1 Le 20 octobre 2021, le public français a découvert à la télévision le quotidien de quatre « jeunes aidants » [1] qui prennent soin d’un frère, d’un père ou d’une mère en situation de handicap ou de maladie, dans le documentaire Plus grand que soi réalisé par François Chilowicz (2021). Si l’aide prodiguée par des adultes à des adultes en situation de dépendance est assez bien étudiée (Blanc, 2010) et reconnue depuis plusieurs années par les autorités publiques, celle qu’apportent des enfants, des adolescents ou de jeunes adultes à un proche en situation de handicap, de maladie ou de dépendance est, en revanche, mal documentée et largement méconnue en France. Toutefois, la reconnaissance de ces jeunes aidantes et aidants commence à émerger dans la recherche universitaire (Jarrige et al., 2020), en prenant appui sur le travail d’identification et d’accompagnement mené par des associations depuis une petite dizaine d’années.

2 Outre-Manche, l’aide dispensée par les young carers est légalement reconnue depuis 2014 par la loi Care (Care Act) [2]. En France, le Gouvernement a récemment montré des signes d’intérêt pour la reconnaissance de ces situations, qui a été présentée comme une des « priorités » de la Stratégie nationale « Agir pour les aidants 2020-2022 » (ministère de la Santé et des Solidarités, 2019, p. 16).

Les jeunes aidantes et aidants, un intérêt récent dans la recherche en France

3 Depuis une trentaine d’années, des travaux s’intéressent aux effets du handicap sur les frères et sœurs (Scelles, 1997) ou encore à l’aide apportée dans une fratrie touchée par un problème de santé mentale (Davtian et Collombet, 2009) et contribuent à construire une réflexion sur les proches des personnes malades ou dépendantes. Quelques enquêtes, en population générale ou ponctuelle, ont en particulier cerné l’ampleur de l’aide informelle apportée par des enfants, des adolescents ou des jeunes adultes, comme celles menées en 2008 par la direction de la Recherche, de l’Évaluation et des Statistiques (Drees) du ministère de la Santé et des Solidarités [3] et par Novartis/ Ipsos en 2017 [4].

4 Les difficultés pour mesurer l’ampleur exacte de ce phénomène témoignent de l’existence de tensions méthodologiques en matière de définition (seuils d’âge, évaluation de l’aide apportée…) et de recueil de données (autoidentification par les jeunes, identification à partir du questionnaire MACA [5], etc.). À défaut d’une étude en population générale, nous disposons aujourd’hui d’une extrapolation fournie par la récente enquête Adocare, qui estime que 294 600 lycéens et lycéennes seraient concernés [6] (Untas et al., 2022). Cette estimation sera complétée par les résultats des enquêtes Eliass menées en collège en 2020-2021 [7]. L’enquête Adocare montre que la personne aidée est en majorité un parent (60 %), un frère ou une sœur, ou un grand-parent, et que les raisons qui motivent l’aide sont la maladie somatique grave ou chronique (70 %), la maladie mentale (20 %) ou un handicap (17 %) [Untas et al., 2022]. Elle montre aussi que les jeunes aidants sont majoritairement des filles (74,9 %) et qu’ils, et donc surtout elles, sont plus souvent confrontées au redoublement scolaire que la moyenne (Untas et al., 2022). Enfin, cette situation peut affecter leur santé mentale (Défenseur des droits, 2021). Toutefois, les résultats de l’étude TrajAid (2022) portant sur les trajectoires de 22 jeunes aidantes de 17 ans à 26 ans montrent que certaines d’entre elles transforment les compétences issues de cette expérience et les mobilisent pour des projets d’orientation scolaire ou professionnelle ou vers un engagement dans la sphère politique, civique, environnementale ou humanitaire (Jung Loriente et Mahut, 2022). Il reste à étudier la manière dont les charges qui peuvent peser sur les enfants varient selon la nature des difficultés et selon les configurations familiales et sociales (Eideliman, 2009).

Le Royaume-Uni, un pays pilote dans la reconnaissance de ces situations

5 Le Royaume-Uni fait figure de pays pilote à la fois en matière de recherches sur le sujet et pour la sensibilisation, la reconnaissance et la mise en œuvre de politiques publiques spécifiques destinées aux jeunes aidantes et aidants et à leurs familles (CCAH, 2019, p. 14).

6 Les études menées depuis les années 1990 à l’initiative du professeur Saul Becker ont estimé que ce phénomène concernerait entre 8 % et 22 % des enfants de 11 ans à 15 ans, dont 10 % à un niveau important ou très important de soins (Joseph et al., 2019). Les études soulignent aussi l’impact de l’aide sur la carrière scolaire – retards, absences, devoirs non faits… (Dearden et Becker, 2002) – ou sur la santé – fatigue, anxiété… (Marsden, 1995).

7 En 2014, la loi Care a introduit des droits et des aides spécifiques pour les young carers. Les collectivités locales sont tenues d’identifier ces derniers et de les aider, en particulier si l’aide apportée par le jeune est considérée comme inappropriée ou trop lourde pour lui (Handéo, 2021, p. 116). Mais cette reconnaissance en tant que catégorie d’action publique entraîne aussi des risques. Le dispositif d’indemnisation financière, notamment, peut encourager les jeunes à délaisser leur scolarité, puisqu’une des conditions pour toucher l’allocation d’aide en tant que young carer est d’avoir plus de 16 ans et de ne pas être scolarisé à temps plein.

8 Au Royaume-Uni, l’intérêt public pour la situation des jeunes aidantes et aidants a été favorisé par la combinaison d’une approche globale de la famille (whole family approach), qui prend en compte l’ensemble de l’entourage d’une personne en perte d’autonomie, et d’un partenariat entre les différents acteurs impliqués (système de santé, système scolaire, institutions sociales).

De la connaissance à la reconnaissance : un nouveau sujet pour l’action publique française ?

9 En France, la question des jeunes aidantes et aidants est identifiée depuis plusieurs années par des professionnels de l’action médicosociale. Cette prise de conscience a motivé la création de projets et d’associations. Ainsi, en 2014, des ateliers « cinéma-répit » ont vu le jour à l’initiative de Françoise Ellien, psychologue clinicienne en charge du réseau de santé Spes [8] en Essonne, et d’Isabelle Brocard, réalisatrice et cinéaste. En 2016, l’association nationale Jeunes Aidants Ensemble (Jade) est créée par l’Association française des aidants et le réseau Spes. Elle propose plusieurs dispositifs destinés aux jeunes et à leurs familles, ainsi qu’aux professionnels du secteur sanitaire, social et éducatif. D’autres associations ont vu le jour à l’échelon local, comme « La pause Brindille » en 2019 à Lyon ou « Jeunes Aidants Occitanie » en 2020. Conjointement, les publications d’information à destination des professionnels et du grand public se multiplient (CCAH, 2019 ; Handéo, 2021). L’identification et l’accompagnement de ces jeunes restent toutefois difficiles à mettre en œuvre en raison des difficultés de coordination entre les différents services comme entre les politiques éducative, sanitaire et sociale (Handéo, 2021).

10 La reconnaissance de ces situations progresse néanmoins et la catégorie « jeune aidant » émerge dans le champ des politiques publiques. Cette visibilité s’accompagne d’une demande pour la mise en place de mesures, en particulier dans les milieux scolaire (formation des professionnels, aménagement des emplois du temps…), médical (prise en charge des troubles psychiques) et social (création de référents départementaux pour accompagner les jeunes) [CCAH, 2019]. Ainsi, dans un rapport paru en 2018, Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées, plaidait pour une rénovation du congé de proche aidant qui prendrait en compte « l’émergence des “jeunes aidants” parfois encore en âge scolaire » (ministère des Solidarités et de la Santé, 2018). Un an plus tard, un décret a reconnu la possibilité d’une dispense d’assiduité pour les étudiantes et étudiants « chargés de famille ou considérés comme aidants familiaux », au même titre que pour les jeunes ayant des besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap [9]. L’attention politique consacrée à ce sujet et sa publicisation renouvellent la question à propos de la participation des familles dans la production de soins et de santé (Cresson, 2006).

11 La création d’un statut spécifique de jeune aidant est parfois évoquée, mais elle pose plusieurs questions, comme l’expliquait Geneviève Avenard en 2019, alors Défenseuse des droits des enfants : « Un statut risquerait de les “enfermer” dans ce rôle qui a vocation à évoluer en fonction des configurations propres à chaque situation » (CCAH, 2019, p. 10). Ce scepticisme est également partagé par les jeunes (Jung Loriente et Mahut, 2022) et par certaines associations. Plutôt qu’un statut, ces associations souhaitent avant tout une reconnaissance des situations et la mise en place d’une prise en charge adaptée pour les jeunes aidantes et aidants et leurs familles.