Couverture de INSO_206

Article de revue

Réussir la transition écologique en luttant contre la pauvreté : l’ambition des Objectifs de développement durable des Nations unies

Pages 74 à 83

Notes

  • [1]
    Près de 16 000 milliards de dollars US à l’échelle mondiale.
  • [2]
    Rapport de la plénière sur les travaux de la 7e session de l’IPBES, Onu (2019, p. 3)
  • [3]
    Framework Convention on Climate Change, Décisions adoptées par la Conférence de Paris en 2915, FCCC Dec. 1/CP.21, UNITS No. 54113. Voir Magraw et al., 2016.
  • [4]
    Pour des exemples à cet égard du rôle joué par le mécanisme de transition juste et par le Fonds de modernisation dans l’Union européenne, voir Commission européenne, 2020.
  • [5]
    Voir par exemple l’Éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Présentation en ligne, consultée le 21/03/2022 : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F19905
  • [6]
    Agence nationale d’information pour le Logement, Habiter Mieux : une aide de l’Anah pour la rénovation énergétique. Présentation en ligne, consultée le 21/03/2022 : www.anil.org/habiter-mieux-aide-anah
  • [7]
    Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Présentation en ligne, consultée le 21/03/2022 : www.luttepauvrete.be
  • [8]
    Energy Poverty Advisory Hub. Présentation en ligne, consulté le 21/03/2022 : https://energy-poverty.ec.europa.eu/index_en
English version

Après le choc planétaire de la pandémie de Covid-19, l’heure est à la reconstruction. La crise a augmenté la pauvreté et les inégalités, et les écosystèmes sont menacés d’effondrement. La seule réponse politique pertinente consiste à agir conjointement sur ces deux fronts – un défi sans précédent que les Objectifs de développement durable de l’ONU proposent de relever à l’horizon 2030.

1 La réaction des gouvernements à la pandémie de la Covid-19 a été aussi énergique qu’inédite à deux égards. D’abord, ils ont mis en coma artificiel une partie de l’économie pendant de nombreux mois : la préservation des vies a pris le pas sur la recherche de la croissance. Ensuite, ces mesures ayant entraîné une grave récession, ils ont injecté des montants gigantesques [1] dans la relance de l’activité économique. Et quand les déficits publics ont explosé, les considérations budgétaires ont été à nouveau mises de côté afin de soutenir les ménages et les acteurs économiques les plus affectés. Des tabous majeurs sont tombés. Un nouveau paradigme se dessine, dans l’improvisation.

2 Ce retour massif de l’État dans l’économie montre que les leçons des erreurs commises à la suite de la grande crise financière de 2008-2010 ont été apprises : les plans d’austérité alors imposés dans l’urgence pour pallier l’explosion des dettes publiques, à la suite du renflouement des banques, avaient eu des effets procycliques dévastateurs. Toutefois, l’équation actuelle est bien plus complexe et ne se réduit plus au débat entre « relance par la demande » d’un côté et « responsabilité fiscale » de l’autre. Car, tandis que nous débattons de la sortie de la crise économique, la crise écologique s’aggrave : la biodiversité s’effondre plus vite qu’à aucun autre moment de l’histoire de l’humanité [2] ; les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître alors que parvenir à la neutralité carbone en 2050 est une priorité si l’on veut éviter les pires conséquences des ruptures climatiques (Giec, 2018) ; les sols se dégradent et sont de moins en moins en mesure de fonctionner comme puits de carbone et réservoirs de biodiversité (Giec, 2019 ; IPBES, 2018).

La quête de la seule croissance économique n’est plus la réponse

3 Pour garder le cap de l’objectif à long terme qui consiste à construire des économies durables, résilientes et inclusives, capables non seulement d’éradiquer la pauvreté mais aussi de demeurer dans les limites planétaires, la seule quête de la croissance ne peut constituer la réponse. Improviser ne suffit plus : un nouveau modèle de développement est à inventer. Celui-ci ne peut plus faire dépendre la réduction de la pauvreté de l’augmentation de richesse monétaire. Et il ne peut plus séparer les objectifs de réduction de la pauvreté et de réduction de l’empreinte écologique : c’est au contraire la combinaison de ces deux ambitions qui est au cœur des 17 Objectifs de développement durable fixés par l’Agenda 2030 de développement durable de l’ONU, adopté par les chefs d’État et de gouvernement en septembre 2015 lors du Sommet spécial sur le développement durable.

Transition écologique et justice sociale

4 Au XXe siècle, on se représentait la croissance de la richesse monétaire, mesurée en augmentation du PIB, comme une condition préalable à la réduction des inégalités, à l’éradication de la pauvreté et à la réparation des dommages causés à l’environnement. Cette approche reposait sur le phantasme d’une croissance économique entièrement découplée de la ponction effectuée sur les ressources et de l’augmentation des déchets et de la pollution ; l’illusion d’un tel découplage est à présent déconstruite (Parrique et al., 2019). La recherche de la croissance par la libéralisation du commerce, par la création d’un environnement favorable à l’investissement – incluant l’abaissement de la fiscalité sur les entreprises et l’allégement des contraintes réglementaires – et par la flexibilisation du marché du travail, a au contraire créé les conditions d’une économie qui produit de l’exclusion plutôt qu’elle ne garantit l’inclusion. Les fins ont été sacrifiées aux moyens : au lieu de viser la recherche du bien-être des populations, dont la croissance devrait n’être qu’un instrument, la croissance a été poursuivie pour elle-même, quel qu’en soit le coût écologique et humain.

5 L’urgence est à présent de concevoir un autre modèle de développement qui incorpore les défis interdépendants de l’éradication de la pauvreté et de la durabilité environnementale plutôt que de les considérer comme des défis à relever plus tard, une fois que la richesse aura crû suffisamment.

Les plus précaires sont les premières victimes d’un environnement dégradé

6 Les impératifs de la lutte contre la pauvreté et de la réduction de l’empreinte écologique doivent orienter la recherche de ce modèle. Ces objectifs sont complémentaires d’abord parce qu’aujourd’hui, les groupes les plus défavorisés de la population sont les premières victimes de la dégradation de l’environnement. Dans les pays riches, les ménages précaires sont les plus affectés par la pollution de l’air car ils habitent en périphérie des grandes villes, proches des pires sources de pollution, avec peu d’espaces verts. C’est de ce constat qu’est née la notion de « justice environnementale », développée à partir des années 1970 aux États-Unis où la pollution affecte principalement les Afro-Américains dans les villes (Bullard et al., 2007 ; et dans ce numéro, voir article de Deguen et Kihal-Talantikite, p. 34). Au Royaume-Uni, les 10% des personnes vivant dans les régions les plus défavorisées étaient confrontées à des niveaux de concentration d’oxyde nitreux, provenant de l’activité industrielle et des transports, supérieurs de 41% à la moyenne du reste du territoire (Lucas, 2004). En France, la pollution de l’air, qui cause 48 000 décès prématurés chaque année (soit 9% de la mortalité), pour un coût sanitaire annuel de 68 à 97 milliards d’euros, touche essentiellement les groupes les plus défavorisés de la population (Cese, 2015).

7 Les ménages les plus défavorisés seront ainsi les premiers bénéficiaires d’un modèle de développement soucieux de l’environnement et qui place l’amélioration du bien-être et de la santé au-dessus de la création de richesses.

Les quatre dimensions d’une dynamique de développement innovante

8 Poursuivre conjointement les objectifs de la lutte contre la pauvreté et de la transition suppose de créer une dynamique de développement comprenant quatre dimensions : un modèle qui protège les personnes et les régions affectées par la transition ; qui lutte contre les inégalités sociales et environnementales ; qui encourage de nouveaux modes de production et de consommation ; et enfin, qui lutte contre l’obsolescence programmée.

La « transition juste » : protéger les personnes et les régions affectées

9 À quoi renvoie l’expression de « transition juste » ? En signant l’accord de Paris en 2015, les États parties se sont engagés à tenir compte des « impératifs d’une transition juste pour la population active et de la création d’emplois décents et de qualité conformément aux priorités de développement définies au niveau national » [3]. Dans ce cadre, les communautés et les travailleurs touchés par les efforts d’adaptation des sociétés visant à réduire les émissions de carbone et à protéger la biodiversité devraient bénéficier d’une protection sociale, y compris par l’octroi d’allocations de chômage en cas de perte d’emploi (OIT, 2017). Ils devraient aussi pouvoir bénéficier d’investissements créant de nouvelles opportunités économiques ainsi que de formations et d’assistance appropriées pour les aider dans leur reconversion [4].

10 La transition écologique représente un important gisement potentiel d’emplois. À l’échelle mondiale, dans un scénario conforme à l’accord de Paris, ce sont quelque 24 millions de nouveaux emplois qui pourraient être créés – un chiffre bien supérieur aux 6 millions d’emplois appelés à disparaître, notamment dans le secteur des énergies fossiles (OIT, 2018, p. 49 ; Montt et al., 2018, p. 531).

Lutter contre les inégalités, un outil de transformation écologique

11 Il faut cependant aller plus loin. La deuxième dimension est celle de la lutte contre les inégalités, laquelle constitue l’Objectif de développement durable (ODD) 10. Sa première cible, 10.1, est l’augmentation de la croissance des revenus des 40% de la population les plus pauvres à un taux supérieur à la moyenne nationale, et la cible 10.4 est l’adoption de politiques pour parvenir à une plus grande égalité, notamment fiscales, salariales et de protection sociale. Ces deux cibles constituent un pont essentiel entre le premier ODD, « Pas de pauvreté », et les ODD 12 et 13, respectivement « Consommation et production responsables » et « Action pour le climat ».

12 Tout d’abord, plus la richesse créée est répartie équitablement entre les populations, plus la croissance économique contribue à la réduction de la pauvreté : si les avantages d’une prospérité accrue bénéficient en priorité aux plus démunis de la société, moins de croissance sera nécessaire pour satisfaire les besoins fondamentaux de tous. Ainsi, là où l’économie doit encore croître, c’est-à-dire là où la réduction de la pauvreté dépend de la poursuite de la création de richesses, elle devrait le faire de manière à maximiser la réduction de la pauvreté tout en minimisant ses impacts écologiques.

13 En outre, des sociétés plus égalitaires utilisent les ressources de manière plus efficace. Actuellement, l’allocation des ressources par le biais des mécanismes du marché sert à satisfaire la demande, exprimée par le pouvoir d’achat des couches les plus riches de la population, plutôt qu’à répondre aux besoins des plus pauvres. En conséquence, les désirs des plus riches, aussi frivoles et peu soutenables soient-ils, peuvent aisément prendre le pas sur la satisfaction des besoins fondamentaux des moins riches. C’est ce qu’on appelle le coût environnemental de l’inégalité (Boyce, 2018 ; Cushing et al., 2015). Pour ne prendre qu’un seul exemple, au niveau mondial les 10% d’émetteurs les plus importants contribuent à environ 45% des émissions totales de dioxyde de carbone, tandis que les 50% d’émetteurs les moins importants contribuent à 13% de ces émissions (Groupe indépendant de scientifiques / Onu, 2019, p. 17).

Promouvoir des modes de production et de consommation à « triple dividende ». Les exemples de l’énergie et du bâtiment

14 C’est dans la conception même de la transformation écologique que des synergies sont à construire entre celle-ci et l’éradication de la pauvreté. Par exemple, dans des secteurs clés tels que l’énergie, le bâtiment, l’alimentation et la mobilité, des mesures à « triple dividende » permettraient de réduire l’empreinte écologique, de créer des emplois, notamment pour des travailleurs faiblement qualifiés, ainsi que de garantir l’accès abordable à des biens et services essentiels. En voici des exemples dans les deux premiers secteurs cités.

15 Dans le secteur de l’énergie, le potentiel le plus important de réduction des émissions de gaz à effet de serre réside dans l’électrification du transport et du chauffage, combinée à une augmentation de la production d’énergie renouvelable et à la recherche de la sobriété énergétique. Le potentiel de réduction des émissions va jusqu’à 60% des émissions de dioxyde de carbone liées à l’énergie nécessaire, ce qui était prévu par l’accord de Paris. Même si cela doit nécessiter des investissements supplémentaires importants (passant de 95 000 milliards de dollars estimés en 2020 à 110 milliards de dollars en 2050, soit une augmentation de 16%), les économies réalisées en évitant les subventions et en réduisant les dommages environnementaux et sanitaires seraient trois à sept fois supérieures aux coûts supplémentaires du système énergétique : pour chaque euro dépensé, le gain se situerait entre 3 et 7 euros (Irena, 2019).

16 Comment la transition vers les énergies renouvelables peut-elle être conçue pour contribuer à l’éradication de la pauvreté et à la lutte contre l’exclusion sociale ? Tout d’abord, le secteur des énergies renouvelables est plus demandeur en main-d’œuvre que celui des énergies fossiles : à dépenses égales, les énergies renouvelables créeront près de 70% d’emplois de plus que les combustibles fossiles (Chen, 2017). Déjà, entre 2012 et 2016, le nombre de personnes employées directement et indirectement dans le secteur des énergies renouvelables (hors grande hydraulique) est passé de 5,7 millions à 8,3 millions (Nations unies, 2020, p. 104) ; avec un soutien politique approprié, ce chiffre pourrait passer à 25 millions d’ici à 2030. Globalement, en comparaison avec une trajectoire inchangée, la montée en puissance de la durabilité dans le secteur de l’énergie permettrait de créer environ 18 millions d’emplois supplémentaires dans le monde d’ici à 2030 (OIT, 2018, p. 49). Les mesures visant à améliorer l’efficacité énergétique ont elles aussi un fort potentiel de création d’emplois : chaque million de dollars dépensé pour l’efficacité énergétique soutient 7,72 emplois, 7,49 emplois dans le secteur des énergies renouvelables et 2,65 dans celui des combustibles fossiles (Garrett-Peltier, 2017).

17 En outre, les engagements à long terme des États en matière d’électrification des systèmes de transport et de chauffage, combinant taxes et subventions pour favoriser le passage à l’électricité, peuvent rendre l’accès à ces systèmes plus abordable pour les ménages à faibles revenus. Les prix de l’électricité produite à partir de sources renouvelables sont en train de baisser, en raison de la réduction des coûts de production des technologies solaires et éoliennes, ainsi que des économies d’échelle réalisées (Ballester et Furió, 2015). Les 34 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont constaté que l’augmentation de la part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique avait un impact positif sur le prix de détail de l’électricité (Oosthuizen et al., 2019). En outre, les régimes de tarifs sociaux – permettant aux ménages qui consomment le moins d’énergie de payer le moins par kilowatt consommé ou garantissant des quantités minimales d’énergie gratuites par personne – peuvent compenser tout impact à court terme sur les prix du passage aux énergies renouvelables et protéger les ménages à faibles revenus contre la volatilité des prix et la précarité énergétique.

18 Le bâtiment constitue un deuxième secteur important dans lequel des actions à triple dividende peuvent être adoptées. L’environnement bâti représente 40% de la consommation mondiale d’énergie et 30% des émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie (PNUE, 2009). L’essentiel de ces émissions, environ 80%, est produit dans la phase opérationnelle par le biais du chauffage, de la ventilation et de la climatisation (ONU-Habitat, 2011). Cette consommation d’énergie dépend fortement du comportement des habitants. Toutefois, taxer les émissions des ménages afin de décourager la consommation d’énergie aurait des effets régressifs et augmenterait la précarité énergétique.

19 D’autres outils peuvent jouer un rôle pour réduire la consommation d’énergie. En France, des « éco-prêts » à taux zéro ont été introduits en 2009 pour aider les propriétaires et les bailleurs à financer des rénovations permettant d’économiser l’énergie des biens construits avant 1990 [5] (des efforts spécifiques doivent encore être faits pour s’assurer que ces incitations profitent en priorité aux ménages à faibles revenus). Des projets tels que l’initiative « Better Energy Warmer Homes » en Irlande ou le programme « Habiter mieux » en France [6] offrent des subventions et des prêts pour améliorer l’efficacité énergétique des ménages à faibles revenus. Selon l’Agence nationale de l’habitat, la grande majorité des ménages participants ont déclaré qu’ils n’auraient pas pu investir dans l’amélioration de l’efficacité énergétique sans le programme. D’autres programmes financent la rénovation de bâtiments de mauvaise qualité achetés par des ménages à faibles revenus comme logements d’urgence, comme en Belgique [7]. Au niveau de l’Union européenne, l’Energy Poverty Advisory Hub (Epah) a pour mission d’aider les pays membres à éradiquer la précarité énergétique [8].

20 Toutes ces mesures sont à triple dividende : elles réduisent l’empreinte écologique ; elles constituent aussi un gisement d’emplois important, notamment pour des travailleurs et travailleuses faiblement qualifié(e)s ; enfin, l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements des ménages à faibles revenus contribue à la fois à réduire leur consommation d’énergie et leurs dépenses énergétiques (CEB, 2019).

21 Dans beaucoup de pays cependant, se pose le problème dit des « incitations fractionnées » (« split incentives ») : alors que la plupart des ménages à faibles revenus sont locataires de leur logement, leurs propriétaires ont tendance soit à sous-investir dans les mesures énergétiques (Melvin, 2018), soit, s’ils engagent des dépenses en ce sens, à augmenter les loyers, rendant ainsi l’accès au logement moins abordable pour les personnes vivant dans la pauvreté. Il faut donc imposer aux propriétaires d’améliorer la performance énergétique des bâtiments, et en même temps garantir le plafonnement des loyers.

La lutte contre l’obsolescence programmée

22 La quatrième dimension d’un développement réellement soutenable est la lutte contre l’obsolescence programmée. En effet, si l’innovation technologique et les phénomènes de mode expliquent en partie l’augmentation de la consommation de biens de consommation, l’obsolescence planifiée ou « intégrée » des produits et, de façon générale, le raccourcissement de la durée de vie des produits de consommation y sont aussi pour beaucoup. L’obsolescence programmée consiste pour les fabricants à maximiser leurs profits en concevant délibérément des produits qui deviennent défaillants prématurément ou obsolètes, afin de vendre un autre produit ou une version améliorée du produit originel. Cela entraîne une augmentation des ressources utilisées, des volumes de déchets et des émissions de gaz à effet de serre. Un exemple en Allemagne : entre 2004 et 2013, la proportion de gros appareils électroménagers remplacés en moins de cinq ans en raison de la présence d’un défaut est passée de 3,5% à 8,3% (Prakash et al., 2020).

23 Deux orientations sont prioritaires afin de lutter contre ce phénomène. La première consiste à passer d’un modèle linéaire à un modèle circulaire des circuits économiques avec, à la clé, un potentiel considérable de création d’emplois dans les secteurs de la réparation, de l’entretien et de la location. À l’échelle mondiale, l’abandon du modèle « Extraire, fabriquer, utiliser et éliminer » entraînerait la création de 6 millions d’emplois supplémentaires d’ici à 2030 (OIT, 2018, p. 52). Les initiatives d’économie circulaire contribuent à la récupération d’articles usagés et de matériaux pour les recycler et les réutiliser, favorisant en outre l’accès à un prix abordable de certains biens de consommation. Au Brésil par exemple, des organisations collectent, réparent et remettent à neuf des équipements électriques et électroniques qui, autrement, iraient dans des décharges, afin de les revendre à des prix avantageux aux populations à faibles revenus. Ce type d’initiatives se multiplient dans de nombreux pays. Par ailleurs, l’économie fonctionnelle et les initiatives de consommation collaborative, telles que le partage d’outils, de voitures ou de tracteurs, parfois encouragées par des incitations fiscales, facilitent l’échange ou le partage d’actifs sous-utilisés. Elles élargissant ainsi l’accès aux biens et services tout en réduisant l’impact environnemental.

24 La seconde orientation est de type réglementaire et offre un large éventail de mesures possibles : interdire l’obsolescence programmée, comme c’est le cas en France ; imposer des périodes de garantie plus longues ; réduire le taux de TVA pour les entreprises de réparation ; obliger les fabricants à garantir la disponibilité des pièces de rechange et des manuels de réparation ou les producteurs à reprendre des parties de leurs produits afin de les recycler.


25 Comment reconstruire ? La pandémie de Covid-19 place les États face à leurs responsabilités. Le pire scénario serait celui qui verrait les gens vivant dans la pauvreté payer trois fois : en tant que victimes de la crise économique ainsi que d’une transformation écologique qui les affecte directement, notamment par l’augmentation d’une fiscalité écologique non compensée par des mesures sociales, et en tant que contribuables, consommateurs ou utilisateurs de services publics mis à contribution afin de financer la relance.

26 Une autre voie est cependant possible. Les plans de relance économique peuvent aider à la transition vers des économies durables tout en créant des possibilités d’emploi pour les personnes peu qualifiées et en garantissant l’accès aux biens et services essentiels. La solution doit consister non seulement à protéger les travailleurs et les communautés touchés par les impacts de la transformation écologique mais aussi à investir dans des secteurs cruciaux tels que l’énergie, le bâtiment, l’alimentation et la mobilité, afin de profiter du « triple dividende » d’un environnement plus propre, d’emplois décents et de biens et services abordables.

27 Plus largement, il est urgent de sortir d’un modèle de croissance non durable tirée par la consommation et d’une économie extractive fondée sur le gaspillage, pour donner enfin la priorité à la réduction des inégalités et à la lutte contre l’obsolescence prématurée des biens de consommation. « Reconstruire en mieux » n’est pas revenir au statu quo. C’est l’inverse : c’est inventer une nouvelle trajectoire de développement, laquelle sera utopique, forcément – dans la situation présente, la seule attitude réaliste consiste à oser l’utopie.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : développement juste et durable, Agenda 2030 de développement durable, création d’emplois, énergies renouvelables, précarité énergétique, autre modèle de développement, adaptation énergétique dans le bâtiment, transition écologique et lutte contre la pauvreté, lutte contre les inégalités, énergies fossiles, lutte contre l’obsolescence programmée, Objectifs de développement durable de l’ONU

Mise en ligne 02/09/2022

https://doi.org/10.3917/inso.206.0074

Notes

  • [1]
    Près de 16 000 milliards de dollars US à l’échelle mondiale.
  • [2]
    Rapport de la plénière sur les travaux de la 7e session de l’IPBES, Onu (2019, p. 3)
  • [3]
    Framework Convention on Climate Change, Décisions adoptées par la Conférence de Paris en 2915, FCCC Dec. 1/CP.21, UNITS No. 54113. Voir Magraw et al., 2016.
  • [4]
    Pour des exemples à cet égard du rôle joué par le mécanisme de transition juste et par le Fonds de modernisation dans l’Union européenne, voir Commission européenne, 2020.
  • [5]
    Voir par exemple l’Éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Présentation en ligne, consultée le 21/03/2022 : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F19905
  • [6]
    Agence nationale d’information pour le Logement, Habiter Mieux : une aide de l’Anah pour la rénovation énergétique. Présentation en ligne, consultée le 21/03/2022 : www.anil.org/habiter-mieux-aide-anah
  • [7]
    Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Présentation en ligne, consultée le 21/03/2022 : www.luttepauvrete.be
  • [8]
    Energy Poverty Advisory Hub. Présentation en ligne, consulté le 21/03/2022 : https://energy-poverty.ec.europa.eu/index_en
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