Notes
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[1]
J. GENET, Les bonnes, Décines, 1976.
-
[2]
J. LACAN, Motifs du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin, in De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, 1975, pp. 389-398.
-
[3]
Qu’il me soit permis ici de remercier Mlle M.-F. THOUA : sans son aide, je n’aurais pu me procurer les plaidoiries de ce procès.
-
[4]
M.-J. SEGERS, La rhétorique du discours juridique : un point de vue psychanalytique, tiré à part, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1979.
-
[5]
“Essayer d’amener au grand jour une trame discursive, cette trame se composant, outre ce qui est dit, de tout ce qui est nécessaire pour que cela soit dit.” P. RIOT, Les vies parallèles de Pierre Rivière, in Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère …, présenté par M. FOUCAULT, Paris, 1973, p. 305.
-
[6]
En France, à cette époque, les inculpées condamnées à mort n’étaient plus exécutées. La pratique de la guillotine pour les femmes fut cependant réinstaurée lors du régime pétainiste.
-
[7]
“C’est encore, de nos jours, de sa rhétorique qu’une plaidoirie tirera les effets nécessaires à suspendre la sentence de la peine de mort. Que l’on considère le lien de la rhétorique à la peine capitale au-delà de l’anecdote, car il s’agit du même lieu : celui où la langue prend sa pointe éristique et à propos duquel Kafka avance que la langue, par la joute des figures, devient le champ-clos d’un qui-perd-gagne.” M.-J. SEGERS, op. cit.
-
[8]
S. FREUD, L’inquiétante étrangeté, in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, 1971, pp. 163-210.
-
[9]
“Mais (…) peuvent-ils (les magistrats et les juges) faire croire qu’ils n’ont pas tremblé en découvrant (…) que la monstruosité de l’Autre (le criminel) leur retombait dessus ; qu’en eux quelqu’un parlait le même langage, que le désir peut sauter les barrières, que le normal n’est qu’un mot qu’on s’applique ?” J.-P. PETER, J. FAVRET, L’animal, le fou, le mort, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 256.
-
[10]
D. SIBONY, Loi, in Analytiques, 1, 1978, pp. 13-20.
-
[11]
Car il s’agit, il s’avère, d’une affaire de femmes, d’un drame d’“entre-deux – femmes”. Cfr. D. SIBONY, De l’entre-deux-femmes, in La haine du désir, Paris, 1978, pp. 79-142.
-
[12]
J. LACAN, Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie, in Ecrits, Paris, 1966, pp. 125-126.
-
[13]
E. ROUDINESCO, La politique de la psychanalyse, Paris, 1977, pp. 11-36.
-
[14]
Le transitivisme est ce mécanisme psychique par quoi l’enfant “qui bat dit avoir été battu, celui qui voit tomber pleure. De même, c’est dans cette identification à l’autre qu’il vit toute la gamme des réactions de prestance et de parade, dont ses conduites révèlent avec évidence l’ambivalence structurale, esclave identifié au despote, acteur au spectateur, séduit au séducteur.”, J. LACAN, L’agressivité en psychanalyse, in Ecrits, Paris, 1966, p. 113.
-
[15]
J. LACAN, La signification du phallus, in Ecrits, Paris, 1966, pp. 685-695.
-
[16]
“Envisager le discours judiciaire comme une ultime reconstruction, combinant les constructions juridiques et les éléments de convictions internes au juge en un ensemble tendant à la démonstration sans faille d’une cohérence.”, G. VIGNAUX, A. MASQUEZ, De la simplicité comme argument, in Juges et Procureurs, Recherches, 40, mars 1980, p. 196.
-
[17]
“L’élaboration du portrait de Rivière, dans chacun des deux récits, n’ouvre pas sur la reconstitution d’une histoire ; elle définit une grille opérant une sélection dans l’ensemble des faits rapportés par Rivière et les témoins ; elle institue un codage qui permet de les interpréter.”, P. RIOT, Les vies parallèles de Pierre Rivière, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 300. Cette remarque ne perd rien à être appliquée à Christine et à Léa Papin.
-
[18]
Gorguloff assassina en 1932 le Président français P. Doumer. Il s’avéra en fait être un délirant.
-
[19]
A propos de Violette Nozières, consulter J.-M. FITERE, Violette Nozières, Paris, 1975 et E. ROUDINESCO, Violette et violées, in La psychanalyse mère et chienne, Paris, 1979, pp. 127-141.
-
[20]
La dénégation est un mécanisme par lequel le sujet formule une pensée tout en niant qu’elle soit sienne.
-
[21]
E. ROUDINESCO, dans La psychanalyse mère et chienne, note que la peine de mort maintient ce “faux dilemme” de l’irresponsabilité comme garantie d’échapper à la guillotine. L’avocat, piégé par cette logique, ne peut que s’appuyer sur la psychiatrie pour éviter à son client la peine capitale.
-
[22]
“Le jury doit (…) figurer précisément l’instance de la conscience publique, son règne idéal sur tout ce que l’homme peut avoir de pouvoirs secrets et inhumains (…). C’est le corps tout entier de la nation qui juge à travers (le jury) et qui se trouve en débat avec toutes les formes de violence, de profanation et de déraison …”, M. FOUCAULT, Histoire de la folie, Paris, 1972, p. 470.
-
[23]
Sur la différence entre le sujet de l’énoncé et celui de l’énonciation dans la pratique criminologique, lire M. CODDENS, Discours criminologique et discours psychanalytique, à paraître.
-
[24]
M. MONTARRON, Les grands procès d’assises, Verviers, 1967, pp. 127-162.
-
[25]
Remarquons l’homophonie signifiante maire – mère …
-
[26]
“Un être mythique, un être monstrueux dont la définition est impossible parce qu’il ne relève d’aucun ordre énonçable.” J.-P. PETER, J. FAVRET, L’animal, le fou, le mort, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 260.
-
[27]
“puisque (le criminel) vise l’ordre social, celui du contrat, son acte ne peut être que le fait d’une bête, ou d’un fou, l’envers d’un homme.” J.-P. PETER, J. FAVRET, ibid., p. 259.
-
[28]
“Quoi qu’elle fasse et quoi qu’elle dise, la partie civile est du côté du châtiment. Elle ne se confond pas avec l’accusation publique, qui représente l’Etat et le gouvernement, mais elle siège dans son camp.”, E. ROUDINESCO, La psychanalyse mère et chienne, Paris, 1979, p. 137.
-
[29]
“Il s’agit d’entreprendre une forme de persécution (du latin persequi, y arriver) pour arriver jusqu’à entrer dans un autre, jusqu’à ce point précis où idéalement il n’y aurait plus rien de caché et où lui-même n’aurait plus rien à cacher.”, P. LEGENDRE, Le Palais de la Justice, in Juges et Procureurs, Recherches, 40, mars 1980, p. 219.
-
[30]
J.-A. MILLER, Cinq minutes, in Actes du Forum de l’Ecole de la Cause Freudienne, Paris, 1981, pp. 7-8.
-
[31]
“Le vin et le sexe sont des poisons et les stigmates du mal s’inscrivent dans la chair des victimes.”, écrit E. ROUDINESCO à propos des causes de la folie pour la psychiatrie du 19e siècle, in La psychanalyse mère et chienne, op.cit., p. 53.
-
[32]
Le signe est ce qui représente quelque chose pour quelqu’un.
-
[33]
“Le crime, qui vient après, apparaît alors clairement comme un nouveau signe d’aliénation mentale, mieux, comme le produit de cette aliénation mentale…”, P. RIOT, Les vies parallèles de Pierre Rivière, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 297.
-
[34]
Elles sont autres, “quelque chose voisin du rien, dont il n’est pas sérieux de penser qu’ils aient à dire.”, J.-P. PETER, J. FAVRET, L’animal, le fou, le mort, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 248.
-
[35]
Souvenons-nous que Mlle Lancelin a eu les jambes lacérées …
-
[36]
Lire à ce sujet : “La signification du phallus”, J. LACAN, Ecrits, Paris, 1966, pp. 685-695.
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[37]
Il faut se rappeler, avec P. LEGENDRE, que dans l’institution, les sujets sont disposés pour entrer en relation selon un certain ordre, défini par le Texte : chaque sujet a sa place légitime. Cfr. P. LEGENDRE, La passion d’être un autre, Paris, 1977.
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[38]
“Sous le nom de crimes et de délits, on juge bien toujours des objets juridiques définis par le Code, mais on juge en même temps des passions, des instincts, des anomalies, des infirmités, des inadaptations, des effets de milieu ou d’hérédité ; on punit des agressions, mais à travers des agressivités ; des viols, mais en même temps des perversions ; des meurtres qui sont aussi des pulsions et des désirs.”, M. FOUCAULT, Surveiller et punir, Paris, 1975, pp. 22-23.
-
[39]
“Il n’en demeure pas moins que la sanction qui menace certains de ces “déviants” se dédouble. D’un côté, l’appareil de la justice pénale que surplombe l’ombre de la guillotine. De l’autre, l’isolement médical et l’ombre de l’asile.”, P. CASTEL, Les médecins et les juges, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 331.
“La pompe de la Cour d’assises peut nous faire songer à des funérailles de première classe avec le concours d’un clergé très spécial ou l’accusé, déjà condamné en principe, occupe une place monumentale de vivant au plus haut point, vivant au paroxysme puisque tous ces fastes sont en son honneur, puisqu’il est le cœur qui envoie son sang pour que vive ce corps gigantesque : la parade de la Cour, les soldats, le public et, dehors, la foule mêlant son nom au nom de la mort …”
I – Avertissement
1Le double meurtre des sœurs Papin n’est pas inconnu : J. GENET s’en est inspiré pour sa pièce de théâtre : “Les bonnes” [1]. J. LACAN, quant à lui, a rédigé, dans la lignée de sa thèse doctorale, un texte – définitif, à mon avis – sur ce meurtre qu’il qualifie de paranoïaque [2].
2Ce texte de LACAN m’a poussé à en savoir plus sur ce crime et sur le procès qui s’ensuivit en 1933 [3]. Une lecture, même rapide, des plaidoiries met en exergue la place qu’y prend l’expertise psychiatrique. Et, de fil en aiguille, j’ai voulu déterminer en quoi cette expertise a servi de clé de voûte à ce procès et aux plaidoiries. Partant, il s’agissait pour moi de pointer le lieu d’où parlaient les divers acteurs de ce drame : la Partie civile, les experts, le Ministère public, la Défense, le contre-expert, …
3On verra ainsi que la Partie civile parle du même lieu que celui du Ministère public : celui de l’accusation et, curieusement, l’expertise psychiatrique, au lieu d’être “neutre” et “impartiale”, les y rejoint. La Défense se voit ainsi acculée à parler du lieu d’une psychiatrie qui se veut plus scientifique que celle dont se réclame l’accusation. Il s’avère que la Défense ne peut parler que de là, les sœurs Papin n’ayant jamais nié leur meurtre.
4Un grand silence dans ce procès : celui de Christine et de Léa Papin. Il faut savoir que, lors du procès, seul l’avocat se fait le porte-parole de l’accusé, celui-ci étant exclu comme sujet [4].
5Il n’a jamais été question pour moi d’écrire une monographie sur la pathologie des sœurs Papin. Il m’est en effet apparu plus pertinent de dégager les lignes de force d’un discours juridique particulier, de montrer son organisation ; d’autant plus que ce discours juridique a ici un interlocuteur privilégié : la psychiatrie qui, sans cesse, insiste dans ce procès.
6Ce texte n’est pas psychanalytique, sensu stricto. Il n’en reste pas moins qu’il n’aurait pu être écrit si je n’étais marqué, comme on peut l’être par certaines rencontres, par l’enseignement de FREUD et LACAN. Ce texte, il y a longtemps que j’en promets la livraison. A chaque fois, je différais son écriture. Puis, pressé par l’amitié, je me suis mis à la tâche. Douloureusement : divers maux m’agrippèrent dès les premières lignes, pour disparaître avec les dernières …Ce n’est pas impunément et sans risques que l’on écrit un texte, même s’il a des prétentions scientifiques.
7Enfin, ma lecture suivra la transcription des plaidoiries dans leur dépliement temporel. Elle s’est donc faite phrase par phrase, paragraphe par paragraphe, page par page. Mes commentaires, nécessairement, s’entrecouperont, se renverront l’un à l’autre, anticiperont, reviendront sur eux-mêmes. C’est une méthode de travail qui s’est imposée à moi pour tenter de dégager ce qui fait la nervure de ce procès [5].
8Pratiquement, les nombres qui suivent les extraits des plaidoiries indiquent la pagination de la Revue des grands procès contemporains, tome XXXIX, 1933. Les pages 558-614 contiennent le procès des sœurs Papin. Je me suis également permis de modifier quelque peu la ponctuation et l’orthographe – parfois surprenantes – des plaidoiries.
II – Prologue
9On ne peut pas être indifférent au nom du Président de la Cour d’assises de la Sarthe, Mr Boucher, quand on sait l’objet de ce procès : la mort. Pas une mort “propre”, mais une mort qui fut boucherie. L’enjeu du procès, c’est également la mort [6] : sa possibilité est inscrite dans le Texte de la Loi et M.-J. SEGERS a montré le lien de la rhétorique juridique à la peine capitale [7].
10La loi, aussi. Les deux victimes, Mme et Mlle Lancelin, sont d’une famille de juristes. Mr Lancelin est avoué à la retraite. Son beau-frère est avocat et son gendre est notaire.
11Le 2 février 1933, Mme Lancelin et sa fille sont en ville. Elles doivent rentrer chez elles vers 18.00 heures pour rejoindre Mr Lancelin. Ensemble, ils iront dîner chez le beau-frère de ce dernier. Mr Lancelin arrive devant sa maison : aucune lumière. Inquiet, il se rend chez son beau-frère. Ils téléphonent : aucune réponse. Accompagnés de policiers, Mr Lancelin, son gendre et son beau-frère se dirigent vers la maison. Un policier entre : au premier étage, l’horreur. Mme et Mlle Lancelin sont étendues : mortes. A moitié dénudées. Leur visage : une bouillie. Les yeux : arrachés. Du sang. Partout. La boucherie. Au second étage, les bonnes, Christine et Léa Papin, sont couchées dans le même lit. Immédiatement, elles reconnaissent avoir commis le double crime. Aucun remords.
12L’origine de cette tuerie : un fer à repasser, abîmé, a provoqué une panne d’électricité. Christine Papin, contrariée, se plaint à Mme Lancelin, au moment de son retour. Et c’est le drame : sans motif, Christine saisit un pichet en étain et frappe Mme Lancelin qui aurait ébauché un geste de défense. Mme Lancelin s’abat. Sa fille vient à son secours. Elles se battent. Léa Papin descend et prend part à la lutte, sur l’ordre de sa sœur Christine. Des coups, des cris, des hurlements. Les yeux sont arrachés tandis que les victimes sont encore en vie. Elles sont achevées à coups de marteau et au couteau. Puis, les sœurs Papin se lavent et se réfugient dans leur chambre.
13Elles sont arrêtées. D’emblée, quelque chose ne va pas : elles ne donnent aucune explication satisfaisante. Immédiatement, l’insolite, l’étrange, l’inquiétante étrangeté [8] : on n’est pas dans la sphère du raisonnable.
III – Premier acte : “un crime sans exemple dans les annales médico-légales …”. Plaidoirie de la Partie civile, représentée par Me Houlière
1 – Les innocentes et les coupables
14Les deux victimes, Mme et Mlle Lancelin, étaient des personnes honorables, estimées. C’étaient des femmes de bien
“appartenant à la meilleure société bourgeoise”
16Mr Lancelin est un homme de qualité. Ces deux femmes ont été assassinées dans des conditions tellement atroces que l’homme raisonnable ne peut s’y retrouver [9]. Ce crime n’est pas humain, il relève de la sauvagerie du primitif :
“un crime commis avec un raffinement de torture qu’on ne rencontre que chez les peuples non civilisés.”
18Cette sauvagerie heurte la raison qui est tentée de l’effacer :
“la raison se refusait au premier abord à admettre la réalité des faits …”
20Et la seule humanité capable de commettre un tel crime est celle du primitif, fantasmée comme pure cruauté. Cette cruauté, “naturelle” chez le primitif, devient vice chez les sœurs Papin, et non folie. Ce que la Partie civile met en exergue, c’est l’horreur du crime, d’autant plus effarante que les victimes sont des femmes irréprochables.
21Mais le crime, si horrible soit-il, doit avoir un motif : un acte, pour être compréhensible aux yeux de la raison, doit être motivé. Or, il se fait que ce double meurtre semble gratuit … Mais qu’importe, puisqu’il faut un motif, on en trouvera un. Et le public d’imaginer : des tierces personnes ne sont pas étrangères au crime, on prête aux sœurs Papin des amants, elles sont l’objet de pratiques spirites, leur crime est l’aboutissement de leur exploitation par les Lancelin, … La Partie civile rejette ces “fantasmagories” au nom de la raison :
“l’imagination l’emporta sur la raison et l’imagination s’égara.”
23Ces tierces personnes sont en fait gens honorables, les sœurs Papin n’ont jamais eu d’aventures amoureuses : elles
“ont toujours eu l’homme en horreur”
25Les questions posées par les journalistes : dans quelle mesure les Lancelin n’ont-ils pas provoqué le crime ? Mme et Mlle Lancelin sont-elles aussi innocentes qu’on le prétend ? Les sœurs Papin sont-elles aussi coupables qu’on l’affirme ?, sont rejetées par Me Houlière car elles ne peuvent s’inscrire dans sa plaidoirie. Pour lui, les choses sont simples : d’une part, la pure victime, Mme et Mlle Lancelin ; d’autre part, le coupable absolu, Christine et Léa Papin :
“rien, dans cette lamentable affaire, ne saurait ternir la mémoire de Mme ou de Mlle Lancelin, et (…) aucun dessous susceptible de porter une atteinte quelconque à l’honorabilité d’un des membres de la famille n’a jamais existé.”
27La Partie civile énonce l’équation : victime-innocent, avec son envers : coupable-responsable. Et le coupable l’est d’autant plus que la victime est innocente. On assiste donc à un partage du monde pénal en deux catégories distinctes qui ne s’entrecroisent pas : d’un côté, le crime ; de l’autre, l’innocence. Il n’y a aucune relation entre ces deux ensembles dissymétriques. Il est donc posé, définitivement, magistralement, que les Lancelin sont au-dessus de tout soupçon. Qu’en est-il alors de Christine et de Léa Papin ?
28Leur sœur aînée est religieuse. Christine fut placée jusqu’à l’âge de 13 ans dans une institution. Elle y était travailleuse, discrète. Elle ne présentait aucune déficience physique, psychique ou intellectuelle. A 13 ans, sa mère, divorcée, la sort de l’institution et la place comme domestique. Et les difficultés surgissent : Christine est instable dans ses emplois, elle n’aime pas le travail, ou elle se querelle avec ses employeurs, ou, le plus souvent, sa mère la retire de son emploi parce qu’elle estime sa fille insuffisamment rétribuée ; sa mère, en effet, s’emparait de son salaire. Malgré son bon travail, les divers employeurs de Christine lui ont reproché son caractère colérique, sa fierté, sa morgue, son mépris, sa susceptibilité. C’est là un profil qui ne sied pas à une domestique et qui, d’être énoncé dans ce procès, sera à charge de Christine. On juge le crime, mais aussi le criminel. On apprécie le délit, mais aussi la personnalité du criminel, ses passions, ses anomalies, ses inadaptations. L’âme du criminel est jugée en même temps que le crime. Les traits de caractère de Christine deviennent d’autant plus significatifs qu’ils sont ceux d’une criminelle … Enfin, la Partie civile relève l’influence néfaste de Christine sur Léa qui a subi un destin analogue : à 13 ans, sa mère l’a retirée de l’institution pour la placer comme domestique.
29Mme Lancelin, femme honorable et déterminée, avait engagé Christine comme cuisinière et Léa comme femme de chambre. Et l’emploi qu’elle offrait – en connaissance de cause – ne pouvait qu’être avantageux puisque les anciennes domestiques des Lancelin, interrogées, dirent combien elles avaient apprécié leur emploi. Grandeur d’âme des Lancelin, donc. Et comme Mme Lancelin avait été correcte à l’égard de ses domestiques précédentes, il n’y avait aucune raison qu’elle ne le fût point envers les sœurs Papin. Les Lancelin, donc, sont innocents, aucun reproche ne peut leur être adressé. L’emploi offrait bien des avantages : les sœurs Papin étaient nourries comme les maîtres, leur salaire était élevé, elles étaient logées et blanchies, elles avaient pu rassembler leurs économies, Mr Lancelin payait leur part de lois sociales et elles n’avaient pas trop d’heures de travail.
30La Partie civile veut persuader que Mme Lancelin est femme de bien et pure innocente : il s’agit de réprimer tout soupçon du contraire. Si Mme Lancelin est femme de bien, les sœurs Papin sont d’autant plus coupables. Certes, Mme Lancelin et sa fille n’étaient guère familières avec leurs domestiques, elles ne leur parlaient guère en dehors des consignes et des observations. Qu’à cela ne tienne, proclame Me Houlière, on peut être excellent patron sans être familier. De plus, se demande-t-il, cette réticence des Lancelin n’était-elle pas induite par l’attitude des sœurs Papin ? Les Lancelin se voient ainsi doublement innocentés : non seulement bons patrons, mais encore presque victimes des sœurs Papin ! En outre, l’expertise mentale – qui se voit ainsi citée par la Partie civile – dit que Christine et Léa n’ont jamais aimé personne, pas même leur mère :
“Une seule affection les guidait dans la vie, c’est celle qu’elles avaient réciproquement l’une pour l’autre ; mais en dehors de cette affection et en dehors d’un amour immodéré pour l’argent, il n’y avait jamais rien dans le cœur de ces femmes …”
32Ce qui pouvait apparaître comme motif – même faible – du meurtre, soit l’attitude distante des Lancelin, est proprement retourné et devient conséquence de la méchanceté des sœurs Papin. Méchanceté viscérale telle que les Papin ne pouvaient être sensibles à aucune marque d’affection : celle-ci
“n’aurait été ni comprise, ni appréciée de celles qui en faisaient l’objet.”
34La Partie civile s’étend sur les avantages de l’emploi, avantages qui, nécessairement, engendrent le bonheur. Christine y est tellement heureuse qu’elle demande la présence de sa sœur. En 1930 ou en 1931, elles refusent d’obéir à leur mère qui souhaite leur départ suite au reproche que lui fait Mr Lancelin de s’emparer de leurs gages.
35Il y a, bien sûr, l’incident du bout de papier : Léa s’est plainte de Mme Lancelin qui l’avait contrainte de s’agenouiller pour ramasser un papier qui traînait. La Partie civile affirme que ce n’est pas là un motif pour tuer, bien que Léa l’ait invoqué pour expliquer son agression. De plus, cet incident a-t-il vraiment eu lieu ? Certes, Léa l’a relaté à sa mère, mais celle-ci affirme n’en avoir jamais entendu parler … En outre, cet incident s’est déroulé lorsque Léa, peu intelligente et peu formée, était âgée de 15 ans. Enfin,
“Mme Lancelin pouvait vraiment bien se permettre d’agir vis-à-vis d’elle comme on agit vis-à-vis d’un enfant entêté qui ne veut pas obéir.”
37Distribution de l’univers en deux parts dissymétriques, le pénal : innocent-coupable ; le social : patron-domestique ; le familial : parent-enfant. L’une partie domine nécessairement l’autre – et “naturellement”. La partie dominante ne peut pas ne pas faire le bien, ne peut pas ne pas être bonne. La méchanceté, la duplicité, la malhonnêteté, … se situent du côté de la partie dominée. La distribution des acteurs dans cet espace à deux dimensions contient en elle la possibilité d’inscrire les Lancelin comme purs innocents et pures victimes, tandis que les accusées sont désignées du titre de criminelles absolues :
“jamais Mr ou Mme Lancelin n’ont eu le moindre reproche à se faire en ce qui concerne leur attitude vis-à-vis des domestiques ; (…) ils se sont toujours montrés aussi bons, aussi bienveillants vis-à-vis d’eux qu’ils pouvaient l’être et c’est pourquoi le crime que les filles Papin ont commis sur la personne de leurs maîtres n’en est que plus monstrueux et plus abominable !”
39Le crime est alors décrit avec force détails. Cette précision, cette accumulation ont pour objectif de rendre compte de son caractère abominable, monstrueux, diabolique, sauvage, inhumain. L’homme raisonnable ne peut se reconnaître dans ce crime. Une barrière est ainsi dressée entre le jury et les inculpées, barrière que la Partie civile veut infranchissable.
2 – Le massacre des innocentes
40Et cette description – qui est du dire – est sertie de remarques qui visent à entretenir cette dissymétrie, cet espace à deux dimensions où il y a les bons et les mauvais. Ainsi, Mme et Mlle Lancelin sortent vers 16.00 heures pour faire des achats et se rendre
“notamment à une vente de charité”
42Vers 18.30 heures, les Lancelin devaient dîner chez Mr Rinjard, frère de Mme Lancelin. Entretemps, les sœurs Papin avaient à continuer le repassage, interrompu la veille en raison d’une panne du fer électrique. Rien ne laissait prévoir le drame
“tout au moins dans l’esprit des membres de la famille Lancelin”
44A 18.00 heures, une panne d’électricité surprend les sœurs Papin. Christine descend chercher une bougie dans la cuisine, puis remonte dans sa chambre. A ce moment, Mme et Mlle Lancelin rentrent. Mme Lancelin monte au premier étage, où la rejoint Christine. Elle lui explique que le repassage n’a pu se faire en raison de la panne d’électricité.
“Que Mme Lancelin ait fait à ce moment une réflexion dans laquelle se révélait la contrariété qu’elle éprouvait, c’est possible et c’était même assez naturel.”
46Le drame éclate : Christine s’empare du pichet en étain et frappe violemment Mme Lancelin à la tête. Celle-ci s’écroule dans les cris. Geneviève Lancelin s’élance pour porter secours à sa mère. Elle reçoit un coup à la tête. Elle tombe. Dans sa chute, elle arrache une touffe de cheveux de Christine. Christine frappe. Léa descend. Mme et Mlle Lancelin se relèvent pour les affronter. Christine hurle à sa sœur :
“Achève-la ! Arrache-lui les yeux !”
48Léa se jette sur Mme Lancelin, pantelante, et
“D’un geste de tortionnaire expérimenté, avec une sûreté de main véritablement effarante, elle introduit ses doigts crochus dans les cavités orbitales de Mme Lancelin et lui arrachant les deux yeux, elle les jette dans l’escalier, pendant que sa sœur Christine, du même geste, arrache l’œil gauche de Mlle Lancelin ; …”
50La Partie civile se plonge dans la surenchère :
“les deux malheureuses hurlent de douleur …”
52Les sœurs Papin
“leur frappent sans cesse la tête sur le parquet (…) Peu à peu, les plaintes des victimes se font plus faibles, les râles de la mort commencent à se faire entendre et leurs corps sont secoués par les soubresauts de l’agonie.”
54Les deux sœurs descendent dans la cuisine, l’une prend un marteau, l’autre un couteau. Mais Léa remarque que ce couteau n’est pas assez effilé et elle retourne en chercher un autre. Elles s’acharnent sur le corps de leurs victimes :
“elles réduisent la tête de Mme Lancelin en bouillie, le sang, la cervelle jaillissent de tous côtés ; les murs, les portes des chambres en sont couverts jusqu’à deux mètres cinquante de hauteur. Elles mettent à nu une partie du corps de Mme Lancelin et lui font des entailles profondes. Elles ne cessent enfin de frapper, de couper, de taillader que lorsque, épuisées et couvertes de sang, elles sont à bout de force et dans l’impossibilité de continuer !”
56La Partie civile se comptait à décrire l’horreur afin, d’une part, de glorifier Mme et Mlle Lancelin dans leur image de victimes innocentes et, d’autre part, de traîner les sœurs Papin dans l’abjection : elles sont des criminelles de la pire espèce. En aucun cas, le juré ne peut se reconnaître en elles. Elles sont confinées dans l’absolue altérité [10] et dans la culpabilité la plus radicale.
57Les Papin n’ignoraient pas que Mr Lancelin allait rentrer d’un moment à l’autre. Elles ne voulaient pas lui parler du drame car
“leurs explications n’étaient pas prêtes …”
59Elles verrouillent la porte d’entrée pour lui interdire l’accès de la maison. Elles clôturent un espace – le lieu du crime –, espace de femmes d’où l’homme est exclu [11]. Ensuite, elles se lavent les mains et se débarrassent de leurs vêtements ensanglantés. Atavisme ancillaire ? Effacement dérisoire, dans le réel, des traces du crime ?
60La police les retrouve, une heure et demie après, blotties l’une contre l’autre dans un même lit. Les sœurs Papin discutaient de leurs moyens de défense : elles savaient qu’elles auraient à rendre compte de leur acte. Léa et Christine Papin se glissent dans le discours juridique en ceci qu’elles élaborent – même maladroitement – un système de défense que l’appareil judiciaire exige pour son fonctionnement. C’est maintenant au titre d’inculpées qu’elles existent et c’est de ce lieu qu’elles ont à parler.
3 – Systèmes de défense
61Leur premier système de défense est simple : Léa et Christine Papin disent avoir été agressées par Mme et Mlle Lancelin. Elles étaient en état de légitime défense.
“De cette bataille, nous sommes sorties victorieuses et nous ne regrettons rien ; car du moment que les unes devaient avoir la peau des autres, mieux valait que ce soient les domestiques qui aient la peau des patronnes, plutôt que les patronnes la peau des domestiques !”
63La Partie civile récuse ce système de défense : il ne correspond pas à la réalité des faits, il est contredit notamment par les constatations du médecin-légiste : il n’y a pas une trace de coups sur le corps des sœurs Papin, …
64Ce système de défense, s’il ne recouvre pas la réalité, recèle néanmoins la vérité du crime [12]. Il met en évidence sa dimension proprement imaginaire, duelle. L’avocat de la Partie civile n’échappe pas à ce halo imaginaire, dans la mesure où il parle du criminel idéal afin d’en dénoncer la cruauté, la monstruosité, l’insensibilité, le machiavélisme. Pour la Partie civile, Christine et Léa Papin correspondent à l’image de ce criminel idéal. Cet avocat ne parle que d’une figure imaginaire [13].
65Les sœurs Papin ont abandonné ce système de défense pour en adopter un second et ceci, après le dépôt du rapport de l’expertise psychiatrique, après les dépositions des anciennes domestiques des Lancelin et après la “scène” de Christine, lors de la nuit du 11 au 12 juillet 1933.
66Que déclare maintenant Christine ?
“Quand j’ai attaqué Mme Lancelin, celle-ci ne m’avait pas provoquée. Je lui ai demandé, quand je l’ai trouvée sur le palier, si elle voulait réparer mon fer électrique. Je ne sais pas ce qu’elle m’a répondu, mais j’ai été prise d’une crise nerveuse et je me suis précipitée sur elle sans qu’elle s’y attende.”
68Elle décrit ensuite succinctement le drame, en n’omettant pas de signaler qu’elle ne se souvient pas de tous les détails et en justifiant son premier système de défense :
“Après le crime, je n’ai pas voulu dire exactement ce qui s’était passé parce que nous avions convenu, ma sœur et moi, de partager également les responsabilités.”
70Elle parle aussi de l’intervention de Léa :
“je ne crois pas qu’elle ait fait quelque chose, sauf de faire des découpures aux jambes de Mlle Lancelin qui, à ce moment-là, ne remuait plus.”
4 – Deux dans une
72Léa, séparée de Christine, ignorait la modification que celle-ci avait apportée au système de défense. Elle n’en appelle pas moins le Juge d’instruction pour déclarer, comme sa sœur, que ce ne fut pas un geste provocateur de Mme Lancelin qui déclencha le carnage.
“Christine, allait-elle dire, a obéi à la colère et moi-même, je me suis mise en colère parce que j’ai cru que Mme Lancelin avait frappé ma sœur !”
74Outre l’identification imaginaire et son avatar, le transitivisme [14], on remarque la communauté des signifiants qui déterminent Léa et Christine. Une communauté qui s’indique dans leur désir d’assumer ensemble la même responsabilité :
“Après le crime, quand nous sommes remontées dans notre chambre, nous avons convenu, ma sœur et moi, que nous dirions en avoir fait autant l’une que l’autre pour avoir la même responsabilité et subir la même peine et qu’il fallait dire aussi que c’étaient nos patronnes qui nous avaient attaquées, que nous n’avions fait que nous défendre, alors que ce n’était pas vrai.”
76Léa, en aucune façon, n’a tenté d’apaiser sa sœur. Comme si ça allait de soi, elle frappe, elle mutile, elle tue. Aliénée dans le désir de Christine, elle ne fait plus qu’un avec elle : Léa est sa sœur. Le point de folie réside sans doute dans cette coïncidence de Léa avec l’autre du miroir, incarné par Christine. Léa et Christine Papin ne font qu’une : unies par un rapport identique à la féminité, unies par le même meurtre, unies par leur souhait d’assumer la même responsabilité, et la même peine, elles le sont aussi dans le même ressentiment à l’égard de Mme et de Mlle Lancelin, supposées posséder le phallus [15] et participer dès lors à une jouissance dont elles sont frustrées.
77Léa dément, elle aussi, l’agression de Mme Lancelin. C’est la panne du fer électrique qui a déclenché la fureur sanguinaire de Christine.
5 – La crise de colère
78L’accusation a retenu comme version la crise de colère. C’est pourquoi Léa et Christine sont inculpées de meurtre, et non d’assassinat. Donc, pas de préméditation … Le juriste se raccroche à quelque chose connu par lui, à quelque chose qui va lui permettre d’expliquer l’inexplicable de ce double meurtre : la colère. Pour l’accusation, cette colère doit organiser tout le procès. Elle devient ce maître-mot de l’acte d’accusation qui inscrit ce
dans le Texte de la Loi. L’accusation ne retient ainsi que ce qui peut entrer dans ce Texte, à l’exclusion de toute autre chose.“crime sans exemple dans les annales médico-légales”
6 – Produire de la haine
79La Partie civile marque sa surprise : pourquoi la Chambre des mises en accusation s’est-elle précipitée sur la version de la colère, écartant ainsi la thèse de la préméditation ? Car, pour la Partie civile, il est plus que probable que ce crime fut prémédité. Pour soutenir cette thèse, Me Houlière s’appuye sur la
“réalité des faits”,
81réalité censée receler la vérité. Or, cette “réalité” – du drame, on n’en sait que ce que Christine et Léa Papin ont déclaré à la Justice – apparaît comme une construction [16]. Une construction déterminée par l’objectif visé par la Partie civile : la peine de mort, comme seule mesure susceptible de sanctionner la culpabilité absolue. Dès lors, toute parole, tout geste sont interprétés dans et par cette construction qui, on le verra, n’est pas sans parenté avec un délire [17] :
“toutes deux avaient été bien résolues, à l’avance, à détruire leurs maîtresses et (…) en vue de cette destruction, elles s’étaient ce soir-là, 2 février, embusquées sur le palier du premier étage, épiant le retour de Mme et de Mlle Lancelin, qu’elles savaient s’effectuer vers les six heures ? Mais, comme avec cette hypothèse, ce n’était plus le crime commis dans une crise de colère ; comme avec cette hypothèse, la question de la débilité mentale ne pouvait même plus se discuter, on se trouvait alors en présence de deux servantes, possédant des âmes d’anarchistes qui avaient été assez habiles pour avoir caché sous les apparences d’un service irréprochable, leur révolte intérieure et leur haine de classe ! Or, il est bien évident que les filles Papin avaient un intérêt majeur à dissimuler de semblables sentiments et à cacher le véritable mobile de leur crime …”
83La Partie civile veut donc établir la préméditation – bien que ce soit difficile, reconnait-elle –. Pour ce faire, elle recourt à cette construction, puisque rien dans les faits ni dans les déclarations des sœurs Papin ne le permet. Ce discours s’étaye sur la haine des Papin à l’égard des Lancelin :
“on a la preuve flagrante des sentiments de haine dont ces filles étaient animées à l’égard de leurs patronnes.”
85Cette construction – qui a l’avantage de promouvoir l’hypothèse de l’assassinat et de rendre caduque celle de l’irresponsabilité pénale – donne une dimension compréhensible au drame : il en occulte “l’inquiétante étrangeté” qu’il ne manque pas de susciter. En outre, il semble dénier le droit des domestiques de ne pas aimer leur patron : ils ne peuvent que l’aimer … Dès lors, la haine est d’autant plus répréhensible : c’est comme un crime de lèse-majesté. Et la punition doit être à la mesure de cette haine, laquelle haine est attestée par le traitement qu’ont fait subir les sœurs Papin à leurs victimes :
“ce sont (…) des tortionnaires qui ont fait souffrir leurs victimes parce qu’elles trouvaient de la satisfaction à les faire souffrir ! Ce sont des meurtrières qui se sont repues du sang de leurs victimes (…) et c’est, j’estime, le côté le plus grave de cette affaire, celui pour lequel vous devez vous montrer inflexibles vis-à-vis d’elles.”
87De la haine, il y en a : celle des Papin à l’égard des Lancelin, celle de la Partie civile à l’égard des Papin, celle que la Partie civile veut provoquer dans le chef du jury à l’égard des accusées. L’exercice rhétorique à quoi se livre la Partie civile vise à produire de la haine, à confirmer les sœurs Papin dans leur radicale altérité, à conforter le jury – donc, le public – dans sa normalité.
7 – L’expertise mentale
88L’horreur du crime est telle qu’une expertise mentale fut requise. La possibilité de la démence est ainsi posée du lieu de la raison :
“le crime reproché aux filles Papin (apparut) tellement monstrueux aux magistrats chargés de l’Instruction, il répugnait tellement à leur raison d’honnête homme de penser qu’un semblable forfait avait pu être accompli par des personnes raisonnables, que je comprends fort bien les magistrats instructeurs d’avoir voulu soumettre les filles Papin à un examen mental.”
90Cette expertise mentale est provoquée non pas pour expliquer le drame, mais pour apprécier la responsabilité pénale de Christine et de Léa Papin. Les psychiatres commis sont des experts, des hommes qui savent : les Drs Schutzemberger, Baruk et Truelle.
91Le Dr Schutzemberger est
“médecin en chef de l’asile des aliénés de la Sarthe ; son passé, ses ouvrages, sa réputation seraient déjà à eux seuls une garantie suffisante pour mettre vos consciences à l’abri de tout scrupule.”
93Quant au Dr Baruk,
“son long passé de médecin aliéniste est trop connu de la Cour, les tribunaux de notre région ont eu trop souvent recours à ses lumières pour que je m’attarde à vous en faire un éloge qui serait superflu.”
95Le Dr Truelle est
“expert près des tribunaux de la Seine (…). C’est lui notamment qui a été commis par le Juge d’Instruction de la Seine chargé de l’affaire Gorguloff [18] l’assassin du Président Doumer, c’est lui qui vient d’être commis pour examiner Violette Nozières [19] et j’ai à peine besoin de vous faire remarquer que M. Truelle est commis, à la Seine, pour donner son avis dans de semblables procès, c’est qu’évidemment on estime qu’il est à la hauteur des missions qui lui sont confiées.”
97Ces trois médecins, on le voit, sont au-dessus de tout soupçon. Leur parole est d’or : en aucun cas, elle ne trompe ni ne se trompe. Elle est parole de vérité. Sujets de savoir, ils ont le dernier mot, le mot juste. Ce qui importe ici, c’est de voir que la Partie civile les met dans cette position : leur carrière, leurs titres, … sont autant d’arguments décisifs pour convaincre le jury qu’il a là affaire avec la vérité : l’expertise ne sera pas une erreur, elle ne vise pas à tromper, elle est parole vraie et définitive devant laquelle il ne reste plus qu’à s’incliner. Or, que dit-elle ?
“Au point de vue héréditaire, au point de vue physique, au point de vue pathologique, nous n’avons trouvé chez ces deux femmes, nous ont-ils dit, aucune tare susceptible de diminuer dans une proportion quelconque leur responsabilité pénale. Elles ne sont ni folles, ni hystériques, ni épileptiques, ce sont des normales, médicalement parlant, et nous les considérons comme pleinement et entièrement responsables du crime qu’elles ont commis.”
99Une sentence décisive et irrévocable, car on ne peut manquer de relever la proximité des conclusions de cette expertise avec la sentence judiciaire :
“je me demande vraiment comment des profanes peuvent encore avoir la prétention de discuter utilement un rapport comme celui qui est à la base de ces débats et d’essayer d’en atténuer la portée.”
101Quelle est la fonction de l’expertise mentale dans ce procès ? Car il est frappant de remarquer combien elle épouse la thèse de la Partie civile : toutes deux concluent à la responsabilité pénale. Cette collusion indique, à tout le moins, une communauté de discours, un discours qui confine les sœurs Papin dans l’univers de la Faute et du Mal. L’expertise psychiatrique vient comme caution scientifique d’un jugement moral. Mise au service du discours juridique, l’expertise est déterminée par la finalité dudit discours … La contre-expertise, pratiquée par le Dr Logre, choit exactement dans le même “travers” : elle aussi sera utilisée par le discours juridique, en l’occasion, par la Défense.
8 – Et la contre-expertise ?
102La Partie civile n’est pas dupe de l’usage qu’elle fait de l’expertise : elle s’en sert comme argument d’autorité. De ce fait, elle disqualifie, avant même qu’elle ne soit prononcée, la contre-expertise :
“entre l’opinion d’experts commis par un juge d’instruction et l’opinion d’un médecin cité par la défense, l’opinion des experts commis par la justice doit sans aucune hésitation, dans vos esprits, sans aucun scrupule, l’emporter.”
104La Partie civile, après avoir proclamé l’indépendance des experts, jette la suspicion à propos du contre-expert : il est au service de la Défense, il ne possède que les informations qu’elle lui a fournies :
“(la Défense) ne lui a dit que ce qu’elle pensait favorable à la cause de ses clients et (elle) a pu ne remettre entre ses mains que les éléments qu’elle jugeait utiles aux intérêts des accusées.”
106Après avoir jeté le discrédit sur le Dr Logre, Me Houlière ne manque pas de faire son éloge, lequel n’est pas exempt de dénégation [20] :
“Loin de moi (…) la pensée de vouloir critiquer en quoi que ce soit la science de M. le docteur Logre…”
“il m’est apparu sous l’aspect d’un homme au cœur généreux, toujours disposé à tendre une main secourable à l’accusé (…), c’est le médecin des causes désespérées, le médecin des accusés en danger de mort.”
109Il est nécessaire à la Partie civile d’invalider la contre-expertise : en cas contraire, les sœurs Papin seraient reconnues folles, donc irresponsables au point de vue pénal. La Partie civile banalise ainsi la contre-expertise en la rangeant parmi les querelles d’école, voire de personnes : le Dr Truelle avait déclaré Gorguloff responsable tandis que le Dr Logre, déjà cité comme contre-expert, avait soutenu la thèse inverse :
“Je ne serais (…) pas étonné que (…) cette divergence habituelle d’opinion entre le docteur Truelle et le docteur Logre n’ait été une des raisons pour lesquelles la défense a songé à faire citer le docteur Logre. Du moment que le premier disait oui, il y avait bien des chances pour que le second dise non !”
111La contre-expertise est invalidée parce qu’elle conforte la plaidoirie de la Défense, parce qu’elle est une manifestation d’un conflit de personnes, mais aussi parce qu’elle n’est pas scientifique ni déontologique :
“le docteur Logre n’a pas vu les accusées, ne les a pas examinées, n’a pas eu l’occasion de s’entretenir avec elles !”
“un médecin qui n’a pas vu ni examiné (le) malade est dans l’impossibilité de se prononcer d’une façon utile et en connaissance de cause.”
114Habilement, la Partie civile rappelle au Dr Logre qu’il avait précisément tenu des propos analogues lors d’un procès précédent, où son expertise était contestée par un contre-expert qui n’était autre que le Dr Truelle !
“Je m’étonne que M. le docteur Logre ne se soit pas rappelé en la circonstance un aussi excellent précepte et ait cru devoir y déroger …”
116On le voit, le dessein de la Partie civile est de rendre cette contre-expertise nulle et non avenue : il faut que les sœurs Papin soient jugées et condamnées. Ainsi, paradoxalement, elles sont retirées des mains des psychiatres grâce à la psychiatrie et laissées à la Justice.
9 – Anticipation
117La Partie civile en vient à anticiper sur la plaidoirie de la Défense : celle-ci ne pourra étayer son argumentation que sur la contre-expertise, affirme Me Houlière. Celui-ci a bien relevé l’impossible tâche de la Défense dans ce procès. Un impossible qu’elle est contrainte de contourner en s’appuyant sur la contre-expertise. Il faut bien se mettre à l’évidence que la Défense y est acculée car la rhétorique juridique ne permet pas autre chose. C’est parce qu’il y a cette impossibilité de défendre des accusées qui reconnaissent leur meurtre, c’est parce que la fonction du psychiatre au tribunal en donne la possibilité que la Défense a recours au savoir et à la démarche psychiatriques.
“Elle (la Défense) vous dira tout d’abord que la colère qui s’est emparée de ces deux filles simultanément, le besoin de carnage qui s’est emparé de l’une et de l’autre, n’ont été que la conséquence d’une crise de nature pathologique relevant davantage de la médecine que de la justice.”
119Et la Partie civile de dénoncer le paradoxe de cette plaidoirie – qu’il suppose à la Défense : la cruauté est la manifestation de l’irresponsabilité [21] :
“ce qui reviendra à soutenir que plus un crime aura été commis d’une façon cruelle et sanguinaire, plus son auteur devra avoir droit à votre indulgence, en raison de sa débilité mentale …”
121La Défense, représentée anticipativement par la Partie civile, rappellera le caractère inexplicable et déraisonnable du crime, l’altération de l’humeur de Christine et de Léa Papin, l’aggravation de leur mutisme, l’étrangeté de leur physionomie, leur claustration, l’incident de septembre 1931 chez le Maire du Mans où elles firent part de sentiments persécutifs, la bouffée délirante de Christine en prison, … La Défense, semble-t-il, ne peut plaider autre chose car elle est également prise par la question du discours juridique : ou les accusées mentent, ou elles sont folles. La Défense doit, par conséquent, démontrer qu’elles le sont. La Partie civile indique par là que la Défense veut arracher les sœurs Papin des mains de la Justice :
“on essaiera de jeter le trouble dans vos esprits et, à la faveur de ce trouble, d’obtenir quelque pitié en faveur des accusées.”
123En filigrane, c’est la notion de responsabilité, donc de culpabilité, qui est en jeu : un sujet responsable est un sujet coupable et, partant, punissable. Un sujet irresponsable n’est pas coupable et, dès lors, n’est pas justiciable. Il s’agit donc pour la Partie civile d’empêcher que les sœurs Papin ne soient happées par la psychiatrie. Pour ce faire, elle utilise les arguments de la Défense, comme pour prévenir le jury.
124Et si la Partie civile peut ainsi parler du lieu de la Défense, c’est parce qu’elle occupe, par rapport au savoir psychiatrique, une position absolument identique à celle de la Défense : ces deux rhétoriques s’appuyent sur lui.
125La Partie civile érige donc l’expertise comme caution : elle a pour objectif d’endormir les scrupules, d’apaiser les consciences, de condamner en toute bonne foi.
10 – Le bon sens
126Non content de cela, Me Houlière veut faire croire aux jurés qu’ils n’ont pas à se réfugier derrière cette expertise : ils peuvent, sans crainte, faire appel à leur raison, à leur “bon sens” pour poser des conclusions identiques à celles des experts [22]. Curieux mouvement où l’expertise est à la fois mise au pinacle et annulée …
“laissons les sciences psychiatriques de côté, si vous le voulez bien ; raisonnons avec notre bon sens et vous allez voir que l’attitude de ces deux filles, pendant et après le crime, ne permet pas d’arriver à d’autres conclusions que celles auxquelles les médecins sont arrivés dans leur rapport.”
128Triple enfermement des sœurs Papin dans l’univers de la culpabilité : par le discours juridique, par le discours psychiatrique et par le discours commun, donc. Cependant, le discours psychiatrique reste la référence, le canevas. La Partie civile admet que le crime fut commis sans préméditation et au cours d’une crise de colère. Mais celle-ci n’est pas de nature pathologique, elle ne ressortit pas à la folie et elle n’atténue donc en rien la responsabilité. La colère, tout comme l’ivresse, peut être domptée par la raison et par la volonté, elles ne sont dès lors pas prétexte à des circonstances atténuantes :
“Quand on a la colère ou l’ivresse mauvaise, il est du devoir de ceux qui ont de semblables passions de trouver en eux l’énergie suffisante pour ne pas boire ou pour ne pas se mettre en colère.”
130Forte d’une telle psychologie volontariste, la Partie civile a beau jeu de dire que Christine Papin n’avait pas à se mettre en colère : rien ne l’y motivait, et que Léa n’avait pas à suivre l’exemple de sa sœur ! Elles avaient à agir en personnes raisonnables et responsables :
“si la colère de Christine l’égarait au point de frapper ses patronnes, sa sœur Léa n’avait qu’une chose à faire : s’interposer entre sa sœur et ses victimes, et si elle n’en avait pas la force, rien ne lui était plus facile que d’ouvrir une des portes des chambres donnant sur la rue et d’appeler au secours !”
132La Partie civile, sourde à ce qui s’étale comme folie, ne peut tenir qu’un discours coercitif : celui de la méchanceté à punir. C’est aussi une façon de rendre les sœurs Papin étrangères aux jurés. Ceux-ci, confortés dans leur normalité, auraient, dans des circonstances analogues, réprimé leur colère, empêché toute violence, appelé à l’aide, … Toujours cette dissymétrie : d’un côté, les bons ; de l’autre, les méchants. La Partie civile n’hésite pas à normaliser la colère, à l’extraire du champ de la pathologie :
“elle (la colère) ne leur faisait pas perdre la raison car, au milieu de leur rage, elles (les sœurs Papin) ont parfaitement conservé la notion du temps, la notion de l’état dans lequel elles se trouvaient, la notion des conséquences que pouvait avoir pour elles le crime qu’elles venaient de commettre.”
134En fait, c’est la chute de la colère qui a réinstauré la raison. Ce n’est que dans l’après-coup du crime qu’elles savaient ce qu’elles faisaient, qu’elles sont advenues à une certaine maîtrise : l’heure du retour de Mr Lancelin étant proche, elles ont verrouillé la porte d’entrée. Elles se lavent les mains et échangent leurs vêtements ensanglantés contre des peignoirs. Elles se concertent sur leur système de défense. Ces différents actes, posés dans l’après-coup, sont néanmoins des motifs suffisants pour la Partie civile de dénier la folie :
“Ce n’est pas le fait de folles ou de personnes qui ne se rendent plus compte de ce qui se passe autour d’elles.”
136Non seulement, il n’y a pas folie, mais il y a une exacerbation de la conscience :
“pour avoir eu la présence d’esprit de trouver ce moyen de défense (celui de la provocation des patronnes), après avoir commis un crime aussi abominable que celui que ces deux femmes venaient de commettre, j’estime que non seulement il ne fallait pas qu’elles fussent folles, mais je prétends que cette attitude comportait de leur part une certaine dose de calme et de sang-froid, exclusive de toute aliénation mentale.”
138Tout indice de folie ne peut qu’être écarté dès lors que la Partie civile soutient la responsabilité pénale. Son plaidoyer tourne autour d’un “je n’en veux rien savoir” et prétend dire le vrai de l’affaire. Un vrai qui trouve son assise dans l’expertise :
“les médecins déposent un rapport concluant à leur entière et totale responsabilité, elles ne sont ni des névrosées, ni des hystériques, ce sont des êtres normaux ayant agi dans la plénitude de leur raison et de leur volonté …”
140et dans les faits :
“elles n’avaient pas été attaquées, (…) elles n’avaient pas pu l’être …” (582)
142Véritable chaîne signifiante dont l’accumulation doit, dans le chef de la Partie civile, aboutir à un signifiant dernier qui dirait le tout et le vrai, définitivement. La chaîne ne se clôturant jamais, il subsiste toujours un doute, sans cesse comblé, mais aussi sans cesse différé.
11 – Le mensonge
143La Partie civile prétend que les accusées veulent tromper la Justice, alors que celle-ci est portée par la quête de la vérité. Puisque le premier système de défense s’avère peu soutenable,
La Partie civile a raison dans la mesure où le discours juridique pose que l’inculpé soit ment, soit est fou. Si Christine dit : “Je ne mens pas, je suis folle”, la Partie civile, dans un mouvement dissymétrique, dit : “Elle ment, elle n’est pas folle”. Il y semble impossible de mentir et d’être fou simultanément. Me Houlière va donc commenter la crise présentée par Christine en prison.“Il faut alors en trouver un autre. Mais lequel ? Oh, il n’y en a qu’un qui soit plausible, c’est d’essayer de démontrer que les psychiatres se sont trompés sur leur cas …”
12 – La crise en prison
144Depuis le moment de son arrestation jusqu’à la nuit du 11 au 12 juillet, Christine était normale. A cette date, elle fait une crise
“au cours de laquelle elle va prononcer des paroles incohérentes, tenir des propos obscènes, (…) elle voudra se jeter sur ses codétenues, sur les gardiennes de la prison, (…) en un mot, elle s’efforcera de donner toutes les apparences d’une hystérique, d’une épileptique, d’une folle …”
146La Partie civile ne nie pas les faits : il y a eu crise. Mais elle l’interprète dans un sens précis, déterminé par la logique de sa plaidoirie : cette crise est simulation et, comme telle, elle est mensongère, trompeuse.
“est-ce là l’attitude d’une folle ou d’une simulatrice ? Je dis que c’est l’attitude d’une personne absolument consciente de l’énormité de son crime et qui cherche à échapper au châtiment.”
148Christine Papin, après cette crise, déclara au Juge d’Instruction que, lors du meurtre, elle en avait fait une semblable … Le Dr Schutzemberger examina Christine après cette crise en prison et il en dit ceci :
“cette scène, d’après les signes extérieurs qu’elle avait présentés, était une crise simulée …”
150Le Dr Schutzemberger ne s’en satisfait pas :
“il vous a dit encore qu’il avait fait avouer à Christine qu’elle avait joué la comédie dans le but, a-t-elle ajouté, de retrouver sa sœur !”
152On ne peut qu’être confondu devant l’identité des points de vue de l’expert-psychiatre et de la Partie civile,
“il n’était pas besoin d’être grand clerc pour savoir d’avance ce que seraient ses conclusions.”
154Similitude qui ne se comprend que de ceci : les sœurs Papin sont coupables, il faut les punir. L’expert se soumet à cet impératif, il musèle son savoir. Son idéal scientifique est distrait par l’objet de ce procès : la condamnation à mort de Christine et de Léa Papin. Objet auquel l’expert adhère, comme la Partie civile. Dès lors, on peut avancer que le psychiatre et la Partie civile, représentée par Me Houlière, parlent du même lieu dans ce procès.
155La dissymétrie entre la parole mensongère de l’inculpée et la parole de vérité de l’expert, de la Partie civile apparaît ici. La parole de l’accusé, du fait même qu’elle sort de sa bouche, est suspecte aussi longtemps qu’elle ne se fait pas l’écho de celle du juriste. Quoi que dise l’accusé, sa parole sera interprétée dans le sens de la culpabilité … ou de la folie. Quoi qu’elle dise, Christine est condamnée. Le silence de l’accusé peut lui aussi être entendu comme preuve de sa culpabilité. La parole de l’inculpée ne sera entendue que si elle peut s’inscrire dans le discours juridique et dans les idéaux qu’il draine. Ce discours n’a que faire d’une parole propre, dite par le sujet de l’énonciation [23]. Le procès de Weidmann [24] est, à ce titre, bien indicatif de ce que l’accusation, la défense, la Partie civile et l’inculpé ne peuvent s’entendre qu’à parler la même langue, celle de la culpabilité, de la responsabilité, du remords, de l’assentiment subjectif à la peine, de la dette à la société, … C’est ainsi que l’on pourrait peut-être concevoir le procès comme le lieu de déploiement d’une langue.
13 – La vraisemblance
156Dès lors que la folie de Christine est dénie à cause de la simulation, il y a esprit raisonneur :
“elle se rend compte, (…) elle raisonne et (…) si elle emploie des moyens puérils dans le but de sa défense, il n’empêche qu’elle poursuit une idée, qu’elle est logique avec elle-même dans la poursuite de cette idée et qu’il est impossible de la considérer comme folle.”
158Un fait – certes troublant – motive la Partie civile à repousser la thèse de l’irresponsabilité : en prison, les sœurs Papin étaient totalement séparées l’une de l’autre, de sorte qu’il leur était impossible de communiquer entre elles. Or, le 12 juillet, la journée qui a suivi la crise de Christine, Léa abandonne le premier système de défense et affirme que sa sœur
“a frappé au cours d’une crise de fureur comme elle n’en avait jamais eu.”
160Ceci est, pour la Partie civile, la preuve qu’il y a eu concertation entre Christine et Léa en vue d’une scène de simulation, laquelle est donc dite préméditée. Une preuve de plus qu’il n’y a pas folie :
“le simple fait qu’elles ont communiqué, qu’elles se sont entendues ensemble, qu’elles ont été de connivence pour changer le même jour et à la même heure leur système de défense suppose de leur part une suite dans les idées qui exclut chez elles la débilité mentale !”
162On le voit : le moindre fait, si étrange soit-il, est interprété dans le cadre d’une construction qui, ici, n’a que faire des aléas d’un possible transfert des deux sœurs sur l’expert-psychiatre, sur le Juge d’Instruction. La Partie civile s’en tient à la vraisemblance : elles ne peuvent que s’être concertées,
“je n’ai pas à rechercher les moyens qu’elles ont su, l’une et l’autre, employer pour communiquer entre elles, alors que cela leur était interdit, …”
14 – La mairie du Mans
164La Partie civile mentionne ensuite l’incident qui se déroula, en septembre 1931, dans le bureau du maire du Mans. Le commissaire de police a déclaré, à ce propos, que les sœurs Papin lui avaient donné l’impression de femmes persécutées. Leur persécuteur n’était pas les Lancelin, mais le maire lui-même [25]. Les sœurs Papin étaient lassées par les revendications de leur mère qui leur demandait sans cesse de l’argent, qui voulait sans cesse leur faire quitter leur emploi. Si Christine était majeure et donc susceptible de se dégager de sa mère, Léa était mineure. Christine voulait entamer une procédure d’émancipation pour sa sœur. Elles s’étaient adressées au maire à cette fin. Comme cette procédure n’était pas dans ses compétences, le maire les débouta. Ceci n’eut pas l’heur de plaire à Christine qui lui adressa d’amers reproches. Pour la Partie civile, dans son habileté à escamoter, c’est là une preuve de plus de la responsabilité des sœurs Papin, c’est une preuve
“d’une démarche raisonnée de la part des filles qui désiraient ou voulaient obtenir quelque chose de parfaitement sensé.”
166Donc, pour Me Houlière, aucun doute possible : elles sont responsables et le Jury reçoit l’injonction de les considérer telles :
“Vous estimerez donc, Messieurs, les deux sœurs pleinement, entièrement responsables des crimes qu’elles ont commis.”
15 – Anticipation à nouveau
168La Partie civile, après avoir parlé du lieu de la Défense, se met dans la position du Procureur de la République, lequel parle au nom du peuple français :
“je serai bien surpris si, pour l’une comme pour l’autre, en présence des conclusions médicales, il ne requérait pas contre elles le maximum des peines applicables.”
170Sur la base de l’expertise médicale, la Partie civile invite le Procureur de la République à se joindre à elle dans l’accusation. Etrange collusion, en fait, car la Partie civile se fait accusatrice, au même titre que les experts-psychiatres et que le Procureur. Christine et Léa Papin sont jetées dans la culpabilité absolue, parce qu’elles ont commis un crime tout aussi absolu.
“J’ai le droit et le devoir de vous demander de rejeter toutes les circonstances atténuantes qui pourraient être sollicitées en leur faveur. Les crimes sont trop affreux, trop abominables pour qu’il puisse en être question !”
172Substitution de la Partie civile à l’Accusation et rejet, cautionné par l’expertise psychiatrique, de toute circonstance atténuante :
“les médecins experts excluent toute atténuation de responsabilité, …”
174Et appel à l’opinion publique :
“Permettez-moi d’ajouter que vous entreriez en lutte ouverte avec l’opinion publique qui ne comprendrait pas votre verdict.”
176Cette seule remarque suffit à montrer que le public est sans cesse présent dans le procès : il y a le Procureur qui parle au nom de la société, il y a le jury, représentant la conscience populaire, il y a enfin la présence de l’opinion publique. Le procès n’est pas une affaire privée, mais publique …
177La Partie civile rappelle ce que prévoit le code pénal : Christine et Léa Papin sont poursuivies pour meurtre sans préméditation. Sans circonstances atténuantes, elles risquent les travaux forcés à perpétuité. Avec circonstances atténuantes, elles sont passibles des travaux forcés à temps, de cinq à vingt ans ou la réclusion, de cinq à dix ans.
178Christine, poursuivie pour un double crime, risque la peine de mort s’il n’y a pas de circonstances atténuantes. S’il y en a, elle encourt les travaux forcés à perpétuité ou à temps. Léa, n’étant poursuivie que comme coauteur, n’encourt que les travaux forcés à temps : elle échappe ainsi à la peine de mort.
179Christine et Léa Papin sont dangereuses, il faut les mettre hors d’état de nuire … Et curieusement, la Partie civile conclut en insistant sur leur bestialité, tout en la leur refusant :
“De pitié, elles n’en méritent aucune et puisque la haine, qu’elles avaient au cœur, de leurs patronnes, leur a inspiré dans les crimes qu’elles ont commis des raffinements de torture et de cruauté qu’on ne rencontre que chez les peuples sauvages ; puisqu’elles se sont conduites en bêtes fauves, il faut les traiter en sauvages et en bêtes fauves. Il faut supprimer l’une puisque la loi vous permet de la supprimer et il faut mettre l’autre hors d’état de nuire à tout jamais.”
IV – Second acte : “… d’horreur”. Réquisitoire de M. Riegert, Procureur de la République
181La collusion, soupçonnée, entre la Partie civile et l’Accusation s’étale d’emblée de la façon la plus manifeste. Il suffit d’écouter :
“Le crime que vous avez à juger, Messieurs les Jurés, compte parmi les plus horribles et les plus monstrueux qu’aient enregistrés les annales criminelles [26] … et la raison reste confondue devant l’atrocité du forfait, devant la sauvagerie des coups portés, devant la férocité des criminelles.”
183Cette atrocité, cette monstruosité, cette cruauté sont des mots qui ont scandé la plaidoirie de la Partie civile … Le Procureur, lui, va plus loin : il énonce un discours qui vise à susciter l’horreur. Une horreur qui rend les sœurs Papin inhumaines :
“jamais, jamais, je n’ai vu cadavres pantelants plus déchiquetés, plus mutilés ; jamais, je n’ai vu chair humaine plus déchirée, plus tailladée …”
185Le Procureur se complait dans une description cauchemardesque d’un magma sanglant :
“Par terre, deux mares de sang, ou plutôt une seule car le sang des deux victimes s’était confondu. Et dans cette nappe rouge, deux cadavres de femmes à moitié dévêtus, le torse zébré d’incisions profondes, des lambeaux de chair détachés au couteau du mollet de l’une d’elles.”
187Une surenchère …
“Je fis retourner les cadavres et je reculai d’horreur ! Des orbites vidés de l’une d’elles, la mère, deux yeux avaient jailli et nageaient là tout près dans le sang. Plus loin, sur la première marche du palier, un œil arraché de son alvéole, l’œil droit de la plus jeune des victimes avait roulé et s’était collé au sol.”
189Une horreur indicible, devant laquelle les discours juridique et médical restent muets :
“Le médecin-légiste vous l’a dit : la littérature médico-légale n’offre point de qualificatifs suffisants pour décrire les blessures des victimes.”
1 – Une dissymétrie harmonieuse
191Le réquisitoire du Procureur est dans son développement analogue à celui de la Partie civile : tout se joue sur la symétrie-dissymétrie. Ainsi, s’il y a dissymétrie sociale, il y a symétrie morale :
“D’un côté les victimes, deux femmes de haute vertu appartenant à l’élite de la société mancelle ; de l’autre, deux jeunes filles d’extraction bien modeste, mais, elles aussi, de conduite irréprochable.”
193Dissymétrie dans la division du travail :
“ces quatre femmes ont vécu (…) d’une vie monotone et tranquille, faite d’un côté de l’autorité bienveillante de celui qui paye et a le droit d’être servi, de l’autre de la soumission déférente et respectueuse qui est la règle chez celui qui loue ses services.”
195Dissymétrie, certes, mais qui s’avère être la condition même de l’harmonie :
“aucun nuage, aucune difficulté, c’est la bonne harmonie complète et, de part et d’autre, l’exécution loyale d’un contrat librement consenti.”
2 – La cassure
197Et puis, la cassure qui apparaît aussi comme une rupture d’un contrat [27] :
“Et soudain les deux dernières se dressent contre les premières et leur donnent la plus atroce des morts.”
199Et le Ministère public de mentionner la relation de ces femmes en des termes qui ne sont pas sans évoquer la fin d’une liaison amoureuse :
“Tout avait été calculé pour que ces deux femmes fussent heureuses de longues années encore et leur bonheur a croulé devant l’impondérable imprévisible.”
201Le Procureur explique les faits et causes du drame qui, à l’entendre, prend son origine dans le futile : la panne du fer à repasser. Un futile qui prend des proportions à la mesure de Christine Papin :
“fille au cerveau étroit, domestique depuis quinze ans et dont le seul objectif est sa cuisine et son fer à repasser.”
203Dans son exposé, le Procureur ne dépeint pas Mme Lancelin comme la pure victime, elle a sa part de responsabilité : Christine se plaint du fer à repasser,
“Mme Lancelin, pressée de repartir, avait mieux à faire que d’écouter les doléances de sa cuisinière ; elle la rabroue et veut la repousser …”
205Il en va de même pour Mlle Lancelin : le Procureur suppose que Christine Papin se serait “contentée” d’asséner un coup de pichet d’étain sur la tête de sa patronne si Mlle Lancelin n’était pas intervenue :
“peut-être n’eût-elle pas été plus loin et s’en fût-elle tenue là si la fatalité n’eut voulu que Mlle Lancelin, accourue au bruit, ne se fût élancée sur Christine Papin, lui arrachant une poignée de cheveux.”
207Avec l’arrivée de Léa, chacune agresse l’autre … Et il y a l’énucléation : elle
“le lui (l’œil) arrache comme elle les arrache depuis quinze ans aux lapins qu’elle accommode pour sa cuisine.”
209Puis les mutilations … Le crime commis, les sœurs Papin se lavent, s’enferment dans la maison et attendent dans leur lit la police.
210Le Ministère public rejette l’hypothèse d’une vieille haine qui n’attendait qu’une occasion pour éclater. Il écarte également l’hypothèse d’une rivalité de classes. Il n’a que faire de celle qui fait appel au spiritisme, à la suggestion.
3 – Le phare de la psychiatrie
211L’hypothèse de la folie est écartée : l’expertise médicale est là pour attester qu’il n’y a point démence. Et il est hors de question de mettre en doute ce discours médical qui vient là pour combler un blanc dans la trame juridique et qui, cependant, la cautionne :
“nous nous sommes adressés à trois hommes de grande science, à trois savants choisis parmi les plus savants et nous leur avons dit : nous ne sommes pas des médecins, nous sommes des magistrats : renseignez-nous, éclairez-nous.”
213A ces maîtres, rien ne peut leur échapper, rien ne peut filer entre les doigts de leur science. Plus précisément ici, la psychiatrie, véritable chirurgie du cerveau comme lieu métaphorique de la démence, est ce savoir qui permet de dire une fois pour toutes la folie, inscrite dès lors dans le réel du corps. Cette substitution de la méthode chirurgicale à celle psychiatrique rend toute suspicion impensable :
“minutieusement, pendant des mois, ils les ont étudiées, scrutées, analysées ; ils ont vécu leur vie, ils les ont disséquées moralement et leur scalpel est allé jusque dans le cerveau, cherchant à dépister cette fissure morale par quoi s’avère l’aliénation mentale. Rien de ce qui touche ces filles ne leur est resté étranger.”
215L’expertise est utilisée comme sentence, au même titre que le souhait de la Partie civile et que le réquisitoire du Ministère public. Etrange voisinage …
“Et tous trois sont venus vous dire, la main droite levée dans le geste du serment : en notre âme et conscience, ces filles ne sont point folles, elles doivent répondre de leurs actes. L’affaire est jugée ! Le Ministère public est derrière un mur de bronze. Les filles Papin relèvent de la Cour d’assises, elles ne relèvent point du cabanon.”
217Le contre-expert, le Dr Logre, est discrédité avec les mêmes arguments que ceux de la Partie civile : bien qu’il ait prétendu Gorguloff fou, celui-ci fut condamné ; il n’a jamais examiné les sœurs Papin ; enfin, il est cité par la Défense et, à ce titre, il est suspect.
218Tout en s’en défendant, le Ministère public pratique sa propre expertise, en parlant ainsi du lieu des trois psychiatres. Et cette expertise rejoint celle officielle :
“Christine et Léa ne sont point des tarées, elles ne souffrent d’aucune maladie mentale, elles ne supportent nullement le poids d’une hérédité chargée, elles sont entièrement normales au point de vue intellectuel, affectif et émotif.”
220La responsabilité est ainsi affirmée par la Partie civile, par les experts et par le Ministère public, même si celui-ci n’institue pas les Lancelin comme pures victimes. Ces trois lieux de discours se rejoignent en un seul : celui de l’accusation, celui de la culpabilité, celui de la peine, car enfin, les faits sont là : il y a bien eu meurtre. Ce procès ne peut tourner qu’autour de cette question de la responsabilité et dans sa logique, il ne peut qu’être sous-tendu par le discours psychiatrique. Ce qui fait qu’il prend des allures de “présentation de malades”, d’“exercice d’école”. Ce discours permet à la Partie civile et au Ministère public d’exhiber les coupables et d’exiger – hargneusement – la peine maximale. Il faut un coupable – pour que les autres puissent se dire innocents – et il faut qu’il soit puni. L’expertise psychiatrique, qui cautionne scientifiquement cet impératif, est prise par lui. C’est pourquoi j’ai posé cette hypothèse que la Partie civile, l’expertise et le Ministère public sont des institutions qui tiennent un même discours dans ce procès [28]. Cela devait être posé, même s’il est vrai que, d’un point de vue strictement juridique, il est logique que la Partie civile et le Ministère public poursuivent les mêmes objectifs.
4 – Une folie qui n’en est pas une
221Il y a cependant un grain de sable qui s’est glissé dans cette affaire : les Papin ont commis un crime qui ne s’inscrit pas avec souplesse dans le Texte de la Loi : il n’y a pas préméditation, il n’y a pas d’avantages cherchés ni obtenus ; enfin,
“elles ne sont point folles et cependant, elles ont commis un crime de folles !”
223Et le Ministère public de surmonter cette aporie en montrant qu’il s’agit là d’une folie qui n’est pas folle …
“il est telle passion, tel mouvement du cœur qui, pour n’être pas la folie, peut entraîner aux mêmes égarements, conduire aux mêmes débordements.”
225Une folie qui n’en est pas une parce qu’elle est colère. Et pour étayer cette thèse, appel est fait à la psychiatrie : deux médecins aliénistes, Sollier et Carbon, disent :
“La colère (…) est un mode de réaction émotive paroxystique à toute contrariété, qu’elle provienne des gens, des choses ou des événements. Elle est l’épanouissement d’un fonds d’irritabilité et peut aller jusqu’à la fureur.”
227Argument d’autorité, répétition de la parole des maîtres. Des anciens, aussi, car le Procureur n’hésite pas à solliciter Horace et Sénèque :
“via brevis est furor, la colère est une folie passagère.”
229Cette répétition du texte des maîtres donne au Procureur la possibilité d’énoncer une parole qu’il dénie être sienne – puisqu’elle est celle de l’autre – mais qu’il prend cependant à son compte. Il ne s’agit de rien d’autre qu’un démenti du sujet de l’énonciation [23]. Dans la plaidoirie, ce sujet s’avère être différent de celui de l’énoncé. Cet appel au texte des maîtres instaure une folie qui n’en est pas une, une folie qui est contrôlable, maîtrisable… En dernier ressort, il n’y a pas folie.
“La colère n’est pas la folie, elle n’a rien de pathologique (…) Un individu d’un tempérament irascible s’emporte au cours d’une discussion et frappe son adversaire, il n’est pas irresponsable car il lui appartient de réfréner son emportement et grâce à son énergie, dont il est le seul maître, il peut se maîtriser.”
231Et les sœurs Papin sont d’autant plus responsables qu’elles ont refusé de se maîtriser : elles se sont laissées entraîner par cette colère.
“elles s’emportent et ne font rien pour réfréner leur emportement, elles sont volontairement restées sourdes à la voix de leur conscience, elles ont volontairement étouffé cette petite lueur qui brille au fond de tout être humain, qui le guide et éclaire sa marche.”
233On est loin de la bestialité : les sœurs Papin sont des êtres humains, d’autant plus humains qu’elles ont “volontairement” gommé la voix de la raison pour se plonger dans l’ivresse sanguinaire :
“la vue du sang les a excitées, elles ont frappé à tort et à travers, elles ont frappé sans raison, elles se sont acharnées sur leurs victimes impuissantes, leur arrachant les yeux, leur découpant le torse, leur enlevant des lambeaux de chair.”
235Et en tant qu’êtres humains, elles ont à rendre compte de leur crime. Curieusement, le Ministère public compare les sœurs Papin à des “chiens hargneux” : l’ombre de la bestialité, même si elle est effacée de temps à autre, resurgit :
“les filles Papin ne sont point des malades, elles ne sont point des chiens enragés, elles sont des chiens hargneux !”
237Enfin, le Procureur estime que la responsabilité des criminelles est d’autant plus grande que Christine a simulé une crise de folie. Ce point de vue rencontre celui de la Partie civile … Et de conclure :
“le crime est constant et les criminelles sont responsables. Il ne fait de doute pour personne ici que vous allez répondre oui sur la culpabilité.”
5 – La mort !
239Le Procureur exclut toute circonstance atténuante, il refuse toute pitié et il invite, en des termes pathétiques, le jury à songer à la souffrance des victimes. En quoi, à nouveau, se rejoignent le réquisitoire du Ministère public et la plaidoirie de la Partie civile dans le refus de l’irresponsabilité, comme expression d’une force supérieure qui excuserait le meurtre.
“Vous évoquerez, Messieurs, les souffrances horribles de ces innocentes victimes, atrocement torturées dans leur chair, avant de rendre le dernier soupir. Vous invoquerez aussi, Messieurs, la douleur profonde de ce vieillard époux et père, séparé à jamais, par le fait de deux odieuses criminelles, de deux êtres infiniment chers et dont l’unique consolation, à lui désormais pitoyable épave, est d’aller s’agenouiller, les yeux toujours en pleurs, sur deux tombes prématurément ouvertes.”
241Les jurés, ainsi invités à se mettre à la place des victimes et de Mr Lancelin, sont également rappelés à l’ordre : ils représentent la société qu’ils doivent protéger, ils doivent se soumettre à la loi, ils doivent être impitoyables. Enfin, la chute :
“Je requiers le maximum de la peine ! Pour celle-ci le bagne ! Pour celle-là l’échafaud !”
V – Troisième acte : “… deux malheureuses démentes”. Plaidoirie de Me G. Brière, défenseur de Christine Papin
243D’emblée, une question : que signifie l’absence, dans cette publication, de la plaidoirie du défenseur de Léa Papin ? Ceci laisse suggérer que ce qui fait nœud dans ce procès, c’est Christine et sa folie, réelle ou présumée. Léa, dès avant le procès, n’est considérée que comme une comparse, voire même comme victime de sa sœur : sans celle-ci, elle n’aurait sans doute pas tué …
244Après s’être inclinée devant la douleur des victimes, la Défense fait une déclaration de foi, une foi qui est en voie vers la vérité et la justice.
1 – Les hasards de la rencontre
245Me Brière raconte que, le lendemain du crime, elle croisa par hasard les sœurs Papin dans les couloirs du Palais de Justice. C’est la rencontre :
“je restais confondue en les apercevant. Je m’étais imaginée que ces meurtrières farouches étaient des brutes, grandes, fortes, aux traits lourds.”
247Cet imaginaire de l’animalité s’effondre devant le réel de la rencontre et fait place à l’objectivation. Une objectivation qui prétend installer chez les jurés un malaise : il est quelque chose d’anormal dans cette affaire.
“J’avais en face de moi deux filles frêles, à la démarche raide, au corps crispé, si pâles que leurs visages semblaient de cire et dont le regard lointain, absent, produisait une sensation de malaise (…) Polies, déférentes, bien élevées, très réservées de gestes et de paroles, j’avais peine, il m’était même presque impossible de les imaginer commettant l’acte de sauvagerie qui leur était reproché.”
249La Défense veut comprendre : qu’est-ce qui les a motivées à commettre un tel crime ? De nouveau, l’insinuation de l’irrationnel :
“Leurs réponses furent déconcertantes. Au crime, pas de mobile, aucune raison qui puisse vraiment être retenue. Et, ce qui me frappa peut-être le plus, c’est qu’elles gardaient pour leurs victimes le respect qu’elles leur avaient toujours témoigné.”
251Et ce qui s’annonçait se proclame :
“j’avais en face de moi deux malheureuses démentes.”
253Et si le Juge d’instruction a ordonné une expertise mentale dès le premier jour, avant même que la Défense ne fut désignée, c’est que l’idée de la folie s’était également imposée à lui :
“uniquement sur les premières constatations, le Juge avait pensé que les meurtrières n’étaient pas normales.”
2 – Comprendre le criminel
255La Défense efface l’acte pour s’attarder sur l’acteur et afin de comprendre le crime, il n’y a guère qu’un seul moyen : celui de comprendre son auteur. En quoi la Défense ne peut que se substituer au psychiatre. Son plaidoyer devient présentation de cas, le prétoire devient amphithéâtre. C’est plus un psychiatre, contradicteur des experts, qui parlera que la Défense, sensu stricto. Faut-il le souligner : la Défense ne peut parler que de ce lieu pour prouver que les sœurs Papin ne sont pas des menteuses, mais des folles.
256Christine a 27 ans. La jeunesse ! Mais
“quelle triste et sombre destinée fut la sienne !”
258Dès l’âge de 7 ans, elle est placée en orphelinat après le divorce de ses parents. Christine n’y est pas malheureuse, mais triste
“car elle avait une nature sensible, affectueuse, et elle souffrait d’être seule.”
260Christine, en outre, n’est nullement révoltée car elle ignorait
“les douceurs de la vie familiale.”
262Une souffrance, cependant : celle d’être séparée de sa mère et de Léa. Dans cet orphelinat, Christine apprend à obéir, à travailler. Elle était tellement prometteuse dans sa douceur, dans sa docilité, dans sa piété que les religieuses envisagèrent de lui faire prononcer ses voeux ! Mais sa mère la retire de l’orphelinat et la place comme domestique dès l’âge de 15 ans. Elle travaille de façon irréprochable, ses employeurs ne tarissent pas d’éloges. Un seul plaisir dans cette existence laborieuse : retrouver le dimanche sa mère et Léa. Et la Défense de signaler l’attachement intense de Christine à Léa :
“Elle avait, en effet, pour celle-ci une véritable adoration. Elle aimait bien sa mère, certes, mais elle aimait plus encore Léa, qui lui manifestait d’ailleurs une tendresse immense.”
264Christine est donc dépeinte comme une jeune fille pure, innocente, docile, travailleuse, à l’esprit familial sans tache, … Dès que Léa est en âge de travailler, Christine demande à sa mère de chercher une maison où elles seraient ensemble : en 1926, Christine et Léa Papin entrent au service des Lancelin. Elles sont des domestiques parfaites :
266Des domestiques qui, jamais, ne se plaignent. Même, elles sont heureuses. La Défense s’associe à la Partie civile : jamais les sœurs Papin n’ont eu à se plaindre de leurs employeurs. Si la Partie civile voyait là un signe de l’innocence des Lancelin, la Défense en conclut que ce ne sont pas d’hypothétiques vexations qui sont à l’origine du crime, c’est autre chose :
“si elles avaient été malheureuses, elles seraient parties : elles avaient d’excellentes références, des économies ; rien ne les aurait obligées à rester chez leurs patrons si elles y avaient été maltraitées.”
268Les Lancelin sont donc hors de cause. La Défense se joint aux côtés de la Partie civile, de l’expertise et, finalement, du Ministère public pour assurer que les Lancelin ne sont en rien partie prenante dans le drame. Seules les Papin sont concernées … La Défense, tout en continuant leur éloge, suggère l’irrationnel, le bizarre, l’inquiétante étrangeté :
“Jamais, le soir, elles ne sortaient. Le dimanche même, elles restaient bien souvent dans leur chambre, alors qu’elles auraient pu prendre quelques distractions. A peine sortaient-elles un dimanche sur trois – deux heures dans l’après-midi. Elles étaient d’ailleurs parfaitement sérieuses et personne n’a pu élever la moindre critique contre leur conduite. Voilà des jeunes filles – si extraordinaire que cela puisse paraître à notre époque – qui ne sont jamais allées dans un bal, qui ne sont jamais entrées dans un théâtre, ni dans un cinéma. Elles ne lisaient jamais… Leur seul plaisir était de se composer un trousseau et leurs heures de liberté se passaient à coudre, à broder.”
270La description de cette vie de recluses, sans aventures sexuelles, sans distractions mondaines ou culturelles, … vise donc à convaincre le jury qu’il s’agit non seulement de femmes anormales, mais aussi de femmes pitoyables :
“Le couvent, le travail chez les autres, sans aucune distraction, la prison ou l’asile, c’est tout ce que Christine aura connu de la vie.”
272Christine est une victime dont la vie, exemplaire par sa monotonie, est en dissymétrie complète avec la sauvagerie de son crime.
“Et n’êtes-vous pas déjà frappés, Messieurs les jurés (…), par le contraste brutal entre le crime atroce, effroyable, hallucinant et ces deux jeunes filles telles qu’elles apparaissent à travers cette vie calme et tranquille.”
274Si la Défense a mis en exergue la banalité, même étrange, de la vie des sœurs Papin, c’est aussi pour couper court à la possible intolérance du jury.
3 – Le jour du crime
275Me Brière rappelle rapidement les faits : le 2 février, Christine vaque à ses occupations, elle repasse du linge. Soudain, une panne d’électricité. Elle tente d’y pallier. En vain. Elle s’énerve. Elle entend Mme et Mlle Lancelin, elle va à leur rencontre. Le drame – que la Défense, au contraire de la Partie civile et du Ministère public, se garde bien de détailler. Il s’agit pour elle d’éclairer les motivations des criminelles, de les comprendre. Le crime, comme tel, passe alors à l’arrière-plan. Il s’agit aussi pour elle de rejeter hors du prétoire l’horreur du crime. Pour cela, un argument : le récit des Papin n’est pas fiable.
Chantre de la suspicion, la Défense ne retient qu’une certitude : celle des blessures.“Que s’est-il passé ? Christine ne s’en souvient plus très bien, elle a donné des versions différentes … Quant à Léa, les récits qu’elle a faits, peut-on les retenir ? N’a-t-elle pas été simplement le témoin horrifié et impuissant de la scène atroce et ne se sacrifie-t-elle pas, maintenant, pour partager le sort de sa sœur ? (…) Léa a-t-elle fait ce qu’elle prétend ? Que de fois je me suis posé cette angoissante question à laquelle, aujourd’hui encore, je ne peux pas donner une réponse certaine … Que sait Léa ? Qu’a-t-elle vu en cette soirée tragique ? Qui peut le dire avec certitude ? Et peut-on alors retenir comme vraies les versions qu’elle a successivement données ?”
4 – Une clinique psychiatrique importée …
276La Défense définit son plaidoyer : Christine et Léa Papin sont-elles responsables ? C’est-à-dire qu’inéluctablement, la plaidoirie aura pour humus la psychiatrie … La Défense s’inscrit ainsi dans une position dissymétrique par rapport à l’accusation (concept sous lequel on réunira désormais la Partie civile, l’expertise et le Ministère public) : si celle-ci soutient la thèse de la responsabilité, celle-là soutiendra celle de l’irresponsabilité. Il n’est guère étonnant qu’il y ait eu appel à un contre-expert, dès lors que l’accusation s’appuie sur l’expertise mentale.
“pour elle (Christine) qui reconnaît les faits, qui ne discute rien, qui dit maintenant n’avoir pas même mal interprété un geste de Mme Lancelin, pour elle se pose uniquement cette question : est-elle responsable ? Ne l’est-elle pas ?”
278Me Brière a bien remarqué l’identité de discours de la Partie civile et du Ministère public. Un discours qui s’autorise de l’expertise psychiatrique …
“Le Ministère public, la Partie civile s’appuyant sur un rapport …”
280Et la Défense d’annoncer la couleur : sa plaidoirie sera un exercice de clinique psychiatrique visant à démontrer l’irresponsabilité pénale des inculpées :
“Christine, Léa sont-elles vraiment des criminelles responsables ? Car il n’est personne, sauf les experts en leur rapport – et nous verrons ce que vaut ce document –, personne, je ne crains pas de le dire, qui puisse penser que ces deux jeunes filles ont agi avec toute la plénitude de leurs facultés intellectuelles, qui puisse affirmer aujourd’hui que leur responsabilité est entière.”
282La folie des sœurs Papin est transparente : elle brille par son évidence pour Me Brière qui procède du regard clinique pour la mettre au vu et au su de tous. La folie des Papin est forme regardée et objectivée [29]. Me Brière n’agit pas autrement qu’un psychiatre.
“je me suis penché sur elles, j’ ai voulu savoir ce qu’il y avait au fond de l’âme de Christine, au fond de l’âme de Léa. Passionnément, j’ai cherché la vérité : je vous dirai ce que j’ai trouvé.”
284Le procès des sœurs Papin, c’est celui de leur responsabilité pénale, c’est aussi celui de leur expertise mentale. Quelle est la place de cette expertise dans ce procès ? Se contente-t-elle d’apporter une lumière neuve et impartiale ? Prend-elle place à côté de l’accusation ? Se joint-elle à la Défense ? Il apparaît que Me Brière ne met nullement en cause le principe même de l’expertise. Ce qu’elle conteste, c’est la façon dont elle fut menée et sa conclusion. A cette fin, Me Brière doit nécessairement parler du lieu d’un psychiatre qui en sait plus que les autres, un psychiatre qui serait dans la position d’un sujet semblant savoir la folie, pour paraphraser J.-A. MILLER [30], un psychiatre qui, conscient de ses limites, renouerait avec le “bon sens”.
5 – Un peu d’épistémologie …
“La psychiatrie est parfois une science bien hermétique. C’est aussi une science bien fragile. Songez-y, elle est l’étude de cette partie de nous restée mystérieuse encore : le cerveau. Le cerveau, non pas en tant qu’organe palpable du corps humain (…), mais en tant que siège de nos idées, de nos sentiments, de nos sensations.”
286Pour la Défense, le cerveau, comme lieu métaphorique de la folie, de l’intelligence, de l’affect, … déçoit car la psychiatrie n’est pas parvenue à localiser la folie. Cette psychiatrie n’a pas d’assises dans le réel, elle est donc sujette à caution. C’est, finalement, une science qui n’en est pas une :
“Pour cette science, aucune possibilité de vérification directe dans bien des cas, puisque les maladies purement mentales sont impossibles à déceler à l’examen post mortem du cerveau, même à l’examen microscopique. Les diagnostics sont posés sur des manifestations extérieures qu’il est presque impossible de contrôler. Est-il au monde une science plus sujette à l’erreur ?”
288La Défense illustre : un inculpé grec, lors de l’instruction et du procès, semblait fou. L’expert commis, le Dr Schutzemberger, conclut néanmoins à la responsabilité pénale. En prison, ce Grec présente un état tel que l’administration pénitentiaire demanda un nouvel examen psychiatrique et le même Dr Schutzemberger le fit interner. La défense, habilement, fait d’une pierre deux coups : d’une part, elle démontre le peu de scientificité de la psychiatrie et, d’autre part, elle compromet le Dr Schutzemberger, l’un des trois experts commis pour le procès des sœurs Papin :
“N’avais-je pas raison de dire que la psychiatrie était une science délicate et que les avis en cette matière ne semblent devoir être donnés qu’avec la plus grande circonspection ?”
290Et de dénoncer l’expertise des sœurs Papin : les Drs Truelle et Baruk résident en dehors du Mans, ils n’ont vu chaque inculpée qu’à deux reprises. A chaque fois, l’examen n’a duré que trente minutes. Or, la Défense affirme qu’une heure d’examen psychiatrique est totalement insuffisante :
“En une heure d’examen, on ne peut avoir connaissance de tout ce qui peut constituer la personnalité de l’inculpé à examiner.”
292Une expertise valable devrait s’étendre sur six mois et se faire en hôpital psychiatrique.
“En prison, en effet, l’inculpé ne peut pas présenter l’état de calme nécessaire à un examen sérieux : les conditions de vie, le contact avec les autres détenus faussent les données de l’examen.”
294Ce qui revient à dire qu’il convient de donner à la folie le temps pour parler. Et elle ne peut parler que dans son espace : l’asile. Celui-ci est ainsi érigé comme le laboratoire de la folie où elle peut se dire vraiment, sans qu’aucun artefact ne vienne perturber son énonciation.
295L’expertise des Drs Baruk et Truelle n’est pas valable, non seulement en raison de sa brièveté mais aussi parce qu’elle s’étaye presque uniquement sur les observations du Dr Schutzemberger.
6 – Tel père, telles filles
296Parlant du lieu de ce psychiatre, sujet-semblant – savoir la folie, et bien qu’elle s’en défende, Me Brière dénonce les inexactitudes et les omissions de l’expertise. Ainsi, les experts n’ont pas eu connaissance du rapport du médecin-légiste. De plus, ils ont insuffisamment exploité les antécédents familiaux. Or, il s’avère que le père des sœurs Papin était un alcoolique et les experts, pourtant non ignorants des effets désastreux de la boisson, ont négligé cette donnée.
“Qu’il nous soit permis de nous en étonner car il semble pourtant que ce soit là un élément important dans un examen psychiatrique.”
298Autre chose : ce père, non content de boire, aurait abusé ou tenté d’abuser de Christine. Une instruction aurait même été ouverte à cet effet. Or, cette donnée n’est pas retenue par les experts. L’alcoolisme du père et sa tentative incestueuse – quoique hypothétique – sont pour la Défense des arguments favorables à l’irresponsabilité pénale : le déséquilibre paternel rejaillit sur la folie des accusées [31] :
“Quelle valeur n’a-t-il pas, ce renseignement ? Ne montre-t-il pas chez le père un déséquilibre provoqué peut-être par son alcoolisme ; en tout cas, un déséquilibre certain intéressant à connaître lorsqu’on recherche le degré de responsabilité de l’enfant.”
300Et la mère ? Les experts l’ont désignée comme normale alors qu’elle écrit à ses filles des lettres faisant montre d’une
“hantise des idées religieuses tout à fait anormale, hantise qui se retrouve d’ailleurs dans sa conversation.”
302Pourquoi cette “hantise” a-t-elle été négligée par les experts ? Pourquoi ceux-ci ont-ils tu l’internement d’un cousin des sœurs Papin et le suicide d’un oncle maternel ?
303Autant d’éléments de la réalité qui, promus au rang de signes [32], sont censés dire tout unanimement la folie de Christine et de Léa. En quoi la plaidoirie de la Défense s’apparente au délire : le délirant cherche dans la réalité des signes qui ont pour fonction de ratifier la vérité de son délire … Mais, en même temps, on peut s’interroger sur le silence des experts relativement à ces éléments qui, pourtant, étaient écrits : dès lors que ces médecins rédigeaient leur rapport dans le sens de l’accusation, il était logique qu’ils les refoulassent. Enfin, il appert que ce procès n’est pas seulement construit sur des faits, mais aussi sur leur interprétation.
7 – Le sexe et la folie
304La Défense s’en prend ensuite à l’examen médical : pourquoi n’a-t-on pas examiné les organes sexuels des sœurs Papin ?
“Il était en effet intéressant de savoir si ces jeunes filles étaient vierges ou non. Il est des psychoses qui se développent plus particulièrement chez les femmes encore vierges ou qui n’ont pas une vie génitale normale.”
306La Défense se substitue à un psychiatre promoteur d’une vie sexuelle normale : toute anomalie sexuelle, une virginité anormale sont causes possibles de folie. Mais il apparaît tout aussi sûr qu’un éventuel commerce sexuel des sœurs Papin avant le crime eût été ajouté aux causes probables de leur folie …
307La Défense continue la lecture du rapport d’expertise : elle relève encore deux éléments – à peine mentionnés par les experts – qui plaident en faveur de la folie des Papin : l’incident de la mairie et l’attitude des sœurs avant le crime.
8 – …avant le crime
308Dans sa déposition, Mr Lancelin rapporte que l’attitude de Christine et de Léa s’était fortement modifiée depuis leur brouille avec leur mère, brouille dont, par ailleurs, on ignore les tenants et les aboutissants.
“Brusquement, alors qu’auparavant rien ne le faisait prévoir, les deux sœurs refusèrent de voir leur mère qu’aujourd’hui, elles appellent “Madame”. Elles semblent à partir de ce moment l’avoir rayée de leur vie …”
310Depuis ce jour, elles étaient plus sombres, plus taciturnes. Cette modification avait également été relevée par le beau-frère de Mr Lancelin. Léa avait les yeux bizarres. Christine devenait de plus en plus nerveuse et surexcitée … La Défense pense qu’il s’agissait là de prodromes de la folie, prodromes négligés par les experts :
“L’état qui précède un fait, comme le crime reproché aux inculpées, a une grosse importance : il peut annoncer un état de crise, marquer une période de déséquilibre anormal. Aussi, je ne m’explique pas, je ne comprends pas comment les médecins ont pu laisser dans l’ombre des renseignements sur l’attitude étrange des deux sœurs avant le crime, en les jugeant négligeables.”
9 – La mairie du Mans
312La Défense mentionne ensuite l’incident qui eut lieu à la mairie du Mans :
“Il y a plusieurs années, les deux sœurs sont allées trouver le maire du Mans, alors Mr Lefeuvre, elles se sont plaintes à lui d’être persécutées.”
314Elle s’indigne de la partialité des experts qui n’ont tenu pour exacte que la version des Papin : elles prétendent, en effet, n’avoir consulté le maire que pour obtenir l’émancipation de Léa et elles nient avoir accusé le maire de vouloir leur nuire. De surcroît, ces experts ont écarté trois dépositions qui n’abondaient pas dans le sens de cette version. D’abord, ils ont jugé négligeable la déclaration de Mr Lefeuvre sous le prétexte de l’imprécision de ses souvenirs. Or, celui-ci est très affirmatif :
“Je me rappelle, a-t-il dit, qu’elles m’ont parlé de persécution (…). Et il ajoute : “Une chose m’a frappé, c’est leur état de surexcitation.”
316Ensuite, les mêmes experts ont écarté la déposition du secrétaire général de la mairie qui dit :
“leur langage a dû être incohérent et étrange puisque j’ai fait au maire la réflexion suivante : (…) “Vous voyez bien qu’elles sont piquées.”
318Cette déposition, pour la Défense, ne peut être mise en doute … Enfin, les experts n’ont pas tenu compte de la déclaration du Commissaire de police sous le prétexte – scandaleux aux yeux de Me Brière – que celui-ci n’a pas assisté à la scène. Me Brière précise : le commissaire, s’il n’a pas assisté à ladite scène, n’en a pas moins parlé aux sœurs Papin. Dès lors, sa déclaration est parfaitement valable, d’autant plus que, par ses fonctions, il est à même de faire la part entre les fous et ceux qui ne le sont pas. Sa parole, donc, ne peut être suspecte. Il dit :
“J’avais, en effet, à ce moment-là, l’impression que les sœurs Papin avaient quelque chose d’anormal, (…) elles se croyaient persécutées.”
320Il s’agit donc là de trois témoignages – capitaux pour la Défense – mis de côté par les experts. Me Brière n’est pas dupe ; elle sait bien que cette mise à l’écart a un sens : ces témoignages alimentent l’hypothèse de la folie, que l’accusation refuse. La Défense, en plaidant l’irresponsabilité, est acculée à infirmer l’expertise mentale : elle la tient pour non scientifique, partielle, partiale, partisane :
“Comprenez-vous alors maintenant mieux encore pourquoi je vous ai dit que le rapport des experts ne pouvait pas servir de base à votre conviction quand on l’étudie d’un peu près ; quand on se rend compte de la façon dont il a été fait, deux des experts n’ayant vu les inculpées que pendant une heure (…) quand on se rend compte de ses lacunes : rappelez-vous les antécédents familiaux incomplets, l’absence d’examen des organes génitaux ; quand on se rend compte de ses erreurs (…). Rappelez-vous la façon désinvolte avec laquelle on s’est débarrassé des témoignages portant sur l’incident de la mairie et sur l’attitude des deux sœurs avant le crime. Quand on se rend compte de tout cela, il est impossible d’adopter les conclusions de ce singulier rapport qui ne donnent (…) aucune garantie.”
322Et la dissymétrie des thèses défendues respectivement par l’accusation et par la Défense est énoncée clairement :
“C’est cependant en s’appuyant sur ce document qu’on vous demande de décider que Christine et Léa sont responsables, sur lui seul. Car tout le reste du dossier crie l’irresponsabilité.”
10 – La folie du crime
324Après s’être appuyée sur le savoir psychiatrique, la Défense fait appel, elle aussi, au fameux “bon sens” : comment concevoir que ces jeunes femmes, si droites, si honnêtes, si douces aient brusquement fait preuve d’une telle brutalité ? La Défense suggère que la folie meurtrière n’apparaît pas ex nihilo : ne devient pas criminel qui veut. En outre, le crime, en soi, contient la folie [33]. Un tel crime ne peut être commis que par des folles, ainsi que le signale le médecin-légiste :
“le crime lui-même, par sa violence, ne suggère-t-il pas immédiatement l’idée de la folie ? (…) Et le médecin-légiste a noté que le fait par des criminelles responsables d’arracher les yeux de victimes vivantes était unique dans les annales médico-légales.”
326Arracher les yeux, continue la Défense, ne peut être que le fait d’un fou. Jamais un être normal ne ferait cela.
“Si l’on ne trouve aucun exemple de violences semblables dans les annales de la criminologie, c’est parce que chaque fois qu’on s’est trouvé en présence de blessures de cette nature, on a conclu qu’elles ne pouvaient être que l’œuvre d’un fou (…). Pouvez-vous imaginer que ces jeunes filles qui n’étaient ni cruelles, ni méchantes, qui n’ont jamais manifesté d’instincts pervers, aient pu agir de la sorte si elles n’avaient pas perdu la raison ?”
328On remarque que la Défense épingle l’énucléation : elle lui est nécessaire pour étayer l’hypothèse de l’irresponsabilité :
“Je me refuse à croire que vous puissiez concevoir qu’un être qui serait (…) en possession de toutes ses facultés puisse faire un geste semblable.”
330De même, l’acharnement sur les victimes :
“Tuer n’est pas signe de folie, certes, mais tuer dans des conditions semblables …”
332Il faut être fou pour tuer comme cela, sans raison :
“A travers ce dossier, trouve-t-on une raison au drame ? Une raison suffisante pour le comprendre ? On peut chercher, on ne trouvera rien.”
334Si ce n’est la folie … Un être normal tue proprement, pourrait-on dire. Un tel crime n’est pas raisonnable. Il est inexplicable hors de la folie.
“Vengeance ? (…) Mais pour haïr, il aurait fallu que ces jeunes filles soient malheureuses, maltraitées cela n’était pas (…) Haine de classe ? Elles l’ignoraient. Leur condition de domestique ne leur pesait nullement.”
11 – La colère
336Bien sûr, il y a la fameuse colère, cette folie qui n’en est pas une. La Défense réfute cette thèse car Christine n’avait aucune raison de se mettre en colère. Et quand bien même elle en aurait eu une, sa colère aurait été insuffisante à motiver un crime. On ne s’emporte pas pour un motif aussi insignifiant qu’une panne d’un fer à repasser !
“Est-ce que, brusquement, alors que rien jusque-là n’a manifesté un tempérament violent et vraiment coléreux, est-ce que, brusquement, on va avoir, sans raison, une colère telle qu’elle s’achèvera dans le sang ? Qui peut admettre cela ? Personne.”
338Si la colère est une thèse admissible pour un être normal, elle ne l’est pas pour un fou :
“Si cette colère a vraiment existé en l’absence de toute motivation, en raison de sa violence, elle n’a pu se produire que chez un être anormal.”
340C’est un crime de fou. La Défense rejoint l’accusation dans la ségrégation” des sœurs Papin : l’une et l’autre rendent le juré étranger aux accusées, celle-ci en insistant sur l’horreur du crime, celle-là en démontrant leur folie. Le juré n’est pas homme à commettre un crime aussi atroce, dit l’accusation. Le juré n’est pas fou, affirme la Défense. Les sœurs Papin sont exclues, elles sont frappées du sceau de l’infâmie où se conjoignent crime et folie [34].
12 – La folie en prison
341Christine est folle. D’autres faits, plus récents, confirment ce diagnostic. Un jour, en prison, elle eut une hallucination : elle voyait sa sœur pendue à un arbre, les jambes coupées [35]. La nuit suivante, elle fait une prouesse gymnastique :
“un bond formidable par dessus deux lits et (elle a) sauté sur le rebord d’une fenêtre assez élevée, au-dessus du sol.”
343A partir de cet instant, elle passe ses journées en prières, à genoux. Elle tient des propos incohérents. Elle lèche le sol, les murs. Un jour, elle tente de s’arracher les yeux ! Elle a, durant la nuit, une crise : elle hurle, elle se débat, elle menace d’énucléer les yeux des personnes qui l’entourent, elle écume, elle mord, elle tient des propos obscènes, … La crise est telle que quatre personnes ne suffisent pas à l’immobiliser.
“On dut lui mettre la camisole de force, elle la garda pendant une dizaine de jours et on l’enferma seule dans une cellule car elle devenait dangereuse.”
345Cette crise dura un mois. Le Juge d’Instruction, désireux de s’informer plus avant, demanda au Dr Schutzemberger d’examiner Christine. Celui-ci, partant du principe que
“l’état mental au moment du crime ne peut être mis en discussion, ayant été tranché de façon définitive.”
347ne peut pas parler de folie, dès lors que l’expertise a posé de façon irrévocable la responsabilité pénale de Christine. Il est donc hors de question pour lui de modifier les conclusions de cette expertise. Me Brière indique, toujours au nom de la psychiatrie, que la
“psychiatrie est loin d’être une science infaillible dont les diagnostics, une fois posés, ne se modifient plus.”
349et elle dénonce à nouveau les lacunes du dossier : le Dr Schutzemberger n’a été témoin que d’une crise, celle de la nuit du 11 au 12 juillet, et il ignorait ce qui s’était déroulé avant cette date. Le médecin parle d’une crise de colère, puisque Christine est une femme au tempérament colérique ! Toujours du lieu d’une psychiatrie plus savante que celle des experts, la Défense s’interroge sur l’arbitraire d’un tel diagnostic :
“Où le médecin a-t-il trouvé cela ? Sauf le crime qui a déjà été appelé par les experts “crise de colère”, on ne trouve pas trace dans la vie de cette jeune fille, d’une manifestation coléreuse, surtout violente.”
351L’aveuglement du Dr Schutzemberger n’est pas le signe d’une quelconque “incompétence”, il semble bien plutôt déterminé par la conclusion de l’expertise : si cette dernière affirme définitivement la normalité de Christine, toute attitude de celle-ci ne peut qu’être mensonge, simulation ou confirmation de ladite conclusion.
“L’expert dit aussi dans son rapport que depuis la crise dont il parle, il y a eu des actes de simulation. M. le Docteur Schutzemberger déclare que les réponses de Christine, lors de son nouvel examen, tendaient à vouloir le tromper, que volontairement, elle répondait mal à ses questions …”
353On le voit, la crise de Christine est interprétée selon les grilles du rapport d’expertise, lequel exclut toute folie. Ou plutôt, la folie n’y a de place que d’être simulée. Et cette simulation devient une preuve supplémentaire de la responsabilité :
“Et j’ai été surprise d’entendre non seulement le médecin-expert, mais aussi la Partie civile dire que les deux sœurs ont tenté d’échapper à la condamnation qu’elles encourent en donnant sur le crime et sur ses mobiles des explications tendancieuses ou combinées astucieusement entre elles.”
355Toujours pour nourrir l’hypothèse de la folie :
“jamais elles n’ont manifesté, l’intention de se défendre, elles ne se rendent même pas compte de la situation dans laquelle elles se trouvent.”
357C’est dire qu’un être raisonnable qui a maille à partir avec la Justice ne peut pas ne pas se défendre : qui serait assez fou pour ne pas se défendre ? Le Dr Schutzemberger affirme que Christine lui a avoué la simulation mais, s’exclame la Défense, Christine a-t-elle compris le sens des questions qui lui étaient posées ? De plus, la jeune femme, épuisée par trois semaines de crises, portait une camisole de force lors de la visite du psychiatre. Elle était dans un tel état de faiblesse que le médecin de la prison l’auscultait journellement. Depuis trois semaines, elle mangeait à peine, ne dormait pas, … Par conséquent,
“De réponses faites alors qu’une malheureuse fille est dans un tel état de faiblesse, que peut-on conclure de certain ?”
359Après avoir reproché au Dr Schutzemberger d’avoir quasiment extorqué cet aveu, la Défense tient cette simulation pour impossible :
“Car enfin, simulation : l’écume aux lèvres, la sueur qui couvrait tout le corps de cette fille ? Simulation ? La force considérable que déployait cette malheureuse au milieu de ses crises. Quatre personnes ne pouvaient la maintenir et elle brisait la camisole de force alors que (…) depuis des jours, des semaines, elle ne mangeait et était très affaiblie (…) Simulation ? La tentative qu’elle a faite de s’arracher les yeux, alors que nous savons (…) que si les blessures n’ont pas été plus graves, c’est parce que les co-détenues se sont interposées …”
13 – La visite à Christine
361Non, cela n’est pas de la simulation et dans un élan lyrique, Me Brière invite le juré à se mettre à sa place pour que, lui aussi, soit horrifié et apitoyé par la folie : elle raconte longuement sa visite à Christine :
“jamais je ne pourrai oublier la vision tragique que j’ai eue quelques heures après la plus violente des crises qui ont secoué cette malheureuse. Ah ! Messieurs les Jurés, quelle vision ! Imaginez, dans cette prison qui est là toute proche, un dortoir aux fenêtres grillagées. Un lit de fer recouvert d’une paillasse. Sur cette paillasse, une jeune fille, Christine, à demi nue, ligotée étroitement par des cordes qui l’attachaient au lit, le haut du corps emprisonné dans la camisole de force et sous la camisole de force, les menottes aux mains ; les cheveux pendant en arrière, tout collés par la sueur. Devant mes yeux, j’ai encore le visage de Christine impressionnant, visage exsangue d’une pâleur telle qu’on aurait dit le visage d’une morte. Dans ce visage, une seule chose semblait encore vivre : le regard, douloureux, las infiniment, qu’on apercevait parfois entre les paupières qui portaient des blessures sanguinolentes. Ah ! Messieurs les Jurés ! Si vous aviez pu voir cette malheureuse comme je l’ai vue, vous seriez convaincus comme nous, ici, à la Défense, qu’en face de vous, vous n’avez qu’une pauvre démente.”
363L’horreur visible de la folie a conforté la Défense dans sa raison et c’est à partir d’elle qu’elle peut s’apitoyer sur Christine Papin, qu’elle peut peindre ce tableau impressionnant et qu’elle invite le juré à la pitié, tout en le confirmant lui-même dans sa non-folie. On voit que si le plaidoyer de la Défense est à l’opposé de celui de l’accusation, il vise néanmoins à consigner Christine dans l’étrangeté, le non-identique. Après avoir invité les médecins à pratiquer une nouvelle expertise qui ratifierait la folie de Christine, la Défense se substitue à nouveau au psychiatre et procède à son propre examen mental : elle a demandé à Christine pourquoi elle avait déshabillé Mlle Lancelin. C’est une question qui fut négligée par les experts. La réponse de l’accusée renvoie au signifiant phallique [36] : elle ne l’a pas, mais Mlle Lancelin ne serait peut-être pas sans l’avoir. Sa possession, dans le fantasme, l’aurait faite toute :
“A ma question, Christine a répondu qu’elle cherchait une chose qu’elle aurait voulu avoir et dont la possession l’aurait rendue plus forte …”
365Christine énonce d’autres choses étranges, signes pour Me Brière de sa folie :
“elle m’a demandé à qui appartenait la terre (…). Elle semble (…) de plus en plus hantée par des idées de réincarnation. Elle croit se souvenir d’une vie antérieure dans laquelle elle aurait été le mari de sa sœur. Elle aspire à avoir un autre corps.”
367La folie de Christine n’est pas seulement audible, elle est aussi bien visible : elle crève les yeux !
“Regardez-la. Voyez cette attitude figée, ce visage pâle, tragique, ce regard trouble si difficile à saisir. Regardez-la : est-ce que ce masque-là, qui est devant vous si impressionnant, si étrange, hallucinant même, n’est pas celui de la folie ?”
14 – La contre-expertise
369Et qui dit folle, dit irresponsabilité pénale ! Mais, Me Brière, même si elle parle du lieu de la psychiatrie, n’est pas psychiatre. Par conséquent, pour asseoir son affirmation, elle fait appel à la parole savante du contre-expert, le Dr Logre, qui, lui aussi, est un maître ne pouvant être mis en doute :
“M. le Docteur Logre, éminent psychiatre, à la science réputée, expert près des Tribunaux (…), tout le monde savant (…) sait qu’il est l’un des maîtres actuels de la psychiatrie en France. Son avis est donc un avis particulièrement autorisé.”
371Le savoir du Dr Logre, reconnu par ses pairs, ne peut être disqualifié. Son avis est aussi valable que celui des experts : il n’y a guère de différence, affirme la Défense, entre l’absence d’examen (le Dr Logre n’a pas vu les sœurs Papin) et la brièveté de celui des Drs Truelle et Baruk. Habilement, la Défense n’utilise pas la contre-expertise comme le résultat d’un examen psychiatrique détaillé : c’est bien plutôt un avis vague, mais suffisamment précis pour étayer la thèse de l’irresponsabilité :
“D’ores et déjà, d’après le dossier et les renseignements qui lui ont été fournis, M. le Docteur Logre a pu dire que les sœurs Papin ne sont pas normales. Il n’a pas pu déterminer de quelle affection mentale elles sont atteintes. Seul, vous a-t-il dit, un nouvel examen pourrait permettre de poser un diagnostic sûr.”
373La Défense ne se réfugie guère derrière la contre-expertise pour soutenir l’irresponsabilité tandis que l’accusation invoque sans cesse l’expertise pour proclamer la culpabilité des Papin. La contre-expertise n’est, pour la Défense, qu’un appoint dont, au demeurant, elle met en exergue la crédibilité.
“Vous devez retenir l’opinion de l’éminent psychiatre car, outre sa science incontestable, il est le seul de tous les médecins à avoir connu tous les faits qui, dernièrement, se sont passés et qui sont particulièrement troublants. Il vous a dit avec toute son autorité qu’il lui paraissait que l’examen des experts était incomplet, qu’on n’avait pas assez recherché la nature de l’affection fort curieuse qui unit les deux sœurs, qu’on n’avait pas semblé attacher assez d’importance aux blessures très caractéristiques qui paraissaient indiquer des préoccupations sexuelles.”
375Si l’on s’en tient à la logique de la Défense, il est certain qu’elle s’avère receler une aporie : comment affirmer que l’avis du Dr Logre est fiable dès lors que Me Brière dit être partisan d’un examen psychiatrique prolongé dans un lieu adéquat ? Et c’est peut-être cette aporie qui a permis à la Défense de se substituer au psychiatre, sujet-semblant-savoir la folie : elle, elle a rencontré les sœurs Papin, elle leur a parlé, elle a étudié leur dossier, … Le Dr Logre ne viendrait là que avaliser scientifiquement ce qui tient lieu d’expertise chez Me Brière. Celle-ci, n’étant pas psychiatre, présente une contre-expertise qui, aux yeux de la loi, n’en est pas une [37]. Avec le Dr Logre, elle en devient une qui a valeur légale et qui, de surcroît, est la clé de voûte de la plaidoirie de la Défense ? C’est pourquoi elle ne peut qu’insister sur la compétence du Dr Logre et c’est pourquoi on assiste à certains moments à une confusion, dans la mesure où on ne sait plus qui parle : Le Dr Logre ou Me Brière ?
15 – La supplication
376Le Jury a à statuer sur la responsabilité ou non des deux jeunes femmes, la Défense – son opinion est connue – martèle :
“Je ne peux pas croire que vous soyez certains de la responsabilité entière de ces deux jeunes filles, car tout crie l’irresponsabilité dans cette affaire (…). Le crime lui-même, avec l’acharnement qu’il révèle et son absence de motifs : on ne tue pas sans raison, à moins d’être un fou.”
378Me Brière rappelle l’article 342 du Code d’instruction criminelle, article relatif à l’intime conviction. Ce qui est proposé là, c’est un véritable examen de conscience, dont les racines religieuses sont à peine voilées. On prescrit aux jurés
“de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience …”
380Cette véritable introspection doit être rigoureuse, certaine, tranchante, sans doute aucun et elle n’a pas, curieusement, à s’appuyer sur des faits : cette loi ne dit pas aux jurés de ne pas regarder
“comme suffisamment établie toute preuve qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de telles pièces, de tant de témoins ou de tant d’indices …”
382Cet exercice spirituel doit, en l’occasion, porter sur la responsabilité ou non de Christine et de Léa Papin.
“Ces jeunes filles reconnaissent en effet avoir tué, il n’y a aucun doute sur la question de savoir si elles sont bien les auteurs du crime (…). On vous demandera : non pas, Christine et Léa sont-elles coupables d’avoir donné la mort, mais, Christine et Léa sont-elles coupables d’avoir donné volontairement la mort ?”
384Ce n’est pas le meurtre qui est jugé, mais les meurtrières. Ce sont leur conscience, leur volonté, leur personnalité qui sont placées sur le plateau de la Justice [38].
“Il lui (au législateur) est apparu qu’il est impossible d’infliger une condamnation, si minime soit-elle, à un individu qui n’aurait pas été conscient au moment où il commettait l’acte répréhensible. La Justice n’est pas impitoyable et brutale. Ce ne sont pas des actes qu’elle doit apprécier, mais des êtres avec toutes leurs faiblesses.”
386C’est bien pourquoi il est fait appel à la psychiatrie, comme savoir sur les êtres, classant et appréciant leurs qualités et leurs failles, séparant la folie et la raison. Me Brière chante l’humanité de la Justice : celle-ci ne condamne pas les irresponsables. Ceux-ci n’en sont pas moins internés, Me Brière le sait et elle supplie le Jury de ne pas se laisser leurrer par ce qui est privation de liberté [39].
“Rien ne doit vous entraîner à condamner si votre conviction n’est pas absolue. Vous ne pouvez pas surtout vous dire : au fond, prison ou asile d’aliénés, peu importe, le résultat sera le même : privation de la liberté. Vous n’avez pas le droit de vous dire cela. Vous ne pouvez pas condamner en vous basant sur un tel raisonnement.”
388La Défense supplie le Jury de ne pas condamner les sœurs Papin.
389Pour ce faire, l’injection du doute :
“Pourrez-vous dire sans une hésitation, sans qu’au fond de vous, une voix s’élève pour émettre un doute ?”
391La flatterie :
“un tel raisonnement (celui relatif à l’inévitable privation de liberté) … serait indigne de vous.”
393Le sens du devoir :
“Je n’hésite pas à dire que si vous condamniez en suivant ce raisonnement, vous failliriez à votre devoir.”
395Mais, en même temps, la Défense ne demande pas que les sœurs Papin soient innocentées, car enfin, elles ont tué Mme et Mlle Lancelin :
“Elle (la Défense) ne vous demande pas un verdict qui puisse révolter vos consciences.”
397C’est vrai : dès lors que la Défense plaide l’irresponsabilité, elle ne peut demander l’acquittement, ni, à plus forte raison, la condamnation, puisqu’il est impossible de déclarer les sœurs Papin à la fois coupables et folles. Par contre, il lui est permis de solliciter de la part du Jury un supplément d’informations :
“Nous ne voulons pas rendre une décision qui puisse être injuste (…). Il nous paraîtrait désirable qu’une nouvelle expertise mentale soit ordonnée. Après cette nouvelle expertise qui nous donnerait alors toute garantie, notre conscience nous permettrait de prendre une décision avec toute la tranquillité d’esprit désirable.”
399Une telle demande indique, est-il besoin de le dire, combien c’est autant le procès des sœurs Papin qui se déroule que celui de l’expertise. C’est autant les criminelles qui sont jugées que les experts. Et une nouvelle investigation psychiatrique est sollicitée car c’est elle qui permet au Juge et au Jury de poser leur décision sans honte et sans scrupules. Ensuite, une nouvelle expertise se situe dans la suite logique de la contre-expertise dont elle confirmerait, dans le chef de la Défense, les conclusions. Enfin, la prière de Me Brière :
“Vous êtes, Messieurs les Jurés, notre suprême espoir, celui vers lequel nous nous tournons désespérément en vous suppliant de nous aider dans notre recherche de vérité. Oui, aidez-nous, Messieurs les Jurés, aidez-nous à faire toute la lumière. Nous ne demandons que cela, vous ne pouvez pas nous le refuser.”
V – Épilogue
401Avant la réforme judiciaire du 2 mars 1954, la seule question qui était posée en vertu de l’article 64 du Code pénal français s’énonçait ainsi : “L’accusé était-il en état de démence au moment des faits ?”. La réponse gît dans le verdict : Christine Papin fut condamnée à mort. Sa peine fut commuée en vingt ans de travaux forcés. Folle, elle fut internée et mourut dans un asile d’aliénés. Léa Papin fut condamnée à dix ans de travaux forcés. Elle fut libérée après huit ans d’incarcération.
VI – Conclusion
402Car parler, c’est aussi choisir : chaque discours privilégie certains éléments, aux dépens des autres. Ainsi, le discours de l’accusation met en exergue l’horreur du crime, distribue l’espace pénal en deux parts dissymétriques : la pure victime et le criminel absolu, brandit le phare de la raison, martèle sur la responsabilité et dénie toute folie,… Le discours de la défense, quant à lui, se fait fort de démontrer la folie : il expose ainsi tous les faits tendant à conforter sa thèse.
403Chaque discours en vient ainsi à occulter les éléments qui contrediraient ce qui en fait sa nervure : l’accusation rejette ce qui est : signe de folie. Ce qui est là refoulé fait retour dans la plaidoirie de la Défense qui, elle, insiste sur ce qui est folie. Le texte de Lacan [2] est également à considérer comme symptôme de ce refoulement … La Défense voile l’horreur sanguinaire : elle est plus soucieuse de prouver l’irresponsabilité pénale des sœurs Papin que de s’attarder sur le crime comme tel.
404Cette répartition des éléments selon le discours qui les brasse finit par les opacifier : le discours ne rend pas la réalité transparente. Bien plutôt, il l’interprète et ce qui chute de cette interprétation surgit ailleurs, immanquablement. Ainsi, GENET a entendu le lien homosexuel qui unissait Christine et Léa Papin, au point d’en écrire une pièce [1].
405Un élément subit un curieux sort dans ce procès : ce sont les entailles. Alors qu’on peut supposer qu’elles sont décrites avec soin dans l’expertise du médecin-légiste, elles ne sont mentionnées qu’avec le plus grand flou dans les plaidoiries :
“Elles mettent à nu une partie du corps de Mlle Lancelin et lui font des entailles profondes.”
407Beaucoup plus loin :
“le torse zébré d’incisions profondes, des lambeaux de chair détachés au couteau du mollet de l’une d’elles.”
409Et puis, c’est tout : un pudique voile est jeté sur la dimension sexuelle de ce crime. L’accusation n’en a parlé que pour insister sur l’horreur et la Défense n’y fait qu’une vague allusion. Il faut consulter le texte de Lacan [2] pour savoir ce qui s’est passé : les sœurs Papin ont dénudé le sexe de leurs victimes, elles ont tailladé les cuisses et les fesses de l’une pour souiller de sang celles de l’autre …
410La théorie de la colère, à laquelle l’accusation fait appel pour justifier la thèse de la responsabilité pénale, indique clairement que la psychologie est indissociable de la morale, de sorte que ce procès est aussi et surtout une leçon de morale adressée au public : c’est évidemment un double meurtre qui est jugé, mais c’est aussi un double meurtre commis par des domestiques sur la personne de leurs patronnes. Rompre le contrat social s’avère être immoral et condamnable …
411Enfin, ce procès est lisible comme un récit, comme une pièce de théâtre dont les héros offrent la possibilité au spectateur de se retrouver en eux, de s’identifier à eux. Le drame ne peut laisser le spectateur – et le lecteur – indifférent : il voit chez l’acteur des sentiments, des mouvements d’âme qui sont présents chez lui.
412Grâce à l’Accusation, le juré peut se mettre à la place de Mme et de Mlle Lancelin : lui aussi pourrait être la victime de meurtrières comme les sœurs Papin. Il peut aussi s’identifier à la douleur de Mr Lancelin, anéanti par la perte d’êtres chers. Il ne peut en aucun cas se retrouver dans les sœurs Papin, dont la cruauté lui est rendue étrangère. Et jamais l’Accusation ne permet au juré d’envisager la folie …
413La Défense, au contraire, veut l’amener sur le terrain de la folie des sœurs Papin et à s’apitoyer sur leur sort peu enviable, sur leur mauvaise fortune. En insistant sur cette folie, la Défense écarte autant que faire se peut l’horreur du double crime.
414Le juré – et le lecteur – se trouve ainsi partagé entre deux discours antagonistes, même s’ils procèdent de la même logique juridique qui tend à exclure l’asocial dans la prison ou dans l’asile. D’une part, le juré condamne le crime, tout en ne pouvant pas ne pas s’interroger sur la folie d’un tel acte. D’autre part, il admet la folie tout en étant dans l’impossibilité de ne pas sanctionner ce massacre.
415A la lecture de ces plaidoiries, on reste suspendu : à qui donner raison ? Il y a folie, certes, mais il y a aussi meurtre ; il y a meurtre, bien sûr, mais il y a également folie. Tel est le paradoxe posé par le procès des sœurs Papin, bien que, dès l’emblée, les dés fussent pipés.
Notes
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[1]
J. GENET, Les bonnes, Décines, 1976.
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[2]
J. LACAN, Motifs du crime paranoïaque : le crime des sœurs Papin, in De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, 1975, pp. 389-398.
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[3]
Qu’il me soit permis ici de remercier Mlle M.-F. THOUA : sans son aide, je n’aurais pu me procurer les plaidoiries de ce procès.
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[4]
M.-J. SEGERS, La rhétorique du discours juridique : un point de vue psychanalytique, tiré à part, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1979.
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[5]
“Essayer d’amener au grand jour une trame discursive, cette trame se composant, outre ce qui est dit, de tout ce qui est nécessaire pour que cela soit dit.” P. RIOT, Les vies parallèles de Pierre Rivière, in Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère …, présenté par M. FOUCAULT, Paris, 1973, p. 305.
-
[6]
En France, à cette époque, les inculpées condamnées à mort n’étaient plus exécutées. La pratique de la guillotine pour les femmes fut cependant réinstaurée lors du régime pétainiste.
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[7]
“C’est encore, de nos jours, de sa rhétorique qu’une plaidoirie tirera les effets nécessaires à suspendre la sentence de la peine de mort. Que l’on considère le lien de la rhétorique à la peine capitale au-delà de l’anecdote, car il s’agit du même lieu : celui où la langue prend sa pointe éristique et à propos duquel Kafka avance que la langue, par la joute des figures, devient le champ-clos d’un qui-perd-gagne.” M.-J. SEGERS, op. cit.
-
[8]
S. FREUD, L’inquiétante étrangeté, in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, 1971, pp. 163-210.
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[9]
“Mais (…) peuvent-ils (les magistrats et les juges) faire croire qu’ils n’ont pas tremblé en découvrant (…) que la monstruosité de l’Autre (le criminel) leur retombait dessus ; qu’en eux quelqu’un parlait le même langage, que le désir peut sauter les barrières, que le normal n’est qu’un mot qu’on s’applique ?” J.-P. PETER, J. FAVRET, L’animal, le fou, le mort, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 256.
-
[10]
D. SIBONY, Loi, in Analytiques, 1, 1978, pp. 13-20.
-
[11]
Car il s’agit, il s’avère, d’une affaire de femmes, d’un drame d’“entre-deux – femmes”. Cfr. D. SIBONY, De l’entre-deux-femmes, in La haine du désir, Paris, 1978, pp. 79-142.
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[12]
J. LACAN, Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie, in Ecrits, Paris, 1966, pp. 125-126.
-
[13]
E. ROUDINESCO, La politique de la psychanalyse, Paris, 1977, pp. 11-36.
-
[14]
Le transitivisme est ce mécanisme psychique par quoi l’enfant “qui bat dit avoir été battu, celui qui voit tomber pleure. De même, c’est dans cette identification à l’autre qu’il vit toute la gamme des réactions de prestance et de parade, dont ses conduites révèlent avec évidence l’ambivalence structurale, esclave identifié au despote, acteur au spectateur, séduit au séducteur.”, J. LACAN, L’agressivité en psychanalyse, in Ecrits, Paris, 1966, p. 113.
-
[15]
J. LACAN, La signification du phallus, in Ecrits, Paris, 1966, pp. 685-695.
-
[16]
“Envisager le discours judiciaire comme une ultime reconstruction, combinant les constructions juridiques et les éléments de convictions internes au juge en un ensemble tendant à la démonstration sans faille d’une cohérence.”, G. VIGNAUX, A. MASQUEZ, De la simplicité comme argument, in Juges et Procureurs, Recherches, 40, mars 1980, p. 196.
-
[17]
“L’élaboration du portrait de Rivière, dans chacun des deux récits, n’ouvre pas sur la reconstitution d’une histoire ; elle définit une grille opérant une sélection dans l’ensemble des faits rapportés par Rivière et les témoins ; elle institue un codage qui permet de les interpréter.”, P. RIOT, Les vies parallèles de Pierre Rivière, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 300. Cette remarque ne perd rien à être appliquée à Christine et à Léa Papin.
-
[18]
Gorguloff assassina en 1932 le Président français P. Doumer. Il s’avéra en fait être un délirant.
-
[19]
A propos de Violette Nozières, consulter J.-M. FITERE, Violette Nozières, Paris, 1975 et E. ROUDINESCO, Violette et violées, in La psychanalyse mère et chienne, Paris, 1979, pp. 127-141.
-
[20]
La dénégation est un mécanisme par lequel le sujet formule une pensée tout en niant qu’elle soit sienne.
-
[21]
E. ROUDINESCO, dans La psychanalyse mère et chienne, note que la peine de mort maintient ce “faux dilemme” de l’irresponsabilité comme garantie d’échapper à la guillotine. L’avocat, piégé par cette logique, ne peut que s’appuyer sur la psychiatrie pour éviter à son client la peine capitale.
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[22]
“Le jury doit (…) figurer précisément l’instance de la conscience publique, son règne idéal sur tout ce que l’homme peut avoir de pouvoirs secrets et inhumains (…). C’est le corps tout entier de la nation qui juge à travers (le jury) et qui se trouve en débat avec toutes les formes de violence, de profanation et de déraison …”, M. FOUCAULT, Histoire de la folie, Paris, 1972, p. 470.
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[23]
Sur la différence entre le sujet de l’énoncé et celui de l’énonciation dans la pratique criminologique, lire M. CODDENS, Discours criminologique et discours psychanalytique, à paraître.
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[24]
M. MONTARRON, Les grands procès d’assises, Verviers, 1967, pp. 127-162.
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[25]
Remarquons l’homophonie signifiante maire – mère …
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[26]
“Un être mythique, un être monstrueux dont la définition est impossible parce qu’il ne relève d’aucun ordre énonçable.” J.-P. PETER, J. FAVRET, L’animal, le fou, le mort, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 260.
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[27]
“puisque (le criminel) vise l’ordre social, celui du contrat, son acte ne peut être que le fait d’une bête, ou d’un fou, l’envers d’un homme.” J.-P. PETER, J. FAVRET, ibid., p. 259.
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[28]
“Quoi qu’elle fasse et quoi qu’elle dise, la partie civile est du côté du châtiment. Elle ne se confond pas avec l’accusation publique, qui représente l’Etat et le gouvernement, mais elle siège dans son camp.”, E. ROUDINESCO, La psychanalyse mère et chienne, Paris, 1979, p. 137.
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[29]
“Il s’agit d’entreprendre une forme de persécution (du latin persequi, y arriver) pour arriver jusqu’à entrer dans un autre, jusqu’à ce point précis où idéalement il n’y aurait plus rien de caché et où lui-même n’aurait plus rien à cacher.”, P. LEGENDRE, Le Palais de la Justice, in Juges et Procureurs, Recherches, 40, mars 1980, p. 219.
-
[30]
J.-A. MILLER, Cinq minutes, in Actes du Forum de l’Ecole de la Cause Freudienne, Paris, 1981, pp. 7-8.
-
[31]
“Le vin et le sexe sont des poisons et les stigmates du mal s’inscrivent dans la chair des victimes.”, écrit E. ROUDINESCO à propos des causes de la folie pour la psychiatrie du 19e siècle, in La psychanalyse mère et chienne, op.cit., p. 53.
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[32]
Le signe est ce qui représente quelque chose pour quelqu’un.
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[33]
“Le crime, qui vient après, apparaît alors clairement comme un nouveau signe d’aliénation mentale, mieux, comme le produit de cette aliénation mentale…”, P. RIOT, Les vies parallèles de Pierre Rivière, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 297.
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[34]
Elles sont autres, “quelque chose voisin du rien, dont il n’est pas sérieux de penser qu’ils aient à dire.”, J.-P. PETER, J. FAVRET, L’animal, le fou, le mort, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 248.
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[35]
Souvenons-nous que Mlle Lancelin a eu les jambes lacérées …
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[36]
Lire à ce sujet : “La signification du phallus”, J. LACAN, Ecrits, Paris, 1966, pp. 685-695.
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[37]
Il faut se rappeler, avec P. LEGENDRE, que dans l’institution, les sujets sont disposés pour entrer en relation selon un certain ordre, défini par le Texte : chaque sujet a sa place légitime. Cfr. P. LEGENDRE, La passion d’être un autre, Paris, 1977.
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[38]
“Sous le nom de crimes et de délits, on juge bien toujours des objets juridiques définis par le Code, mais on juge en même temps des passions, des instincts, des anomalies, des infirmités, des inadaptations, des effets de milieu ou d’hérédité ; on punit des agressions, mais à travers des agressivités ; des viols, mais en même temps des perversions ; des meurtres qui sont aussi des pulsions et des désirs.”, M. FOUCAULT, Surveiller et punir, Paris, 1975, pp. 22-23.
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[39]
“Il n’en demeure pas moins que la sanction qui menace certains de ces “déviants” se dédouble. D’un côté, l’appareil de la justice pénale que surplombe l’ombre de la guillotine. De l’autre, l’isolement médical et l’ombre de l’asile.”, P. CASTEL, Les médecins et les juges, in Moi, Pierre Rivière …, op. cit., p. 331.