Couverture de RIDE_303

Article de revue

L’analyse comportementale du droit Manifeste pour un nouveau champ de recherche en Europe

Pages 315 à 338

Notes

  • [1]
    Cette question a reçu en anglais le nom de no reading problem et a été discutée dans plusieurs articles récents. S.I. Becher et E. Unger-Aviram, « The Law of Standard Form Contracts : Misguided Intuitions and Suggestions for Reconstruction », DePaul Business & Commercial Law Journal, 8, 2010, p. 199 ; Y. Bakos et al., « Does Anyone Read the Fine Print ? Consumer Attention to Standard Form Contracts », 43 Journal of Legal Studies 1, 2014, pp. 1-35 ; I. Ayres et A. Schwartz, « The No-Reading related Problem in Consumer Contract Law », 66 Stanford Law Review, 2015, p. 545.
  • [2]
    Voir not. P. Ancel, « Le droit in vivo ou plaidoyer d’un membre de la “doctrine” pour la recherche juridique empirique », in Mélanges en l’honneur de Philippe Jestaz, Paris, Dalloz, 2006, pp. 1-17.
  • [3]
    R. Savatier, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, Première série, Panorama des mutations, 3e éd., Paris, Dalloz, 1964, p. 17.
  • [4]
    Voir S.J. Morse et A.L. Roskies (eds.), A Primer on Criminal Law and Neuroscience, Oxford Series in Neuroscience, Law & Philosophie, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; P. Morvan, Criminologie, 2e éd., Paris, LexisNexis, 2016, n° 294. Les interrogations éthiques et juridiques sur le système judiciaire pénal qui y sont associées irriguent le « neurodroit ». Sur cette discipline, voir dossier Le cerveau, nouvel avocat de la justice ? – Le cerveau et la loi : éthique et pratique du neurodroit, Sciences Psy, mai 2015, n° 3 : Document de travail n° 2012-07, Centre d’analyse stratégique, sept. 2012 : http://archives.strategie.gouv.fr. En langue anglaise, voir not. M. Pardo et D. Patterson, Minds, Brains, and Law : The Conceptual Foundations of Law and Neuroscience, New York, Oxford University Press, 2014. Pour une bibliographie étendue, voir not. les travaux dirigés par O.D. Jones au sein du réseau Neurolaw : www.lawneuro.org. Typiquement, le visionnage par IRM ou électroencéphalogramme des aires cérébrales permet de repérer celles qui sont activées : cette information pourrait, dans le futur, permettre de révéler si un accusé ou un témoin ment ou dit la vérité. D’ores et déjà certaines juridictions (états-Unis, Royaume-Uni, Inde et Pays-Bas) autorisent l’accusé à prouver un trouble mental ou l’absence d’intention de façon indirecte par un électroencéphalogramme ou un scanner révélant une anomalie cérébrale comme une tumeur (voir L. Pignatel, « L’émergence du neurodroit dans le monde », Sciences Psy, mai 2015, n° 3, p. 43). En France, l’article 16-14 du Code civil (issu de la loi du 7 juillet 2011) dispose que « les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires » et avec le consentement exprès de la personne. Concernant les expertises judiciaires, l’usage de l’imagerie cérébrale se limite à l’évaluation de préjudices corporels comme le traumatisme crânien. Il faut noter que texte ne régit que la matière civile et n’érige donc pas d’obstacle dans une procédure pénale. Là, le principe de loyauté de la preuve pourrait cependant exclure la recevabilité d’une preuve ainsi obtenue (P. Morvan, Criminologie, op. cit., supra note 3). Au surplus, l’exonération de responsabilité pénale, ou la condamnation d’office sur le fondement de ce type de preuves ne paraît pas possible, car, ainsi qu’il a été souligné, ce ne sont pas des cerveaux, mais des gens qui commettent des infractions (« Brains do not commit crimes ; people commit crimes », S.F. Morse, « Brain Overclaim Syndrome and Criminal Responsibility : A Diagnostic Note », Ohio State Journal of Criminal Law, 2006, vol. 3, p. 397).
  • [5]
    Nous employons « sciences comportementales » dans un sens très large, qui correspond à celui de behavioural sciences. Il engloble l’économie comportementale ainsi que les différentes branches de la psychologie dont l’éclairage empirique peut être pertinent pour rendre compte des comportements individuels, des comportements de groupe ainsi que de la manière dont les individus traitent l’information, forment des jugements et prennent des décisions. Les branches de la psychologie qui sont particulièrment pertinentes sont la psychologie sociale et la psychologie cognitivo-comportementale, la psychologie du jugement et de la décision. Nous sommes conscients que cet usage est inhabituel pour nos collègues psychologues francophones.
  • [6]
    À notre connaissance, les seuls articles publiés en français s’inscrivent dans ce courant de recherche : A. Biard et M. Faure, « Ce que l’économie comportementale peut apporter aux juristes », RTD eur. 2015/4, pp. 715-137 ; les articles rassemblés dans Psycho-Droit, 1-2016, numéro spécial « La psychologie et le droit : Quels liens ? », pp. 17-39 ; M. Cannarsa, « Les consommateurs aussi ont des sentiments ! Quels effets sur leurs patrimoines ? », in F. Violet (dir.) Personne et patrimoine en droit. Recherche sur les marqueurs d’une connexion, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 107-123.
  • [7]
    La Behavioural Insights Team, plus connue sous le nom de Nudge Unit (sur ce nom, voir infra note 33), fut créée en 2010 au sein du cabinet du Premier ministre. Elle a été privatisée en 2014 et conseille désormais non seulement le gouvernement britannique, mais également de nombreux gouvernements étrangers. http://www.behaviouralinsights.co.uk/.
  • [8]
    La création de la Social and Behavioral Sciences Team (SBST) au sein de la Maison-Blanche date de février 2015.
  • [9]
    La Behavioural Foresights Team a été créée en 2014 au sein du Joint Research Center, une unité de la Commission européenne qui assure l’interface entre la recherche scientifique et la Commission.
  • [10]
    En France, la réflexion est impulsée par le service Stratégie interministérielle de modernisation. En Allemagne, la stratégie Wirksam regieren a été mise en place par la Chancellerie fédérale.
  • [11]
    P. Lunn, Regulatory Policy and Behavioural Economics, Paris, OCDE, 2014 ; OECD, « Behavioural Insights and new Approaches to Policy Design : The Views from the Field », 23 January 2015, http://www.oecd.org/gov/behavioural-insights-summary-report-2015.pdf.
  • [12]
    Le Rapport sur le développement dans le monde 2015 est intitulé Pensée, société et comportement et soutient la diffusion de réglementations fondées sur les apports des sciences comportementales. http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2014/12/02/world-development-report-2015-explores-mind-society-and-behavior.
  • [13]
    A. Rabagny, L’image juridique du monde, Paris, PUF, 2003.
  • [14]
    Ces faits sont ceux qui ont donné lieu à l’arrêt Rau, à propos d’une réglementation belge. CJCE, Rau Lebensmittelwerke c. De Smedt PVBA, aff. C-261/81, EU :C :1982 :382.
  • [15]
    J. Carbonnier, « Études de psychologie juridique », Annales de l’Université de Poitiers, Deuxième série, t. II, 1949, pp. 1-18. Quinze des dix-huit pages sont consacrées à Racine, Balzac et Molière. Nous discutons les trois autres pages ci-après dans la section 2. Voir aussi F. Terré, « Carbonnier avait raison… à propos de la psychologie juridique », in La psychologie et le droit : Quels liens ?, Psycho-Droit 2016, n° 1, numéro spécial, p. 13.
  • [16]
    Voir, par exemple, l’usage de Cervantes dans les conclusions sous les affaires Voß, aff. C-300/06, EU :C :2007 :424, pt 18 (sur la psychologie des femmes et leurs rapports à la lecture) ; Gintec c. Verband Sozialer Wettbewerb, aff. C-374/05, EU :C :2007 :93, pt 49 (à propos des réactions des consommateurs à une publicité faite au moyen de tirages au sort) ; Placanica, aff. C-338/04, C-359/04 et C-360/04, EU :C :2006 :324, pt 95 (sur les attraits du jeu). Notons que le même avocat général ne dédaignait pas de citer à la fois Marcel Proust et des études de neurophysiologie dans une affaire de marques, à propos de la mémorisation d’une odeur. Voir conclusions sous l’arrêt Sieckmann c. Deutsches Patent- und Markenamt, aff. C-273/00, EU :C :2001 :594, pt 30.
  • [17]
    « Études de psychologie juridique », op. cit., supra note 15.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Pour une discussion approfondie dans le contexte américain, voir J.J. Rachlinski, « New Law and Psychology », 85 Cornell L. Rev., 2000, p. 739.
  • [20]
    Une définition relativement large peut être trouvée sur le site de l’École de droit de l’Université de Stanford : « Conflict resolution and negotiation ; judgment and decision-making capacity ; prejudice and stereotyping ; criminal responsibility ; competency ; assessment of evidence, including the reliability of eyewitnesses, and lie detection ; hedonics ; developmental psychology and educational policy ; addiction and drug policy », www.law.stanford.edu/degrees/joint-degrees/law-and-psychology.
  • [21]
    Voir, dans le même sens, J.-P. Relmy, « La psychologie juridique ou l’avènement d’une nouvelle discipline », in La psychologie et le droit : Quels liens ?, Psycho-Droit 2016, n° 1, numéro spécial, pp. 17-39, spéc. p. 18.
  • [22]
    Voir, par ex., C. Jolls et al., « A Behavioural Approach to Law & Economics », 50 Stanford Law Review, 1998, p. 1471 ; C. Jolls, « Governing America : The Emergence of Behavioural Law & Economics », Max Weber Lecture Series, 2010/3 ; R. Bubb et R. Pildes, « How Behavioral Economics Trims its Sails and why », 127 Harvard Law Review, 2014, p. 1593. In the EU context : H. Luth, Behavioural Economics in Consumer Policy : The Economic Analysis of Standard Terms in Consumer Contracts Revisited, Anvers, Intersentia, 2010 ; M. Lissowska, « Overview of Behavioural Economics Elements in the OECD Consumer Policy Toolkit », 34 J. Consum. Policy, 2011, p. 393 ; P. Lunn, Regulatory Policy and Behavioural Economics, op. cit., supra note 11.
  • [23]
    Le terme anglais behavioural se traduit par « comportemental ». Ce n’est pas une référence à ce que l’on appelle en français « behaviourisme ».
  • [24]
    Pour un récit très accessible au grand public des principaux résultats et des recherches qui y ont mené, voir D. Kahneman, Thinking Fast and Slow, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011, trad. fr. R. Clarinard, Système 1/Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, Paris, Flammarion, 2012.
  • [25]
    D. Kahneman, préface de S. Mullainathan et E. Shafir, Scarcity : Why Having Too Little Means So Much, New York, Times Books, 2013, p. IX.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Th.S. Ulen, « European and American Perspectives on Behavioral Law and Economics », in Kl. Mathis (ed.), European Perspectives on Behavioural Law and Economics, Economic Analysis of Law in European Legal Scholarship, vol. 2, Zurich, Springer, 2015.
  • [28]
    Bien sûr, le droit n’est pas que cela et a notamment une fonction expressive, qui consiste à poser pour elles-mêmes des normes qui expriment des valeurs communes. C’est d’ailleurs cette dimension qui permet, lorsque l’on réfléchit au droit dans une perspective instrumentale, de mettre en lumière des arbitrages entre plusieurs dimensions d’une bonne règle. Sur ce thème, voir C.R. Sunstein, « On the Expressive Function of the Law », 144 University of Pennsylvania Law Review, 1996, pp. 2021-2053 ; Y. Feldman et O. Lobel, « Behavioural Trade-Offs : Beyond the Land of Nudges Spans the World of Law and Psychology », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, Oxford, Hart, 2015, pp. 301-324.
  • [29]
    Sur la distinction entre efficacité et efficience, voir A.-L. Sibony, « Du bon usage des notions d’efficacité et d’efficience en droit », in M. Fatin-Rouge Stéfanini, L. Gay et A. Vidal-Naquet (dir.), L’efficacité de la norme juridique, Nouveau vecteur de légitimité ?, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 61-84, http://hdl.handle.net/2268/121509.
  • [30]
    A. Tor, « The Methodology of the Behavioral Analysis of Law », 4 Haifa Law Review, 2008, p. 237, qui défend l’idée selon laquelle l’analyse comportementale est à la fois normativement neutre et pertinente d’un point de vue normatif.
  • [31]
    Il s’agit d’identifier, évaluer et critiquer l’alignement des moyens et des objectifs, voir Th.S. Ulen, « The Importance of Behavioral Law », in E. Zamir et D. Teichman (eds.), The Oxford Handbook of Behavioral Economics and the Law, Oxford, Oxford University Press, 2014, pp. 93-124, spéc. p. 94.
  • [32]
    Pour une critique des obligations d’information dans une perspective comportementale, voir O. Bar-Gill, Seduction by Contract, Oxford, Oxford University Press, 2012. Pour une discussion dans le contexte européen, voir A.-L. Sibony et G. Helleringer, « EU Consumer Protection and Behavioural Sciences : Revolution or Reform ? », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 209-233.
  • [33]
    R.H. Thaler et C.R. Sunstein, Nudge : Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness, New Haven, Yale University Press, 2008, trad. fr. Nudge, La méthode douce pour inspirer la bonne décision, Paris, Vuibert, 2010 ; D. Ariely, Predictably Irrational : The Hidden Forces that Shape Our Decisions, New York, Harper Collins, 2008, trad. fr. C’est vraiment moi qui décide, Paris, Flammarion, 2012 ; D. Kahneman, Thinking Fast and Slow, op. cit., supra note 24 ; M.H. Bazerman et A.E. Tenbrunsel, Blind Spots : Why we Fail to do What’s Right and What to do about it, Princeton, Princeton University Press, 2011.
  • [34]
    Sur la signification de ce terme et l’évolution des conceptions au cours du temps, voir C. Engel et G. Gigerenzer, « Law & Heuristics - an Interdisciplinary Venture », in G. Gigerenzer et C. Engel (eds.), Heuristics & the Law, Dahlem Workshop Reports, Cambridge, MA, MIT Press, in cooperation with Dahlem University Press, 2006, pp. 1-16.
  • [35]
    G. Gigerenzer et P. Todd, « Fast and Frugal Heuristics - the Adaptive Toolbox », in G. Gigerenzer, P. Todd et The Centre for Adaptive Behaviour and Cognition (ABC Research Group), Simple Heuristics that Make us Smart, New York, Oxford University Press, 1999, 415 p.
  • [36]
    Voir A. Tversky et D. Kahneman, « Subjective Probability : A Judgment of Representativeness », in D. Kahneman, P. Slovic et A. Tversky (eds.), Judgment Under Uncertainty : Heuristics and Biases, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, 32, pp. 39-40 ; A. Tversky et D. Kahneman (eds.), « Judgment under Uncertainty : Heuristics and Biases », Science, 1974, vol. 185, n° 4157, pp. 1124-1131.
  • [37]
    R.H. Thaler et C.R. Sunstein, Nudge : Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness ?, op. cit., supra note 33, p. 35 (édition originale).
  • [38]
    Voir infra note 68 pour un exemple.
  • [39]
    Il n’est par exemple pas anodin que, en février 2014, les électeurs suisses aient été appelés à se prononcer pour ou contre « la fin de l’immigration de masse ». Le résultat (50,3 % pour) aurait-il été le même si la question avait été posée de manière plus positive ?
  • [40]
    Voir A. Tversky et D. Kahneman, « The Framing of Decisions and the Psychology of Choice », Science, 211, 1981, pp. 453-458. En l’espèce, un échantillon de 152 étudiants pour le premier test et 155 pour le second se sont vu présenter les questions suivantes [pourcentage de réponses entre crochets] (p. 453) (traduction libre) :
    Expérience 1 (cadrage positif) : Imaginez que les États-Unis tentent d’anticiper une épidémie d’une maladie asiatique peu connue dont on s’attend à ce qu’elle tue 600 personnes. Deux programmes alternatifs destinés à combattre la maladie ont été proposés. En faveur de quel programme vous prononceriez-vous dans l’hypothèse où les estimations statistiques exactes relatives aux effets relatifs des deux programmes sont les suivantes : (A) si le plan A est adopté, 200 personnes seront sauvées [solution choisie par 72 % des sujets] ; (B) si le plan B est adopté, il y a 1/3 de chances que 600 personnes soient sauvées et 2/3 de chances que personne ne soit sauvé [solution choisie par 28 % des sujets]. Expérience 2 (cadrage négatif, même mise en contexte et question) : (C) si le plan C est adopté, 400 personnes vont mourir [solution choisie par 22 % des sujets] ; (D) si le plan D est adopté, il y a 1/3 de chance que personne ne meure et 2/3 de chances que 600 personnes meurent [solution choisie par 78 % des sujets]. Dans le cadrage positif, les réponses montrent une aversion au risque. Dans le cadrage négatif, les réponses montrent une disposition au risque, et ce, alors que les choix sont identiques.
  • [41]
    B.M. Hutter, « What Makes a Regulator Excellent ? A Risk Regulation Perspective », Penn Program on Regulation’s Best-in-Class Regulator Initiative, June 2015, https://www.law.upenn.edu/live/files/4719-hutter-ppr-bicregulatordiscussionpaper-06-2015pdf.
  • [42]
    A. Tversky et D. Kahneman (eds.), « Judgment under Uncertainty : Heuristics and Biases », op. cit., supra note 36.
  • [43]
    Sur ce dernier point, J.K. Robbennolt et Ch.A. Studebaker, « Anchoring in the Courtroom : The Effects of Caps on Punitive Damages », 23 Law & Hum Behav., 1999, p. 353.
  • [44]
    Voir W. Kip Viscusi et J.T. Hamilton, « Are Risk Regulators Rational ? Evidence from Hazardous Waste Cleanup Decisions », 89 Am. Econ. Rev., 1999, p. 1010 (analyse du jeu des biais cognitifs en matière de réglementation environnementale).
  • [45]
    C.R. Sunstein, « Probability Neglect : Emotions, Worst Cases, and Law », Yale Law Journal, vol. 112, 2002, pp. 61-107.
  • [46]
    Il peut s’agir d’un accident d’avion comme du risque qu’il soit arrivé malheur à votre adolescente qui tarde à rentrer d’une fête (exemple pris par D. Kahneman dans Thinking Fast and Slow, op. cit., supra note 24, p. 114).
  • [47]
    Voir, à cet égard, les travaux de J.J. Rachlinski et coauteurs, not. C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Inside the Judicial Mind », Cornell Law Review, vol. 86, n° 4, mai 2001 ; C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Judging by Heuristic Cognitive Illusions in Judicial Decision Making », 86 Judicature 44, 2002-2003 ; C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Blinking on the Bench : How Judges Decide Cases », 93 Cornell L. Rev., 1, 2007-2008 ; C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Heart Versus Head : Do Judges Follow the Law or Follow Their Feelings ? », 93 Texas L. Rev., 855, 2015 ; J.J. Rachlinski, A. Wistrich et C. Guthrie, « Can Judges Make Reliable Numeric Judgments ? Distorted Damages and Skewed Sentences », Indiana L. J., vol. 90, n° 2, Article 6, 2015.
  • [48]
    Voir C. Dunlop et C. Radaelli, « Overcoming Illusions of Control : How to Nudge and Teach Regulatory Humility », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 301-324 et O. Perez, « Can Experts be Trusted and What can be Done about it ? Insights from the Biases and Heuristics Literature », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, ibid., pp. 115-137.
  • [49]
    B. Fischhoff, « Hindsight Does not Equal Foresight : The Effect of Outcome Knowledge on Judgment under Uncertainty », 1 J. Exp. Psych., 1975, p. 288. For a thorough review of the literature on this bias at the time see : J.J. Rachlinski, « A Positive Psychological Theory of Judging in Hindsight », 65 U. Chi. L. Rev., 1998, 571, pp. 576-586. Voir aussi R. L. Guilbault, F. B. Bryant, J. Howard Brockway et E. J. Posavac, « A Meta-Analysis of Research on Hindsight Bias », 26 Basic and App. Soc. Psych., 2004, p. 103.
  • [50]
    U. Hoffrage, R. Hertwig et G. Gigerenzer, « Hindsight Bias : a By-Product of Knowledge Updating ? », 26 J. Experim. Psych. : Learn., Mem., & Cog., 2000, 566, pp. 577-579.
  • [51]
    J.J. Rachlinski, « Heuristics and Biases in the Courts : Ignorance or Adaptation ? », 79 Or. L. Rev., 2000, 61, pp. 70-81.
  • [52]
    Kahnemann et Tversky ont reçu le prix Nobel d’économie pour ces travaux qui remettaient en cause le paradigme dominant de la discipline.
  • [53]
    C. Jolls et C. Sunstein, « Debiasing through Law », 35 Journal of Legal Studies, 2006, p. 199.
  • [54]
    Il s’agit de la tendance à anticiper le futur en minorant de manière systématique les risques de survenance d’événement négatifs. Sh.E. Taylor et J.D. Brown, « Illusion and Well-Being : a Social Psychological Perspective on Mental Health », 103 Psychol Bull., 1988, p. 193 ; Sh.E. Taylor et J.D. Brown, « Positive Illusions and Well-Being Revisited : Separating Fact from Fiction », 116 Psychol Bull., 1994, 21, pp. 22-23 ; N.D. Weinstein, « Unrealistic Optimism About Future Life Events », 39 J. Personality and Soc. Psychol., 1980, p. 806.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    R.H. Thaler et C.R. Sunstein, Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision, op. cit., supra note 33.
  • [57]
    Article L. 1232-1 du Code de la santé publique.
  • [58]
    A. Porat et L. Jacob Strahilevitz, « Personalizing Default Rules and Disclosure with Big Data », http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2217064 ; C. Sunstein, Choosing not to Choose : Understanding the Value of Choice, Oxford, Oxford University Press, 2015, pp. 157 et s.
  • [59]
    Sur cette question, voir les observations de C. Régis, Psycho-Droit, 1-2016, numéro spécial La psychologie et le droit : quels liens ?, pp. 119-129, p. 127 et notamment les commentaires à propos de la distinction entre pure public nudging (intervention publique pour influencer les comportements dans un objectif d’intérêt général) et counter-nuding (neutralisation de l’exploitation des biais cognitifs par des sujets privés) proposée par A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, p. 24.
  • [60]
    Pour une critique de principe (principalement philosophique) du nudging, M. White, The Manipulation of Choice : Ethics and Libertarian Paternalism, New York, Palgrave, 2013. Pour une perspective plus juridique dans le contexte européen, A. Van Aacken, « Judge the Nudge : in Search of the Legal Limits of Paternalistic Nudging in the EU », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 83-112.
  • [61]
    Pour une synthèse des questions de constitutionnalité et plus généralement de droit public soulevées par la réglementation comportementale : A. Alemanno et A. Spina, « Nudging Legally - On the Checks and Balances of Behavioural Regulation », International Journal of Constitutional Law, vol. 12, n° 2, 2014, pp. 429-456.
  • [62]
    R. Baldwin, « From Regulation to Behaviour Change : Giving Nudge the Third Degree », 77 Modern Law Review, 2014/6, pp. 831-857.
  • [63]
    Le débat est très polarisé entre les auteurs qui s’opposent par principe à tout paternalisme, estimant mal fondée toute démarche fondée sur l’idée qu’un gouvernement bénévole sait ce qui est bon pour les individus (M. White, The Manipulation of Choice : Ethics and Libertarian Paternalism, op. cit., supra note 60) et ceux qui défendent la légitimité des interventions paternalistes dans certains cas (en particulier S. Conly, Against Autonomy - Justifying Coercive Paternalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2013). Voir aussi R. Rebonato, Taking Liberties - A Critical Examination of Libertarian Paternalism, New York, Palgrave Macmillian, 2012 ; P.G. Hansen et A.M. Jespaersen, « Nudge and the Manipulation of Choice : a Framework for the Responsible Use of the Nudge Approach to Behaviour Change in Public Policy », 2013, 4(1) European Journal of Risk Regulation 3 ; E. Selinger et K. Whyte, « Is There a Right Way to Nudge ? The Practice and Ethics of Choice Architecture », 5(10) Sociology Compass, 2011, p. 923 ; L. Bovens, « Real Nudge », 3(1) European Journal of Risk Regulation, 2012, p. 43 ; C.R. Sunstein, Choosing not to Choose : Understanding the Value of Choice, op. cit., supra note 58 ; C. Sunstein, The Ethics of Influence : Government in the Age of Behavioral Science, Cambridge, Cambridge University Press, 2016 (à paraître).
  • [64]
    A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 139-157.
  • [65]
    Pour une analyse fouillée de ces pratiques, voir O. Bar-Gill, Seduction by Contract, op. cit., supra note 32.
  • [66]
    C.R. Sunstein, Choosing not to Choose : Understanding the Value of Choice, op. cit., supra note 58.
  • [67]
    Ce n’est pas le cas de toutes. Par exemple, la pratique d’un employeur qui collerait au sol des autocollants en forme de pieds pour indiquer le chemin des escaliers et inviter les salariés à faire de l’exercice plutôt qu’à prendre l’ascenseur est certainement une pratique d’influence, mais n’appelle pas d’encadrement juridique spécifique.
  • [68]
    Article 22 de la directive 2011/83/UE sur les droits des consommateurs, JOUE L 304, 22 novembre 2011.
  • [69]
    Pour plus de précisions : Behavioural Insight Team, « Applying Behavioural Insights to Reduce Fraud, Error and Debt » (2012) : www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/ file/60539/BIT_FraudErrorDebt_accessible.pdf. L’année suivante, le fisc britannique a modifié ses lettres de rappel dans le sens suggéré par l’expérience menée par la Nudge Unit.
  • [70]
    Ainsi, des efforts d’explication des règles de droit applicables ou de leur comparaison dans différentes juridictions.
  • [71]
    À l’exemple de la théorie du droit ou de la sociologie juridique.
  • [72]
    Voir G. Helleringer et R. Perry, « A Comprehensive Design for Legal Research. Methods, Perspectives and Progression », working paper. Ces trois dimensions peuvent être mises à profit pour construire une théorie dite « générale » dans les cultures juridiques qui favorisent ce type d’approche globale.
  • [73]
    Même si, de manière générale, la recherche de théories générales a traditionnellement occupé une grande place, dans les pays de tradition civiliste en particulier.
  • [74]
    Voir, par exemple, sur le développement d’un domaine spécifique et particulièrement pertinent pour des études croisées avec le droit, la science du jugement et de la prise de décision, Th.D. Gilovich et D.W. Griffin, « Judgment and Decision Making », in S.T. Fiske, D.T. Gilbert et G. Lindzey (eds.), Handbook of Social Psychology, New York, Wiley, 2010, p. 542. Voir aussi W.M. Goldstein et R.M. Hogarth, « Judgment and Decision Research : Some Historical Context », in W.M. Goldstein et R.M. Hogarth (eds.), Research on Judgment and Decision Making : Currents, Connections, and Controversies, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
  • [75]
    D. Kahneman et A. Tversky, « Prospect Theory : an Analysis of Decision under Risk », Econometrica 47, 1979, p. 263.
  • [76]
    Voir les références d’expériences citées par J.K. Robbennholt, « Litigation and Settlement », in E. Zamir et D. Teichman (eds.), The Oxford Handbook of Behavioral Economics and the Law, op. cit., supra note 31, p. 623, spéc. p. 628.
  • [77]
    Des données comportementales sont régulièrement convoquées par le droit, mais la particularité est qu’elles ne sont pas empiriques, et relèvent de postulats rationalistes implicites ou explicites comme dans l’analyse économique du droit.
  • [78]
    Th. Eisenberg, « Why Do Empirical Legal Scholarship ? », 41 San Diego L. Rev., 2004, p. 1741 (qui pointe l’augmentation des cours d’introduction aux méthodes empiriques dans l’offre des law schools américaines) ; R. C. Ellickson, « Trends in Legal Scholarship : a Statistical Study », 29 J. Leg. Stud., 2000, 517, pp. 528-530 ; R.H. McAdams et Th.S. Ulen, « Symposium : Empirical and Experimental Methods of Law : Introduction », 2002 U. Ill. L. Rev., 2002, 789, p. 791 (les auteurs relèvent des indices selon lesquels les méthodes empiriques et expérimentales sont en train de devenir plus communes au sein des études juridiques).
  • [79]
    Sont classiquement opposés law in action et law in the books. Voir R. Pound, « Law in Books and Law in Action », 44 Am. L. Rev., 12, 1910.
  • [80]
    Par ex., l’étude du lien entre la culpabilité d’un défendeur et son comportement devant le tribunal requérait de pouvoir connaître de manière objective la culpabilité. Cette donnée est inconnue, aussi le chercheur pourra-t-il, au mieux, utiliser des indices indirects. A. Tor, « The Methodology of the Behavioral Analysis of Law », op. cit., supra note 30 pp. 282-284.
  • [81]
    C’est-à-dire, techniquement, de la « validité interne » des explications offertes.
  • [82]
    Voir J.J. Rachlinski, Ch. Guthrie et A. Wistrich, « Inside the Bankruptcy Judge’s Mind », Boston University Law Review, 2006, 86, pp. 1227-1265. L’expérience, réalisée sur une population de juges spécialisés en matière d’entreprises en difficulté n’a pas permis d’établir de différence de jugement entre le groupe de contrôle et le groupe soumis au traitement. Toutefois, la même expérience réalisée sur une autre population de magistrats a pu faire apparaître un biais, voir J.J. Rachlinski, S. Johnson, A.J. Wistrich et Ch. Guthrie, « Does Unconscious Racial Bias Affect Trial Judges ? », Notre Dame Law Review, 2008, 84, pp. 1195-1246.
  • [83]
    La sélection aléatoire de participants au sein d’une population donnée bien que recommandée n’est que rarement possible en pratique, voir L. Epstein et A. Martin, An Introduction to Empirical Legal Research, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 6.
  • [84]
    D’un point de vue méthodologique, A. Tor, « The Methodology of the Behavioral Analysis of Law », op. cit., supra note 30 ; d’un point de vue pratique : A. Schwartz, « Regulating for Rationality », Stanford Law Review, 2015, 67,1373, 1380.
  • [85]
    Il a été mis en évidence qu’un dommage affectant un grand nombre de personnes est apprécié de manière moins sévère qu’un dommage infligé à un nombre de personnes plus restreint, voir L.F. Norgren et M.-H. McDonnell, « The Scope-severity Paradox : why Doing More Harm is Judged to be Less Harmful”, (2) Social Psychological and Personality Science, 2011, pp. 97-102.
  • [86]
    I.A. Horowitz et K.S. Bordens, « The Consolidation of Plaintiffs : the Effects of Number of Plaintiffs on Jurors’ Liability Decisions, Damages Awards, and Cognitive Processing of Evidence », (85/6) Journal of Applied Psychology, 2000, pp. 909-918.
  • [87]
    En ce sens, A. Tor, « The Next Generation of Behavioural Law and Economics », in Kl. Mathis (ed.), European Perspectives on Behavioural Law and Economics, Dordrecht, Springer, 2015, pp. 17-29, spéc. p. 22.
  • [88]
    Ibid., supra note 87, pp. 23-26. Adde J.J. Rachlinski, « Cognitive Errors, Individual Differences, and Paternalism », University of Chicago Law Review, 2006, 73, pp. 207-229.
  • [89]
    Y. Bakos, F. Marotta-Wurgler et D.R. Trossen, « Does Anyone Read the Fine Print ? Testing a Law and Economics Approach to Standard Form Contracts », CELS 4th Annual Conference on Empirical Legal Studies Paper, 2009. Voir aussi O. Ben-Shahar, « The Myth of the “Opportunity to Read” in Contract Law », 5(1) European Review of Contract Law, 2009, pp. 1-28.
  • [90]
    D.B. Stark et J.M. Choplin, « A License to Deceive : Enforcing Contractual Myths Despite Consumer Psychological Realities », 5(2) New York University Journal of Law & Business, 2009, pp. 617-744.
  • [91]
    Expression utilisée par C. Régis, « L’approche psychologique du droit : pour mieux comprendre les étincelles de folie et de sagesse », Psycho-Droit, 1, 2016, p. 120.
  • [92]
    Pour un point de vue différent et plus large, voir J.-P. Relmy, « La psychologie juridique ou l’avènement d’une nouvelle discipline », op. cit., supra note 21, pp. 24 et s.
  • [93]
    Voir, par exemple, The Report on Behaviour Change published by the Science and Technology Select Committee of the UK House of Lords, July 2011 ; « A Practitioner’s Guide to Nudging », Rotman Management Magazine (http://www-2.rotman.utoronto.ca/facbios/file/GuidetoNudging-Rotman-Mar2013.ashx.pdf).
  • [94]
    Sur ce thème, voir C. Dunlop et C. Radaelli, « Overcoming Illusions of Control : How to Nudge and Teach Regulatory Humility », op. cit., supra note 28, pp. 139-157.

Introduction

1Le droit interdit et sanctionne certains comportements ; il en encourage et prescrit d’autres. Pour que cet encadrement soit couronné de succès, il faut que les règles de droit aient réellement prise sur les comportements visés. Par exemple, une loi, qui a pour but de réduire la consommation d’énergie et qui, pour y parvenir, prévoit une obligation d’étiquetage des appareils électroménagers, suppose que les consommateurs vont lire ces informations, les comprendre et en tenir compte lors de l’achat. S’il s’avère que les consommateurs ne lisent généralement pas les étiquettes ou ne comprennent pas bien les notions ou les unités utilisées, l’obligation d’étiquetage ne constituera pas un moyen apte à atteindre le but poursuivi. Savoir qui lit et comprend quoi dans un contexte d’achat est une question de fait qui intéresse le droit, car elle détermine l’efficacité de certaines règles [1].

2Reconnaître la pertinence pour le droit du savoir empirique sur les comportements humains n’est pas en soi nouveau [2]. En France, la démarche qui consiste à ouvrir la réflexion sur le droit à des sciences dites auxiliaires est souvent associée aux noms de Jean Carbonnier et de René Savatier, lequel souligna que « le domaine du droit, c’est l’isthme où se rejoignent les sciences sociales d’observation […] et les éthiques appliquées » [3]. En ce sens, étudier le droit à la lumière des apports des sciences comportementales n’est pas une entreprise entièrement nouvelle dans son principe. Le droit pénal et la criminologie connaissent d’ailleurs une véritable tradition en la matière, y compris à travers leur ouverture croissante aux données des neurosciences [4].

3Des innovations substantielles ont eu lieu ces dernières années tant dans le domaine des sciences comportementales elles-mêmes que dans la recherche juridique, principalement aux États-Unis et en Israël [5]. Elles sont encore assez peu connues en Europe et méritent pourtant l’attention des juristes européens [6]. Tel est d’autant plus le cas que, depuis quelques années, des décideurs ont pris conscience des avantages qu’il pourrait y avoir à intégrer les apports des sciences comportementales dans la conception des politiques publiques et des règles de droit. Cette prise de conscience connaît déjà une traduction institutionnelle au Royaume-Uni [7], aux États-Unis [8], au niveau de l’Union européenne [9] et une expression au niveau international [10], avec l’appui de l’OCDE [11] et de la Banque mondiale [12].

4Dans ce contexte marqué par une forte actualité scientifique et institutionnelle, nous souhaitons présenter aux juristes francophones le champ d’étude émergent que constitue l’analyse comportementale du droit. Celui-ci est encore peu et mal connu. Aussi souhaitons-nous avant tout souligner son intérêt et inviter à de nouvelles réflexions à son propos. Il y a bien sûr des limites à cette approche et des risques liés à son utilisation mal informée. Nous en sommes pleinement conscients. Du reste, les réflexions sur les limites de l’approche comportementale font évidemment partie du champ de recherche que nous nous efforçons de décrire dans ce qui suit. Dans cet article, nous ne nous y appesantissons pas, car nous voulons nous consacrer à ce qui nous paraît premier, à savoir établir les prémisses de cette démarche (1) avant de partager quelques réflexions sur les mots pour la nommer (2), puis de présenter brièvement ses objets de recherche (3) et ses méthodes (4).

1 – Les prémisses

5Les prémisses de l’analyse comportementale du droit tiennent en deux propositions simples : le droit est nécessairement fondé sur une certaine représentation des comportements (1.1) et les sciences comportementales sont pertinentes pour prévoir les comportements (1.2).

1.1 – Le droit a besoin d’une représentation des comportements

6Explicitement ou implicitement, le droit incorpore une image du monde dans lequel il déploie sa normativité [13]. Cette image peut être juste ou fausse, mais elle existe nécessairement. Sans elle, il ne serait pas possible de construire un discours qui justifie une règle de droit au regard des buts qu’elle poursuit (« cette loi est utile parce que… »). Ce type de discours ne sert pas seulement à animer l’hémicycle – où les considérations relatives à l’effet des lois n’ont du reste peut-être pas toujours la place qu’elles méritent. Le discours des justifications d’efficacité est nécessaire à l’intérieur du système juridique. Ainsi, le contrôle de proportionnalité, mené tant dans le cadre du contrôle de constitutionnalité que du contrôle de conformité au droit de l’Union européenne, oblige-t-il à rendre compte des raisons pour lesquelles une règle est apte à atteindre le but qu’elle poursuit.

7Considérons, par exemple, une règle qui vise à protéger les consommateurs contre un risque de confusion entre le beurre et la margarine en prescrivant que le beurre soit emballé dans des paquets de forme parallélépipédique tandis que la margarine doit être vendue en paquets cubiques [14]. Une telle règle crée un obstacle à la libre circulation des marchandises. Dès lors, elle ne peut subsister que si l’État qui l’a adoptée est en mesure de démontrer, notamment, qu’elle est apte à atteindre la protection désirée. Si des données empiriques indiquaient que les consommateurs ne lisent pas les étiquettes des produits alimentaires ou se fient à la forme pour reconnaître les produits qu’ils achètent habituellement, il deviendrait difficile pour la Cour d’affirmer sans motivation qu’un étiquetage approprié suffit.

8Plus généralement, dans tous les cas où l’efficacité d’une règle est en discussion, une attention accrue mériterait d’être portée aux comportements réels des individus ou groupes pertinents.

1.2 – Les sciences comportementales sont pertinentes pour prévoir les comportements

9Une fois admis combien il est utile d’anticiper le plus correctement possible les comportements, la question suivante est de savoir sur quelles bases. En cette matière bien sûr, l’expérience de la vie instruit. Des années de pratique pourront, par exemple, rendre presque infaillible l’intuition d’un(e) juge qui doit décider du placement d’un enfant. Pour autant, tout un système juridique ne peut reposer sur une seule source d’intelligence comportementale qui, en l’absence d’un fondement empirique généralisable, n’est pas uniformément partagée. Avec talent, Jean Carbonnier [15] ou l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer [16] recourent à la littérature, mais les propos sur la psychologie des débiteurs, des joueurs ou des lecteurs à l’aide de leurs auteurs préférés ne peuvent avoir que valeur d’illustration.

10Les psychologues, les économistes comportementaux et les neuroscientifiques ont amassé depuis des années un savoir plus précis. C’est ce corpus que nous ne voyons pas de bonnes raisons de négliger.

2 – Les mots

11Comment nommer ce champ d’étude dont nous appelons le développement de nos vœux ? La question de mots importe, bien sûr. Elle s’est déjà posée aux chercheurs qui, aux États-Unis, ont initié, puis développé les recherches interdisciplinaires dont nous parlons. Il est vrai que leurs choix ne doivent pas déterminer les nôtres, toutefois, il y a lieu d’en tenir compte, notamment si nous souhaitons pouvoir communiquer aisément entre les deux rives de l’Atlantique. Passons donc en revue les appellations susceptibles d’être retenues, en commençant par la seule qui ait été exprimée en français dans l’original.

12En France, Jean Carbonnier a proposé dès 1949 l’expression « psychologie juridique » [17]. L’objet d’étude envisagé est cependant restreint à « l’homme juridique », distingué de « l’homme naturel » et la psychologie juridique a uniquement vocation à étudier les comportements humains qui sont façonnés par le droit. Si l’exemple qu’il donne de l’enfant naturel plus introverti que l’enfant légitime n’est sans doute plus d’actualité, il illustre néanmoins parfaitement ce dont Carbonnier parle : un trait de personnalité forgé par le droit qui rejaillit sur le comportement d’une catégorie de personnes. Carbonnier fait l’hypothèse (sans la présenter comme telle) qu’il y a quelque chose de distinctement juridique dans les comportements, « une sorte de halo de droit que le juriste voit luire autour des gestes quotidiens » [18]. Or les comportements qui sont pertinents pour le droit le sont parce qu’ils affectent l’efficacité des règles de droit et non parce qu’ils sont suscités ou modelés par elles. Le droit ne doit pas seulement s’intéresser aux comportements qu’il détermine, mais aussi à tous ceux qui déterminent son efficacité.

13L’appellation « droit et psychologie », traduction de l’anglais law and psychology[19] apparaît elle aussi trop étroite, car, pour nos collègues anglais, américains, canadiens, australiens et néo-zélandais, elle désigne des études qui se concentrent sur la psychologie des juges, des jurys, des témoins et rejoint par ailleurs la criminologie à propos de la psychologie des criminels [20]. Or le champ d’étude doit être étendu au-delà de ce périmètre [21]. Les implications qu’entraîne pour le droit la psychologie des consommateurs, des investisseurs ou des membres de conseils d’administration, entre autres, doivent y être incluses.

14Le nom qui est désormais le plus répandu aux États-Unis est behavioural law and economics[22], que l’on peut traduire par « droit et économie comportementale » [23]. Comme le souligne Daniel Kahneman, un pionnier des études de psychologie empirique qui sont au fondement de ce champ de recherche [24], l’appellation est malheureuse. Les étiquettes ont leur importance, écrit-il, et appeler à tort « économie comportementale » les études de sciences comportementales n’est pas sans conséquence [25]. En particulier, souligne-t-il, des contributions importantes de la psychologie à la conception des politiques publiques ne sont pas reconnues comme telles. À son tour, ce manque de reconnaissance a pour conséquence que des jeunes chercheurs en psychologie sont dissuadés de consacrer leurs efforts à des recherches appliquées qui pourraient être utiles à la réflexion sur les interventions publiques [26]. Si cette appellation a pourtant rencontré un vif succès, c’est que, dans le contexte universitaire américain, elle avait l’avantage de signaler une innovation par rapport au law and economics traditionnel. Dans un système où la prime à l’innovation est beaucoup plus forte qu’en Europe pour les juristes universitaires [27], signaler d’un mot que l’on est en train de renouveler l’approche dominante que constitue l’analyse économique du droit n’était pas un avantage négligeable. Cet effet de signal a un prix, bien décrit par Kahneman. Il comporte aussi une bonne dose d’ironie si l’on veut bien se souvenir que la science économique a, pendant plusieurs décennies, rejeté ou réduit la portée des données scientifiques qui s’accumulaient pourtant sur la rationalité limitée. Que la science économique s’approprie en ajoutant l’adjectif « comportementale » les découvertes qui sont fondamentalement celles de la psychologie et se présente ainsi comme le vecteur de ces découvertes vers le droit relève donc d’une forme d’imposture. Le plus gênant n’est toutefois pas là. La véritable objection à l’appellation behavioural law and economics est qu’elle suggère que le droit devrait passer par le détour de l’économie pour se nourrir des apports de la psychologie. Un tel détour complique inutilement un parcours interdisciplinaire déjà difficile. De plus, le droit a quelque chose à y perdre, car le filtre qu’applique la science économique pour intégrer sélectivement certains apports de la psychologie ne convient pas nécessairement au droit. Les juristes ne cherchent pas à modéliser la réalité. Ils doivent faire eux-mêmes leur sélection parmi les apports de la psychologie et ce, en tenant compte tant des finalités de leur étude que de la boîte à outils du droit.

15Pour toutes ces raisons, l’expression l’« analyse comportementale du droit » nous paraît une meilleure dénomination. Elle correspond à une traduction des formules behavioural analysis of law ainsi que law and behavioural sciences. Se référer à l’« analyse comportementale du droit » est correct d’un point de vue descriptif et permet d’accueillir des perspectives et des objets de recherches variés.

3 – Les objets et les questions de recherche

16Le champ du domaine de recherche en cours de constitution peut s’appréhender comme l’ensemble des points de contact entre des questions pertinentes pour l’étude du droit (toutes branches confondues) et les éléments de compréhension des comportements issus des sciences comportementales. En pratique, ces croisements peuvent être atteints en partant de la psychologie ou du droit. Si l’on part de la psychologie, il s’agit d’examiner les implications pour le droit des traits comportementaux mis en évidence par les sciences comportementales. Si l’on part du droit, il s’agit de mettre à jour les hypothèses comportementales implicites incorporées dans le droit, puis de les soumettre à un contrôle de vraisemblance psychologique. Dans les deux cas, la recherche consiste à projeter sur le droit un savoir issu de la psychologie, puis à en tirer les éventuelles implications pour la réforme du droit.

17Il faut souligner que l’analyse comportementale du droit s’inscrit dans une perspective instrumentale et s’intéresse au droit en tant qu’instrument de politique publique [28]. Elle permet avant tout de nourrir la discussion sur l’efficacité des règles de droit, sur leur aptitude à atteindre leur but [29]. Toutefois, l’approche comportementale du droit ne contient aucun discours sur la « fin bonne » (contrairement à l’analyse économique qui oriente vers la maximisation des richesses) : elle n’est pas en elle-même normative [30]. Elle est en revanche prescriptive, car elle vise précisément à générer des arguments de la forme « si le but de l’intervention publique est…, alors envisager tel type de mesure est judicieux – ou au contraire, inadéquat » [31]. L’exemple donné plus haut sur les obligations d’étiquetage en est une illustration [32].

18Pour donner au juriste un premier aperçu du type de ressources qu’offrent les sciences comportementales, nous proposons une liste loin d’être exhaustive de résultats issus de la psychologie qui sont a priori pertinents pour l’étude du droit (3.1), avant d’aborder les différents types de questions que les juristes peuvent envisager pour les intégrer à leurs recherches (3.2).

3.1 – Quelques apports de la psychologie pertinents pour l’étude du droit

19Parmi les différentes branches des sciences comportementales, la psychologie cognitive et sociale offre des contenus particulièrement pertinents pour le droit, tels que l’étude de la formation des jugements et des croyances, la construction des préférences et des choix et la propension à agir. Nous nous contentons ici de quelques exemples bien documentés, en nous appuyant sur la littérature primaire, mais aussi sur d’excellents ouvrages grand public [33].

20Les raccourcis cognitifs ou « heuristiques » [34] sont des simplifications mentales qui rendent possible un traitement rapide de l’information via une sélection au sein de l’information disponible [35]. Ce mode rapide et imparfait de traitement de l’information nous permet de naviguer à travers un grand nombre de situations et de prendre de nombreuses petites décisions quotidiennes sans devoir les peser longuement et rigoureusement. Ils génèrent cependant des erreurs d’appréciation ou des tendances en faveur de certaines décisions appelées « biais cognitifs » que le droit gagnerait à ne pas ignorer [36]. Parmi ces biais, nous mentionnerons l’effet de cadrage, l’effet d’ancrage, l’aversion au risque et l’heuristique de disponibilité.

21L’effet de cadrage désigne l’influence qu’a la manière dont les informations sont présentées sur notre perception. Un exemple en matière médicale illustre ce phénomène courant. Si l’on présente à un patient atteint d’une grave pathologie cardiaque l’opération chirurgicale recommandée en l’informant que, cinq ans après l’opération, 90 % des patients ayant bénéficié de ce traitement sont en vie ou bien si on lui dit que, cinq ans après l’opération, 10 % des patients sont morts, sa réaction sera très différente [37]. Bien que le contenu informationnel soit identique, le cadrage positif (être vivant) ou négatif (être mort) influe grandement sur la probabilité que le patient consente à l’opération.

22Naturellement, les médecins ne sont pas les seuls à être en position d’influer sur les décisions en choisissant de présenter l’information qu’ils donnent d’une manière ou d’une autre. Toutes sortes d’acteurs économiques pratiquent quotidiennement le cadrage en modifiant l’architecture de nos choix. Le droit peut souhaiter réguler certaines de ces pratiques, par exemple au titre de la protection des consommateurs, en prescrivant certains cadrages et en en interdisant d’autres [38]. Il s’agit alors de régulation des pratiques privées d’utilisation d’un trait comportemental. Le droit peut aussi exprimer directement des options, qui font nécessairement l’objet d’un cadrage. Tel est, par exemple, le cas lors d’un référendum : la formulation de la question affecte la perception et, partant, le vote [39]. Prendre conscience de l’existence de cet effet et mieux connaître ses ressorts et son ampleur peut donc avoir des incidences dans des domaines juridiques variés.

23Il en va d’autant plus ainsi que le cadrage positif ou négatif affecte notre attitude par rapport au risque. Les psychologues Tversky et Kahneman l’ont mis en évidence de manière expérimentale [40]. Selon que nous sommes dans une perspective de gain ou de perte, nous sommes plus ou moins averses au risque. Dans une perspective de gain, nous avons tendance à craindre les risques et préférer la certitude, tandis que, pour un choix identique présenté dans une perspective de perte, nous avons tendance à accepter des risques. Les décisions publiques et privées en matière de risque sont légion, qu’il s’agisse de risques pour la santé, pour la sécurité ou pour les profits. Les applications potentielles des connaissances psychologiques sur les attitudes (des décideurs, des autorités de contrôle, du public) par rapport au risque sont donc innombrables. Pourtant, elles n’ont pas encore fait leur entrée systématique dans les études sur la régulation du risque [41].

24Un autre biais largement documenté et particulièrement pertinent s’appelle, en psychologie, l’effet d’ancrage. Il s’agit de l’influence qu’exerce un point de référence sur le jugement. Nous avons tendance à juger par référence à des éléments présents dans le champ cognitif – y compris lorsqu’ils ne sont pas pertinents. Kahneman et Tversky ont mis en évidence cet effet en demandant à des sujets de donner la proportion de pays africains au sein de l’ONU (chiffre que la plupart des gens ne connaissent pas). Avant de répondre à la question, les sujets devaient faire tourner une roulette spécialement réglée pour s’arrêter soit sur le chiffre 10, soit sur le chiffre 65. Les réponses se trouvèrent corrélées avec ce chiffre évidemment sans rapport avec la question. Les personnes qui avaient tiré le 10 à la roulette avaient une estimation nettement plus basse de la proportion de pays africains au sein de l’ONU que les personnes qui avaient tiré le 65 [42]. Le chiffre arbitraire, simplement parce qu’il est présent à l’esprit de celui qui répond, fonctionne comme une ancre autour de laquelle flotte son estimation. Dans le domaine juridique, les clauses limitatives de responsabilité, par exemple, peuvent être vues à la lumière de ce phénomène cognitif. Même si leur fonction est de plafonner la réparation, elles produisent vraisemblablement aussi un effet d’ancrage. Du seul fait qu’elles mentionnent un montant, elles introduisent nécessairement un point de référence, qui pourra affecter les évaluations des dommages réels, que ce soit par la victime, par un expert ou par un juge [43].

25L’heuristique de disponibilité repose sur un mécanisme assez proche, à savoir une tendance à juger en fonction de ce qu’on a présent à l’esprit. Typiquement, l’opinion publique tend à surestimer les risques liés à des phénomènes véhiculant une grande charge émotionnelle ou rendus saillants par leur couverture médiatique, à l’instar des attaques terroristes. Alors que la probabilité de survenance de tels événements est faible, les raccourcis affectifs ou de présence à la mémoire biaisent la perception [44] et engendrent une demande de réglementation qui peut être excessive. Un corollaire de cette heuristique est la « négligence des probabilités » [45]. Il s’agit de notre inaptitude structurelle à tenir compte adéquatement des faibles probabilités, pris que nous sommes entre deux extrêmes : soit faire comme si un risque faible était inexistant, soit l’exagérer dès lors que nous nous mettons à imaginer la situation catastrophique qui prévaudrait en cas de survenance du risque [46].

26Les juges ne sont bien sûr pas immunisés contre les biais ni les heuristiques [47], pas davantage que les auteurs de règles ou les experts [48]. Outre ceux qui ont déjà été cités, plusieurs autres biais sont particulièrement pertinents. Le biais de recul (hindsight biais) rend particulièrement difficile l’exercice pourtant fréquent pour les juges de devoir ne tenir compte que de ce qui était connu à une certaine date dans le passé [49]. Nous avons tendance à surestimer de manière rétrospective la part de ce qui aurait pu être anticipé [50]. En matière contractuelle, cela suggère que l’appréciation des dommages prévisibles risque de refléter des éléments qui ne pouvaient en réalité être connus lors de la formation du contrat [51].

3.2 – Les usages juridiques des sciences comportementales

Deux enseignements fondamentaux

27Le constat selon lequel nos jugements, nos préférences et nos tendances sont affectés par toutes sortes de biais a deux implications très générales. En premier lieu, les comportements humains ne sont pas rationnels, mais, en second lieu, ils sont prévisibles. Les juristes, comme à vrai dire tous ceux qui ne sont pas économistes, se doutaient que nos comportements ne sont pas ceux d’un homo œconomicus tenant parfaitement compte de toute l’information disponible pour optimiser rationnellement ses décisions. Toutefois, le fait que des psychologues aient pris la peine de le démontrer, expériences à l’appui, interdit désormais de l’ignorer [52]. Dès lors, toutes les règles de droit, qui supposent – généralement implicitement – des comportements beaucoup plus rationnels que ceux qu’on peut réellement observer, se voient éclairées d’une lumière plutôt crue. Par exemple, les règles, très nombreuses en droit de la consommation, qui prescrivent une information obligatoire, soit supposent que les consommateurs sont des super-héros capables de tenir compte de toute cette information, ce qui n’est pas réaliste, soit servent en réalité un but autre que la protection effective des consommateurs et recèlent ainsi une bonne dose d’hypocrisie.

28Le second enseignement est que les biais et heuristiques mentionnés plus haut ont une composante systématique. Aussi les comportements humains, même non rationnels, sont-ils prévisibles. Bien sûr, les biais sont d’une intensité variable d’un individu à l’autre et peut-être d’une culture à l’autre. Plusieurs peuvent être simultanément présents sans nécessairement jouer dans le même sens. Les comportements sont complexes et la prévision est donc difficile. Pour autant, c’est un objet de recherche prometteur que de rechercher les situations dans lesquelles une intervention du droit est jugée nécessaire, un ou plusieurs effets comportementaux sont très probablement à l’œuvre et le droit n’en tient pas encore compte. Il est, dans ces cas-là, sensé de se demander si une meilleure intégration des enseignements comportementaux permettrait à l’intervention publique de mieux atteindre son but.

L’intégration des enseignements

29Chaque fois qu’il paraît légitime d’intégrer des enseignements comportementaux à la confection du droit, ce qui bien sûr doit faire l’objet d’un questionnement, différentes stratégies s’offrent aux décideurs.

30Les deux stratégies principales consistent, pour l’une, à éviter que des choix biaisés n’aient des conséquences néfastes, pour l’autre, à tenter de dé-biaiser les choix. La première stratégie consiste à instaurer une protection en évitant que ceux qui pourraient être sous l’emprise d’un biais ne soient en charge de certaines décisions (insulating strategies) [53]. Par exemple, face à la probabilité que les dirigeants de société souffrent de ce que les psychologues appellent le biais d’optimisme [54], le droit peut prévoir que certaines décisions doivent être approuvées par des dirigeants non exécutifs. Ce faisant, le droit insère un isolant entre les décisions individuelles (ici celles des directeurs) et les résultats (ici pour la société).

31Par contraste, débiaiser consiste à tenter de corriger par des règles de droit les effets indésirables des biais de comportements prévisibles [55]. Cette stratégie souvent désignée comme celle du nudging[56] laisse une plus grande place au choix, même imparfait, mais en prenant des mesures concrètes pour que les choix soient moins influencés par les biais prévisibles qu’ils ne le seraient en l’absence d’intervention du droit. Par exemple, face au risque – largement avéré – que la préférence pour le présent n’aboutisse à une épargne retraite insuffisante, on peut certes isoler les retraites de l’épargne, par un système de mutualisation, mais on peut aussi prévoir des règles qui joueront sur les biais pour augmenter le taux d’épargne. À cet égard, le biais d’inertie est un précieux allié. Il s’agit de la tendance que nous avons à ne pas modifier le status quo, alors même que ce serait possible et que ce serait dans notre intérêt. C’est le mécanisme qui fait que nous ne nous désabonnons pas d’un magazine que nous ne lisons plus ou que nous ne décochons pas une case précochée lorsque nous remplissons un formulaire. Ce biais d’inertie donne une très grande force aux options par défaut. Or la règle légale peut prévoir des options par défaut. Le droit le fait lorsqu’il introduit des règles supplétives de volonté en matière contractuelle ou en présumant le consentement à être donneur d’organes [57]. Pour revenir à l’épargne retraite, il pourrait le faire en disposant que, par défaut, le contrat de travail prévoit un prélèvement sur le salaire pour abonder un fonds d’épargne retraite. À l’heure actuelle, compte tenu de la possibilité de collecter, traiter et mobiliser un nombre important des données personnelles, phénomène qu’on désigne souvent comme big data, la possibilité de façonner des options par défaut plus personnalisées commence à devenir une réalité, notamment dans le monde numérique [58].

32Une seconde dimension de l’intégration dans la règle juridique des outils suggérés par les sciences comportementales consiste à réfléchir à la légitimité d’une intervention [59] et, en particulier, à la place de l’autonomie individuelle. Le débat sur ce thème est très vif entre les auteurs qui soutiennent que la puissance publique peut recourir au nudging et ceux qui font valoir que c’est une atteinte à l’autonomie individuelle [60]. Pour notre part, nous pensons que le débat ainsi formulé dans le contexte américain est largement idéologique. La vraie question n’est pas de savoir s’il est légitime pour la puissance publique d’orienter les choix individuels. Elle le fait déjà, d’une manière généralement considérée comme légitime dans son principe, avec toute une série d’instruments, parmi lesquels la fiscalité. Le fait de recourir à des techniques dont l’efficacité ne repose pas sur la rationalité économique, mais sur d’autres dimensions des comportements ne nous paraît pas en soi choquant. Pour autant, nous reconnaissons très volontiers qu’une distinction mérite d’être faite, aux fins d’apprécier la légitimité et peut-être la constitutionnalité des interventions comportementales [61], entre celles qui laissent la possibilité de refuser l’orientation proposée par la réglementation (par exemple en inscrivant sur un registre son refus du don d’organes) et celles qui ne permettent pas une telle échappatoire, par exemple l’obligation de mettre des images qui suscitent le dégoût sur les paquets de cigarettes [62]. S’il est vrai que ces deux formes d’intervention publique sont prévues par le droit, leur impact respectif sur l’exercice de notre autonomie individuelle est susceptible de varier en fonction de leur différent degré de contrainte sur nos comportements.

33Plus fondamentalement encore, nous pensons que le débat sur la compatibilité de la réglementation comportementale avec le principe d’autonomie individuelle, qui est au fondement de nos systèmes juridiques et protégé par les constitutions de nombreux États, mérite une attention différente de celle qu’il a reçue jusqu’ici dans une discussion très polarisée autour du paternalisme et de l’autonomie [63]. En particulier, une perspective qui serait de nature à modifier les termes de ce débat mérite, à notre sens, d’être explorée d’un point de vue à la fois philosophique et juridique. Elle consiste à repenser ce que signifie restreindre l’autonomie individuelle à la lumière des apports de la psychologie [64]. Pour employer la distinction de Kahneman entre le système de pensée intuitif et rapide (système 1) et le système de pensée rationnel et lent (système 2), il ne nous paraît pas du tout évident, contrairement à ce qui semble souvent présupposé, que toute intervention, dont l’efficacité repose sur une anticipation des réactions du système 1, restreigne nécessairement l’autonomie.

34Notons à cet égard que tant certaines interventions publiques que de très nombreux comportements privés utilisent le levier de nos réactions reptiliennes. Du côté des interventions publiques, on songe à l’obligation de reproduire sur les paquets de cigarettes des images de nature à provoquer le dégoût. Du côté des comportements privés, on peut citer, parmi beaucoup d’autres exemples, l’utilisation des odeurs (généralement agréables) à des fins de marketing. Nous voulons à cet égard soumettre la proposition suivante : l’autonomie individuelle – conçue comme un usage de la faculté de délibérer (fonction du système 2) – ne saurait être restreinte que là où elle aurait été vraisemblablement exercée.

35Dans certaines situations, il est raisonnable de ne pas délibérer, par exemple, en ne lisant pas 60 pages de conditions générales de vente avant d’acheter une chanson à 0,99 € sur iTunes. La délibération étant alors extrêmement improbable, aucune intervention ne saurait être considérée comme une restriction de cette délibération. En d’autres termes, il faut avoir égard à un contrefactuel pertinent. On peut à cet égard proposer une analogie avec l’appréciation d’une restriction de concurrence. On n’impute une restriction de concurrence à des entreprises que dans la mesure où leurs comportements restreignent la concurrence qui, en l’absence de ces comportements, aurait raisonnablement pu se développer compte tenu des conditions du marché (la concurrence praticable). De même, on ne devrait imputer à une intervention (publique ou privée), qui joue sur les réactions du système 1, une restriction de l’autonomie individuelle que si l’on peut raisonnablement penser que, compte tenu des caractéristiques de la situation, les individus auraient effectivement exercé leur autonomie en l’absence de cette intervention.

36Selon cette perspective, les interventions qui sont réellement problématiques du point de vue de la préservation de l’autonomie ne sont pas celles que ciblent les défenseurs de l’autonomie. Ceux-ci ont tendance à critiquer tous azimuts les interventions paternalistes en général. Or, parmi celles-ci, beaucoup se contentent d’influencer le contenu des décisions sans avoir d’impact sur le mode de prise de décision (intuitif ou réflexif). Nous pensons que ces deux cas méritent pourtant d’être distingués du point de vue de la protection de l’autonomie individuelle. Les interventions qui forcent les sujets à changer de mode de navigation cognitif, en provoquant le passage du système 1 au système 2 ou inversement, nous paraissent beaucoup plus intrusives que celles qui influencent le résultat d’une décision tout en laissant les sujets aborder la décision selon le mode intuitif ou réflexif qu’ils ont choisi. Ainsi, un avertissement comme « emprunter de l’argent coûte de l’argent » « réveille » le système 2 afin qu’il reprenne le contrôle des décisions face à une offre qui séduit le système 1. À l’inverse, une stratégie marketing peut chercher à « endormir » le système 2 pour accroître les chances que les sujets décident intuitivement plutôt que réflexivement. Tel est par exemple le cas d’une pratique commerciale qui met en avant « ne payez rien maintenant » et cache les coûts dans un texte peu accessible [65]. Dans l’un et l’autre cas, l’intervention comportementale – publique dans le premier cas, privée dans le second – influe sur le mode de prise de décision (plutôt que sur le seul contenu de la décision). Une telle pratique touche à l’autonomie dans un sens qui mérite d’être davantage étudié. Au nom de l’autonomie individuelle, ne faut-il pas protéger, outre la faculté de choix (d’emprunter ou d’acheter), la possibilité du méta-choix, qui concerne le mode de navigation adopté pour prendre différentes décisions ?

37Dès lors que nos ressources cognitives sont limitées et que nous n’avons pas la capacité de prendre de manière réflexive tous les choix qui jalonnent notre vie, l’autonomie individuelle s’exerce aussi dans le choix de prendre de manière réfléchie un certain ensemble de décisions et de laisser notre pilotage automatique gérer les autres. Comme le souligne Cass Sunstein, ce choix de ne pas choisir – et de nous en remettre, pour certaines de nos décisions, à des architectes de choix à qui nous faisons raisonnablement confiance – nous permet de mieux exercer notre autonomie individuelle là où nous choisissons de l’exercer vraiment [66]. Ce méta-choix du mode de navigation que nous utilisons pour aborder différentes familles de décisions est peut-être en train de devenir la pierre de touche de l’autonomie individuelle et mérite à ce titre notre attention lorsque l’on débat de ce qui restreint l’autonomie.

38Au-delà, la réflexion sur la réglementation qui s’appuie sur le savoir comportemental concerne de nombreuses autres branches du droit. Parmi les usages privés du savoir comportemental, certains appellent une régulation par le droit [67]. En Europe, on peut penser à l’interdiction de la vente par inertie, cette pratique commerciale désormais prohibée par la directive sur les droits des consommateurs qui consiste à faire fond sur le biais de status quo en précochant une case (par exemple, « oui, je veux une assurance annulation » sur un site de vente en ligne de billets d’avion) [68]. Ce type d’encadrement des pratiques commerciales d’influence sur les comportements n’est pas limité au droit de la consommation et peut aussi concerner le droit financier, le droit social ou le droit médical notamment.

39Le droit fiscal n’est pas en reste, comme l’illustre une expérience menée au Royaume-Uni sous la houlette de la Nudge Unit. Pour améliorer le taux de recouvrement des impayés fiscaux, un projet pilote a été mis en place. Des contribuables qui n’avaient pas encore réglé leur dette ont reçu soit la lettre de rappel standard (condition de contrôle), soit une lettre modifiée, dont la formulation faisait appel à ce que les psychologues appellent une norme sociale. La lettre mentionnait ainsi le pourcentage de contribuables dans une situation comparable et dans la même zone géographique qui avaient déjà régularisé leur situation. Le fait d’introduire une comparaison entre le contribuable et ses pairs a augmenté très sensiblement le taux de recouvrement [69]. Au passage, cet exemple montre que les apports de la psychologie peuvent être intégrés aux pratiques administratives sans qu’une modification réglementaire ou une nouvelle interprétation de la loi soit nécessaire.

40La psychologie intéresse aussi le droit judiciaire, qu’il s’agisse, par exemple, des recours collectifs – bel exemple de débat sur les options par défaut avec l’opt-in ou l’opt-out – ou de l’étude de la quérulence, cette hyper-litigiosité qui relève à la fois de la psychiatrie et de la réalité des prétoires.

41Encore une fois, ces exemples n’épuisent pas le champ juridique de la pertinence de la psychologie. Ils visent seulement à évoquer l’intérêt qu’il y a à l’investir et à le cartographier plus précisément. Outre les thématiques d’études interdisciplinaires, les juristes qui souhaitent s’engager dans cette voie doivent aussi s’interroger sur les méthodes.

4 – Les méthodes

42La recherche en droit et sciences comportementales met ainsi en présence deux disciplines, dotées de méthodes propres. D’une part, les études juridiques peuvent avoir une finalité descriptive [70], explicative [71] ou prescriptive [72]. Dans tous les cas, elles sont irriguées par une variété d’approches, parmi lesquelles certaines sont essentiellement doctrinales, d’autres dotées d’une composante empirique [73]. D’autre part, les sciences comportementales sont quant à elles fondamentalement empiriques dans leur élaboration [74]. Plus précisément, dans la méthode scientifique expérimentale, la théorie permet d’échafauder des hypothèses à tester à travers une expérience afin de confirmer ou d’infirmer la théorie. Par exemple, la théorie des perspectives (prospect theory) [75] décrit en psychologie la manière dont les individus évaluent de façon asymétrique les perspectives de perte et de gain : cette théorie peut, typiquement, être mise à profit pour formuler des hypothèses sur les comportements respectifs du demandeur au procès (en situation de gain potentiel) et du défendeur (en situation de perte potentielle), ces hypothèses devant ensuite être testées [76].

43La recherche en droit et sciences comportementales passe par un rapprochement entre un objet d’étude juridique et des apports scientifiques empiriques [77] en matière de jugement et prise de décision, psychologie sociale et cognitive, ainsi qu’en économie comportementale. Les études juridiques peuvent tirer profit de données comportementales qui ont été collectées indépendamment de toute interrogation juridique. Ainsi, les biais cognitifs, tels que ceux d’optimisme ou d’inertie, lesquels ont été mis en exergue dans des contextes divers, permettent de décrypter le comportement à attendre de l’investisseur profane que le droit entend protéger.

44Au-delà, un effort d’analyse des comportements dans un contexte pertinent sur le plan juridique peut être envisagé sous deux formes complémentaires, l’une descriptive, l’autre expérimentale.

4.1 – Approche empirique descriptive

45L’approche empirique descriptive repose sur l’observation et la mesure des phénomènes à l’œuvre. Utilisée et enseignée dans les facultés de droit outre-Atlantique [78], cette méthode permet de saisir la réalité des comportements eu égard à des faits pertinents pour les juristes. Il peut s’agir, par exemple, de collecter des données sur la propension des individus habitant une région inondable à souscrire une assurance contre les catastrophes, ou de la perception par les consommateurs ayant recours au service d’un médiateur public que justice leur a été rendue (ou non). Ces observations de terrain se rapprochent de la sociologie juridique en ce qu’elles s’attachent aux perceptions et aux usages réels du droit plutôt qu’à une théorie à propos des règles de droit [79].

46Il est notable que cet effort de description vise souvent le travail d’institutions, telles que les tribunaux ou les décisions prises par les juges ou les parties, mais rarement les ressorts psychologiques de comportements intéressant le droit. Il est vrai que ces ressorts sont difficiles à saisir par la simple observation [80] et que la fiabilité des interprétations causales [81], et donc des recommandations qui peuvent être faites, est limitée. C’est pourquoi le recours à des expériences selon une procédure contrôlable, qu’elle prenne place au sein d’un laboratoire ou à l’occasion d’une expérience de terrain, s’impose.

4.2 – Approche empirique expérimentale

47La méthode expérimentale, qui n’est pas propre aux recherches en sciences comportementales, exige en général de tester des participants de manière contrôlée et aléatoire (randomised controlled trials). Par exemple, une étude ayant pour but de tester l’existence d’un biais raciste chez des juges commence par répartir les juges participant à l’étude de manière aléatoire, soit dans le groupe soumis au « traitement » expérimental (où les participants sont conditionnés pour penser que le défendeur est de couleur), soit dans le groupe de contrôle (aucun conditionnement) [82]. La répartition aléatoire des sujets de l’expérience [83] permet d’éviter des différences systématiques entre les groupes : le conditionnement a une probabilité identique d’être administré à chacun des sujets. Les données issues des différents groupes – dans cette étude les décisions prises dans une même affaire fictive soumises aux juges des deux groupes – sont ensuite soumises à un traitement statistique afin de déterminer si le traitement a entraîné des variations significatives par rapport aux résultats du groupe de contrôle.

48Il est important de garder à l’esprit que les apports des sciences comportementales au droit doivent se comprendre au regard de la nature empirique de cette discipline. Ainsi, les expériences en laboratoire ne reproduisent-elles qu’une réalité simplifiée – à défaut, les paramètres se multiplient et empêchent le mécanisme de contrôle. Or, si de telles expériences permettent d’analyser des phénomènes précis et de mettre en évidence des rapports de causalité, la validité de ces conclusions dans un contexte « réel » doit être appréciée avec soin [84]. Il est également délicat de tirer des conclusions lorsque des biais agissant en sens opposés peuvent être mis en évidence. Prenons le cas des recours collectifs où les magistrats peuvent être confrontés à des biais qui agissent en sens inverse. D’un côté, plus le nombre de victimes est élevé, plus elles apparaissent comme une masse anonyme et moins la sympathie pour les individus jouera, car leur multiplication diminue la possibilité de se les représenter de manière identifiable et individualisée, reflétant ainsi les limites de l’esprit humain confronté à des grands nombres [85]. D’un autre côté, la sévérité tend à se relâcher lorsque les demandeurs font bloc à plusieurs face à un défendeur [86]. Ces exemples suggèrent combien le bon usage des sciences comportementales par le droit est exigeant et doit être fondé sur une compréhension approfondie de l’un et l’autre champ, voire sur une méthode propre à la combinaison des deux champs [87].

49Par ailleurs, la validité externe des résultats obtenus, c’est-à-dire leur signification concrète, est accrue lorsque les sujets des études expérimentales sont des acteurs réels de la vie juridique plutôt que des étudiants. Au-delà, pour tirer des conclusions valides, il est nécessaire de prendre en compte les différences individuelles [88]. Typiquement, il a été mis en évidence que moins de 0,5 % des consommateurs prennent connaissance des conditions générales de vente avant de procéder à un achat sur Internet [89] ; toutefois, la conclusion, clé pour le juriste, selon laquelle les contrats ne sont pas lus par les consommateurs, doit être nuancée, car une autre étude a permis d’observer que plus de 70 % des consommateurs prennent connaissance des clauses de leur contrat de location de voiture ou de prêt hypothécaire [90].

Conclusion

50À la manière d’un kaléidoscope [91], le savoir empirique sur les comportements humains permet de forger une vision différente et évolutive des enjeux intéressant les juristes. Reconnaître la pertinence de ce savoir pour le droit s’impose aujourd’hui, tant au regard des innovations substantielles dans la recherche juridique que de l’intérêt grandissant de l’approche comportementale pour les décideurs politiques et les praticiens du droit. Il est temps de reconnaître que les règles de droit sont amenées à jouer, au moyen des outils fournis par les sciences comportementales, sur les leviers qui déterminent les comportements [92].

51Cependant, la prise en considération des phénomènes cognitifs dans le droit n’est ni immédiate ni automatique. Si les sciences comportementales fournissent une meilleure compréhension du comportement humain, en soulignant notamment les limites du modèle rationnel, elles n’offrent pas une méthode capable de les mettre en œuvre juridiquement [93]. S’ouvre dès lors un véritable champ de recherche qui apparaît pour l’instant largement dominé par une dialectique, plutôt vivace, entre les méthodes des économistes et celles des psychologues. Cela représente un vrai défi tant pour les juristes, appelés à créer des ponts entre les sciences comportementales et le droit, que pour les décideurs politiques, dans la mesure où ces derniers ont vocation à parcourir ces ponts lorsqu’ils sont appelés à produire le droit [94]. Prendre en considération plus systématiquement les comportements dans l’élaboration et l’application du droit constitue une entreprise ambitieuse. Celle-ci doit être abordée en tenant pleinement compte de la spécificité du droit, mais également en élaborant une méthodologie adaptée aux questions empiriques du droit. Ce manifeste est une invitation à relever ce défi.


Mots-clés éditeurs : droit et psychologie, nudge, analyse comportementale du droit, approche empirique, théorie du droit

Date de mise en ligne : 18/10/2016

https://doi.org/10.3917/ride.303.0315

Notes

  • [1]
    Cette question a reçu en anglais le nom de no reading problem et a été discutée dans plusieurs articles récents. S.I. Becher et E. Unger-Aviram, « The Law of Standard Form Contracts : Misguided Intuitions and Suggestions for Reconstruction », DePaul Business & Commercial Law Journal, 8, 2010, p. 199 ; Y. Bakos et al., « Does Anyone Read the Fine Print ? Consumer Attention to Standard Form Contracts », 43 Journal of Legal Studies 1, 2014, pp. 1-35 ; I. Ayres et A. Schwartz, « The No-Reading related Problem in Consumer Contract Law », 66 Stanford Law Review, 2015, p. 545.
  • [2]
    Voir not. P. Ancel, « Le droit in vivo ou plaidoyer d’un membre de la “doctrine” pour la recherche juridique empirique », in Mélanges en l’honneur de Philippe Jestaz, Paris, Dalloz, 2006, pp. 1-17.
  • [3]
    R. Savatier, Les métamorphoses économiques et sociales du droit civil d’aujourd’hui, Première série, Panorama des mutations, 3e éd., Paris, Dalloz, 1964, p. 17.
  • [4]
    Voir S.J. Morse et A.L. Roskies (eds.), A Primer on Criminal Law and Neuroscience, Oxford Series in Neuroscience, Law & Philosophie, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; P. Morvan, Criminologie, 2e éd., Paris, LexisNexis, 2016, n° 294. Les interrogations éthiques et juridiques sur le système judiciaire pénal qui y sont associées irriguent le « neurodroit ». Sur cette discipline, voir dossier Le cerveau, nouvel avocat de la justice ? – Le cerveau et la loi : éthique et pratique du neurodroit, Sciences Psy, mai 2015, n° 3 : Document de travail n° 2012-07, Centre d’analyse stratégique, sept. 2012 : http://archives.strategie.gouv.fr. En langue anglaise, voir not. M. Pardo et D. Patterson, Minds, Brains, and Law : The Conceptual Foundations of Law and Neuroscience, New York, Oxford University Press, 2014. Pour une bibliographie étendue, voir not. les travaux dirigés par O.D. Jones au sein du réseau Neurolaw : www.lawneuro.org. Typiquement, le visionnage par IRM ou électroencéphalogramme des aires cérébrales permet de repérer celles qui sont activées : cette information pourrait, dans le futur, permettre de révéler si un accusé ou un témoin ment ou dit la vérité. D’ores et déjà certaines juridictions (états-Unis, Royaume-Uni, Inde et Pays-Bas) autorisent l’accusé à prouver un trouble mental ou l’absence d’intention de façon indirecte par un électroencéphalogramme ou un scanner révélant une anomalie cérébrale comme une tumeur (voir L. Pignatel, « L’émergence du neurodroit dans le monde », Sciences Psy, mai 2015, n° 3, p. 43). En France, l’article 16-14 du Code civil (issu de la loi du 7 juillet 2011) dispose que « les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires » et avec le consentement exprès de la personne. Concernant les expertises judiciaires, l’usage de l’imagerie cérébrale se limite à l’évaluation de préjudices corporels comme le traumatisme crânien. Il faut noter que texte ne régit que la matière civile et n’érige donc pas d’obstacle dans une procédure pénale. Là, le principe de loyauté de la preuve pourrait cependant exclure la recevabilité d’une preuve ainsi obtenue (P. Morvan, Criminologie, op. cit., supra note 3). Au surplus, l’exonération de responsabilité pénale, ou la condamnation d’office sur le fondement de ce type de preuves ne paraît pas possible, car, ainsi qu’il a été souligné, ce ne sont pas des cerveaux, mais des gens qui commettent des infractions (« Brains do not commit crimes ; people commit crimes », S.F. Morse, « Brain Overclaim Syndrome and Criminal Responsibility : A Diagnostic Note », Ohio State Journal of Criminal Law, 2006, vol. 3, p. 397).
  • [5]
    Nous employons « sciences comportementales » dans un sens très large, qui correspond à celui de behavioural sciences. Il engloble l’économie comportementale ainsi que les différentes branches de la psychologie dont l’éclairage empirique peut être pertinent pour rendre compte des comportements individuels, des comportements de groupe ainsi que de la manière dont les individus traitent l’information, forment des jugements et prennent des décisions. Les branches de la psychologie qui sont particulièrment pertinentes sont la psychologie sociale et la psychologie cognitivo-comportementale, la psychologie du jugement et de la décision. Nous sommes conscients que cet usage est inhabituel pour nos collègues psychologues francophones.
  • [6]
    À notre connaissance, les seuls articles publiés en français s’inscrivent dans ce courant de recherche : A. Biard et M. Faure, « Ce que l’économie comportementale peut apporter aux juristes », RTD eur. 2015/4, pp. 715-137 ; les articles rassemblés dans Psycho-Droit, 1-2016, numéro spécial « La psychologie et le droit : Quels liens ? », pp. 17-39 ; M. Cannarsa, « Les consommateurs aussi ont des sentiments ! Quels effets sur leurs patrimoines ? », in F. Violet (dir.) Personne et patrimoine en droit. Recherche sur les marqueurs d’une connexion, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 107-123.
  • [7]
    La Behavioural Insights Team, plus connue sous le nom de Nudge Unit (sur ce nom, voir infra note 33), fut créée en 2010 au sein du cabinet du Premier ministre. Elle a été privatisée en 2014 et conseille désormais non seulement le gouvernement britannique, mais également de nombreux gouvernements étrangers. http://www.behaviouralinsights.co.uk/.
  • [8]
    La création de la Social and Behavioral Sciences Team (SBST) au sein de la Maison-Blanche date de février 2015.
  • [9]
    La Behavioural Foresights Team a été créée en 2014 au sein du Joint Research Center, une unité de la Commission européenne qui assure l’interface entre la recherche scientifique et la Commission.
  • [10]
    En France, la réflexion est impulsée par le service Stratégie interministérielle de modernisation. En Allemagne, la stratégie Wirksam regieren a été mise en place par la Chancellerie fédérale.
  • [11]
    P. Lunn, Regulatory Policy and Behavioural Economics, Paris, OCDE, 2014 ; OECD, « Behavioural Insights and new Approaches to Policy Design : The Views from the Field », 23 January 2015, http://www.oecd.org/gov/behavioural-insights-summary-report-2015.pdf.
  • [12]
    Le Rapport sur le développement dans le monde 2015 est intitulé Pensée, société et comportement et soutient la diffusion de réglementations fondées sur les apports des sciences comportementales. http://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2014/12/02/world-development-report-2015-explores-mind-society-and-behavior.
  • [13]
    A. Rabagny, L’image juridique du monde, Paris, PUF, 2003.
  • [14]
    Ces faits sont ceux qui ont donné lieu à l’arrêt Rau, à propos d’une réglementation belge. CJCE, Rau Lebensmittelwerke c. De Smedt PVBA, aff. C-261/81, EU :C :1982 :382.
  • [15]
    J. Carbonnier, « Études de psychologie juridique », Annales de l’Université de Poitiers, Deuxième série, t. II, 1949, pp. 1-18. Quinze des dix-huit pages sont consacrées à Racine, Balzac et Molière. Nous discutons les trois autres pages ci-après dans la section 2. Voir aussi F. Terré, « Carbonnier avait raison… à propos de la psychologie juridique », in La psychologie et le droit : Quels liens ?, Psycho-Droit 2016, n° 1, numéro spécial, p. 13.
  • [16]
    Voir, par exemple, l’usage de Cervantes dans les conclusions sous les affaires Voß, aff. C-300/06, EU :C :2007 :424, pt 18 (sur la psychologie des femmes et leurs rapports à la lecture) ; Gintec c. Verband Sozialer Wettbewerb, aff. C-374/05, EU :C :2007 :93, pt 49 (à propos des réactions des consommateurs à une publicité faite au moyen de tirages au sort) ; Placanica, aff. C-338/04, C-359/04 et C-360/04, EU :C :2006 :324, pt 95 (sur les attraits du jeu). Notons que le même avocat général ne dédaignait pas de citer à la fois Marcel Proust et des études de neurophysiologie dans une affaire de marques, à propos de la mémorisation d’une odeur. Voir conclusions sous l’arrêt Sieckmann c. Deutsches Patent- und Markenamt, aff. C-273/00, EU :C :2001 :594, pt 30.
  • [17]
    « Études de psychologie juridique », op. cit., supra note 15.
  • [18]
    Ibid.
  • [19]
    Pour une discussion approfondie dans le contexte américain, voir J.J. Rachlinski, « New Law and Psychology », 85 Cornell L. Rev., 2000, p. 739.
  • [20]
    Une définition relativement large peut être trouvée sur le site de l’École de droit de l’Université de Stanford : « Conflict resolution and negotiation ; judgment and decision-making capacity ; prejudice and stereotyping ; criminal responsibility ; competency ; assessment of evidence, including the reliability of eyewitnesses, and lie detection ; hedonics ; developmental psychology and educational policy ; addiction and drug policy », www.law.stanford.edu/degrees/joint-degrees/law-and-psychology.
  • [21]
    Voir, dans le même sens, J.-P. Relmy, « La psychologie juridique ou l’avènement d’une nouvelle discipline », in La psychologie et le droit : Quels liens ?, Psycho-Droit 2016, n° 1, numéro spécial, pp. 17-39, spéc. p. 18.
  • [22]
    Voir, par ex., C. Jolls et al., « A Behavioural Approach to Law & Economics », 50 Stanford Law Review, 1998, p. 1471 ; C. Jolls, « Governing America : The Emergence of Behavioural Law & Economics », Max Weber Lecture Series, 2010/3 ; R. Bubb et R. Pildes, « How Behavioral Economics Trims its Sails and why », 127 Harvard Law Review, 2014, p. 1593. In the EU context : H. Luth, Behavioural Economics in Consumer Policy : The Economic Analysis of Standard Terms in Consumer Contracts Revisited, Anvers, Intersentia, 2010 ; M. Lissowska, « Overview of Behavioural Economics Elements in the OECD Consumer Policy Toolkit », 34 J. Consum. Policy, 2011, p. 393 ; P. Lunn, Regulatory Policy and Behavioural Economics, op. cit., supra note 11.
  • [23]
    Le terme anglais behavioural se traduit par « comportemental ». Ce n’est pas une référence à ce que l’on appelle en français « behaviourisme ».
  • [24]
    Pour un récit très accessible au grand public des principaux résultats et des recherches qui y ont mené, voir D. Kahneman, Thinking Fast and Slow, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2011, trad. fr. R. Clarinard, Système 1/Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, Paris, Flammarion, 2012.
  • [25]
    D. Kahneman, préface de S. Mullainathan et E. Shafir, Scarcity : Why Having Too Little Means So Much, New York, Times Books, 2013, p. IX.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    Th.S. Ulen, « European and American Perspectives on Behavioral Law and Economics », in Kl. Mathis (ed.), European Perspectives on Behavioural Law and Economics, Economic Analysis of Law in European Legal Scholarship, vol. 2, Zurich, Springer, 2015.
  • [28]
    Bien sûr, le droit n’est pas que cela et a notamment une fonction expressive, qui consiste à poser pour elles-mêmes des normes qui expriment des valeurs communes. C’est d’ailleurs cette dimension qui permet, lorsque l’on réfléchit au droit dans une perspective instrumentale, de mettre en lumière des arbitrages entre plusieurs dimensions d’une bonne règle. Sur ce thème, voir C.R. Sunstein, « On the Expressive Function of the Law », 144 University of Pennsylvania Law Review, 1996, pp. 2021-2053 ; Y. Feldman et O. Lobel, « Behavioural Trade-Offs : Beyond the Land of Nudges Spans the World of Law and Psychology », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, Oxford, Hart, 2015, pp. 301-324.
  • [29]
    Sur la distinction entre efficacité et efficience, voir A.-L. Sibony, « Du bon usage des notions d’efficacité et d’efficience en droit », in M. Fatin-Rouge Stéfanini, L. Gay et A. Vidal-Naquet (dir.), L’efficacité de la norme juridique, Nouveau vecteur de légitimité ?, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 61-84, http://hdl.handle.net/2268/121509.
  • [30]
    A. Tor, « The Methodology of the Behavioral Analysis of Law », 4 Haifa Law Review, 2008, p. 237, qui défend l’idée selon laquelle l’analyse comportementale est à la fois normativement neutre et pertinente d’un point de vue normatif.
  • [31]
    Il s’agit d’identifier, évaluer et critiquer l’alignement des moyens et des objectifs, voir Th.S. Ulen, « The Importance of Behavioral Law », in E. Zamir et D. Teichman (eds.), The Oxford Handbook of Behavioral Economics and the Law, Oxford, Oxford University Press, 2014, pp. 93-124, spéc. p. 94.
  • [32]
    Pour une critique des obligations d’information dans une perspective comportementale, voir O. Bar-Gill, Seduction by Contract, Oxford, Oxford University Press, 2012. Pour une discussion dans le contexte européen, voir A.-L. Sibony et G. Helleringer, « EU Consumer Protection and Behavioural Sciences : Revolution or Reform ? », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 209-233.
  • [33]
    R.H. Thaler et C.R. Sunstein, Nudge : Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness, New Haven, Yale University Press, 2008, trad. fr. Nudge, La méthode douce pour inspirer la bonne décision, Paris, Vuibert, 2010 ; D. Ariely, Predictably Irrational : The Hidden Forces that Shape Our Decisions, New York, Harper Collins, 2008, trad. fr. C’est vraiment moi qui décide, Paris, Flammarion, 2012 ; D. Kahneman, Thinking Fast and Slow, op. cit., supra note 24 ; M.H. Bazerman et A.E. Tenbrunsel, Blind Spots : Why we Fail to do What’s Right and What to do about it, Princeton, Princeton University Press, 2011.
  • [34]
    Sur la signification de ce terme et l’évolution des conceptions au cours du temps, voir C. Engel et G. Gigerenzer, « Law & Heuristics - an Interdisciplinary Venture », in G. Gigerenzer et C. Engel (eds.), Heuristics & the Law, Dahlem Workshop Reports, Cambridge, MA, MIT Press, in cooperation with Dahlem University Press, 2006, pp. 1-16.
  • [35]
    G. Gigerenzer et P. Todd, « Fast and Frugal Heuristics - the Adaptive Toolbox », in G. Gigerenzer, P. Todd et The Centre for Adaptive Behaviour and Cognition (ABC Research Group), Simple Heuristics that Make us Smart, New York, Oxford University Press, 1999, 415 p.
  • [36]
    Voir A. Tversky et D. Kahneman, « Subjective Probability : A Judgment of Representativeness », in D. Kahneman, P. Slovic et A. Tversky (eds.), Judgment Under Uncertainty : Heuristics and Biases, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, 32, pp. 39-40 ; A. Tversky et D. Kahneman (eds.), « Judgment under Uncertainty : Heuristics and Biases », Science, 1974, vol. 185, n° 4157, pp. 1124-1131.
  • [37]
    R.H. Thaler et C.R. Sunstein, Nudge : Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness ?, op. cit., supra note 33, p. 35 (édition originale).
  • [38]
    Voir infra note 68 pour un exemple.
  • [39]
    Il n’est par exemple pas anodin que, en février 2014, les électeurs suisses aient été appelés à se prononcer pour ou contre « la fin de l’immigration de masse ». Le résultat (50,3 % pour) aurait-il été le même si la question avait été posée de manière plus positive ?
  • [40]
    Voir A. Tversky et D. Kahneman, « The Framing of Decisions and the Psychology of Choice », Science, 211, 1981, pp. 453-458. En l’espèce, un échantillon de 152 étudiants pour le premier test et 155 pour le second se sont vu présenter les questions suivantes [pourcentage de réponses entre crochets] (p. 453) (traduction libre) :
    Expérience 1 (cadrage positif) : Imaginez que les États-Unis tentent d’anticiper une épidémie d’une maladie asiatique peu connue dont on s’attend à ce qu’elle tue 600 personnes. Deux programmes alternatifs destinés à combattre la maladie ont été proposés. En faveur de quel programme vous prononceriez-vous dans l’hypothèse où les estimations statistiques exactes relatives aux effets relatifs des deux programmes sont les suivantes : (A) si le plan A est adopté, 200 personnes seront sauvées [solution choisie par 72 % des sujets] ; (B) si le plan B est adopté, il y a 1/3 de chances que 600 personnes soient sauvées et 2/3 de chances que personne ne soit sauvé [solution choisie par 28 % des sujets]. Expérience 2 (cadrage négatif, même mise en contexte et question) : (C) si le plan C est adopté, 400 personnes vont mourir [solution choisie par 22 % des sujets] ; (D) si le plan D est adopté, il y a 1/3 de chance que personne ne meure et 2/3 de chances que 600 personnes meurent [solution choisie par 78 % des sujets]. Dans le cadrage positif, les réponses montrent une aversion au risque. Dans le cadrage négatif, les réponses montrent une disposition au risque, et ce, alors que les choix sont identiques.
  • [41]
    B.M. Hutter, « What Makes a Regulator Excellent ? A Risk Regulation Perspective », Penn Program on Regulation’s Best-in-Class Regulator Initiative, June 2015, https://www.law.upenn.edu/live/files/4719-hutter-ppr-bicregulatordiscussionpaper-06-2015pdf.
  • [42]
    A. Tversky et D. Kahneman (eds.), « Judgment under Uncertainty : Heuristics and Biases », op. cit., supra note 36.
  • [43]
    Sur ce dernier point, J.K. Robbennolt et Ch.A. Studebaker, « Anchoring in the Courtroom : The Effects of Caps on Punitive Damages », 23 Law & Hum Behav., 1999, p. 353.
  • [44]
    Voir W. Kip Viscusi et J.T. Hamilton, « Are Risk Regulators Rational ? Evidence from Hazardous Waste Cleanup Decisions », 89 Am. Econ. Rev., 1999, p. 1010 (analyse du jeu des biais cognitifs en matière de réglementation environnementale).
  • [45]
    C.R. Sunstein, « Probability Neglect : Emotions, Worst Cases, and Law », Yale Law Journal, vol. 112, 2002, pp. 61-107.
  • [46]
    Il peut s’agir d’un accident d’avion comme du risque qu’il soit arrivé malheur à votre adolescente qui tarde à rentrer d’une fête (exemple pris par D. Kahneman dans Thinking Fast and Slow, op. cit., supra note 24, p. 114).
  • [47]
    Voir, à cet égard, les travaux de J.J. Rachlinski et coauteurs, not. C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Inside the Judicial Mind », Cornell Law Review, vol. 86, n° 4, mai 2001 ; C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Judging by Heuristic Cognitive Illusions in Judicial Decision Making », 86 Judicature 44, 2002-2003 ; C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Blinking on the Bench : How Judges Decide Cases », 93 Cornell L. Rev., 1, 2007-2008 ; C. Guthrie, J.J. Rachlinski et A. Wistrich, « Heart Versus Head : Do Judges Follow the Law or Follow Their Feelings ? », 93 Texas L. Rev., 855, 2015 ; J.J. Rachlinski, A. Wistrich et C. Guthrie, « Can Judges Make Reliable Numeric Judgments ? Distorted Damages and Skewed Sentences », Indiana L. J., vol. 90, n° 2, Article 6, 2015.
  • [48]
    Voir C. Dunlop et C. Radaelli, « Overcoming Illusions of Control : How to Nudge and Teach Regulatory Humility », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 301-324 et O. Perez, « Can Experts be Trusted and What can be Done about it ? Insights from the Biases and Heuristics Literature », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, ibid., pp. 115-137.
  • [49]
    B. Fischhoff, « Hindsight Does not Equal Foresight : The Effect of Outcome Knowledge on Judgment under Uncertainty », 1 J. Exp. Psych., 1975, p. 288. For a thorough review of the literature on this bias at the time see : J.J. Rachlinski, « A Positive Psychological Theory of Judging in Hindsight », 65 U. Chi. L. Rev., 1998, 571, pp. 576-586. Voir aussi R. L. Guilbault, F. B. Bryant, J. Howard Brockway et E. J. Posavac, « A Meta-Analysis of Research on Hindsight Bias », 26 Basic and App. Soc. Psych., 2004, p. 103.
  • [50]
    U. Hoffrage, R. Hertwig et G. Gigerenzer, « Hindsight Bias : a By-Product of Knowledge Updating ? », 26 J. Experim. Psych. : Learn., Mem., & Cog., 2000, 566, pp. 577-579.
  • [51]
    J.J. Rachlinski, « Heuristics and Biases in the Courts : Ignorance or Adaptation ? », 79 Or. L. Rev., 2000, 61, pp. 70-81.
  • [52]
    Kahnemann et Tversky ont reçu le prix Nobel d’économie pour ces travaux qui remettaient en cause le paradigme dominant de la discipline.
  • [53]
    C. Jolls et C. Sunstein, « Debiasing through Law », 35 Journal of Legal Studies, 2006, p. 199.
  • [54]
    Il s’agit de la tendance à anticiper le futur en minorant de manière systématique les risques de survenance d’événement négatifs. Sh.E. Taylor et J.D. Brown, « Illusion and Well-Being : a Social Psychological Perspective on Mental Health », 103 Psychol Bull., 1988, p. 193 ; Sh.E. Taylor et J.D. Brown, « Positive Illusions and Well-Being Revisited : Separating Fact from Fiction », 116 Psychol Bull., 1994, 21, pp. 22-23 ; N.D. Weinstein, « Unrealistic Optimism About Future Life Events », 39 J. Personality and Soc. Psychol., 1980, p. 806.
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    R.H. Thaler et C.R. Sunstein, Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision, op. cit., supra note 33.
  • [57]
    Article L. 1232-1 du Code de la santé publique.
  • [58]
    A. Porat et L. Jacob Strahilevitz, « Personalizing Default Rules and Disclosure with Big Data », http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2217064 ; C. Sunstein, Choosing not to Choose : Understanding the Value of Choice, Oxford, Oxford University Press, 2015, pp. 157 et s.
  • [59]
    Sur cette question, voir les observations de C. Régis, Psycho-Droit, 1-2016, numéro spécial La psychologie et le droit : quels liens ?, pp. 119-129, p. 127 et notamment les commentaires à propos de la distinction entre pure public nudging (intervention publique pour influencer les comportements dans un objectif d’intérêt général) et counter-nuding (neutralisation de l’exploitation des biais cognitifs par des sujets privés) proposée par A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, p. 24.
  • [60]
    Pour une critique de principe (principalement philosophique) du nudging, M. White, The Manipulation of Choice : Ethics and Libertarian Paternalism, New York, Palgrave, 2013. Pour une perspective plus juridique dans le contexte européen, A. Van Aacken, « Judge the Nudge : in Search of the Legal Limits of Paternalistic Nudging in the EU », in A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 83-112.
  • [61]
    Pour une synthèse des questions de constitutionnalité et plus généralement de droit public soulevées par la réglementation comportementale : A. Alemanno et A. Spina, « Nudging Legally - On the Checks and Balances of Behavioural Regulation », International Journal of Constitutional Law, vol. 12, n° 2, 2014, pp. 429-456.
  • [62]
    R. Baldwin, « From Regulation to Behaviour Change : Giving Nudge the Third Degree », 77 Modern Law Review, 2014/6, pp. 831-857.
  • [63]
    Le débat est très polarisé entre les auteurs qui s’opposent par principe à tout paternalisme, estimant mal fondée toute démarche fondée sur l’idée qu’un gouvernement bénévole sait ce qui est bon pour les individus (M. White, The Manipulation of Choice : Ethics and Libertarian Paternalism, op. cit., supra note 60) et ceux qui défendent la légitimité des interventions paternalistes dans certains cas (en particulier S. Conly, Against Autonomy - Justifying Coercive Paternalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2013). Voir aussi R. Rebonato, Taking Liberties - A Critical Examination of Libertarian Paternalism, New York, Palgrave Macmillian, 2012 ; P.G. Hansen et A.M. Jespaersen, « Nudge and the Manipulation of Choice : a Framework for the Responsible Use of the Nudge Approach to Behaviour Change in Public Policy », 2013, 4(1) European Journal of Risk Regulation 3 ; E. Selinger et K. Whyte, « Is There a Right Way to Nudge ? The Practice and Ethics of Choice Architecture », 5(10) Sociology Compass, 2011, p. 923 ; L. Bovens, « Real Nudge », 3(1) European Journal of Risk Regulation, 2012, p. 43 ; C.R. Sunstein, Choosing not to Choose : Understanding the Value of Choice, op. cit., supra note 58 ; C. Sunstein, The Ethics of Influence : Government in the Age of Behavioral Science, Cambridge, Cambridge University Press, 2016 (à paraître).
  • [64]
    A. Alemanno et A.-L. Sibony (eds.), Nudge and the Law : A European Perspective, op. cit., supra note 28, pp. 139-157.
  • [65]
    Pour une analyse fouillée de ces pratiques, voir O. Bar-Gill, Seduction by Contract, op. cit., supra note 32.
  • [66]
    C.R. Sunstein, Choosing not to Choose : Understanding the Value of Choice, op. cit., supra note 58.
  • [67]
    Ce n’est pas le cas de toutes. Par exemple, la pratique d’un employeur qui collerait au sol des autocollants en forme de pieds pour indiquer le chemin des escaliers et inviter les salariés à faire de l’exercice plutôt qu’à prendre l’ascenseur est certainement une pratique d’influence, mais n’appelle pas d’encadrement juridique spécifique.
  • [68]
    Article 22 de la directive 2011/83/UE sur les droits des consommateurs, JOUE L 304, 22 novembre 2011.
  • [69]
    Pour plus de précisions : Behavioural Insight Team, « Applying Behavioural Insights to Reduce Fraud, Error and Debt » (2012) : www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/ file/60539/BIT_FraudErrorDebt_accessible.pdf. L’année suivante, le fisc britannique a modifié ses lettres de rappel dans le sens suggéré par l’expérience menée par la Nudge Unit.
  • [70]
    Ainsi, des efforts d’explication des règles de droit applicables ou de leur comparaison dans différentes juridictions.
  • [71]
    À l’exemple de la théorie du droit ou de la sociologie juridique.
  • [72]
    Voir G. Helleringer et R. Perry, « A Comprehensive Design for Legal Research. Methods, Perspectives and Progression », working paper. Ces trois dimensions peuvent être mises à profit pour construire une théorie dite « générale » dans les cultures juridiques qui favorisent ce type d’approche globale.
  • [73]
    Même si, de manière générale, la recherche de théories générales a traditionnellement occupé une grande place, dans les pays de tradition civiliste en particulier.
  • [74]
    Voir, par exemple, sur le développement d’un domaine spécifique et particulièrement pertinent pour des études croisées avec le droit, la science du jugement et de la prise de décision, Th.D. Gilovich et D.W. Griffin, « Judgment and Decision Making », in S.T. Fiske, D.T. Gilbert et G. Lindzey (eds.), Handbook of Social Psychology, New York, Wiley, 2010, p. 542. Voir aussi W.M. Goldstein et R.M. Hogarth, « Judgment and Decision Research : Some Historical Context », in W.M. Goldstein et R.M. Hogarth (eds.), Research on Judgment and Decision Making : Currents, Connections, and Controversies, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
  • [75]
    D. Kahneman et A. Tversky, « Prospect Theory : an Analysis of Decision under Risk », Econometrica 47, 1979, p. 263.
  • [76]
    Voir les références d’expériences citées par J.K. Robbennholt, « Litigation and Settlement », in E. Zamir et D. Teichman (eds.), The Oxford Handbook of Behavioral Economics and the Law, op. cit., supra note 31, p. 623, spéc. p. 628.
  • [77]
    Des données comportementales sont régulièrement convoquées par le droit, mais la particularité est qu’elles ne sont pas empiriques, et relèvent de postulats rationalistes implicites ou explicites comme dans l’analyse économique du droit.
  • [78]
    Th. Eisenberg, « Why Do Empirical Legal Scholarship ? », 41 San Diego L. Rev., 2004, p. 1741 (qui pointe l’augmentation des cours d’introduction aux méthodes empiriques dans l’offre des law schools américaines) ; R. C. Ellickson, « Trends in Legal Scholarship : a Statistical Study », 29 J. Leg. Stud., 2000, 517, pp. 528-530 ; R.H. McAdams et Th.S. Ulen, « Symposium : Empirical and Experimental Methods of Law : Introduction », 2002 U. Ill. L. Rev., 2002, 789, p. 791 (les auteurs relèvent des indices selon lesquels les méthodes empiriques et expérimentales sont en train de devenir plus communes au sein des études juridiques).
  • [79]
    Sont classiquement opposés law in action et law in the books. Voir R. Pound, « Law in Books and Law in Action », 44 Am. L. Rev., 12, 1910.
  • [80]
    Par ex., l’étude du lien entre la culpabilité d’un défendeur et son comportement devant le tribunal requérait de pouvoir connaître de manière objective la culpabilité. Cette donnée est inconnue, aussi le chercheur pourra-t-il, au mieux, utiliser des indices indirects. A. Tor, « The Methodology of the Behavioral Analysis of Law », op. cit., supra note 30 pp. 282-284.
  • [81]
    C’est-à-dire, techniquement, de la « validité interne » des explications offertes.
  • [82]
    Voir J.J. Rachlinski, Ch. Guthrie et A. Wistrich, « Inside the Bankruptcy Judge’s Mind », Boston University Law Review, 2006, 86, pp. 1227-1265. L’expérience, réalisée sur une population de juges spécialisés en matière d’entreprises en difficulté n’a pas permis d’établir de différence de jugement entre le groupe de contrôle et le groupe soumis au traitement. Toutefois, la même expérience réalisée sur une autre population de magistrats a pu faire apparaître un biais, voir J.J. Rachlinski, S. Johnson, A.J. Wistrich et Ch. Guthrie, « Does Unconscious Racial Bias Affect Trial Judges ? », Notre Dame Law Review, 2008, 84, pp. 1195-1246.
  • [83]
    La sélection aléatoire de participants au sein d’une population donnée bien que recommandée n’est que rarement possible en pratique, voir L. Epstein et A. Martin, An Introduction to Empirical Legal Research, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 6.
  • [84]
    D’un point de vue méthodologique, A. Tor, « The Methodology of the Behavioral Analysis of Law », op. cit., supra note 30 ; d’un point de vue pratique : A. Schwartz, « Regulating for Rationality », Stanford Law Review, 2015, 67,1373, 1380.
  • [85]
    Il a été mis en évidence qu’un dommage affectant un grand nombre de personnes est apprécié de manière moins sévère qu’un dommage infligé à un nombre de personnes plus restreint, voir L.F. Norgren et M.-H. McDonnell, « The Scope-severity Paradox : why Doing More Harm is Judged to be Less Harmful”, (2) Social Psychological and Personality Science, 2011, pp. 97-102.
  • [86]
    I.A. Horowitz et K.S. Bordens, « The Consolidation of Plaintiffs : the Effects of Number of Plaintiffs on Jurors’ Liability Decisions, Damages Awards, and Cognitive Processing of Evidence », (85/6) Journal of Applied Psychology, 2000, pp. 909-918.
  • [87]
    En ce sens, A. Tor, « The Next Generation of Behavioural Law and Economics », in Kl. Mathis (ed.), European Perspectives on Behavioural Law and Economics, Dordrecht, Springer, 2015, pp. 17-29, spéc. p. 22.
  • [88]
    Ibid., supra note 87, pp. 23-26. Adde J.J. Rachlinski, « Cognitive Errors, Individual Differences, and Paternalism », University of Chicago Law Review, 2006, 73, pp. 207-229.
  • [89]
    Y. Bakos, F. Marotta-Wurgler et D.R. Trossen, « Does Anyone Read the Fine Print ? Testing a Law and Economics Approach to Standard Form Contracts », CELS 4th Annual Conference on Empirical Legal Studies Paper, 2009. Voir aussi O. Ben-Shahar, « The Myth of the “Opportunity to Read” in Contract Law », 5(1) European Review of Contract Law, 2009, pp. 1-28.
  • [90]
    D.B. Stark et J.M. Choplin, « A License to Deceive : Enforcing Contractual Myths Despite Consumer Psychological Realities », 5(2) New York University Journal of Law & Business, 2009, pp. 617-744.
  • [91]
    Expression utilisée par C. Régis, « L’approche psychologique du droit : pour mieux comprendre les étincelles de folie et de sagesse », Psycho-Droit, 1, 2016, p. 120.
  • [92]
    Pour un point de vue différent et plus large, voir J.-P. Relmy, « La psychologie juridique ou l’avènement d’une nouvelle discipline », op. cit., supra note 21, pp. 24 et s.
  • [93]
    Voir, par exemple, The Report on Behaviour Change published by the Science and Technology Select Committee of the UK House of Lords, July 2011 ; « A Practitioner’s Guide to Nudging », Rotman Management Magazine (http://www-2.rotman.utoronto.ca/facbios/file/GuidetoNudging-Rotman-Mar2013.ashx.pdf).
  • [94]
    Sur ce thème, voir C. Dunlop et C. Radaelli, « Overcoming Illusions of Control : How to Nudge and Teach Regulatory Humility », op. cit., supra note 28, pp. 139-157.

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