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Article de revue

Fake news et droit de la concurrence : réflexions au prisme des cas Facebook et Google

Pages 17 à 40

Notes

  • [1]
    Les fake news recouvrent un spectre très large de « fausses nouvelles » ou de « fausses informations ». Elles peuvent être intentionnelles ou non intentionnelles, émaner d’entreprises ou de personnes physiques sur les réseaux sociaux, ou plus largement sur Internet. Les fake news peuvent aussi apparaître comme de véritables informations, mais qui, volontairement décontextualisées, deviennent trompeuses pour les destinataires. Sur le sujet, J. Gacon, « Loi contre les fake new : une vraie bonne nouvelle ? », Dimanche et après ?, France culture, 7 janvier 2018.
  • [2]
    Historiquement, une fake news était assimilée à une farce, une satire. On peut lire sous la plume d’un auteur que « le terme fake news a été utilisé dans un sens très large par un programme américain satirique d’information animé par Jon Stewart et qui se présentait ouvertement et ironiquement comme basé sur des “infos truquées” ». Voy. J. Harsin, « Un guide critique des fake news : de la comédie à la tragédie », in La datacratie, Pouvoirs 2018/1, n° 164, p. 99, spéc. p. 100.
  • [3]
    L. Costes, « Annonce par Emmanuel Macron d’un projet de loi visant à lutter contre les fausses informations », RLDI, 2018, n° 144, p. 29. Certains considèrent ce projet de loi comme inutile et dangereux. Voy. C. Bigot, « Légiférer sur les fausses informations en ligne, un projet inutile et dangereux », D., 2018, n° 6, p. 344.
  • [4]
    F. Meuris-Guerrero, « Des algorithmes à l’intelligence artificielle », CCE, 2018, n° 2, alerte 9.
  • [5]
    CNIL, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre 2017, p. 36.
  • [6]
    En ce sens, voy. l’étude de la Professeure Delmas-Marty qui considère que nous sommes entrés dans l’ère de la « société digitale » et « hypernumérique », M. Delmas-Marty, « Où va le droit ? Entre pot au noir et pilotage automatique, le droit peut-il nous guider vers une mondialité apaisée ? », JCP G, 2018, n° 14, doctr. 403, p. 677, spéc. p. 684.
  • [7]
    A. Guyader, « Les enjeux du grand bouleversement », in La datacratie, Pouvoirs, 2018/1, n° 164, p. 7.
  • [8]
    Comm. eur., 27 juin 2017, Google Shopping, aff. AT.39740, publiée le 18 décembre 2017.
  • [9]
    Facebook possède environ 2 milliards d’utilisateurs à travers le monde. Récemment encore, il a été jugé en position dominante sur le marché des réseaux sociaux en Allemagne. Le Bundeskartellamt, l’autorité allemande de la concurrence, a estimé que la part de marché de Facebook s’élevait à 90 % sur ce marché. Voy. Bundeskartellamt, « Preliminary Assessment in Facebook Proceeding », Communiqué de presse, 19 décembre 2017.
  • [10]
    A. Piquard, « Facebook, une plate-forme qui reste imprévisible pour les médias », Le Monde, 12 janvier 2018.
  • [11]
    Précisément, cet article dispose qu’« est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : […] c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence. »
  • [12]
    Sur ce sujet, voy. par ex. R. Subiotto, « The Special Responsibility of Dominant Undertakings not to Impair Genuine Undistorted Competition », 18 World Competition 5 (1995), spéc. p. 6, qui explique qu’« en se référant à cette “responsabilité particulière”, la Cour de justice choisit un concept d’une portée considérable et adapté pour couvrir toute situation dans laquelle elle sentait instinctivement qu’une entreprise ne devrait pas être autorisée à agir comme elle a agi » (traduction libre). Dans la langue d’origine : « By referring to this “special responsability”, the ECJ chose a far-reaching concept, suitable to cover any situation in which it was instinctively felt that an undertaking, should not be permitted to act as it was acting » ; F. Marty, « De la notion de responsabilité particulière de l’opérateur dominant dans la politique de concurrence européenne : quelles conséquences sur les libertés économiques ? », in L. Potvin-Solis et H. Ueda (dir.), Économie de marché, droits et libertés et valeurs communes en Europe et en Asie, Publication de la Chaire Jean Monnet de l’Université de Lorraine, 2012, p. 181.
  • [13]
    CJCE, 9 novembre 1983, Michelin c. Commission européenne, aff. C-322/81, Rec. p. 3461, § 57.
  • [14]
    N. Petit, Droit européen de la concurrence, Paris, Montchrestien, 2013, n° 838, p. 306.
  • [15]
    Voy. par ex. CJCE, 21 février 1973, Europemballage et Continental Can c. Commission, aff. 6-72, Rec. p. 215, § 29 ; TPICE, 12 décembre 2000, Aéroports de Paris c. Commission, aff. T-128/98, Rec. p. II-3929, § 170.
  • [16]
    S. Hubbard, « Fake News is a Real Antitrust Problem », Competition International Policy, Antitrust Chronicle, December 2017, p. 1.
  • [17]
    V.-L. Benabou et J. Rochfeld, À qui profite le clic ? : Le partage de la valeur à l’ère du numérique, Paris, Odile Jacob, 2015, p. 41.
  • [18]
    S.B. Sacher & J.M. Yun, « Fake News is not an Antitrust Problem », Competition International Policy 2017, Antitrust Chronicle, December 2017, p. 1.
  • [19]
    M. Waelbroeck et A. Frignani, Commentaire J. Mégret, Droit de la CE : Concurrence, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1997, n° 120, p. 125.
  • [20]
    D. Bosco et C. Prieto, Droit européen de la concurrence. Ententes et abus de position dominante, Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 496, p. 435.
  • [21]
    TPICE, 26 octobre 2000, Bayer, aff. T-41/96, Rec. p. II-3383, § 69.
  • [22]
    J. Timmer, « Fighting Falsity: Fake News, Facebook, and The First Amemdment », 35 Cardozo Arts & Entertainment L.J., 669 (2017), spéc. p. 673.
  • [23]
    Sur le sujet de la relation des données et du droit de la concurrence, voy. par ex. N. Laneret, R. Knittel et A. Baudequin, « Protection des données personnelles : quand le droit de la concurrence s’en mêle… », Dalloz IP/IT, 2017, n° 12, p. 619 ; J. Drexl, « Designing Competitive Markets for Industrial Data – Between Propertisation and Acess », 8 Journal of Intellectual Property, Information Technology and Electronic Commerce Law, 257 (2017), spéc. pp. 278 et s. ; C. Townley, E. Morrison & K. Yeung, « Big Data and Personalized Price Discrimination in EU Competition Law », 36 Yearbook of European Law 683 (2017). Plus largement, voy. M. Patterson, Antitrust Law in New Economy: Google, Yelp, LIBOR, and the Control of Information, Harvard University Press, 2017, 336 p.
  • [24]
    Il convient de noter que, depuis un récent arrêt de la Cour de justice, la qualité de consommateur de l’utilisateur du réseau social ne fait plus aucun doute. CJUE, 25 janv. 2018, M. Schrems c. Sté Facebook, aff. C-434/15, Rec. num. ECLI:EU:C:2017:981, CCE 2018, n° 3, comm. 19, obs. G. Loiseau.
  • [25]
    Sur cette question, le récent avis de l’Autorité de la concurrence sur la publicité en ligne est fort instructif. L’Autorité de la concurrence française a mis en lumière le fait que « Facebook et Google apparaissent comme les deux leaders du secteur de la publicité en ligne. Ils fournissent principalement des services gratuits aux internautes et génèrent l’essentiel de leurs revenus à travers la commercialisation de services publicitaires aux éditeurs et annonceurs, qui sont fondés sur l’exploitation de volumes colossaux d’informations sur les individus, les éditeurs, et les annonceurs. Ces données sont ensuite valorisées et commercialisées par leur intégration à différents services publicitaires, permettant notamment de cibler des segments d’audience, d’adresser les publicités, et de fournir des informations sur le déroulement des campagnes pour améliorer leurs performances. » Voy. Aut. conc., Avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur Internet, p. 5.
  • [26]
    J. Rochfeld, « Le “contrat de fourniture de contenus numériques” : la reconnaissance de l’économie spécifique “contenus contre données” », Dalloz IP/IT, 2017, n° 1, p. 15.
  • [27]
    Par ailleurs, il convient de noter qu’un objectif à valeur constitutionnelle en France pourrait par ricochet être touché par cette pratique : le principe du pluralisme des médias. Voy. Cons. const., 11 octobre 1984, déc. n° 84-181. Au considérant 38 de cette décision, il est énoncé que « le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu’en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ».
  • [28]
    CJCE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma, aff. T-41/69, Rec., p. 661.
  • [29]
    Communication de la Commission, Lignes directrices concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité, § 15, JOUE, C, 101, 27 avril 2004, p. 97.
  • [30]
    A. Ezrachi & M.E. Stucke, Virtual Competition: The Promise and Perils of the Algorithm-Driven Economy, Harvard University Press, 2016, p. 39.
  • [31]
    N. Petit, Droit européen de la concurrence, op. cit., n° 574, pp. 218-219.
  • [32]
    Sur le sujet, voy. not. L. Idot, « Le retour de l’objet anticoncurrentiel », Concurrences, n° 4-2009, p. 1, qui explique que « la distinction objet/effet concerne non l’existence de l’atteinte à la concurrence, mais sa preuve, avec pour conséquence pratique, un allégement de la charge de la preuve au profit des autorités de concurrence ».
  • [33]
    Voy. CJCE, 13 juillet 1966, Consten et Grundig, aff. 56/64, Rec. p. 429, spéc. p. 496, dans laquelle la Cour de justice énonce qu’« aux fins de l’application de l’article [101, paragraphe 1 du TFUE], la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue dès lors qu’il a pour objet de restreindre, empêcher ou fausser la concurrence ».
  • [34]
    D. Gerard, « The Effects-based Approach under Article 101 TFEU and its Paradoxes: Modernisation at War with Itself? », in J. Bourgeois & D. Waelbroeck (eds.), Ten Years of Effect-based Approach in EU Competition Law - State of Play and Perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 17.
  • [35]
    On doit la paternité de cette expression au Professeur Wish qui parle d’object box dans son ouvrage sur le droit de la concurrence. Voy. R. Wish, Competition Law, London, Butterworths, 2001, 4th ed., 913 p. Cette image consiste à dire qu’il existe un grand nombre de restrictions dont on peut présumer, à l’évidence et à coup sûr, qu’elles produisent des effets anticoncurrentiels, si bien qu’il est possible de les enfermer dans une boîte.
  • [36]
    L. Vogel, « Une nouvelle venue sur la scène du droit de la concurrence : la restriction par objet », Contrats, conc. consom., 2015, n° 5, dossier 2.
  • [37]
    CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière, aff. 56/65, Rec., p. 337, spéc. p. 359.
  • [38]
    CJUE, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, aff. C-67/13 P, Rec. num., EU:C:2014:2204.
  • [39]
    Pour certains auteurs, l’arrêt Groupement des cartes bancaires est un rappel de principes anciens qui n’auraient jamais dû être oubliés. J. Killick & J. Jourdan, « Cartes bancaires: a Revolution or a Reminder of old Principles We Should Never Have Forgotten? », CPI, Antitrust Chronicle, December 2014, p. 1.
  • [40]
    CJUE, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, préc., § 49.
  • [41]
    Ibid., § 51. Par le passé, cette notion d’expérience n’était mentionnée que dans les lignes directrices de la Commission européenne ou dans les conclusions des avocats généraux.
  • [42]
    A. Giraud, « Exégèse de l’arrêt Groupement des cartes bancaires », RLDA, 2014, n° 98, p. 43, spéc. p. 46.
  • [43]
    CJUE, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, préc., § 58. Ce principe a récemment été réaffirmé par la Cour de justice dans un arrêt préjudiciel. Voy. CJUE, 26 novembre 2015, Maxima Latvija c. Konkurences, aff. C-345/14, § 18, Rec. num., ECLI:EU:C:2015:784.
  • [44]
    N. Petit, « La rationalisation au long cours de la restriction de concurrence par “objet” dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne », AJ Contrat, 2015, n° 10, p. 422.
  • [45]
    D. Waelbroeck & D. Slater, « The Scope of Object Vs Effect Under Article 101 TFEU », in J. Bourgeois & D. Waelbroeck (eds.), Ten Years of Effect-based Approach in EU Competition Law. State of Play and Perspectives, op. cit., p. 131, spéc. p. 145.
  • [46]
    Voy., par ex., CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile, aff. C-8/08, § 20, Rec., p. I-4529 : « La jurisprudence de la Cour en matière de concurrence pourrait être interprétée en ce sens qu’un accord ou une pratique concertée vise à restreindre la concurrence si l’expérience montre que ledit accord ou ladite pratique a toujours ou presque toujours pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, quelles que soient les circonstances économiques. Tel est le cas […] lorsque les conséquences dommageables réelles sont indéniables et se produiront quelles que soient les caractéristiques du marché en cause ».
  • [47]
    L. Idot, « La qualification de la restriction de concurrence, à propos des lignes directrices de la Commission concernant l’application de l’article 81, § 3 CE », in G. Canivet (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, Paris, LGDJ, 2006, p. 85, spéc. p. 93.
  • [48]
    S.B. Sacher & J.M. Yun, « Fake News is not an Antitrust Problem », op. cit., p. 1.
  • [49]
    M. Malaurie-Vignal, Droit de la concurrence interne et européen, Paris, Sirey, 2017, 7e éd., n° 538, p. 232.
  • [50]
    Comm. eur., Communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne (de minimis), JOUE, C 368, 22 décembre 2001, p. 13.
  • [51]
    Comm. eur., Communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE, C 291, 30 août 2014, p. 1.
  • [52]
    CJUE, 13 décembre 2012, Expédia, aff. C-226/11, Rec. num., ECLI:EU:C:2012:795.
  • [53]
    D. Geradin & I. Girgenson, « The Counterfactual Method in EU Competition Law: The Cornerstone of the Effects-Based Approach », in J. Bourgeois & D. Waelbroeck (eds.), Ten Years of Effect-based Approach in EU Competition Law - State of Play and Perspectives, op. cit., p. 211.
  • [54]
    D. Gerard, « The Effects-based Approach under Article 101 TFEU and its Paradoxes: Modernisation at War with itself? », op. cit., p. 29.
  • [55]
    Les erreurs de type I, également appelées « faux positifs », représentent des situations dans lesquelles une autorité de concurrence ou un juge condamne une pratique qui, en réalité, n’est pas anticoncurrentielle.
  • [56]
    OCDE, Les régimes de protection et les présomptions légales en droit de la concurrence, 29 novembre 2017, DAF/COMP(2017)9. Dans le résumé de cette étude, l’OCDE juge que « le recours accru à l’analyse économique dans l’application du droit de la concurrence a renforcé la crédibilité et la précision des mesures prises par les autorités de la concurrence. En contrepartie, il a également augmenté le coût d’application des règles de concurrence et introduit un degré plus élevé d’insécurité juridique relative aux comportements susceptibles d’être remis en question par le droit de la concurrence. »
  • [57]
    Les spécialistes parlent de la condition d’« amélioration du bien-être ». Voy. N. Petit, Droit européen de la concurrence, op. cit., p. 249.
  • [58]
    A. Rouvroy, « La robotisation de la vie ou la tentation de l’inséparation », in H. Jacquemin et A. de Streel (dir.), L’intelligence artificielle et le droit, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 13, 26-27.
  • [59]
    P. Signoret, « Ciblage publicitaire : Facebook va cesser de travailler avec des agrégateurs de données », Le Monde, 29 mars 2018.
  • [60]
    M.S. Gal & N. Elkin-Koren, « Algorithmic Consumers », 30 Harvard Journal of Law & Technology 309 (2017), spéc. pp. 334-335 (traduction libre) : « Currently a handful of digital intermediaries with mega platforms control effective points of access to potential users. » Dans le même sens, on peut lire dans le récent avis de l’Autorité de la concurrence que « Facebook et Google apparaissent comme les deux leaders du secteur de la publicité en ligne. Ils fournissent principalement des services gratuits aux internautes et génèrent l’essentiel de leurs revenus à travers la commercialisation de services publicitaires aux éditeurs et annonceurs, qui sont fondés sur l’exploitation de volumes colossaux d’information ». Voy. Aut. conc., Avis n° 18-A-03, préc., p. 5.
  • [61]
    M. Behar-Touchais, « Concurrence et gratuité », in N. Martial-Braz et C. Zolinski (dir.), La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit, Paris, LGDJ, 2013, p. 185, spéc. p. 188.
  • [62]
    M.L. Katz & C. Shapiro, « Network Externalities, Competition, and Compatibility », 75 The American Economic Review 424 (1985).
  • [63]
    E. Malavolti et F. Marty, « La gratuité peut-elle avoir des effets anticoncurrentiels ? Une perspective d’économie industrielle sur le cas Google », in N. Martial-Braz et C. Zolinski (dir.), La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit, op. cit., spéc. p. 72.
  • [64]
    A. Ezrachi & M.E. Stucke, Virtual Competition: The Promise and Perils of the Algorithm-Driven Economy, op. cit., p. 133.
  • [65]
    S. Hubbard, « Fake News is a Real Antitrust Problem », op. cit., p. 3.
  • [66]
    C’est la conclusion qu’a récemment tirée la Commission européenne dans l’affaire du 17 juin 2017 concernant le service Google Shopping.
  • [67]
    CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, aff. 85/76, § 39, Rec. ; p. 461.
  • [68]
    TUE, 29 mars 2012, Telefónica, aff. T-336/07, § 150, Rec. num., ECLI:EU:T:2012:172.
  • [69]
    Dans sa décision, la Commission européenne a écarté l’argument du multi-homing. La position dominante de Google sur le marché des moteurs de recherche aurait pu être discutée en se fondant sur le fait que rien n’empêche les internautes de reproduire une même requête sur des moteurs de recherche concurrents. Cependant, la Commission a considéré que la confiance placée par les consommateurs dans la qualité du service de Google est telle que la position dominante doit être établie. Voy. Comm. eur., Google Shopping, préc., § 308.
  • [70]
    K. Torsten Körber, « Is Knowledge (Market) Power? On the Relationship between Data Protection, “Data Power” and Competition Law », January. 2018, p. 5, disponible sur ssrn.com.
  • [71]
    CJCE, 14 février 1978, United Brands, aff. 27/76, § 113, Rec., p. 207.
  • [72]
    Th. Schrepel, « Facebook, les réseaux sociaux et le droit de la concurrence », Contrats, conc. consom., 2013, alerte 17.
  • [73]
    D. Geradin & E. Elhauge, Global Antitrust Law & Economics, Foundation Press, 2007, p. 482. Comme l’a souligné la Professeure Frison-Roche, « le droit de la concurrence demeure entravé en ce qu’il n’est pas conçu pour traiter de la “dominance” d’un acteur ». Voy. M.-A. Frison-Roche, « L’apport de la notion d’entreprise cruciale à la régulation des plateformes », in Économies de plateformes : réguler un modèle dominant ?, Paris, 23 octobre 2014, Concurrences, n° 2-2015, p. 1, spéc. p. 3.
  • [74]
    CJCE, 9 novembre 1983, Michelin c. Commission européenne, préc., § 57 (nous soulignons).
  • [75]
    CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, préc., § 6.
  • [76]
    Il convient de noter que, comme l’ont relevé certains auteurs s’agissant du droit civil, « l’ambiguïté de ces notions les rend peu aptes à des raisonnements déductifs rigoureux », mais « le juriste s’en accommode car elle lui permet d’assouplir l’application normale des règles légales ». H. Barbier et J. Ghestin, Traité de droit civil. Introduction générale, Paris, LGDJ, 2018, n° 116, p. 81.
  • [77]
    G. Decocq, « Concurrence par les mérites », in E. Le Dolley (dir.), Les concepts émergents en droit des affaires, Paris, LGDJ, 2010, p. 240. Dans le même sens, la Professeure Choné-Grimaldi a énoncé dans sa thèse de doctorat que « le raisonnement en droit de la concurrence ne peut […] jamais être entièrement objectif : l’appréciation de la valeur du comportement ne peut être occultée ». Voy. A.-S. Choné, Les abus de domination. Essai en droit des contrats et en droit de la concurrence, Paris, Economica, 2010, n° 410, pp. 267-268.
  • [78]
    CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, préc., § 6 : « La notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché ou, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours a des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence » (nous soulignons).
  • [79]
    Pour le Professeur Jenny, « les autorités de la concurrence ou les juridictions n’ont jamais fourni de définition précise de ce qui relève de la concurrence par les mérites, de telle sorte que la formule employée est, dans une large mesure, vide de sens et semble être davantage destinée à justifier les décisions des autorités de concurrence ou des juridictions qu’à permettre aux acteurs détenant un pouvoir de marché de savoir jusqu’où ils peuvent aller dans l’agressivité commerciale ». Voy. F. Jenny, « Abus de position dominante et modernisation de l’article 82 du traité CE », in F. Brunet et G. Canivet (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence, Paris, LGDJ, 2008, p. 281, spéc. p. 284.
  • [80]
    Nous reprenons le néologisme dont la paternité appartient à notre connaissance aux Professeures Benabou et Rochfeld. Voy. V.-L. Benabou et J. Rochfeld, À qui profite le clic ? Le partage de la valeur à l’ère du numérique, op. cit., p. 39.
  • [81]
    C. Silverman et al., « Hyperpartisan Facebook Pages are Publishing False and Misleading Information at an Alarming Rate », BuzzFeed, 20 octobre 2016 (traduction libre) : « Facebook engagement (likes, comments, shares) was actually greater for the top 20 fake news stories than the top 20 real news stories. »
  • [82]
    N. Newman et al., Reuters Institute Digital News Report 2017, Reuters Institute/University of Oxford, 2017, p. 11.
  • [83]
    S. Hubbard, « Fake News is a Real Antitrust Problem », op. cit., pp. 3-4.
  • [84]
    F. Marty et J. Pillot, « Le recours à la théorie des facilités essentielles dans la pratique décisionnelle des juridictions concurrentielles : ambiguïtés du droit et régulation de la concurrence », OFCE, document de travail, n° 2009-11, mai 2009, p. 1.
  • [85]
    Voy., par ex., CJCE, 6 avril 1995, Magill, aff. jtes C-241/91 P et C-242/91, §§ 52-53, Rec., p. I-743.
  • [86]
    Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), JOUE, L 119, 4 mai 2016, p. 1. Le récent rapport du mathématicien Cédric Villani révèle l’importance de ce règlement. Aux termes du rapport, « le RGPD est un instrument puissant de consolidation de l’écosystème numérique européen. Si ces dispositions avaient existé il y a 20 ans, il est probable que Facebook, Amazon ou Google n’auraient pas pénétré le marché européen aussi facilement et que la concurrence aurait pu démarrer sur des bases plus saines. Le délai nécessaire pour qu’ils s’adaptent à la réglementation aurait pu permettre aux entreprises européennes de développer des services compétitifs. » C. Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et européenne, 28 mars 2018, p. 29.
  • [87]
    A. Delforge et L. Gérard, « Notre vie privée est-elle réellement mise en danger par les robots ? Étude des risques et analyse des solutions apportées par le GDPR », in H. Jacquemin et A. de Streel (dir.), L’intelligence artificielle et le droit, op. cit., p. 143, spéc. pp. 182-183.
  • [88]
    M.S. Gal & D.L. Rubinfield, « Access Barriers to Big Data », 59 Arizona L. Rev., 339 (2017), spéc. p. 366. Voy. aussi. Ch. S. Yoo, « When Antitrust Met Facebook », 19 George Mason L. Rev., 1147 (2012), spéc. p. 1155.
  • [89]
    Ibid.
  • [90]
    R. Amaro, « Les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’Internet », in M. Behar-Touchais (dir.), L’effectivité du droit face à la puissance des géants de l’Internet, coll. Bibliothèque de l’IRJS - André Tunc, t. 74, IRJS Éditions, 2016, p. 59, spéc. p. 70.
  • [91]
    P. Nihoul, « “Freedom of Choice”: the Emergence of a Powerful Concept in European Competition Law », in P. Nihoul, N. Charbit & E. Ramundo (eds.), Choice: A New Standard for Competition Law Analysis?, New York, Institute of Competition Law, 2016, p. 9.
  • [92]
    R. Coase, « Industrial Organization: A Proposal for Research », in V.R. Fuchs (ed.), Policy Issues and Research Opportunities in Industrial Organization, NBER, 1972, p. 59, spéc. p. 67. Sous la plume du prix Nobel, on peut lire que « si un économiste trouve quelque chose – une pratique commerciale d’une sorte ou d’une autre – qu’il ne comprend pas, il cherche une explication par le monopole. Et comme il y a des domaines où nous sommes très ignorants, le nombre de pratiques incompréhensibles tend à être plutôt important, et le recours à une explication par le monopole, fréquent » (traduction libre). Dans la langue d’origine : « if an economist finds something – a business practice of one sort or other – that he does understand, he looks for a monopoly explanation. And as in this field we are very ignorant, the number of ununderstandable pratices tends to be rather large, and the reliance on a monopoly explanation, frequent. »

11. Les fake news, un problème pour la « datacratie ». Popularisées par le président américain Donald Trump, les fake news[1] (ou « fausses informations ») ne font désormais plus rire [2]. Capables de déstabiliser un régime, de compromettre la carrière professionnelle d’une personne ou de faire basculer une élection, elles préoccupent de plus en plus les pouvoirs publics. Jusqu’alors indifférents à ce sujet, ces derniers prennent aujourd’hui davantage au sérieux le problème et envisagent de réguler par le droit les torrents de fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux. En France, un projet de loi est même en cours d’élaboration. Si peu d’informations ont filtré sur celui-ci, ses contours ont d’ores et déjà été dévoilés. Le président de la République française en personne a indiqué qu’il souhaitait une responsabilisation des plateformes et des diffuseurs de contenus informationnels sur Internet. Il a précisément déclaré qu’« en cas de propagation d’une fausse nouvelle, il sera possible de saisir le juge à travers une nouvelle action en référé permettant, le cas échéant, de supprimer le contenu mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet » [3]. Bien qu’absente du discours présidentiel, la question de la régulation des fake news ne doit pas être séparée de celle de la régulation des algorithmes [4]. Comme l’a souligné la CNIL dans son rapport sur l’intelligence artificielle, « un algorithme peut [...] devenir une “chambre d’écho” [des fake news], notamment des réseaux sociaux, et participer ainsi à la circulation massive de ce type d’information » [5]. Quoi qu’on en pense, la régulation des fake news est donc devenue un sujet majeur à l’ère du numérique [6], car les fausses informations participent assurément à l’émergence de ce que certains ont nommé la « datacratie ». Celle-ci a été définie « comme l’ensemble des points de contact entre les transformations induites par les usages du numérique et la vie de la cité » [7].

22. Les fake news, un problème de droit de la concurrence ? A priori, les dégâts sociaux que peuvent provoquer les fake news sont évidents – ou à tout le moins identifiables. Manipulée par des informations tronquées ou erronées, l’ire des utilisateurs des réseaux sociaux pourrait se déporter hors de l’univers numérique et trouver une caisse de résonance dans l’univers physique. La propagation de fake news pourrait, par exemple, conduire à des grèves, des manifestations ou attiser des conflits, et ce faisant, troubler l’ordre public. En revanche, il est moins évident de concevoir les fake news comme un problème de concurrence. Pour autant, le lien entre fake news et droit de la concurrence n’est pas si saugrenu qu’il n’y paraît. Économiquement, les fake news sont rentables. Elles permettent à certaines entreprises comme Facebook et Google de générer des milliards de revenus. Pour ne prendre que l’année 2016, celle des élections présidentielles américaines, l’entreprise de Mark Zuckerberg a vu ses revenus tirés de la publicité en ligne doubler et atteindre le chiffre de 8 milliards de dollars. Cette forte croissance est en partie due à la diffusion de fausses informations. Au-delà des bénéfices qu’elles permettent de réaliser, les fake news pourraient être un moyen de renforcer le pouvoir de marché des plateformes qui les diffusent. Les fake news pourraient abusivement être utilisées par les entreprises dominantes du numérique pour affaiblir des concurrents et entraver le processus concurrentiel. Pour ce faire, des entreprises comme Google ou Facebook, lesquelles dominent respectivement le marché des moteurs de recherche [8] et celui des réseaux sociaux [9], pourraient modifier leurs algorithmes afin de mettre en valeur, par exemple, de fausses informations qui discréditeraient des entreprises rivales. En adoptant ce comportement, ces entreprises en position dominante pourraient bien réussir à fragiliser, voire à évincer, des concurrents du marché, et ainsi réduire le bien-être du consommateur. Bien qu’étonnant, ce scénario n’est toutefois ni hypothétique ni illusoire. Il y a peu, Facebook a annoncé qu’il allait faire évoluer son algorithme afin d’avantager les médias jugés les plus dignes de confiance [10]. Dans cette situation, le risque concurrentiel existe. Ce comportement pourrait constituer selon les circonstances une pratique discriminatoire, interdite par l’article 102 c) du TFUE [11]. En effet, en agissant de cette manière, une entreprise en position dominante pourrait s’émanciper de la « responsabilité particulière » [12] qui pèse sur elle. Depuis l’arrêt Michelin I, la Cour de justice juge qu’« il incombe à [l’entreprise dominante], indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun » [13]. Cette responsabilité particulière signifie concrètement que des pratiques commerciales qui habituellement ne seraient pas prohibées peuvent être qualifiées d’abusives lorsqu’elles émanent d’entreprises en position dominante [14]. Il a par ailleurs été précisé par les juridictions de l’Union européenne que, pour sanctionner un abus, il n’était pas nécessaire de caractériser une quelconque faute ou une intention anticoncurrentielle de l’entreprise dominante [15].

33. Le débat aux États-Unis. Aux États-Unis, les interrogations sur l’opportunité d’appliquer le droit antitrust aux fake news débutent à peine, mais font d’ores et déjà l’objet d’un débat doctrinal stimulant. Dans un article paru en décembre, une ancienne membre du bureau antitrust de l’État de New York s’est frontalement attaquée à Facebook et Google. Selon elle, les deux géants de la Silicon Valley accéléreraient la disparition de sites d’information fiables en offrant une plateforme favorable aux fake news[16]. Cette analyse ne surprend guère. Comme ont pu l’expliquer les Professeures Benabou et Rochfeld, « ce ne sont plus seulement les radiodiffuseurs classiques ou les éditeurs de presse qui maîtrisent la diffusion de l’information, mais des géants économiques à la tête d’incommensurables réseaux de données, [lesquels ont pour] aptitude : la sélection de l’information pertinente et la mise en relation immédiate entre l’offre et la demande, au plus près des préférences supposées de l’internaute » [17]. À l’opposé de cette position originale, des économistes ont cherché à démontrer que les fakes news ne revêtaient pas les caractéristiques d’un problème antitrust[18].

44. Plan. À notre connaissance, le débat sur l’application du droit de la concurrence aux fake news n’a pas encore été ouvert dans l’Union européenne. Partant, cette étude se propose d’ébaucher quelques pistes de réflexion. Il convient d’emblée de concéder qu’il n’en sortira aucune certitude. Il s’agira simplement ici de se demander si le droit européen des pratiques anticoncurrentielles pourrait avoir un rôle à jouer dans la régulation des fake news ou si au contraire celui-ci s’avérerait d’une efficacité limitée. C’est donc dans une perspective prospective – mais surtout exploratoire – que nous envisagerons l’appréhension des fake news par le droit des ententes (1.) avant d’aborder l’hypothèse de l’abus de position dominante (2.).

1 – Les fake news saisies par le droit des ententes

55. Accord et restriction de concurrence. Pour que la diffusion de fausses informations puisse être sanctionnée via l’application de l’article 101 TFUE, encore faut-il qu’existe une concordance de volontés (1.1.). Mais la simple identification de cette concordance de volontés se révélera insuffisante pour mettre en œuvre les dispositions de l’article 101. Pour enfreindre le droit européen des ententes, la caractérisation d’un objet ou d’un effet restrictif de concurrence sur le marché demeure indispensable (1.2.).

1.1 – La nécessité d’une concordance de volontés

66. La concordance de volontés, pour être caractérisée, n’exige pas un accord écrit. Pour que l’article 101 TFUE puisse s’appliquer à un cas impliquant des fake news, il est nécessaire que le comportement anticoncurrentiel soit le résultat d’une volonté concordante [19] de deux ou plusieurs entreprises. En d’autres termes, la Commission européenne doit déceler une collusion entre deux ou plusieurs entreprises, ce qui se traduit concrètement par une coordination de comportements sur le marché [20]. Ce concours de volontés peut prendre la forme d’un accord écrit (1.1.1.) ou se manifester en dehors d’un cadre contractuel (1.1.2.). Comme l’a souligné le Tribunal, « la forme de manifestation n’est pas importante pour autant qu’elle constitue l’expression fidèle [de l’existence d’une concordance de volontés] » [21].

1.1.1 – L’hypothèse de l’accord écrit : une situation peu probable

77. Un accord écrit pour mettre en valeur des fakes news sur le fil d’actualité. Facebook possède plus de deux milliards d’utilisateurs à travers le monde, lesquels semblent avoir une forte appétence pour les fake news. En effet, une récente étude montre que les fake news génèrent plus d’activité sur la plateforme du réseau social que les vraies nouvelles (actual news stories) [22]. Ce faisant, le réseau social américain pourrait être tenté par la conclusion d’accords avec des entreprises spécialisées dans la fabrication de fake news, lesquelles l’alimenteraient en fausses nouvelles. Concrètement, un tel accord aurait pour objet de fournir le réseau social en fake news afin que les utilisateurs de la plateforme passent plus de temps sur le fil d’actualité. Cet accord, qualifions-le d’« accord de fourniture de fake news ». Grâce à cet accord, Facebook pourrait via son algorithme mettre en valeur les fake news qui lui semblent les plus à même de capter l’attention des utilisateurs en termes de temps sur le réseau – un temps qui, nous le verrons, est au cœur du modèle économique de l’entreprise.

88. Intérêt de l’accord. Quel intérêt le géant américain pourrait-il avoir à conclure ce type d’accord ? Comme toute société commerciale, Facebook cherche avant tout à faire des bénéfices, qui seront par la suite partagés entre les actionnaires. À cet égard, l’accord conjecturé n’aurait-il de sens que s’il était, pour l’entreprise, générateur de revenus supplémentaires. Dans cette perspective, un « accord de fourniture de fake news » pourrait avoir une double utilité. En premier lieu, cela permettrait à Facebook de recueillir davantage de données sur ses utilisateurs [23] et, partant, de mieux profiler leurs goûts et leurs attitudes en tant que consommateurs [24]. Ce type de données s’agrégerait aux autres données personnelles déjà collectées. La variété des données collectées serait certainement un atout puissant pour Facebook afin de mieux anticiper les comportements des consommateurs. En second lieu, l’amélioration du profilage des utilisateurs permettrait au réseau social d’augmenter ses revenus de la publicité en ligne [25]. En traitant les données collectées, Facebook pourrait assurer aux annonceurs une augmentation de l’efficacité de leurs publicités grâce à un meilleur ciblage des utilisateurs/consommateurs. Comme l’a souligné la Professeure Rochfeld, « même si tous les consommateurs n’ont pas conscience de livrer leurs données dans un échange, celles-ci sont traitées et valorisées dans divers circuits impliquant des acteurs variés, notamment à des fins de publicités ciblées (leur traitement permet d’offrir aux annonceurs des outils de ciblage des annonces qu’ils effectuent, en fonction des centres d’intérêt particuliers et sociaux types des internautes) et de prédictibilité généralisée de tous leurs besoins et envies (les traitements sont supposés permettre aux opérateurs d’anticiper, voire de susciter la demande) » [26].

99. Préoccupations de concurrence. L’« accord de fourniture de fake news » pourrait générer des préoccupations de concurrence importantes sur le marché dans la mesure où la coordination entre Facebook et l’entreprise spécialisée dans la fabrication de fake news pourrait évincer du réseau social les éditeurs de presse traditionnels, pourvoyeurs de véritables informations. Étant donné que les fake news ont pour effet de produire davantage de clics et une présence accrue des utilisateurs sur le réseau social, Facebook pourrait privilégier, par le biais de son algorithme, la publication de faux contenus sur le fil d’actualité des utilisateurs. En d’autres termes, l’accord troublerait le jeu de la concurrence sur le marché de l’intermédiation de l’information en ligne en restreignant l’accès des éditeurs de véritables informations à la plateforme du réseau social [27]. En imposant un traitement discriminatoire via « des clauses de priorité » – par lesquelles le réseau social s’engagerait à mettre en priorité les fake news sur le fil d’actualité –, les concurrents pourraient perdre des internautes qui, distraits par les fake news, n’iraient plus consulter leur site Internet.

1010. Les faibles chances qu’un tel accord soit conclu. Bien qu’intéressant d’un point de vue économique pour Facebook, il nous semble qu’il est toutefois peu probable qu’un « accord de fourniture de fake news » soit conclu. Le réseau social est depuis quelques années sous le feu des critiques et la Commission européenne veille avec attention à ce que le jeu de la concurrence soit maintenu sur les marchés du numérique. Polémogènes, ces accords porteraient beaucoup trop de risques et devraient donc être évités. Cependant, si une telle pratique devait voir le jour, il nous semble que l’ouverture d’une procédure contentieuse ou négociée serait bienvenue. Dans cette occurrence, l’utilité d’établir un précédent ne serait certainement pas négligeable.

1.1.2 – L’hypothèse de l’accord non écrit : une situation possible

1111. L’absence d’un accord écrit n’empêche pas la présence d’un accord. S’il nous paraît peu probable qu’un accord écrit soit conclu, il n’en va pas de même de l’hypothèse de l’accord non écrit. La raison tient certainement au fait qu’un tel accord est moins aisément détectable par les autorités de concurrence. Partant, les chances pour qu’une procédure contentieuse soit ouverte par la Commission européenne sont bien plus faibles. Néanmoins, l’absence d’un accord écrit n’écarte pas complètement les risques concurrentiels. Comme l’a énoncé la Cour de justice, un accord existe dès qu’il y a volonté commune d’agir ensemble sur le marché [28]. Autrement dit, la pratique consistant à utiliser les fake news pour entraver le jeu de la concurrence sur le marché pourrait bien être sanctionnée même en l’absence d’accords formellement conclus entre Facebook et des entreprises spécialisées dans la fabrication de fake news. Comme l’indiquent les lignes directrices de la Commission européenne sur l’application de l’article 101(3) TFUE – anciennement article 81(3) du traité CE – « pour qu’un accord puisse être réputé conclu au moyen d’un acquiescement tacite, il est nécessaire qu’une entreprise invite une autre entreprise, que ce soit de façon expresse ou implicite, à la réalisation commune d’un but » [29]. Autrement dit, la seule prise de contact entre des entreprises – qu’elle soit directe ou indirecte – ou le simple échange d’informations de nature à influencer le comportement d’un concurrent actuel ou potentiel, ou à dévoiler son comportement à un concurrent, permettrait de déclencher l’application du droit européen des ententes.

1212. Quels comportements sont susceptibles d’être appréhendés ? Il est difficile de circonscrire parfaitement un comportement susceptible d’être adopté par les entreprises du numérique, ces dernières étant les mieux placées pour façonner la coordination la plus idoine, à savoir celle qui sera la plus apte à détruire l’incertitude sur le marché. En raison de cette asymétrie d’information, il faut bien admettre qu’il ne s’agit ici que d’hypothèses qui, certes, cherchent à se rapprocher le plus possible du vraisemblable, mais qui pourraient aussi fortement s’en éloigner.

13Quoi qu’il en soit, il nous semble que la prise de contact ou l’échange d’informations pourrait être une méthode efficace pour mettre en avant les fakes news les plus génératrices de clics et les plus à même de maintenir les utilisateurs sur le réseau social. Concrètement, Facebook indiquerait aux entreprises spécialisées dans la fabrication de fake news les mots clés qui permettraient à leurs fake news d’apparaître dans le fil d’actualité des utilisateurs. Ces mots clés seraient par la suite traités prioritairement par l’algorithme. De cette façon, le réseau social garantirait un emplacement privilégié aux fake news des entreprises qui les conçoivent. On serait ici dans « un scénario du type messager » (messenger scenario) [30] dans lequel les algorithmes joueraient le rôle d’interface entre les membres de l’entente. Autrement dit, les algorithmes seraient l’instrument permettant d’exécuter l’accord. L’intérêt de mettre en place une telle pratique pour Facebook est identique au cas de l’accord écrit. La mise en ligne de fake news sur la plateforme numérique permettrait de collecter massivement des données et de mieux profiler les utilisateurs.

1413. Préoccupations de concurrence. Qu’on ait affaire à un cas d’échange d’informations ou à un cas de prise de contact, les préoccupations de concurrence résideraient à chaque fois dans le fait que les éditeurs de véritables informations seraient privés d’un emplacement privilégié sur le fil d’actualité du réseau social. Comme pour l’hypothèse de l’« accord de fourniture de fake news », le jeu de la concurrence serait alors perturbé puisque les véritables informations seraient moins visibles sur la plateforme numérique. Le problème ici est que la baisse des clics pour les véritables sites d’information – baisse qui entraînerait la chute des revenus tirés de la publicité en ligne – ne serait pas liée au jeu de la concurrence, mais à un accord non écrit entre Facebook et des entreprises concurrentes sur le marché de l’intermédiation de l’information en ligne.

1.2 – La nécessité d’une restriction de concurrence

1514. Restriction par l’objet ou par les effets ? Une fois les pratiques litigieuses identifiées au regard de la concordance de volontés, reste à savoir comment elles devraient être traitées. On le sait, en droit des pratiques anticoncurrentielles, un accord peut restreindre la concurrence au regard de « son objet » (1.2.1.) ou au regard de « ses effets » (1.2.2.). Le choix entre ces deux types de restriction n’est pas neutre. En effet, la qualification de restriction par l’objet est plutôt favorable à l’autorité de poursuite dans la mesure où la restriction par les effets oblige cette dernière à opérer une analyse concurrentielle beaucoup plus poussée, et partant, beaucoup plus périlleuse. Il est donc important de savoir dans quelle catégorie de restriction les pratiques impliquant des fake news doivent être classées.

1.2.1 – Une restriction de concurrence par l’objet ?

1615. De la restriction par l’objet. La restriction par l’objet est définie par le Professeur Petit comme « une pratique dont on peut présumer avec un degré de vraisemblance suffisante qu’elle exercera des effets restrictifs de concurrence ou qu’elle violera à coup sûr l’objectif intégrationniste du Traité » [31]. Pour comprendre l’intérêt de cette restriction, il faut examiner la notion sous un prisme probatoire [32]. Concrètement, lorsque la Commission européenne considère qu’une pratique restreint la concurrence par son objet, elle peut mobiliser l’article 101 TFUE sans qu’il soit nécessaire pour elle de prouver que la pratique a des effets anticoncurrentiels potentiels ou actuels sur le marché [33]. Autrement dit, il est présumé que la pratique litigieuse porte atteinte à l’ordre public concurrentiel. Si une pratique est qualifiée de restriction par l’objet, il sera alors bien plus difficile pour une entreprise d’échapper à une condamnation. En toute hypothèse, cette dernière ne pourra pas justifier son comportement en opposant qu’elle n’a pas mis en œuvre la coordination sur le marché, qu’elle n’avait pas l’intention de restreindre la concurrence ou que les parts de marché étaient trop faibles.

1716. Les récentes précisions jurisprudentielles sur la restriction par l’objet. Pour savoir si les pratiques impliquant des fake news doivent être traitées comme des restrictions par l’objet, il est indispensable d’examiner la jurisprudence la plus récente de la Cour de justice, laquelle a apporté de précieuses précisions sur la manière dont il faut manipuler la notion. Ces dernières années, la Commission européenne a eu tendance à utiliser avec excès [34] la « boîte à objet » [35], si bien que des doutes ont pu surgir s’agissant du dévoiement de la notion. En ce sens, une partie de la doctrine a pu parler d’« une utilisation abusive de la notion de restriction par l’objet » [36]. Ce faisant, bien que les principes de base aient été très tôt posés par l’arrêt Société technique minière[37], la Cour de justice a dû sévèrement recadrer la Commission européenne. Ce recadrage s’est fait en 2014 par le biais de son désormais célèbre arrêt Groupements des cartes bancaires[38]. Pour extraire la substantifique moelle de la décision, il convient de mettre en exergue les trois principaux rappels de la juridiction luxembourgeoise. En premier lieu, la Cour de justice a rétabli une certaine orthodoxie [39] en réaffirmant qu’« un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence » [40] était nécessaire pour qualifier un objet d’anticoncurrentiel. En deuxième lieu, elle fait explicitement référence à la notion d’expérience [41]. En visant cette notion, la Cour semble avoir indiqué « qu’une prudence accrue est nécessaire au moment de qualifier une pratique nouvelle, non encore étudiée précisément, et au sujet de laquelle n’existe précisément pas de consensus » [42]. En troisième lieu, la Cour a jugé que la notion de restriction par l’objet devait être interprétée de manière restrictive [43]. À cet égard, une plume autorisée a cru voir l’expression d’« une règle générale d’interprétation restrictive de l’objet » [44].

1817. Le rejet de la restriction par l’objet pour les pratiques impliquant des fake news. Au regard de ce qui précède, il semble que la restriction de concurrence par l’objet sied bien mal à la pratique consistant à faire usage de fake news. En effet, pour qu’une pratique puisse emporter une telle qualification, elle doit avoir un degré suffisant de nocivité et une expérience suffisante sur la pratique litigieuse doit exister. Cette expérience peut se manifester soit empiriquement par des précédents jurisprudentiels ou des décisions et/ou études d’autorités de concurrence, soit sur la base de modèles économiques reconnus [45]. En d’autres termes, il faut que l’état de l’art en sciences économiques acte la nocivité de la pratique [46]. Pour reprendre les termes de la Professeure Idot, les restrictions par l’objet sont celles qui sont particulièrement sérieuses et qui sont unanimement condamnées par l’analyse économique [47]. Or, s’agissant des fake news, du moins à notre connaissance, aucune analyse économique n’a encore conclu à une nocivité systématique de la pratique sur la concurrence. Seule une étude a été publiée sur le sujet – et encore vise-t-elle les pratiques unilatérales. Elle met clairement en doute les incidences que pourraient avoir les fake news sur la concurrence [48].

1.2.2 – Une restriction de concurrence par les effets ?

1918. De la restriction par les effets. Si l’application de la restriction par l’objet devait être écartée, il faudrait alors mobiliser la restriction par les effets. En ce cas, la Commission européenne devrait prouver que la pratique litigieuse porte véritablement atteinte au fonctionnement de la concurrence sur le marché. Autrement dit, elle ne pourrait pas, par le jeu de présomptions, procéder à une condamnation de la pratique sur le fondement de l’article 101 TFUE. Par conséquent, « si une pratique a un effet anticoncurrentiel sur un marché, elle est condamnée […] alors même que son objet n’est pas anticoncurrentiel » [49]. Cependant, notons qu’une pratique ayant un effet anticoncurrentiel peut dans certaines conditions ne pas être sanctionnée par la Commission européenne. En effet, la théorie du seuil de sensibilité peut venir immuniser une pratique qui pourtant a des effets sur la concurrence. Cette théorie a été consacrée par la Communication de minimis de 2001 [50], laquelle a été remplacée par une nouvelle Communication publiée le 25 juin 2014 [51]. Cette dernière détermine les seuils en parts de marché en deçà desquels un accord ne restreint pas sensiblement la concurrence. Relevons toutefois que la théorie du seuil de sensibilité sera parfois écartée. La nouvelle Communication de minimis intègre en son point 13 l’arrêt Expedia par lequel la Cour de justice a jugé qu’un accord restreignant la concurrence par son objet ne peut être considéré comme un accord d’importance mineure [52]. Quoi qu’il en soit, au regard des parts de marché élevées de Facebook, cette théorie ne paraît pas applicable. Intéressons-nous donc à la façon dont les effets anticoncurrentiels des fake news pourraient être mesurés.

2019. Analyse contre-factuelle. Pour mesurer les effets d’une pratique sur la concurrence, la Commission européenne doit mettre en œuvre une analyse contre-factuelle. En substance, cette méthode consiste à comparer la situation de marché existante avec celle qui aurait pu advenir en l’absence de l’accord litigieux. Autrement dit, conformément à l’article 101 TFUE, il est nécessaire d’opérer une comparaison entre le niveau de concurrence consécutif à l’exécution de l’accord et celui qui aurait existé en l’absence d’accord [53]. Cette approche dite plus économique (the more economic approach) vise à promouvoir des enquêtes empiriques sur les effets nets sur le bien-être des accords conclus par des entreprises bénéficiant d’un certain pouvoir de marché [54]. La principale vertu de cette méthode est qu’elle évite les risques d’erreurs de type I [55] et qu’elle renforce, de l’avis d’une récente étude, la crédibilité des mesures prises par les autorités de concurrence [56].

21À l’aune de cette méthode, comment les pratiques impliquant des fake news devraient-elle être appréhendées ? En pratique, la Commission devrait rechercher l’état dans lequel serait la concurrence sur le marché en l’absence d’« accord de fourniture de fake news » ou d’accord non écrit. Dans l’hypothèse où les éditeurs de presse auraient davantage de clics et seraient en meilleure position sur le fil d’actualité du réseau social, la Commission européenne devrait en déduire que la pratique porte atteinte à la concurrence. En effet, la pratique priverait les éditeurs de presse traditionnels des clics nécessaires à leur survie sur le marché de l’intermédiation de l’information. En d’autres termes, ces derniers seraient injustement privés de revenus tirés de la publicité en ligne à cause de l’accord. Dans le cas inverse, c’est-à-dire dans celui où la Commission conclurait que l’accord n’a eu aucun impact sur la concurrence, elle pourrait épargner l’entreprise poursuivie en ne prononçant aucune condamnation.

2220. Exemption de la pratique via l’application de l’article 101(3) TFUE : l’exemple de la défense fondée sur « l’amélioration de l’expérience de l’utilisateur ». Une dernière problématique mérite d’être exposée à l’aune du droit des ententes, celle de l’application de l’article 101(3) TFUE. Ce troisième paragraphe de l’article 101 permet à un accord d’être exempté s’il génère, en parallèle à ses effets restrictifs, des effets de bien-être. Précisément, pour que le texte soit appliqué, quatre conditions doivent être réunies. Il faut que l’accord litigieux (i) améliore la production ou la distribution des produits ou promeuve le progrès technique [57] ; (ii) réserve une partie équitable du profit qui en résulte ; (iii) impose aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ; et (iv) donne à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence. Pour les besoins de notre démonstration, nous nous attarderons uniquement sur la première condition, c’est-à-dire celle portant sur l’amélioration du bien-être, car, si celle-ci devait faire défaut, l’article serait en effet inapplicable.

23Pour justifier la pratique impliquant des fake news à l’aune du bien-être, Facebook pourrait invoquer des gains d’efficacité qualitatifs. Autrement dit, le réseau social démontrerait que son accord améliore les services fournis aux utilisateurs de la plateforme. On parlerait, dans ce cas, d’une défense fondée sur « l’amélioration de l’expérience de l’utilisateur ». Cette hypothèse a déjà été relevée par Antoinette Rouvroy qui explique que « la justification formelle des récoltes massives de données sur les plateformes, sont bien souvent, l’“amélioration de l’expérience de l’utilisateur” : un certain type d’expérience de l’utilisateur qui rencontre les exigences de l’actionnariat des plateformes, expérience à travers laquelle l’utilisateur devient de plus en plus “producteur” de revenus pour les plateformes en “cliquant” davantage sur les liens publicitaires qui lui sont proposés, en laissant davantage de “signaux” permettant de mieux le “profiler”, etc. » [58]. A priori séduisante, il nous semble cependant que cette défense devrait aujourd’hui être retenue avec réserve, l’affaire Cambrige Analytica ayant révélé les dérives de la collecte massive des données personnelles par Facebook. Dans cette affaire, Facebook est accusé de ne pas avoir protégé les données personnelles de ses utilisateurs en laissant la société Cambrige Analytica récupérer, à leur insu, les données de 87 millions d’utilisateurs. Ces données ont été par la suite utilisées pour appuyer la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016. Dans le même ordre d’idées, on peut se demander pourquoi la collecte de données personnelles via les fake news – laquelle est aussi destinée à des fins de ciblage publicitaire – ne ferait pas l’objet des mêmes dérives. À cet égard, la consistance de la défense fondée sur « l’amélioration de l’expérience de l’utilisateur » apparaît peu résiliente – ou à tout le moins douteuse – et Facebook semble l’avoir compris. Dans un communiqué du 28 mars dernier, passé quelque peu inaperçu, l’entreprise américaine a indiqué qu’elle ne fournirait plus à ses annonceurs des données personnelles agrégées par des entreprises tierces aux fins de ciblages publicitaires [59]. Faut-il déduire de ce changement de cap que le ciblage publicitaire n’est pas un moyen d’améliorer l’expérience de l’utilisateur ?

2 – Les fake news saisies par le droit de l’abus de position dominante

2421. Concentration du marché. Les marchés du numérique ont des spécificités propres. À ce jour, « une poignée d’intermédiaires numériques dotés de méga-plateformes contrôlent de manière efficace des points d’accès pour des utilisateurs potentiels » [60]. Aussi, pour étudier l’impact potentiel des fake news sur le marché, est-il important tout d’abord de s’intéresser au modèle économique de Facebook et Google. Cette méthode nous permettra d’aborder le problème de la domination de ces entreprises sur le marché (2.1.) et d’examiner par la suite si les autorités de concurrence doivent s’inquiéter d’éventuels problèmes d’abus de domination (2.2.).

2.1 – Le problème de la position dominante des entreprises sur le marché

2522. Modèle économique et domination du marché. Avant d’examiner si Google et Facebook dominent leurs marchés respectifs (2.1.2.), présentons d’abord leur modèle économique (2.1.1.).

2.1.1 – Le modèle économique des entreprises

2623. Les spécificités des marchés bifaces. Pour devenir incontournables sur le marché, Facebook et Google ont dû bâtir des modèles économiques à la fois fiables et viables. À cet égard, les deux mastodontes américains se sont appuyés sur un modèle similaire. Que ce soit pour Facebook ou pour Google, on retrouve le modèle des marchés bifaces, voire multifaces, lesquels se caractérisent par la mise en relation de plusieurs catégories distinctes de clients par l’intermédiaire d’une plateforme [61] : d’un côté, des annonceurs publicitaires et des producteurs de contenus, de l’autre, des utilisateurs ou des internautes. Autrement dit, la force du modèle économique des deux entreprises repose sur leur plateforme d’intermédiation : le réseau social pour Facebook, le moteur de recherche pour Google.

27À la différence des marchés traditionnels, ces entreprises ne génèrent pas de revenus uniquement au moyen d’effets de réseaux directs, lesquels surviennent lorsque l’utilité d’un produit augmente à mesure que d’autres personnes utilisent le produit [62]. Pour augmenter leur chiffre d’affaires, les entreprises se nourrissent d’effets de réseaux indirects. Précisément, « sur un versant du marché (les annonceurs publicitaires), la demande sera d’autant plus forte que sur l’autre les utilisateurs (i.e. les lecteurs ou les internautes) seront nombreux. En d’autres termes, l’utilité des participants à un versant du marché ne dépend pas du nombre de participants sur ce même versant (cas des effets de réseaux directs) mais du nombre de participants sur l’autre versant. Ainsi, il est rationnel de ne pas faire payer le vrai prix de la prestation du côté des utilisateurs pour maximiser leur demande de façon à attirer le plus possible d’annonceurs sur l’autre versant du marché » [63]. Cependant, les effets de réseaux directs demeurent très utiles pour Facebook et Google, car ils peuvent ériger des barrières à l’entrée difficilement dépassables pour les concurrents. Ces externalités de réseaux peuvent conduire les concurrents à ne jamais disposer de la taille critique nécessaire en termes de nombre d’utilisateurs et, ce faisant, empêcher les entreprises rivales de livrer concurrence de manière significative [64].

2824. Deux modèles identiques, mais deux stratégies distinctes. Bien que leur modèle économique soit semblable, les deux entreprises ont façonné des stratégies commerciales singulières pour augmenter leurs revenus tirés de la publicité en ligne. Pour Facebook, il s’agit de garder le plus longtemps possible les utilisateurs sur la plateforme. En d’autres mots, l’objectif de l’entreprise est de pousser les utilisateurs à cliquer sur des contenus postés sur le fil d’actualité des utilisateurs. Le raisonnement économique est le suivant : plus les utilisateurs resteront sur la plateforme et plus Facebook sera capable de collecter des données sur eux. Par ce fait, les annonceurs seront attirés par l’attractivité de la plateforme en termes d’attention des consommateurs et souhaiteront placer leurs publicités sur le réseau social [65]. Autrement dit, plus les utilisateurs navigueront sur le réseau social et plus Facebook sera rémunéré pour le service gratuit qu’il leur propose. Nous verrons que les fake news peuvent potentiellement être un moyen efficace de garder les utilisateurs sur la plateforme. Quant à l’entreprise Google, elle a élaboré une autre stratégie commerciale. Cela est dû au fait que l’entreprise est verticalement intégrée. En pratique, Google ne propose plus seulement des services de recherche en ligne. L’entreprise s’est diversifiée et possède entre autres des services e-mails (Gmail), des services de comparaison en ligne (Google shopping) ou des services de vidéo (YouTube). Ce faisant, le but de Google n’est pas de maintenir les internautes sur une page de recherche, mais de les diriger prioritairement vers un de ses services. En dégradant les résultats des recherches, et en plaçant des services concurrents plus bas sur la page de résultats, Google pourrait alors bénéficier de revenus supplémentaires non mérités [66]. Dans le contexte des fake news, l’entreprise pourrait par exemple diriger les internautes vers un lien YouTube sur lequel le visionnage d’une publicité serait nécessaire pour accéder à la vidéo porteuse de la fausse nouvelle. Par ce moyen, Google pourrait tirer un revenu à partir d’informations dont elle connaît le caractère erroné ou déceptif.

2.1.2 – La position dominante des entreprises

2925. Deux entreprises vraisemblablement en position dominante sur le marché des réseaux sociaux et des moteurs de recherche. Pour évaluer la position dominante des entreprises sur le marché, le droit européen de la concurrence s’appuie sur un certain nombre de facteurs permettant d’établir la domination d’une entreprise sur le marché. Les principaux facteurs sont les parts de marché de l’entreprise et les barrières à l’entrée. En effet, par l’arrêt Hoffmann-La Roche, la Cour de justice a estimé que « l’existence d’une position dominante peut résulter de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants, mais que parmi ces facteurs l’existence de parts de marché d’une grande ampleur est hautement significative » [67]. Le Tribunal de l’Union européenne a ajouté qu’« une part de marché de 70 à 80 % constitue, en elle-même, un indice clair de l’existence d’une position dominante » [68]. Or Google détient une part de marché de 90 % dans l’Union européenne, de sorte que sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche semble incontestable. La Commission européenne l’a d’ailleurs récemment retenue dans l’affaire Google Shopping[69]. Pour certains auteurs, Google aurait un pouvoir de marché significatif qui reposerait principalement sur son « pouvoir d’extraire des données » (« data power ») [70] et sur son algorithme. De plus, les effets de réseau que nous avons évoqués précédemment consolident ce pouvoir de marché étant donné qu’ils peuvent constituer de véritables barrières à l’entrée. Enfin, rappelons qu’il n’est pas nécessaire qu’une « entreprise ait éliminé toute possibilité de concurrence pour être en situation de position dominante » [71]. Partant, le fait qu’il existe des concurrents de Google sur le marché – songeons à Bing et Yahoo – n’est pas un obstacle à l’établissement d’une position dominante. Quant à la position dominante de Facebook, elle semble tout aussi vraisemblable. Récemment, c’est l’autorité allemande de la concurrence qui a jugé que l’entreprise détenait une position dominante sur le marché des réseaux sociaux. Avec plus de deux milliards d’utilisateurs à travers le monde, les doutes quant au poids de Facebook sur le marché sont à vrai dire très faibles. Le principal indice de cette domination ne résiderait pas seulement dans les parts de marché élevées que Facebook détiendrait sur le marché européen. Il se cristalliserait autour d’une évidente barrière à l’entrée, à savoir le fait que les possibilités pour les utilisateurs de changer de réseau social sont extrêmement limitées [72]. Cette situation rend la contestabilité de la position de Facebook sur le marché très difficile pour des concurrents potentiels.

3026. L’insuffisance de la position dominante. Toutefois, le droit européen de la concurrence ne condamne pas l’acquisition ni le maintien d’une position dominante sur le marché. En effet, une telle position a pu être acquise par les mérites, c’est-à-dire grâce à la qualité des produits et des services proposés par les entreprises. En d’autres termes, l’article 102 TFUE ne sanctionne pas les comportements qui conduisent à la position dominante sur le marché. Il prohibe uniquement les abus de position dominante [73]. L’identification d’une position dominante ne suffit donc pas pour appliquer les règles européennes de concurrence. La Cour de justice a clairement jugé que « la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, mais signifie seulement qu’il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun » [74]. Il reste alors à se demander si l’utilisation de fake news pourrait être qualifiée d’abus de position dominante.

2.2 – Le problème de la caractérisation de l’abus

3127. Absence de définition du mot abus. L’absence de définition légale du mot abus offre une grande liberté à la Commission européenne pour sanctionner des entreprises en position dominante. Quand on examine attentivement la jurisprudence de la Cour de justice, il est possible d’identifier de nombreuses expressions assez vagues, lesquelles permettent à l’institution bruxelloise de saisir un spectre très large de comportements. Dans l’arrêt Hoffman-La Roche par exemple, la Cour de justice a appréhendé l’abus comme toute pratique qui ne peut pas être regardée comme « une concurrence normale » [75]. Elle n’a cependant rien dit de ce qu’il fallait comprendre par cette expression. Dans un autre arrêt, la même Cour a utilisé cette fois-ci l’expression « concurrence par les mérites », mais ne l’a pas plus définie [76]. C’est la doctrine qui en a circonscrit le sens. Pour le Professeur Decocq, la concurrence par les mérites permettrait d’opérer « un jugement de valeur sur le comportement de l’entreprise en position dominante » [77], ce qui pose un problème. En effet, le jugement de valeur a fatalement une coloration subjective alors que l’abus de position dominante doit normalement être apprécié de façon objective [78]. Pour cette raison, une partie de la doctrine a pu avoir une appréciation assez sévère de cette expression [79]. Quoi qu’il en soit, il nous semble que l’élasticité des standards pour établir un abus est si grande qu’il est permis d’estimer de façon réaliste que la Commission européenne possède les moyens juridiques de condamner l’utilisation de fake news via l’application de l’article 102 TFUE. Quel serait alors cet abus ? (2.2.1.) Existerait-il une défense valable pour échapper à une sanction ? (2.2.2.)

2.2.1 – Les abus envisageables

3228. Une pratique discriminatoire ? En diffusant des fake news sur leur mur numérique, Facebook et Google pourraient porter atteinte à la concurrence sur le marché des sites d’information. En effet, en captant l’attention des internautes sur leur plateforme via les fake news, ces « big-infomédiaires » [80] pourraient réduire le trafic vers les sites d’information en ligne et priver ces derniers de revenus indispensables pour rémunérer les journalistes dont le travail consiste précisément à la fois à lutter contre les fake news et à délivrer des informations dont la véracité est certaine. Par ailleurs, comme Facebook et Google dominent respectivement le marché des réseaux sociaux et de la recherche en ligne, leur algorithme a un poids considérable sur le flux d’informations qui circulent sur Internet. En raison du manque de concurrence et de son monopole sur le marché, Facebook pourrait bien paramétrer son algorithme pour servir ses propres intérêts financiers en privilégiant la mise en ligne de fake news qui maintiendraient la présence des internautes sur sa plateforme. En effet, les fake news les plus efficaces influencent significativement les internautes. Une étude a montré que « l’engagement sur Facebook (likes, commentaires, partages) était en fait plus important pour les vingt premières fake news que pour les premières véritables informations » [81]… La France sera rapidement – si ce n’est déjà – concernée par ce problème. Selon une étude, 40 % des Français ont recours aux réseaux sociaux pour se tenir informés, et le réseau le plus populaire de ces derniers est Facebook [82]. Ce chiffre devrait croître si on le compare aux tendances d’autres pays comme les États-Unis. Ce faisant, en diffusant des fake news, Facebook pourrait user de son pouvoir de monopole pour évincer des sites d’information fiables du marché français. Parallèlement, étant donné que l’internaute reste sur le réseau social, Facebook engrangerait davantage de revenus avec la publicité en ligne.

3329. Un effet de levier ? La diffusion de fake news pourrait aussi être qualifiée d’effet de levier. Ces pratiques d’effet de levier concernent des cas dans lesquels des entreprises ayant des positions prépondérantes sur certains marchés de services les utilisent pour développer des positions sur d’autres marchés, et, le cas échéant, distordre la concurrence sur ces derniers. Autrement dit, la position dominante bascule sur le second marché et les concurrents en sont à terme exclus. Dans l’hypothèse visée, Facebook pourrait par exemple utiliser sa position dominante sur le marché des réseaux sociaux et permettre que des fake news inondent graduellement son fil d’actualité. Celles-ci permettraient d’écarter au fur à mesure les sites d’information traditionnels de la plateforme d’intermédiation. Avec cette stratégie, l’entreprise américaine pourrait lancer son propre service d’information en ligne et, ainsi, inciter les utilisateurs du réseau social à rester sur la plateforme et à ne pas la quitter pour aller consulter une information sur le site d’un éditeur de presse traditionnel. De la même manière que dans l’affaire Google Shopping, Facebook donnerait la priorité à son contenu informationnel en le plaçant en bonne position sur le fil d’actualité de la plateforme, et ce au détriment des sites d’information concurrents. Ce comportement pourrait ne pas correspondre à une concurrence par les mérites. Dans cette hypothèse, la position dominante sur le marché des sites d’information (le marché aval) ne serait pas due à la qualité du traitement de l’information réalisé par Facebook, mais à sa position dominante sur le marché des réseaux sociaux (le marché amont). Selon une auteure, cette stratégie est déjà à l’œuvre s’agissant de l’application mobile de Facebook. Mme Hubbard explique que Facebook a modifié son application afin de dissuader les utilisateurs de quitter la plateforme [83]. Lorsque l’utilisateur clique sur un lien, c’est un navigateur de recherche interne à l’application qui renvoie vers le site Internet désiré. Mais ce navigateur est volontairement paramétré pour être moins rapide qu’un navigateur classique du type Safari ou Google Chrome. L’attente créée pour consulter le site désiré décourage parfois l’utilisateur d’aller sur ce dernier.

3430. Un refus de donner accès à la plateforme ? Enfin, le comportement consistant à appliquer un algorithme qui sélectionnerait des fake news pourrait être assimilé à un refus de donner accès à la plateforme d’intermédiation, à savoir un refus de contracter. Par ce comportement, Facebook bloquerait l’accès à des sites d’information, lesquels se verraient évincés d’une plateforme populaire réunissant le plus grand nombre d’utilisateurs. Ce comportement pourrait tomber sous le coup de l’article 102 TFUE, à condition de qualifier le réseau social de « facilité essentielle ». Autrement dit, la plateforme devrait être regardée comme une installation « qui s’avère non aisément reproductible et dont l’accès est indispensable aux tiers pour exercer leur activité sur le marché » [84]. Cette qualification apparaît cependant incertaine tant la théorie des facilités essentielles a été strictement encadrée par la Cour de justice. Pour qu’elle soit applicable, il faudrait déjà démontrer qu’aucun produit de substitution réel ou potentiel n’est à la disposition des concurrents du marché en aval [85]. La tâche s’annonce à cet égard fort ardue.

2.2.2 – La défense potentielle

3531. Le droit à la portabilité, un moyen de défense pour l’opérateur en monopole ? La difficulté pour caractériser un abus pourrait être accrue à l’avenir avec l’entrée en vigueur du Règlement général sur les données personnelles (RGPD) [86]. Son article 20 prévoit un droit à la portabilité des données. Précisément, ce nouveau règlement accorde le droit aux utilisateurs d’un réseau social, par exemple, de solliciter l’extraction d’une partie de leurs données personnelles stockées dans la mémoire de la plateforme pour les transmettre à celle d’une autre plateforme [87]. En d’autres termes, avec ce nouveau droit, les utilisateurs seront moins prisonniers du réseau social qui monopolise actuellement le marché. Jusqu’alors, les utilisateurs du réseau social Facebook ont plutôt été rétifs à l’idée de quitter la plateforme qu’ils utilisent par crainte de perdre toutes les photographies et informations postées sur le réseau, c’est-à-dire une partie de leur histoire personnelle. En effet, même lorsque les utilisateurs sont mécontents du service, parce qu’il génère par exemple trop de fake news, ils y restent, car leurs données y sont stockées. Des auteurs ont qualifié cette interdiction de la portabilité des données de « barrière à l’entrée » [88]. L’impossibilité de transférer les données d’une plateforme à une autre augmenterait les coûts de remplacement (switching costs) pour les concurrents potentiels et générerait des effets de blocage (lock-in effects) [89]. Non reproductibles par les concurrents, les données personnelles peuvent alors constituer un atout concurrentiel considérable, « susceptible d’avoir un effet d’éviction » [90]. En permettant aux utilisateurs de passer librement d’un réseau social à un autre sans perdre les données accumulées pendant de nombreuses années, le droit à la portabilité remettra de la concurrence sur le marché. Il pourrait devenir un instrument efficace pour contester les oligopoles et monopoles en place sur le marché de l’intermédiation de l’information en ligne. Ainsi, Facebook pourrait être contraint d’adopter une politique plus rigide à l’égard des fake news et d’élaborer un algorithme qui les filtrerait beaucoup plus efficacement. Cependant, si l’entreprise de Menlo Park refusait de modifier sa politique, elle pourrait bien rester à l’abri de l’application de l’article 102 TFUE. Pour réfuter la qualification d’abus, elle pourrait opposer que les utilisateurs de son service ont avec le RGPD la possibilité de se tourner vers un autre réseau social qui serait peut-être plus soucieux de la propagation des fake news. Ce faisant, les sites d’information évincés du service de Facebook ne pourraient plus opposer l’argument du verrouillage de leur activité puisque d’autres réseaux sociaux pourraient leur offrir une visibilité sur Internet. Dans ces conditions, il sera certainement beaucoup plus difficile pour une autorité de concurrence de démontrer une atteinte au bien-être du consommateur. Avec le droit à la portabilité, la liberté de choix du consommateur ne serait probablement plus affectée. En pratique, les consommateurs pourraient choisir librement les meilleurs produits et services correspondant à leurs besoins [91]. Ils éviteraient ainsi un réseau social qui se nourrit de fake news pour préférer une plateforme plus regardante sur les informations qu’elle diffuse. En définitive, ces arguments laissent à penser que le droit de la concurrence ne serait pas nécessairement le dispositif adéquat pour restaurer la loyauté des pratiques entre petits producteurs informationnels et les grands intermédiaires. Tout au plus pourrait-il intervenir dans des hypothèses très caricaturales où l’abus s’avérerait patent.

3632. Conclusion. Dans les prochaines années, les fake news pourraient devenir un problème de concurrence. L’étude a essayé de montrer que certaines pratiques, à ce jour non détectées sur le marché, pourraient bien avoir la capacité de rompre le jeu normal de la concurrence. Certaines d’entre elles prendraient la forme de comportements collusoires tandis que d’autres pourraient être élaborées afin d’asseoir un pouvoir de marché déjà existant. Quoi qu’il en soit, les marges de manœuvre pour traiter ces comportements sont appréciables. Que ce soit par le droit des ententes ou le droit de l’abus de position dominante, la Commission européenne dispose d’outils juridiques adaptés à l’économie du numérique. En effet, les articles 101 et 102 TFUE apparaissent mobilisables pour dissuader et sanctionner les géants de l’Internet dans les cas où ces derniers céderaient à la tentation de mettre en œuvre des comportements attentatoires à l’ordre public concurrentiel. L’affaire Google Shopping a créé un précédent qui autorise à penser que la Commission européenne a la volonté de discipliner les entreprises du numérique lorsqu’elles franchissent la ligne rouge de la licéité. Cette dernière devra toutefois éviter l’écueil de ce que le prix Nobel d’économie, Ronald Coase, nommait « l’explication par le monopole » [92]. C’est à cette aune que la crédibilité des futures décisions de la Commission européenne sera mesurée.


Mots-clés éditeurs : algorithme, abus de position dominante, fake news, économie du numérique, données personnelles, big data, publicité en ligne, droit de la concurrence, entente

Mise en ligne 09/07/2018

https://doi.org/10.3917/ride.321.0017

Notes

  • [1]
    Les fake news recouvrent un spectre très large de « fausses nouvelles » ou de « fausses informations ». Elles peuvent être intentionnelles ou non intentionnelles, émaner d’entreprises ou de personnes physiques sur les réseaux sociaux, ou plus largement sur Internet. Les fake news peuvent aussi apparaître comme de véritables informations, mais qui, volontairement décontextualisées, deviennent trompeuses pour les destinataires. Sur le sujet, J. Gacon, « Loi contre les fake new : une vraie bonne nouvelle ? », Dimanche et après ?, France culture, 7 janvier 2018.
  • [2]
    Historiquement, une fake news était assimilée à une farce, une satire. On peut lire sous la plume d’un auteur que « le terme fake news a été utilisé dans un sens très large par un programme américain satirique d’information animé par Jon Stewart et qui se présentait ouvertement et ironiquement comme basé sur des “infos truquées” ». Voy. J. Harsin, « Un guide critique des fake news : de la comédie à la tragédie », in La datacratie, Pouvoirs 2018/1, n° 164, p. 99, spéc. p. 100.
  • [3]
    L. Costes, « Annonce par Emmanuel Macron d’un projet de loi visant à lutter contre les fausses informations », RLDI, 2018, n° 144, p. 29. Certains considèrent ce projet de loi comme inutile et dangereux. Voy. C. Bigot, « Légiférer sur les fausses informations en ligne, un projet inutile et dangereux », D., 2018, n° 6, p. 344.
  • [4]
    F. Meuris-Guerrero, « Des algorithmes à l’intelligence artificielle », CCE, 2018, n° 2, alerte 9.
  • [5]
    CNIL, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre 2017, p. 36.
  • [6]
    En ce sens, voy. l’étude de la Professeure Delmas-Marty qui considère que nous sommes entrés dans l’ère de la « société digitale » et « hypernumérique », M. Delmas-Marty, « Où va le droit ? Entre pot au noir et pilotage automatique, le droit peut-il nous guider vers une mondialité apaisée ? », JCP G, 2018, n° 14, doctr. 403, p. 677, spéc. p. 684.
  • [7]
    A. Guyader, « Les enjeux du grand bouleversement », in La datacratie, Pouvoirs, 2018/1, n° 164, p. 7.
  • [8]
    Comm. eur., 27 juin 2017, Google Shopping, aff. AT.39740, publiée le 18 décembre 2017.
  • [9]
    Facebook possède environ 2 milliards d’utilisateurs à travers le monde. Récemment encore, il a été jugé en position dominante sur le marché des réseaux sociaux en Allemagne. Le Bundeskartellamt, l’autorité allemande de la concurrence, a estimé que la part de marché de Facebook s’élevait à 90 % sur ce marché. Voy. Bundeskartellamt, « Preliminary Assessment in Facebook Proceeding », Communiqué de presse, 19 décembre 2017.
  • [10]
    A. Piquard, « Facebook, une plate-forme qui reste imprévisible pour les médias », Le Monde, 12 janvier 2018.
  • [11]
    Précisément, cet article dispose qu’« est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : […] c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence. »
  • [12]
    Sur ce sujet, voy. par ex. R. Subiotto, « The Special Responsibility of Dominant Undertakings not to Impair Genuine Undistorted Competition », 18 World Competition 5 (1995), spéc. p. 6, qui explique qu’« en se référant à cette “responsabilité particulière”, la Cour de justice choisit un concept d’une portée considérable et adapté pour couvrir toute situation dans laquelle elle sentait instinctivement qu’une entreprise ne devrait pas être autorisée à agir comme elle a agi » (traduction libre). Dans la langue d’origine : « By referring to this “special responsability”, the ECJ chose a far-reaching concept, suitable to cover any situation in which it was instinctively felt that an undertaking, should not be permitted to act as it was acting » ; F. Marty, « De la notion de responsabilité particulière de l’opérateur dominant dans la politique de concurrence européenne : quelles conséquences sur les libertés économiques ? », in L. Potvin-Solis et H. Ueda (dir.), Économie de marché, droits et libertés et valeurs communes en Europe et en Asie, Publication de la Chaire Jean Monnet de l’Université de Lorraine, 2012, p. 181.
  • [13]
    CJCE, 9 novembre 1983, Michelin c. Commission européenne, aff. C-322/81, Rec. p. 3461, § 57.
  • [14]
    N. Petit, Droit européen de la concurrence, Paris, Montchrestien, 2013, n° 838, p. 306.
  • [15]
    Voy. par ex. CJCE, 21 février 1973, Europemballage et Continental Can c. Commission, aff. 6-72, Rec. p. 215, § 29 ; TPICE, 12 décembre 2000, Aéroports de Paris c. Commission, aff. T-128/98, Rec. p. II-3929, § 170.
  • [16]
    S. Hubbard, « Fake News is a Real Antitrust Problem », Competition International Policy, Antitrust Chronicle, December 2017, p. 1.
  • [17]
    V.-L. Benabou et J. Rochfeld, À qui profite le clic ? : Le partage de la valeur à l’ère du numérique, Paris, Odile Jacob, 2015, p. 41.
  • [18]
    S.B. Sacher & J.M. Yun, « Fake News is not an Antitrust Problem », Competition International Policy 2017, Antitrust Chronicle, December 2017, p. 1.
  • [19]
    M. Waelbroeck et A. Frignani, Commentaire J. Mégret, Droit de la CE : Concurrence, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1997, n° 120, p. 125.
  • [20]
    D. Bosco et C. Prieto, Droit européen de la concurrence. Ententes et abus de position dominante, Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 496, p. 435.
  • [21]
    TPICE, 26 octobre 2000, Bayer, aff. T-41/96, Rec. p. II-3383, § 69.
  • [22]
    J. Timmer, « Fighting Falsity: Fake News, Facebook, and The First Amemdment », 35 Cardozo Arts & Entertainment L.J., 669 (2017), spéc. p. 673.
  • [23]
    Sur le sujet de la relation des données et du droit de la concurrence, voy. par ex. N. Laneret, R. Knittel et A. Baudequin, « Protection des données personnelles : quand le droit de la concurrence s’en mêle… », Dalloz IP/IT, 2017, n° 12, p. 619 ; J. Drexl, « Designing Competitive Markets for Industrial Data – Between Propertisation and Acess », 8 Journal of Intellectual Property, Information Technology and Electronic Commerce Law, 257 (2017), spéc. pp. 278 et s. ; C. Townley, E. Morrison & K. Yeung, « Big Data and Personalized Price Discrimination in EU Competition Law », 36 Yearbook of European Law 683 (2017). Plus largement, voy. M. Patterson, Antitrust Law in New Economy: Google, Yelp, LIBOR, and the Control of Information, Harvard University Press, 2017, 336 p.
  • [24]
    Il convient de noter que, depuis un récent arrêt de la Cour de justice, la qualité de consommateur de l’utilisateur du réseau social ne fait plus aucun doute. CJUE, 25 janv. 2018, M. Schrems c. Sté Facebook, aff. C-434/15, Rec. num. ECLI:EU:C:2017:981, CCE 2018, n° 3, comm. 19, obs. G. Loiseau.
  • [25]
    Sur cette question, le récent avis de l’Autorité de la concurrence sur la publicité en ligne est fort instructif. L’Autorité de la concurrence française a mis en lumière le fait que « Facebook et Google apparaissent comme les deux leaders du secteur de la publicité en ligne. Ils fournissent principalement des services gratuits aux internautes et génèrent l’essentiel de leurs revenus à travers la commercialisation de services publicitaires aux éditeurs et annonceurs, qui sont fondés sur l’exploitation de volumes colossaux d’informations sur les individus, les éditeurs, et les annonceurs. Ces données sont ensuite valorisées et commercialisées par leur intégration à différents services publicitaires, permettant notamment de cibler des segments d’audience, d’adresser les publicités, et de fournir des informations sur le déroulement des campagnes pour améliorer leurs performances. » Voy. Aut. conc., Avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur Internet, p. 5.
  • [26]
    J. Rochfeld, « Le “contrat de fourniture de contenus numériques” : la reconnaissance de l’économie spécifique “contenus contre données” », Dalloz IP/IT, 2017, n° 1, p. 15.
  • [27]
    Par ailleurs, il convient de noter qu’un objectif à valeur constitutionnelle en France pourrait par ricochet être touché par cette pratique : le principe du pluralisme des médias. Voy. Cons. const., 11 octobre 1984, déc. n° 84-181. Au considérant 38 de cette décision, il est énoncé que « le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu’en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ».
  • [28]
    CJCE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma, aff. T-41/69, Rec., p. 661.
  • [29]
    Communication de la Commission, Lignes directrices concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité, § 15, JOUE, C, 101, 27 avril 2004, p. 97.
  • [30]
    A. Ezrachi & M.E. Stucke, Virtual Competition: The Promise and Perils of the Algorithm-Driven Economy, Harvard University Press, 2016, p. 39.
  • [31]
    N. Petit, Droit européen de la concurrence, op. cit., n° 574, pp. 218-219.
  • [32]
    Sur le sujet, voy. not. L. Idot, « Le retour de l’objet anticoncurrentiel », Concurrences, n° 4-2009, p. 1, qui explique que « la distinction objet/effet concerne non l’existence de l’atteinte à la concurrence, mais sa preuve, avec pour conséquence pratique, un allégement de la charge de la preuve au profit des autorités de concurrence ».
  • [33]
    Voy. CJCE, 13 juillet 1966, Consten et Grundig, aff. 56/64, Rec. p. 429, spéc. p. 496, dans laquelle la Cour de justice énonce qu’« aux fins de l’application de l’article [101, paragraphe 1 du TFUE], la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue dès lors qu’il a pour objet de restreindre, empêcher ou fausser la concurrence ».
  • [34]
    D. Gerard, « The Effects-based Approach under Article 101 TFEU and its Paradoxes: Modernisation at War with Itself? », in J. Bourgeois & D. Waelbroeck (eds.), Ten Years of Effect-based Approach in EU Competition Law - State of Play and Perspectives, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 17.
  • [35]
    On doit la paternité de cette expression au Professeur Wish qui parle d’object box dans son ouvrage sur le droit de la concurrence. Voy. R. Wish, Competition Law, London, Butterworths, 2001, 4th ed., 913 p. Cette image consiste à dire qu’il existe un grand nombre de restrictions dont on peut présumer, à l’évidence et à coup sûr, qu’elles produisent des effets anticoncurrentiels, si bien qu’il est possible de les enfermer dans une boîte.
  • [36]
    L. Vogel, « Une nouvelle venue sur la scène du droit de la concurrence : la restriction par objet », Contrats, conc. consom., 2015, n° 5, dossier 2.
  • [37]
    CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière, aff. 56/65, Rec., p. 337, spéc. p. 359.
  • [38]
    CJUE, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, aff. C-67/13 P, Rec. num., EU:C:2014:2204.
  • [39]
    Pour certains auteurs, l’arrêt Groupement des cartes bancaires est un rappel de principes anciens qui n’auraient jamais dû être oubliés. J. Killick & J. Jourdan, « Cartes bancaires: a Revolution or a Reminder of old Principles We Should Never Have Forgotten? », CPI, Antitrust Chronicle, December 2014, p. 1.
  • [40]
    CJUE, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, préc., § 49.
  • [41]
    Ibid., § 51. Par le passé, cette notion d’expérience n’était mentionnée que dans les lignes directrices de la Commission européenne ou dans les conclusions des avocats généraux.
  • [42]
    A. Giraud, « Exégèse de l’arrêt Groupement des cartes bancaires », RLDA, 2014, n° 98, p. 43, spéc. p. 46.
  • [43]
    CJUE, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, préc., § 58. Ce principe a récemment été réaffirmé par la Cour de justice dans un arrêt préjudiciel. Voy. CJUE, 26 novembre 2015, Maxima Latvija c. Konkurences, aff. C-345/14, § 18, Rec. num., ECLI:EU:C:2015:784.
  • [44]
    N. Petit, « La rationalisation au long cours de la restriction de concurrence par “objet” dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne », AJ Contrat, 2015, n° 10, p. 422.
  • [45]
    D. Waelbroeck & D. Slater, « The Scope of Object Vs Effect Under Article 101 TFEU », in J. Bourgeois & D. Waelbroeck (eds.), Ten Years of Effect-based Approach in EU Competition Law. State of Play and Perspectives, op. cit., p. 131, spéc. p. 145.
  • [46]
    Voy., par ex., CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile, aff. C-8/08, § 20, Rec., p. I-4529 : « La jurisprudence de la Cour en matière de concurrence pourrait être interprétée en ce sens qu’un accord ou une pratique concertée vise à restreindre la concurrence si l’expérience montre que ledit accord ou ladite pratique a toujours ou presque toujours pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, quelles que soient les circonstances économiques. Tel est le cas […] lorsque les conséquences dommageables réelles sont indéniables et se produiront quelles que soient les caractéristiques du marché en cause ».
  • [47]
    L. Idot, « La qualification de la restriction de concurrence, à propos des lignes directrices de la Commission concernant l’application de l’article 81, § 3 CE », in G. Canivet (dir.), La modernisation du droit de la concurrence, Paris, LGDJ, 2006, p. 85, spéc. p. 93.
  • [48]
    S.B. Sacher & J.M. Yun, « Fake News is not an Antitrust Problem », op. cit., p. 1.
  • [49]
    M. Malaurie-Vignal, Droit de la concurrence interne et européen, Paris, Sirey, 2017, 7e éd., n° 538, p. 232.
  • [50]
    Comm. eur., Communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne (de minimis), JOUE, C 368, 22 décembre 2001, p. 13.
  • [51]
    Comm. eur., Communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE, C 291, 30 août 2014, p. 1.
  • [52]
    CJUE, 13 décembre 2012, Expédia, aff. C-226/11, Rec. num., ECLI:EU:C:2012:795.
  • [53]
    D. Geradin & I. Girgenson, « The Counterfactual Method in EU Competition Law: The Cornerstone of the Effects-Based Approach », in J. Bourgeois & D. Waelbroeck (eds.), Ten Years of Effect-based Approach in EU Competition Law - State of Play and Perspectives, op. cit., p. 211.
  • [54]
    D. Gerard, « The Effects-based Approach under Article 101 TFEU and its Paradoxes: Modernisation at War with itself? », op. cit., p. 29.
  • [55]
    Les erreurs de type I, également appelées « faux positifs », représentent des situations dans lesquelles une autorité de concurrence ou un juge condamne une pratique qui, en réalité, n’est pas anticoncurrentielle.
  • [56]
    OCDE, Les régimes de protection et les présomptions légales en droit de la concurrence, 29 novembre 2017, DAF/COMP(2017)9. Dans le résumé de cette étude, l’OCDE juge que « le recours accru à l’analyse économique dans l’application du droit de la concurrence a renforcé la crédibilité et la précision des mesures prises par les autorités de la concurrence. En contrepartie, il a également augmenté le coût d’application des règles de concurrence et introduit un degré plus élevé d’insécurité juridique relative aux comportements susceptibles d’être remis en question par le droit de la concurrence. »
  • [57]
    Les spécialistes parlent de la condition d’« amélioration du bien-être ». Voy. N. Petit, Droit européen de la concurrence, op. cit., p. 249.
  • [58]
    A. Rouvroy, « La robotisation de la vie ou la tentation de l’inséparation », in H. Jacquemin et A. de Streel (dir.), L’intelligence artificielle et le droit, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 13, 26-27.
  • [59]
    P. Signoret, « Ciblage publicitaire : Facebook va cesser de travailler avec des agrégateurs de données », Le Monde, 29 mars 2018.
  • [60]
    M.S. Gal & N. Elkin-Koren, « Algorithmic Consumers », 30 Harvard Journal of Law & Technology 309 (2017), spéc. pp. 334-335 (traduction libre) : « Currently a handful of digital intermediaries with mega platforms control effective points of access to potential users. » Dans le même sens, on peut lire dans le récent avis de l’Autorité de la concurrence que « Facebook et Google apparaissent comme les deux leaders du secteur de la publicité en ligne. Ils fournissent principalement des services gratuits aux internautes et génèrent l’essentiel de leurs revenus à travers la commercialisation de services publicitaires aux éditeurs et annonceurs, qui sont fondés sur l’exploitation de volumes colossaux d’information ». Voy. Aut. conc., Avis n° 18-A-03, préc., p. 5.
  • [61]
    M. Behar-Touchais, « Concurrence et gratuité », in N. Martial-Braz et C. Zolinski (dir.), La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit, Paris, LGDJ, 2013, p. 185, spéc. p. 188.
  • [62]
    M.L. Katz & C. Shapiro, « Network Externalities, Competition, and Compatibility », 75 The American Economic Review 424 (1985).
  • [63]
    E. Malavolti et F. Marty, « La gratuité peut-elle avoir des effets anticoncurrentiels ? Une perspective d’économie industrielle sur le cas Google », in N. Martial-Braz et C. Zolinski (dir.), La gratuité, un concept aux frontières de l’économie et du droit, op. cit., spéc. p. 72.
  • [64]
    A. Ezrachi & M.E. Stucke, Virtual Competition: The Promise and Perils of the Algorithm-Driven Economy, op. cit., p. 133.
  • [65]
    S. Hubbard, « Fake News is a Real Antitrust Problem », op. cit., p. 3.
  • [66]
    C’est la conclusion qu’a récemment tirée la Commission européenne dans l’affaire du 17 juin 2017 concernant le service Google Shopping.
  • [67]
    CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, aff. 85/76, § 39, Rec. ; p. 461.
  • [68]
    TUE, 29 mars 2012, Telefónica, aff. T-336/07, § 150, Rec. num., ECLI:EU:T:2012:172.
  • [69]
    Dans sa décision, la Commission européenne a écarté l’argument du multi-homing. La position dominante de Google sur le marché des moteurs de recherche aurait pu être discutée en se fondant sur le fait que rien n’empêche les internautes de reproduire une même requête sur des moteurs de recherche concurrents. Cependant, la Commission a considéré que la confiance placée par les consommateurs dans la qualité du service de Google est telle que la position dominante doit être établie. Voy. Comm. eur., Google Shopping, préc., § 308.
  • [70]
    K. Torsten Körber, « Is Knowledge (Market) Power? On the Relationship between Data Protection, “Data Power” and Competition Law », January. 2018, p. 5, disponible sur ssrn.com.
  • [71]
    CJCE, 14 février 1978, United Brands, aff. 27/76, § 113, Rec., p. 207.
  • [72]
    Th. Schrepel, « Facebook, les réseaux sociaux et le droit de la concurrence », Contrats, conc. consom., 2013, alerte 17.
  • [73]
    D. Geradin & E. Elhauge, Global Antitrust Law & Economics, Foundation Press, 2007, p. 482. Comme l’a souligné la Professeure Frison-Roche, « le droit de la concurrence demeure entravé en ce qu’il n’est pas conçu pour traiter de la “dominance” d’un acteur ». Voy. M.-A. Frison-Roche, « L’apport de la notion d’entreprise cruciale à la régulation des plateformes », in Économies de plateformes : réguler un modèle dominant ?, Paris, 23 octobre 2014, Concurrences, n° 2-2015, p. 1, spéc. p. 3.
  • [74]
    CJCE, 9 novembre 1983, Michelin c. Commission européenne, préc., § 57 (nous soulignons).
  • [75]
    CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, préc., § 6.
  • [76]
    Il convient de noter que, comme l’ont relevé certains auteurs s’agissant du droit civil, « l’ambiguïté de ces notions les rend peu aptes à des raisonnements déductifs rigoureux », mais « le juriste s’en accommode car elle lui permet d’assouplir l’application normale des règles légales ». H. Barbier et J. Ghestin, Traité de droit civil. Introduction générale, Paris, LGDJ, 2018, n° 116, p. 81.
  • [77]
    G. Decocq, « Concurrence par les mérites », in E. Le Dolley (dir.), Les concepts émergents en droit des affaires, Paris, LGDJ, 2010, p. 240. Dans le même sens, la Professeure Choné-Grimaldi a énoncé dans sa thèse de doctorat que « le raisonnement en droit de la concurrence ne peut […] jamais être entièrement objectif : l’appréciation de la valeur du comportement ne peut être occultée ». Voy. A.-S. Choné, Les abus de domination. Essai en droit des contrats et en droit de la concurrence, Paris, Economica, 2010, n° 410, pp. 267-268.
  • [78]
    CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, préc., § 6 : « La notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché ou, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours a des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence » (nous soulignons).
  • [79]
    Pour le Professeur Jenny, « les autorités de la concurrence ou les juridictions n’ont jamais fourni de définition précise de ce qui relève de la concurrence par les mérites, de telle sorte que la formule employée est, dans une large mesure, vide de sens et semble être davantage destinée à justifier les décisions des autorités de concurrence ou des juridictions qu’à permettre aux acteurs détenant un pouvoir de marché de savoir jusqu’où ils peuvent aller dans l’agressivité commerciale ». Voy. F. Jenny, « Abus de position dominante et modernisation de l’article 82 du traité CE », in F. Brunet et G. Canivet (dir.), Le nouveau droit communautaire de la concurrence, Paris, LGDJ, 2008, p. 281, spéc. p. 284.
  • [80]
    Nous reprenons le néologisme dont la paternité appartient à notre connaissance aux Professeures Benabou et Rochfeld. Voy. V.-L. Benabou et J. Rochfeld, À qui profite le clic ? Le partage de la valeur à l’ère du numérique, op. cit., p. 39.
  • [81]
    C. Silverman et al., « Hyperpartisan Facebook Pages are Publishing False and Misleading Information at an Alarming Rate », BuzzFeed, 20 octobre 2016 (traduction libre) : « Facebook engagement (likes, comments, shares) was actually greater for the top 20 fake news stories than the top 20 real news stories. »
  • [82]
    N. Newman et al., Reuters Institute Digital News Report 2017, Reuters Institute/University of Oxford, 2017, p. 11.
  • [83]
    S. Hubbard, « Fake News is a Real Antitrust Problem », op. cit., pp. 3-4.
  • [84]
    F. Marty et J. Pillot, « Le recours à la théorie des facilités essentielles dans la pratique décisionnelle des juridictions concurrentielles : ambiguïtés du droit et régulation de la concurrence », OFCE, document de travail, n° 2009-11, mai 2009, p. 1.
  • [85]
    Voy., par ex., CJCE, 6 avril 1995, Magill, aff. jtes C-241/91 P et C-242/91, §§ 52-53, Rec., p. I-743.
  • [86]
    Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), JOUE, L 119, 4 mai 2016, p. 1. Le récent rapport du mathématicien Cédric Villani révèle l’importance de ce règlement. Aux termes du rapport, « le RGPD est un instrument puissant de consolidation de l’écosystème numérique européen. Si ces dispositions avaient existé il y a 20 ans, il est probable que Facebook, Amazon ou Google n’auraient pas pénétré le marché européen aussi facilement et que la concurrence aurait pu démarrer sur des bases plus saines. Le délai nécessaire pour qu’ils s’adaptent à la réglementation aurait pu permettre aux entreprises européennes de développer des services compétitifs. » C. Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et européenne, 28 mars 2018, p. 29.
  • [87]
    A. Delforge et L. Gérard, « Notre vie privée est-elle réellement mise en danger par les robots ? Étude des risques et analyse des solutions apportées par le GDPR », in H. Jacquemin et A. de Streel (dir.), L’intelligence artificielle et le droit, op. cit., p. 143, spéc. pp. 182-183.
  • [88]
    M.S. Gal & D.L. Rubinfield, « Access Barriers to Big Data », 59 Arizona L. Rev., 339 (2017), spéc. p. 366. Voy. aussi. Ch. S. Yoo, « When Antitrust Met Facebook », 19 George Mason L. Rev., 1147 (2012), spéc. p. 1155.
  • [89]
    Ibid.
  • [90]
    R. Amaro, « Les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’Internet », in M. Behar-Touchais (dir.), L’effectivité du droit face à la puissance des géants de l’Internet, coll. Bibliothèque de l’IRJS - André Tunc, t. 74, IRJS Éditions, 2016, p. 59, spéc. p. 70.
  • [91]
    P. Nihoul, « “Freedom of Choice”: the Emergence of a Powerful Concept in European Competition Law », in P. Nihoul, N. Charbit & E. Ramundo (eds.), Choice: A New Standard for Competition Law Analysis?, New York, Institute of Competition Law, 2016, p. 9.
  • [92]
    R. Coase, « Industrial Organization: A Proposal for Research », in V.R. Fuchs (ed.), Policy Issues and Research Opportunities in Industrial Organization, NBER, 1972, p. 59, spéc. p. 67. Sous la plume du prix Nobel, on peut lire que « si un économiste trouve quelque chose – une pratique commerciale d’une sorte ou d’une autre – qu’il ne comprend pas, il cherche une explication par le monopole. Et comme il y a des domaines où nous sommes très ignorants, le nombre de pratiques incompréhensibles tend à être plutôt important, et le recours à une explication par le monopole, fréquent » (traduction libre). Dans la langue d’origine : « if an economist finds something – a business practice of one sort or other – that he does understand, he looks for a monopoly explanation. And as in this field we are very ignorant, the number of ununderstandable pratices tends to be rather large, and the reliance on a monopoly explanation, frequent. »
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