Notes
-
[1]
R. Houin, “Les incapacités”, RTD civ., 1947, p. 383.
-
[2]
R. Houin, loc. cit.
-
[3]
J. Hauser, “La notion d’incapacité”, Les petites affiches, 17 août 2000, p. 3.
-
[4]
Recommandation R(99) du Comité des ministres, 26 février 1999, principe 3, “Préservation maximale de la capacité”.
-
[5]
Ph. Malaurie, P.-J. Claux et N. Couzigou-Suhas, Les personnes, les incapacités, Cujas, 5e édition, 2000, n° 499, p. 237.
-
[6]
J.-M. Plazy, La personne de l’incapable, thèse de doctorat, Éditions La Mouette, 2001.
-
[7]
Ph. Conte et J.-C. Montanier, “Les actes patrimoniaux du mineur non émancipé”, JCP N 1986, I, p. 401.
-
[8]
G. Goubeaux, Traité de droit civil, les personnes, LGDJ, 1989, n° 392, p. 358.
-
[9]
Exclu de la part du mineur qui ne fait pas partie de la procédure (art. 388-1, al. 3) et à repousser s’agissant d’une mesure d’instruction qui ne tranche pas une partie du principal (N. C. pr. civ., art. 545).
-
[10]
CE, 10 mars 1995, D. 1995, p. 617, note F. Benhamou ; Cass. civ. 1re, 13 juillet 2005, RTD civ. 2006, p. 101, obs. J. Hauser.
-
[11]
Il serait illusoire de comparer l’infans et le grand mineur.
-
[12]
F. Gisser, “Une institution en cours de formation : la prémajorité”, JCP 1984, I, 3142.
-
[13]
F. Bétaillole-Gonthier, La capacité naturelle, thèse, Bordeaux-IV, 1998.
1C’est parce qu’il faut le protéger que le mineur est un incapable juridique : l’enfant ne peut exercer seul les droits dont il est titulaire. Ce principe entre en contradiction avec la convention internationale des droits de l’enfant, qui œuvre à la reconnaissance et à l’exercice de ces droits. Au-delà de l’engouement concernant les droits de l’enfant, quelle en est la réalité juridique ?
2Alors que la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) porte l’engagement des États signataires de reconnaître aux mineurs des droits fondamentaux, notre droit national continue d’affirmer l’incapacité juridique du mineur. Cette reconnaissance de droits au niveau international et l’impossibilité de les exercer au niveau national seraient à l’origine d’une contradiction apparente peu flatteuse pour notre droit national.
Un paradoxe apparent
3L’allusion à une contradiction dénote incontestablement une confusion entre deux notions juridiques : celle d’incapacité et celle de droits subjectifs. Alors que tout individu est titulaire, à compter de sa naissance, de droits subjectifs, force est de constater qu’une partie de la population est privée de la possibilité d’exercer ses droits. Cette inaptitude à pouvoir agir seul et à exercer librement ses droits ne touche plus aujourd’hui que deux catégories de personnes : les mineurs de moins de 18 ans et les majeurs qu’une altération des facultés personnelles met dans l’impossibilité de pourvoir seuls à leurs intérêts (C. civil, art. 488 ).
4Le mot “incapacité”, bien qu’il soit l’un des plus usuels de la langue française, est un véritable concept juridique, auquel de nombreux intérêts sont attachés [1]. De manière traditionnelle, la doctrine française a été amenée à distinguer les incapacités de défiance et de protection, d’une part, et les incapacités de jouissance et d’exercice, d’autre part. L’incapacité du mineur s’inscrit dans le domaine des incapacités de protection : c’est parce qu’il est jeune et inexpérimenté que le mineur se voit privé de la capacité juridique d’exercice. On décrit habituellement l’incapacité de jouissance comme l’inaptitude à être sujet de droits et d’obligations, tandis que l’incapacité d’exercice est l’inaptitude à faire valoir ses droits, par soi-même, dans la vie juridique. “L’incapacité de jouissance contient virtuellement l’incapacité d’exercice correspondante, mais la réciproque n’est pas vraie, et il est courant que l’on ait la jouissance d’un droit sans être capable de l’exercer” [2]. Alors que l’une est irrémédiable, l’autre trouve un remède dans le recours à un représentant ou à un assistant qui palliera l’impossibilité de l’individu d’exercer son droit, comme dans la situation de tutelle. L’évolution a montré une érosion de l’incapacité en général et de l’incapacité de jouissance en particulier : elle ne vient plus frapper l’individu que lorsque son intérêt direct le commande [3] ou que l’on craint pour la bonne marche de la société. Ce mouvement de réduction des incapacités, amorcé au début du XXe siècle, est loin d’être terminé, en particulier dans le cas des incapacités de protection : toutes les fois que la personne est susceptible d’agir elle-même ou est capable de donner un avis, émerge l’idée qu’une initiative devrait lui être reconnue [4].
5C’est ainsi que le mineur, jusqu’à ses dix-huit ans, doté d’une capacité de jouissance presque complète, est juridiquement titulaire de droits subjectifs, mais ne peut pas toujours les exercer.
6L’incapacité juridique n’est pas une sanction, mais une protection qui doit pallier l’incapacité naturelle à pouvoir exercer seul ses droits. “Aussi, dans le droit des incapacités y a-t-il de puissants et nobles sentiments : la solidarité et la miséricorde, la pitié, l’entraide et l’amour, la compassion et le combat contre la cupidité, contre l’exploitation de la faiblesse d’autrui, contre la domination des puissants et contre la déchéance de ceux qui sont fragiles” [5]. Si l’incapacité d’exercice est aisément compréhensible pour les jeunes mineurs, par nature peu confrontés au commerce juridique, elle est susceptible de se transformer en carcan pour les mineurs plus âgés qui n’ont pas la possibilité d’agir valablement par eux-mêmes. L’incapacité d’exercice, sans aller jusqu’à supprimer la personnalité, entraîne une restriction de l’autonomie personnelle, elle fait ombrage à la personne [6].
Un paradoxe dépassé dans certains cas
7Il serait pourtant faux de croire que le mineur est frappé d’une incapacité d’exercice totale jusqu’à ses 18 ans. L’article 389-3 dispose en effet que son administrateur légal le représente dans tous les actes civils, sauf pour les cas dans lesquels la loi ou l’usage l’autorise à agir seul. Cette disposition légale ouvre une perspective réelle à la capacité d’exercice et permet au mineur, en particulier en matière personnelle, de faire valoir ses droits et de les exercer. Cette extension de la capacité d’exercice peut ainsi trouver sa source dans la jurisprudence et dans la loi.
8L’acte usuel est une notion cadre imposant une appréciation de la part du juge qui estime, au cas par cas, si l’acte envisagé est ou non un acte usuel. Cette notion inaugure une “prémajorité ouverte” [7] calquée sur la capacité naturelle : le mineur peut accomplir seul et valablement tout acte qui sera considéré comme usuel. La notion d’acte usuel n’est pourtant pas une panacée : la qualification dudit acte est “variable selon l’époque, le lieu, l’âge du mineur, son milieu social, etc.”, et “l’usage ne peut qu’être constaté a posteriori par le juge… avec une inévitable part de subjectivité” [8].
9Plus commode est, en revanche, l’intervention législative qui déclare solennellement que le mineur peut accomplir seul et valablement un acte juridique. C’est essentiellement dans le domaine personnel que la loi est intervenue, réalisant ainsi une conciliation entre les droits de l’enfant et la capacité juridique du mineur : les mineurs se voient non seulement reconnaître des droits, mais ils peuvent les exercer. Alors que l’article 8 de la CIDE précise que les États signataires s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris son nom, l’article 61-3 du Code civil dispose que le changement de nom de l’enfant nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l’établissement ou d’une modification de son lien de filiation. La capacité d’exercice reconnue au mineur est ici totale, puisque son refus du changement de nom ne peut qu’être respecté par ses parents et par le juge. Il en va de même en cas d’interruption volontaire de grossesse. Depuis la loi du 4 juillet 2001, la mineure dispose d’un véritable droit pour décider seule d’interrompre sa grossesse. Si l’article L. 2212-7 du Code de la santé publique dispose encore que lorsque la femme est mineure non émancipée, le consentement de l’un des titulaires de l’autorité parentale est recueilli, il ajoute que lorsque la mineure ne veut pas effectuer cette démarche ou que le consentement n’est pas obtenu, l’interruption volontaire de grossesse ainsi que les actes médicaux et les soins qui lui sont liés peuvent être pratiqués à la demande de l’intéressée. La reconnaissance d’une capacité d’exercice est ici indéniable, mais demeure une exception.
Une contradiction souvent vérifiée
10Les cas dans lesquels la loi reconnaît une capacité d’exercice pleine et entière aux mineurs restent exceptionnels et demeurent souvent cantonnés au domaine médical, à l’identité du mineur, à l’établissement de sa paternité ou de sa maternité. C’est une sorte de domaine réservé qui est ainsi concédé parce que sont concernés des actes éminemment personnels. Faute de reconnaître une capacité d’exercice au mineur, on risque de transformer l’incapacité d’exercice en incapacité de jouissance. Qui d’autre que le mineur pourrait reconnaître son propre enfant ou rédiger son testament ? En lui interdisant de réaliser cet acte, on lui enlève un droit subjectif pour lequel la représentation juridique est impossible. La capacité d’exercice s’impose ici sous peine de condamner un droit subjectif. Elle reste toutefois exceptionnellement rare. Le plus souvent, le mineur retombe dans l’incapacité. Le droit d’ester en justice constitue un très bon exemple.
11Du fait de son incapacité d’exercice, le mineur ne peut ester en justice. Une seule exception à ce principe : le domaine de l’assistance éducative. L’article 375 dispose que des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées à la requête des mère et (ou) père, de la personne ayant la charge de l’enfant, du tuteur, ou du mineur lui-même ou du ministère public. La capacité ainsi reconnue au mineur est loin de se limiter à la simple saisine du juge pour enfants : l’article 375-6 lui permet de demander la modification d’une mesure provisoire ou définitive ; à l’échéance de chaque mesure, le juge est amené à l’entendre et il doit s’efforcer de recueillir son adhésion (art. 375-1, al. 2). Par dérogation au principe d’incapacité, le mineur peut faire appel de tout jugement au fond (N. C. pr. civ., art. 1191) sans être obligé d’être assisté ou représenté par un avocat (N. C. pr. civ., art. 1192). Il en va de même pour les mesures provisoires de placement (art. 375-5). En revanche, lorsque le mineur n’est pas dans une situation de danger, mais qu’il souhaite simplement être entendu par le juge, on ne peut plus parler de véritable capacité d’ester en justice mais de simple faculté d’être entendu par le juge. Avec l’article 388-1 du Code civil, issu de la loi du 8 janvier 1993, le législateur français a repris l’un des vœux de la CIDE : permettre à l’enfant d’être entendu dans toute affaire le concernant. Cette audition présente l’avantage de ne pas faire du mineur une partie à la procédure, mais ne constitue pas un droit absolu. À la lecture de l’article 388-1, on pourrait croire que le législateur a consenti au mineur un véritable droit à être entendu. À supposer qu’il en soit ainsi, on devrait admettre que le refus d’entendre le mineur puisse faire l’objet d’un recours [9], or il n’en est rien. L’article 338-3 du Nouveau Code de procédure civile dispose que “la décision statuant sur la demande d’audition formée par le mineur n’est susceptible d’aucun recours”. On s’étonnera d’un tel choix alors même que l’article 388-1 alinéa 2 prévoit que, lorsque le mineur en fait la demande, son audition ne peut être écartée que par une disposition spécialement motivée. Est-ce à dire que la motivation ne puisse jamais faire l’objet d’un contrôle ? Assurément, la réponse est négative. Mais ce contrôle ne sera jamais initié par le mineur… atteint par une incapacité d’exercice.
12Que dire du droit de maintenir des relations avec ses parents (CIDE, art. 9) ou avec des tiers proches (ancien concubin de l’un de parents ou grands-parents) si le droit d’ester en justice n’existe pas ? Sommes-nous alors en droit de parler de contradiction ? Oui : l’incapacité juridique pourrait ainsi conduire à méconnaître une partie des droits reconnus par la convention internationale des droits de l’enfant.
Une base prometteuse : la CIDE
13La convention internationale des droits de l’enfant serait-elle parée de toutes les vertus et l’incapacité d’exercice affublée de toutes les tares ? Celle-là reconnaîtrait des droits fondamentaux aux mineurs qu’ils ne pourraient pas exercer faute de capacité d’exercice. Pareille conclusion serait non seulement décevante mais surtout bien éloignée de la réalité juridique et sociale. En premier lieu, il conviendra de rappeler que la convention internationale impose des obligations aux États signataires et que tous les droits qu’elle reconnaît aux mineurs ne peuvent être d’application directe devant les juridictions françaises [10]. En second lieu, la solution ne peut être trouvée dans un octroi généralisé de la capacité d’exercice aux mineurs. Ne serait-ce que parce que tous les mineurs ne sont pas dotés du même discernement et que la minorité impose la protection [11]. S’il est envisageable de donner aux mineurs une capacité d’exercice anticipée, il faut en mesurer les limites. Cette capacité exceptionnelle ne peut concerner que certains actes ou suppose l’instauration de seuils d’âge. Dès lors, deux autres voies sont possibles : l’instauration d’une “prémajorité” et le développement de la technique de l’assistance.
14La “prémajorité” se définit comme “la situation juridique intermédiaire entre la minorité et la majorité, préparant le mineur au libre exercice de ses droits civils” [12] en lui octroyant des îlots de capacité et permettant ainsi une ascension vers la capacité. Attirante, l’institution n’en demeure pas moins bien difficile à mettre en place. D’abord, quel critère devrait être choisi pour accorder la “prémajorité” : qualitatif (le discernement) ou quantitatif (l’âge du mineur) ? Ensuite, quels droits le mineur pourrait-il exercer seul ? Surtout, comment protéger celui qui exercerait des droits contraires à ses intérêts ? Le mineur qui se prévaudrait de la liberté de croyance pourrait-il imposer à ses parents l’entrée dans une secte ? L’accès à une capacité élargie ne devant pas s’accompagner d’une disparition de la protection du mineur, la “prémajorité” imposerait un maintien de l’autorité parentale jusqu’à la majorité de l’enfant et un droit d’opposition parental. Cette harmonie entre liberté et protection, dans le cadre d’une “prémajorité”-institution, paraît pourtant difficile à réaliser.
15Resterait alors la technique de l’assistance. Cette dernière permettrait sans doute de conjuguer exercice d’un droit et le maintien d’une protection : le mineur pourrait agir seul dès lors que ses parents auraient donné leur consentement. Une fois encore, les risques de dérives existent, les parents risquant de refuser de donner leur consentement non pour protéger l’enfant mais pour l’empêcher de prendre son envol.
16La contradiction serait-elle donc insurmontable ? On ne saurait le penser. D’abord parce que la capacité de jouissance du mineur, titulaire de la quasi-totalité des droits reconnus par la CIDE, fait disparaître le paradoxe. Ensuite parce que certains des droits reconnus par la CIDE donnent lieu à une capacité d’exercice imposée par notre droit positif. Enfin, il ne faut jamais oublier que les mineurs sont des majeurs en devenir, ce qui suppose de les initier à l’exercice de leurs droits tout en maintenant une protection. Cette conciliation entre liberté et protection passe, selon l’âge du mineur et selon le type d’acte envisagé, par les mécanismes de la “prémajorité” ou de l’assistance. Associé à la décision le concernant, le mineur sera progressivement amené à agir seul. Plus qu’une capacité d’exercice pure et simple, c’est un apprentissage de la capacité qu’il convient de mettre en œuvre en fonction de la capacité naturelle du mineur [13]. Notre droit positif s’efforce de trouver cette conciliation et utilise diverses techniques comme l’assistance ou la participation du mineur aux décisions le concernant (C. civ., art. 371-1), renvoyant ainsi au préambule de la CIDE qui rappelle le rôle essentiel de la famille dans l’épanouissement de l’enfant et dans son accession à la majorité.
Notes
-
[1]
R. Houin, “Les incapacités”, RTD civ., 1947, p. 383.
-
[2]
R. Houin, loc. cit.
-
[3]
J. Hauser, “La notion d’incapacité”, Les petites affiches, 17 août 2000, p. 3.
-
[4]
Recommandation R(99) du Comité des ministres, 26 février 1999, principe 3, “Préservation maximale de la capacité”.
-
[5]
Ph. Malaurie, P.-J. Claux et N. Couzigou-Suhas, Les personnes, les incapacités, Cujas, 5e édition, 2000, n° 499, p. 237.
-
[6]
J.-M. Plazy, La personne de l’incapable, thèse de doctorat, Éditions La Mouette, 2001.
-
[7]
Ph. Conte et J.-C. Montanier, “Les actes patrimoniaux du mineur non émancipé”, JCP N 1986, I, p. 401.
-
[8]
G. Goubeaux, Traité de droit civil, les personnes, LGDJ, 1989, n° 392, p. 358.
-
[9]
Exclu de la part du mineur qui ne fait pas partie de la procédure (art. 388-1, al. 3) et à repousser s’agissant d’une mesure d’instruction qui ne tranche pas une partie du principal (N. C. pr. civ., art. 545).
-
[10]
CE, 10 mars 1995, D. 1995, p. 617, note F. Benhamou ; Cass. civ. 1re, 13 juillet 2005, RTD civ. 2006, p. 101, obs. J. Hauser.
-
[11]
Il serait illusoire de comparer l’infans et le grand mineur.
-
[12]
F. Gisser, “Une institution en cours de formation : la prémajorité”, JCP 1984, I, 3142.
-
[13]
F. Bétaillole-Gonthier, La capacité naturelle, thèse, Bordeaux-IV, 1998.