Couverture de INSO_146

Article de revue

... en contrepoint - Une sombre histoire d'adoption

Pages 81 à 82

Guy de Maupassant, Contes et nouvelles, éditions Albin Michel, 1956

1La population normande des campagnes et des bourgs que Maupassant met en scène dans ses Contes et nouvelles n’a pas grand-chose pour séduire : visages et corps dépourvus de grâce, cervelles embuées par le calvados, rapports sociaux corrodés de méfiance. Et partout présente, une avarice sordide qui foule aux pieds compassion et humanité. Aux champs, c’est l’histoire d’une adoption. Une histoire dramatique, non pas tant à cause des faits en eux-mêmes, que parce que les sentiments sont dépouillés de toute noblesse, que les motivations dévoilent des âmes pauvres et avides. Une jeune bourgeoise, stérile, veut à tout prix un enfant. C’est le caprice d’une enfant gâtée, autoritaire, aux désirs de laquelle on s’est toujours soumis. C’est son mari qui mène les tractations, pas tellement semble-t-il parce qu’il est en mal de paternité, mais plutôt pour ne pas déplaire à sa femme, pris au piège qu’il est de sa volonté égoïste à elle. Des souffrances du couple, de leurs espoirs toujours déçus, de l’érosion possible d’une union menacée, Maupassant ne nous dit rien : le désir d’enfant se réduit à une envie quasi épidermique qui n’est pas lestée par l’énergie et le désespoir d’un manque vital.

2Du côté des paysans, pas plus de chaleur humaine. Deux familles pauvres, chargées d’enfants qu’elles ont de la peine à nourrir. Ceux-ci vivent dans une telle promiscuité que les parents les confondent, comme si la misère abolissait instincts maternel et paternel. La première famille refuse de vendre un fils non pas tant par amour que par la résurgence d’une morale conventionnelle qui dicte à la mère des accents d’une indignation sincère… La deuxième famille accepte, après un long marchandage destiné à faire monter les enchères. La puissance de l’argent triomphe et la jeune bourgeoise “emporte le marmot hurlant comme on emporte un bibelot désiré d’un magasin”. L’aspect juridique est bâclé.

3Des années passent. La mère de Charlot, celle qui n’a pas voulu le vendre, s’est construit une réputation de vertu exemplaire dans tout le voisinage. Charlot lui-même s’est auréolé de la gloire de n’avoir pas été vendu. L’autre famille, celle qui s’est laissé “corrompre”, prospère grâce à la rente mensuelle versée par les adoptants, ce qui aiguise les haines. Puis survient la catastrophe. Elle frappe les misérables et pas les nantis (ce qui montre bien le pessimisme foncier de Maupassant et sa subtile ironie) : le fils vendu revient au village, dans tout l’éclat de sa splendeur bourgeoise. Il se pavane, embrasse sans sourciller ses parents naturels. Ébauche d’un conflit affectif entre les deux mères ? Rien ne l’indique. Ce qui intéresse Maupassant, c’est la cruauté de Charlot, ivre de rage et de ressentiment à la vue de ce gandin doré sur tranche qu’il aurait pu être. Mais qu’il n’est pas à cause de la “sottise” de ses parents. Il fracasse ce qui est le fondement de leur fierté par une injure définitive : “Manants, va !”, et les abandonne à leur néant.

4Une histoire triste. Infiniment triste. Elle dépouille l’adoption de tout ce qui s’y joue de générosité vraie. De douleur aussi. Elle en fait une transaction plutôt sordide que l’absence d’amour réduit à n’être que le palliatif (pour une jeune bourgeoise) à une frustration puérile, à une détresse économique (pour les paysans).


Date de mise en ligne : 12/05/2008

https://doi.org/10.3917/inso.146.0081

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