des mythes et réalités de la NGP, mais seulement offrir un regard comparatif sur cinq enjeux ou problématiques soulevés par les réformes issues de ce paradigme : la libéralisation des services publics et la régulation publique, la relation entre pouvoir politique et hauts fonctionnaires, la gestion des ressources humaines, les réformes budgétaires et l’évaluation des politiques publiques. Ces études thématiques sont suivies d’un regard avisé sur la gestion du changement dans les services publics en Europe occidentale. Avant de présenter de manière synthétique l’argument exposé par chaque auteur, nous nous penchons rapidement sur la NGP, concept protéiforme s’il en est.

Principes et outils de la Nouvelle Gestion Publique

6Plusieurs thuriféraires de la NGP proposent rien de moins que de réinventer la conduite de l’action publique, comme le stipule le titre du best seller de D. Osborne et T. Gaebler [3], ou d’opérer une révolution “copernicienne” au sein des services publics, pour reprendre l’expression de L. Van den Bossche, ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives en Belgique [4]. Pour ce faire, ils recommandent d’appliquer des lignes directrices largement inspirées par les règles du marché privé : la définition d’objectifs quantitatifs pour l’exécution des politiques publiques, la focalisation sur les prestations fournies plutôt que sur la procédure à suivre, la réduction des coûts de production des services publics, la gestion d’une unité administrative par un manager allouant librement ses ressources, la motivation du personnel par des incitations pécuniaires, la garantie d’une liberté de choix aux usagers, etc. En un mot, la NGP vise à faire des administrations traditionnelles des organisations orientées vers la performance. L’État s’assurerait de la sorte une légitimation secondaire, au travers de la qualité des prestations publiques et de l’usage efficient des deniers publics. Celle-ci renforcerait sa légitimité première qui se base sur le respect des règles démocratiques encadrant, en amont, les processus décisionnels.

7La mise en œuvre de ces principes de management [5] implique non seulement une réforme du fonctionnement interne de l’administration publique mais aussi une modification des relations entre pouvoir politique et (hauts) fonctionnaires. Ces innovations découlent toutes du grief de non-efficience porté contre la bureaucratie wébérienne qui se caractérise notamment par la hiérarchisation des fonctions, la professionnalisation et l’impersonnalité des règles. Il s’agit dès lors d’assurer une plus grande flexibilité de l’organisation du travail administratif, par opposition aux hiérarchies bureaucratiques. De plus, la modernisation du secteur public doit accorder plus de poids aux clients de l’administration et à leur satisfaction qu’aux injonctions du pouvoir politique. Plusieurs instruments de management ont été développés et appliqués pour traduire en réformes opérationnelles les principes affirmés dans la rhétorique de la NGP. Le tableau suivant en donne un aperçu sélectif.

8Inspiré par le modèle marchand, la NGP tend donc à subordonner l’État au marché selon deux modalités bien distinctes. Certains dénoncent les dysfonctionnements internes de l’État. Soutenant que la concurrence est une condition nécessaire à l’efficience, ils recommandent d’introduire les principes de compétition et de responsabilisation au sein des structures et procédures bureaucratiques. D’autres remettent carrément en cause le rôle de l’État-Providence. Postulant l’efficacité supérieure du marché, ils suggèrent de privatiser plusieurs tâches étatiques et de libéraliser au plus vite les secteurs épargnés. Cette vision réduit l’État à un régulateur neutre, assurant le déroulement sans distorsion du jeu de la concurrence entre opérateurs privés. La distinction entre la réforme des modalités de fonctionnement de l’État (subordination interne) et son démantèlement pur et simple (subordination externe) conduit à des divergences dans l’interprétation de la NGP et de ses effets potentiels.

Tableau 1

Éléments constitutifs de la Nouvelle Gestion Publique (NGP)

Tableau 1
Tableau 1 : Éléments constitutifs de la Nouvelle Gestion Publique (NGP) Outils de la NGPPrincipes de la NGP Négociation de contrat de prestations, quiSéparer la prise de décision stratégique, qui fixent des indicateurs de performance à at-relève du pouvoir politique, de la gestion teindre dans un délai imparti, entre les auto-opérationnelle, qui est sous la responsabirités politiques (parlement, gouvernement)lité de l’administration; et les responsables des services administra-Distinguer ainsi les tâches de financeurs, tifs.acheteurs et prestataires des services publics. Attribution de budgets globaux aux gestion-Orienter les activités administratives en naires publics qui disposent d’une largefonction des produits à fournir (plutôt que marge de manœuvre pour satisfaire à leursdes règles procédurales à suivre, en matière critères de rendement.d’affectation des ressources notamment). Création d’agences exécutives et de structu-Réduire la hiérarchie, amincir les bureaures organisationnelles plus flexibles ainsi quecraties, décentraliser certaines tâches admidéréglementation de certains statuts de lanistratives et déléguer la gestion au niveau fonction publique en introduisant des man-le plus bas (selon le principe de subsidiarité). dats individualisés et le salaire au mérite. Mise au concours pour la fourniture de cer-Introduire des mécanismes de type marché taines prestations (marchés publics), déré-dans la production de biens et services d’inglementation des monopoles publics ettérêt général (y compris en créant des quasi-introduction de bons (vouchers) aux usa-marchés). gers qui choisissent librement leurs fournisseurs. Calcul et comparaison des coûts grâce àCréer de la transparence sur la qualité et une comptabilité analytique (par groupe deles coûts des prestations administratives ; produits administratifs) et comparaison deUtiliser de manière efficiente les ressources différents prestataires (benchmarking).publiques (value for money). Gestion orientée vers la qualité (voire laOrienter les prestations administratives vers certification des processus), chartes de ser-les besoins des usagers (ou clients) en les vice public et enquête de satisfaction réali-impliquant dans la définition et l’évaluation sée auprès des clients.des prestations à fournir.

Éléments constitutifs de la Nouvelle Gestion Publique (NGP)

différents prestataires (benchmarking).publiques (value for money).

Influence réelle ou effet de mode ?

9Comme le souligne F-X. Merrien, “la force du mouvement de la Nouvelle Gestion Publique est d’avoir magnifiquement su tirer parti des mots (…) Comme toute pensée mythique, la NGP ne cherche pas à établir scientifiquement le vrai et le faux. Elle cherche à donner sens au monde” [6]. En outre, le changement se présente souvent comme inéluctable et unidirectionnel en vue d’atteindre un degré plus élevé de modernisation. La NGP est fortement empreinte de déterminisme managérial ; elle revendique l’application des mêmes méthodes quelle que soit l’hétérogénéité des problèmes rencontrés par les organisations publiques ou le contexte institutionnel dans lequel celles-ci sont amenées à évoluer [7].

10Mais de la théorie à la pratique, des mesures envisagées aux actions effectivement réalisées, il y a bien souvent un grand pas. Le décalage entre les promesses et les résultats est une constante dans l’histoire des réformes administratives. Disserter sur les incidences, néfastes versus salutaires, de la NGP se solde par des différends stériles tant que l’argumentation ne se base pas sur des données empiriques solides. Ainsi, les premières évaluations des réformes expérimentales du secteur public démontrent, par exemple, qu’il n’y a pas de lien causal linéaire entre la pratique de la NGP et la réduction drastique de la quote-part de l’État et de la fonction publique en particulier. Alors que les deux vont de pair en Nouvelle-Zélande et en Grande-Bretagne, ce parallélisme n’est par contre pas observable dans les pays scandinaves. Il n’y a pas “d’automaticité” entre les méthodes et les outils proposés et les effets que ceux-ci engendrent dans un contexte déterminé. La réussite des réformes administratives dépend autant de la stratégie de changement, reposant sur la volonté politique et/ou l’impulsion d’une dynamique de transformation par l’administration, l’appropriation des finalités par les acteurs de terrain et l’accompagnement dans sa mise en œuvre que du contenu des mesures envisagées. L’interaction entre les variables contextuelles, le jeu des acteurs et les mesures d’inspiration managériale sont au cœur des contributions de ce numéro thématique. Par le biais d’une analyse comparative, les auteurs des articles originaux rassemblés ici cherchent à mettre en évidence la variété des trajectoires ou la pluralité des modèles menant au changement et à confronter les diverses expériences nationales en vue d’éclairer certains enjeux – et aussi certaines contradictions – de la NGP.

11Les politiques de libéralisation des services publics de réseau abordées par Christophe Genoud tranchent par la radicalité de leur objet, car elles touchent à la conception même du service public et donc du rôle de l’État. L’unicité du concept – un organisme public disposant d’un monopole légal en vue d’offrir aux usagers un ensemble de biens et services (dit service public organique) – cède le pas à une dissociation entre les prestations à fournir (dit service public fonctionnel) et les opérateurs (publics et/ou privés) chargés de les assurer. L’ouverture à la concurrence de secteurs autrefois monopolistiques comme les télécommunications, l’électricité ou les chemins de fer, impose à chaque État de définir le champ du service public fonctionnel, en d’autres termes l’étendue des missions considérées comme étant d’intérêt général, quel que soit l’opérateur désigné, ainsi que les modalités de son financement. Elle oblige par ailleurs l’État à mettre en place un cadre institutionnel destiné à réguler le secteur libéralisé (surveillance de la concurrence effective entre les opérateurs, contrôle des missions d’intérêt général, …). Les variations et convergences des systèmes de régulation, touchant tant aux différentes fonctions assumées qu’à la distribution de celles-ci entre les acteurs politico-administratifs, retiennent l’attention de l’auteur. Le degré d’indépendance du régulateur, à la fois vis-à-vis des pouvoirs publics et des opérateurs, se trouve au cœur de la problématique de la régulation. En outre, les transformations induites dans la gestion des secteurs libéralisés soulèvent la question plus fondamentale de l’évolution de la nature et du rôle de l’État. Assiste-t-on, sous l’influence de la NGP, à un recentrage des fonctions de l’État ? Ces changements entraî-nent-ils le passage d’un État interventionniste, propriétaire et agissant par la contrainte et la hiérarchie, à un État incitateur, régulateur et correcteur des imperfections du marché ?

12S’inspirant des expériences de modernisation de la gestion publique menées dans plusieurs pays anglo-saxons à partir des années ’80 d’une part, et des leçons tirées de l’économie institutionnelle d’autre part, la NGP a construit une vision assez normative de la relation politicoadministrative débouchant sur une dépendance accrue des hauts fonctionnaires vis-à-vis des autorités politiques. Au plan des structures, elle vise à généraliser le modèle des agences exécutives, dissociant les tâches de conception, confiées aux ministères, de celles d’exécution attribuées à des entités à la fois plus autonomes mais aussi plus comptables de leur performance. Le contenu des missions assignées aux hauts fonctionnaires, la mise à disposition des moyens pour les réaliser et le suivi de la performance, y compris les sanctions éventuelles, font l’objet de “contrats de performance” entre le ministre responsable et le fonctionnaire dirigeant. Mais dans la pratique, le passage d’un système fondé sur l’autorité hiérarchique à un modèle de management contractualisé n’est pas garant ipso facto d’une plus grande cohérence ou complémentarité entre les deux types d’acteurs. Il risque au contraire d’augmenter les conflits en raison des attentes contradictoires entre ministres, hauts fonctionnaires et dirigeants d’agences. Ainsi, les politiques veulent responsabiliser davantage les managers tout en gardant une emprise sur les dossiers particulièrement sensibles au plan politique ; de leur côté, les directeurs d’agences privilégient la recherche de la performance de l’organisme qu’ils dirigent, au détriment des impacts recherchés par les politiques publiques.

13Dans sa contribution, Christian de Visscher admet que les tendances esquissées ci-dessus sont à l’origine de changements dans les structures administratives et les pratiques de gestion. Il souligne toutefois que l’évolution du rapport entre ministres et hauts fonctionnaires est avant tout tributaire de facteurs autres que la NGP, liés par exemple à la tradition et à la culture administratives, comme les pratiques de politisation dans la fonction publique ou l’estime portée aux fonctionnaires. En comparant quatre pays (France, Belgique, Royaume-Uni et Pays-Bas), il explore ainsi l’interaction entre ces variables explicatives et les préceptes de la NGP.

14Les contrats de prestations ne seront motivants pour les bureaucrates que si ces derniers se comportent comme des acteurs utilitaristes, réagissant correctement aux nouvelles incitations. Dans la foulée de la pensée économique néo-libérale, la NGP postule que les fonctionnaires sont des êtres aux comportements économiquement rationnels, remettant ainsi à l’honneur les fondements du Taylorisme. Pareille hypothèse a été largement décriée par tout le courant de la gestion des ressources humaines (GRH). Cette interprétation d’une rationalité instrumentale et parfaitement éclairée des bureaucrates est évidemment réductrice, car elle ignore les limites des capacités cognitives des individus à valoriser l’information et à gérer l’incertitude inhérente à la majorité des décisions collectives. En outre, elle sous-entend que les acteurs agissent uniquement en fonction de “l’appât du gain”, faisant fi de normes sociales et de valeurs morales, notamment altruistes et orientées vers le bien commun. Or, en se conformant à ces valeurs (de service public), les acteurs cherchent à se forger ou à réaffirmer une identité sociale. L’article de David Giauque et Daniel J. Caron nous rappelle que la vision calculatrice, orientée vers les seuls “outputs”, s’avère erronée et conduit à des échecs de la NGP. De facto, elle ignore les multiples tensions, portant sur les buts poursuivis, les modes de gestion ou la culture organisationnelle, qui traversent toute organisation et qui doivent absolument être prises en compte dans les stratégies de modernisation administrative.

15Les deux auteurs arrivent au constat que, dans les pays étudiés (Canada et Suisse), les réformes ont été mises en œuvre de façon très technocratique sans qu’une réflexion plus globale portant sur les impacts éventuels au plan humain n’ait été réalisée. La logique extrêmement comptable des réformes engagées de même que l’importance accordée aux contraintes externes (budgétaires et financières) dans la définition des stratégies de changement n’ont effectivement pas permis aux acteurs politiques d’appréhender l’importance du facteur humain dans la réussite de ces transformations. Ce n’est qu’une fois certains effets pervers constatés à la suite du lancement des réformes, lorsque des mouvements de contestation, des freins et des blocages ont vu le jour, que les outils et principes de GRH ont été sollicités. P. Gibert et J-C. Thoenig concluaient dans le même sens, il y a dix ans déjà, lorsqu’ils affirmaient que “la modernisation administrative vit de manière schizophrène. D’un côté, sous la pression de facteurs externes (limites budgétaires, harmonisation communautaire, etc.), des efforts parfois louables sont faits pour améliorer l’efficience. D’un autre côté, des essais souvent inventifs cherchent à remobiliser les personnels. Mais les deux n’avancent pas de concert, comme si le contrôle gestionnaire et l’animation humaine n’étaient pas interdépendants au sein de l’organisation” [8].

16L’article suivant, rédigé par Miekatrien Sterck, Bram Scheers et Geert Bouckaert, traite des défis posés aux systèmes budgétaires et financiers à la suite des exigences nouvelles de transparence sur les coûts et la qualité des prestations administratives, qui sont au centre des principes de la NGP. Axés à l’origine sur le contrôle de la régularité des dépenses, les systèmes budgétaires deviennent de plus en plus multifonctionnels alliant des finalités de planification, de gestion et de contrôle. Les informations ne portent plus seulement sur les objets de dépenses (“inputs”), mais également sur les prestations, les activités et les impacts. Parallèlement, la révision des méthodes d’imputation est également à l’ordre du jour. L’accent mis sur l’analyse des risques liés aux décisions budgétaires a amené plusieurs pays à intégrer la dimension patrimoniale et/ou analytique dans leurs systèmes comptables.

17Mais cette évolution vers une approche multidimensionnelle des systèmes budgétaires n’est pas sans soulever quelques contradictions, soulignent les auteurs. Comme les fonctions budgétaires peuvent entrer en concurrence, les réformes orientées vers les résultats semblent donner lieu à plusieurs tensions, par exemple entre les préoccupations du contrôle financier (instauration de“cash limits”) et la planification et la gestion des politiques, entre la responsabilité politique sur les impacts ou les réalisations et l’autonomie sur les moyens accordée aux gestionnaires. Il y a donc lieu de trouver un bon équilibre entre ces exigences et d’organiser la hiérarchisation des informations au risque sinon de voir certains acteurs, les parlementaires en particulier, noyés par une surabondance de données mises à leur disposition.

18Dans ce contexte se pose également la question de l’évaluation, abordée par Frédéric Varone et Steve Jacob. Si le recours à l’évaluation, en rendant visibles les effets des politiques, sert potentiellement à piloter et (re)légitimer l’action politique, comment se fait-il que son institutionnalisation soit peu répandue dans certains pays ? Rares sont en effet les systèmes politico-administratifs qui l’adoptent comme une pratique courante au service de la démocratie, comme un moyen pour améliorer la gestion des politiques publiques en dialogue avec les élus et les citoyens. La NGP, assez paradoxalement, ne semble pas prôner son utilisation systématique, mais préfère favoriser les simples mesures de performance des administrations par le biais d’indicateurs et de tableaux de bord, à l’image des pratiques en vigueur dans les entreprises privées.

19Les auteurs élargissent la perspective en examinant, pour dix-huit pays, les liens entre la maturité de la pratique évaluative et divers facteurs institutionnels, comme par exemple le niveau du déficit budgétaire ou l’indépendance des organismes chargés du contrôle externe, pour tenter d’expliquer le degré de son institutionnalisation. Plus que les différences au plan institutionnel, il semble que les acteurs, porteurs de projets issus des milieux académiques, des consultants et des fonctionnaires spécialisés, permettent d’expliquer la bonne diffusion des pratiques évaluatives. Nous avons relevé plus haut que la NGP est fortement empreinte de déterminisme managérial, qu’elle revendique l’application des mêmes principes ou méthodes indépendamment de l’hétérogénéité des problèmes ou du contexte institutionnel. Gérard Timsit nous livre, en conclusion de cette analyse critique de la NGP, une réflexion toute en nuances sur un paradoxe étrange : en dépit de la très grande diversité des secteurs publics européens au plan de la culture et des systèmes administratifs, et des stratégies mises en œuvre en vue de leur transformation, nous observons une grande uniformité dans les changements entrepris dans les pays concernés. Et l’auteur de s’interroger sur la rationalité de la gestion de tels changements, qui appellent à une véritable critique épistémologique de la réforme administrative, devant tant de constats d’échecs ainsi qu’un réel décalage entre les actions menées et les résultats attendus. Il trace ensuite les contours d’une administration reconfigurée, gage d’une légitimité retrouvée, fondée avant tout sur la pratique “endogénéisée” du dialogue avec la société civile.

20Christian de VISSCHER et Frédéric VARONE

Notes

  • [1]
    Pour une remarquable analyse historique des politiques de réformes de l’administration en France par exemple, voir BEZES Ph., Gouverner l’administration : une sociologie des politiques de la réforme administrative en France ( 1962-1997), thèse de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, 2002.
  • [2]
    OSBORNE D. and GAEBLER T., Reinventing Government : How the Entrepreneurial Spirit is Transforming the Public Sector, Reading (Mass.), Adison Wesley, 1993.
  • [3]
    Voir note 2 supra.
  • [4]
    GOUVERNEMENT FEDERAL, Fondements de la modernisation de l’Administration fédérale, Bruxelles, 28 avril 2000.
  • [5]
    Pour une présentation synthétique des ambitions de la NGP, voir HOOD C., “A Public Management for All Seasons ?”, Public Administration, 1991, n °69( 1), pp. 3-19; POLLITT C., “Management Techniques for the Public Sector : Pulpit and Practice”, in PETERS B.G. and SAVOIE D.J., (eds), Governance in a Changing Environment, Montreal / Kingston, McGill-Queens’s University Press, 1993, pp. 203-238; POLLITT C. and BOUCKAERT G., Public Management Reform. A Comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2000.
  • [6]
    MERRIEN F.X., “La Nouvelle Gestion Publique : un concept mythique”, Lien Social et Politiques – RIAC, 41, Printemps 1999, p. 102.
  • [7]
    HOOD C., The Art of the State : Culture, Rhetoric, and Public Management, Oxford, Oxford University, Press, 1998.
  • [8]
    GIBERT P. et THOENIG J.C., “La gestion publique : entre l’apprentissage et l’amnésie”, Revue Politiques et Management Public, vol. 11, n° 1,1993, p. 8.
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