Notes
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[1]
Voir notamment : Défenseure des enfants, 2008 ; Besson, 2009 ; FTDA, 2010 ; Debré, 2010 ; Commission européenne, 2010.
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[2]
Le présent article s’appuie sur une recherche menée pour l’obtention d’une maîtrise de sociologie en 2004. L’analyse a été conduite à partir de l’exploitation de 30 dossiers individuels de MIE (ou jeunes majeurs anciennement MIE toujours suivis par le service au moment de l’enquête) et de la réalisation d’entretiens semi-directifs avec les 17 travailleurs sociaux « référents » de MIE et les 5 membres de leur encadrement fonctionnel et/ou hiérarchique (chefs de services socio-éducatifs, responsables du service). Les 30 mineurs étrangers isolés sur lesquels a porté cette recherche (19 filles et 11 garçons), âgés pour les trois quarts d’entre eux de 15 ans et plus à leur arrivée, étaient originaires, par ordre décroissant, du Congo-Kinshasa, de Chine, d’Angola, du Maroc, du Cameroun, du Congo-Brazzaville, de Côte d’Ivoire et d’Inde.
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[3]
Ces discours s’appuient sur des représentations de l’étranger. Ils véhiculent des jugements de valeurs, implicites le plus souvent, sur les « bonnes » ou moins bonnes raisons d’être en France. La présence des réfugiés, des rejoignants voire des exploités serait plus « légitime » que celle des conquérants ou des confiés. C’est ce qui ressort des entretiens que nous avons menés ainsi que de la littérature (articles de presse, rapports, travaux de recherche, déclarations de responsables politiques, etc.) que nous avons consultée sur le sujet. Voir notamment Etiemble, 2002.
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[4]
Ce travail de catégorisation s’inspire de la typologie des mineurs isolés étrangers mise au point par Angélina Etiemble (Etiemble, 2002), laquelle compte cinq grandes classes de candidats au départ : les exilés, les mandatés, les exploités, les fugueurs et les errants.
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[5]
Le mythe de l’eldorado occidental opère aussi sur les imaginaires des mineurs, garçons et filles. Une adolescente chinoise a ainsi réussi à convaincre ses parents de la laisser partir pour un pays où la situation faite aux filles et aux femmes serait moins de nature à entraver ses projets personnels.
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[6]
Une fois entrés et restés sur le territoire hors de toute procédure légale, les mineurs sont protégés contre toute mesure d’éloignement : contrairement aux majeurs, ils bénéficient d’une protection absolue contre l’expulsion et la reconduite à la frontière et n’ont pas à justifier de la régularité de leur situation (un titre de séjour n’est obligatoire qu’à partir de l’âge de 18 ans). Depuis la loi du 26 novembre 2003, un délai minimal de trois années de prise en charge par l’ASE est désormais exigé pour l’acquisition de la nationalité française par déclaration. Ne remplissant pas cette condition, les mineurs arrivés en France après l’âge de 15 ans doivent désormais obtenir un titre de séjour pour régulariser celui-ci. Faute de quoi, à 18 ans, ils deviennent des adultes en situation irrégulière, donc expulsables.
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[7]
Les professionnels doivent composer avec le positionnement – loin d’être uniforme – des magistrats (juges des enfants, des tutelles, parquet) de leur département par rapport à l’accueil et à la prise en charge des mineurs étrangers isolés – ce dont attestent les études comparatives sur l’accueil et de la prise en charge des MIE dans différents départements et services territoriaux d’Aide sociale à l’enfance.
1Le sort des mineurs isolés étrangers fait régulièrement l’objet de l’attention des médias. Qui sont-ils ? Et comment sont-ils pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance ? Cet article montre dans quelle mesure l’accompagnement de ce public bouleverse les pratiques des professionnels. Entre politique d’immigration et politique de protection de l’enfance, l’intérêt de l’enfant risque de se perdre dans des logiques contradictoires au sein de l’action publique.
2À l’instar des autres pays développés, notamment européens, la France se trouve confrontée depuis la fin des années 1990 à un phénomène migratoire particulier : l’arrivée sur le territoire français de mineurs étrangers isolés (également appelés mineurs non accompagnés), c’est-à-dire d’enfants de moins de 18 ans se trouvant hors de leur pays d’origine et séparés de leurs parents ou répondants légaux.
3Le nombre de ces jeunes arrivants et les vicissitudes de leur accueil en France constituent aujourd’hui une réalité qui suscite intérêt et polémiques. La statistique est encore toujours aussi incertaine mais tandis que « le débat était soigneusement évité par l’ensemble des protagonistes » il y a une dizaine d’années (France Terre d’Asile, 2000), tel n’est plus le cas en 2010 [1].
4À la croisée des politiques d’immigration et de protection de l’enfance, dont les objectifs se révèlent difficilement conciliables, la situation des mineurs étrangers isolés pose en effet question à plus d’un titre. Ce sont précisément l’effectivité de la protection dont ces enfants peuvent bénéficier et les modalités actuelles et souhaitables de la mise en œuvre d’un accompagnement qui posent aujourd’hui encore et toujours problème, aux professionnels de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) notamment. Ceux que nous avons rencontrés en 2004, dans le cadre d’une recherche sur la prise en charge des mineurs isolés étrangers par un service territorial d’Aide sociale à l’enfance de la région Île-de-France [2], ne font pas exception. L’accompagnement de ces enfants, aux parcours de vie antérieure et motivations de départ hétérogènes, est marqué par des difficultés qui viennent concrètement entraver la prise en compte de leurs besoins, voire interroger la nécessité et la « légitimité » de leur protection par l’ASE.
Qui sont les mineurs étrangers isolés ?
5Une typologie des motivations au départ peut être proposée pour rendre compte de la diversité des raisons pour lesquelles ces mineurs étrangers se retrouvent isolés sur le territoire français. En effet, un même vocable (mineurs isolés étrangers ou MIE) désigne des réalités parfois très contrastées. Il est permis de penser – c’est même parfois franchement avéré – que l’origine, les spécificités de ces mineurs et la diversité de leurs profils ont une incidence sur les discours et le traitement dont ils font l’objet, tant de la part des acteurs du monde médiatique, politique, des professionnels du social et du judiciaire que des législateurs aux niveaux national et européen [3].
6La classification construite distingue six groupes [4] :
- Les réfugiés
Sont ainsi désignés les mineurs qui étaient en danger dans leur pays en proie à la guerre et qui ont fui les persécutions dont ils étaient l’objet du fait des activités politiques ou supposées telles de leurs parents, ou bien qui craignaient pour leur vie et leur sécurité dans des pays où les combattants se livrent aveuglément à des pillages, des meurtres et des viols sur la population civile. C’est un inconnu compatissant ou un ami de la famille qui a payé le voyage et mis ces enfants à l’abri en France. - Les confiés
Ce sont des mineurs qui ont été amenés par un adulte ayant accepté de se voir confier l’enfant. Un membre de la famille élargie (oncle, tante, cousine) ou un ami de la famille restée au pays rend service aux parents de l’enfant, via un acte officiel (khefala par exemple) ou le plus souvent en dehors de tout cadre légal. Ces enfants, qui n’ont pas demandé à partir, sont tributaires d’arrangements entre adultes. En France, celui qui est chargé du jeune a des problèmes relationnels avec lui pour diverses raisons, et l’adolescent est mis à la porte ou s’en va de lui-même. Il se peut également que cet adulte se soit vu imposer la présence et l’entretien du mineur. Il peut ne pas avoir été prévenu de l’arrivée de celui-ci et refuser alors d’en assumer la charge. - Les rejoignants
Ces jeunes ont décidé d’aller rejoindre leurs parents, leur père ou leur mère, hors de toute procédure légale. Ils ne seraient pas partis de leur pays d’origine s’ils n’avaient eu pour but de retrouver leurs parents ou l’un des deux. Ces mineurs ne connaissent pas toujours la localisation exacte de leurs parents et se retrouvent isolés en France en attendant de les rejoindre ou encore abandonnent cette idée faute de savoir où les trouver. Ils peuvent également avoir réussi à rallier un de leurs parents mais s’être retrouvés seuls suite au départ de celui-ci, qui aura été empêché de revenir. - Les exploités
Ils sont utilisés comme petites mains, comme force de travail non rétribuée et corvéable à merci. Les deux mineures isolées étrangères qui appartiennent à cette catégorie ont dû travailler comme bonnes à tout faire. - Les missionnés
Ils ont été poussés au départ par les parents eux-mêmes pour fuir la misère. Ceux qui ont incité et aidé le missionné à partir avaient un projet pour le mineur : qu’il s’en sorte, qu’il aille à l’école, qu’il reçoive une formation professionnelle pour pouvoir gagner sa vie et échapper au destin qui serait le sien s’il restait. Il se peut également que le projet concerne le reste de la famille : que l’enfant travaille en Europe et envoie de l’argent à sa famille restée au pays. Il n’est pas toujours évident de déceler exactement quelle mission le jeune doit mener à bien. Précisons en outre que si la plupart des mineurs classés dans les autres catégories de la typologie sont probablement porteurs d’une « mission » ou d’un « mandat » individuel et/ou collectif de ce type, nous avons estimé que cela ne constituait pas leur caractéristique principale. - Les conquérants
Nous avons regroupé dans la catégorie « conquérants » les mineurs qui, d’après ce qu’en savent les travailleurs sociaux, ont en commun d’avoir décidé « seuls » de leur départ pour un pays riche [5]. Ils ont « choisi » de quitter un milieu de vie médiocre pour partir à l’assaut d’une vie qu’ils rêvent meilleure et plus épanouissante.
Les difficultés de la prise en charge d’un public « atypique »
7Les professionnels interrogés mettent l’accent sur ce qui ne va pas dans l’accueil et la prise en charge des MIE : ces derniers sont décrits comme difficiles et sources, pour eux, de « galères », de « problèmes », voire d’ « échec »… De fait, l’accompagnement de ce public particulier bouleverse leurs pratiques professionnelles à plusieurs titres. Deux causes de difficultés sont mises en avant de façon quasi unanime par tous les travailleurs sociaux : d’une part, la question des « papiers » et d’autre part, l’attitude non coopérative, voire franchement dissimulatrice, des jeunes.
Les papiers : en avoir ou pas
8La prise en charge de cette population spécifique nécessite des compétences et des connaissances particulières que les professionnels doivent acquérir sur le terrain, faute d’avoir été formés à cet effet. Pour ceux qui se repèrent le mieux dans le maquis – complexe et mouvant – des dispositions législatives et réglementaires régissant le droit des étrangers, des stratégies sont employées pour mettre le plus de chances du côté des MIE et faire ainsi primer leur besoin de protection sur la logique de contrôle des flux migratoires : des libertés sont prises à la marge par les professionnels avec les informations dont ils disposent (dans la façon de les relater ou au contraire de les passer sous silence) quand ils rédigent les rapports qui accompagnent les demandes de tutelle, de renouvellement d’assistance éducative, de nationalité française ou de titre de séjour [6] ; ils s’adaptent aux changements de position des magistrats [7] en demandant plutôt, par exemple, la désignation d’un administrateur ad hoc qu’une mesure de tutelle.
9La question du devenir après 18 ans taraude les acteurs de terrain et fait peser sur eux le poids d’une responsabilité qui peut aller jusqu’à un sentiment de l’ordre de la culpabilité. Nombreux sont les travailleurs sociaux qui donnent à sentir, ou explicitent franchement, l’importance de la responsabilité qu’ils doivent assumer face à la pérennisation du séjour du jeune sur le territoire français, et l’angoisse que cela fait naître chez eux. En effet, au contact de la population des mineurs étrangers isolés et en particulier sur la question des papiers, les professionnels font l’expérience des limites de leur intervention et éprouvent un sentiment de dépendance à l’égard des instances détentrices du pouvoir d’accorder ou de refuser à ces jeunes l’attribution d’un titre de séjour ou d’une tutelle. Certains disent être des exécutants malgré eux de la politique migratoire française et éprouver l’absurdité qu’il y a à devoir remplir leur mission de protection à l’égard d’enfants qui sont en même temps considérés comme des étrangers devant être refoulés à terme.
10Conditionnant le projet que l’on va pouvoir construire avec le jeune, ce problème agit comme un repoussoir pour les travailleurs sociaux (quand une situation se présente, aucun professionnel ne se précipite pour en être le référent parce que tous redoutent l’issue de la prise en charge au moment de l’accession à la majorité) ; en réaction, pour se protéger de situations de travail précarisantes pour les professionnels, les structures d’hébergement mettent un frein à l’accueil de cette population dans leurs établissements, réduisant encore les places disponibles face à des arrivées plus nombreuses ; à trop se concentrer sur ces problèmes de papiers, il y a un risque aux dires des professionnels eux-mêmes d’y réduire la prise en charge des jeunes. Or cette dernière ne saurait pourtant se résumer à l’organisation d’un support logistique et administratif pour un immigré clandestin en quête de régularisation : une prise en charge psycho-socio-éducative de ces enfants mineurs est nécessaire comme pour le public « traditionnel » de l’Aide sociale à l’enfance. En outre, la précarité de la prise en charge de ces jeunes (elle peut s’arrêter net dès leur 18e anniversaire) induit une attitude consistant à responsabiliser le jeune dès son arrivée dans le service en lui signifiant explicitement les limites de sa prise en charge. On assiste ainsi à une sorte de transfert de responsabilité sur le jeune lui-même, qui se trouve placé en position d’assumer la précarité de sa situation à plus ou moins long terme et les conditions de vie découlant de son « choix » d’entrer illégalement sur le territoire et d’y rester.
Histoires et mensonges à répétition ?
11La question des mensonges a été évoquée par la quasi-totalité des professionnels que nous avons rencontrés. Leur méfiance s’exerce à l’égard de l’âge du jeune, de son isolement, ainsi que de ce qu’il dit, ou omet de dire, avoir vécu, plus rarement à l’encontre de son identité même. À cette idée du mensonge est fréquemment associée la figure du passeur et la crainte d’une instrumentalisation des services sociaux par des réseaux.
12Les travailleurs sociaux interrogés ne partagent pas tous le même avis sur ces mensonges, ce qui peut être source de tensions voire de conflits entre eux. La méfiance à l’égard des propos des MIE est pour certains une donnée de base qu’ils ont à l’esprit avant même d’avoir écouté ce que le mineur peut avoir à dire : plusieurs d’entre eux concèdent avoir du mal à se départir de cette idée lorsqu’ils abordent une situation de MIE. D’autres envisagent ces mensonges de façon différente : diverses motivations poussent ces jeunes à migrer et la fin justifie les moyens. En l’occurrence, le système de protection de l’enfance français offre les conditions d’un séjour sur le territoire plus ou moins long après la majorité selon des critères bien définis que tous ne remplissent pas et peuvent donc chercher à inventer.
13Reste que ces mensonges constituent un handicap pour les professionnels qui sont alors privés d’un axe de travail essentiel : le vécu des enfants. Les mensonges que racontent les MIE sur leur parcours de vie aboutissent à voir façonnée par eux une matière première qui n’est pas celle sur laquelle entendent agir les professionnels et qui, si elle n’est pas prise en considération, risque de compromettre le processus d’accompagnement.
14Dans les cas extrêmes de mutisme des jeunes, de refus catégorique de « se livrer » ou de travestissement avancé de la réalité, les professionnels pourront avoir la mission, dont ils ont la certitude qu’elle est vouée à l’échec, d’accompagner un enfant sans passé connu, non pas « vers et avec lui » mais « à côté de lui » et de ses « besoins ». Le droit de se taire, lorsqu’il est exercé par des MIE, donne majoritairement lieu à des jugements négatifs de la part des travailleurs sociaux. Certains d’entre eux dénoncent alors en particulier la tendance des jeunes à se satisfaire d’une prise en charge matérielle et financière et s’interrogent sur la nécessité pour eux d’être accueillis à l’ASE.
Des enfants à protéger par l’Aide sociale à l’enfance ?
15La majorité des travailleurs sociaux et leur encadrement estiment que s’il n’y a pas nécessairement d’urgence pour tous les MIE, il existe toujours au moins un risque de danger qui justifie la prise en charge de ces mineurs. Les travailleurs sociaux rencontrés qui s’interrogent sur la pertinence et l’utilité d’une telle prise en charge soulignent, le plus souvent, que les mineurs étrangers isolés ne constituent pas le public que l’institution a l’habitude d’accueillir. Les enfants qui sont accueillis traditionnellement à l’ASE ont besoin de sa protection par rapport à leurs parents, avec lesquels ils ont des difficultés pouvant aller jusqu’à la maltraitance grave. Le maintien ou la restauration des liens familiaux, en tout cas le travail autour de la relation parents-enfants constitue un axe essentiel, un repère dans la théorie et la pratique professionnelles des travailleurs sociaux de l’ASE, voire même une spécificité de ces professionnels par rapport à ceux des structures associatives qui comptent les mineurs étrangers isolés comme public-cible. Or, entre les mineurs qui sont orphelins, ceux qui ne savent pas où se trouvent leurs parents, les parents qui sont injoignables malgré l’adresse ou le téléphone fournis par le jeune, et ceux dont la localisation est tenue secrète par les enfants, il ne reste que peu de situations qui, malgré la distance, verront les parents impliqués, ne serait-ce qu’a minima par un échange de courrier ou un appel téléphonique. C’est bien pour pallier cette vacance de l’autorité parentale qu’il est fait appel au plan juridique aux tutelles et administrations ad hoc. Mais se passer de l’aspect immatériel, affectif et moral du support parental est moins évident.
16Il y a une forme d’absence de culture professionnelle sur la façon de travailler avec des mineurs par définition autonomes parce qu’ils sont sans représentants légaux, et avec lesquels le but n’est pas la plupart du temps de permettre une réinsertion familiale mais la construction d’un projet de vie sans qu’il y ait obligatoirement de représentants familiaux dans la dynamique de travail.
17De là à considérer que cette différence devrait se traduire par une prise en charge des MIE par des associations plutôt que par l’ASE, il n’y a qu’un pas que certains des professionnels interrogés franchissent. Cette opinion est liée au débat sur le point de savoir si la prise en charge de ces mineurs ne relèverait pas davantage de l’État (dans une logique de contrôle des flux migratoires) que des services territoriaux d’Aide sociale à l’enfance dans une logique de protection de l’enfance. Ce débat est d’autant plus vif qu’il est alimenté par des questions litigieuses de financement entre l’État et les conseils généraux. La remise en cause de la nécessité et de la légitimité de la prise en charge par l’ASE des MIE est renforcée chez plusieurs des professionnels interrogés par l’idée que les MIE constituent, au-delà de leur spécificité, un obstacle à la prise en charge du public traditionnellement accompagné par l’ASE, compte tenu de l’engorgement des structures d’accueil et établissements relevant de l’ASE. Les travailleurs sociaux sceptiques sur l’opportunité d’attribuer aux mineurs étrangers isolés un référent à l’ASE expriment en parallèle leur difficulté à identifier les attentes et besoins de ces jeunes. Ils peuvent être soupçonnés d’instrumentaliser en quelque sorte l’institution en lui faisant jouer la seule fonction de pourvoyeuse de fonds.
18Notons toutefois que tous les travailleurs sociaux interrogés ne mettent pas l’accent sur les différences des MIE avec les autres enfants accueillis à l’ASE. Les entretiens conduits avec une partie d’entre eux mettent en évidence que les MIE sont pour eux des jeunes comme les autres, qu’ils ont autant de légitimité à être pris en charge à l’ASE, et que, dans l’ensemble, eux-mêmes exercent leur fonction de travailleur social avec eux comme avec les autres enfants. Dans cette perspective, les MIE ont légitimement droit à une prise en charge éducative au même titre que les autres enfants accueillis au sein du dispositif de droit commun de la protection de l’enfance, les uns et les autres ayant en commun d’avoir tous eu un parcours difficile qui a motivé leur prise en charge. Comme les autres enfants et adolescents accueillis au service, les mineurs isolés étrangers sont « en souffrance » : plusieurs des travailleurs sociaux interrogés évoquent celle qu’ils savent ou subodorent être la leur. Mais cette souffrance les met, une fois de plus, à part des autres publics pris en charge, en ce qu’elle a partie liée avec l’isolement et l’exil, une problématique que ne côtoient pas habituellement les travailleurs sociaux de l’ASE de façon aussi directe.
19***
20Au total, on perçoit l’impasse dans laquelle on se trouve quand on tente de penser les besoins des mineurs étrangers isolés et d’identifier la spécificité de la protection à assurer pour eux en référence à la catégorie de l’enfance maltraitée. Plus largement, leur situation en France et les conditions actuelles de leur prise en charge soulignent les contradictions qu’il peut y avoir entre deux catégories de politiques publiques qui visent des objectifs différents et difficilement conciliables sur le plan des principes comme des pratiques : politique d’immigration d’un côté dans une logique de contrôle des flux migratoires et politique de protection de l’enfance de l’autre, dans une optique de protection donc et de défense de l’intérêt dit « supérieur » de l’enfant. On peut par conséquent avancer que la protection dont ces mineurs bénéficient sur le territoires français et européen ne saurait être améliorée de façon significative pour l’ensemble d’entre eux sans que la politique d’immigration ne soit elle aussi largement revue à nos frontières et à celles de l’Union européenne.
Bibliographie
Bibliographie indicative
- Besson É., 2009, « Premières propositions issues du groupe de travail sur les mineurs étrangers isolés », communiqué de presse du ministère de l’Immigration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, 18 novembre.
- Causes communes (mensuel de la Cimade), 2010, « Enfants : les malmenés des migrations », dossier, n° 64, mars.
- Commission européenne, 2010, « Plan d’action pour les mineurs non accompagnés (2010-2014) », Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, COM(2010)213/3, 5 mai.
- Debré I., 2010, « Les mineurs isolés étrangers en France », rapport d’Isabelle Debré, sénatrice des Hauts-de-Seine et Parlementaire en mission auprès du Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés, Michèle Alliot-Marie, remis le 10 mai.
- Défenseure des enfants, 2008, « Mineurs étrangers isolés. Vers une harmonisation des pratiques dans l’intérêt supérieur de l’enfant », actes du colloque du 20 juin ; « 25 recommandations pour contribuer à l’élaboration d’une stratégie de prise en charge des mineurs étrangers isolés », dossier de presse consacré aux propositions de la Défenseure des enfants à l’occasion du colloque du 20 juin, p. 36-42.
- Etiemble A., 2002, « Les mineurs étrangers isolés en France. Évaluation quantitative et qualitative de la population accueillie à l’Aide sociale à l’enfance », étude réalisée pour la Direction de la Population et des migrations (DPM).
- France Terre d’Asile, 2010, « Mineurs isolés étrangers : des enfants en quête de protection », 1res Assises européennes, synthèse des débats du 17 décembre 2009 ; 2000, « Quelle protection en Europe pour les mineurs isolés ? », actes du colloque du 27 octobre 2000.
- Jovelin E. (dir.), 2003, « Contribution à une analyse sociopolitique des mineurs isolés étrangers », Institut social Lille-Vauban, Université catholique de Lille, Groupe d’études et de recherches en travail social.
- Paquet M., 2010, « Les mineurs étrangers isolés au cœur des impasses des politiques publiques », Actualités sociales hebdomadaires, n° 2647, 19 février, p. 28-31,.
- Roméo C., 2003, « Mineurs non accompagnés et enfants clandestins. Protection-Hébergement-Scolarité-Accès aux soins. L’expérience de la Seine-Saint-Denis », disponible sur http://www.pediatrie-sociale. org/romeo_c_dec03.pdf
- Vigan E. et Ubrich L., 2009, « Mineurs étrangers isolés : système en situation irrégulière », Bulletin de la Protection de l’Enfance, n° 18, octobre.
Notes
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[1]
Voir notamment : Défenseure des enfants, 2008 ; Besson, 2009 ; FTDA, 2010 ; Debré, 2010 ; Commission européenne, 2010.
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[2]
Le présent article s’appuie sur une recherche menée pour l’obtention d’une maîtrise de sociologie en 2004. L’analyse a été conduite à partir de l’exploitation de 30 dossiers individuels de MIE (ou jeunes majeurs anciennement MIE toujours suivis par le service au moment de l’enquête) et de la réalisation d’entretiens semi-directifs avec les 17 travailleurs sociaux « référents » de MIE et les 5 membres de leur encadrement fonctionnel et/ou hiérarchique (chefs de services socio-éducatifs, responsables du service). Les 30 mineurs étrangers isolés sur lesquels a porté cette recherche (19 filles et 11 garçons), âgés pour les trois quarts d’entre eux de 15 ans et plus à leur arrivée, étaient originaires, par ordre décroissant, du Congo-Kinshasa, de Chine, d’Angola, du Maroc, du Cameroun, du Congo-Brazzaville, de Côte d’Ivoire et d’Inde.
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[3]
Ces discours s’appuient sur des représentations de l’étranger. Ils véhiculent des jugements de valeurs, implicites le plus souvent, sur les « bonnes » ou moins bonnes raisons d’être en France. La présence des réfugiés, des rejoignants voire des exploités serait plus « légitime » que celle des conquérants ou des confiés. C’est ce qui ressort des entretiens que nous avons menés ainsi que de la littérature (articles de presse, rapports, travaux de recherche, déclarations de responsables politiques, etc.) que nous avons consultée sur le sujet. Voir notamment Etiemble, 2002.
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[4]
Ce travail de catégorisation s’inspire de la typologie des mineurs isolés étrangers mise au point par Angélina Etiemble (Etiemble, 2002), laquelle compte cinq grandes classes de candidats au départ : les exilés, les mandatés, les exploités, les fugueurs et les errants.
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[5]
Le mythe de l’eldorado occidental opère aussi sur les imaginaires des mineurs, garçons et filles. Une adolescente chinoise a ainsi réussi à convaincre ses parents de la laisser partir pour un pays où la situation faite aux filles et aux femmes serait moins de nature à entraver ses projets personnels.
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[6]
Une fois entrés et restés sur le territoire hors de toute procédure légale, les mineurs sont protégés contre toute mesure d’éloignement : contrairement aux majeurs, ils bénéficient d’une protection absolue contre l’expulsion et la reconduite à la frontière et n’ont pas à justifier de la régularité de leur situation (un titre de séjour n’est obligatoire qu’à partir de l’âge de 18 ans). Depuis la loi du 26 novembre 2003, un délai minimal de trois années de prise en charge par l’ASE est désormais exigé pour l’acquisition de la nationalité française par déclaration. Ne remplissant pas cette condition, les mineurs arrivés en France après l’âge de 15 ans doivent désormais obtenir un titre de séjour pour régulariser celui-ci. Faute de quoi, à 18 ans, ils deviennent des adultes en situation irrégulière, donc expulsables.
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[7]
Les professionnels doivent composer avec le positionnement – loin d’être uniforme – des magistrats (juges des enfants, des tutelles, parquet) de leur département par rapport à l’accueil et à la prise en charge des mineurs étrangers isolés – ce dont attestent les études comparatives sur l’accueil et de la prise en charge des MIE dans différents départements et services territoriaux d’Aide sociale à l’enfance.