1Parmi les premiers travaux produits par le groupe prospective (CNAF), nous avons sélectionné quatre thèmes. Les textes suivants illustrent, dans le champ de la famille, du logement, de la protection sociale et de la démographie, une réflexion sur l’avenir possible. Extraits.
Évolution des structures familiales en France
2Jérôme Minonzio – conseiller technique, CNAF
3La généralisation de la politique familiale, à la Libération, a favorisé un modèle de famille spécifique, largement battu en brèche aujourd’hui. Les structures familiales se sont complexifiées et un certain nombre de questions se posent quant à l’adéquation des prestations familiales eu égard à ces changements :
- compte tenu du mouvement d’individualisation qui se traduit par une demande d’aides ciblées, doit-on continuer à aider la famille ou les individus qui la composent ? Dans quelle mesure l’ampleur de la monoparentalité et les difficultés économiques induites par ce phénomène doivent-elles déterminer le degré de socialisation des prestations ?
- comment déterminer l’ampleur du traitement social des conséquences du divorce et des recompositions familiales ? Plus généralement, comment accompagner et soutenir les parents à tous les moments de leur vie conjugale et parentale ? N’existe-t-il pas une contradiction entre la possibilité de rompre le lien conjugal établi par le droit civil et l’injonction faite aux travailleurs sociaux d’aider à maintenir le lien parental ?
- le réseau familial est un relais pour l’action publique. Quelles seraient les conséquences du développement d’un individualisme négatif qui affaiblirait ces liens ?
À propos de l’individualisation et des régulations socio-politiques qui l’accompagnent
4Nous pouvons avancer quelques hypothèses :
- un retour vers la famille traditionnelle (femme au foyer, couple stable…) est très peu probable. Au cas par cas, des valeurs traditionnelles pourront être remises à l’ordre du jour, mais sans remettre en cause le phénomène plus profond d’individualisation et de demande d’émancipation individuelle de tous les membres de la famille. Bien que l’ampleur de cette transformation soit difficile à prévoir, on peut supposer une augmentation de la diversité des formes familiales (familles recomposées, monoparentales, homoparentales…) ;
- même si la sphère productive et la sphère des politiques publiques sont marquées par un certain retranchement de l’État, la puissance publique restera un acteur de la régulation de la question familiale. La neutralité libérale de l’État à l’égard des formes familiales est en partie un leurre et n’implique pas un désengagement de la puissance publique. En effet, la demande d’intervention de cette dernière pour garantir l’effectivité des droits des individus est croissante. L’État est appelé pour permettre à chacun de s’épanouir selon ses vœux et favoriser ainsi la diversification des formes familiales ;
- le besoin de stabilité du système de parenté demeure, notamment sous l’angle de la filiation. Les réformes récentes du droit de la filiation ont cherché à renforcer ce lien, alors que, dans le même temps, les règles de l’alliance étaient assouplies et que le lien de germanité se diversifiait avec l’essor des familles recomposées. Les réformes de la filiation sont fondées sur l’idée que la stabilité de ce lien est essentielle pour l’éducation et l’épanouissement de l’enfant ; et plus généralement qu’il s’agit d’un élément constitutif de l’ordre social. Grâce à ces réformes qui ont notamment permis une égalité entre les enfants légitimes et les enfants nés hors mariage, le lien de filiation devrait peu évoluer dans la décennie à venir. En revanche, c’est à l’âge adulte que la trajectoire des individus serait plus instable. Ceux-ci évolueront du statut de célibataire à celui de parent, voire à celui de divorcé, puis de beaux-parents, de grands-parents… L’ampleur de cette instabilité est très difficile à prévoir ;
- l’évolution des structures familiales est inséparable à la fois du système de normes qui régit l’ordre social et de la puissance publique. L’individu évolue au sein du trinôme société/État/famille, qui est en tension permanente autour d’éléments contradictoires :
- l’émancipation individuelle et son corollaire de diversification des formes familiales ;
- le besoin anthropologique d’un système de parenté stable ;
- le besoin de stabilité de l’ordre social, garanti par l’État, qui délègue à la famille des fonctions d’encadrement et de reproduction du capital social et économique.
Trois scénarios possibles quant à l’avenir des structures familiales
5> Hypothèse optimiste : un trinôme harmonieux
6La diversification des formes familiales se poursuit mais fait l’objet d’une régulation politique souple. Les individus, forts de nouveaux droits, assument de nouvelles obligations (les beaux-parents par rapport à leurs beaux-enfants, les enfants par rapport à leurs parents…). La famille est préservée et renforcée comme réseau social élémentaire et primordial, mais dont les contours peuvent s’adapter au cours de l’existence des individus. Forte d’un statut social, anthropologique et juridique spécifique, elle permet l’épanouissement de ses membres et une reconnaissance égalitaire des formes familiales, quelles que soient les pratiques sexuelles ou les formes d’alliance.
7L’autorité dans le système de parenté nécessaire à l’égard des enfants n’est pas mise en défaut ni contestée. Le droit civil et les pratiques sociales sont mis en conformité complète, grâce à une diversification des contrats d’alliance (PACS, concubinage…) et à l’établissement d’une égalité des concubins et des époux mariés à l’égard de l’héritage. La confiance dans l’ordre social et le respect des aspirations individuelles (comme l’égalité homme/femme et la conciliation vie familiale/vie professionnelle) sont favorables à une reprise de la natalité. Ce scénario est marqué par une capacité d’adaptation très élevée du droit et des politiques sociales à absorber les conséquences de l’individualisation.
8> Hypothèse médiane : un trinôme perturbé
9Dans ce scénario, une partie des conséquences négatives de l’individualisation ne sont pas traitées et l’équilibre entre contractualisation et maintien des liens est introuvable. L’adaptation du droit civil (l’égalité des différents types de famille, la régularisation du statut du beau-parent, la réforme de l’héritage) n’est pas complète. L’offre de service des politiques sociales reste limitée et/ou sous-efficiente pour ce qui est de la gestion de l’après- divorce. Les réformes récentes du droit civil (garde alternée, lien de filiation, alliance) font l’objet d’évaluations contradictoires et polémiques, rendant difficile un consensus politique en vue de son adaptation.
10> Hypothèse pessimiste : un trinôme déstructuré (éclatement du triangle)
11L’évolution vers un individualisme égoïste se traduit par une société anomique, aggravée par une capacité de régulation de la puissance publique faible ou nulle. Différents phénomènes sont observables : l’augmentation de l’instabilité des unions, par ailleurs de plus en plus courtes ; l’augmentation de la morbidité et des déviances juvéniles ; la contestation permanente de l’ordre social et des différents systèmes d’autorité ; la rupture du lien entre les générations ; la juridicisation à outrance et la polémique dans les rapports familiaux, avec l’augmentation à la fois des litiges conjugaux, des contestations de l’obligation d’aliment, des contentieux entre beaux-parents et parents notamment ; l’inefficacité du traitement social des ruptures familiales.
Bibliographie
12> Cécile Lefèvre, Alexandra Filhon, Histoires de familles, histoires familiales, Les cahiers de l’INED, Cahier n° 156, Paris, INED, 2005.
13> Irène Théry, Couple, filiation et parenté aujourd’hui, le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, Paris, La Documentation française/Odile Jacob, 1998.
Fécondité et accroissement naturel
14Anne-Catherine Rastier – conseillère technique politiques sociales, CNAF
15Au 1er janvier 2005, la population française est estimée à 62,4 millions et se place au deuxième rang des pays de l’Union européenne pour sa population derrière l’Allemagne. Un rythme d’accroissement de 0,5 % par an fait de la population française une des plus dynamiques. Cet accroissement naturel de la population française est un moyen de répondre au défi de l’augmentation rapide de l’âge moyen et de dynamiser la population active. Si la France a mieux résisté que les autres pays de l’Union européenne, on peut considérer que sa vitalité démographique n’est pas sans lien avec les efforts importants accomplis en matière de politique familiale. Même si la politique ne détermine pas le comportement de fécondité, elle influence de fait les décisions d’actions individuelles.
Deux principaux constats
16> Une situation démographique encourageante : les naissances se maintiennent à un niveau élevé.
17Si la France a bien été un pays d’immigration jusqu’en 1975, elle est devenue le pays d’Europe où la croissance démographique dépend le moins de l’immigration, cette dernière comptant pour un quart à un cinquième environ. Chaque année, la France recense environ 240 000 naissances de plus que de décès, tandis que le solde migratoire est estimé aux alentours de 65 000 personnes. En 2004, le solde naturel, avec une différence de 279 300 entre les naissances et les décès, atteint un niveau jamais observé en vingt ans.
18Il y avait près de 797 000 naissances en 1985. Actuellement, le chiffre est quasiment identique et même légèrement supérieur, s’élèvant à 797 400 en 2004. Entre 1985 et 1995, le nombre de naissances a diminué, passant de plus de 796 000 à moins de 760 000 (c’est en 1994 que l’on enregistre le nombre le plus faible). Depuis 1995, le nombre de naissances a progressé pour revenir à son niveau antérieur ; en 2000 et 2001, il a même dépassé les 800 000. Après deux années de stabilité, le nombre de naissances a légèrement augmenté en 2004 par rapport à 2003 (+ 3 500). Le taux de natalité est aujourd’hui de 12,8 pour 1 000, au lieu de 14,1 en 1985.
19> La population française continue de vieillir
20Le vieillissement de la population est dû à la baisse de la fécondité observée dans les années quatre-vingt-dix et à l’allongement de l’espérance de vie. La diminution de la taille des jeunes générations entraîne un vieillissement par le bas de la pyramide des âges et l’allongement de l’espérance de vie produit un vieillissement par le haut de la population.
Trois hypothèses possibles
21Les hypothèses qui se dégagent de ce constat dépendent en partie de la place que l’on fera aux changements familiaux dans l’élaboration des politiques publiques : une hypothèse moyenne, où la fécondité s’établit à 1,8 enfant par femme ; une hypothèse basse, où le taux de fécondité est proche du taux moyen observé dans l’Union européenne ; et enfin, une hypothèse haute, où le taux de fécondité est fixé à 2,1 enfants par femme, fécondité nécessaire pour qu’il y ait remplacement des générations.
22Dans tous les cas, la poursuite attendue de la baisse de la mortalité et l’arrivée aux âges élevés de générations nombreuses conduit à un vieillissement accéléré de la population à partir de 2006. Quels que soient les scénarios de fécondité envisagés, l’évolution du nombre de jeunes et du nombre d’adultes d’âge actif sera insuffisante pour contrebalancer ce mouvement. Ainsi, à partir de 2020, la population âgée de 60 ans ou plus dépassera, en effectifs comme en proportion, la population des moins de 20 ans.
23> Première hypothèse : l’indice conjoncturel de fécondité s’établit à 1,8 enfant par femme, soit le niveau moyen observé depuis un quart de siècle, et l’espérance de vie continue de croître.
24Selon cette hypothèse, la croissance de la population française est assurée jusqu’en 2040 : la France compterait alors 66,2 millions d’habitants dans le scénario tendanciel. Mais sa structure par âge serait profondément modifiée : en effet, la population âgée de 60 ans et plus, qui augmente actuellement au rythme annuel moyen de 1,1 %, va croître deux fois plus vite à partir de 2006, au rythme de 2,5 % par an, et ce jusqu’en 2035. La poursuite attendue de la baisse de la mortalité et l’arrivée aux âges élevés de générations nombreuses conduisent à un vieillissement accéléré de la population à partir de 2006.
25Sans changement de comportement, le vieillissement par le bas sera plus intense. En effet, la population féminine en âge d’avoir des enfants devrait diminuer d’environ 9 % dans les quinze prochaines années ; le nombre de naissances devrait donc également baisser à fécondité constante. La comparaison des chiffres en 2005 et 2015 dans le tableau ci-après nous montre ce vieillissement par le bas.
Évolution du poids relatif des personnes âgées dans la population totale
En % de la population totale | Proportion des 60 ans ou plus | Proportion des 75 ans ou plus |
---|---|---|
2005 | 21,0 | 8,1 |
2010 | 23,1 | 9,0 |
2015 | 25,3 | 9,4 |
Évolution du poids relatif des personnes âgées dans la population totale
26> Deuxième hypothèse : le niveau de fécondité diminue sensiblement et se situe à 1,5 enfant par femme, niveau observé pour l’ensemble de l’Union européenne.
27L’augmentation régulière de l’âge moyen à la maternité, l’espacement des naissances, l’instabilité des unions et les difficultés d’insertion sur le marché du travail peuvent avoir une influence négative sur la fécondité. En outre, l’arrivée aux âges élevés de générations de plus en plus nombreuses fait peser des risques sur le système de protection sociale. L’accélération du vieillissement entraînera des problèmes économiques. En 2030, un habitant sur trois aura plus de 60 ans, contre un sur cinq aujourd’hui. L’augmentation du nombre des personnes âgées implique celle des handicaps et des frais inhérents, auxquels s’ajouteront les difficultés du financement des retraites et les effets négatifs sur le dynamisme de l’économie quand moins d’actifs assureront la vie des retraités.
28En 2003, les ménages français ont perçu 2,8 % du PIB au titre de la famille et de la maternité. L’effort en direction des familles est relativement stable depuis une quinzaine d’années en part de PIB. Si cette tendance se maintient, on pourrait envisager que la politique familiale menée en 2015 soit une politique d’austérité, avec une faible voire une absence de revalorisation des prestations et des plafonds d’exclusion et un ralentissement certain dans le développement des services en lien avec la petite enfance.
29Dans ce contexte, les aides publiques pourraient donc être prioritairement affectées aux plus âgés. Le coût social d’entretien de ces derniers (retraite, dépendance) est privilégié au détriment de la politique familiale.
30> Troisième hypothèse : le taux de fécondité atteint 2,1 enfants par femme, il assure le renouvellement des générations.
31Depuis 1994, l’indice conjoncturel de fécondité ne cesse d’augmenter, passant de 1,7 à 1,9 en 2004. On peut donc raisonnablement penser que cet indice pourrait continuer à augmenter de 0,2 point en dix ans, pour atteindre 2,1.
32Sous l’impulsion d’une véritable politique démographique accompagnée par un cadrage européen, les politiques familiales sont relativement généreuses et la poursuite de mesures favorisant l’emploi des femmes dans la population active devrait permettre aux parents d’avoir le nombre d’enfants souhaités.
33Malgré des différences sensibles dans les évolutions qui attendent les différents pays, la perspective est celle d’un changement global des structures démographiques avec, dans l’ensemble de l’Union européenne, une augmentation du nombre de personnes âgées de 65 ans et plus et un accroissement naturel négatif. Tous sont peu ou prou appelés à relever, au cours des prochaines années, des défis d’ampleur comparable, liés aux conséquences économiques et sociales de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses nées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et à l’élévation continue de l’espérance de vie. À l’heure actuelle, aucun projet d’incitation des politiques familiales n’est en discussion, alors que l’Europe est la première concernée par le non-remplacement des générations. Néanmoins, il est fort concevable que les compétences de l’Europe s’élargissent et que l’Union soutienne et complète l’action des États membres en fixant le cadre d’une politique dynamique en direction des familles et de l’enfance.
L’évolution de la variable logement
34Christelle Guegan, Françoise Lefebvre – conseillères techniques politiques sociales, CNAF
35Elément fondamental pour l’insertion des familles dans la société, le logement constitue le premier poste budgétaire des ménages, soit un quart de leurs dépenses de consommation et 21,1 % de leur revenu disponible brut. Les aides personnelles au logement sont aujourd’hui un levier majeur de la politique publique en la matière pour permettre aux personnes et aux familles d’accéder à une habitation décente et de s’y maintenir. La politique du logement est à la conjonction de la politique économique et de la politique sociale et familiale.
Quelles sont les tendances prévisibles ?
36Les besoins en logements s’accentueront encore d’ici à 2010, en termes quantitatifs et qualitatifs. Tous les démographes s’accordent sur le fait que la population française va augmenter dans les prochaines années et vieillir dans le même temps.
37Compte tenu de l’évolution projetée du nombre de ménages entre 2000 et 2010 (soit 240 000 ménages supplémentaires par an entre 2000 et 2004 et 216 000 entre 2005 et 2010), l’INSEE estime que la demande potentielle de logements serait de l’ordre de 275 000 par an durant cette décennie. Après une période de croissance soutenue, l’évolution du nombre de ménages et de logements ralentirait au cours de la décennie 2010 à 2020.
38Ces projections reposent sur les hypothèses suivantes : un taux de fécondité stable à 1,8 enfant par femme ; un solde migratoire de 50 000 personnes ; un allongement de l’espérance de vie ; une évolution des formes classiques de vie familiale s’accompagnant, de la part des ménages, d’une demande de logements plus diversifiée, nécessitant une plus grande fluidité du marché du logement (avec des aller et retour entre le locatif et l’accession en fonction des différentes séquences familiales).
39En revanche, ces mêmes projections ne tiennent pas compte du volume de logements produits par les opérations de renouvellement urbain et du niveau des sorties nettes du parc (les logements vétustes et inconfortables ne pouvant être reloués) ainsi que du déficit de constructions de logements sociaux accumulé ces dernières années. En plus du nombre de logements à prévoir à l’horizon 2015 pour répondre à la demande et redonner une fluidité au marché, s’ajoute la dimension plus qualitative du parc de logements et de son environnement, c’est-à-dire la nécessaire adaptation des caractéristiques des logements à celles des ménages susceptibles d’y entrer (par exemple, l’accessibilité des logements pour les personnes les plus âgées), ainsi que les équipements et les services de proximité indispensables à la vie quotidienne, etc.
L’accession à la propriété demeurera une aspiration forte des ménages
40Pour nombre de ménages de catégories modestes et moyennes, l’accession à la propriété – processus favorisé par l’adaptabilité des crédits bancaires – reste toujours synonyme de promotion sociale. À court et moyen termes, on s’attend à une progression du nombre de propriétaires, rejoignant ainsi la tendance générale concernant ce statut d’occupation qui s’observe dans une majorité de pays européens.
41Pour les plus modestes et pour les personnes en situation d’exclusion ou de mal logement, l’accès au logement restera difficile. Si la tension actuellement observée sur le marché du logement perdure, l’accès au logement continuera à être difficile du fait de l’augmentation des coûts du foncier, du fait de la poussée des prix des loyers et de l’allongement des files d’attente des demandeurs de logements sociaux. Le maintien dans le logement restera incertain en raison du développement du chômage et de l’augmentation des séparations des couples. Ceci dans un contexte où le niveau des besoins ne devrait guère diminuer d’ici à la fin de la décennie.
Des compétences et des responsabilités renforcées pour les collectivités territoriales
42Progressivement, les nouvelles structures intercommunales exerceront pleinement leurs compétences pour concevoir les projets de développement de leur territoire. S’agissant des départements, les trois quarts d’entre eux considèrent que les dispositions de la loi du 13 août 2004 sont susceptibles de modifier leur politique. Ces modifications sont plus marquées dans les départements à caractère rural, moins engagés pour l’heure dans des politiques spécifiques du logement. À un horizon de cinq ans, 55 % des départements prévoient des évolutions importantes dans leurs domaines d’intervention et dans un peu plus de deux tiers de leurs modes d’intervention. De même, plus d’un département sur deux envisage d’engager des actions de cohésion sociale novatrices. Les régions, notamment celles qui sont confrontées à une crise quantitative et qualitative du logement comme l’Ile de France, se saisiront plus fortement encore des enjeux territoriaux des politiques de l’habitat.
43Si la tendance à la décentralisation observée se poursuivait, la prochaine vague de décentralisation pourrait concerner les aides à la personne. Ainsi, l’équilibre entre aides à la pierre, aides à la personne et action sociale liée au logement sera décidé localement. L’enjeu serait d’adapter au mieux l’offre à la demande de logements et de viser un objectif de mixité sociale sur les territoires.
De nouveaux équilibres à trouver entre aides à la personne, aides à la pierre et aides fiscales
44> Hypothèse 1 : Vers la “familialisation” de la politique du logement ?
45Pour influer sur la structure démographique du pays, l’accent serait mis sur des mesures favorisant l’accès et le maintien dans le logement des familles à revenus modestes. La politique publique du logement ciblerait davantage les familles. La dimension familiale interviendrait davantage, notamment dans le calcul des aides au logement, pour accompagner l’arrivée d’un nouvel enfant, ainsi que les nouvelles formes de structures familiales (familles monoparentales, familles recomposées, parents non gardiens, etc.).
46> Hypothèse 2 : Vers le ciblage des ménages les plus modestes et des personnes en situation d’exclusion ou de mal logement ?
47Dans le prolongement de la politique initiée dans les années quatre-vingt-dix (loi Besson) et compte tenu de l’accroissement des phénomènes de pauvreté, les priorités politiques privilégieraient l’accès au logement des publics vulnérables. Cette évolution se traduirait notamment par une sélectivité encore plus forte des aides à la personne en faveur des locataires. En parallèle, un système de garantie des risques locatifs de type assurantiel se développerait pour les ménages qui ne bénéficieraient plus des prestations légales liées au logement, et ce afin de garantir leur maintien dans les lieux.
48> Pour les accédants ou propriétaires occupants, l’accent sera-t-il mis sur les aides fiscales et/ou sur les aides à la pierre ?
49Aujourd’hui, il existe plusieurs mécanismes pour soutenir le projet d’accession à la propriété des personnes (prêts à taux 0 %, aides au logement…). La question est de savoir quel serait le levier d’intervention le plus incitatif pour soutenir le projet d’accession des personnes.
50Parmi les bénéficiaires des aides au logement, la population accédante dispose aujourd’hui de revenus plus élevés et ne représente que 20 % de ces bénéficiaires. Et du fait d’un barème moins favorable, les accédants supportent des taux d’effort nets médians supérieurs à ceux des locataires (25 % contre 17 %).
51Pour mieux accompagner les projets d’accession à la propriété, les aides à la personne pourraient être supprimées au profit d’aides à la pierre (prêts bonifiés distribués par les organismes bancaires, et /ou mise à disposition de terrain, ou d’aides fiscales). Pour faire face aux aléas de la vie (chômage, invalidité, décès, séparations, divorces…) ayant pour conséquence des difficultés de remboursement d’emprunt, un système assurantiel serait développé.
52> Hypothèse 3 : Vers la disparition des aides au logement en tant que telles ?
53En contrepartie de cette disparition pourrait éventuellement se mettre en place un dispositif plus large de type “revenu de solidarité active”, tel que préconisé par le rapport Hirsch en amont de la conférence de la Famille de 2005.
Sécurité sociale : quel avenir pour le pilotage du dispositif ?
54Sylvain Lemoine – CAF de Rennes
55La protection sociale dans son ensemble représente en France plus de 29 % du PIB, soit 440 milliards d’euros par an. On peut formuler deux remarques à son propos :
56• la Sécurité sociale est un instrument privilégié de la protection sociale, mais pas le seul. Chaque risque peut ainsi être concomitamment couvert par les autres administrations publiques d’une part (État, collectivités locales), et par des acteurs privés d’autre part (à but lucratif, comme les assurances, ou à but non lucratif, comme environ 100 000 associations loi 1901 sur les 700 000 existantes en France ou encore par les solidarités familiales). L’individu peut également être son propre assureur, en souscrivant une assurance individuelle dite “sur-complémentaire” ou en développant des stratégies d’épargne spécifiques (épargne immobilière pour assurer une garantie de revenu contre le risque vieillesse).
57La plupart des risques sociaux sont ainsi couverts (ou pourraient l’être) par un dispositif à trois étages, dont l’importance varie en fonction du risque et du temps : une couverture socialisée du risque (régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale) ; une couverture professionnelle du risque (complémentaires facultatives souscrites dans le cadre des entreprises) ; une couverture individuelle du risque (dans le cadre de régimes fiscaux prévus à cet effet ou selon une stratégie propre à l’individu). La priorité et l’ampleur de la couverture sociale d’un risque varient donc au cours de l’histoire en fonction de préférences collectives, de contraintes budgétaires et de rapports de forces entre les groupes sociaux.
Les scénarios possibles
58Tous les scénarios qui suivent prennent acte de l’émergence et du développement d’une “société du risque”, selon l’expression du sociologue Ulrich Beck. Le modèle socio-économique occidental est générateur de nouveaux risques, que ce soit la précarité ou la vieillesse, ou encore l’instabilité des couples et ses conséquences. Parallèlement se développe une exigence sociale de dispositifs de gestion collective – c’est-à-dire de prévention et de réparation – des risques (des risques traditionnels mais également des "nouveaux" risques). En conséquence, si les dispositifs de gestion collective du risque sont amenés à se développer, des interrogations subsistent concernant leur nature (quel mécanisme ?), leur pilotage (qui décide ?) et leur gestion (à qui elle est confiée et selon quelles modalités ?). Trois scénarios sont ici proposés.
59> Hypothèse 1 : la réaffirmation du pilotage de l’État
60L’État est aujourd’hui le pilote du dispositif de Sécurité sociale. Cependant, la difficulté et/ou le retard à mettre en œuvre les réformes nécessaires a affaibli la confiance de l’ensemble des acteurs dans sa capacité à réformer, et donc à imposer les ajustements attendus. Dans ce premier scénario, l’État incarne de nouveau le rôle du pilote incontesté du dispositif de Sécurité sociale et a les moyens d’imposer les ajustements nécessaires, grâce à la fois :
- au maintien de la préférence collective nationale pour la gestion publique des risques santé, vieillesse, accident du travail, famille et dépendance. Cette préférence collective est liée à notre histoire, mais également à ce que l’on appelle le “taux d’acceptabilité des prélèvements obligatoires” ;
- aux enseignements des expériences étrangères et notamment européennes ;
- à sa capacité à mettre en œuvre les réformes d’envergure nécessaires, qui lui confèrent une légitimité dans la gestion des risques.
61Conforté dans son rôle de pilote, deux variantes peuvent alors caractériser les modalités de gestion des risques :
- l’État s’appuie principalement sur la Sécurité sociale pour maintenir voire développer la couverture des risques. Prenant acte de l’universalisation du dispositif de Sécurité sociale, il assume son rôle de pilote dans le cadre d’une nouvelle gouvernance avec les partenaires sociaux. Le principe des conventions d’objectifs et de gestion est alors maintenu, avec des objectifs de plus en plus ambitieux : l’accès aux droits, la réduction des coûts de gestion, la réorganisation territoriale, les standards de qualité rivalisant d’avance sur ceux du secteur concurrentiel.
Cela a pour conséquence de conforter la branche Famille dans ses missions actuelles. Cependant, elle doit réaliser les efforts nécessaires à l’atteinte de ces objectifs ambitieux, impliquant une réorganisation territoriale, des mutualisations, ainsi qu’une réduction importante des coûts de gestion ; - l’État élargit ses partenariats en choisissant le plus pertinent, afin d’atteindre les objectifs ambitieux qu’il se fixe. La Sécurité sociale devient alors, plus que jamais, un acteur parmi d’autres (par exemple, la complémentaire santé pour la CMU est gérée par les CPAM ou par les assurances). La gestion entière de certains risques pourrait alors être confiée à un autre interlocuteur (par exemple, le handicap au département).
62> Hypothèse 2 : le partage du pilotage du dispositif de Sécurité sociale
63L’État partage ici son rôle de pilotage du dispositif. Ce scénario peut être choisi, afin d’améliorer la gouvernance et de partager le “fardeau” de la réforme, ou subi, si l’État n’a plus la capacité d’imposer les ajustements nécessaires à la pérennité du dispositif.
64Trois variantes sont alors envisageables :
- le partage du pilotage avec les partenaires sociaux. Cette variante suppose un regain de vitalité du dialogue social et un regain de légitimité des partenaires sociaux.
Conséquence pour la branche Famille : les positions du conseil d’administration de la CNAF influencent de manière croissante la politique familiale nationale et les conseils locaux ne voient pas leurs pouvoirs affaiblis, contrairement aux dispositions contenues dans la réforme de la branche Maladie. Les CAF sont confirmées dans leur rôle de chef de file en matière d’action sociale familiale au sein du département, au nom de l’égalité de traitement des allocataires et des bénéficiaires de minima sociaux ; - le partage du pilotage avec les collectivités locales. Les collectivités locales prennent dans cette variante une part au pilotage du dispositif, du fait de la marge de manœuvre croissante donnée par l’État : politiques d’insertion, politique de la dépendance, voire politique de la santé en cas d’agences régionales de santé renforcent le rôle des régions.
L’incidence sur la branche Famille serait alors la suivante : partageant le pilotage de la gestion des risques avec l’État, les collectivités locales développent avec leurs partenaires une relation client/fournisseur, pouvant justifier l’entrée des élus dans les conseils d’administration. Les actions sociales locales des différentes branches sont progressivement transférées aux collectivités locales ou suivent les options retenues par ces dernières ; - le partage du dispositif avec les organismes complémentaires. L’accroissement du coût de la couverture des risques conjugué aux difficultés de financement de l’État conduit dans cette variante à un accroissement de la part de remboursements effectués par les assurances complémentaires. En conséquence, ces dernières revendiquent un partage du pilotage du risque afin d’être mieux associées à la gestion de ces fonds. Les risques accident du travail, maladie et vieillesse constituent les terrains privilégiés pour le partage du pilotage. Pour l’État, cela peut être l’occasion de voir mises en place des mesures de régulation des dépenses qu’il ne parvient pas à instaurer (par exemple, le contrôle des ordonnances médicales sur le modèle des HMO américaines).
Avec cette variante, les conséquences pour la branche Famille seraient moins spectaculaires. L’État maintiendrait vraisemblablement le pilotage actuel du “risque famille” et du “risque précarité”, faute d’interlocuteurs privés à but lucratif lui disputant ce rôle et soucieux de garder la main sur ce domaine d’intervention.
65L’État prend ici acte de la nécessité de poursuivre les réformes mais ne conduit pas les politiques d’envergure que nécessite la gestion des risques maladie et vieillesse. Pour autant, il conserve son rôle de pilote même si l’influence d’autres acteurs peut se développer, sans participation officielle aux arbitrages dans la gestion des risques. Faute de mettre en place les dispositifs contraignants de régulation des dépenses de prestation, les efforts se concentrent plus particulièrement sur le coût de la gestion des risques par les organismes et sur l’organisation du dispositif : regroupement d’organismes au sein d’un département voire d’une région, mise en place de guichets uniques qui améliorent l’accès aux droits sans générer de remise en cause du dispositif. Suivant ce scénario, les principales innovations en matière de couverture des risques sociaux proviennent de la transposition de la réglementation européenne.
66La conséquence pour la branche Famille tient dans la faiblesse des mécanismes de régulation ne permettant pas de contenir le développement non maîtrisé des dépenses sociales. Toute mesure nouvelle ou plus coûteuse est donc par principe rejetée. Sur le plan de la gestion, des efforts très importants sont demandés en matière de réorganisation territoriale, de mutualisation de moyens et de non-remplacement des départs à la retraite. La branche Famille est par ailleurs associée aux guichets uniques qui se développent, aussi bien à travers les maisons de l’emploi que les maisons du handicap, voire demain les maisons des jeunes ou des familles. En fonction de la légitimité acquise par le passé dans son environnement, chaque CAF tente d’influencer la réorganisation du réseau et de l’action sociale menée au sein des départements.