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Article de revue

Les référendums en France sous la Ve république.

Les enseignements de la géographie électorale

Pages 111 à 127

Notes

  • [1]
    Cet article est une version remaniée, et enrichie du dernier référendum français (septembre 2000), d’une contribution préparée pour le Congrès de l’IPSA, Québec, 1-6 août 2000 (session n° 21 : “Referendum Voting, Direct Democracy and Political Behaviour” dirigée par Lawrence Leduc).
  • [2]
    FRANKLIN M., VAN DER EIJK C., MARSH M., “Referendum Outcomes and Trust in Government : Public Support for Europe in the Wake of Maastricht”, West European Politics, 18,1995 ; SCHNEIDER G., WEITSMAN P. A., “The Punishment Trap : Integration Referendums as Popularity Contests”, Comparative Political Studies, 28,1996; HUG S., SCIARINI P., “Referendums on European Integration. Do Institutions Matters in the Voter’s Decision ?”, Comparative Political Studies, 33( 1), 2000.
  • [3]
    SVENSSON P., “Five Danish Referendums on the European Community and Union. A Critical Assessment of the Franklin’s Thesis”, paper presented for the IPSA world congress, Québec, 1-5 August 2000.
  • [4]
    L’affirmation implicite de ce type d’étude, qui a parfois été critiquée (NILSON S.S., “Elections, Referendums and Public Goods “, Scandinavian Political Studies, 4 ( 1), 1981), étant donné qu’un vote conforme aux consignes officielles du parti auquel se rattache l’électeur est un vote “sous influence”. A contrario, un vote se démarquant des consignes partisanes exprimerait un choix personnel, et non une simple appartenance.
  • [5]
    LEDUC L., “Referendums and Elections : Do Voters Behave Differently ? When and How ?”, contribution présentée au Congrès IPSA, 1-6 août 2000, session n° 21 : “Referendum Voting, Direct Democraty and Political Behaviour”.
  • [6]
    PIERCE R., VALEN H., LISTHAUG O., “Referendum Voting Behaviour : the Norwegian and British Referenda on Membership in the European Community”, American Journal of Political Science, 27, 1983; LISTHAUG O., HOLMBERG S., SANKIAHO R., “Partisanship and EU choice” in JENSSENS A.T.& al., (eds), 1998; LISTHAUG O., HOLMBERG S., SANKIAHO R., Partisanship and EU choice” in JENSSENS A. T.& al., (eds), op. cit., 1998; BJORKLUND T., “The Three Nordic 1994 Referenda concerning Membership in the EU”, Cooperation and conflict, 31,1996.
  • [7]
    SVENSSON P., “Class, Party and Ideology : a Danish Case Study of Electoral Behaviour in Referendums”, Scandinavian Political Studies, 7( 3), 1984; NILSON S.S., BJORKLUND T., “Ideal types of Referendum Behaviour”, Scandinavian Political Studies, 9( 3), 1986; TONSGAARD O., “A Theoretical Model of Referendum Behaviour”, in GUNDELACH P. and SIUNE K., (eds), From Voters to Participants. Essays in Honor of Ole Borre, Arhus, Politica, 1992.
  • [8]
    CRONIN T.E., Direct Democracy. The Politics of Initiative, Referendum and Recall, Cambridge & London, Harvard University Press, 1989 ; KRIESI H., (dir.), Citoyenneté et démocratie directe. Compétence, participation et décision des citoyens et citoyennes suisses, Zurich, Seismo, 1993.
  • [9]
    SARTORI G., The Theory of Democracy Revisited, Chatham, Chatham House, 1987.
  • [10]
    SIEGFRIED A., Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIème République, Imprimerie nationale, 1995 ( 1re édition 1913).
  • [11]
    Les traitements longitudinaux effectués, et notamment les analyses en composante principale, ne prennent toutefois en compte que ceux des quatre-vingt six départements dont la composition géographique n’a pas varié depuis 1958. Le département de la Seine a été redécoupé en 1967. La Corse a été divisée en deux départements en 1975.
  • [12]
    GOGUELF., Chroniques électorales. Tome 2 : La Ve République du général de Gaulle, Paris, PFNSP, 1983; DOLEZ B., LAURENT A., “1965-1995. Trente ans d’élections présidentielles françaises : Les dynamiques territoriales”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 3,1996
  • [13]
    LANCELOT A., “Les élections des 23 et 30 juin 1968”, Projet, n° 28,1968.
  • [14]
    DOLEZ B., LAURENT A., “La nationalisation des comportements électoraux, dans PERRINEAU P. et REYNIÉ D., (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, Presses universitaires de France, 2001; DOLEZ B., LAURENT A., “La victoire sans reliefs du ‘Oui’”, Revue française de Science Politique, vol. 51,2001.
  • [15]
    GOGUELF., Chroniques électorales. Tome 2 : La Ve République du général de Gaulle, Paris, PFNSP, 1983.
  • [16]
    JOYE D., Structures politiques et structures sociales, thèse pour le doctorat de Science Politique, Grenoble, 1987.
  • [17]
    MOREL L., “Il referendum nell’esperienza politica e costituzionale francese”, Quaderni dell’osservatorio elettorale, 32,1994; MOREL L., “France : Towards a Less Controversial Use of the Referendum ?” in GALLAGHER M. and ULERI P., (eds.), The Referendum Experience in Europe, Basingstoke & London, Macmillan, 1996.
  • [18]
    CARCASSONNE G., “La primauté de l’élection présidentielle” dans WAHL N. et QUERMONNE J.-L., (dir.), La France présidentielle. L’influence du suffrage universel sur la vie politique, Paris, FNSP, 1995.
  • [19]
    LAURENT A., Espace et comportement électoral, Thèse de Science politique, Grenoble, 1983.
  • [20]
    PARODI J.-L., “Effets et non-effets de l’élections présidentielle”, Pouvoirs, n° 14,1980.
  • [21]
    Sauf en 1969, l’affrontement gauche/droite a toujours structuré le second tour de l’élection présidentielle. Plutôt que d’exclure le scrutin de 1969, nous avons choisi d’utiliser les données relatives au vote Pompidou, pour des raisons évidentes liées à l’objet de l’étude.
  • [22]
    MARTIN P., “Comprendre les évolutions électorales. La théorie des réalignements revisitée”, Paris, Presses de Sciences Po., 2000 ; DOLEZ B., LAURENT A., op. cit., 1996.
  • [23]
    MARTIN P., op. cit., 2000.
  • [24]
    MARTIN P., op. cit., 2000.

1Alors que les élections ont pour objet la désignation de représentants qui exercent des fonctions de policy-makers, les référendums invitent la population à trancher directement des questions politiques. En ce sens, ils paraissent poser avec une acuité majeure le problème de la maîtrise de leur vote par les citoyens. Dans cette perspective, les analyses traditionnelles du vote référendaire peuvent dans une large mesure être résumées à trois questions. La première concerne l’objet du vote : les votants s’expriment-ils effectivement sur la question posée, ou l’enjeu du vote est-il déplacé (notamment sur des questions de personnes)? Cet axe de recherche, très développé en France, a récemment fait l’objet d’études comparatives consacrées aux référendums sur l’Europe tenus dans différents pays [2] ou à l’intérieur d’un même pays [3]. La seconde question pose le problème de l’électeur rationnel : il s’agit de savoir si le vote exprime une opinion personnelle, élaborée de manière autonome par celui qui l’émet. Parmi les nombreuses méthodes utilisées pour évaluer ce point, la plus courante est la mesure de la coïncidence entre le vote des différents électorats et les consignes de leurs partis respectifs [4]. L’attachement à un parti s’avère en effet constituer un puissant déterminant du vote référendaire comme du comportement électoral [5]. L’importance du vote dit “partisan” fait systématiquement l’objet de sondages publiés au lendemain des référendums, et constitue une orientation de recherche majeure des travaux qui leur sont ensuite consacrés. En revanche, les approches comparatives portant sur plusieurs référendums sont beaucoup plus rares et ont le plus souvent concerné les référendums sur la construction européenne tenus dans les pays d’Europe du Nord [6]. De même, les tentatives pour élaborer un modèle explicatif de ce vote sont limitées à quelques études menées par des auteurs scandinaves [7]. Enfin, la troisième question est celle de la compétence des votants sur les thèmes qui leur sont soumis. Sur ce point, les études les plus nombreuses ont été menées par des auteurs suisses ou américains [8]. Une critique classique contre le recours au référendum, personnifiée à l’époque contemporaine par Sartori, consiste à affirmer que la plupart des individus n’auraient pas la compétence requise pour se passer du filtre de la représentation, et ce malgré l’élévation du niveau d’instruction, rendue vaine par l’augmentation parallèle de la complexité des problèmes auxquels doit se mesurer l’action publique [9]). Dans une large mesure, le déficit de compétence serait à l’origine de la vulnérabilité particulière des référendums aux deux phénomènes à peine évoqués, à savoir les glissements d’enjeu et l’absence d’autonomie à l’égard des consignes partisanes. Ces questions sont généralement traitées à partir de travaux reposant sur des données individuelles obtenues par sondages.

2L’étude ici réalisée, qui concerne les neuf référendums tenus en France depuis 1958 (cf. tableau 1), propose un autre type d’approche, celle de la géographie électorale, fondée non pas sur les données individuelles mais sur les données agrégées, dans la tradition du modèle établi par André Siegfried dès 1913 [10]. Les données utilisées sont les résultats, par département, des consultations référendaires et des élections présidentielles (deuxième tour), en France métropolitaine [11]. Plusieurs raisons expliquent le choix de cette approche. La première, d’ordre méthodologique, tient aux données disponibles sur le long terme. Dans une perspective diachronique, l’utilisation des données de sondages est délicate dans la mesure où celles-ci n’existent pas pour tous les référendums et surtout sont rarement homogènes, ce qui rend la comparaison difficile. Ainsi, s’agissant de l’influence des consignes de partis, on dispose surtout de sondages mettant en relation la préférence partisane avec le vote au référendum, selon des critères qui varient d’un référendum à l’autre. En ce qui concerne l’objet du vote, des sondages sur les motivations de vote sont classiquement utilisés, mais ils n’ont pas été réalisés systématiquement pour tous les référendums et obéissent à des formulations et des règles de construction très diverses. Au total, ce type de données s’avère très disparate. Par opposition, les données agrégées permettent la constitution de données homogènes, techniquement comparables. L’approche géographique autorise donc l’approche longitudinale ici recherchée.

Tableau 1

Les référendums en France depuis 1958 (France entière)

Tableau 1
Tableau 1 : Les référendums en France depuis 1958 (France entière) Question Date Fondement Champ Abs. Oui d’application % Ins % Exp Constitution de 28 sep 1958 Loi du 3 juin Constit. 19.4 82.6 la Ve République 1958 Autodétermination et 8 Jan. 1961 Article 11 Législatif 26.2 75.0 organisation des Pouvoirs pouvoirs publics publics en Algérie Indépendance de l’Algérie et pouvoirs 8 Avr. 1962 Article 11 Législatif 24.7 90.8 législatifs Pouvoirs extraordinaires publics (Accords d’Évian) Élection au suffrage 28 Oct. 1962 Article 11 Constit. 23.0 62.3 universel direct du Pouvoirs Président de la publics République Réforme du Sénat et 27 Avr. 1969 Article 11 Constit. 19.9 47.6 création des régions Pouvoirs publics Élargissement du 23 Avr. 1972 Article 11 Législatif 39.8 68.3 Marché Commun Traités Auto-détermination 6 Nov. 1988 Article 11 Législatif 63.1 80.0 de la Nouvelle- Pouvoirs Calédonie (Accords publics de Matignon) Traité de Maastricht 20 Sep. 1992 Article 11 Législatif 30.2 51.0 Traités Réduction du mandat présidentiel à cinq ans 24 Sept. 2000 Article 89 Constit. 69.8 73.0

Les référendums en France depuis 1958 (France entière)

3 La seconde raison de ce choix est de nature scientifique. Les travaux précurseurs d’André Siegfried mais aussi ceux qui depuis s’inscrivent dans cette lignée, désormais traditionnelle, témoignent de deux caractéristiques. D’une part, les comportements électoraux sont, en France, territorialisés12, même si la tendance est à une homogénéisation sous l’effet “nationalisant” de l’élection présidentielle [13]. D’autre part, la structure géographique des votes tend à être voisine entre consultations de nature différente, et ce d’autant plus qu’elles sont rapprochées dans le temps, bien qu’existent également des spécificités liées à chaque type de consultation. Ainsi, au regard de la géographie électorale, chaque consultation s’inscrit dans une chaîne, mais garde une part d’autonomie liée au mode de scrutin, aux enjeux spécifiques de l’élection, au déroulement de la campagne électorale ou encore, au contexte politique du moment. Alors que l’approche géographique a été à plusieurs reprises utilisée pour analyser les résultats des élections présidentielles, législatives mais aussi parfois régionales et cantonales [14], en revanche, les référendums n’ont pas souvent donné lieu à ce type d’approche. Or, l’étude de la structure géographique du vote aux différents référendums (I) et sa comparaison avec celle du vote à d’autres consultations (II), outre l’intérêt qu’elles représentent en elles-mêmes, permettent de revisiter utilement certaines questions classiques dans l’analyse du vote référendaire, notamment celle de l’objet sur lequel se prononcent les votants. La structure géographique des votes “Oui”, calculés dans cette étude aux exprimés, est-elle stable d’un référendum à l’autre (ici de 1958 à 2000), quelle que soit la question posée ? Se rapproche-t-elle de celle que l’on observe à d’autres scrutins ? Une réponse positive permettrait de relativiser l’influence de la question explicitement posée, suggérant plutôt un enjeu unique, récurrent à chaque référendum.

Un vote sur enjeu ?

4Neuf questions différentes, des contextes politiques variables, des référendums engageant inégalement l’exercice du pouvoir présidentiel : on constate pourtant un lien étroit entre ces neuf consultations, comme le montre la matrice des corrélations des “Oui”, aux différents référendums (tableau 2). En effet, ces votes, recueillis à l’échelle départementale et calculés aux exprimés, sont positivement liés entre eux, même si l’intensité de la corrélation varie selon les scrutins. La corrélation entre les référendums gaullistes apparaît d’emblée très importante, tandis que les référendums de novembre 1988 et septembre 2000 et, dans une moindre mesure celui de septembre 1992, sont moins corrélés avec les autres consultations.

Tableau 2

Matrice des corrélations entre les variables :

Tableau 2
Tableau 2 : Matrice des corrélations entre les variables : le “Oui” aux référendums de la Ve République (calculs aux exprimés) Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui 58 61 62-1 62-2 69 72 88 92 00 Oui 58 1.0 Oui 61 0.9 1.0 Oui 62-1 0.4 0.6 1.0 Oui 62-2 0.9 0.9 0.7 1.0 Oui 69 0.8 0.8 0.7 0.9 1.0 Oui 72 0.9 0.8 0.5 0.8 0.8 1.0 Oui 88 0.0 0.1 0.4 0.1 0.1 0.2 1.0 Oui 92 0.6 0.5 0.5 0.6 0.6 0.7 0.4 1.0 Oui 00 0.1 0.1 0.3 0.1 0.2 0.2 0.5 0.6 1.0

Matrice des corrélations entre les variables :

5L’analyse en composante principale (ACP) complète cette première approche. Le premier axe représente 59.7% de l’inertie des données dans l’espace tout entier, auquel s’ajoute les 19.4% de l’axe 2. Au total, les deux premiers axes de l’ACP rendent compte de 79.1% de l’inertie totale.

Graphique 1

ACP du “Oui” aux référendums ( 86 départements)

Graphique 1
Graphique 1 : ACP du “Oui” aux référendums ( 86 départements) Mapping des axes 1 et 2 4 2000 88 3 2 92 1 62-1 69 72 - 1 62-2 61 58 - 2 - 3 - 4 - 6 - 5 - 4 - 3 - 2 - 1 1 2 3 4 5 6

ACP du “Oui” aux référendums ( 86 départements)

Tableau 3

Le “Oui” aux référendums de la Ve République

Tableau 3
Tableau 3 : Le “Oui” aux référendums de la Ve République ( 86 départements): Coordonnées des variables pour chacun des deux premiers facteurs Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui 58 61 62-1 62-2 69 72 88 92 00 Axe 1 0.9 0.9 0.7 0.9 0.9 0.9 0.3 0.8 0.3 Axe 2-0.3-0.3 0.2-0.2-0.1-0.1 0.8 0.4 0.8

Le “Oui” aux référendums de la Ve République

6Le premier axe révèle que, dans certains départements, le vote “Oui” est massif lors de la plupart des référendums, mais que dans d’autres, au contraire, il se situe à un niveau beaucoup plus faible.

7Le plan factoriel suggère cependant que tous les référendums ne sont pas liés avec la même intensité, ce que la matrice des corrélations nous indiquait déjà. En fait, il permet de mettre l’accent sur la proximité des référendums gaullistes et post-gaullistes, soit septembre 1958, janvier 1961, octobre 1962, avril 1969 et avril 1972 (les coefficients de corrélation oscillent entre 0.7 et 0.9). Lors de ces cinq consultations, la structure géographique du vote “Oui” est quasiment identique. Et, si la “réponse” électorale est similaire lors de ces cinq consultations, on est tenté d’en déduire que la “question” posée était perçue comme identique ou, en d’autres termes, que ces cinq référendums avaient le même enjeu.

8Pourtant, le référendum de 1972 se déroule dans une nouvelle ère politique, celle du changement de Président de la République, puisque Georges Pompidou a succédé à Charles de Gaulle. Alors que le PS prône l’abstention (“Oui à l’élargissement”, mais “Non” à Pompidou), le PCF appelle à voter “Non” tandis que les centristes penchent en faveur du “Oui”. Néanmoins, la structure géographique du “Oui” au référendum d’avril 1972 apparaît très proche de celle du “Oui” aux référendums gaullistes, exception faite de celui d’avril 1962 (coefficient de corrélation de 0.8 ou 0.9 avec les référendums de septembre 1958, janvier 1961, octobre 1962 et avril 1969). Ni le remplacement du général de Gaulle par Georges Pompidou, ni l’enjeu explicite (l’élargissement de la Communauté économique européenne) ni, surtout, le faible investissement du Président de la République dans la campagne référendaire (Georges Pompidou n’avait pas lié son sort au succès du référendum, contrairement au général de Gaulle) ne contribuent à modifier la structure territoriale du vote “Oui”, qui reste proche de celle des référendums gaullistes. La France de l’Ouest et la France de l’Est demeurent les bastions du “Oui”, celui dépassant notamment la barre symbolique des 80% des suffrages exprimés dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin en tête, mais aussi en Lozère, dans le Maine-et-Loire, la Mayenne et la Vendée. En revanche, le niveau du “Oui” est particulièrement faible dans les départements traditionnellement peu enthousiastes lors des référendums gaullistes. Dans les Bouches-du-Rhône ou la Haute-Vienne, le “Oui” n’atteint pas 60 % des suffrages exprimés. Le seul département où le “Non” l’emporte est la Seine-Saint-Denis, bastion du Parti Communiste, qui avait été aussi, en 1969, le département où le niveau du “Oui” avait été le plus faible.

9Sous l’angle chronologique, le référendum d’avril 1962 fait un peu figure d’exception. La structure territoriale de vote “Oui” est certes corrélée à celle des votes référendaires de la période 1958-1972, mais l’intensité de la corrélation est moindre (coefficient de corrélation compris entre 0.4 et 0.7). On observe notamment que la corrélation avec le vote “Oui” au référendum de janvier 1961 sur l’autodétermination de l’Algérie n’est “que” de 0.6, alors que l’enjeu apparent des deux scrutins était très proche (l’avenir de l’Algérie). Tout se passe comme si la carte du “Oui” aux référendums gaullistes était identique, quelle que soit la question posée, sauf en avril 1962. Mais il faut noter le niveau très élevé du vote “Oui” lors de cette consultation (plus de 90 % des suffrages exprimés en France métropolitaine) et, surtout, la faiblesse de l’écart-type ( 2.45, soit le plus petit écart-type enregistré lors des neuf référendums de la Ve République). Le niveau du “Oui” est partout compris entre 85% et 96% des suffrages exprimés. En d’autres termes, la carte du vote “Oui” est, en avril 1962, exceptionnellement peu contrastée. Il faut rappeler que le Parti Communiste avait, cette fois, appelé à voter “Oui” (“Oui à la paix”, c’était dire “Non à de Gaulle”), et que seuls les partisans de l’Algérie française (Georges Bidault, Jacques Soustelle, Pierre Poujade… ) appelaient à voter “Non”. La carte électorale de 1962, est caractérisée par le fait que des départements traditionnellement peu enclins à voter “Oui” aux référendums gaullistes ont, cette fois, voté massivement en faveur de la ratification des accords d’Évian. Ainsi, en Haute-Vienne, on ne comptait “que” 61.6 % de “Oui” en janvier 1961, contre 75% en moyenne en France métropolitaine (tableau 4). Dans cette terre d’élection du communisme, le niveau du vote “Oui” aux référendums gaullistes est régulièrement inférieur à sa moyenne nationale : le “Oui” ne recueille que 66.9 % en 1958 (contre 79.3% en France métropolitaine) et 50.9% en octobre 1962 (contre 61.8%). Mais en avril 1962, le “Oui” obtient près de 91% en Haute-Vienne, soit sa moyenne nationale. Aucune force politique structurée n’appelant à voter “Non”, les contrastes territoriaux disparaissent. Le vote “Oui” est un vote étale. Selon le général de Gaulle lui-même, il s’agit alors un “vote mou” [15], ce qui l’incitera d’ailleurs à organiser un nouveau référendum quelques mois plus tard.

Tableau 4

Le vote “Oui” en Haute-Vienne lors des référendums

Tableau 4
Tableau 4 : Le vote “Oui” en Haute-Vienne lors des référendums sous la Ve République (en% des exprimés) Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui 58 61 62-1 62-2 69 72 88 92 00 Haute-Vienne ( 87) 66.9 61.6 90.9 50.9 41.2 57.6 85.7 48.5 76.0 France métropolitaine 79.3 75.3 90.7 61.8 46.8 67.7 80.0 50.8 73.0

Le vote “Oui” en Haute-Vienne lors des référendums

10Les “Oui” à la ratification des accords d’Évian d’avril 1962 peuvent être rapprochés des “Oui” à la Nouvelle-Calédonie de novembre 1988, des “Oui” à Maastricht de septembre 1992 et des “Oui” au quinquennat de septembre 2000. Si l’intensité des liens est cependant plus faible, ces quatre référendums sont tous positivement corrélés avec l’axe 1 (respectivement 0.7,0.3, 0.8, et 0.3). L’axe 1 apparaît, plus généralement, comme l’axe du “Oui”. Les départements des Deux-Sèvres et de la Somme illustrent ce phénomène (tableau 5). Dans les Deux-Sèvres, le “Oui” est systématiquement supérieur à la moyenne nationale. Dans la Somme, au contraire, il y est systématiquement inférieur.

Tableau 5

Le vote “Oui” dans les Deux-Sèvres et dans la Somme lors des

Tableau 5
Tableau 5 : Le vote “Oui” dans les Deux-Sèvres et dans la Somme lors des référendums sous la Ve République (en % des exprimés) Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui 58 61 62-1 62-2 69 72 88 92 00 Deux-Sèvres ( 79) 87.8 84.3 91.4 67.3 52.7 78.8 84.5 53.1 77.6 Somme ( 80) 73.3 70.3 90.5 61.2 45.5 57.8 77.4 41.0 68.0 France métropolitaine 79.3 75.3 90.7 61.8 46.8 67.7 80.0 50.8 73.0

Le vote “Oui” dans les Deux-Sèvres et dans la Somme lors des

11Ce résultat est a priori surprenant, puisque les neuf référendums de la Ve République renvoient à des questions explicites différentes, posées par quatre Présidents de la République différents, s’engageant à des degrés variables dans la campagne électorale. Tout se passe comme si, quel que soit l’enjeu, certains départements avaient une propension à voter “Oui”, et d’autres à voter “Non”, à l’exemple des cantons suisses [16]. L’effet-taille des statisticiens mettrait alors en évidence des départements “légitimistes” s’opposant à des départements “indociles”.

12Mais il ne faudrait pas perdre de vue que le “Oui” au référendum de 1988 relatif à la Nouvelle-Calédonie obéit à une structure géographique radicalement différente de celle du “Oui” aux référendums de la séquence 1958-1972. En d’autres termes, que le niveau du “Oui” en 1988 n’est guère lié au niveau du “Oui” lors des référendums gaullistes ou post-gaullistes (coefficients de corrélation compris entre 0.0 et 0.2, excepté pour celui au référendum d’avril 1962). Le “Oui” à la Nouvelle-Calédonie est, en revanche, légèrement corrélé avec le “Oui” à Maastricht de septembre 1992 (coefficient de corrélation respectivement de 0.4). Mais cette faible corrélation renvoie à deux structures territoriales distinctes, et suffisamment éloignées, pour éviter de parler de référendums “mitterrandiens”, comme l’on parle des référendums “gaullistes et post-gaullistes”. Faute probablement pour François Mitterrand d’avoir engagé sa responsabilité lors la consultation, les référendums de 1988 et de 1992 ne relevaient pas d’un même enjeu.

13Pourtant, la “question” explicitement posée au corps électoral ne peut être complètement évacuée. En avril 1962 et en 1988, la parenté des questions est réelle. Le référendum porte, en 1962, sur l’avenir de l’Algérie et, en 1988, sur celui de la Nouvelle-Calédonie. La corrélation entre les votes à ces deux scrutins atteint 0.4 (alors que le vote de 1988 n’est guère lié aux autres référendums gaullistes). Dans les deux cas, le niveau moyen du vote “Oui” est élevé, et varie peu d’un lieu à l’autre (écart-type respectif 2.45 et 3.46). Il s’agit, là encore, de votes “mous”, peu structurés territorialement. De la même façon, les réponses aux questions européennes sont liées. Ainsi, c’est avec le “Oui” d’avril 1972 (élargissement de la CEE) que le “Oui” à Maastricht de 1992 est le plus nettement corrélé (coefficient de corrélation de 0.7). La “question” posée au corps électoral n’est donc pas totalement sans effet sur la distribution géographique des votes.

14Le second axe de l’ACP permet de compléter l’analyse, même s’il faut rappeler qu’il ne représente que 19.4 % de la variance expliquée (contre 59.7 % pour le premier axe). L’axe 2 oppose quatre scrutins aux autres : ceux de 1962 sur les accords d’Évian, de 1988 sur la Nouvelle-Calédonie, de 1992 sur Maastricht et de 2000 sur le quinquennat. Il est pour l’essentiel défini par les référendums de 1988 et de 2000 (coefficients de corrélation positifs avec l’axe 2 : 0.8 pour 1988,0.8 pour 2000,0.4 pour 1992 et 0.2 pour 1962-1). Pour mieux caractériser l’axe 2, nous avons projeté en variable illustrative dans une nouvelle ACP, les résultats du vote “Le Pen” au premier tour de l’élection présidentielle de 1995. La position de cette variable “Le Pen” s’oppose, sur cet axe 2, au référendum de novembre 1988. On note d’ailleurs une corrélation négative forte entre les deux variables (– 0.7). L’axe 2 de cette ACP est structuré autour de l’opposition entre les départements qui ont voté “Oui” au nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi à l’élargissement du Marché commun ou au traité de Maastricht, et ceux où l’extrême-droite est, en 1995, particulièrement bien implantée. Il met sans doute en évidence l’opposition entre des territoires ouverts sur le monde, et d’autres, tentés par un repli identitaire.

Un vote présidentiel ?

15L’analyse de la structure territoriale du vote “Oui” lors des neuf référendums qui se sont déroulés en France depuis 1958 montre qu’il existe une très grande proximité entre les référendums gaullistes ou post-gaullistes : quelle que soit la question explicitement posée au corps électoral, la structure territoriale du vote “oui” est voisine. Ce résultat fait immédiatement penser, on l’a dit, à un déplacement de l’enjeu apparent du référendum vers un enjeu unique. S’agit-il de la confiance ou de la défiance à l’égard du Président de la République, comme le suggèrent les sondages ? Il y a lieu ici de vérifier la thèse de la “présidentialisation” des référendums de la Ve République, notamment des référendums gaullistes, basés sur les motivations de vote, mais aussi sur la forte influence des consignes de vote du Chef de l’État à ces référendums [17]. Ce phénomène dériverait du caractère présidentiel de l’initiative référendaire, et plus généralement de la présidentialisation de la politique française, au sens où le Président de la République est le personnage politique principal et son élection l’événement majeur autour duquel gravite toute la vie publique [18]. Il est ainsi utile de comparer la structure territoriale du vote référendaire à celle du vote au deuxième tour des présidentielles. La comparaison avec l’élection présidentielle est en outre facilitée par l’existence de similarités structurelles entre cette élection et les référendums. Sous l’angle de l’organisation du scrutin, les référendums et les présidentielles ont, en effet, en commun “l’espace d’agrégation”, que l’on peut définir comme le niveau auquel les votes sont agrégés, permettant de passer des choix individuels au choix collectif (Laurent A. [19]. C’est en fait l’espace du verdict électoral. Dans ces deux types de consultation, l’espace d’agrégation est le territoire national, qui n’est pas découpé en de multiples espaces, comme aux élections législatives. De ce fait, la question posée à chaque scrutin est identique sur l’ensemble du territoire, et contribue à rendre le vote plus homogène [20]. En comparant des consultations organisées sur le même mode, on neutralise ainsi des effets locaux qui, souvent, pèsent sur le résultat de l’élection. Le mode de scrutin justifie également le rapprochement de ces deux types d’élection. Le second tour de l’élection présidentielle est organisé au scrutin majoritaire, où seuls les deux candidats les mieux placés restent en lice, si l’élection n’a pas eu lieu au premier tour, ce qui fut toujours le cas en France sous la Ve République. Au second tour, deux candidats s’affrontent, comme le “Oui” et le “Non” le font lors d’un référendum. Dès lors, une question mérite examen : derrière le “Oui” et le “Non”, est-ce, comme lors du second tour de l’élection présidentielle, la gauche et la droite qui s’affrontent [21] ?

16Pour tenter de répondre à cette question, nous avons réalisé une nouvelle ACP prenant en compte 15 variables actives : le vote “Oui” aux neuf référendums de la Ve République et le vote de droite lors du second tour des six élections présidentielles qui se sont déroulées depuis 1965.

Graphique 2

ACP du “Oui” aux référendums et du vote de droite au

Graphique 2
Graphique 2 : ACP du “Oui” aux référendums et du vote de droite au second tour des électionsprésidentielles ( 86 départements) Mapping des axes 1 et 2 6 5 Oui 88 4 3 Oui 2000 Oui 92 2 Oui 62-1 1 Oui 61 Oui 69 Oui 62-2Pompidou 69-2 Oui 58 Oui 72CdG-65-2 - 1 VGE 74-2 - 2 VGE 81-2 Le Pen 95 - 3 JC 95-2 JC 88-2 - 4 - 5 - 6 - 7- 8 - 6 - 5 - 4 - 3 - 2 - 1 1 2 3 4 5 76 8

ACP du “Oui” aux référendums et du vote de droite au

17Le premier axe de l’analyse en composante principale (ACP) rend compte de 60.5 % de l’inertie du nuage de points. Ce pourcentage est très important compte tenu du nombre élevé de variables prises en compte. Le second axe factoriel apporte encore 15.6 % de l’information. Le cumul de ces deux axes représente donc 76.1 % de l’inertie totale.

18Comme précédemment, toutes les variables (“Oui” aux référendums et vote de “droite” aux présidentielles) sont corrélées positivement avec le premier axe du plan factoriel (tableau 6). À l’exception du “Oui” de novembre 1988 et du “Oui” de septembre 2000, le coefficient de corrélation n’est jamais inférieur à 0.6.

Tableau 6

Le vote “Oui aux référendums et le vote de droite

Tableau 6
Tableau 6 : Le vote “Oui aux référendums et le vote de droite au second tour des élections présidentielles de la Ve République. Coordonnées des variables pour chacun des deux premiers facteurs Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui CdG CP VGEVGE JC JC 58 61 62-1 62-2 69 72 88 92 00 65-2 692 74-2 81-2 88-2 95-2 Axe 1 0.9 0.8 0.7 0.9 0.9 0.9 0.1 0.7 0.1 0.9 0.8 1.0 0.9 0.6 0.6 Axe 2 0.1 0.1 0.4 0.1 0.1 0.0 0.8 0.5 0.7 0.0 0.1-0.2-0.3-0.6-0.7

Le vote “Oui aux référendums et le vote de droite

19L’axe 1 met, une nouvelle fois, en évidence un certain “effet taille”, que les exemples des Pyrénées-Orientales et du Bas-Rhin permettent d’illustrer. Quel que soit le scrutin, le “Oui” ou le vote de droite est toujours plus important dans le Bas-Rhin que dans les Pyrénées-Orientales (tableau 7).

Tableau 7

Le vote “Oui” aux référendums et le vote de droite

Tableau 7
Tableau 7 : Le vote “Oui” aux référendums et le vote de droite au second tour des élections présidentielles sous la Ve République dans les Pyrénées-Orientales et le Bas-Rhin Dép. Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui CdG CP VGEVGE JC JC 58 61 62-1 62-2 69 72 88 92 00 65-2 692 74-2 81-2 88-2 95-2 66 72.0 65.3 91.4 50.4 38.6 57.8 75.6 45.2 73.2 42.4 52.5 43.3 43.6 47.3 51.7 67 92.6 91.3 95.8 88.2 68.2 84.5 78.4 68.5 75.6 79.8 65.9 67.0 65.1 51.6 58.8 Dépt 66 : Pyrénées-Orientales ; Dépt 67 : Bas-Rhin

Le vote “Oui” aux référendums et le vote de droite

20En examinant les données plus attentivement, on s’aperçoit que le vote “Oui” aux référendums gaullistes ou post-gaullistes est toujours fortement corrélé avec l’axe 1 (corrélation de 0.7 à 0.9), de même que le vote de droite au second tour des quatre premières élections présidentielles de la Ve République ( 0.8 à 1.0). La corrélation est ainsi quasi parfaite entre l’axe 1 et le vote “Giscard d’Estaing”, lors du second tour de la présidentielle de 1974. L’axe 1 traduit l’axe gauche-droite, tel qu’il structurait territorialement les comportements électoraux au milieu des années 1970. En revanche, la corrélation entre l’axe 1 et le vote Chirac en 1988 ou en 1995 est plus faible ( 0.6), probablement parce que la structure territoriale du vote “de droite” a évolué au début des années 1980, avec l’émergence du Front National [22].

21Ainsi, exception faite du “vote mou” d’avril 1962, tous les votes “Oui” aux référendums de la séquence 1958-1972 sont très fortement corrélés au vote “de Gaulle” lors du second tour de la présidentielle de 1965. La corrélation entre le “Oui” au référendum d’octobre 1962 et le vote “de Gaulle” de 1965 est même proche de 1.0 ! La France du “Oui”, en octobre 1962, c’est la France gaulliste, comme le montre le tableau ci-après. Ainsi, dans le quart des départements où le “Oui” obtient ses meilleurs scores (et où son score moyen atteint 76.3% des suffrages exprimés), le score moyen du général de Gaulle sera, trois ans plus tard, de 66.7 % (tableau 8). En revanche, dans le quart des départements où le “Oui” obtient ses scores les plus faibles (score moyen de 48.0 %), le score moyen du général de Gaulle ne sera que de 42.4 %. D’un point de vue territorial, le référendum d’octobre 1962 préfigure la présidentielle de 1965. En cristallisant l’enjeu autour de la personnalité du général de Gaulle, le référendum annonce la présidentielle et contribue à remodeler, et le paysage politique français, et la géographie des votes.

Tableau 8

Le vote de Gaulle au second tour de la présidentielle de 1965

Tableau 8
Tableau 8 : Le vote de Gaulle au second tour de la présidentielle de 1965 selon le niveau du “Oui” au référendum d’octobre 1962 (par départements, France métropolitaine, en% des suffrages exprimés) % de “Oui” Vote de Gaulle (second tour (en octobre 1962) 1965 – % exprimés) Premier quartile Oui = 76.3% 66.7% Deuxième quartile Oui = 64.7% 56.0% Troisième quartile Oui = 59.0% 51.7% Quatrième quartile Oui = 48.0% 42.4%

Le vote de Gaulle au second tour de la présidentielle de 1965

22De manière plus générale, on note une forte corrélation entre les référendums gaullistes ou post-gaullistes et le second tour de l’élection présidentielle la plus proche (tableau 9). Ainsi, le “Oui” au référendum d’avril 1969 est bien corrélé avec le vote Pompidou deux mois plus tard ( 0.8). De même, le “Oui” au référendum d’avril 1972 est fortement corrélé avec le vote Giscard d’Estaing du printemps 1974 ( 0.9).

23On peut donc en conclure que la structure territoriale du vote “Oui” lors des six premiers référendums de la Ve République est identique à la structure territoriale d’un vote de droite lors du second tour d’une élection présidentielle. Durant la séquence 1958-1974, les référendums s’inscrivent à l’évidence à l’intérieur d’un clivage gauche-droite qu’ils contribuent aussi à modeler, ou à remodeler [23].

24En revanche, la structure territoriale du vote “Oui” en novembre 1988, en septembre 1992 et septembre 2000 ne renvoie pas directement à la géographie d’un vote présidentiel (tableau 9). Le vote “Oui” en novembre 1988 n’est que faiblement corrélé avec le vote Chirac du printemps précédent, alors pourtant que les événements d’Ouvéa avaient marqué la campagne du second tour de l’élection présidentielle (corrélation négative de – 0.3). De même, en 1992, la géographie du vote “Oui” à Maastricht n’obéit guère à une logique gauche/droite (corrélation de 0.1 avec le vote Chirac de 1995). Enfin, en 2000, la cohabitation contribue à vider le référendum de tout enjeu politique (corrélation de – 0.2 avec le vote Chirac)

Tableau 9

Matrice des corrélations entre les variables :

Tableau 9
Tableau 9 : Matrice des corrélations entre les variables : Le vote “Oui aux référendums et le vote de droite au second tour des élections présidentielles sous la Ve République Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui Oui CdG CP VGEVGE JC JC 58 61 62-1 62-2 69 72 88 92 00 65-2 692 74-2 81-2 88-2 95-2 Oui 58 1.0 Oui 61 0.9 1.0 Oui 62-1 0.4 0.6 1.0 Oui 62-2 0.9 0.9 0.7 1.0 Oui 69 0.8 0.8 0.7 0.9 1.0 Oui 72 0.9 0.8 0.5 0.8 0.8 1.0 Oui 88 0.0 0.1 0.4 0.1 0.1 0.2 1.0 Oui 92 0.6 0.5 0.5 0.6 0.6 0.7 0.4 1.0 Oui 00 0.1 0.1 0.3 0.1 0.2 0.2 0.5 0.6 1.0 CdG 65-2 0.8 0.8 0.7 1.0 0.9 0.8 0.0 0.5 0.0 1.0 GP 69-2 0.5 0.5 0.7 0.7 0.8 0.6 0.3 0.4 0.2 0.7 1.0 VgE 74-2 0.8 0.7 0.5 0.8 0.9 0.9 0.0 0.5 0.0 0.9 0.7 1.0 VgE 81-2 0.7 0.7 0.4 0.8 0.8 0.8-0.1 0.4-0.1 0.8 0.6 1.0 1.0 JC 88-2 0.4 0.3 0.1 0.3 0.4 0.6-0.3 0.2-0.1 0.4 0.4 0.7 0.8 1.0 JC 95-2 0.3 0.3 0.1 0.3 0.4 0.5-0.3 0.1-0.2 0.5 0.5 0.7 0.8 1.0 1.0

Matrice des corrélations entre les variables :

25Le plan factoriel (axe 1 / axe 2) est riche d’enseignements. Il met en évidence, bien entendu, la forte corrélation entre l’axe 1 et les cinq référendums du cycle 1958-1972, de même que sa liaison avec les quatre premières élections présidentielles. À ce titre, il confirme que l’axe 1 est bien l’axe gauche-droite, tel qu’il structurait le territoire national à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Mais le mapping apporte aussi quelques indications sur la distribution des six scrutins présidentiels sur l’axe 2. Ce-lui-ci met en évidence l’impact de la chronologie sur la distribution géographique des votes. La corrélation de l’axe 2 avec les deux premières élections présidentielles est presque nulle. Mais la corrélation négative s’intensifie avec le temps : – 0.2 en 1974, – 0.3 en 1981, – 0.6 en 1988 et – 0.7 en 1995. Dans le même temps, la corrélation de l’axe 1 avec l’élection présidentielle semble décroître dans le temps. L’axe 2 témoigne ainsi de la restructuration de la géographie électorale française sous la Ve République.

Conclusion

26L’approche territoriale permet dans une large mesure de confirmer la thèse de la présidentialisation des référendums de la Ve République. Mais ceux-ci ont aussi contribué à présidentialiser le régime, au moins durant les premières années, en accompagnant le processus de bipolarisation. Faute d’être élu au suffrage universel direct, de Gaulle n’avait pas hésité à recourir abondamment au référendum, durant son premier septennat, afin de revivifier périodiquement sa légitimité. Quatre référendums sont organisés entre 1958 et 1962, alors que la première élection au suffrage universel direct n’a lieu qu’en 1965. À cet égard, il est frappant de constater la corrélation presque parfaite du “Oui” au référendum d’octobre 1962 et du vote de Gaulle de décembre 1965. Le référendum d’octobre 1962, et les élections législatives du mois de novembre suivant, contribuent à recréer le clivage gauche/droite en même temps qu’il donne naissance au “fait majoritaire”. Alors que le référendum et les élections législatives de 1958 constituaient des scrutins de “rupture”, les deux consultations de l’automne 1962 sont des scrutins de “réalignement” [24]. Plus que l’élection présidentielle de 1965, le référendum de 1962 marque véritablement la naissance du système politique de la Ve République. Celui de 1969 provoquera le départ du général de Gaulle. Dès lors, ni Georges Pompidou, ni François Mitterrand ne lieront leur sort à celui des référendums qu’ils organiseront. Dépouillé de tout enjeu présidentiel, le vote référendaire tendra alors à rentrer dans ses marques.


Annexe

27Outre les références mentionnées dans les notes de bas de page, le lecteur consultera avec profit les ouvrages suivants :
BODIGUEL J.-L., LELEU C., QUERMONNE J.-L. & al., La réforme régionale et le référendum du 27 avril 1969, Cahiers de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble, Paris, Cujas, 1970.
BORTOLI G., Sociologie du référendum dans la France moderne, Paris, LGDJ, 1965.
BUDGE I., The New Challenge of Direct Democracy, Cambridge, Polity Press, 1996.
GOGUEL F., (dir.), L’établissement de la Cinquième République : le référendum de septembre et les élections de novembre 1958, Paris, FNSP, 1960.
GOGUEL F., (dir.), Le référendum du 8 janvier 1961, Paris, FNSP, 1962.
GOGUEL F., (dir.), Le référendum du 8 avril 1962, Paris, FNSP, 1963.
GOGUEL F., (dir.), Le référendum d’octobre et les élections de novembre 1962, Paris, FNSP, 1965.
GOGUEL F., Chroniques électorales. Tome 3 : La Ve République après de Gaulle, Paris, PFNSP, 1984.
JENSSEN A. T., PESONEN P., GILLJAM M., (eds), To Join or not to Join. Three Nordic Referendums on Membership in the European Union, Oslo, Scandinavian
University Press, 1998.
LELEU C., “The French referendum of April 23,1972”, European Journal of Political Research, 4,1976.
MARTIN P., “Le référendum du 20 septembre 1992 sur la ratification du traité de Maastricht”, État politique de la France, 1992.
PARODI J.-L., “Les cinq abstentionnistes selon une enquête IFOP pour Le Monde et RTL”, Le Monde, 9 novembre, 1988.
PORTELLI H., “Le référendum sur l’Union européenne”, Regards sur l’actualité, sept.-oct. 1992.

Notes

  • [1]
    Cet article est une version remaniée, et enrichie du dernier référendum français (septembre 2000), d’une contribution préparée pour le Congrès de l’IPSA, Québec, 1-6 août 2000 (session n° 21 : “Referendum Voting, Direct Democracy and Political Behaviour” dirigée par Lawrence Leduc).
  • [2]
    FRANKLIN M., VAN DER EIJK C., MARSH M., “Referendum Outcomes and Trust in Government : Public Support for Europe in the Wake of Maastricht”, West European Politics, 18,1995 ; SCHNEIDER G., WEITSMAN P. A., “The Punishment Trap : Integration Referendums as Popularity Contests”, Comparative Political Studies, 28,1996; HUG S., SCIARINI P., “Referendums on European Integration. Do Institutions Matters in the Voter’s Decision ?”, Comparative Political Studies, 33( 1), 2000.
  • [3]
    SVENSSON P., “Five Danish Referendums on the European Community and Union. A Critical Assessment of the Franklin’s Thesis”, paper presented for the IPSA world congress, Québec, 1-5 August 2000.
  • [4]
    L’affirmation implicite de ce type d’étude, qui a parfois été critiquée (NILSON S.S., “Elections, Referendums and Public Goods “, Scandinavian Political Studies, 4 ( 1), 1981), étant donné qu’un vote conforme aux consignes officielles du parti auquel se rattache l’électeur est un vote “sous influence”. A contrario, un vote se démarquant des consignes partisanes exprimerait un choix personnel, et non une simple appartenance.
  • [5]
    LEDUC L., “Referendums and Elections : Do Voters Behave Differently ? When and How ?”, contribution présentée au Congrès IPSA, 1-6 août 2000, session n° 21 : “Referendum Voting, Direct Democraty and Political Behaviour”.
  • [6]
    PIERCE R., VALEN H., LISTHAUG O., “Referendum Voting Behaviour : the Norwegian and British Referenda on Membership in the European Community”, American Journal of Political Science, 27, 1983; LISTHAUG O., HOLMBERG S., SANKIAHO R., “Partisanship and EU choice” in JENSSENS A.T.& al., (eds), 1998; LISTHAUG O., HOLMBERG S., SANKIAHO R., Partisanship and EU choice” in JENSSENS A. T.& al., (eds), op. cit., 1998; BJORKLUND T., “The Three Nordic 1994 Referenda concerning Membership in the EU”, Cooperation and conflict, 31,1996.
  • [7]
    SVENSSON P., “Class, Party and Ideology : a Danish Case Study of Electoral Behaviour in Referendums”, Scandinavian Political Studies, 7( 3), 1984; NILSON S.S., BJORKLUND T., “Ideal types of Referendum Behaviour”, Scandinavian Political Studies, 9( 3), 1986; TONSGAARD O., “A Theoretical Model of Referendum Behaviour”, in GUNDELACH P. and SIUNE K., (eds), From Voters to Participants. Essays in Honor of Ole Borre, Arhus, Politica, 1992.
  • [8]
    CRONIN T.E., Direct Democracy. The Politics of Initiative, Referendum and Recall, Cambridge & London, Harvard University Press, 1989 ; KRIESI H., (dir.), Citoyenneté et démocratie directe. Compétence, participation et décision des citoyens et citoyennes suisses, Zurich, Seismo, 1993.
  • [9]
    SARTORI G., The Theory of Democracy Revisited, Chatham, Chatham House, 1987.
  • [10]
    SIEGFRIED A., Tableau politique de la France de l’Ouest sous la IIIème République, Imprimerie nationale, 1995 ( 1re édition 1913).
  • [11]
    Les traitements longitudinaux effectués, et notamment les analyses en composante principale, ne prennent toutefois en compte que ceux des quatre-vingt six départements dont la composition géographique n’a pas varié depuis 1958. Le département de la Seine a été redécoupé en 1967. La Corse a été divisée en deux départements en 1975.
  • [12]
    GOGUELF., Chroniques électorales. Tome 2 : La Ve République du général de Gaulle, Paris, PFNSP, 1983; DOLEZ B., LAURENT A., “1965-1995. Trente ans d’élections présidentielles françaises : Les dynamiques territoriales”, Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 3,1996
  • [13]
    LANCELOT A., “Les élections des 23 et 30 juin 1968”, Projet, n° 28,1968.
  • [14]
    DOLEZ B., LAURENT A., “La nationalisation des comportements électoraux, dans PERRINEAU P. et REYNIÉ D., (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, Presses universitaires de France, 2001; DOLEZ B., LAURENT A., “La victoire sans reliefs du ‘Oui’”, Revue française de Science Politique, vol. 51,2001.
  • [15]
    GOGUELF., Chroniques électorales. Tome 2 : La Ve République du général de Gaulle, Paris, PFNSP, 1983.
  • [16]
    JOYE D., Structures politiques et structures sociales, thèse pour le doctorat de Science Politique, Grenoble, 1987.
  • [17]
    MOREL L., “Il referendum nell’esperienza politica e costituzionale francese”, Quaderni dell’osservatorio elettorale, 32,1994; MOREL L., “France : Towards a Less Controversial Use of the Referendum ?” in GALLAGHER M. and ULERI P., (eds.), The Referendum Experience in Europe, Basingstoke & London, Macmillan, 1996.
  • [18]
    CARCASSONNE G., “La primauté de l’élection présidentielle” dans WAHL N. et QUERMONNE J.-L., (dir.), La France présidentielle. L’influence du suffrage universel sur la vie politique, Paris, FNSP, 1995.
  • [19]
    LAURENT A., Espace et comportement électoral, Thèse de Science politique, Grenoble, 1983.
  • [20]
    PARODI J.-L., “Effets et non-effets de l’élections présidentielle”, Pouvoirs, n° 14,1980.
  • [21]
    Sauf en 1969, l’affrontement gauche/droite a toujours structuré le second tour de l’élection présidentielle. Plutôt que d’exclure le scrutin de 1969, nous avons choisi d’utiliser les données relatives au vote Pompidou, pour des raisons évidentes liées à l’objet de l’étude.
  • [22]
    MARTIN P., “Comprendre les évolutions électorales. La théorie des réalignements revisitée”, Paris, Presses de Sciences Po., 2000 ; DOLEZ B., LAURENT A., op. cit., 1996.
  • [23]
    MARTIN P., op. cit., 2000.
  • [24]
    MARTIN P., op. cit., 2000.
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