Notes
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Correspondance : Paul Jenny, Harpe 27, CH-1007 Lausanne.
Courriel : ppauljenny@ bluewin. ch -
[1]
Les citations (en annexe) sont issues des œuvres d’Albert Cohen [1], d’Hervé Guibert [2], de Philippe Besson [3], et d’Arnaud Cathrine [5] ; les références complètes figurent dans la bibliographie.
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[2]
Un nom d’emprunt a été donné à toutes les participantes.
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[3]
Les normes de transcription figurent en annexe.
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[4]
Elle s’instaure lorsque, dans un processus de soins, « le patient, débordé par des émotions douloureuses, va projeter sur son interlocuteur les éléments psychiques angoissants qu’il ne peut contenir et qui l’envahissent. C’est ainsi que les affects du patient vont insidieusement exercer un effet réel sur la psyché du “ receveur ”, en l’occurrence le soignant » (Morasz, p. 420) [8]
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[5]
Comme le relève Bacqué : « les couples qui montrent un attachement excessif, allant jusqu’à la dépendance, sont susceptibles de réagir par un profond choc lors de la disparition de l’un d’entre eux » (Bacqué, p. 105) [9].
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[6]
Pour Mélanie Klein, « être vraiment bienveillant implique que nous pouvons nous mettre à la place des autres, que nous pouvons nous “ identifier ” à eux (Klein, p.96) [10] ». Cette identification non pathologique est nécessaire dans un processus de soins par exemple, et ne ressemble en rien à de l’identification projective, beaucoup plus invasive.
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[7]
Il mentionne une étude de Parkes et Weiss (1983) [12] réalisée sur la base de 43 personnes devenues veuves. Cette étude conclut que « la perte soudaine est, de façon qualitative, plus traumatique que la perte anticipée » (Costello, p. 172 [11]).
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[8]
A noter que pour la participante l’identité des défunts est conservée dans le « monde de l’esprit ». Cet aspect lui permet de recourir à la prière, afin de communiquer au défunt ce qu’elle aurait manqué de lui dire. On peut imaginer que cette possibilité renforce le sentiment d’avoir accompli la tâche d’accompagnement, et donc, permet de couper les liens avec le monde des morts. La prière constituerait donc un moyen pour le soignant qui partage ce genre de convictions de se libérer du poids de certains regrets, et de pallier la culpabilité qui en découlerait (elle-même susceptible de compliquer le processus de deuil).
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[9]
Tout comme les témoignages de personnes ayant vécu des morts imminentes renforcent les convictions de la participante, la libèrent de « la peur de l’inconnu ».
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[10]
Pour Agossous (1980) [15], les ancêtres protègent le clan, ils deviennent des références dans la vie des « survivants », ils ne disparaissent pas totalement, car ils font partie de la vie du groupe, de ses formes symboliques. Ils deviennent des références. Il en va de même pour Olga P. ; sa grand-mère est devenue pour elle un guide, une référence ; elle lui a montré un chemin.
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[11]
Ces propos se rattachent au concept de réparation développé par Mélanie Klein. Ce mécanisme constitue une évolution dans le développement psychoaffectif de l’enfant. Il permet en effet de limiter l’angoisse dépressive, celle d’avoir pu endommager la mère (objet primaire) lors de la prime enfance, de l’avoir perdue (et d’avoir perdu la sécurité qu’elle représente) par les pulsions agressives exercées contre son sein. Cette angoisse est susceptible d’être réactualisée à l’âge adulte lors des processus de deuil : « Je pense qu’il existe un lien étroit entre l’épreuve de la réalité dans le deuil normal et certains processus psychiques de la première enfance. Ce que je prétends, c’est que l’enfant passe par des états comparables au deuil de l’adulte, ou plutôt que ce deuil précoce est revécu à chaque fois que, plus tard, un chagrin est éprouvé » (Klein, p. 76) [10]. En ce sens, la réparation est la maturation de la position où règne l’angoisse dépressive (position dépressive). Elle constitue un besoin de faire le bien, de panser les plaies occasionnées. Cela est facilité par l’investissement dans une relation où l’on répare fantasmatiquement le mal causé à l’objet primaire (la mère). Un tel mécanisme se retrouve en l’occurrence dans une démarche de soins.
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[12]
Pour illustrer son propos elle prend l’exemple d’un patient qui lui « renvoyait à son fils qui a le même âge et le même prénom », dans cette situation-là, elle était « incapable de prendre cette distance » et elle a demandé de se faire remplacer. Elle ajoute qu’« il faut être capable de dire stop ». Cela suppose une bonne qualité d’introspection ainsi qu’une bonne communication et entente au sein de l’équipe.
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[13]
On peut rattacher ce processus, ce geste de vie, cet accomplissement, ce « faire » à la réparation qui est rendue possible.
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[14]
A noter que chaque entretien a été réalisé avec certains soignants d’une même structure de soins. Sans préméditation de ma part, toutes les personnes interrogées sont des femmes. On peut se demander si le contenu des entretiens aurait été différent si des hommes avaient aussi été interrogés. De plus, les interviews ont été effectués aux domiciles respectifs des participantes ; qu’en aurait-il été s’ils avaient eu lieu à Rive-Neuve, ou dans un autre contexte plus neutre ?
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[15]
Comme le mentionne Métraux (2004) [17], le deuil est créateur, il façonne l’identité, il est une narration de l’existence, et, en ce sens, permet, par son accomplissement, l’accès à une nouvelle identité, dite narrative, i.e. qui se raconte. Il enrichit donc et il génère aussi du sens, source de satisfaction et d’évolution.
Introduction
1Le deuil est un processus que l’on considère souvent chez les familles et amis des défunts. Mais qu’en est-il des personnes qui y sont confrontées dans leurs professions, sans pour autant bénéficier d’un statut de proche ? Le vécu de deuil est-il aussi difficile que lors de la perte d’un être cher ? En quoi réside l’enrichissement – rapporté dans la littérature – que trouvent les soignants à « perdre » si souvent ?
2Je me suis questionné alors sur ce qui permet à un professionnel en soins palliatifs de supporter la mort de ses patients, et, de surcroît, d’accroître ses forces par celle-ci. Cette interrogation constitue la base de cette recherche, par laquelle, j’espère donner quelques pistes de réflexion à ce que j’ai nommé communément « gestion du deuil ». J’ai choisi ce terme dans la mesure où l’expérience de la perte peut être entendue comme un processus, et de fait, une dynamique entre d’une part, les obstacles qui nuisent à l’évolution de la personne qui vit le deuil, et d’autre part, les ressources à sa disposition qui lui permettent d’affronter cette situation douloureuse. La gestion du deuil constituerait donc un véritable travail qui s’élaborerait pour le soignant par l’exploration de ses propres possibilités, cela en fonction de ses limites.
3La confrontation à la perte d’autrui et à la mort génère toutes sortes d’angoisses et de mécanismes susceptibles d’entraver l’équilibre personnel du spécialiste de soins. Et cela, d’autant plus que, comme l’ont montré certains psychanalystes, en particulier Mélanie Klein, l’expérience du deuil peut être considérée comme un moment où se réactualisent certaines angoisses, tant liées aux premiers stades du développement de l’individu, qu’aux pertes endurées tout au long de la vie. Ainsi, pour tenir compte de la gestion du deuil et des obstacles à cet accomplissement, il s’agira de considérer l’expérience globale de la perte que le soignant aura traversée tout au cours de sa vie. Comment aborde-t-il ce problème ? En quoi le deuil constitue-t-il une entrave potentielle à son équilibre personnel et professionnel ? Quelles ressources utilise-t-il pour le surmonter au quotidien?
4Le terme « gestion » implique aussi un échange qui exclut toute démarche purement individuelle. En effet, lorsque l’on parle de gestion du deuil, on évoque d’emblée le deuil, et de fait, une relation. Le travail qui en découle requiert donc le groupe, l’équipe soignante en l’occurrence, la famille du patient, et le soignant. Cette problématique se situe par conséquent au niveau psychosocial puisque la structure de soins s’intègre pleinement dans l’expérience du deuil qu’opère l’accompagnant. Ainsi, comment les soignants de Rive-Neuve interagissent-ils ensemble pour faire face à leurs expériences de tous les jours ?
Matériel et méthodes
5Pour mener à bien cette recherche, j’ai effectué cinq entretiens semi-structurés avec des soignantes et autres accompagnantes de Rive-Neuve. Trois d’entre eux ont été retenus pour l’élaboration de cet article. Au sujet des deux autres entretiens, ils ont été retirés pour deux raisons : l’un d’eux n’est pas resté dans le sujet à explorer, et le second n’apportait rien de nouveau par rapport à ce qui est ressorti dans les trois premiers. Les cinq participantes ont été choisies par l’infirmière cheffe de la maison, en fonction de leurs motivations à répondre à ma demande. J’avais en outre sollicité cette dernière pour qu’elle regroupe quelques infirmier/ères, bénévoles, et un médecin. Sinon, aucun autre critère de sélection n’a été déterminant. Pour plus de précisions, les cinq personnes qui ont contribué à ce travail sont des femmes. Cet état de fait n’était absolument pas prémédité par moi.
6Comme ce sujet est un sujet sensible susceptible de générer des réactions émotives, et de fait, des processus défensifs chez le soignant – ce qui pourrait limiter les informations –, j’ai opté pour un support d’entretien de type projectif (voir annexe). En effet, je pensais qu’il limiterait les défenses, car le participant ne parle pas directement de lui, mais s’inspire d’une situation décrite pour construire son discours. Il projette ainsi son propre vécu sur une situation existante, qui peut, ou non, s’apparenter à la sienne. Il s’aborde ainsi de lui-même en fonction d’un autre cas, dépeint par la carte exposée. C’est donc indirectement que l’interviewé parle de son expérience personnelle, ce qui lui permet de se distancier de l’interviewer, d’être moins impliqué à son égard, ainsi, d’être plus libre dans le commentaire apporté. De plus, le support projectif limite toutes réponses normées au sujet du deuil, inspirée par la littérature spécialisée, par exemple. Car ici, il s’agit de délivrer une expérience de vie, et non de délibérer au sujet d’une thématique donnée.
7J’ai construit le support d’entretien sur la base de sept citations [1] issues de la littérature française, en fonction de différents thèmes qui se rapportent à l’accompagnement d’une personne en fin de vie. La majorité des phrases retenues peuvent évoquer à la fois le vécu subjectif d’une personne confrontée à la perte (les expériences que font les soignants des unités de soins palliatifs, tant dans leur sphère privée que professionnelle), et la réalité du malade. A mon sens, l’ambiguïté du point de vue (soignant/soigné) favorise les projections et associations d’idées de l’interviewé. En outre, j’ajoute que j’ai préalablement effectué deux pré-tests afin de tester l’efficacité du support.
8Au début de chaque entretien, j’ai invité les participants à prendre connaissance des cartes rangées en tas. Les soignants bénéficiaient du temps nécessaire pour lire les citations, ils ont ainsi pu les approcher à leur propre rythme. Je leur ai ensuite demandé de commenter chaque phrase dans l’ordre qui leur convenait, par rapport à leur vécu de deuil privé et professionnel. Ils ont reçu la consigne de s’exprimer le plus librement possible, en aménageant leur discours comme ils l’entendaient. A l’exception de certaines « relances », j’ai posé le moins possible de questions durant cette partie de l’entretien, dans le but de laisser les soignants s’exprimer à leur guise, afin d’éviter qu’ils ne cherchent à justifier leurs propos, ce qui aurait limité les projections. Je souhaitais donc consacrer la deuxième partie de l’entretien à préciser ce qui avait été dit lors des commentaires de chaque carte. Je n’ai toutefois pas pu respecter totalement ce que je m’étais imparti. En effet, les multiples informations qui avaient été glanées lors de la présentation du support m’ont obligé à demander des précisions sur le moment, une fois le commentaire achevé.
9Durant la partie principale de l’entretien (partie projective), je me suis intéressé tant à la sphère professionnelle qu’à la sphère privée. A mon sens, ces deux aspects de la vie du soignant sont difficiles à distinguer ; ils participent l’un de l’autre, sont intimement liés et influencent les réactions de ce dernier. Aussi, je souhaitais approfondir le plus globalement possible la manière dont le participant a fait face au deuil tout au long de sa vie, ce qui renseigne aussi sur la façon dont il gère cet événement au quotidien dans le cadre de son travail. En effet, je pars du principe qu’un deuil, s’il a été occulté ou reste difficile à gérer, peut être un handicap à l’acceptation de deuils futurs. Je me base sur le principe initié par la psychanalyse qui consiste à penser qu’une telle expérience réactualise toutes les pertes significatives déjà encourues. En effet, comme le précise P. Beck [6], la mort d’un patient renvoie le soignant à la souffrance qu’il a éprouvée lors de deuils antérieurs mal vécus, non « métabolisés ». Cette souffrance est susceptible de ressortir à tout moment, de manière imprévue et décuplée, par la confrontation à certains décès. Ainsi, on pourrait schématiser les critères qui cadrent mon investigation de la manière suivante : un axe qui comporte les deux secteurs de vie du participant, sa vie privée et sa vie professionnelle ; un deuxième axe sur lequel s’articulent les expériences du présent et du passé de cette même personne.
10Concernant l’analyse, j’ai choisi d’utiliser la méthode qualitative. En effet, les entretiens semi-structurés m’ont permis de récolter des données propres au vécu de chaque participant. Ainsi, tout un univers phénoménologique particulier se dégage. Il s’agit donc d’analyser ces informations dans le respect de l’individualité de chaque participant, et de se borner à la singularité de son propos afin d’approfondir la compréhension du cas particulier. C’est ce qui m’a conduit à une analyse de cas thématique visant le discours et le contenu (cela explique aussi l’effectif restreint de participants). Cette forme d’analyse peut être considérée comme une production de discours médiatisée par un chercheur, sur la base de propos recueillis chez les participants (Lévy) [7]. Je tenterai, dans la mesure du possible, de rendre plus intelligibles, de rassembler, ordonner certaines informations éparpillées au fil des entretiens. La mise en ordre implique « le passage du discours singulier, particulier, au discours général produit par l’analyste » (Lévy, p. 46).
11Dans un deuxième temps, lors de la discussion, je prendrai en considération tous les entretiens, dans le but de dégager les thèmes récurrents propres à l’ensemble. Cette démarche peut se qualifier d’analyse inter-entretiens.
12En outre, je tiens à préciser que cette recherche ne vise pas à tirer de conclusions mais à formuler une série de pistes de réflexion sur la thématique donnée.
Analyse des situations
Couper les liens…
13Françoise G [2]. est âgée d’une trentaine d’années. Elle travaille comme infirmière à Rive-Neuve depuis moins de 5 ans, à un taux inférieur à 100%. Avant son engagement dans la structure susmentionnée, la participante travaillait dans un grand hôpital. Dans le cadre de sa vie privée, Françoise G. n’a encore jamais accompagné un de ses proches. Pourtant, le décès brutal d’une personne fortement significative pour elle semble avoir eu une incidence sur le rapport qu’elle entretient à son travail.
14Au jour de l’entretien, Françoise G. montre une grande aisance et honnêteté à aborder les difficultés qu’elle rencontre au quotidien. Elle insiste très vite sur l’influence de sa vie privée sur sa vie professionnelle. En effet, certains accompagnements la « touchent au plus profond », ce qui réactualise les expériences du passé :
« Ça renvoie quand même à certaines situations qu’on a vécues. » [3]
16Si la participante « arrive plus ou moins à se situer » par rapport au malade, c’est qu’elle a dû « se questionner sur sa propre mort ». Elle a dû s’interroger sur le pouvoir évocateur de certaines situations professionnelles qui lui révèlent son expérience de vie. On apprend qu’elle a initié très tôt ce processus de réflexion :
« J’veux dire le deuil le plus terrible que j’ai vécu pour moi c’était à l’âge de dix-neuf ans. »
18L’identité du défunt demeurera voilée. Elle utilisera le terme « personne » lorsqu’elle en parlera. N’est-ce pas une manière de se protéger contre une reviviscence de certaines angoisses liées au décès, et par conséquent, de ne pas se montrer vulnérable face à moi ? Cet épisode semble a priori encore difficile à aborder pour elle. De plus, la perte évoquée est survenue de manière tragique, lors d’un accident, et Françoise G. n’a « rien pu faire du tout ». Quelques années suite au décès, elle choisit de s’investir dans une démarche de soins palliatifs, une approche de la mort non brutale et inscrite dans le cycle naturel de la vie, laquelle contraste aussi totalement avec la perte qu’elle a subie, inopinément. Voilà ce qu’elle évoque de ses débuts à Rive-Neuve, lors d’un stage qu’elle effectuait :
« C’est vrai que là j’étais beaucoup plus à vif je vivais les choses beaucoup plus à vif je pense que les situations me touchaient beaucoup plus quelque part comme si je… comme si je faisais une projection quelque part et je trouve que ça c’est délicat “ … ” c’était la première fois que j’étais aussi confrontée à autant de situations de personnes en fin de vie. »
20Les difficultés que rencontre la participante lors de ses débuts dans l’accompagnement semblent provenir d’une distanciation trop ténue entre elle et les malades, de sa fragilité suite à son expérience douloureuse. Cette vulnérabilité paraît liée à de l’identification projective [4], une forme d’intoxication psychique dont peut être victime un soignant confronté à un état de souffrance totale. L’état de fragilité dans lequel se trouvait la participante, sa difficulté à se distancier, participent à cette « contagion ». Elle revient à Rive-Neuve quelques années plus tard, suite à plusieurs stages « où les personnes sortaient guéries » :
« J’ai tout de suite senti que j’avais fait du chemin quand je suis revenue y a trois ans parce que je vivais parce que y a des cicatrices bah les plaies se sont cicatrisées je veux dire et euh… non pas que je repense pas au deuil (celui de son proche) et que je repense pas à ces douleurs et à ces souffrances-là MAIS je suis apaisée moi-même par rapport à ça. »
22C’est en s’intéressant à l’ésotérisme qu’elle est parvenue à se « libérer d’un poids », qu’elle a réalisé qu’elle devait « lâcher prise » avec « cette personne » pour se sentir mieux. Je lui demande alors si elle pense qu’il y avait quelque chose qui devait encore se passer entre elle et le défunt, « d’un monde à l’autre » :
« Ouais comme quelque chose parallèle comme ça qui… ouais qui gentiment a fait qu’on s’est distancié en tout cas pour moi vivre ma vie. »
24Françoise G. considérait l’attachement avec son disparu comme un lien relevant de « l’amour éternel ». On comprend qu’une telle conception de l’amour ait rendu plus difficile la séparation des deux êtres [5]. La position dans laquelle a pu se trouver Françoise G. peut se résumer de cette manière, en une sorte de dilemme inextricable : si elle défait les liens, elle ternit l’amour qui l’unissait au défunt – ce qui accroît aussi sa culpabilité – ; si elle ne les défait pas, elle reste dans un monde où la vie est interdite. Car en effet, en raison de ses attaches quasi fusionnelles avec le disparu, la participante ressentait le besoin de « retrouver cette personne », elle imaginait qu’il l’attendait. Pour elle, « c’était pas très sain » dans ces moments-là. Elle naviguait entre deux eaux, ne se sentait pas appartenir psychiquement au monde des vivants, mais y appartenait physiquement. Elle pose actuellement un regard critique sur sa position d’antan (cf : « C’était pas très sain »), et a pu couper les liens avec le monde des morts. Elle aborde l’amour qu’elle croit éternel avec plus de quiétude : le disparu est devenu pour elle un « ange gardien » qui lui envoie des « signaux » et la guide.
25Il n’en reste pas moins que son travail reste empreint de certaines difficultés :
« Des fois j’me dis peut-être que j’aimerais bien des fois travailler ailleurs avec des gens qui sont en convalescence pis qui vont rentrer chez eux quoi parce que bah oui j’m’imagine que moi on pourrait m’annoncer un cancer ou enfin une maladie et pis euh bah ouais j’trouve quelque part j’trouve assez terrible et pis d’un autre côté bah je me dis euh… de l’autre côté j’trouve ça terrible de toute manière mais de l’autre côté ça me conforte dans l’idée qu’il faut que je profite de la vie quoi. »
27Dans cet extrait, Françoise G. manifeste le désir qu’elle a parfois de travailler dans un autre secteur, elle aborde aussi sa peur de tomber malade à son tour. Il me semble que, par son propos, elle s’identifie à certains patients, imagine pouvoir être à leur place, confrontée à une souffrance similaire, aux mêmes pathologies incurables. Ces mécanismes ne ressemblent pas à une simple identification [6], nécessaire dans un processus de soins, mais s’apparentent plus à un vécu de sidération douloureuse, caractéristique de l’identification projective (Morasz) [8]. Par ailleurs, elle évoque aussi certains moments où elle s’est sentie envahie, lorsqu’une de ses collègues a vécu un épuisement.
28Selon Costello [11], la perte brutale d’un être cher implique beaucoup plus de réactions que lorsqu’il est possible de se préparer à la disparition [7]. Par ailleurs, Vannotti et Pereira (2004) [13] mettent aussi en exergue la dimension traumatique d’un décès inopiné. La personne qui vit un deuil subit sans aucune préparation, aura tendance à appréhender sa vie comme peu sûre et dangereuse. La conséquence en est un isolement et un retrait du monde, lequel ne peut garantir sécurité (Costello) [11]. On pourrait imaginer que les craintes que rencontre Françoise G. – sa peur de tomber malade, d’être victime d’un épuisement – rejoignent ce que rapporte l’auteur. Par ailleurs, si l’on se réfère à Monbourquette (1996) [14], il y aurait chez l’endeuillé une tendance à revivre les mêmes souffrances que celles vécues par le défunt, à imiter les circonstances du décès. On pourrait émettre l’hypothèse que chez la participante, sa peur de tomber malade à tout moment, son impression d’insécurité dans son travail découlent de la disparition brutale de la « personne » dont elle parle. Par le phénomène d’imitation mentionné, la soignante pourrait être amenée à redouter sa propre mort, conçue de manière aussi brutale que celle du défunt. En effet, selon l’auteur, « les personnes endeuillées craignent spontanément de mourir des mêmes causes que leur cher disparu » (Monbourquette, p. 23).
29En outre, la participante rencontre de la peine à s’ouvrir à l’équipe, afin de se faire épauler. Elle a tendance à « prendre sur elle » :
« Mais moi c’est rare que je dise j’veux dire que je prends sur moi quand y a des situations qui sont difficiles j’me dis que ce travail-là j’le fais ailleurs ce travail d’évacuer cette tension qui m’habite ».
31Cette réticence à faire appel à l’équipe pourrait renforcer les mécanismes d’identification projective, et mener la soignante à un vécu d’épuisement. Ses liens d’avec le monde des morts ont été coupés, mais qu’en est-il des liens que tisse Françoise G. avec le monde des vivants ? S’autorise-t-elle à s’ancrer dans le vivant, ou reste-t-elle prisonnière d’un « no man’s land » ?
La fondation d’une certitude… donner un visage à la mort
32Olga P. est âgée d’une quarantaine d’années. Elle travaille à Rive-Neuve en tant qu’infirmière depuis plus de deux ans. Avant de débuter son expérience dans l’institution, elle exerçait cette même profession, mais à domicile. L’accompagnement de sa grand-mère, qu’elle a mené à terme, semble être déterminant pour elle dans son travail.
33Lors de notre rencontre, Olga P. est très motivée à participer à l’entretien. Elle aborde son expérience personnelle avec un grand naturel, sans trop de retenue. J’ai cependant l’impression qu’elle ne tient pas forcément à aborder les difficultés qu’elle rencontre dans son travail. Il me semble que des défenses sont à l’œuvre quand elle aborde notamment l’accompagnement de certains patients.
34Les moments qui précèdent le décès influencent la gestion des deuils professionnels d’Olga P. En effet, sa grand-mère lui a transmis « la sérénité, le côté paisible, le côté RASSURANT, la CONFIANCE qu’elle avait par rapport à ce qui allait lui arriver ». Olga P. n’est alors pas du tout préparée à l’accompagnement. Elle n’a jamais effectué une telle démarche. Aussi, au début redoute-t-elle un peu ce qui va se passer, mais ce qui est formidable pour elle, c’est que son aînée l’a guidée face à cette situation, par sa « lucidité » et sa « sérénité » :
« Quand on a jamais accompagné quelqu’un y a toujours une crainte qui est là du NON VÉCU “ … ” elle nous a rassuré en quelque sorte “ … ” c’était vraiment tout un chemin d’acceptation c’était naturel donc c’est vrai que je me disais qu’elle avait montré qu’elle nous avait laissé un chemin ou un bel héritage ».
36Olga P. se souvient aussi de l’image qui lui reste du décès de sa parente :
« Puis trois jours après elle était partie on l’a retrouvée avec un beau sourire et y avait les enfants “ … ” c’était un moment de partage et pour moi elle m’a montré un chemin “ … ” elle avait une personnalité assez secrète et là c’était presque une des premières fois où elle a partagé quelque chose avec moi ».
38Elle reçoit donc un beau cadeau en héritage, l’exemple d’une « bonne » mort, vécue de manière sereine. C’est à la fois le sourire de sa grand-mère qui marque la participante (elle y revient d’ailleurs à plusieurs reprises) mais aussi l’« héritage » qu’elle reçoit, un « moment de partage » avec son aînée qui orientera son propre cheminement de vie puisque la soignante décidera quelques années plus tard de travailler dans une unité de soins palliatifs. Elle ajoute que « c’est quelque chose qui s’est construit à partir du décès » de sa grand-mère. Elle acquiert aussi des « fondations » par ce témoignage vivant. On pourrait se demander si la « construction » qu’évoque Olga P. ne consiste pas à donner un visage à la mort, à appréhender ce phénomène de manière aussi concrète que possible, en se libérant de certaines représentations abstraites génératrices d’angoisse.
39D’autre part, la soignante considère depuis la mort comme une « leçon de vie » qui « APPARTIENT à la personne » en fin de vie et lui permet d’apprendre quelque chose. La maladie revêt donc un sens et Olga P. cherche toujours, dans le cas de patients jeunes, par exemple, à comprendre le « sens du vécu », à « émettre des hypothèses » sur ces cas qui lui paraissent de prime abord révoltants. Elle se sent « accueillir l’expérience de vie » et tente de lui donner une raison au regard de ses convictions spirituelles très fortes qui la soutiennent dans son quotidien de soignante et face à la mort. La vie se conçoit pour elle comme un passage qui mène à un monde dépourvu de souffrance, un monde immatériel [8]. L’existence terrestre constitue « une expérience qu’on va repartager de l’autre côté ». Par ses propos, on comprend mieux ce qu’entend la participante, ce qu’elle appelle une « leçon de vie ». Olga P. aborde aussi les expériences qu’elle a réalisées dans l’accompagnement de patients très troublés dans les moments précédant le décès :
« Au tout dernier moment y a comme une paix qui s’installe ça me conforte dans cette idée qu’une fois que le passage est fait bah on est tranquille quoi ça se fait dans la paix et la sérénité MÊME quand c’est quelqu’un qui était agité révolté qui avait BEAUCOUP de difficultés à quitter le monde physique ».
41C’est encore la paix que lui reflètent les défunts qui semble primordiale dans le renforcement des convictions de la participante [9]. Cette image de fin sereine renvoie aux derniers instants de vie de sa grand-mère [10], qui a su la guider dans l’appréhension de la mort, en lui montrant que ce passage pouvait être bien vécu. L’accompagnement de son aînée dura quelques jours, et cette dernière était sereine face à ce qui l’attendait. Qu’en aurait-il été pour la participante si l’accompagnement s’était prolongé, si sa parente n’avait pas été aussi sereine ?
42Des propos recueillis, on note que la participante accorde une grande importance à l’« image » de la mort, de la finitude, à son sens, et à sa finalité. Ainsi, si la mort en soi n’est pas une réalité angoissante pour Olga P., elle parvient à la rendre humainement acceptable par ses convictions personnelles. Ce qui en revanche la heurte plus, c’est la confrontation à la souffrance du patient et des familles, notamment lorsqu’elle se fait très intense :
« quelqu’un qui ne cède pas qui ravale ses larmes quand le barrage lâche des fois c’est bien pire c’est des moments qui sont très très forts et c’est vraiment ouais… ça c’est presque des moments qui sont les plus difficiles à gérer pour moi ».
44Elle ressent alors le besoin de vivre ce qu’elle ressent face à une personne qui « lâche » ses émotions. Elle ajoute que c’est difficile d’être seule face à ce phénomène :
« Y a TELLEMENT d’émotions TELLEMENT ouais la personne évacue TELLEMENT que… c’est difficile d’être seule face à… ouais face au comment dire à l’AMPLEUR des émotions qui ressortent et tout ça d’où l’importance de travailler en équipe “ … ” c’est intéressant de voir que dans l’équipe c’est pressenti ou y a une INTERVENTION y a quelqu’un qui arrive à ce moment qui prend le relais SANS qu’y ait besoin de le demander… ça se FAIT presque naturellement ».
46Ce qu’évoque Olga P. s’apparente à de l’identification projective, une « contamination émotionnelle ». Ce mécanisme « paralyse la pensée et la distanciation de ceux qui l’éprouvent » (Morasz, p. 420) [8]. Dans une telle situation, le soignant se confronte au décès avec plus de difficultés car le vécu du patient devient le sien. Une telle conséquence risque d’épuiser le professionnel, qui croit vivre une situation qui ne lui appartient pas, et s’imagine, par conséquent, mourir au fur et à mesure que les malades qu’il accompagne disparaissent. A ajouter que la famille est elle aussi génératrice d’un tel mécanisme. Comme le mentionne la participante, dans ces moments-là, l’équipe intervient :
« Y a une collègue qui arrive INOPINÉMENT et prend le relais “ … ” ça nous laisse le temps de prendre un peu de recul partager un peu avec les autres et pis là y a un soutien qui va être mis en place dans l’équipe ouais… on n’est pas SEUL…… parce que quand on reçoit l’émotion de quelqu’un dont le barrage lâche c’est TELLEMENT gras et ça c’est assez envahissant et le fait de partager ça permet de prendre du recul décompresser ».
48L’équipe joue donc un rôle fondamental en ce qu’elle arrache le soignant d’une situation dont il n’est plus capable de se différencier, qui l’envahit dans son travail, dans sa vie privée, de même que dans sa manière de gérer les deuils au quotidien.
Accomplir un geste de vie
49Anne R. est âgée d’une soixantaine d’années, elle travaille à Rive-Neuve depuis plus de quinze ans en qualité de bénévole. Elle aime son travail qui l’enrichit personnellement. Son expérience du deuil est considérable, elle la présente en ces termes : « je connais bientôt autant de monde de l’autre côté qu’ici ». Au niveau de ses expériences, celle de l’accompagnement de son père – qu’elle a mené jusqu’au bout – a pris une place centrale dans l’entretien.
50Au jour de l’entretien, Anne R. se présente comme motivée à partager son expérience de vie. L’entretien débute assez naturellement, et elle prend rapidement la parole évoquant son expérience professionnelle plutôt que son expérience de deuil personnelle. C’est seulement vers le milieu de l’entretien, après avoir invité à plusieurs reprises la participante à s’exprimer sur sa vie privée, qu’elle s’exprime sur ce contexte de vie plus intime. Cette réticence à parler de soi, est-elle due à une consigne non suffisamment claire, ou à des mécanismes de défense ? A mon avis, ces deux possibilités entrent en ligne de compte dans cette interview.
51Anne R. insiste sur la nécessité, en tant que soignante, de savoir « poser ses limites » face au patient, lorsqu’il devient agressif, par exemple. Cette capacité suppose de ne pas prendre personnellement les griefs du malade, et de le considérer à son niveau d’évolution. Elle oppose cette position, à celle d’une famille, où la distance est plus difficile à gérer :
« C’est pas pareil la charge affective moi je prends le patient là où il en est mais j’ai pas tout le vécu d’avant j’ai pas les LIENS alors moi je peux m’lier avec le patient mais ça s’ra jamais les liens qu’il a avec une famille “ … ” nous on prend le patient là où il en est… alors on peut comprendre sa colère on peut comprendre le déni et tout ça… moi j’arrive à prendre ma distance par rapport à ça ».
53Elle ajoute aussi que la culpabilité empêche la famille de poser ses limites. En effet, cette dernière est démunie face aux réactions du malade :
« Je me dis pas j’ai fait quelque chose de mal ou j’ai fait quelque chose de faux… la famille au contraire elle se dit qu’est-ce que j’ai fait de faux c’est parce que je suis venue trop tard hier c’est parce que j’ai pas acheté le truc qu’il voulait c’est parce que je suis venue trop tôt trop tard… on se trouve mille excuses… comme famille ».
55La culpabilité éprouvée par la famille, lorsqu’elle n’a pas eu l’impression d’accompagner « correctement » son proche, pourrait être une forme de compréhension à la difficulté qu’ont certains à se distancier, à se différencier du malade. Elle chercherait alors à échapper à la culpabilité par ce qui est accompli pour le patient [11]. Une forme de culpabilité s’instaure aussi parfois chez la soignante, notamment lorsqu’elle n’a pas l’impression d’avoir été « adéquate » :
« Alors attention oui y a des décès qui vous poursuivent parce que… vous vous êtes pas sentie adéquate parce que… ça s’est passé bizarrement avec la famille… alors… JE veux pas dire que ça me poursuit mais je veux dire que j’y PENSE encore ».
57Dans ce genre de situations, la participante ressent alors le besoin de récupérer afin de se « rassembler », elle demande aussi du soutien aux membres de l’équipe pour partager son expérience ou pour se faire relayer lorsque son rapport au malade la touche de trop près [12].
58En étudiant la transcription de l’entretien avec Anne R., je me suis rendu compte que suite aux moments où elle aborde de façon générale la position de la famille face au patient, les difficultés qui en découlent, elle se réfère aussi à sa propre expérience, notamment à l’accompagnement de son père, et aux rapports qu’avait celui-ci avec sa femme dans le courant de sa maladie. Il lui manifestait beaucoup d’agressivité. La participante est devenue la confidente, la coéquipière de son père dans sa maladie ; c’est elle qui prenait les décisions avec lui (elle utilise du reste le pronom « on » quand elle aborde la prise de décisions). Celui-ci cherchait en effet à éloigner son épouse de lui, qu’il pensait trop fragile. Il estimait en outre qu’elle ne devait pas être tenue au courant du diagnostic de sa maladie incurable. La participante illustre les propos que son père lui tenait :
« J’ai déjà assez à… à quitter MOI sans encore devoir supporter les pleurs de ta mère (sa voix tremble)… de devoir être encore l’homme FORT ».
60Anne R. a donc occupé une place prépondérante dans l’accompagnement de son père, elle a beaucoup fait pour lui. Elle est probablement capable de comprendre les patients agressifs car elle a fait cette expérience dans l’accompagnement de son parent, agressif face à son épouse. Il est intéressant de constater que la participante « met sa distance » face au malade par ce qu’elle appelle le « faire », l’accomplissement d’un « geste de vie » :
« On (les soignants) a des choses à FAIRE on a des soins à FAIRE la famille elle doit ÊTRE et c’est très difficile d’être dans le être c’est tellement plus facile d’être dans le faire… je FAIS un pansement je FAIS une toilette c’est pour ça que nous on INVITE souvent les familles on leur dit est-ce que vous aimeriez faire la toilette avec moi ».
62Malgré la colère qu’a éprouvée Anne R. au décès de son parent, elle a eu le sentiment d’avoir accompli un processus jusqu’à son terme, et cela semble fondamental pour elle. La soignante a pu « faire » quelque chose, elle a bénéficié d’une part active dans cette situation qui ne l’a pas laissée démunie, au contraire, car elle est satisfaite du processus qu’elle a accompli [13]. L’expérience professionnelle de la participante constitue une « bonne leçon », celle de considérer « quel prix a la vie » :
« Ça a changé ma manière de vivre je profite plus du moment ».
64Ainsi, pour Anne R., l’accompagnement peut être compris comme l’accomplissement d’un geste de vie, mené dans l’idéal jusqu’au terme. Il implique aussi l’acceptation de certaines émotions perturbatrices (la colère, la culpabilité), et une volonté de faire « le mieux possible », i.e. de permettre la réparation. On peut se questionner sur ce qu’évoque la participante du « faire ». Cette dimension ne constitue-t-elle pas une fuite de ce qui se passe au présent ? Qu’en est-il de la responsabilité qui était sienne dans son rôle de coéquipière ? Qu’adviendrait-il dans une situation où le faire n’est pas rendu possible ? L’échange entre les soignants des difficultés rencontrées suffirait-il pour gérer un tel « échec » ?
Discussion
65Au regard des analyses présentées [14], on se rend compte que les antécédents de deuils privés des soignantes ont eu une influence sur la gestion de la perte dans leur profession. En effet, les trois participantes ont été sensibilisées dans leur travail suite à certaines de leurs expériences personnelles de deuil ou d’accompagnement. Si Françoise G. s’est vue affectée dans son équilibre suite au décès subit d’un proche, et si elle a dû couper les liens avec son disparu pour s’épanouir professionnellement, Olga P. a, quant à elle, pu fonder un certain nombre de certitudes à l’endroit de la mort par l’accompagnement de sa grand-mère, et Anne R. a pesé le poids de la vie en accompagnant son père. Si pour la première participante les antécédents de deuil ont été vécus comme des obstacles, les deux autres soignantes se sont plutôt familiarisées avec la réalité de la mort par leurs expériences du deuil, que l’on pourrait qualifier de « réussies » et « enrichissantes ». En ce sens, la mise en confiance des professionnelles paraît facilitée par le vécu abouti et satisfaisant (subjectivement) d’un accompagnement de proche, et par l’acceptation de la perte. Ces deux composantes participent au confort dans le travail.
66Comme nous le montre le cas de Françoise G., dans l’accompagnement, le passé doit se distinguer du présent. Les liens d’avec nos défunts doivent être coupés pour gérer au mieux les pertes vécues professionnellement. Quant à elle, Olga P. nous enseigne que la confrontation à la mort est moins angoissante lorsqu’elle ne relève plus d’une abstraction. La mort porte un visage, celui de nos défunts. Elle construit par ailleurs du sens, de la spiritualité, nécessaire pour elle à un accompagnement non stressant. Ainsi, la mort peut être regardée, car elle figure une réalité, un visage paisible et rassurant, une forme de guide pour les soignants. Enfin, Anne R. montre à quel point l’accompagnement de son père l’a construite. Pour elle, ce processus doit préférablement être mené à terme, afin d’éviter tout besoin de rattraper le « temps perdu ». En ce qui concerne la vie professionnelle, cette possibilité semble facilitatrice car elle révèle un sentiment d’accomplissement, de réalisation personnelle. La confrontation à la mort dans le travail reste donc envisageable, sans heurter le soignant. Les situations qu’il rencontre ne le renvoient pas à sa vie privée, à ce qu’il aurait dû donner pour être loyal envers ses proches disparus. En ce sens, le sentiment d’accomplissement du processus d’accompagnement – d’un proche ou d’un patient – semble faciliter les accompagnements futurs. L’exemple de Françoise G. montre, a contrario, à quel point la tragédie limite la possibilité de couper les liens avec le disparu, pour s’en défaire, vivre, et travailler librement au contact de la mort. Ainsi, l’accompagnement donne l’opportunité de « faire » quelque chose face à une situation qui peut être angoissante. Comme Anne R. nous le montre, le « faire » enrichit, protège, et permet à la réparation de s’inaugurer, ce qui est salutaire au regard des deuils antérieurs. A titre d’exemple, il est difficile pour les professionnelles de supporter leurs impressions d’inutilité, d’impuissance face à certains patients. Je pense que lorsqu’elles éprouvent ces sentiments, elles se trouvent aussi décontenancées, du fait qu’elles ne parviennent pas à accomplir une démarche de réparation, qui se trouve alors empêchée.
67Les participantes ont aussi souvent mentionné l’enrichissement qu’elles trouvent dans leur profession. En effet, la confrontation au patient est source d’enseignements. Il apporte de son vécu, de sa sensibilité, de ses conceptions sur la vie et sur la mort. Par la rencontre des soignantes avec le malade et avec sa famille s’échange un ensemble de savoir-vivre, une sagesse sur la vie qui se co-construit, s’élabore suivant les interactions, au fil des décès [15]. Le patient donne de lui-même, mais il reçoit aussi de la sagesse de l’équipe. Dans certaines situations, il décontenance, vulnérabilise les convictions, les croyances des professionnelles. Elles sont alors amenées à se questionner, à se solidariser pour ne pas perdre leur ancrage personnel (croyances, convictions, foi) qui leur permet de donner sens à la vie, à la souffrance et à la mort, ainsi, d’être capables de se confronter à de tels phénomènes. En effet, les participantes ont toutes signifié leur besoin de donner raison à leur travail, à ce qu’elles sont amenées à rencontrer au quotidien. Ainsi, la foi en une religion, ou en une croyance personnelle est d’un grand secours dans la démarche de soins palliatifs, qui est source de questionnements – métaphysiques ou non –, et qui pousse le professionnel à initier une quête de sens. Pour les personnes qui l’environnent, le patient est initiateur de doutes, par son vécu, sa confrontation à la finitude. Il suscite donc des questionnements qui touchent l’équipe, la famille, ainsi que lui-même. Une sorte de médiation de sens s’instaure entre les différents acteurs de soins (famille y comprise) et le malade. A mon avis, c’est cette dernière qui participe à l’enrichissement que trouvent les soignantes dans leur travail. Sans oublier ce qui est mentionné plus haut, qui constitue l’accomplissement d’une tâche personnelle génératrice de satisfaction et de réparation. Je pense toutefois, au regard des entretiens, que cette dernière peut s’inscrire dans la dimension sémantique que trouvent les professionnelles. Certaines croyances portent en effet à penser que la réparation les chapeaute. L’exemple de la prière est parlant. Elle permet à ce mécanisme de s’inaugurer, même à la suite d’un décès.
68Le soutien procuré par l’équipe est une ressource considérable pour les soignantes, qui, à plusieurs reprises la sollicitent, afin de se faire relayer ou d’échanger les difficultés rencontrées lors de la pratique. Elles peuvent exprimer en tout temps leurs confrontations difficiles face à certains patients, et au besoin, bénéficier de l’aide de collègues, voire, ne plus s’occuper de malades qui génèrent chez elles trop de réactions émotionnelles. Cette possibilité suppose que les professionnelles soient à même de reconnaître les obstacles qu’elles rencontrent, et qu’elles se donnent le droit de recourir au soutien de l’équipe, sans quoi – comme l’a montré le cas de Françoise G. – elles sont susceptibles d’intérioriser leurs peines, ce qui pourrait générer de l’inconfort au quotidien. Les participantes rapportent aussi que l’équipe est une ressource lorsqu’il s’agit de prendre de la distance face à des situations envahissantes, qui, à mon sens, se traduisent par une forme d’identification projective. Dans ces moments-là, lorsque la soignante ne parvient plus à différencier son propre vécu de celui du malade, lorsqu’elle croit vivre les mêmes souffrances que ce dernier, les collègues interviennent spontanément pour offrir un moment de répit à celle qui se sentait envahie. On notera la spontanéité avec laquelle les soignantes réagissent, sans que forcément une demande ait été prononcée. Il me semble que ces réactions facilitées signifient une bonne entente entre les collaboratrices, certaines affinités, de même qu’une bonne compréhension de leur manière de travailler. Cette dynamique de groupe soutiendrait la professionnelle dans les moments pénibles, par un relais, une présence sécurisante, ou même, par le partage d’émotions intenses, par une médiation de sens. Les soignantes ne se trouvent donc pas seules face à la souffrance et à la mort, elles se solidarisent, se soutiennent mutuellement. Elles s’enrichissent par le sens qu’elles co-construisent ensemble, au contact du malade et de sa famille. On pourrait aussi émettre l’hypothèse que la médiation de sens qui s’inaugure renforce l’appartenance des professionnelles à l’équipe, ce qui leur permet de mieux se connaître, pour mieux interagir ensemble. Car comme le montre Ariès (1977) [18], la mort n’est pas individuelle, elle concerne toute la lignée, toute la communauté, et elle implique la solidarité des individus. Il est ainsi extrêmement difficile de l’affronter seul, sans soutien social, et sans l’appui de rituels qui donnent sens à la mort, en l’intégrant dans la vie du groupe.
Conclusion
69Comme l’ont montré les précédentes analyses, le travail en confrontation à la mort, la gestion du deuil au quotidien supposent pour les soignantes une rupture des liens avec le passé, dans leurs vies privées et professionnelles, afin d’éviter de rattraper dans le présent une situation d’un temps révolu. L’appartenance au présent est facilitée lorsque les accompagnements passés ont été menés à terme, soit, lorsque la réparation a été facilitée par la démarche de soins. Dans un deuxième temps, la mort est rendue plus accessible et supportable dès le moment où elle revêt un visage sécurisant (celui de disparus), sans abstraction. Les croyances religieuses ou personnelles facilitent en outre la figuration tranquille de cette réalité. De plus, le travail en unité de soins palliatifs est significatif de vie, il appelle la vie plus qu’il n’enferme dans la mort. Cet aspect se réalise par l’accomplissement du processus d’accompagnement, qui soulage les regrets et la culpabilité inconsciente. J’ajouterai pour clore que la mort n’est pas en soi la réalité que les soignantes estiment être la plus dérangeante dans l’accompagnement. Ce qui les heurte plus est la confrontation à la souffrance, plus intenable qu’un passage naturel qui ponctue la vie.
70Carte 1 : « J’ai accompagné un vivant à la mort. Désormais, c’est ce disparu qui m’accompagne sur le chemin qui reste à parcourir. » (Besson, p. 185) [3].
71Carte 2 : « “ … ” il était excédé par ma souffrance, lassé au dernier degré et dégoûté par cette souffrance à laquelle il n’en finissait pas d’assister, puisqu’elle était son travail, à ce moment il perdait toute sensibilité “ … ” » (Guibert, p.69) [2].
72Carte 3 : « Mais j’aurais pu t’aimer plus encore et tous les jours t’écrire et tous les jours te donner ce sentiment d’importance que seul je savais te donner et qui te rendait si fière, toi humble et méconnue, ma géniale, Maman, ma petite fille chérie. » (Cohen, p. 75) [1].
73Carte 4 : « Oui, il me faut bien l’avouer et je crois que c’est le sort commun de tous les grands malades, même si c’est pitoyable et ridicule, après avoir tant rêvé à la mort, dorénavant, j’ai horriblement envie de vivre. » (Guibert, p. 190) [2].
74Carte 5 : « On n’est pas préparé à la perte, à la disparition d’un proche. “ … ” On ne sait pas acquérir l’habitude de la mort. La mort de l’autre nous prend forcément par surprise, elle est un événement qui nous désarme, qui nous laisse désemparé, y compris lorsqu’elle est prévisible “ … ” » (Besson, p.150) [3].
75Carte 6 : « Sont-ils à ce point incapables de deviner que j’ai envie à chaque minute de hurler comme un chien attaché depuis trop longtemps à une laisse et que je m’en empêche parce que j’entends que la dignité l’emporte à la fin ? Ne comprennent-ils pas que je me retiens de pleurer au long des couloirs mornes de cet hôpital, que je ravale mes larmes ainsi qu’on me l’a appris dès l’enfance, que je m’oblige à ne pas céder parce que, dans notre famille, on ne cède pas ? » (Besson, p. 157) [3].
76Carte 7 : « Parce que au fond, ce n’est pas normal d’avoir les yeux secs. On croit être inattaquable, mais ça creuse en dedans d’avoir les yeux secs. » (Cathrine, p. 77) [5].
77Normes de transcription :
… : | Silence de moins de 4 secondes |
…… : | Silence de plus de 4 secondes |
78Majuscules : Accentuation d’un mot pour hausser le ton
/ : | Parole interrompue |
(…) : | Remarques du chercheur |
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- 1Cohen A. Le livre de ma mère. Paris : Gallimard (folio), 1974 (Edition originale, 1954).
- 2Guibert H. Le protocole compassionnel. Paris : Gallimard (Folio), 1993 (Edition originale, 1991).
- 3Besson P. Les jours fragiles. Paris : Julliard, 2004.
- 4Besson P. Son frère. Paris : Julliard (Pocket), 2003.
- 5Cathrine A. Les yeux secs. Paris : Verticales (J’ai lu), 1999 (Edition originale, 1998).
- 6Beck P. Les situations de deuil. Revue suisse des soins infirmiers 1978 ; 4 : 177-180.
- 7Lévy A. L’interprétation des discours. Revue Connexion 1974 ; 11 : 43-63.
- 8Morasz L. La souffrance dans la relation soignant-soigné. In : Fischer GN. ed. Traité de psychologie de la santé. Paris : Seuil, 2002.
- 9Bacqué MF. Le deuil à vivre. Paris : Odile Jacob, 2000 (Edition originale, 2001).
- 10Klein M. Deuil et dépression. Paris : Petite Bibliothèque Payot, 2004 (Edition originale, 1947).
- 11Costello J. Le coût émotionnel des soins palliatifs. European Journal of Palliative Care 1996 ; 3 : 171-174.
- 12Parkes CM, Weiss RS. Recovery from Bereavement. New York : Basic Books, 1983.
- 13Vannotti M, Pereira R. Approche individuelle et relationnelle du deuil. Revue médicale de la Suisse romande 2004 ; 124 : 39-46.
- 14Monbourquette J. La mort symbolique comme thérapie du deuil. European Journal of Palliative Care 1996 ; 3 : 21-25.
- 15Agossous Th. La mort, la naissance, la filiation : un itinéraire nécessaire et structurant. L’exemple des cultures Africaines. In : Guyotat J ed. Mort/Naissance et filiation. Paris : Masson, 1980 : 105-115.
- 16Hinshelwood RD. In : Laplanche J ed. Dictionnaire de la pensée Kleinienne. Paris : PUF, 2000.
- 17Métraux JC. Deuils collectifs et création sociale. Paris : La Dispute, 2004.
- 18Ariès P. L’Homme devant la mort. Paris : Seuil (L’Univers Historique), 1977.
Mots-clés éditeurs : deuils, soignants, unité de soins palliatifs, gestion
Mise en ligne 01/06/2007
https://doi.org/10.3917/inka.071.0003Notes
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[*]
Correspondance : Paul Jenny, Harpe 27, CH-1007 Lausanne.
Courriel : ppauljenny@ bluewin. ch -
[1]
Les citations (en annexe) sont issues des œuvres d’Albert Cohen [1], d’Hervé Guibert [2], de Philippe Besson [3], et d’Arnaud Cathrine [5] ; les références complètes figurent dans la bibliographie.
-
[2]
Un nom d’emprunt a été donné à toutes les participantes.
-
[3]
Les normes de transcription figurent en annexe.
-
[4]
Elle s’instaure lorsque, dans un processus de soins, « le patient, débordé par des émotions douloureuses, va projeter sur son interlocuteur les éléments psychiques angoissants qu’il ne peut contenir et qui l’envahissent. C’est ainsi que les affects du patient vont insidieusement exercer un effet réel sur la psyché du “ receveur ”, en l’occurrence le soignant » (Morasz, p. 420) [8]
-
[5]
Comme le relève Bacqué : « les couples qui montrent un attachement excessif, allant jusqu’à la dépendance, sont susceptibles de réagir par un profond choc lors de la disparition de l’un d’entre eux » (Bacqué, p. 105) [9].
-
[6]
Pour Mélanie Klein, « être vraiment bienveillant implique que nous pouvons nous mettre à la place des autres, que nous pouvons nous “ identifier ” à eux (Klein, p.96) [10] ». Cette identification non pathologique est nécessaire dans un processus de soins par exemple, et ne ressemble en rien à de l’identification projective, beaucoup plus invasive.
-
[7]
Il mentionne une étude de Parkes et Weiss (1983) [12] réalisée sur la base de 43 personnes devenues veuves. Cette étude conclut que « la perte soudaine est, de façon qualitative, plus traumatique que la perte anticipée » (Costello, p. 172 [11]).
-
[8]
A noter que pour la participante l’identité des défunts est conservée dans le « monde de l’esprit ». Cet aspect lui permet de recourir à la prière, afin de communiquer au défunt ce qu’elle aurait manqué de lui dire. On peut imaginer que cette possibilité renforce le sentiment d’avoir accompli la tâche d’accompagnement, et donc, permet de couper les liens avec le monde des morts. La prière constituerait donc un moyen pour le soignant qui partage ce genre de convictions de se libérer du poids de certains regrets, et de pallier la culpabilité qui en découlerait (elle-même susceptible de compliquer le processus de deuil).
-
[9]
Tout comme les témoignages de personnes ayant vécu des morts imminentes renforcent les convictions de la participante, la libèrent de « la peur de l’inconnu ».
-
[10]
Pour Agossous (1980) [15], les ancêtres protègent le clan, ils deviennent des références dans la vie des « survivants », ils ne disparaissent pas totalement, car ils font partie de la vie du groupe, de ses formes symboliques. Ils deviennent des références. Il en va de même pour Olga P. ; sa grand-mère est devenue pour elle un guide, une référence ; elle lui a montré un chemin.
-
[11]
Ces propos se rattachent au concept de réparation développé par Mélanie Klein. Ce mécanisme constitue une évolution dans le développement psychoaffectif de l’enfant. Il permet en effet de limiter l’angoisse dépressive, celle d’avoir pu endommager la mère (objet primaire) lors de la prime enfance, de l’avoir perdue (et d’avoir perdu la sécurité qu’elle représente) par les pulsions agressives exercées contre son sein. Cette angoisse est susceptible d’être réactualisée à l’âge adulte lors des processus de deuil : « Je pense qu’il existe un lien étroit entre l’épreuve de la réalité dans le deuil normal et certains processus psychiques de la première enfance. Ce que je prétends, c’est que l’enfant passe par des états comparables au deuil de l’adulte, ou plutôt que ce deuil précoce est revécu à chaque fois que, plus tard, un chagrin est éprouvé » (Klein, p. 76) [10]. En ce sens, la réparation est la maturation de la position où règne l’angoisse dépressive (position dépressive). Elle constitue un besoin de faire le bien, de panser les plaies occasionnées. Cela est facilité par l’investissement dans une relation où l’on répare fantasmatiquement le mal causé à l’objet primaire (la mère). Un tel mécanisme se retrouve en l’occurrence dans une démarche de soins.
-
[12]
Pour illustrer son propos elle prend l’exemple d’un patient qui lui « renvoyait à son fils qui a le même âge et le même prénom », dans cette situation-là, elle était « incapable de prendre cette distance » et elle a demandé de se faire remplacer. Elle ajoute qu’« il faut être capable de dire stop ». Cela suppose une bonne qualité d’introspection ainsi qu’une bonne communication et entente au sein de l’équipe.
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[13]
On peut rattacher ce processus, ce geste de vie, cet accomplissement, ce « faire » à la réparation qui est rendue possible.
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[14]
A noter que chaque entretien a été réalisé avec certains soignants d’une même structure de soins. Sans préméditation de ma part, toutes les personnes interrogées sont des femmes. On peut se demander si le contenu des entretiens aurait été différent si des hommes avaient aussi été interrogés. De plus, les interviews ont été effectués aux domiciles respectifs des participantes ; qu’en aurait-il été s’ils avaient eu lieu à Rive-Neuve, ou dans un autre contexte plus neutre ?
-
[15]
Comme le mentionne Métraux (2004) [17], le deuil est créateur, il façonne l’identité, il est une narration de l’existence, et, en ce sens, permet, par son accomplissement, l’accès à une nouvelle identité, dite narrative, i.e. qui se raconte. Il enrichit donc et il génère aussi du sens, source de satisfaction et d’évolution.