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Article de revue

Congé parental, modes d’accueil dans la petite enfance et fécondité

Pages 51 à 56

Notes

  • [1]
    Il s’agit d’une aide financière versée par la caisse d’allocations familiales (ou par la Mutualité sociale agricole) aux parents cessant ou réduisant leur activité professionnelle pour s’occuper de leur(s) enfant(s) de moins de trois ans.
  • [2]
    En avril 2023, le montant mensuel de l’aide est de 429 euros en cas d’interruption totale d’activité, de 277 euros en cas de travail à temps partiel à 50 % ou moins, et de 160 euros en cas de travail à temps partiel à plus de 50 % et jusqu’à 80 %.
  • [3]
    Le taux de scolarisation précoce, qui reste inégalement reparti sur le territoire (Onape, 2021), s’est stabilisé depuis.
  • [4]
    Nous n’avons pas encore réalisé cette analyse longitudinale sur la nouvelle enquête Modes de garde 2020.
  • [5]
    C’est-à-dire un mode d’accueil impliquant un intervenant extérieur rémunéré.
English version

En France, malgré la réforme du congé parental adoptée en 2015, la baisse du niveau de fécondité amorcée depuis les années 2010 se poursuit, et même s’intensifie. Dès lors, sur quels leviers les politiques publiques en faveur de la petite enfance peuvent-elles s’appuyer pour influencer positivement le niveau de fécondité ?

1 En France, la fécondité diminue depuis maintenant une dizaine d’années. Cette baisse suit celles déjà en cours dans d’autres pays voisins et d’Europe du Nord (Solaz, Toulemon, Pison 2024) Il apparaît alors important de s’interroger sur les déterminants de ce phénomène et sur l’éventuel rôle des politiques publiques sur le niveau de la fécondité. Les contraintes d’articulation entre famille et travail ont-elles une influence sur le niveau de fécondité ? Cet article met l’accent sur les effets possibles – négatifs et/ou positifs – sur les réalisations de fécondité des parents ou des futurs parents des mesures en matière de congé parental prises depuis 2015 et de l’évolution des modes d’accueil de la petite enfance.

Un congé parental revisité en 2015 : la réforme de la PreParE

2 La récente réforme de la Prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) (1), introduite depuis le 1er janvier 2015, modifie la durée et la répartition entre les parents du droit à l’allocation perçue en cas de congé parental. En revanche, elle ne revient pas sur le montant forfaitaire de l’aide (2).

Un congé pour favoriser un partage plus équilibré entre les deux parents

3 Cette revisite du congé parental part du constat que les coûts des ajustements professionnels après une naissance sont principalement supportés par les mères (Pailhé et Solaz, 2012). En effet, pour elles, le risque d’éloignement du marché du travail est durable à cette occasion. La réforme PreParE vise ainsi à assouplir les contraintes de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle pour les mères, en incitant à un meilleur partage du congé parental entre les parents. Ce dernier peut ainsi alternativement être pris par le père et par la mère pendant la première année de leur premier enfant, ou pendant les trois premières années du ou des enfants suivants. Pour un premier enfant, les parents peuvent désormais bénéficier de six mois d’allocation chacun (au lieu de six mois à éventuellement partager avant la réforme). Pour les parents de deux enfants ou plus, la durée d’allocation est réduite à vingt-quatre mois pour l’un des parents, l’autre pouvant prendre le relais pendant une durée maximale de douze mois.

4 Un même parent ne peut ainsi plus bénéficier du dispositif pendant toute la période allant de la naissance de l’enfant jusqu’à son entrée à l’école maternelle l’année de ses trois ans, comme cela était le cas avec l’ancien dispositif (le complément de libre choix d’activité [CLCA]).

Dans les faits, un congé raccourci pour les mères

5 Les pères, toutefois, utilisent très rarement ce congé parental faiblement rémunéré, et le relais attendu n’a quasiment pas fonctionné. De ce fait, la réforme n’a pas changé grand-chose pour les mères d’un premier enfant et a raccourci la période de perception de leur allocation de congé parental à partir du deuxième (Narcy et Sari, 2021).

6 Par ailleurs, la réforme a affecté les trajectoires d’activité des mères en accélérant leur retour au travail ou au chômage (Périvier et Verdugo, 2021). Selon le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA, 2019), qui s’appuie sur les enquêtes Emploi en continue, le taux d’emploi des mères avec enfant(s) de moins de trois ans a en effet augmenté. Une partie d’entre elles aurait donc renoncé à prendre ce congé raccourci. La plupart des mères, cependant, après avoir bénéficié de la PreParE à taux plein jusqu’aux deux ans de leur enfant, sortent inactives du dispositif et restent sans activité jusqu’à l’entrée de leur enfant à l’école maternelle.

Une réforme qui n’incite pas à l’agrandissement de la famille

7 La réforme a également potentiellement affecté les décisions d’agrandissement de la famille. Elle est ainsi restée sans effet positif sur le niveau de fécondité après son adoption (Périvier et Verdugo, 2021), ce dernier ne montrant aucun infléchissement à la hausse autour de 2015, comme cela avait été observé lors de la réforme du congé parental de 1994 (Piketty, 2005). La baisse de la fécondité, en cours depuis 2010 (donc bien avant la réforme), s’est certes interrompue très temporairement en 2014, mais elle se poursuit en s’intensifiant sans discontinuer depuis 2015 (si l’on exclut le rattrapage, en 2021, du recul des naissances observé en 2020 lors de la crise sanitaire liée au Covid-19).

Diversité des parcours en structure d’accueil pour les enfants en France : quel lien avec la fécondité ?

Une offre élargie de modes d’accueil, mais un accès aux crèches encore difficile

8 En France, la politique en faveur de la petite enfance affiche l’objectif de laisser aux familles un large choix de modes d’accueil, afin que chacune trouve le plus adéquat et que les parents continuent leur activité professionnelle s’ils le souhaitent. Toutefois, certains modes d’accueil, comme les crèches, continuent d’être difficiles d’accès (Le Bouteillec et al., 2014), en raison d’une demande supérieure à l’offre. Cette réalité persiste en dépit d’une baisse des naissances et d’une augmentation de nombre de places en crèche ces dernières années. Notamment, la réduction importante de la scolarisation à deux ans, de 2000 à 2012 (Abdouni, 2016), a potentiellement augmenté le besoin de places dans ces structures (3).

Un mode de garde stable pour la plupart des enfants

9 L’enquête Mode de garde réalisée par la Drees en 2013 donne la possibilité d’établir un panorama des modes d’accueil des enfants de leur naissance à leur entrée à l’école maternelle (4) (Francou et al., 2017). Si 35 % des enfants sont quasi exclusivement gardés par leurs parents pendant ces années, 29 % le sont dans le cadre d’un mode d’accueil individuel (assistante maternelle, garde à domicile), 19 % au sein d’un mode d’accueil collectif (crèche, halte-garderie, etc.), 9 % sont alternativement gardés dans l’un et l’autre de ces deux modes d’accueil dits « formels (5) ». Enfin 7 % des enfants sont gardés de manière informelle, notamment par leurs grands-parents.

10 Le mois de naissance importe peu sur la longueur des parcours en accueil formel des enfants, et donc sur le coût global supporté par les parents avant l’entrée à l’école (Marc et Pucci, 2014). Ainsi, les enfants nés les quatre premiers mois de l’année – de janvier à avril – connaissent vingt mois d’accueil formel, contre seize pour ceux nés en fin d’année – de septembre à décembre.

11 Enfin, les parcours des jeunes enfants gardés dans le cadre d’un mode d’accueil formel, qu’il soit individuel ou collectif, s’avèrent le plus souvent stables. Néanmoins, 15 % des enfants connaissent plusieurs changements de modes d’accueil formels. Ces parcours atypiques sont plus fréquents pour les ménages des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées. Les instabilités financières, professionnelles, résidentielles ou familiales rencontrées par ces familles rendent en effet difficile la conservation d’un mode d’accueil unique sur le temps long. Toutefois, les différences d’ordre socio-économique les plus importantes entre les familles sont observables dans le fait de recourir à un mode d’accueil extérieur versus le fait de garder soi-même son enfant, plutôt que dans celui d’avoir recours à tel ou tel type d’accueil extérieur.

Une offre d’accueil adaptée joue-t-elle un rôle positif sur le niveau de fécondité ?

Un lien non établi dans la littérature

12 Les études cherchant à établir une relation entre le niveau de l’offre d’accueil de la petite enfance et la fécondité s’appuient pour cela tant sur des données individuelles que nationales et régionales. Elles s’intéressent spécifiquement à l’offre formelle, et conduisent à des résultats variables. Ainsi, aux États-Unis, David Blau et Philip Robins (1989) montrent que le développement de l’offre d’accueil en crèche a des effets positifs sur la fécondité, tandis que l’étude de Karen Oppenheim Mason et Karen Kulthau (1992) conclue à un impact probablement très faible. En Italie, des travaux plus récents montrent l’existence d’un effet positif mais faiblement significatif de ce type de mesure (Del Boca, 2002). En Allemagne de l’Ouest, Karsten Hank et Michaela Kreyenfeld (2003) montrent qu’augmenter l’offre locale de crèches n’augmente pas significativement la probabilité d’avoir un deuxième enfant (analyse confirmée par Pater Haan et Katharina Wrohlich [2011] à l’aide de données de panel), contrairement au fait d’habiter la même ville que les grands-parents. Roland Rindfuss et ses collègues (2010), de même que Paul Baizan (2007), trouvent des effets positifs au fait de développer l’offre de services de garde d’enfants sur la fécondité en Norvège et en Espagne respectivement. En comparant les données de plusieurs pays européens, y compris la France, Angela Greulich et ses collègues (2017) trouvent enfin que jouer sur l’offre nationale des modes d’accueil formel a un impact positif sur la probabilité que les femmes en emploi aient un deuxième enfant, alors que d’autres types de politiques publiques, tels que les dispositifs de congés ou les allocations, n’ont pas d’effet.

13 Le niveau de fécondité possède ainsi des déterminants multifactoriels, qui sont difficiles à isoler. De plus, des relations de réciprocité entre modes d’accueil et fécondité existent. Par exemple l’offre d’accueil se développe en priorité là où le besoin s’exprime, si bien qu’il est difficile d’établir des liens, particulièrement causaux, entre modes d’accueil et fécondité.

14 Quand ils sont mis en évidence, ceux-ci semblent par ailleurs de faible ampleur et dépendants du contexte. Qu’en est-il en France ?

La stabilité du mode d’accueil pourrait jouer sur la naissance d’un autre enfant

15 Le lien, en France, entre les trajectoires de mode d’accueil des enfants pendant la petite enfance et l’arrivée d’un autre enfant fait l’objet d’un travail en cours (Francou et al. 2017). Dans cette étude, les modèles appliqués distinguent la probabilité d’avoir un autre enfant (quantum) de la durée entre les naissances (tempo), en contrôlant par un certain nombre de variables afin que les résultats ne soient pas déterminés par les caractéristiques particulières des familles qui ont accès aux différents modes d’accueil.

16 Des trajectoires d’accueil instables et le fait d’avoir recours à des modes d’accueil informels accroissent le délai entre deux naissances, mais ne diminuent pas la probabilité d’avoir finalement un enfant de plus. Au sein des familles qui ont recours à un mode d’accueil formel, l’enfant suivant arrive plus rapidement (en particulier le troisième) lorsque le ou les premiers enfants sont accueillis en crèche plutôt que par une assistante maternelle. Cependant, le niveau de fécondité ultérieure est inchangé. Ces résultats soulignent donc plutôt l’importance, pour les parents, d’avoir accès à des modes d’accueil stables et formels pour être libres de déterminer le moment où ils prendront la décision d’agrandir leur famille.


17 Si l’accès à des modes d’accueil peu onéreux et l’existence de congés parentaux sont susceptibles de participer au climat favorable nécessaire tant à la décision d’avoir un enfant qu’à son arrivée, ils ne sont que des éléments parmi d’autres des politiques familiales. Ces dernières, par ailleurs, ne peuvent à elles seules garantir un maintien du niveau de fécondité. La récente baisse de la fécondité dans de nombreux pays d’Europe, même au sein de ceux proposant les politiques familiales considérées comme les plus généreuses (pays d’Europe du Nord, France, par exemple) en témoigne. Le désir d’enfant, loin d’être garanti, est ainsi vite fragilisé par des crises économiques, épidémiologiques ou climatiques. Il peut aussi se modifier au fil des générations. Finalement, il continue de constituer un défi pour les démographes.

Bibliographie

Bibliographie


Mots-clés éditeurs : congé parental, petite enfance, fécondité, mode d’accueil, taille des familles, France, crèche

Date de mise en ligne : 09/07/2024.

https://doi.org/10.3917/inso.211.0051

Notes

  • [1]
    Il s’agit d’une aide financière versée par la caisse d’allocations familiales (ou par la Mutualité sociale agricole) aux parents cessant ou réduisant leur activité professionnelle pour s’occuper de leur(s) enfant(s) de moins de trois ans.
  • [2]
    En avril 2023, le montant mensuel de l’aide est de 429 euros en cas d’interruption totale d’activité, de 277 euros en cas de travail à temps partiel à 50 % ou moins, et de 160 euros en cas de travail à temps partiel à plus de 50 % et jusqu’à 80 %.
  • [3]
    Le taux de scolarisation précoce, qui reste inégalement reparti sur le territoire (Onape, 2021), s’est stabilisé depuis.
  • [4]
    Nous n’avons pas encore réalisé cette analyse longitudinale sur la nouvelle enquête Modes de garde 2020.
  • [5]
    C’est-à-dire un mode d’accueil impliquant un intervenant extérieur rémunéré.
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