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Article de revue

Réflexions sur l’évolution du droit de la famille et de l’activité du juriste de la famille

Pages 55 à 105

Notes

  • [1]
    C’est par la loi du 30 avril 1958 relative aux droits et devoirs respectifs des époux que le législateur belge a supprimé les articles du code Napoléon qui imposaient à la femme mariée un statut d’"incapacité juridique" (art. 215 et s. anciens Code civil) et qui la soumettaient à la puissance maritale, c’est-à-dire à l’obligation "d’obéir" à son mari (art. 213 ancien Code civil) et de le "suivre partout où il juge à propose de résider" (art. 214 ancien Code civil).
    C’est, par ailleurs, dans le contexte de la loi du 8 avril 1965 relative à la protecstion de la jeunesse que le législateur belge a porté atteinte au régime de la puissance "paternelle" exercée exclusivement par le père pendant le mariage, en lui substituant un régime d’autorité conjointe des deux parents, tempéré cependant par le maintien d’une prédominance du père (art. 373 et 389 Code civil tels que modifiés par la loi du 8 avril 1965).
  • [2]
    J. Dabin, Le statut juridique de l’enfant naturel, in Travaux de la première journée d’études juridiques Jean Dabin, Bruylant, 1965, p. 92 ; voy. infra, n° 11 et note 6.
  • [3]
    Un exemple, significatif et pittoresque, d’une des "vérités" inscrites dans la "nature" et dont les juristes avaient la "conviction" peut être trouvé sous la plume d’un des plus grands civilistes belges, le professeur Henri De Page.
    Jusqu’à la loi du 28 octobre 1974, notre système juridique soumettait l’adultère à un régime différent selon qu’il était commis par la femme ou par l’homme. A la différence de la femme, l’adultère isolé du mari n’était pas pénalement punissable et ne constituait pas une cause de divorce. Il ne le devenait que s’il y avait continuité des relations avec une même concubine dans un lieu qui devait ou pouvait être considéré comme la résidence des deux époux.
    Commentant cette distinction, De Page (Traité élémentaire de droit civil belge, T.I., n° 857) écrivait : "Cette situation, qui choque beaucoup d’esprits, et indigne les partisans du féminisme, est pourtant, si on prend la peine de l’approfondir quelque peu, rigoureusement conforme à la nature des choses. Remarquons d’abord qu’elle est traditionnelle et que, seuls, des poètes s’en sont émus. Pothier la considérait déjà comme "évidente". Et, énonçant ce qu’il appelle les "vraies raisons" de la règle, il poursuivait : "Une fausse pudeur en ces matières ne serait que de l’hypocrisie. La nature sexuelle de l’homme et celle de la femme ne sont pas identiques. Non seulement leurs besoins, mais la loi même qui les gouverne, diffèrent profondément. Une femme n’éprouve que rarement l’irrésistible appel de la chair. En toute hypothèse, celui-ci suppose presque toujours la séduction de l’homme. Il est rarement spontané".
  • [4]
    "Ne craignons pas de le dire : si, dans des choses sur lesquelles nos sens peuvent exercer une emprise tyrannique, l’usage de nos forces et de nos facultés n’eût été constamment réglé par des lois, il y a longtemps que le genre humain eût péri par les moyens mêmes qui lui ont été donnés pour se conserver et pour se reproduire". (Portalis, Présentation au Corps législatif et exposé des motifs, in Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. IX, p. 138).
  • [5]
    H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, n° 1121.
  • [6]
    J. Dabin, Le statut juridique de l’enfant naturel, in Travaux de la première journée d’études juridiques Jean Dabin, Bruylant, 1965, p. 92.
  • [7]
    Au début des années 1970, M. Rigaux avait publié, dans la revue des étudiants de la faculté de droit de l’U.C.L., un article qui avait été considéré comme provoquant et dans lequel il se demandait si le droit positif ne devrait pas organiser, à côté de l’institution classique du mariage, une possibilité de "mariage à l’essai".
    Contrairement à ce qu’on parut lui reprocher, M. Rigaux n’y prônait pas, à titre personnel, le "mariage à l’essai" mais, en juriste, il pensait que les systèmes juridiques occidentaux devaient désormais pratiquer un pluralisme des institutions, qui respecterait le pluralisme des conceptions morales ou des mœurs.
    L’évolution qui est par la suite advenue a démontré que M. Rigaux n’avait fait qu’écrire, à l’époque, ce que plus personne aujourd’hui ne conteste, à savoir que la fonction du droit n’est plus d’imposer un seul modèle de comportement familial ou sexuel.
  • [8]
    F. Rigaux, Les Personnes, t. I, Les relations familiales, Précis de la faculté de droit de l’université catholique de Louvain, Larcier, 1971.
  • [9]
    L. Roussel, La famille incertaine, éd. Odile Jacob, Paris, 1989.
  • [10]
    L. Roussel, op.cit., p. 104.
  • [11]
    L. Roussel, op.cit., p. 107.
  • [12]
    B. Bawin-Legros, Familles, mariage, divorce, Mardaga, Liège, 1988.
  • [13]
    Mme Bawin-Legros explicite sa pensée en écrivant : "Construite sur le mode hiérarchique, la famille conjugale respecte l’ordre du clan, en conférant au père la fonction symbolique de protection, d’autorité, de respect, et à la mère les fonctions liées à la nécessité de la reproduction biologique…
    Parce quelle reproduisait le microcosme signifiant où chacun était à sa place et où chaque place avait un sens, la famille conjugale permettait au niveau sociétal de faire le saut dans la modernité sans détruire complètement les dispositions essentielles du système social. Toute l’idéologie de la privatisation de la famille, c’est-à-dire de la séparation entre la sphère privée, celle des rapports non marchands, du don, de la gratuité, et la sphère publique, lien des rapports marchands, vdu calcul, de la rationalité est née en même temps que la famille conjugale, dans la même volonté de séparer deux sphères traditionnellement confondues… C’est le début de l’enfermement domestique tant dénoncé par les féministes au XXe siècle" (op.cit., p. 24)).
  • [14]
    B. Bawin-Legros, op.cit., p. 25.
  • [15]
    M.Th. Meulders-Klein, La personne, la famille et la loi au sortir du XXe siècle, in J.T., 1982, p. 137 et sv., n°14.
  • [16]
    On peut tenir pour évident, à la lumière de l’observation qui peut être faite des comportements humains, que les contextes dans lesquels l’homme éprouve un sentiment d’insécurité et d’anxiété produisent le besoin et les tentations des énonciations dogmatiques et totalitarisantes.
    La peur de "l’arabe" et la peur du sida ne sont-elles pas, aujourd’hui, les deux mamelles de l’électoralisme de Jean-Marie Le Pen et le moteur d’un retour aux mots d’ordre de "travail, famille, patrie" ?
    Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’impossibilité où se trouverait la science médicale de prévenir ou de soigner le sida ne provoque, par besoin de sécurité, un repli inconscient vers des modèles plus traditionnels de comportement sexuel et familial.
  • [17]
    L. Roussel, La famille incertaine, op.cit., p. 74-75. Alors qu’en 1965, le taux de fécondité était, en Europe, compris entre 3,2 (Pays-Bas) et 2,5 (République fédérale d’Allemagne) enfants par femme, il est tombé en 1985 entre 2 (France) et 1,3 (République fédérale d’Allemagne) enfants par femme. (Pays-Bas : 1,5). Aux Etats-Unis et au Canada, le taux passe respectivement, entre 1965 et 1984, de 2,91 à 1,82 et de 3,15 à 1,69.
  • [18]
    M. Foucault, Histoire de la sexualité, I. La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, p. 143.
  • [19]
    Cet enjeu est le même que celui qui fait l’objet, actuellement, en Belgique, du débat juridique sur l’avortement.
    Comme cette problématique n’est pas spécifiquement liée à l’analyse de l’évolution du droit de la famille, nous nous limiterons simplement à faire observer d’une part qu’il est devenu difficile pour notre système juridique, en présence de deux systèmes éthiques contradictoires qui prétendent chacun à la légitimité, d’imposer sous la menace d’une sanction pénale un modèle par rapport à un autre, et d’autre part, qu’il peut paraître préférable pour un système juridique de renoncer à édicter une règle lorsqu’il apparaît qu’en présence de la violation systématique de cette règle par une partie de la population, le bénéfice de la règle, à savoir son utilité sociale, est devenu inférieur à son coût, à savoir ses effets négatifs ou pervers, que représentent, dans le cas de l’avortement, les risques médicaux liés aux avortements clandestins et la discrimination introduite entre différentes catégories de citoyens.
  • [20]
    Les droits positifs occidentaux ont, par le recours à des mécanismes juridiques diversifiés, consacré l’émergence des valeurs liées au respect de la personnalité de chaque individu par la reconnaissance d’un "droit au respect de la vie privée" ou "right of privacy". Tant la Cour européenne des droits de l’homme que le Cour suprême des Etats-Unis ont, à plusieurs reprises, prononcé des décisions qui sanctionnent les règles générales et abstraites de comportement sexuel et familial portant atteinte, de manière disproportionnée ou discriminatoire, à ce droit de la personne au respect de sa vie privée.
    Voy. not. l’arrêt Dudgeon du 23 septembre 1981 (Publications de la Cour, série A, vol. 45) et l’arrêt Rasmussen du 28 novembre 1984 (Publications de la Cour, série A, vol. 87) de la Cour européenne des droits de l’homme.
    Sur la jurisprudence américaine, voy. F. Rigaux, L’élaboration d’un "right of privacy" par la jurisprudence américaine, in Rev.int.dr.comp., 1980, p. 701.
  • [21]
    Loi du 1er juillet 1974 modifiant certains articles du Code civil et du Code judiciaire relatifs au divorce (Mon. 17 août 1974).
  • [22]
    Loi du 2 décembre 1982 modifiant l’article 232 du Code civil et l’article 1270 bis du Code judiciaire (Mon. 21 décembre 1982).
  • [23]
    Voy. la proposition de loi déposée par M. Van Den Bossche le 7 mai 1986 "visant à permettre le divorce pour cause de séparation de fait d’un an" (Doc. Parl. Chambre, session 1985-86, n° 450-1).
    Voy. également la proposition de loi déposée le 8 décembre 1988 à la Chambre par M. Simons et Mme Vogels modifiant la législation en matière de conflits conjugaux (Doc. Parl. Chambre, session 1988-1989, n° 644/1), qui fixe le délai de la séparation de fait à deux ans.
  • [24]
    Doc. Parl. Sénat, session 1977-1978, n° 305.
  • [25]
    Loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation (Mon. 27 mai 1987).
  • [26]
    L’article 319bis nouveau du Code civil est rédigé de la manière suivants : "Si le père est marié et reconnaît un enfant conçu par une femme autre que son épouse, l’acte de reconnaissance doit en outre être présenté par requête pour homologation au Tribunal de première Instance du domicile de l’enfant. L’épouse du requérant doit être appelée à la cause. Le tribunal instruit la demande en Chambre du Conseil et entend les parties et le Ministère public. Il rejette la demande d’homologation s’il est prouvé que le requérant n’est pas le père de l’enfant".
    Cette restriction - au demeurant très symbolique - apportée à l’établissement de la filiation paternelle adultérine n’a été adoptée, en commission de la Chambre, que par 5 voix contre 4 (Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée du projet de loi modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation et à l’adoption par M. Hermans, Doc. Parl. Chambre, session 1985-1986, n° 378-16, p. 48).
  • [27]
    L’article 335 nouveau §1 du Code civil dispose que "l’enfant dont seule la filiation paternelle est établie ou dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies en même temps porte le nom de son père, sauf si le père est marié et reconnaît un enfant conçu pendant le mariage par une autre femme que son épouse". L’article 335 §3 organise toutefois la possibilité de donner à l’enfant, par déclaration commune de la mère et du père, le nom du père, moyennant, aussi longtemps que dure le mariage, l’accord de la femme avec laquelle le père est marié.
    La solution juridique organisée par l’article 335 du Code civil a été extrêmement controversée au cours des travaux préparatoires de la loi nouvelle.
    Le texte n’a été adopté par la Commission spéciale de la Chambre que par 6 voix contre 5 (Rapport Hermans, op.cit., p. 66).
  • [28]
    Voy. les articles 745 quater et 837 nouveaux du Code civil qui, le premier, refuse à l’enfant adultérin le droit de demander la conversion de l’usufruit exercé par le conjoint survivant sur la part qu’il recueille en nue-propriété dans la succession de son auteur adultérin et, le second, le prive de son droit de prendre sa part en nature dans les biens de la succession de son auteur marié lorsque le conjoint ou les enfants légitimes lui proposent de le désintéresser en valeur.
  • [29]
    Après qu’une loi du 2 juillet 1974 (Mon. 13 août 1974) eut étendu aux prénoms la procédure en changement de nom organisée originairement par la loi révolutionnaire du 11 germinal an XI, la loi du 15 mai 1987 relative aux nom et prénoms (Mon. 10 juillet 1987) a considérablement simplifié les formalités permettant d’obtenir du pouvoir exécutif l’autorisation de changer de nom ou de prénom.
  • [30]
    La Cour d’appel de Bruxelles, par son arrêt du 7 mai 1974 (J.T. 1974, 713, Rev. not. belge 1975, 137, note Kluger et Maes, Pas. 1975, II, 15) avait refusé la rectification de son acte de naissance demandée par "une" transsexuelle nommée D. Van Osterwijck qui affirmait appartenir au sexe masculin. Devant ce refus, l’intéressé(e) déposa plainte à Strasbourg et la Commission européenne des droits de l’homme adopta un rapport qui concluait à la violation par la Belgique des articles 3,8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par son arrêt du 6 novembre 1980, la Cour européenne des droits de l’homme décida toutefois que "faute d’épuisement des voies de recours internes, elle ne pouvait connaître du fond de l’affaire". D. Van Oosterwijck n’avait en effet pas formé de pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles.
  • [31]
    Ayant introduit une nouvelle action en changement de sexe - qui n’était plus présentée comme une action en rectification d’acte d’état civil mais comme une action d’état - D. Van Oosterwijck obtint, par la suite, du Tribunal de première Instance de Bruxelles, d’être reconnu comme appartenant au sexe masculin (Civ. Bruxelles, 23 janvier 1985 et 16 avril 1986, Rev. trim. dr. fam. 1987, p. 283). Sur la problématique des actions en changement de sexe, voy. l’étude approfondie du professeur Edouard Vieujean, in Examen de jurisprudence (1976 à 1982), Personnes, R.C.J.B., 1985, p. 488, n° 12 et s.
  • [32]
    Outre que la loi du 31 mars 1987 permet désormais, à tout enfant, de faire établir par justice son lien de filiation avec l’homme, marié ou non marié, qui a entretenu des relations sexuelles fécondes avec sa mère (art. 322 à 325 nouveaux Code civil), la même loi a libéralisé le régime de l’action qui a pour objet d’écarter la paternité attribuée de plein droit, par l’effet de la loi, au mari de la femme mariée. D’une part, la preuve de la non-paternité peut désormais être faite par tous les moyens, y compris les expertises médico-scientifiques (art. 318 et 331 octies nouveaux Code civil). D’autre part, la paternité peut être écartée à la demande non plus seulement du mari lui-même mais aussi de la mère et, lorsqu’il aura atteint l’âge de 18 ans, de l’enfant, à la condition toutefois que le mari ne l’ait pas élevé comme son enfant (art. 332 nouveau Code civil).
    Dans cette dernière hypothèse, l’enfant prendre l’initiative de faire modifier sa filiation plus de 18 années après sa naissance.
  • [33]
    Voy. notamment la note d’observations de Mme M.-Fr. Lampe, De la possibilité et de l’opportunité d’établir une corrélation entre les obligations et les droits du "père de fait à l’égard de son enfant, sous Civ. Bruxelles, 1er mars 1977, Rev. trim.dr.fam., 1980, p. 71.
  • [34]
    Voy. N. Jeanmart, Les effets civils de la vie commune hors mariage, Larcier, 2e éd., 1986, p. 286, n° 32 et F. Rigaux, L’ordre public et les bonnes mœurs en présence du ménage de fait, in Le Ménage de fait, Actes du colloque organisé par le Centre de recherches juridiques de la faculté de droit de l’U.C.L. les 21 et 22 novembre 1985.
  • [35]
    Le principe de cette égalité a été inscrit, par la loi du 31 mars 1987, dans l’article 334 nouveau Code civil et ce principe n’a été assorti d’aucune restriction pour les enfants nés d’un père et d’une mère non mariés, pour autant - évidemment - qu’ils aient été reconnus par leur père (voy. J.-L. Renchon, Les enfants des concubins, in Le développement de la famille de fait en droit belge, in Les concubinages en Europe, C.N.R.S., 1989, p. 88 et sv.).
  • [36]
    Loi du 1er juillet 1974 modifiant les articles 221, 373 et 389 du Code civil et abrogeant l’article 374 du même code (Mon. 1er août 1974) et loi du 1er juillet 1974 modifiant certains articles du Code civil et du Code judiciaire relatifs au divorce (Mon. 17 août 1974).
  • [37]
    Mon. 10 septembre 1976.
  • [38]
    Voy. infra, n° 35.
  • [39]
    Voy. l’étude de M. B. Maingain, Le pacte de séparation de fait : un mode de règlement licite du conflit familial, in Rev.trim.dr.fam., 1983, p. 265 ; voy. ég. E. Vieujean, Examen de jurisprudence (1976 à 1983), Personnes, in R.C.J.B., 1986, p. 552, n°82.
  • [40]
    Voy. supra, n°26.
  • [41]
    Voy. F. Rigaux, Divorce-sanction et divorce-remède, in J.T., 1968, p. 233.
  • [42]
    Loi du 1er juillet 1972 concernant la procédure du divorce par consentement mutuel et de la séparation de corps et de ses effets (Mon. 18 juillet 1972).
  • [43]
    Voy. le projet de loi déposé au Sénat par le gouvernement le 19 août 1985 modifiant diverses dispositions légales relatives au divorce par consentement mutuel (Doc. parl., Sénat, session 1984-1985, n°951/1) ; la proposition de loi assouplissant les conditions et simplifiant la procédure de divorce par consentement mutuel déposée à la Chambre par M. Van Den Bossche le 7 mai 1986 (Doc.parl. Chambre, session 1985-1986, n°453-1 avec avis très critique du Conseil d’Etat) et redéposée le 5 mai 1988 (Doc. parl. Chambre, session extr. 1988, n°400/1), et la proposition de loi déposée à la Chambre par M. Simons et Mme Vogels le 8 décembre 1988 modifiant la législation en matière de conflits conjugaux (Doc. parl. Chambre, session 1988-1989, n°664/1). Cette dernière proposition a pour objectif de "remanier la procédure, l’alléger et favoriser les accords entre époux sur les mesures à prendre tant à l’égard de la personne des enfants qu’à l’égard de leur patrimoine".
  • [44]
    L’article 321 nouveau du Code civil maintient, contrairement au projet originaire du gouvernement, l’interdiction pour le père de reconnaître son enfant "lorsque la reconnaissance ferait apparaître entre la mère et lui un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser". L’ordre juridique belge n’a donc pas "renoncé" à traduire dans la loi une des règles générales et abstraites de régulation des relations sexuelles qui a, comme Claude Levi-Strauss l’a démontré, contribué à fonder la société des hommes : la prohibition de l’inceste.
  • [45]
    Voy. supra, n°27.
  • [46]
    L’article 319 nouveau du Code civil, adopté à la majorité la plus courte en Commission de la justice du Sénat (9 voix contre 8 - voy. le rapport fait au nom de la Commission de la justice du Sénat par Mme Staels-Dompas, Doc. parl. Sénat, session 1984-1985, n°904-2, p. 65) prévoit désormais que la filiation paternelle d’un enfant né d’une femme non mariée ne peut être établie par un acte de reconnaissance du père que moyennant le consentement préalable de la mère, sauf recours judiciaire du père (Sur la nature de la fonction du juge, dans l’hypothèse de ce recours, voy. infra, n°36).
    Cette disposition, critiquable au regard des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voy. F. Rigaux, Le nouveau droit de la filiation à l’épreuve des droits de l’homme, in Ann. dr. Louvain, 1987, p. 379 et sv., spéc. n°17), aboutit à inscrire symboliquement dans la loi qu’un enfant naturel n’a un père que par la volonté de sa mère.
  • [47]
    Une loi du 9 juillet 1973 (Mon. 9 août 1983) a abrogé, en Belgique, les trois derniers alinéas de l’article 383 du Code pénal qui réprimaient divers actes de propagande ou de publicité en faveur des moyens de contraception.
  • [48]
    La loi du 27 avril 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à l’adoption et la loi du 20 mai 1987 relative à l’abandon d’enfants mineurs (Mon. 27 mai 1987) ont, notamment, modifié les règles du droit international privé applicables à l’adoption aux fins de faciliter l’adoption par des Belges d’enfants étrangers, abaissé l’âge à partir duquel des parents peuvent adopter un enfant, permis l’adoption plénière par un seul parent, institué la possibilité pour les parents d’origine de déclarer leur enfant adoptable et de laisser les formalités de l’adoption se poursuivre à l’intervention d’une œuvre d’adoption, et organisé une procédure permettant de conférer par voie d’autorité à des enfants abandonnés le statut d’enfants adoptables sans le consentement de leurs parents d’origine.
  • [49]
    En Belgique, une proposition de décret relatif à l’insémination artificielle des êtres humains avait été déposée le 24 juin 1982 devant le Conseil de la Communauté française par MM. Lagasse et Gillet. Mais le Conseil d’Etat a estimé que, dans la répartition des compétences entre l’Etat, les communautés et les régions, les communautés n’étaient pas compétentes pour légiférer sur les questions essentielles qui se rattachent au problème de l’insémination artificielle (avis du 19 décembre 1984, Doc. cons. comm. fr., 1984-1985, n° 65-10).
    Sur la problématique juridique de la fécondité artificielle, voy. dans la doctrine belge, A.-M. De Cooman-Van Kan, L’insémination artificielle - Recommandation du Conseil de l’Europe et perspectives de réglementation belge, in J.T., 1981, p. 369 ; M.F. Lampe, Procréation assistée. Problèmes éthiques et juridiques liés au sort de l’embryon. Statut de l’enfant à naître, in Rev. trim. dr. fam., 1986, p. 129 ; J.-L. Renchon, L’insémination artificielle : les interrogations du juriste, in Les nouvelles parentalités : un enfant à tout prix, Actes du colloque organisé le 30 novembre 1985 par la Faculté des sciences psychologiques et pédagogiques de l’U.L.B. ; P. Senaeve, Juridische implicaties van nieuwe ontstaanvormen van menselijk leven, in R.W., 1985-1986, col. 625.
  • [50]
    J. Commaille, Familles sans justices ? Le droit et la justice face aux transformations de la famille, Le Centurion, Paris, 1982, p. 153 et les références citées p. 180.
  • [51]
    J. Gillardin, L’intervention du juge dans le conflit conjugal, in Fonction de juger et pouvoir judiciaire, transformations et déplacements, Facultés universitaires Saint-Louis, 1983, p. 245.
  • [52]
    Les juges ont dès lors, de plus en plus fréquemment, à la demande d’un des époux qui ne souhaite plus, provisoirement, poursuivre la vie commune, aménagé et organisé la séparation de fait des époux, et certains juges ne fixent même plus nécessairement de limites dans le temps aux mesures qu’ils ordonnent.
    Voy. sur la problématique de l’application de l’article 223 du Code civil, D. Cauwelier, De feitelijke scheiding en artikel 223 van het Burgerlijk Wetboek, in R.W., 1980-1981, col. 153 ; M.-F. Lampe, L’article 223 du Code civil et les limites du contentieux familial urgent et provisoire, in Rev. trim. dr. fam., 1983, p. 333 ; C. Panier, L’article 223 du Code civil. Conditions d’application, mesures ordonnées, règles de procédure, in J.T., 1983, p. 641 ; E. Vieujean, Examen de jurisprudence (1976 à 1983), Personnes, in R.C.J.B., 1986, p. 106 et sv„ n° 106 et 107.
  • [53]
    Voy. la note d’observations de M. Christian Panier, Le couple, son juge et leur psy : "questions inquiètes", sous J.P., Wavre, 30 septembre 1982, in Rev. trim. dr.fam., 1984, p. 281.
    L’ordonnance critiquée par M. Panier avait décidé de "confier à un expert la mission de rencontrer les époux ensemble ou séparément, examiner leurs difficultés, les aider à se comprendre et à s’apprécier et à dédramatiser des erreurs, insultes ou faiblesses ; maintenir une guidance pendant plusieurs années et même après la reprise de la vie commune, jusqu’à ce que les mentalités se soient ouvertes à une réelle largeur de vue et compréhension, notamment par le choix de certaines lectures et la pratique d’activités familiale et sportive ; organiser divers régimes de séparation plus ou moins développée ou retarder la reprise de vie commune selon les résultats de cette tutelle du couple".
  • [54]
    Voy. supra, n° 31, note 46.
  • [55]
    Dans le système du Code Napoléon, qui a prévalu jusqu’à la loi du 14 juillet 1976, le mari était, disait-on, seigneur et maître de la communauté - voy. J. Renauld, Les régimes matrimoniaux, Larcier, 1971, n° 512 et 599.
  • [56]
    Aux termes de l’article 1451 du Code civil, les époux qui auraient adopté un régime en communauté ne peuvent déroger aux règles du régime légal qui concernent la gestion des patrimoines propres et commun.
  • [57]
    Sur la distinction entre la juridiction contentieuse et la juridiction gracieuse et les limites de cette distinction, voy. C. Cambier, Droit judiciaire civil, t. 1, p. 291 et sv.
    Le Code de procédure civile français contient une définition de la juridiction gracieuse. L’article 25 de ce code énonce en effet que "Le juge statue en matière gracieuse, lorsqu’en l’absence de litige, il est saisi d’une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l’affaire ou de la qualité du requérant, qu’elle soit soumise à son contrôle".
  • [58]
    J. Commaille, Ordre familial, ordre social, ordre légal, Eléments d’une sociologie politique de la famille, in L’année sociologique, 1987, p. 265.
  • [59]
    Voy. supra, n° 27, note 26.
  • [60]
    F. Rigaux, Le nouveau droit de la filiation à l’épreuve des droits de l’homme, op.cit., n° 8.
  • [61]
    Projet de loi déposé au Sénat le 19 août 1985 modifiant diverses dispositions légales relatives au divorce par consentement mutuel (Doc. parl. Sénat, session 1984-1985, n° 951-1).
  • [62]
    Comme l’a fait observer avec pertinence, dans son avis, le Conseil d’Etat, le texte ne détermine cependant pas de manière précise la fonction du juge, puisque celui-ci ne paraît pas disposer, dans le projet du gouvernement, ni de la compétence d’imposer par voie d’autorité une modification des conventions préalables, ni de refuser le divorce.
  • [63]
    Voy. notamment le plaidoyer de M. le Procureur du Roi F. Poelman dans son article "Pour une réforme urgente du divorce par consentement mutuel" publié au J.T., 1982, p. 369.
  • [64]
    La civilisation judéo-chrétienne a assimilé, dans une seule et même condamnation, les actes répréhensibles et le sentiment de vouloir commettre un acte répréhensible. Or, si on n’a évidemment pas le droit de tuer ou de blesser, on a par contre parfaitement le droit d’éprouver un sentiment de haine ou de colère allant jusqu’au désir de tuer ou de blesser. Un sentiment ne peut pas être qualifié au plan des valeurs, parce que le sentiment, par nature, échappe à la volonté et à la maîtrise de l’homme. Et la meilleure manière de conjurer le "passage à l’acte" d’un sentiment est précisément de pouvoir le reconnaître et l’exprimer.
    La relation qui se noue entre un avocat et son client, à propos d’une difficulté familiale ou affective, implique inévitablement, si la confiance s’installe, que le client puisse, sans être jugé, exprimer ses sentiments. Que de fois, cependant, des clients m’ont-ils prié de les excuser, parce qu’ils avaient laissé échapper une ou plusieurs larmes ! Comme s’ils n’avaient pas, fondamentalement, le droit de pleurer !
  • [65]
    Dans un de ses derniers ouvrages, la psychanalyste d’enfants Françoise Dolto dit textuellement : "L’avocat a un rôle à jouer en ce qui concerne l’enfant. Assez souvent, les avocats ne pensent qu’à faire plaisir à leurs clients. Ils ne se rendent pas compte qu’à cette étape du divorce mettre l’accent sur l’enfant, c’est justement bien s’occuper de leurs clients parce que c’est s’occuper de leur descendance. Leurs clients sont mortels, mais leurs enfants vivront après eux" (Quand les parents se séparent, Seuil, 1988, p. 24).
  • [66]
    F. Ost, Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur, Trois modèles de justice, in Fonction de juger et pouvoir judiciaire, transformations et déplacements. Facultés universitaires Saint-Louis, 1983, p. 1 et sv. et spéc. p. 44 et sv.
  • [67]
    C. Cambier, Droit judiciaire civil, t. I, La fonction de juger, Larcier, 1972, p. 188.
  • [68]
    On pourrait objecter, en effet, que lorsque le juge, comme il en avait déjà reçu le pouvoir dans le Code Napoléon, statue, par exemple, sur une demande tendant à autoriser le divorce aux torts d’un des époux pour "injure grave", il exerce aussi un pouvoir d’appréciation, au cas par cas, sans que le législateur ne lui ait fourni de règle préexistante. Mais ce serait perdre de vue que, dans une telle hypothèse, le juge ne fait que vérifier, dans les faits, si les attitudes manifestées par un époux à l’égard de son conjoint ont ou n’ont pas correspondu aux règles de comportement implicites mais certaines qui, à l’époque, définissaient nécessairement l’état de mariage. Dans une telle hypothèse, la fonction de juger consiste également à appliquer une norme générale à des faits concrets.
  • [69]
    La question est comparable à celle qu’on poserait à l’égard d’un magistrat qui éprouverait de manière émotionnelle un besoin de punir et qui exercerait la fonction de juger dans une chambre correctionnelle.
  • [70]
    Sur la problématique de la fonction de juger dans le contentieux familial, voy., avec les nombreuses références qu’il contient, le remarquable rapport de synthèse du professeur Marie-Thérèse Meulders, L’autonomie judiciaire du contentieux familial. Identification et délimitation d’un besoin, in L’évolution du droit judiciaire au travers des contentieux économique, social et familial, Actes des XIe journées juridiques Jean Dabin, Bruylant, 1984, p. 957 et sv„ spéc. n°11 à 16.

Introduction

11. Lorsque les directeurs de la rédaction de la Revue interdisciplinaire d’études juridiques m’on demandé, dans le contexte de la célébration du dixième anniversaire de leur remarquable revue, de leur faire parvenir un article consacré à l’évolution et aux perspectives du droit belge de la famille, je me suis immédiatement permis de marquer les limites de ma contribution.

2C’est qu’il serait trop long et trop fastidieux de produire une étude qui constituerait une synthèse exhaustive des différentes réformes qui, au cours des vingt dernières années, ont considérablement remodelé le visage du droit de la famille, par rapport à ce qu’il était dans le code Napoléon. Une telle étude risquerait de prendre l’allure d’un traité, tant la matière et les commentaires qui y ont été consacrés dans la littérature juridique sont abondants.

3Je préfère dès lors prendre le risque d’une plus grande subjectivité et écrire un article qui s’alignerait davantage sur l’itinéraire professionnel que j’ai personnellement parcouru pendant ces vingt années.

4Même si je ne réponds pas à la loi du genre, qui veut qu’un juriste expose et commente une problématique d’une manière neutre et objective, et ne s’y implique pas personnellement en parlant au "je" de ce qu’il vit, je me propose d’écrire un texte qui, de manière plus intuitive, se fonde sur ce qui m’a frappé au cours de ces vingt années de formation et d’activité professionnelles que j’ai consacrées de manière prioritaire au droit de la famille.

5Et j’en parlerai à partir de ces deux métiers, très différents, que j’ai la chance d’exercer : d’une part étudiant, assistant et chargé d’enseignement dans une faculté de droit, désireux d’apprendre, réfléchir et comprendre ; d’autre part, avocat, désireux de défendre, conseiller, et aussi de rencontrer et découvrir ce que les hommes et les femmes de ce temps, par leurs comportements et leurs questions, interrogent de la nature ou de la signification de leurs relations familiales et affectives.

6C’est par conséquent - encore qu’il ne soit pas vraiment possible de dissocier les deux activités - avec le regard de l’enseignant universitaire que je formulerai quelques réflexions sur l’évolution du droit de la famille, c’est-à-dire l’ensemble des règles juridiques qui régissent la famille, et c’est avec le regard de l’avocat, consulté par ses clients et confronté régulièrement à l’intervention des magistrats du pouvoir judiciaire, que je formulerai quelques réflexions sur l’évolution de l’activité du juriste de la famille.

Section I. L’évolution du droit de la famille

L’enseignement d’un droit traditionnel

72. C’est il y a exactement vingt ans, à partir du mois d’octobre 1969, que j’ai suivi, à l’Univesité de Louvain, le cours de droit de la famille qui, par référence au titre donné au Livre premier du Code civil où se trouve le siège de la matière, s’intitule "Les personnes".

8Même s’il y avait évidemment déjà eu quelques modifications importantes de texte depuis 1804, notamment parce que le principe de l’égalité des époux se substituait progressivement à celui de la "puissance maritale" et de la "puissance paternelle" [1], les caractéristiques du droit de la famille n’avaient pas fondamentalement changé.

93. Le droit de la famille était constitué d’un ensemble de normes qui régissaient obligatoirement les comportements familiaux.

10Comme dans les autres branches du droit, ces normes présentaient la caractéristique d’être générales et abstraites, c’est-à-dire qu’elles déterminaient de manière préexistante et préventive à tout litige, pour l’ensemble des citoyens de la société belge, les comportements uniformes qu’ils devaient adopter dans leur vie familiale, sexuelle et affective.

11A la différence de la plupart des autres branches du droit, ces normes présentaient, au surplus, la caractéristique d’être impératives, c’est-à-dire qu’elles ne laissaient pas ou peu de place à la volonté et à la liberté des individus pour élaborer eux-mêmes d’autres règles qui auraient écarté ou remplacé les règles édictées par le législateur ou formulées par la jurisprudence.

12Alors que, dans la sphère patrimoniale et économique, les relations que les citoyens nouent étaient soumises au principe libéral de l’autonomie de la volonté, c’est-à-dire étaient susceptibles d’être régies par des normes que les individus se donnent librement à eux-mêmes, les relations nouées dans la sphère de la vie sexuelle et familiale étaient, par contre, régies par des normes imposées par le législateur. C’est en ce sens qu’elles étaient dites "impératives", et les juristes précisaient même que ces impérativité était "d’ordre public", c’est-à-dire qu’elle trouvait son fondement et sa justification dans la considération que l’objectif de ces règles n’était pas seulement de règlementer des relations et des intérêts privés, mais de défendre et de sauvegarder les intérêts essentiels de la collectivité et de l’Etat.

13C’est que la stabilité des comportements familiaux participait, de manière structurale et structurante, à la stabilité de la société entière. On disait alors que "le mariage est au fondement de la famille, fondement elle-même de la société" [2].

144. C’est dans ce contexte que je reçus l’enseignement des règles du droit de la famille.

15Et, à ce moment, ce contexte nous paraissait naturel et légitime, parce qu’il correspondait aux valeurs auxquelles nous avions été formés et éduqués, même si une année plus tôt, les pavés de Paris ou le campus de Berkeley avaient tremblé d’une révolution juvénile et désordonnée au cours de laquelle des étudiants dont nous n’étions guère avaient commencé à scander qu’"il était interdit d’interdire", et, si ma mémoire est fidèle, la presse relatait qu’un des prétextes de l’explosion parisienne était le refus formulé par un certain nombre d’étudiants de s’incliner devant un règlement qui leur interdisait de pénétrer dans les chambres occupées par des étudiantes. En tout cas, à Leuven, lors de ma première licence-année pendant laquelle me fut enseigné le droit des personnes - je vivais dans une chambre d’étudiant louée par une propriétaire qui faisait très strictement appliquer une règle en vertu de laquelle nous ne pouvions effectivement recevoir aucune étudiante. La règle, respectée ou méconnue, était toujours une règle, et ce n’est qu’au cours des années suivantes qu’elle disparut, brusquement, à l’image de la brusque évolution qui modifierait fondamentalement les comportements sexuels et familiaux.

165. Revenons aux règles du droit de la famille.

17De manière schématique, je pourrais dire que le cours qui nous était dispensé était divisé en trois parties.

186. On nous y enseignait d’abord, dans une première partie, les règles relatives à l’existence et l’identification des personnes, et on nous expliquait que chaque personne a un "état", qu’on appelle parfois "l’état civil" (du latin "status civitae"), c’est-à-dire un statut qui permet de l’identifier et de la situer au sein de la cité, et cet "état" est essentiellement configuré à partir de la place qu’elle occupe dans une famille. Cet état est imposé aux personnes par la société, il est d’ordre public et indisponible, c’est-à-dire que personne n’en a la maîtrise. Il exprime, en quelque sorte, la marque ou le sceau que la société inscrit sur le front de chaque citoyen et qui doit, en principe, rester indélébile. Les éléments qui composent cet état sont, à sa naissance, son nom, son prénom, son sexe, sa filiation, et se complèteront, par la suite, par son mariage et sa descendance.

19Cette notion de l’état de la personne correspondait à un contexte social de stabilité de la famille et c’est par référence à cette stabilité que chaque personne est repérée et nommée, c’est-à-dire qu’elle acquiert une identité sociale qui lui est imposée et dont elle n’a pas le droit de se défaire.

207. On nous enseignait ensuite, dans les seconde et troisième parties, les règles qui organisent et régissent les deux relations constitutives des liens familiaux : la relation conjugale et la relation de filiation.

21Toute l’articulation du cours était orientée en fonction de ce que l’ordre juridique belge reconnaissait et consacrait comme étant de "bons" comportements familiaux, par opposition aux "mauvais" comportements familiaux.

228. Pour ce qui concerne la relation de couple, la seule forme admissible de relation - la "bonne" relation - était celle qui se vivait à l’intérieur du mariage.

23Les relations sexuelles et la vie commune hors du mariage étaient contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs et le droit ne pouvait dès lors y attacher aucune conséquence juridique. Au contraire, les actes juridiques accomplis par des concubins qui cherchaient, par là même, à consacrer leurs relations illicites étaient nuis.

24Il n’y avait pas d’autre voie, au regard de la loi civile, pour une vie de couple, que celle du mariage, et "l’entrée en mariage" signifiait, juridiquement, la soumission à un réseau de devoirs et d’obligations auxquels il ne serait, en principe, plus possible de se soustraire. Ces obligations étaient d’ordre public, et les époux ne pouvaient par conséquent pas, même de commun accord, s’en dispenser librement.

25C’est pourquoi la "séparation de fait" des époux mariés, qui contrevenait à leur obligation de cohabiter, était une situation illégale à laquelle la loi ne pouvait attacher de conséquences juridiques et les éventuelles conventions de séparation conclues par des époux dont l’un ou les deux ne souhaitaient plus poursuivre la vie commune étaient nulles.

26Enfin, le divorce, tel qu’il était conçu et organisé par le code, était une institution qui n’avait été admise que pour permettre de sanctionner le comportement des "mauvais époux", c’est-à-dire de ceux qui avaient gravement violé les devoirs et obligations du mariage et qui, par là même, avaient rendu impossible le maintien de ce mariage.

27En d’autres termes, tout comportement qui était contraire à la création d’un lien de mariage (le concubinage) ou à la prolongation de ce lien (la séparation de fait et le divorce) était un comportement répréhensible qui appelait la sanction de la loi.

28Et, à l’époque, ces règles juridiques correspondaient encore avec l’état général des mœurs. On considérait qu’il n’était ni normal ni moral de cohabiter avant le mariage. L’époux qui quittait le domicile conjugal "se mettait en tort" et un divorce, même s’il se réalisait sous la forme d’un divorce par consentement mutuel, impliquait nécessairement, aux yeux de la famille et du voisinage, qu’il y avait un "coupable" et un "innocent".

299. Pour ce qui concerne la relation de filiation, le droit de la famille organisait et réglementait la "bonne" filiation, c’est-à-dire la filiation "légitime" qui procédait d’une relation de mariage, et les "mauvaises" filiations, c’est-à-dire les filiations "naturelle", "adultérine" et "incestueuse", qui procédaient respectivement d’une relation vécue sans le lien du mariage, ou en violation des liens d’un mariage, ou entre personnes auxquelles il était interdit, en raison de leur communauté de sang, de s’unir par les liens du mariage.

30La première - la "bonne" filiation - bénéficiait des faveurs du législateur, parce que l’enfant né dans le mariage disposait de plein droit d’un lien de filiation tant à l’égard de sa mère que de son père et ce lien de filiation produisait tous les avantages qu’un enfant peut recueillir de la paternité et de la maternité (accueil de l’enfant dans une communauté familiale, autorité parentale, obligations alimentaires, droits successoraux, …).

31Les autres filiations étaient soumises à des règles qui empêchaient ou qui limitaient soit l’établissement de la filiation soit certains effets qu’elle aurait dû normalement produire.

32Il n’y avait donc de salut, pour l’enfant, que dans le mariage, parce que la conception d’un enfant hors les liens du mariage était un comportement répréhensible qui appelait la sanction de la loi.

3310. Le droit de la famille était par conséquent un droit dogmatique.

34Dogmatique, parce que les règles qu’il contenait définissaient de manière claire et précise le "bien" et le "mal". En d’autres termes, le droit se définissait en tant que droit, non seulement parce que l’organisation de la vie sociale exige qu’il y ait des règles obligatoires, comme, par exemple, pour l’organisation de la circulation routière, mais surtout parce que le droit était porteur d’une idéologie qui avait prétention de "vérité" et, sous le couvert de cette "vérité", prétendument inscrite dans la nature [3] ou dans une règle morale transcendante, la règle juridique était sensée définir correctement le "permis" et "l’interdit".

35Dogmatique, aussi, parce que les juristes étaient convaincus que la loi et sa rigueur constituaient une condition nécessaire et indispensable pour que les citoyens acceptent d’adopter les "bons" comportements familiaux. Sans la loi, les hommes et les femmes, livrés à leurs "passions", ne se conduiraient pas dans leur vie familiale et sexuelle comme il était "bon" qu’ils se conduisent [4].

36La loi familiale était, par conséquent, doublement, "sacralisée".

3711. Je caricature ?

38A peine.

39Si je caricature, c’est parce qu’en 1969, les professeurs d’université qui faisaient doctrine avaient cessé de s’appeler Jean Dabin ou Henri De Page.

40Est-il nécessaire de rappeler, en effet, que, dans la troisième édition du tome I de son traité de droit civil, en 1962, Henri De Page, professeur à l’U.L.B., continuait à écrire, à propos du statut de l’enfant naturel :

41

"Lorsque qu’on approfondit la question, on aperçoit aisément que toute l’erreur consiste précisément dans le fait d’avoir reconnu (un) droit successoral (aux enfants naturels). Tant qu’une société est strictement monogamique, l’enfant naturel ne devrait avoir droit qu’à des aliments. Tout autre droit, lui permettant de s’introduire dans la famille légitime ou de s’assimiler à elle, devrait être rigoureusement proscrit. Tout le reste n’est que sentimentalisme, et faux humanitarisme. Malheureusement une pareille réforme, la seule qui soit vraiment saine et favorable à l’union régulière paraît impossible à l’heure actuelle. Elle heurterait trop d’esprits superficiels. L’opinion publique, la jurisprudence et même certains juristes favorisent trop, au nom d’une vague pitié romantique, l’enfant naturel et l’union libre" [5].

42Et, en 1965, Jean Dabin, professeur à l’U.C.L., clôturait dans le même sens les premières journées juridiques qui portent désormais son nom :

43

"De toute façon, un régime d’inégalité successorale s’impose, à peine de nuire, dans la réalité et dans l’esprit du public, à l’idée de légitimité. Sur ce point, comme sur tous les autres déjà envisagés, le législateur doit vouloir les conséquences des principes qu’il pose. Du moment que la loi a pris parti pour le mariage - et socialement elle a eu raison, car le mariage est au fondement de la famille, fondement elle-même de la société - elle doit éviter de se contredire en soumettant à un traitement identique, et aussi favorable, les situations qu’elle déclare régulières et celles qu’elle déclare irrégulières" [6].

44On peut mesurer l’incroyable rapidité du changement lorsqu’on sait que c’est en 1972 que le législateur français réforma le droit de la filiation et supprima définitivement les inégalités de statut successoral qui frappaient l’enfant naturel et que c’est en 1979, au terme d’une longue procédure, que la Cour européenne des droits de l’homme condamna la Belgique, parce que sa législation relative au statut juridique de l’enfant naturel violait les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

4512. Entretemps, en 1969, à l’université de Louvain, le droit de la famille nous était enseigné par le profeseur François Rigaux et celui-ci, manifestement, avait pressenti [7] l’évolution qui se préparait.

46On s’en aperçut clairement lorsqu’en 1971, M. Rigaux sortit de presse un "Précis" consacré au droit des relations familiales [8]. Ce précis a certainement été le premier ouvrage du droit belge de la famille qui ouvrait systématiquement la réflexion vers des disciplines non-juridiques et on sent, à travers la manière d’écrire, que l’auteur éprouvait la nécessité de cesser de considérer la règle de droit familial comme un matériau intangible mais de chercher, dans d’autres sciences humaines, des éléments de réflexion qui relativisaient certaines solutions juridiques et, par là même, interrogaient leur fondement et leur justification sociale.

47C’est à cette école de pensée que je fus formé, en devenant, en 1973, assistant du professeur Rigaux et c’est cette même école de pensée que M. Rigaux institutionnalisa en créant, avec le professeur Marie-Thérèse Meulders qui en assura, par la suite, la direction, le Centre de droit de la famille de l’U.C.L. Leur préoccupation commune était de ne plus se suffire, dans un centre universitaire, d’expliquer, de manière technique, le contenu des règles du droit familial, ni d’asseoir la légitimité de ces règles par des considérations historiques ou dogmatiques. Il fallait, au contraire, ouvrir grand la fenêtre, balayer devant sa porte et tenter de comprendre l’irréversible évolution qui se dessinait. Il fallait poser la question de la pertinence des normes. Il fallait s’interroger sur leur adéquation avec les exigences des temps nouveaux. Et parce que l’environnement socio-culturel changeait, il fallait, urgemment, penser de nouvelles normes, qui se référeraient à de nouvelles valeurs.

48C’est à ce type de réflexion que mes maîtres à l’U.C.L. m’ont initié. Elle me permet, aujourd’hui, alimentée par la pratique du Barreau, de mieux comprendre la mutation des comportements familiaux et affectifs qui est intervenue dans les différents pays d’Occident..

La mutation des comportements familiaux et la mouvance du droit de la famille

4913. Vingt ans ont passé depuis l’enseignement, durant ma première licence en droit, du droit de la famille, et je crois pouvoir dire que l’édifice que nous avions appris à retranscrire sur les bancs de l’université a basculé, même si, apparemment, la façade architecturale du Code civil belge n’a pas été complètement renversée.

5014. Dans un ouvrage récent [9], le démographe et sociologue français Louis Roussel, professeur à l’Université de Paris V, décrit très clairement l’évolution qui s’est produite dans les sociétés occidentales.

51Sur la base des indices démographiques qu’ont constitués la baisse de la nuptialité, la baisse de la fécondité et la hausse de la divortialité, M. Roussel situe le commencement du changement en l’année 1965 et il le décrit comme "une double désinstitutionnalisation" : désinstitutionnalisation dans les comportements et désinstitutionnalisation dans la législation.

52Désinstitutionnalisation dans les comportements, parce qu’une partie de la population, recrutée principalement dans la jeunesse, a subitement commencé, délibérément, à refuser, dans les comportements familiaux qu’elle adoptait, la prégnance de "l’institution", c’est-à-dire à refuser que "sa vie privée soit soumise à la loi et plus généralement au contrôle social" [10], et elle s’est reconnue à elle-même la maîtrise de sa vie affective et sexuelle. Par là même, elle démontrait suffisamment l’échec inévitable de toute attitude dogmatique qui imagine que la force de la loi est capable de faire plier les résistances des comportements.

53Désinstitutionnalisation dans la législation, parce que dans un mouvement qui a, chronologiquement, suivi l’évolution des mœurs mais qui a aussi contribué à l’accélération de cette évolution, la loi elle-même, contestée et désacralisée, s’est progressivement "retirée du champ de l’intimité et de la famille" [11] et on a alors assisté à ce que, paraphrasant le Doyen Jean Carbonnier, Louis Roussel appelle les "renoncements du droit".

5415. Les causes de cette brusque mutation dans l’ordonnancement des comportements sexuels et familiaux sont plus difficiles à mettre en évidence que la mutation elle-même.

55En réalité, même s’il y a eu mutation des comportements, celle-ci peut être analysée dans la foulée d’une évolution continue et être perçue comme le point d’aboutissement logique d’un courant de pensée qui, à partir de la Renaissance, a fait de l’homme le centre de gravité de l’univers.

56En devenant, comme disent les philosophes, "sujet", et en s’attribuant à lui-même la titularité de droits que les juristes ont appelés "subjectifs", l’homme a inauguré l’ère de l’individualisme. Rien d’étonnant à ce qu’au fil des décennies, les préoccupations devinrent de plus en plus individuelles et que chaque homme donnât la priorité à la satisfaction de ce que les psychologues, aujourd’hui, appellent "la réalisation de soi".

5716. S’il n’y a dès lors rien eu de "révolutionnairement" neuf, depuis vingt ans, il reste cependant que, pour reprendre l’expression de Michel Foucault, le "souci de soi" de l’individu s’est traduit dans de nouvelles prétentions et exigences qui ont provoqué l’ébranlement des comportements familiaux traditionnels.

58La sociologue belge de la famille, Bernadette Bawin-Legros, professeur à l’Université de Liège, montre très bien, dans le livre qu’elle vient de publier [12] que l’avènement de l’ordre libéral et bourgeois au XVIIIe siècle, a été caractérisé en même temps par un repli de la famille vers des valeurs individuelles d’intimité et de bonheur mais aussi par un discours qui imposait aux individus "un" modèle de famille conjugale et qui assignait, à l’intérieur de cette famille, à ses différents membres, et plus particulièrement à l’homme et à la femme, des rôles spécifiquement définis. C’est que ce modèle "rencontrait les logiques de reproduction (transmission des biens), en même temps que des logiques sociales d’intégration et de cohésion"[13].

59Ce qui advint, à partir du milieu du XXe siècle, est précisément que le mouvement individualiste et démocratique, qui avait déjà provoqué lors de la Révolution française, l’éclatement de l’ancien ordre social et politique, conduisit également, au nom des valeurs qu’il véhiculait - la liberté, l’autonomie et l’égalité - à "l’éclatement de la famille conjugale comme mode dominant d’organisation de la vie privée par la classe même qui l’avait mise en place, la bourgeoisie" [14].

60Et, comme le fait pertinemment observer Mme le professeur Marie-Thérèse Meulders en commentant, dans l’étude qu’elle publia à l’occasion du centenaire du Journal des Tribunaux, les ouvrages publiés aux Etats-Unis par Mme le professeur Mary-Ann Glendon, c’est "l’individu libéré" qui est "progressivement devenu la nouvelle cellule de base de la société" [15].

6117. Ce phénomène de désinstitutionnalisation ou d’éclatement de la famille, provoqué par cette nouvelle émergence des valeurs individuelles, ne peut cependant pas être compris s’il n’est pas mis en rapport avec les évolutions qui se produisirent, après la seconde guerre mondiale, dans le domaine technologique, économique et social.

62D’une part, l’avènement, suscité par l’élévation considérable du niveau de production économique, de l’Etat-providence, c’est-à-dire d’un Etat qui prend lui-même en charge la sécurité des moyens d’existence et de survie de chaque individu, a grandement atténué la dépendance des hommes et, surtout, des femmes par rapport à la communauté familiale et a rendu moins indispensable la cohésion de cette communauté, la solidarité au sein de cette communauté et la soumission de l’individu aux lois dictées par la nécessité de cette cohésion et de cette solidarité.

63D’autre part, les extraordinaires progrès de la science médicale et l’instauration de la paix nucléaire ont créé, dans les pays riches, un climat général de sécurité [16] qui confère aux hommes et aux femmes un sentiment de maîtrise à l’égard de leur propre existence et d’indépendance par rapport à la communauté à laquelle ils appartiennent.

64Enfin, la contraception a libéré la vie sexuelle des contraintes qui avaient toujours pesé sur elle et elle a donné à la femme les moyens de son autonomie professionnelle et affective, en la libérant du poids des maternités non désirées. C’est d’ailleurs en 1965, constate Louis Roussel, que les courbes démographiques font apparaître, dans les pays européens, le début de la baisse générale et continue de la fécondité [17].

65Il y a dès lors eu, dans le contexte global de ces nouvelles évolutions socio-économiques et technologiques, de moins en moins de raisons pour chaque individu de se soumettre à des règles rigides de comportement familial lorsque celles-ci ne correspondent plus pour lui à aucun profit quelconque, et il y a eu, par contre, plus de possibilités, pour un nombre plus grand de personnes, d’atteindre, à travers les vicissitudes de chaque itinéraire existentiel, ce pourquoi on lui disait, depuis trois ou quatre siècles, qu’il existait, c’est-à-dire le bonheur et l’épanouissement personnel.

6618. Ce qu’il paraît important de percevoir et de comprendre, c’est qu’il n’a pas résulté de cette évolution que la famille et la vie familiale auraient été désinvesties. Au contraire - et tant les sondages menés auprès du grand public que de nombreuses séquences de publicité commerciale ne cessent de le démontrer - l’image du bonheur est traversée par l’image de la famille et c’est souvent de la vie et de la solidarité familiales que les hommes et les femmes attendent la réalisation de leur épanouissement affectif.

67Comme Michel Foucault [18] l’a écrit, il s’est produit une "intensification affective de l’espace familial", c’est-à-dire qu’on demande aujourd’hui à la famille de produire un résultat autrement plus délicat que la sécurité matérielle : on lui demande de moissonner le sentiment du bonheur.

68Mais, précisément, ce qui a changé, c’est que l’individu n’est plus prêt à sacrifier cette recherche de son sentiment de bonheur au maintien d’une vie familiale qui ne lui procurerait pas ce bonheur ; il n’est plus prêt à se satisfaire de sa situation familiale lorsqu’il l’éprouve, pour lui-même, insatisfaisante. Et il ne se sentira dès lors plus obligé, à l’égard de son partenaire ou de ses enfants, de prolonger une expérience affective et familiale qui se révèle pour lui frustrante, c’est-à-dire dont le coût qu’il paie est, pense-t-il, supérieur au bénéfice qu’il en retire.

69Ce n’est donc pas la vie familiale, en tant que telle, qui ne serait plus reconnue pour sa valeur. Mais a perdu de sa valeur la croyance qu’il y aurait une obligation morale ou sociale à se soumettre aux contraintes d’une vie familiale qui ne correspondrait plus au choix libre du désir.

70Il est d’ailleurs significatif que la décision de rompre un mariage ou une relation affective stable ne soit pas seulement prise par des hommes et des femmes, plus ou moins psychopathes, qui, en toutes circonstances, font prévaloir leur plaisir ou leurs intérêts sur toutes autres considérations morales ou sociales. Elle est, aujourd’hui, prise par des hommes et des femmes qui témoignent, dans la vie sociale, d’un sens réel de leurs responsabilités et qui, parfois après un long et douloureux débat de conscience, perçoivent leur décision comme la réalisation d’une obligation qu’ils se doivent à eux-mêmes et qu’ils définissent comme "le respect de soi-même" ou "l’affirmation de leur identité" ou, pour utiliser un langage plus freudien, la non-oblitération de leur "force désirante" qui serait à la source de leur liberté et de leur créativité.

7119. Au niveau juridique, le mouvement de "désinstitutionnalisation" - qui vient d’être décrit - s’est traduit par une évolution considérable des règles relatives à la famille.

72Sans doute, au plan législatif, le mouvement a été, en Belgique, plus lent et, en tout cas, moins spectaculaire que dans d’autres Etats occidentaux.

73Est-ce que cela correspondrait à une évolution plus lente, dans notre pays, des comportements et des mœurs ? N’est-ce pas, plutôt, en Belgique, le travail parlementaire qui a été trop souvent perturbé par les crises politiques successives et l’absence de majorités stables, encore qu’on ne puisse pas sous-estimer, comme à propos de la dépénalisation de l’avortement, la résistance parfois exprimée aux évolutions par le parti qui domine la vie politique en Flandre, le C.V.P. (Parti social chrétien flamand).

7420. Il ne sera évidemment pas possible, dans le contexte de cet article, de décrire de manière précise et exhaustive l’ensemble des réformes qui sont intervenues en vingt ans, tant au plan législatif qu’au sein de la doctrine et de la jurisprudence.

75Il est par contre possible de montrer que ces réformes se caractérisent, me paraît-il, par deux traits dominants :

  • le renoncement progressif du droit à définir des normes générales et abstraites de comportement familial, sexuel ou affectif ;
  • le déplacement, du pouvoir législatif vers le pouvoir judiciaire, de la fonction de régulation juridique des comportements au sein de la famille.

La dilution des normes générales et abstraites

7621. Dire que notre système juridique renonce à définir des normes générales et abstraites de comportement familial, sexuel et affectif signifie que tant le pouvoir législatif que la jurisprudence hésitent de plus en plus fréquemment à qualifier, dans des règles obligatoires pour l’ensemble des citoyens, et sous la menace d’une sanction, les comportements qu’il leur est juridiquement interdit d’adopter ou qu’au contraire ils sont juridiquement tenus d’adopter.

77C’est que, dès l’instant où, au sein d’une société, il n’existe plus de consensus sur un "modèle" légitime de comportement, mais où émergent, par contre, de multiples modèles de comportement qui prétendent tous à la légitimité, l’instance créatrice des règles de droit est de plus en plus en difficulté tant de justifier qu’elle privilégierait la légitimité d’un modèle par rapport aux autres que de trouver les moyens techniques de coercition obligeant les citoyens à n’adopter qu’un seul modèle.

78Alors il paraît plus opportun et plus réaliste de "renoncer".

7922. Tel a été l’enjeu [19] des débats juridiques sur le concubinage, le divorce et l’égalité des filiations.

80Pour faire, autrefois, prévaloir le modèle du mariage stable, qui était jugé le seul valable pour les époux et pour leurs enfants, il paraissait logique d’inscrire dans des règles de droit que la "norme" de la vie sexuelle et familiale était celle qu’un homme et une femme partageaient dans l’engagement du mariage. Mariés, les époux seraient dès lors tenus par leur engagement et n’auraient pas le droit de contraindre l’autre à un "désengagement" ; nés dans le mariage, les enfants bénéficieraient dès lors d’une filiation à laquelle seraient attachés tous les avantages de la "légitimité". Par contre, la vie commune ou l’intimité sexuelle partagées hors les liens du mariage ne pourraient pas produire d’effet juridique valable et contraindraient les enfants nés de ces unions à un statut d’"illégitimité".

81Mais à l’affirmation de la la valeur, pour les époux et leurs enfants, d’un mariage stable, qui n’a évidemment pas perdu sa légitimité éthique et sociale, se sont, par la suite, opposées d’autres affirmations qui revendiquent, elles aussi, leur légitimité éthique et sociale : le droit de partager une vie de couple, dans la liberté des sentiments et dans la satisfaction des attentes réciproques, sans se lier par des obligations contraignantes ; le droit, même pour ceux qui ont fait le choix de l’engagement du mariage, de se délier de cet engagement lorsque, contrairement aux attentes, la vie conjugale se révèle insatisfaisante ; le droit des enfants de bénéficier d’un statut juridique qui ne soit pas compromis par les circonstances aléatoires de leur conception ou de leur naissance.

82Lorsque, par exemple, deux époux ne s’entendent plus, ne parviennent plus à définir de projets communs, vivent dans l’indifférence affective ou la tension nerveuse et ne partagent plus d’intimité sexuelle, doivent-ils continuer à habiter ensemble, en fonction de l’engagement qu’ils ont contracté pour eux-mêmes et pour leurs enfants ou est-il préférable, même pour les enfants, qu’ils se séparent ou divorcent, en redéfinissant d’autres projets qui s’accorderaient avec la vérité de leurs sentiments ? Y a-t-il quelqu’un, aujourd’hui, qui oserait prétendre qu’il n’y a qu’une seule réponse légitime à de telles questions ?

8323. Par conséquent, entre des valeurs différentes qui affirment toutes leur légitimité, le législateur s’abstient désormais de trancher, de manière catégorique, par des règles qui auraient pour objectif d’uniformiser les comportements, en les soumettant à un seul modèle de légitimité.

84Et, pour ne pas devoir trancher, puisqu’il ne parvient plus à trancher, le législateur accepte de reconnaître la légitimité de chacun des modèles, c’est-à-dire des multiples aspirations qui revendiquent et même imposent leur légitimité.

85C’est à la fois un aveu d’impuissance et à la fois aussi, l’affirmation, au plan des valeurs, que chaque citoyen est libre de choisir pour lui-même le comportement qui lui paraîtra "légitime". Comme le législateur sait de moins en moins ce qu’il y a lieu de qualifier de légitime et qu’il ne parvient plus à s’accorder sur cette légitimité, il abandonne toute prétention à des affirmations généralisantes et il laisse à la liberté de conscience de chaque personne le soin de définir sa propre légitimité.

8624. Il n’est dès lors pas tout à fait exact de dire que le législateur s’abstient désormais de trancher.

87Ne pas choisir, c’est en effet toujours choisir.

88Et il ne serait pas correct de considérer que le droit de la famille serait désormais, à l’avenir, un droit qui aurait définitivement renoncé à faire prévaloir certaines valeurs au détriment d’autres valeurs.

89Car l’évolution de notre système juridique s’accorde précisément avec l’évolution des comportements de la vie privée et familiale. Et, de la même manière que c’est au nom des valeurs liées à l’individu et à la "réalisation de soi-même" qu’un certain nombre de personnes ont adopté des attitudes nouvelles dans leur vie affective et familiale, les lois nouvelles refusent désormais d’imposer des normes générales et abstraites, parce qu’elles privilégient précisément, par rapport aux valeurs anciennes de stabilité et de cohésion de la communauté familiale, des valeurs liées au respect de l’individualité de chaque personne : l’autonomie et l’indépendance plutôt que la contrainte et la hiérarchie, l’égalité plutôt que l’inégalité, le droit à la différence plutôt que le conformisme ou le dogmatisme.

90Telle est, au demeurant, la signification qui a été donnée, à de nombreuses reprises, par la Cour européenne des droits de l’homme à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, pris isolément ou combiné avec l’article 14 de la même convention [20].

9125. Sans doute, un tel repli de la norme générale et abstraite ne se produit-il pas de manière immédiate et c’est parfois du bout des lèvres que le législateur accepte les évolutions que paraissent lui dicter les événements ou c’est avec de sérieuses résistance, mais chaque fois le temps fait son œuvre.

92Deux exemples, en droit belge, paraissent particulièrement significatifs.

9326. En 1974, - premier exemple - une loi sur le divorce [21] introduit une brèche considérable dans l’édifice du Code civil, parce qu’elle confère aux époux un "droit au divorce".

94En effet, un des époux, alors même qu’il ne parvient pas à obtenir le consentement de son conjoint pour la mise en œuvre d’un divorce par consentement mutuel ou qu’il ne parvient pas à établir les "faits" qui lui permettraient d’obtenir le divorce aux torts de son conjoint, pourra lui "imposer" le divorce sur la seule démonstration de ce qu’il ont cessé de vivre ensemble.

95Mais ce droit au divorce n’est acordé aux époux que pour autant qu’ils aient été "séparés de fait" depuis au moins dix ans.

96Le principe du "droit au divorce" est par conséquent acquis mais la reconnaissance de ce droit est aussitôt compensée ou atténuée par une définition stricte de ses conditions, puisque l’époux devra, au minimum, attendre dix ans avant de pouvoir le faire consacrer par justice.

97Le temps, toutefois, fera son œuvre et, huit ans plus tard, en 1982, une nouvelle loi [22] réduit le délai de dix ans à cinq ans.

98Et il est vraisemblable que, tôt ou tard, ce délai sera encore réduit [23].

9927. En 1978, - second exemple - le gouvernement, qui sait que l’Etat se trouve en difficulté, à Strasbourg, devant la Cour européenne des droits de l’homme, parce que la législation belge définissant les modes d’établissement et les effets de la filiation naturelle simple n’est plus adaptée à la conception que les pays européens se font des droits de l’homme et plus particulièrement des droits de l’enfant, dépose devant les chambres un projet de réforme du droit de la filiation [24].

100Ce projet est radical, en ce qu’il supprime définitivement toutes les règles qui, par souci de la défense de l’institution du mariage, organisaient un statut d’inégalité tant pour les enfants naturels que pour les enfants adultérins et incestueux.

101Mais le projet était précisément trop radical - je dirais trop rapidement radical - que pour être accepté par tous les parlementaires. Au nom de la défense du mariage, une majorité, parfois courte, d’entre eux réintroduisirent certaines distinctions, sous la forme de restrictions apportées aux droits des enfants adultérins.

102La nouvelle loi, promulguée en 1987 [25] prévoit dès lors qu’à la différence des autres enfants nés hors mariage, les enfants adultérins ne pourront être reconnus par leur père adultérin que moyennant une homologation judiciaire [26]. Au surplus, à la différence des autres enfants, nés dans le mariage ou hors mariage, les enfants adultérins ne pourront porter le nom de leur père adultérin que pour autant que ses parents aient obtenu le consentement de l’épouse légitime du père [27]. Enfin, à la différence des autres enfants, les droits successoraux de l’enfant adultérin dans la succession de son père ou de sa mère sont modalisés [28].

103Je ne porterai pas, ici, un jugement personnel de valeur sur ces quelques restrictions. Je me borne à constater, seulement, qu’au moment où le législateur était prêt à faire le pas irréversible du renoncement à toutes les normes qui privilégiaient de bonnes filiations par rapport à de mauvaises filiations, ces restrictions traduisent une résistance qui n’est sans doute que la mémoire des valeurs qui ont longtemps et durablement forgé les consciences.

10428. Il reste que, dans l’ensemble, même en Belgique, le paysage que dessine le droit de la famille s’est, à la suite du mouvement général de désinstitutionnalisation, complètement modifié, et on peut le vérifier en reprenant le plan du cours de droit des personnes, tel qu’il m’avait été dispensé en 1969.

10529. "L’état" de la personne - qui faisait l’objet de la première partie du cours - est devenu, depuis lors, de moins en moins stable et indisponible.

106C’est ainsi que le législateur a, récemment, réaménagé, libéralisé et simplifié les procédures en changement de nom et de prénom [29].

107La jurisprudence, après y avoir résisté [30], admet actuellement, en dehors de tout texte, les actions en changement de sexe des transsexuels qui ont, par un traitement chirurgical et hormonal, modifié leur morphologie sexuelle [31].

108Les époux disposent et pourront disposer de plus en plus libéralement de leur mariage.

109La filiation est, aussi, plus malléable. Outre que le législateur a, depuis la loi du 31 mars 1987, libéralisé le régime des actions tendant à faire apparaître la véritable filiation biologique d’un enfant, même si cette action aboutit à écarter une filiation précédemment établie [32], la jurisprudence accepte de reconnaître actuellement des prérogatives juridiques au "père de fait", c’est-à-dire au père qui, bien que n’étant uni par aucun lien juridique de filiation à un enfant, affirme et démontre être le père biologique de cet enfant [33].

110On peut dès lors légitimement se demander, aujourd’hui, si l’état de la personne est encore et toujours un "statut" d’ordre public, imposé par la société à chaque individu, en fonction des nécessités et des exigences de la vie sociale et familiale ou si, progressivement, il ne devient pas, plutôt, l’ensemble des caractéristiques juridiques qui définissent l’identité de chaque personne et dont celle-ci doit désormais pouvoir disposer, au gré de ses intérêts individuels et des événements, volontaires ou involontaires, susceptibles de modifier la trajectoire de son existence.

11130. Pour ce qui concerne la relation de couple - deuxième partie du cours de droit des personnes - il n’y a plus, en droit, comme par le passé, une seule forme admissible de relation conjugale.

112La jurisprudence a en effet cessé de considérer la vie commune partagée par un homme et une femme non mariés comme une situation contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs [34] et la pratique juridique met à la disposition des concubins qui souhaitent réglementer les effets de leur "union" dite "libre" des modèles de conventions qui définissent leurs droits et obligations attachés à leur concubinage. La loi a, par ailleurs, définitivement conféré aux enfants nés d’un "ménage de fait", s’ils ont été expressément reconnus par leur père, un statut juridique qui ne les lèse en aucune manière par rapport aux enfants nés dans le mariage [35].

113Les époux peuvent désormais se séparer, sans que notre système juridique qualifie nécessairement cette situation d’illégale et lui dénie tout effet quelconque, sous prétexte de contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

114Au contraire, deux lois du 1er juillet 1974 [36] ont, l’une, organisé les conséquences de la séparation de fait des époux sur l’exercice de l’autorité parentale à l’égard des enfants et, l’autre, conféré à la séparation de fait qui s’est prolongée pendant plusieurs années le statut d’une cause de divorce.

115Deux ans plus tard, la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs des époux et aux régimes matrimoniaux [37] a conféré au juge de paix une compétence extrêmement large qui lui permet de prendre à l’égard d’époux en crise des "mesures urgentes et provisoires" (art. 223 Code civil) et, celles-ci, selon la jurisprudence instaurée par les juges de paix, peuvent notamment consister en une séparation provisoire des époux [38].

116On comprend dès lors qu’à partir du moment où le juge met lui-même en œuvre la séparation d’époux mariés, la doctrine récente n’ait plus aperçu d’obstacle à ce que les époux organisent eux-mêmes les modalités d’une séparation provisoire dans un "pacte de séparation" [39].

117Enfin, la réglementation du divorce est incontestalement entrée dans une phase de déverrouillage des écrous du Code Napoléon.

118D’une part, les lois du 1er juillet 1974 et 2 décembre 1972 ont, comme il a déjà été indiqué [40], instauré en Belgique ce que la doctrine a appelé le "divorce-remède" [41], c’est-à-dire un divorce qui ne constitue pas la sanction d’un comportement répréhensible mais la simple constatation de la rupture des liens d’affection qui avaient précédemment uni les époux.

119D’autre part, la loi du 1er juillet 1972 [42] a assoupli les formalités de la procédure de divorce par consentement mutuel du Code Napoléon, même si ces formalités restent, en Belgique, plus sévères que dans la plupart des autres pays europénens et, surtout, elle a supprimé la sanction patrimoniale qui s’attachait au divorce par consentement mutuel, à savoir le transfert de la propriété de la moitié des biens des époux à leurs enfants. Depuis lors, les statistiques judiciaires révèlent que les époux recourent plus fréquemment au divorce par consentement mutuel, et cette évolution traduit incontestablement un mouvement de "déculpabilisation" du divorce, dans la mesure où, au plan psychologique, il paraît de moins en moins nécessaire à un des époux de se blanchir socialement, en obtenant un jugement autorisant le divorce "aux torts" de l’autre.

120Au demeurant, la tendance qui inspire les actuels projets ou propositions de loi soumis au Parlement consiste à simplifier et "humaniser" le divorce, c’est-à-dire à supprimer les contraintes légales ou procédurales qui avaient pour effet de faire ressentir le divorce comme une "épreuve" [43].

12131. Pour ce qui concerne la relation de filiation, les textes du Code Napoléon ont été intégralement remplacés par la loi, déjà mentionnée, du 31 mars 1987.

122La ratio legis de cette loi se situe exactement aux antipodes de celle qui inspirait les dispositions du Code de 1804. Il s’agit, en principe, au plan de l’établissement de la filiation, de permettre à tout enfant de pouvoir disposer juridiquement, sans entraves, de sa filiation maternelle et de sa filiation paternelle et, au plan des effets de la filiation, de bénéficier, sans aucune discrimination, de tous les droits liés à l’établissement d’un lien de filiation.

123Toutefois, comme il a déjà été indiqué, les parlementaires ont, au cours des travaux préparatoires, ressuscité, par rapport au projet du gouvernement, certaines entraves ou restrictions, non seulement pour les enfants incestueux [44] et adultérins [45] mais même pour l’enfant naturel simple [46].

124Par ailleurs, au-delà des réformes opérées par la loi du 31 mars 1987, l’évolution du droit de la filiation s’inscrit dans un mouvement plus général qui tend à laisser de plus en plus à l’individu la liberté de créer ou de ne pas créer un lien de filiation, naturel ou artificiel. Outre que nos systèmes juridiques occidentaux ont dépénalisé ou légalisé la contraception [47] ou l’avortement, ils ont, dans le même temps, progressivement assoupli l’adoption, assimilé les effets d’une adoption à ceux de toute filiation et libéralisé l’accès à un "marché de l’adoption" [48]. Ils n’ont par ailleurs pas interdit ni entravé les techniques médicales de fécondation artificielle qui permettent aux couples stériles de réaliser leur "désir d’enfant" [49].

125Notre droit est par conséquent de plus en plus traversé par une conception libérale qui regarde de moins en moins la filiation comme un fait imposé par la nature ou un statut imposé par l’ordre social mais davantage comme un acte de la volonté privée qui est suffisamment autonome pour être le maître d’œuvre de la création d’un lien de filiation.

Le déplacement vers le pouvoir judiciaire de la fonction de régulation des comportements familiaux

12632. La seconde caractéristique dominante des réformes qui, en vingt ans, ont considérablement modifié le droit de la famille est immédiatement liée à la première.

127C’est en effet parce que les systèmes juridiques occidentaux ont progressivement renoncé à définir des normes générales et abstraites de comportement familial, sexuel et affectif qu’ils ont, comme dans un mouvement de balancier, produit un déplacement vers le pouvoir judiciaire de la fonction de régulation des comportements au sein de la famille.

128C’est devenu une constante de tous les textes législatifs qui ont récemment réformé le droit de la famille : ils organisent l’intervention du juge dans la vie des familles et instituent, comme M. Jacques Commaille l’a excellemment montré dans un livre qui est devenu pour le juriste et le sociologue de la famille un ouvrage de référence, une "délégation du juridique au judiciaire" [50].

129Et cette intervention du pouvoir judiciaire dans l’ordonnancement des relations familiales se manifeste lors de l’exercice par le juge tant d’une juridiction contentieuse que d’une juridiction gracieuse.

13033. Lorsqu’il intervient dans le contexte d’une magistrature de juridiction contentieuse, le juge est saisi pour trancher un litige ayant surgi entre différentes personnes qui s’affrontent à propos de leurs droits et intérêts respectifs.

131Or, la compétence contentieuse du pouvoir judiciaire, en matière familiale, s’est considérablement accrue pour deux raisons.

132La première raison correspond à l’évolution socio-culturelle de la vie familiale. Si la famille, en effet, est moins stable et si le souci de réalisation de l’épanouissement individuel autorise plus fréquemment la rupture des liens familiaux, il existe un beaucoup plus grand nombre de situations dans lesquelles les intérêts de différents membres d’une même famille se contredisent et s’opposent et ces situations appellent, lorsqu’aucune solution de compromis n’a pu être dégagée, l’intervention d’une autorité étatique pour imposer les règles régulatrices du conflit.

133Il est évident, par exemple, que l’augmentation des divorces a inévitablement provoqué une augmentation importante de litiges soumis aux tribunaux et davantage de magistrats doivent dès lors consacrer leur temps de travail à intervenir dans la vie d’une famille.

134La seconde raison correspond à l’évolution de notre système juridique. Si le législateur renonce progressivement à établir des normes générales et abstraites de comportement sexuel et familial, parce qu’il considère qu’il ne lui est plus possible d’édicter des règles qui seraient obligatoires pour l’ensemble des citoyens, il ne peut, alors, que déléguer au juge le soin et la fonction de trouver et dégager lui-même ce qu’il est opportun "hic et nunc" de décider, en tenant compte de toutes les circonstances spécifiques à la cause.

135S’il n’y a plus de règles écrites dans la loi ou, à tout le moins, de règles implicites contenues dans un code des "bonnes mœurs", il devient nécessaire, pour les personnes qui ne parviennent pas de commun accord à produire elles-mêmes leurs règles de conduite, de s’adresser au juge en lui demandant de définir, pour la situation concrète qui lui est soumise, les normes particulières de comportement que le législateur s’est désormais abstenu de définir de manière générale et abstraite.

136Et, dès lors, davantage de magistrats, au sein du pouvoir judiciaire, doivent consacrer leur temps de travail à intervenir dans la vie d’une famille.

13734. Trois exemples choisis dans des législations belges récentes sont susceptibles d’illustrer cette orientation.

13835. La loi du 14 juillet 1976 - premier exemple - a conféré au juge de paix une compétence nouvelle qui est celle de prendre, lorsque "l’un des époux manque gravement à ses devoirs" ou lorsque "l’entente entre eux est sérieusement perturbée", des "mesures urgentes et provisoires relatives à la personne et aux biens de la personne des époux et des enfants"(art. 223 Code civil).

139L’originalité de cette disposition tient en ce qu’elle permet à un juge d’intervenir dans la vie conjugale non seulement, comme par le passé (art. 221 ancien Code civil), pour constater la violation par un des époux de ses obligations et attacher à cette violation les effets ou les sanctions qu’elle impliquerait, mais aussi et surtout pour "gérer les premiers moments d’un conflit virtuel" [51], c’est-à-dire, en d’autres termes, aider les couples dits "en crise" à résoudre leurs difficultés.

140Au surplus, le législateur n’a en aucune manière défini la nature des "mesures urgentes et provisoires" que les juges de paix peuvent ordonner.

141Le juge dispose par conséquent d’une grande liberté dans la définition, par lui-même, des modalités de son pouvoir de régulation.

142Si, au cours des premières années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi, les juges et la doctrine manifestèrent des réserves et des réticences, par la suite, les juges de paix ont progressivement conçu leur pouvoir d’intervention dans le conflit du couple de manière extrêmement large [52], même parfois au mépris des règles de fond ou de procédure qui garantissent le respect de la vie privée et les droits de la défense [53].

14336. La loi du 31 mars 1987 - second exemple - a conféré aux tribunaux de première instance une compétence nouvelle en matière d’établissement de la filiation paternelle.

144Lorsqu’un enfant naît d’une femme non mariée, le père ne peut établir sa paternité, par un acte de reconnaissance, que pour autant que la mère donne son consentement [54]. Si la mère refuse ce consentement, le père peut saisir le tribunal qui décidera en tenant compte de l’intérêt de l’enfant, si la reconnaissance peut avoir lieu (art. 319 §3 nouveau Code civil).

145Plutôt que de considérer, d’une manière générale et abstraite, que l’intérêt d’un enfant est de pouvoir disposer d’une filiation paternelle, lorsqu’il se présente un père pour le reconnaître, le législateur a préféré, lorsque la mère est en conflit avec le père, laisser aux juges le soin de décider, au cas par cas, si l’établissement de cette filiation paternelle correspond, en fonction de toutes les circonstances spécifiques de la cause, aux besoins fondamentaux de l’enfant.

14637. Le troisième exemple est tiré du droit des régimes matrimoniaux qui organise les relations patrimoniales entre les époux.

147La loi du 14 juillet 1976 a, pour la gestion du patrimoine commun dans les régimes de communauté, substitué à l’ancien principe de l’autorité maritale [55] le principe nouveau de l’égalité des époux.

148La nouvelle loi a dès lors édicté un certain nombre de règles générales, abstraites et impératives, qui s’appliquent à tous les époux mariés sous un régime de communauté [56] et qui délimitent les pouvoirs respectifs de chacun des époux, à l’égard des biens de la communauté, en fonction de la nature des actes de gestion qu’ils entendent accomplir. Tantôt les pouvoirs sont concurrents - c’est-à-dire chacun des époux a le droit d’accomplir l’acte (par exemple, l’achat ou la vente d’un meuble) - tantôt ils sont exclusifs - c’est-à-dire un seul des époux a le droit d’accomplir l’acte (par exemple, la gestion d’un compte bancaire ouvert au nom d’un des époux) - tantôt ils sont conjoints, c’est-à-dire l’acte ne peut être accompli que moyennent le consentement des deux époux (par exemple, l’achat ou la vente d’un immeuble).

149Mais, dans le temps, le législateur a expressément prévu que le juge pourrait déroger à ces règles, et, notamment, interdire à un des époux d’accomplir l’acte qu’en vertu de la règle légale il a le pouvoir d’accomplir (art. 1421 Code civil) ou autoriser un des époux à accomplir seul un acte qu’en vertu de la règle légale il n’a le pouvoir d’accomplir qu’avec le consentement de son conjoint (art. 1420 Code civil).

150Au cas par cas, et en tenant compte des circonstances spécifiques de chaque situation familiale, le juge est par conséquent investi, lors d’un litige entre les époux, de la compétence de substituer à la règle générale et abstraite définie par le législateur une règle particulière et concrète qui y déroge expressément.

15138. Lorsqu’il intervient dans le contexte d’une magistrature de juridiction gracieuse, le juge est saisi pour conférer la force de son autorité à des actes juridiques qui, pour pouvoir valablement produire leurs effets, exigent une autorisation ou une homologation judiciaire [57].

152Cette forme d’intervention du juge est également particulièrement révélatrice du déplacement qui s’est opéré au profit du pouvoir judiciaire de la fonction de régulation des comportements familiaux.

153C’est que, dans le même temps où le législateur accepte de libérer certains interdits ou d’atténuer la rigueur des normes générales et abstraites qui, auparavant, dictaient aux hommes les conduites qu’ils devaient nécessairement adopter, ce même législateur n’entend pas, pour autant, laisser aux parties une liberté totale d’organiser juridiquement, comme elles l’entendent, leur vie familiale.

154On pourrait s’interroger sur les raisons qui conduisent, en quelque sorte, à reprendre d’une main ce qui a été accordé de l’autre. Elles se situent, je pense, à deux niveaux extrêmement différents.

155Il y a d’abord une préoccupation concrète exprimée par le législateur de protéger des excès de la liberté individuelle certaines personnes - par exemple, les enfants - dont les intérêts spécifiques pourraient être lésés par les décisions juridiques prises, hors leur présence, par un ou plusieurs membres d’une même famille.

156Mais il y a aussi, sans doute, une perception éprouvée de manière plus diffuse par le législateur de ce que l’ordre social ne s’accommoderait pas d’un régime qui soumettrait les relations sexuelles et familiales à l’entière et libre discrétion des particuliers. En donnant au juge le pouvoir de contrôler la manière dont les citoyens entendent, lors de l’accomplissement de certains actes juridiques, organiser leurs relations familiales, le législateur exprime de manière symbolique qu’il entend maintenir une certaine "prégnance" sociale, c’est-à-dire, en fin de compte, de l’interdit, parce que tout ne peut pas être totalement permis ou autorisé, et les citoyens eux-mêmes accepteraient ou ne contesteraient pas cette intervention sociale, parce qu’ils éprouveraient un besoin, plus ou moins conscient, de conserver des "repères" de légalité.

157En d’autre termes, la société se réserverait, par les pouvoirs qu’elle confère au juge, un contrôle social des comportements familiaux, et ce contrôle traduirait la dimension des fonctions sociale et politique que la famille continuerait à assumer, au-delà de la privatisation des comportements : la famille serait en effet, selon les termes utilisés par M. Jacques Commaille, dans une remarquable étude consacrée à cette problématique, toujours restée "le lieu de l’apprentissage et de la transmission des valeurs sociales au fondement de l’équilibre de la société" [58].

15839. Trois exemples, décrits brièvement, peuvent également attester de ce développement de la juridiction gracieuse dans le droit de la famille.

15940. Avant la loi du 14 juillet 1976 - premier exemple - les époux étaient soumis au principe de l’immutabilité absolue, pendant le mariage, du régime matrimonial qu’ils avaient adopté par contrat de mariage ou auquel, à défaut de contrat de mariage, ils se trouvaient soumis de plein droit par l’effet de la loi.

160Le loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs des époux et aux régimes matrimoniaux a sustitué à ce principe de l’immutabilité la libre possibilité, pour les époux, de modifier de commun accord, pendant le mariage, leur régime matrimonial. Toutefois, la loi subordonne cette possibilité à l’homologation par le Tribunal de première instance de l’acte portant modification du régime matrimonial et la mission confiée au tribunal est de vérifier si la modification demandée ne préjudicie pas "à l’intérêt de la famille ou des enfants ou aux droits des tiers"(art. 1359 Code civil).

16141. Lorsque - second exemple - la loi du 31 mars 1987 a accordé aux hommes mariés la faculté de reconnaître les enfants qu’ils avaient conçus avec une autre femme que leur épouse, elle a toutefois subordonné cette faculté, comme il a déjà été indiqué [59], à l’homologation par le tribunal de première instance de l’acte de reconnaissance (art. 319bis Code civil).

162Le texte voté par le Parlement est un compromis entre la solution proposée originairement par le gouvernement - liberté totale d’établissement de la filiation paternelle - et une solution extrême proposée au cours des travaux préparatoires par certains parlementaires - nécessité du consentement de l’épouse à la reconnaissance de l’enfant adultérin par son mari.

163En finale, l’article 319bis nouveau Code civil n’exige pas le consentement de l’épouse mais institue une procédure judiciaire d’homologation au cours de laquelle l’épouse sera appelée, pour lui permettre - mais c’est la seule objection que, selon le texte, elle peut soulever - de faire valoir que son mari n’est pas le père biologique de l’enfant qu’il veut reconnaître.

164Mais, comme le fait justement observer le professeur François Rigaux [60], est-il vraisemblable qu’un homme marié veuille faire une reconnaissance de complaisance avec toutes les conséquences financières et patrimoniales qui s’y attachent ? Dès lors, le seul effet réel de la la mise en place par le législateur de cette procédure judiciaire d’homologation serait surtout, selon M. Rigaux, d’être "dissuasive" de la reconnaissance et, par là même, de maintenir une certaine forme de contrôle social en "protégeant l’institution du mariage".

16542. Enfin, le troisième exemple sera tiré des projets de réforme de la procédure de divorce par consentement mutuel.

166En limitant l’analyse au seul projet du gouvernement [61], on constate qu’un des objectifs de la réforme est précisément de permettre au juge d’exercer un contrôle du contenu des conventions préalables de divorce rédigées par les époux. Le projet confère en effet au juge le pouvoir de faire "les observations utiles en vue de provoquer la modification (des conventions préalables) si elles paraissent préserver insuffisamment les intérêts des enfants ou de l’un des époux" [62].

167On pourrait s’interroger longuement sur les raisons, conscientes et inconscientes, qui conduisent tantôt les magistrats eux-mêmes [63], tantôt les autorités étatiques créatrices du droit, à conférer aux tribunaux, alors qu’ils sont débordés par un arriéré judiciaire insoutenable, une compétence nouvelle de vérification et de contrôle de l’opportunité des décisions prises par deux époux qui divorcent par consentement mutuel.

168Au-delà du souci de protéger les enfants - ce souci n’est-il pas très théorique, dès lors que le juge restera inévitablement ignorant de la situation concrète de l’enfant et de la vérité des relations affectives qu’il entretient au sein de sa famille - les enjeux ne sont-ils pas essentiellement symboliques, en ce sens que la seule exigence formulée par la société d’un contrôle des volontés individuelles rappellerait symboliquement aux époux la nécessité de concilier la liberté de leur vie privée avec le respect de leurs obligations et responsabilités familiales et parentales ?

Section II. L’évolution de l’activité du juriste de la famille

16943. Muni de mon diplôme de licencié en droit de l’U.C.L., j’ai, parallèlement à mon activité d’assistant à l’université, immédiatement entrepris le Barreau et j’ai eu la chance de devenir le stagiaire de M. Jacques De Gavre.

170Avocat de très grande qualité, élu par la suite Bâtonnier du Barreau de Bruxelles, Me De Gavre m’a formé, avec ses associés, aux règles fondamentales de probité et de rigueur qui appartiennent aux exigences de la profession d’avocat. Mais il était aussi le titulaire du cours des personnes à la Faculté de droit de l’Université libre de Bruxelles. Outre de pouvoir ouvrir mes horizons idéologiques, mon stage me permettait d’avoir pour maître un autre des grands professeurs qui ont initié et initient au droit de la famille les générations d’étudiants de l’après-guerre.

171J’ai dès lors très rapidement, au cabinet où j’effectuais mon stage, mais aussi dans le cadre de la consultation et de la défense gratuite assurée par les stagiaires, traité des dossiers de droit familial.

172Je me souviens encore de l’état d’esprit avec lequel j’ai abordé ces dossiers et de l’énergie que j’ai parfois mise dans des luttes judiciaires qui pouvaient être implacables. Depuis lors, j’ai beaucoup réfléchi, observé, écouté et j’ai l’impression, en quinze années, d’avoir considérablement évolué.

173Et probablement, cette évolution correspond-elle avec l’évolution plus générale de l’activité du juriste de la famille, tant de l’avocat que du magistrat.

L’avocat

17444. Etre avocat praticien du droit de la famille, c’est, croit-on trop vite - et j’ai eu tendance à le croire - être un technicien et un justicier.

175Un technicien, parce que l’avocat apprend pendant ses années de formation au Barreau et met, ensuite, à la disposition de ses clients une technique, celle des actes de la procédure et celle de la plaidoirie, et un justicier, parce qu’au moyen de cette technique, il répond, adéquatement pense-t-il, à une demande qui lui est formulée par ses clients de "gagner" et de "faire justice".

17645. Il y a, me paraît-il, un enchaînement dans les effets produits par les positions respectives dans lesquelles se rencontrent, lors de l’éclatement d’un conflit familial, l’avocat et son client.

17746. Souvent, dans la situation d’exacerbation des émotions vécues par le client - souffrance, amertume, rancune, colère, haine - sa demande instinctuelle, non rationnelle, est en effet de faire rendre justice et cette demande signifie qu’il entend obtenir, par la médiation des instances juridiques régulatrices des comportements humains - la loi et le juge - la reconnaissance que ce qu’il dit, explique et propose est "juste".

178En d’autres termes, le client demande que sa propre perception subjective et émotionnelle de sa situation familiale soit transcrite dans un énoncé objectif, parce qu’il est convaincu que cet énoncé objectif constitue la seule lecture correcte et rigoureuse de la réalité.

179Telle femme, par exemple, considère qu’il lui est "impossible" d’assurer sa subsistance sans un montant minimal de 50.000 FB de pension alimentaire par mois, tandis que son mari affirme qu’il lui sera "impossible" de survivre s’il doit payer une pension alimentaire supérieure à 30.000 FB par mois. Chacun des deux est convaincu que sa perception de la situation financière du couple correspond à une "réalité objective" et la demande qu’il formule à son avocat est d’agir de manière telle que cette réalité objective soit traduite dans un texte juridique : convention ou décision de justice.

180Telle autre femme consulte un avocat parce que son enfant, dit-elle, refuse clairement et explicitement d’encore se rendre en visite chez son père, alors que le père, au contraire, affirme que lorsque son enfant se trouve chez lui, il y est tout à fait heureux et c’est, selon lui, la mère qui n’accepte pas l’exercice du droit de visite et qui oblige l’enfant, pour lui plaire, à prétendre qu’il ne veut plus aller chez son père. Et la demande formulée à chacun des avocats sera de faire reconnaître, en justice, la "réalité" de ces affirmations.

18147. Or, précisément, l’avocat, mû tant par le désir de faire plaisir, de flatter et de conserver son client que le désir de gagner, c’est-à-dire de faire personnellement triompher une "cause", est souvent amené, consciemment ou même inconsciemment, à s’inscrire de manière très empathique et fusionnelle dans la demande de son client.

182Il prend cette demande en charge, il en fait "son affaire" et il entend la mener jusqu’où il croit pouvoir la mener, grâce à l’arsenal de ces moyens techniques dont il dispose et que sont les actes de procédure et ses plaidoiries.

183Et l’avocat risque alors de devenir "procédurier", c’est-à-dire qu’il utilise ses recettes de procédure pour tenter d’aboutir au "résultat" que le client lui a, en quelque sorte, "commandé".

18448. L’aventure judiciaire ne se déroule cependant que rarement comme le client l’avait imaginée, d’abord parce qu’elle est beaucoup plus lente que ce que les prévisions avaient permis d’espérer et que le résultat tarde dès lors à se produire, ensuite parce que les débats, tels qu’ils sont organisés, ne permettent que rarement de dire tout ce qu’on voudrait dire et expliquer et que le juge n’a pas le temps d’entendre ce que le justiciable voudrait qu’il entende et comprenne, enfin et surtout parce que le résultat, lorsqu’il se produit, est très souvent décevant.

185Décevant, soit parce qu’il est trop éloigné de la demande qui avait été formulée, soit parce que, déduction faite du coût de la procédure, il s’avère cher payé, soit - et c’est, me paraît-il, la principale cause de déception - parce que le résultat atteint au plan juridique n’a rien résolu, au plan affectif, des difficultés émotionnelles vécues par le client, en manière telle que les initiatives judiciaires ont revêtu un aspect très illusoire.

186C’est ce qui explique sans doute qu’un certain nombre de justiciables expriment, à l’issue des procédures, un profond sentiment de frustration, et considèrent soit que la justice est "injuste", soit que leur avocat les a trompés, et de telles expériences ne contribuent certainement pas à améliorer l’image de marque des avocats.

18749. Or, précisément, ce sentiment de frustration me paraît procéder de ce que tant le client que son avocat n’ont pas pris le temps ou ne sont pas parvenus à dissocier deux ordres de réalités qui ne peuvent pas se rejoindre ou correspondre : le vécu émotionnel d’une part et le règlement juridique ou judiciaire d’un conflit d’intérêts.

188Lorsqu’une femme prétend qu’il lui est impossible de subsister sans obtenir une pension alimentaire de 50.000 FB, il est très vraisemblable qu’elle confonde, dans ce qu’elle dit et exprime, ce qui relève subjectivement de ses sentiments avec ce qui relève de la nécessité de départager des intérêts contradictoires. C’est que la demande d’obtenir 50.000 FB traduit tout à la fois la volonté de faire, autant que possible, prévaloir ses propres intérêts, à l’occasion d’une de ces multiples oppositions d’intérêts qui se révèlent inévitablement au cours d’une existence humaine, mais aussi, et souvent à l’insu même de celui ou celle qui formule la demande, l’expression d’un sentiment éprouvé à l’égard de celui ou celle contre lequel la demande est formulée, par exemple la déception d’avoir été quitté, le besoin de maintenir un lien d’attachement avec le conjoint, la colère à l’égard d’un conjoint qui est perçu comme ayant provoqué une grande souffrance…

189Or, si l’énoncé juridique ou judiciaire qui résultera de la mise en œuvre d’un processus de négociation ou de l’introduction d’une procédure en justice met un terme au conflit d’intérêts, puisqu’il le tranche, par contre, il n’a aucune aptitude quelconque à résoudre ce qui se déroule, pour le sujet, dans l’espace de ses émotions et de ses sentiments.

190Si la femme qui a demandé 50.000 FB exprimait par là même, sans s’en rendre compte, sa colère à l’égard de son mari, elle ne se sentira pas guérie de sa colère, lorsqu’elle aura obtenu - vraisemblablement - 35.000 FB ou 40.000 FB, voire même 45.000 FB.

191Si la femme qui a demandé en justice la suspension provisoire des visites de l’enfant chez son père obtient - éventuellement - cette suspension, elle n’aura pas pour autant résolu la difficulté affective à laquelle elle était confrontée et qui provenait de ce que, quels que soient les reproches qui pouvaient être formulés à l’égard de son mari ou ex-mari, son enfant est et restera inéluctablement l’enfant de son père. Et, tôt ou tard, son enfant, à travers n’importe quel symptôme, lui remontrera sans doute que ses difficultés d’enfant par rapport au conflit de ses parents n’ont jamais été résolues.

192C’est en cela que la procédure risque très souvent d’être décevante. Elle ne guérit pas le véritable mal qui inspire et explique les demandes ou les supplications qui sont formulées à l’avocat.

193Car on ne peut sortir d’un état de colère - c’est ce que les sciences psychologiques et la psychanalyse nous ont permis de mieux comprendre - qu’en devenant soi-même l’acteur de l’expression langagière de sa colère, c’est-à-dire en reconnaissant et en nommant, par une parole vraie sur soi-même, le sentiment de colère qui anime son comportement.

194On ne sortira par contre pas de sa colère en la déplaçant inconsciemment dans un besoin de captation d’un objet - l’objet de la demande formulée à l’avocat ou au juge - dont on croit illusoirement qu’il comblera un manque ou une frustration que cet objet est, par nature et par définition, totalement inadéquat à combler.

19550. C’est ce qui permet de penser que le client qui consulte un avocat est souvent porteur d’une autre demande que celle qu’il parvient à formuler ou que celle que l’avocat, avec la formation qu’il a reçue, entend ou, éventuellement, lui-même induit.

196Ce à quoi les avocats familialistes n’ont jamais été formés pendant leurs études de droit mais que progressivement ils commencent à apprendre et à découvrir est qu’il y a nécessairement un travail de "décodage" de la demande qui doit être effectué avec leur client.

197Et cette évolution - qui se vit dans la pratique de tous les jours et que je tente de décrire à travers l’itinéraire personnel que j’ai suivi dans l’exercice de mon métier d’avocat - me paraît correspondre avec la description théorique qui a été faite de l’évolution du contexte socioculturel et juridique des relations familiales durant la seconde moitié du XXe siècle.

198Si la vie familiale est de plus en plus "désinstitutionnalisée", si les hommes revendiquent davantage la réalisation de leur épanouissement personnel et si, dans la recherche du bonheur, ils attachent de plus en plus d’importance à l’expression de leurs émotions et de leurs sentiments, on peut comprendre que, délibérément ou à leur insu, ils demandent aujourd’hui à leurs avocats de ne plus être seulement des techniciens et des justiciers.

199Mon intuition est que, même si nos clients, apparemment et confusément, continuent à formuler une demande que les avocats perçoivent comme étant celle de "gagner" ou de "faire rendre justice", ils consultent aussi et peut-être surtout un homme ou une femme qui soit capable d’une présence pour les écouter à un moment douloureux de leur vie affective, qui leur permette de parler une parole vraie à propos d’eux-mêmes et de ce qu’ils ont vécu et qui, lui aussi, leur parle une parole vraie sur la nature et la fonction du service que le droit et la justice sont susceptibles d’apporter.

200En d’autres termes, le client attend, je pense, des avocats qu’ils ne soient plus nécessairement des censeurs et des procéduriers qui délivrent dogmatiquement des recettes et des formules ou qui s’approprient une histoire en l’enfermant dans un dossier de procédure.

201Il attend que son avocat soit essentiellement un conseiller et que le conseil ne se limite pas à des aspects purement techniques. En cela, l’avocat familialiste exerce de plus en plus une fonction aux aspects multiples et, même s’il est juriste, il n’est pas que juriste.

20251. L’avocat, d’abord, écoute, attentivement, et cette écoute a deux significations : d’une part, laisser son client parler, non seulement des faits et des événements mais aussi des émotions et des sentiments induits par ces faits et ces événements, parce que l’homme, progressivement, retrouve son identité et sa confiance en lui s’il parvient à reconnaître et s’il entend qu’est aussi reconnu par celui qui l’écoute ce qu’il a pu vivre, ressentir et éprouver et qu’il avait le droit, contrairement à ce qu’il croit parfois, de ressentir et d’éprouver [64] ; d’autre part, laisser son client formuler lui-même, par rapport à la situation affective et familiale dans laquelle il se trouve, ce qu’il souhaite, ce qu’il demande, ce qu’il projette, ce qu’il décide…

203Evitons, je l’espère, les malentendus, et surtout, les confusions de rôles.

204L’avocat n’est pas un psychologue et il n’est pas consulté pour entreprendre une thérapie, dont l’objet tient spécifiquement dans l’écoute et dans la parole.

205Mais, dans toute activité professionnelle d’aide et de service qui implique une relation d’homme à homme, la relation ne devient véritablement "aidante" que si elle implique cette dimension d’écoute, c’est-à-dire si elle restaure, pour celui qui sollicite aide et service, la possibilité d’être lui-même l’acteur de sa propre histoire.

20652. L’avocat, ensuite, explique, c’est-à-dire transmet à son client l’ensemble des informations qui lui sont nécessaires pour lui permettre de prendre les décisions qui lui paraissent adéquates.

207Et cette information portera non seulement sur les règles de droit et sur les usages jurisprudentiels que l’avocat, par sa formation et sa pratique connaît, mais aussi sur les inévitables limites de la fonction du droit et de la justice et sur la nature des enjeux des différentes décisions qui peuvent être prises : enjeux affectifs, enjeux symboliques, coût et temps des procédures…

208Il ne suffit pas, par exemple, d’expliquer ce que sont un constat d’adultère, une apposition de scellés ou une procédure en divorce pour cause déterminée ni comment on les pratique. Il est nécessaire d’envisager les implications de telles décisions, dans tout ce qu’elles signifient au plan de la stratégie adoptée et dans toutes les conséquences qu’elles entraînent, à court et à long terme, au plan juridique, sur les droits et obligations de chacune des parties, au plan affectif, sur le système des relations au sein de la famille, et au plan des énergies investies et du coût, sur les prestations de l’avocat et la rémunération de ses services ou sur la durée des procédures…

209Il ne suffit pas, non plus, à propos d’un problème d’enfant, d’expliquer les motifs qui, généralement, permettent d’obtenir la garde ou de restreindre ou d’allonger un droit d’hébergement ni de relater le déroulement d’une procédure relative à la garde ou aux visites. Il est nécessaire, aussi, de parler avec le client des besoins fondamentaux de son enfant, des implications, pour un enfant, de la séparation de ses parents, de la responsabilité de chacun de ses parents dans son éducation, de l’incidence d’une procédure sur l’exercice de cette responsabilité et du respect de la personnalité de chaque enfant [65].

21053. Enfin, l’avocat est et reste, aussi, un technicien, parce que, lorsque la demande du client a été clarifiée, lorsque la démarcation entre le champ des émotions et le champ du droit et de la justice a pu être opérée, lorsque les enjeux ont été perçus, lorsque des objectifs réalistes et réalisables ont été définis, l’avocat, alors, traduira les décisions qui ont été prises par et avec son client dans un énoncé emprunté à la technique juridique ou judiciaire : un projet de convention, un acte de procédure, une plaidoirie…

211Mais, tout au long des démarches juridiques ou judiciaires qui devront être prises, le même travail devra, chaque fois, être repris : écouter, expliquer, décider et, chaque fois, continuer à dissocier le champ des affects du champ juridique et aider à accepter que ce que l’institution de la justice peut restituer ou redistribuer est sans rapport avec le sentiment d’injustice que provoquent un conflit, une rupture ou un deuil au sein d’une famille.

21254. En mots, tels que ceux utilisés dans cette étude, une telle redéfinition de l’activité de l’avocat familialiste paraît simple ou évidente.

213La vie quotidienne apprend cependant que, pour y parvenir, le chemin est long, il est parsemé d’échecs et il nécessite, souvent, des remises en cause personnelles.

214En moins de vingt ans, le droit de la famille a cessé d’être normatif et dogmatique et, tous les jours, les avocats apprennent qu’ils ne peuvent plus se suffire de leur code et de ses normes et qu’ils doivent se défaire de toute attitude dogmatique, c’est-à-dire qui prétend savoir et connaître ce qui est bien pour autrui.

215L’avocat familialiste est devenu, avant tout, un praticien de la relation humaine qui met en œuvre cette pratique à l’occasion d’événements juridiques ou de conflits d’intérêts qui concernent la vie affective des hommes, des femmes et de leurs enfants.

216Et plus il écoute et cherche à comprendre, plus il découvre qu’il était ignorant, de lui-même et des autres. Et plus il accepte qu’il était ignorant, plus il écoute et, par là même, il permet à ceux qui ne savaient pas toujours ce qu’ils étaient venus lui demander, de devenir davantage libres et responsables.

21755. J’avais indiqué, en commençant mon travail, que j’y prenais le risque de la subjectivité et j’en suis plus conscient que jamais au moment où j’achève, à propos de l’avocat, de décrire une évolution à laquelle je confère une allure de généralité alors que je n’ai peut-être décrit que le chemin que j’ai moi-même emprunté ou que je crois avoir emprunté et que d’autres n’ont jamais dû parcourir, parce qu’ils l’avaient, d’emblée, effectué.

218Il reste cependant qu’il existe des signes de convergence entre cette évolution que je pense pouvoir percevoir, à propos d’une activité qui est la mienne et celle qui, dans le contexte plus général de l’évolution du droit de la famille, affecte l’activité du magistrat de la famille.

Le magistrat

21956. Si, en effet, le législateur a de plus en plus fréquemment renoncé à formuler des normes générales et abstraites dans le champ de la vie familiale et sexuelle, s’il a de plus en plus souvent conféré au juge la compétence de réguler lui-même les relations familiales et si, dès lors, le juge doit de plus en plus souvent définir lui-même les règles et les critères au moyen desquels il tranchera les litiges qui lui sont soumis ou acceptera d’homologuer les actes juridiques qui doivent recevoir la force de son autorité, il est évident que la fonction du juge s’en trouve considérablement modifiée.

22057. Comme le professeur François Ost l’a, voilà déjà plusieurs années, excellemment montré [66], le juge de la famille statue de moins en moins par "droit et sentence" [67], c’est-à-dire il n’a plus pour vocation de dire ou de révéler, à propos d’un cas d’espèce, une solution générale inscrite préalablement dans la loi et valable pour l’ensemble des personnes et des familles ; il n’a plus pour fonction d’appliquer aux faits concrets qui lui sont soumis une règle préexistance qui lui était expressément fournie par le législateur ou qui, à tout le moins, correspondait aux normes du "bon" comportement familial [68].

221Il doit, au contraire, construire et élaborer lui-même la règle qu’il appliquera au litige et la solution qu’il exprimera dans sa décision. Par là même, le juge se détache de la loi, de sa généralité et de sa cohérence abstraite, et il se rapproche du justiciable, qu’il est censé rencontrer et comprendre dans son individualité propre.

222Il n’est plus au service de "l’ordre" de la loi pour garantir son effectivité et son application dans les contestations et les "désordres" humains qui lui sont soumis.

223Il est le gestionnaire d’une situation familiale particulière qui appelle une réglementation et une mise en "ordre" particulières en fonction des circonstances concrètes et spécifiques de la cause.

224La justice familiale, elle aussi, s’est "individualisée", puisque, à la fois, le juge doit, lors de chaque litige, élaborer une règle qui n’a de valeur que pour ce litige et, à la fois, le juge doit appréhender et prendre en compte des intérêts particuliers et des aspirations individuelles pour tenter de les faire coexister.

225Le magistrat de la famille est devenu, pour reprendre l’expression de M. François Ost, un "juge-entraîneur" et on peut imaginer effectivement qu’il a cessé de siéger, assis, à la tribune d’honneur où son imperium pouvait s’exercer, et qu’il est descendu sur le terrain, qu’il a revêtu le même habit que ses justiciables et qu’il évolue à leurs côtés, pour imprimer le rythme de la course, et répartir les rôles, les places et les responsabilités, en tenant chaque fois compte de "toutes les circonstances" qui peuvent affecter ou modifier son déroulement.

22658. Or toute la difficulté, pour le juge, provient de ce que, comme pour l’avocat, on lui demande désormais de faire ce pour quoi, au cours de ses études, il n’a jamais été formé.

227Etudier le droit, à la faculté de droit, c’est en effet apprendre à assimiler un langage spécifique, composé de règles générales et abstraites et de raisonnements établissant des liens logiques entre ces règles (cours magistraux) et, ensuite, à appliquer ces règles et ces raisonnements à des situation particulières qui sont censées s’inscrire dans les schémas théoriques préexistants (exercices pratiques).

228Les juges n’ont dès lors été formés, à l’université, qu’à exercer la fonction classique de juger, puisqu’ils ont appris la technique de l’application d’une règle abstraite à un cas concret.

229Mais, par contre, ils n’y ont pas appris ce qu’est "l’intérêt d’un enfant", comment on devient un parent "responsable", quelles sont les "mesures urgentes et provisoires" qui se révèlent adéquates lorsque l’entente au sein d’un couple est "sérieusement perturbée", comment on pratique la "conciliation"…

230Ils n’y ont pas appris davantage à démêler l’écheveau des affects et des forces inconscientes qui sous-tendent la vie affective et familiale.

231Comment les juges parviennent-ils alors à effectuer un travail délicat et difficile pour lequel ils n’ont jamais reçu aucune formation ou préparation quelconque ?

232On peut dès lors comprendre qu’un certain nombre de magistrats se soient trouvés en peine d’exercer cette nouvelle fonction et qu’ils aient été tentés de prendre des directions obliques et déviées qui, tantôt, en ne se départissant pas de la fonction classique du juge, ne correspondent pas à l’orientation nouvelle tracée par le législateur ou, tantôt, ne correspondent plus à la spécificité de l’action de juger.

23359. Une première tentation des magistrats - et c’est vraisemblablement la plus fréquente - est de ne pas réellement exercer la fonction qui leur a été confiée par le législateur.

234Plutôt que de chercher à véritablement comprendre la spécificité de chaque situation familiale et à dégager une solution particulière appropriée à cette situation, le juge se définit à lui-même des règles ou des usages qui vont devenir des substituts de normes générales et abstraites et il lui suffira alors, conformément au schéma classique de la fonction de juger, d’appliquer ces normes générales aux différents cas particuliers.

235Le contenu de ces règles ou de ces usages sera dégagé et formulé à partir des idéologies qui prévalent dans l’environnement social, ou à partir des conceptions ou des émotions personnelles éprouvées par le magistrat à propos de la vie familiale et affective ou, simplement, sur la base des pratiques habituelles de ses collègues.

236Tel est, par exemple, le cas, à propos de l’attribution du droit de garde d’un enfant, de l’usage jurisprudentiel en vertu duquel l’intérêt d’un enfant postule qu’il soit, en principe, confié à la garde de sa mère.

237Tel sera, aussi, le cas, à propos de l’exercice du droit d’hébergement du parent non gardien, de l’usage jurisprudentiel en vertu duquel un "droit de visite classique" s’étend, en principe, à un week-end sur deux, du vendredi soir au dimanche soir et à la moitié des vacances scolaires.

238Ainsi, au lieu de se demander, dans chaque constellation familiale qui lui est soumise ce que représente concrètement l’intérêt d’un enfant, en fonction de sa personnalité, de son histoire, de ses activités personnelles, de ses souhaits et de la nature des relations qu’il entretient au sein de sa famille avec son père, sa mère, ses frères ou sœurs, le juge préférera énoncer un ensemble de critères généraux qui deviennent son code de règles jurisprudentielles qu’il appliquera, sans distinction, à l’ensemble des enfants dans l’ensemble des familles.

239Par là même, le magistrat de la famille se défend d’exercer une justice "individualisée".

240Il reste dans la sphère de la généralité et de l’abstraction. Il reste, en quelque sorte, dogmatique, mais au dogmatisme de la loi, il a substitué le dogmatisme du juge : il croit que ce qu’il énonce de manière répétitive correspond, "en principe", à "l’intérêt" de ses justiciables et il sait, "par principe", ce qui est bon pour autrui.

24160. On dira qu’une telle manière de procéder ne s’explique que par le très grand nombre de dossiers que les magistrats doivent traiter et que, dès lors, ils n’ont pas le temps de chercher à comprendre de manière concrète et individualisée la spécificité de chaque situation familiale.

242Peut-être. Je pense, cependant, qu’une telle attitude traduit plus fondamentalement la difficulté compréhensible de ces magistrats de se dégager des mécanismes mentaux du raisonnement juridique et judiciaire.

243Etre juriste, en Belgique ou en France, c’est, par tradition, se référer à une loi préexistante et appliquer cette loi dans les situations où elle est susceptible d’être appliquée. Et, devenu juriste, on reste juriste, non seulement parce que c’est à ce mode de fonctionnement qu’on a été formé mais, peut-être aussi, parce que ce mode de fonctionnement correspond à une structure psychique de la personnalité du juriste : la référence systématique - et systémique - à la règle et à la loi, c’est-à-dire à un énoncé en vérité sur ce qui est bien et permis et mal et interdit ne constitue-t-elle pas, souvent, un ingénieux mécanisme de défense par lequel certaines personnalités parviennent à se protéger de leurs angoisses existentielles ou de leur "manque-à-être" relationnel.

24461. Une seconde tentation des magistrats, qui leur permet également d’échapper à l’exercice de la fonction qui leur a été confiée par le législateur, est de cesser de juger eux-mêmes et de déléguer, implicitement, leur pouvoir à des experts qui ne sont plus seulement, comme dans une expertise classique, les auxiliaires du juge mais qui, souvent, deviennent son substitut.

245Lorsque, pour reprendre l’exemple de l’attribution du droit de garde et de la détermination des modalités du droit de visite d’un enfant de parents séparés ou divorcés, le juge, avant de statuer, désigne un assistant social ou un expert médico-psychologique, la mission qui est confiée à ces experts ne consiste plus seulement à fournir au juge certaines constatations techniques qui contribuent à configurer les éléments de fait de la situation litigieuse, mais à dégager la solution elle-même qui résoudra le litige, c’est-à-dire à transmettre au juge le contenu de la décision qu’il paraît opportun de prononcer et que le juge, par alignement, prononcera.

246Sans doute, cette solution, préconisée par l’assistant social, par le psychologue ou par le psychiatre, présente-t-elle, elle, les caractéristiques d’une solution particulière, concrète et adaptée aux circonstances spécifiques de la famille. La justice s’est effectivement "individualisée" et elle est devenue moins dogmatique.

247Mais ce sont des experts, non-juristes, qui, de manière médiate, exercent alors la fonction de juger. Et que reste-t-il, en ce cas, du juge ?

248Cette seconde direction empruntée par le pouvoir judiciaire révèle dès lors, elle aussi, la difficulté pour un juriste de faire ce qui ne relève pas d’un travail spécifiquement juridique.

24962. Une troisième tentation - moins fréquente, sans doute, mais plus spectaculaire dans ses manifestations - est celle adoptée par certains magistrats qui mettent à profit le pouvoir qui leur a été dévolu par le législateur pour faire davantage qu’exercer la fonction spécifique de juger.

250Abandonnant la distance, la réserve et la neutralité qui participent à l’essence du métier du juge, ils se "passionnent", c’est-à-dire ils mettent de la passion émotionnelle dans l’exercice de leur activité et ils veulent devenir, pour les membres de la famille ou pour certains membres de la famille, un confident, un conseiller, un ami, un père, un thérapeute…

251Ce qui importe, sous le couvert de l’individualisation de la justice, c’est de devenir "proche" du justiciable, c’est-à-dire de pouvoir rencontrer, parler, dialoguer et, même, se comprendre, s’apprécier, s’aimer…

252Ce que ces magistrats, en définitive, recherchent est de ne plus devoir eux-mêmes décider, trancher et, dès lors, frustrer, parce qu’ils auraient obtenu, grâce à un climat chaleureux d’échanges, que les justiciables acceptent spontanément et librement une décision que le juge ne devra plus alors imposer.

25363. On dira sans doute que de tels magistrats font ce que le législateur, désormais, souhaitait et que, notamment, ils pratiquent une justice individualisée et conciliatoire.

254Puis-je cependant formuler trois réflexions.

255Il semble, d’abord, que, dans de telles hypothèses, ce soient les magistrats eux-mêmes qui, davantage que les justiciables, éprouvent, de manière assez émotionnelle, le besoin de proximité et de conciliation. Quelle est alors la signification psychique d’un tel besoin et est-il réellement compatible avec l’exercice rigoureux de la fonction de juger, qui implique nécessairement un "mise à distance" [69] ?

256Par ailleurs, même si un juge ne doit pas, a priori, exclure le recours à des mécanismes de conciliation, il ne faut pas non plus vivre d’illusions : beaucoup de justiciables ne souhaitent pas être conciliés par un juge et, surtout, il est réellement difficile de se confier et de parler à celui qui, par ailleurs, détient un pouvoir considérable : le pouvoir judiciaire. Certaines solutions prétendument acceptées dans la conciliation ne cachent-elles dès lors pas, plutôt, la peur de subir, par voie d’autorité, une plus grande défaite ?

257Enfin, il est assez surprenant que ces juges qui se veulent résolument conciliateurs et proches des justiciables sont souvent ceux qui ne s’embarrassent pas scrupuleusement de respecter les règles fondamentales du débat judiciaire : l’application correcte des règles de procédure du Code judiciaire, le principe de la contradiction, le respect des droits de la défense, la présence de l’avocat… Or ce n’est pas parce que la nature de la fonction de juger se transforme que les règles qui veillent à assurer une certaine objectivité et une certaine régularité du débat judiciaire doivent être écartées.

258Le risque est par conséquent réel qu’une justice plus "passionnée" ou "proche" devienne subjective et partiale et l’art de juger ne serait alors plus protégé de ses dérives dogmatiques ou arbitraires.

25964. La description - schématique - de quelques-unes des directions empruntées par la justice de la famille, dans le contexte du déplacement vers le pouvoir judiciaire de la fonction de régulation des relations familiales est, en tout cas, suffisamment illustrative de l’évolution de l’activité du magistrat de la famille.

260Cette évolution paraît irréversible et, à travers les hésitations et les errements, l’ensemble des magistrats familialistes sont actuellement contraints de s’adapter aux mutations de leur profession [70].

261Ils doivent rester juges, c’est-à-dire définir et imposer une décision juridique, à l’issue d’un débat soumis à toutes les règles du contradictoire, et en continuant à s’imposer la distance qu’exige une neutralité rigoureuse.

262Mais cette solution, ils ne peuvent plus la rechercher dans une règle préexistante qui leur serait fournie par le législateur, par la doctrine, par la jurisprudence ou par des usages. Ils doivent la dégager eux-mêmes, au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances concrètes liées à l’originalité de chaque famille et de chaque personne.

263L’exercice d’une telle fonction implique d’une part que les magistrats familialistes se forment à la compréhension de la dynamique des relations familiales et affectives et d’autre part qu’ils prennent le temps d’analyser de manière approfondie les aspects spécifiques et particuliers de la situation familiale qui leur est soumise, en ne se contentant pas d’écouter des plaidoiries ou de lire des conclusions - parce que la vie affective ne peut pas être enfermée et réduite dans de tels modes de communication - mais en utilisant tous les moyens d’investigation que le Code de procédure met à leur disposition : comparution personnelle, audition de témoins, étude sociale, expertise médico-psychologique, information du Parquet…

264Muni de toutes ces informations, le juge peut alors, dans le silence de son délibéré, exercer sa fonction de décider, en sachant qu’il ne lui appartient ni de plaire, ni de convaincre, ni de soigner, mais seulement de tenter de mettre provisoirement de l’ordre là où il y a provisoirement du désordre, et de répartir, de la manière la plus respectueuse de la liberté et de la dignité de chacun des membres de la famille, leurs droits, leurs obligations et leurs responsabilités.

26565. Comme je l’avais déjà fait observer pour l’avocat, une telle redéfinition, en mots, de l’activité du magistrat familialiste paraît simple ou évidente.

266La vie quotidienne apprend cependant que, pour parvenir à l’exercer, le chemin est long, il est parsemé d’échecs et il nécessite, souvent, des remises en cause personnelles.

267Au surplus, le magistrat est confronté à des obstacles matériels - manque d’effectifs, manque d’infrastructure, manque de temps - qui rendent la tâche nouvelle pratiquement insurmontable.

268L’actuel bâtonnier de l’Ordre français des avocats de Bruxelles, Me Edouard Jakhian, qui a inlassablement le courage de la vérité, constatait publiquement, à la dernière assemblée générale de l’Ordre le 19 juin 1989 "qu’il n’y a pas de réelle volonté politique de prendre en charge les problèmes du fonctionnement et de l’administration de la justice. A de hautes exigences, des contingences matérielles sont opposées. Aux principes, on répond par des statistiques", et il ne craignait pas de dénoncer l’incurie "indéfendable et donc inacceptable" de l’Etat et le "budget de honte" du Ministre de la Justice.

26966. Ce n’est pas par hasard que j’achève les quelques réflexions que j’ai tenté de rassembler dans cette étude en reprenant à mon compte les paroles du bâtonnier Jakhian parce qu’il a, à l’époque, avec son associé le bâtonnier De Gavre, attentivement guidé mes premiers pas au Barreau et il y a des fidélités qui sont naturelles. J’admire, aujourd’hui, l’énergie qu’il déployé à impulser ou à diriger les évolutions et les adaptations indispensables de la profession d’avocat.

270C’est que nous sommes entrés dans l’ère du changement. Le changement est définitivement devenu une des composantes essentielles de notre vie sociale. Et nous en avons repéré un certain nombre de ses manifestations dans l’évolution du droit de la famille et de l’activité du juriste de la famille.

271Sans doute, cette ère du changement est-elle guettée par de terribles menaces et, notamment, celle que l’exacerbation de l’individualisme ne finisse par détruire le sens de la solidarité entre les hommes, sans laquelle la possibilité de vivre ensemble sur la Terre disparaîtra.

272Par contre, elle offre à chaque homme des potentialités insoupçonnées de ne plus être asservi à l’immobilisme et au dogmatisme mais de libérer ses extraordinaires forces créatrices que, trop souvent, il anesthésie lui-même, par peur de la parole, par peur du changement, par peur de la liberté…

Notes

  • [1]
    C’est par la loi du 30 avril 1958 relative aux droits et devoirs respectifs des époux que le législateur belge a supprimé les articles du code Napoléon qui imposaient à la femme mariée un statut d’"incapacité juridique" (art. 215 et s. anciens Code civil) et qui la soumettaient à la puissance maritale, c’est-à-dire à l’obligation "d’obéir" à son mari (art. 213 ancien Code civil) et de le "suivre partout où il juge à propose de résider" (art. 214 ancien Code civil).
    C’est, par ailleurs, dans le contexte de la loi du 8 avril 1965 relative à la protecstion de la jeunesse que le législateur belge a porté atteinte au régime de la puissance "paternelle" exercée exclusivement par le père pendant le mariage, en lui substituant un régime d’autorité conjointe des deux parents, tempéré cependant par le maintien d’une prédominance du père (art. 373 et 389 Code civil tels que modifiés par la loi du 8 avril 1965).
  • [2]
    J. Dabin, Le statut juridique de l’enfant naturel, in Travaux de la première journée d’études juridiques Jean Dabin, Bruylant, 1965, p. 92 ; voy. infra, n° 11 et note 6.
  • [3]
    Un exemple, significatif et pittoresque, d’une des "vérités" inscrites dans la "nature" et dont les juristes avaient la "conviction" peut être trouvé sous la plume d’un des plus grands civilistes belges, le professeur Henri De Page.
    Jusqu’à la loi du 28 octobre 1974, notre système juridique soumettait l’adultère à un régime différent selon qu’il était commis par la femme ou par l’homme. A la différence de la femme, l’adultère isolé du mari n’était pas pénalement punissable et ne constituait pas une cause de divorce. Il ne le devenait que s’il y avait continuité des relations avec une même concubine dans un lieu qui devait ou pouvait être considéré comme la résidence des deux époux.
    Commentant cette distinction, De Page (Traité élémentaire de droit civil belge, T.I., n° 857) écrivait : "Cette situation, qui choque beaucoup d’esprits, et indigne les partisans du féminisme, est pourtant, si on prend la peine de l’approfondir quelque peu, rigoureusement conforme à la nature des choses. Remarquons d’abord qu’elle est traditionnelle et que, seuls, des poètes s’en sont émus. Pothier la considérait déjà comme "évidente". Et, énonçant ce qu’il appelle les "vraies raisons" de la règle, il poursuivait : "Une fausse pudeur en ces matières ne serait que de l’hypocrisie. La nature sexuelle de l’homme et celle de la femme ne sont pas identiques. Non seulement leurs besoins, mais la loi même qui les gouverne, diffèrent profondément. Une femme n’éprouve que rarement l’irrésistible appel de la chair. En toute hypothèse, celui-ci suppose presque toujours la séduction de l’homme. Il est rarement spontané".
  • [4]
    "Ne craignons pas de le dire : si, dans des choses sur lesquelles nos sens peuvent exercer une emprise tyrannique, l’usage de nos forces et de nos facultés n’eût été constamment réglé par des lois, il y a longtemps que le genre humain eût péri par les moyens mêmes qui lui ont été donnés pour se conserver et pour se reproduire". (Portalis, Présentation au Corps législatif et exposé des motifs, in Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. IX, p. 138).
  • [5]
    H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, n° 1121.
  • [6]
    J. Dabin, Le statut juridique de l’enfant naturel, in Travaux de la première journée d’études juridiques Jean Dabin, Bruylant, 1965, p. 92.
  • [7]
    Au début des années 1970, M. Rigaux avait publié, dans la revue des étudiants de la faculté de droit de l’U.C.L., un article qui avait été considéré comme provoquant et dans lequel il se demandait si le droit positif ne devrait pas organiser, à côté de l’institution classique du mariage, une possibilité de "mariage à l’essai".
    Contrairement à ce qu’on parut lui reprocher, M. Rigaux n’y prônait pas, à titre personnel, le "mariage à l’essai" mais, en juriste, il pensait que les systèmes juridiques occidentaux devaient désormais pratiquer un pluralisme des institutions, qui respecterait le pluralisme des conceptions morales ou des mœurs.
    L’évolution qui est par la suite advenue a démontré que M. Rigaux n’avait fait qu’écrire, à l’époque, ce que plus personne aujourd’hui ne conteste, à savoir que la fonction du droit n’est plus d’imposer un seul modèle de comportement familial ou sexuel.
  • [8]
    F. Rigaux, Les Personnes, t. I, Les relations familiales, Précis de la faculté de droit de l’université catholique de Louvain, Larcier, 1971.
  • [9]
    L. Roussel, La famille incertaine, éd. Odile Jacob, Paris, 1989.
  • [10]
    L. Roussel, op.cit., p. 104.
  • [11]
    L. Roussel, op.cit., p. 107.
  • [12]
    B. Bawin-Legros, Familles, mariage, divorce, Mardaga, Liège, 1988.
  • [13]
    Mme Bawin-Legros explicite sa pensée en écrivant : "Construite sur le mode hiérarchique, la famille conjugale respecte l’ordre du clan, en conférant au père la fonction symbolique de protection, d’autorité, de respect, et à la mère les fonctions liées à la nécessité de la reproduction biologique…
    Parce quelle reproduisait le microcosme signifiant où chacun était à sa place et où chaque place avait un sens, la famille conjugale permettait au niveau sociétal de faire le saut dans la modernité sans détruire complètement les dispositions essentielles du système social. Toute l’idéologie de la privatisation de la famille, c’est-à-dire de la séparation entre la sphère privée, celle des rapports non marchands, du don, de la gratuité, et la sphère publique, lien des rapports marchands, vdu calcul, de la rationalité est née en même temps que la famille conjugale, dans la même volonté de séparer deux sphères traditionnellement confondues… C’est le début de l’enfermement domestique tant dénoncé par les féministes au XXe siècle" (op.cit., p. 24)).
  • [14]
    B. Bawin-Legros, op.cit., p. 25.
  • [15]
    M.Th. Meulders-Klein, La personne, la famille et la loi au sortir du XXe siècle, in J.T., 1982, p. 137 et sv., n°14.
  • [16]
    On peut tenir pour évident, à la lumière de l’observation qui peut être faite des comportements humains, que les contextes dans lesquels l’homme éprouve un sentiment d’insécurité et d’anxiété produisent le besoin et les tentations des énonciations dogmatiques et totalitarisantes.
    La peur de "l’arabe" et la peur du sida ne sont-elles pas, aujourd’hui, les deux mamelles de l’électoralisme de Jean-Marie Le Pen et le moteur d’un retour aux mots d’ordre de "travail, famille, patrie" ?
    Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’impossibilité où se trouverait la science médicale de prévenir ou de soigner le sida ne provoque, par besoin de sécurité, un repli inconscient vers des modèles plus traditionnels de comportement sexuel et familial.
  • [17]
    L. Roussel, La famille incertaine, op.cit., p. 74-75. Alors qu’en 1965, le taux de fécondité était, en Europe, compris entre 3,2 (Pays-Bas) et 2,5 (République fédérale d’Allemagne) enfants par femme, il est tombé en 1985 entre 2 (France) et 1,3 (République fédérale d’Allemagne) enfants par femme. (Pays-Bas : 1,5). Aux Etats-Unis et au Canada, le taux passe respectivement, entre 1965 et 1984, de 2,91 à 1,82 et de 3,15 à 1,69.
  • [18]
    M. Foucault, Histoire de la sexualité, I. La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, p. 143.
  • [19]
    Cet enjeu est le même que celui qui fait l’objet, actuellement, en Belgique, du débat juridique sur l’avortement.
    Comme cette problématique n’est pas spécifiquement liée à l’analyse de l’évolution du droit de la famille, nous nous limiterons simplement à faire observer d’une part qu’il est devenu difficile pour notre système juridique, en présence de deux systèmes éthiques contradictoires qui prétendent chacun à la légitimité, d’imposer sous la menace d’une sanction pénale un modèle par rapport à un autre, et d’autre part, qu’il peut paraître préférable pour un système juridique de renoncer à édicter une règle lorsqu’il apparaît qu’en présence de la violation systématique de cette règle par une partie de la population, le bénéfice de la règle, à savoir son utilité sociale, est devenu inférieur à son coût, à savoir ses effets négatifs ou pervers, que représentent, dans le cas de l’avortement, les risques médicaux liés aux avortements clandestins et la discrimination introduite entre différentes catégories de citoyens.
  • [20]
    Les droits positifs occidentaux ont, par le recours à des mécanismes juridiques diversifiés, consacré l’émergence des valeurs liées au respect de la personnalité de chaque individu par la reconnaissance d’un "droit au respect de la vie privée" ou "right of privacy". Tant la Cour européenne des droits de l’homme que le Cour suprême des Etats-Unis ont, à plusieurs reprises, prononcé des décisions qui sanctionnent les règles générales et abstraites de comportement sexuel et familial portant atteinte, de manière disproportionnée ou discriminatoire, à ce droit de la personne au respect de sa vie privée.
    Voy. not. l’arrêt Dudgeon du 23 septembre 1981 (Publications de la Cour, série A, vol. 45) et l’arrêt Rasmussen du 28 novembre 1984 (Publications de la Cour, série A, vol. 87) de la Cour européenne des droits de l’homme.
    Sur la jurisprudence américaine, voy. F. Rigaux, L’élaboration d’un "right of privacy" par la jurisprudence américaine, in Rev.int.dr.comp., 1980, p. 701.
  • [21]
    Loi du 1er juillet 1974 modifiant certains articles du Code civil et du Code judiciaire relatifs au divorce (Mon. 17 août 1974).
  • [22]
    Loi du 2 décembre 1982 modifiant l’article 232 du Code civil et l’article 1270 bis du Code judiciaire (Mon. 21 décembre 1982).
  • [23]
    Voy. la proposition de loi déposée par M. Van Den Bossche le 7 mai 1986 "visant à permettre le divorce pour cause de séparation de fait d’un an" (Doc. Parl. Chambre, session 1985-86, n° 450-1).
    Voy. également la proposition de loi déposée le 8 décembre 1988 à la Chambre par M. Simons et Mme Vogels modifiant la législation en matière de conflits conjugaux (Doc. Parl. Chambre, session 1988-1989, n° 644/1), qui fixe le délai de la séparation de fait à deux ans.
  • [24]
    Doc. Parl. Sénat, session 1977-1978, n° 305.
  • [25]
    Loi du 31 mars 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation (Mon. 27 mai 1987).
  • [26]
    L’article 319bis nouveau du Code civil est rédigé de la manière suivants : "Si le père est marié et reconnaît un enfant conçu par une femme autre que son épouse, l’acte de reconnaissance doit en outre être présenté par requête pour homologation au Tribunal de première Instance du domicile de l’enfant. L’épouse du requérant doit être appelée à la cause. Le tribunal instruit la demande en Chambre du Conseil et entend les parties et le Ministère public. Il rejette la demande d’homologation s’il est prouvé que le requérant n’est pas le père de l’enfant".
    Cette restriction - au demeurant très symbolique - apportée à l’établissement de la filiation paternelle adultérine n’a été adoptée, en commission de la Chambre, que par 5 voix contre 4 (Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée du projet de loi modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation et à l’adoption par M. Hermans, Doc. Parl. Chambre, session 1985-1986, n° 378-16, p. 48).
  • [27]
    L’article 335 nouveau §1 du Code civil dispose que "l’enfant dont seule la filiation paternelle est établie ou dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies en même temps porte le nom de son père, sauf si le père est marié et reconnaît un enfant conçu pendant le mariage par une autre femme que son épouse". L’article 335 §3 organise toutefois la possibilité de donner à l’enfant, par déclaration commune de la mère et du père, le nom du père, moyennant, aussi longtemps que dure le mariage, l’accord de la femme avec laquelle le père est marié.
    La solution juridique organisée par l’article 335 du Code civil a été extrêmement controversée au cours des travaux préparatoires de la loi nouvelle.
    Le texte n’a été adopté par la Commission spéciale de la Chambre que par 6 voix contre 5 (Rapport Hermans, op.cit., p. 66).
  • [28]
    Voy. les articles 745 quater et 837 nouveaux du Code civil qui, le premier, refuse à l’enfant adultérin le droit de demander la conversion de l’usufruit exercé par le conjoint survivant sur la part qu’il recueille en nue-propriété dans la succession de son auteur adultérin et, le second, le prive de son droit de prendre sa part en nature dans les biens de la succession de son auteur marié lorsque le conjoint ou les enfants légitimes lui proposent de le désintéresser en valeur.
  • [29]
    Après qu’une loi du 2 juillet 1974 (Mon. 13 août 1974) eut étendu aux prénoms la procédure en changement de nom organisée originairement par la loi révolutionnaire du 11 germinal an XI, la loi du 15 mai 1987 relative aux nom et prénoms (Mon. 10 juillet 1987) a considérablement simplifié les formalités permettant d’obtenir du pouvoir exécutif l’autorisation de changer de nom ou de prénom.
  • [30]
    La Cour d’appel de Bruxelles, par son arrêt du 7 mai 1974 (J.T. 1974, 713, Rev. not. belge 1975, 137, note Kluger et Maes, Pas. 1975, II, 15) avait refusé la rectification de son acte de naissance demandée par "une" transsexuelle nommée D. Van Osterwijck qui affirmait appartenir au sexe masculin. Devant ce refus, l’intéressé(e) déposa plainte à Strasbourg et la Commission européenne des droits de l’homme adopta un rapport qui concluait à la violation par la Belgique des articles 3,8 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par son arrêt du 6 novembre 1980, la Cour européenne des droits de l’homme décida toutefois que "faute d’épuisement des voies de recours internes, elle ne pouvait connaître du fond de l’affaire". D. Van Oosterwijck n’avait en effet pas formé de pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles.
  • [31]
    Ayant introduit une nouvelle action en changement de sexe - qui n’était plus présentée comme une action en rectification d’acte d’état civil mais comme une action d’état - D. Van Oosterwijck obtint, par la suite, du Tribunal de première Instance de Bruxelles, d’être reconnu comme appartenant au sexe masculin (Civ. Bruxelles, 23 janvier 1985 et 16 avril 1986, Rev. trim. dr. fam. 1987, p. 283). Sur la problématique des actions en changement de sexe, voy. l’étude approfondie du professeur Edouard Vieujean, in Examen de jurisprudence (1976 à 1982), Personnes, R.C.J.B., 1985, p. 488, n° 12 et s.
  • [32]
    Outre que la loi du 31 mars 1987 permet désormais, à tout enfant, de faire établir par justice son lien de filiation avec l’homme, marié ou non marié, qui a entretenu des relations sexuelles fécondes avec sa mère (art. 322 à 325 nouveaux Code civil), la même loi a libéralisé le régime de l’action qui a pour objet d’écarter la paternité attribuée de plein droit, par l’effet de la loi, au mari de la femme mariée. D’une part, la preuve de la non-paternité peut désormais être faite par tous les moyens, y compris les expertises médico-scientifiques (art. 318 et 331 octies nouveaux Code civil). D’autre part, la paternité peut être écartée à la demande non plus seulement du mari lui-même mais aussi de la mère et, lorsqu’il aura atteint l’âge de 18 ans, de l’enfant, à la condition toutefois que le mari ne l’ait pas élevé comme son enfant (art. 332 nouveau Code civil).
    Dans cette dernière hypothèse, l’enfant prendre l’initiative de faire modifier sa filiation plus de 18 années après sa naissance.
  • [33]
    Voy. notamment la note d’observations de Mme M.-Fr. Lampe, De la possibilité et de l’opportunité d’établir une corrélation entre les obligations et les droits du "père de fait à l’égard de son enfant, sous Civ. Bruxelles, 1er mars 1977, Rev. trim.dr.fam., 1980, p. 71.
  • [34]
    Voy. N. Jeanmart, Les effets civils de la vie commune hors mariage, Larcier, 2e éd., 1986, p. 286, n° 32 et F. Rigaux, L’ordre public et les bonnes mœurs en présence du ménage de fait, in Le Ménage de fait, Actes du colloque organisé par le Centre de recherches juridiques de la faculté de droit de l’U.C.L. les 21 et 22 novembre 1985.
  • [35]
    Le principe de cette égalité a été inscrit, par la loi du 31 mars 1987, dans l’article 334 nouveau Code civil et ce principe n’a été assorti d’aucune restriction pour les enfants nés d’un père et d’une mère non mariés, pour autant - évidemment - qu’ils aient été reconnus par leur père (voy. J.-L. Renchon, Les enfants des concubins, in Le développement de la famille de fait en droit belge, in Les concubinages en Europe, C.N.R.S., 1989, p. 88 et sv.).
  • [36]
    Loi du 1er juillet 1974 modifiant les articles 221, 373 et 389 du Code civil et abrogeant l’article 374 du même code (Mon. 1er août 1974) et loi du 1er juillet 1974 modifiant certains articles du Code civil et du Code judiciaire relatifs au divorce (Mon. 17 août 1974).
  • [37]
    Mon. 10 septembre 1976.
  • [38]
    Voy. infra, n° 35.
  • [39]
    Voy. l’étude de M. B. Maingain, Le pacte de séparation de fait : un mode de règlement licite du conflit familial, in Rev.trim.dr.fam., 1983, p. 265 ; voy. ég. E. Vieujean, Examen de jurisprudence (1976 à 1983), Personnes, in R.C.J.B., 1986, p. 552, n°82.
  • [40]
    Voy. supra, n°26.
  • [41]
    Voy. F. Rigaux, Divorce-sanction et divorce-remède, in J.T., 1968, p. 233.
  • [42]
    Loi du 1er juillet 1972 concernant la procédure du divorce par consentement mutuel et de la séparation de corps et de ses effets (Mon. 18 juillet 1972).
  • [43]
    Voy. le projet de loi déposé au Sénat par le gouvernement le 19 août 1985 modifiant diverses dispositions légales relatives au divorce par consentement mutuel (Doc. parl., Sénat, session 1984-1985, n°951/1) ; la proposition de loi assouplissant les conditions et simplifiant la procédure de divorce par consentement mutuel déposée à la Chambre par M. Van Den Bossche le 7 mai 1986 (Doc.parl. Chambre, session 1985-1986, n°453-1 avec avis très critique du Conseil d’Etat) et redéposée le 5 mai 1988 (Doc. parl. Chambre, session extr. 1988, n°400/1), et la proposition de loi déposée à la Chambre par M. Simons et Mme Vogels le 8 décembre 1988 modifiant la législation en matière de conflits conjugaux (Doc. parl. Chambre, session 1988-1989, n°664/1). Cette dernière proposition a pour objectif de "remanier la procédure, l’alléger et favoriser les accords entre époux sur les mesures à prendre tant à l’égard de la personne des enfants qu’à l’égard de leur patrimoine".
  • [44]
    L’article 321 nouveau du Code civil maintient, contrairement au projet originaire du gouvernement, l’interdiction pour le père de reconnaître son enfant "lorsque la reconnaissance ferait apparaître entre la mère et lui un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser". L’ordre juridique belge n’a donc pas "renoncé" à traduire dans la loi une des règles générales et abstraites de régulation des relations sexuelles qui a, comme Claude Levi-Strauss l’a démontré, contribué à fonder la société des hommes : la prohibition de l’inceste.
  • [45]
    Voy. supra, n°27.
  • [46]
    L’article 319 nouveau du Code civil, adopté à la majorité la plus courte en Commission de la justice du Sénat (9 voix contre 8 - voy. le rapport fait au nom de la Commission de la justice du Sénat par Mme Staels-Dompas, Doc. parl. Sénat, session 1984-1985, n°904-2, p. 65) prévoit désormais que la filiation paternelle d’un enfant né d’une femme non mariée ne peut être établie par un acte de reconnaissance du père que moyennant le consentement préalable de la mère, sauf recours judiciaire du père (Sur la nature de la fonction du juge, dans l’hypothèse de ce recours, voy. infra, n°36).
    Cette disposition, critiquable au regard des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voy. F. Rigaux, Le nouveau droit de la filiation à l’épreuve des droits de l’homme, in Ann. dr. Louvain, 1987, p. 379 et sv., spéc. n°17), aboutit à inscrire symboliquement dans la loi qu’un enfant naturel n’a un père que par la volonté de sa mère.
  • [47]
    Une loi du 9 juillet 1973 (Mon. 9 août 1983) a abrogé, en Belgique, les trois derniers alinéas de l’article 383 du Code pénal qui réprimaient divers actes de propagande ou de publicité en faveur des moyens de contraception.
  • [48]
    La loi du 27 avril 1987 modifiant diverses dispositions légales relatives à l’adoption et la loi du 20 mai 1987 relative à l’abandon d’enfants mineurs (Mon. 27 mai 1987) ont, notamment, modifié les règles du droit international privé applicables à l’adoption aux fins de faciliter l’adoption par des Belges d’enfants étrangers, abaissé l’âge à partir duquel des parents peuvent adopter un enfant, permis l’adoption plénière par un seul parent, institué la possibilité pour les parents d’origine de déclarer leur enfant adoptable et de laisser les formalités de l’adoption se poursuivre à l’intervention d’une œuvre d’adoption, et organisé une procédure permettant de conférer par voie d’autorité à des enfants abandonnés le statut d’enfants adoptables sans le consentement de leurs parents d’origine.
  • [49]
    En Belgique, une proposition de décret relatif à l’insémination artificielle des êtres humains avait été déposée le 24 juin 1982 devant le Conseil de la Communauté française par MM. Lagasse et Gillet. Mais le Conseil d’Etat a estimé que, dans la répartition des compétences entre l’Etat, les communautés et les régions, les communautés n’étaient pas compétentes pour légiférer sur les questions essentielles qui se rattachent au problème de l’insémination artificielle (avis du 19 décembre 1984, Doc. cons. comm. fr., 1984-1985, n° 65-10).
    Sur la problématique juridique de la fécondité artificielle, voy. dans la doctrine belge, A.-M. De Cooman-Van Kan, L’insémination artificielle - Recommandation du Conseil de l’Europe et perspectives de réglementation belge, in J.T., 1981, p. 369 ; M.F. Lampe, Procréation assistée. Problèmes éthiques et juridiques liés au sort de l’embryon. Statut de l’enfant à naître, in Rev. trim. dr. fam., 1986, p. 129 ; J.-L. Renchon, L’insémination artificielle : les interrogations du juriste, in Les nouvelles parentalités : un enfant à tout prix, Actes du colloque organisé le 30 novembre 1985 par la Faculté des sciences psychologiques et pédagogiques de l’U.L.B. ; P. Senaeve, Juridische implicaties van nieuwe ontstaanvormen van menselijk leven, in R.W., 1985-1986, col. 625.
  • [50]
    J. Commaille, Familles sans justices ? Le droit et la justice face aux transformations de la famille, Le Centurion, Paris, 1982, p. 153 et les références citées p. 180.
  • [51]
    J. Gillardin, L’intervention du juge dans le conflit conjugal, in Fonction de juger et pouvoir judiciaire, transformations et déplacements, Facultés universitaires Saint-Louis, 1983, p. 245.
  • [52]
    Les juges ont dès lors, de plus en plus fréquemment, à la demande d’un des époux qui ne souhaite plus, provisoirement, poursuivre la vie commune, aménagé et organisé la séparation de fait des époux, et certains juges ne fixent même plus nécessairement de limites dans le temps aux mesures qu’ils ordonnent.
    Voy. sur la problématique de l’application de l’article 223 du Code civil, D. Cauwelier, De feitelijke scheiding en artikel 223 van het Burgerlijk Wetboek, in R.W., 1980-1981, col. 153 ; M.-F. Lampe, L’article 223 du Code civil et les limites du contentieux familial urgent et provisoire, in Rev. trim. dr. fam., 1983, p. 333 ; C. Panier, L’article 223 du Code civil. Conditions d’application, mesures ordonnées, règles de procédure, in J.T., 1983, p. 641 ; E. Vieujean, Examen de jurisprudence (1976 à 1983), Personnes, in R.C.J.B., 1986, p. 106 et sv„ n° 106 et 107.
  • [53]
    Voy. la note d’observations de M. Christian Panier, Le couple, son juge et leur psy : "questions inquiètes", sous J.P., Wavre, 30 septembre 1982, in Rev. trim. dr.fam., 1984, p. 281.
    L’ordonnance critiquée par M. Panier avait décidé de "confier à un expert la mission de rencontrer les époux ensemble ou séparément, examiner leurs difficultés, les aider à se comprendre et à s’apprécier et à dédramatiser des erreurs, insultes ou faiblesses ; maintenir une guidance pendant plusieurs années et même après la reprise de la vie commune, jusqu’à ce que les mentalités se soient ouvertes à une réelle largeur de vue et compréhension, notamment par le choix de certaines lectures et la pratique d’activités familiale et sportive ; organiser divers régimes de séparation plus ou moins développée ou retarder la reprise de vie commune selon les résultats de cette tutelle du couple".
  • [54]
    Voy. supra, n° 31, note 46.
  • [55]
    Dans le système du Code Napoléon, qui a prévalu jusqu’à la loi du 14 juillet 1976, le mari était, disait-on, seigneur et maître de la communauté - voy. J. Renauld, Les régimes matrimoniaux, Larcier, 1971, n° 512 et 599.
  • [56]
    Aux termes de l’article 1451 du Code civil, les époux qui auraient adopté un régime en communauté ne peuvent déroger aux règles du régime légal qui concernent la gestion des patrimoines propres et commun.
  • [57]
    Sur la distinction entre la juridiction contentieuse et la juridiction gracieuse et les limites de cette distinction, voy. C. Cambier, Droit judiciaire civil, t. 1, p. 291 et sv.
    Le Code de procédure civile français contient une définition de la juridiction gracieuse. L’article 25 de ce code énonce en effet que "Le juge statue en matière gracieuse, lorsqu’en l’absence de litige, il est saisi d’une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l’affaire ou de la qualité du requérant, qu’elle soit soumise à son contrôle".
  • [58]
    J. Commaille, Ordre familial, ordre social, ordre légal, Eléments d’une sociologie politique de la famille, in L’année sociologique, 1987, p. 265.
  • [59]
    Voy. supra, n° 27, note 26.
  • [60]
    F. Rigaux, Le nouveau droit de la filiation à l’épreuve des droits de l’homme, op.cit., n° 8.
  • [61]
    Projet de loi déposé au Sénat le 19 août 1985 modifiant diverses dispositions légales relatives au divorce par consentement mutuel (Doc. parl. Sénat, session 1984-1985, n° 951-1).
  • [62]
    Comme l’a fait observer avec pertinence, dans son avis, le Conseil d’Etat, le texte ne détermine cependant pas de manière précise la fonction du juge, puisque celui-ci ne paraît pas disposer, dans le projet du gouvernement, ni de la compétence d’imposer par voie d’autorité une modification des conventions préalables, ni de refuser le divorce.
  • [63]
    Voy. notamment le plaidoyer de M. le Procureur du Roi F. Poelman dans son article "Pour une réforme urgente du divorce par consentement mutuel" publié au J.T., 1982, p. 369.
  • [64]
    La civilisation judéo-chrétienne a assimilé, dans une seule et même condamnation, les actes répréhensibles et le sentiment de vouloir commettre un acte répréhensible. Or, si on n’a évidemment pas le droit de tuer ou de blesser, on a par contre parfaitement le droit d’éprouver un sentiment de haine ou de colère allant jusqu’au désir de tuer ou de blesser. Un sentiment ne peut pas être qualifié au plan des valeurs, parce que le sentiment, par nature, échappe à la volonté et à la maîtrise de l’homme. Et la meilleure manière de conjurer le "passage à l’acte" d’un sentiment est précisément de pouvoir le reconnaître et l’exprimer.
    La relation qui se noue entre un avocat et son client, à propos d’une difficulté familiale ou affective, implique inévitablement, si la confiance s’installe, que le client puisse, sans être jugé, exprimer ses sentiments. Que de fois, cependant, des clients m’ont-ils prié de les excuser, parce qu’ils avaient laissé échapper une ou plusieurs larmes ! Comme s’ils n’avaient pas, fondamentalement, le droit de pleurer !
  • [65]
    Dans un de ses derniers ouvrages, la psychanalyste d’enfants Françoise Dolto dit textuellement : "L’avocat a un rôle à jouer en ce qui concerne l’enfant. Assez souvent, les avocats ne pensent qu’à faire plaisir à leurs clients. Ils ne se rendent pas compte qu’à cette étape du divorce mettre l’accent sur l’enfant, c’est justement bien s’occuper de leurs clients parce que c’est s’occuper de leur descendance. Leurs clients sont mortels, mais leurs enfants vivront après eux" (Quand les parents se séparent, Seuil, 1988, p. 24).
  • [66]
    F. Ost, Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur, Trois modèles de justice, in Fonction de juger et pouvoir judiciaire, transformations et déplacements. Facultés universitaires Saint-Louis, 1983, p. 1 et sv. et spéc. p. 44 et sv.
  • [67]
    C. Cambier, Droit judiciaire civil, t. I, La fonction de juger, Larcier, 1972, p. 188.
  • [68]
    On pourrait objecter, en effet, que lorsque le juge, comme il en avait déjà reçu le pouvoir dans le Code Napoléon, statue, par exemple, sur une demande tendant à autoriser le divorce aux torts d’un des époux pour "injure grave", il exerce aussi un pouvoir d’appréciation, au cas par cas, sans que le législateur ne lui ait fourni de règle préexistante. Mais ce serait perdre de vue que, dans une telle hypothèse, le juge ne fait que vérifier, dans les faits, si les attitudes manifestées par un époux à l’égard de son conjoint ont ou n’ont pas correspondu aux règles de comportement implicites mais certaines qui, à l’époque, définissaient nécessairement l’état de mariage. Dans une telle hypothèse, la fonction de juger consiste également à appliquer une norme générale à des faits concrets.
  • [69]
    La question est comparable à celle qu’on poserait à l’égard d’un magistrat qui éprouverait de manière émotionnelle un besoin de punir et qui exercerait la fonction de juger dans une chambre correctionnelle.
  • [70]
    Sur la problématique de la fonction de juger dans le contentieux familial, voy., avec les nombreuses références qu’il contient, le remarquable rapport de synthèse du professeur Marie-Thérèse Meulders, L’autonomie judiciaire du contentieux familial. Identification et délimitation d’un besoin, in L’évolution du droit judiciaire au travers des contentieux économique, social et familial, Actes des XIe journées juridiques Jean Dabin, Bruylant, 1984, p. 957 et sv„ spéc. n°11 à 16.
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