Introduction
1L’accompagnement est un outil incontournable dès que l’on prétend prodiguer des soins palliatifs.
2Dans un article récent [1], quatre conditions appropriées aux soins palliatifs pédiatriques sont soulignées par leur auteur:
- échec prévisible d’un traitement curatif;
- maladies chroniques ou apparentées nécessitant un traitement à long terme pour maintenir une qualité de vie acceptable;
- maladies ou conditions progressives dont le traitement est exclusivement palliatif après diagnostic;
- maladies sévères non progressives, entraînant une extrême vulnérabilité aux complications de toute nature (par exemple polyhandicap).
3Si l’on se réfère au point 4 mentionné plus haut, toutes les conditions sont remplies pour que l’on intègre les soins et l’accompagnement de ces personnes dans une démarche palliative [2].
4Nous rapportons ici la réflexion qui est à la base de l’accompagnement palliatif que nous proposons dans notre institution.
Problématique
5Accompagner, c’est par définition aller avec, aller vers. Mais aller où, vers qui, vers quoi?
6Si ces questions se posent à chaque accompagnement, accompagner une personne polyhandicapée qui ne parle pas et qui ne dispose pas librement de son avenir relève d’un défi majeur.
7Accompagner une personne polyhandicapée donne à ce concept une dimension particulière. La naissance d’un enfant polyhandicapé, grevée d’importants facteurs de risque, rend souvent aléatoire les chances et les pronostics de survie à court et moyen terme. La grande fréquence des troubles neurologiques associés, des problèmes digestifs, respiratoires et infectieux en particulier implique de se trouver souvent rapidement dans une situation d’accompagnement palliatif où s’imbriquent soins curatifs, soins palliatifs et accompagnement.
8Quand parle-t-on d’accompagnement dans de telles situations: dès les premiers jours de vie étant donné l’incertitude qui grève toute naissance d’un être polyhandicapé, ou toute la vie, avec son cortège de maladies potentiellement menaçantes?
9Une simple maladie d’enfant peut tourner au drame; une douleur non perçue; un signe clinique trop discret pour être facilement observé ou décodé et la vie du polyhandicapé peut basculer vers la mort, sans que l’on puisse intervenir efficacement.
10Dans ces conditions, accompagner implique tout d’abord d’observer, d’évaluer, de remettre en question ses certitudes.
11L’accompagnement palliatif dans de telles situations est bien celui d’une vie entière. Il n’empêche pas de vivre et souvent de bien vivre!
12Accompagner pour donner un peu d’humanité à ces destinées de souffrance, accompagner pour ne pas passer à côté des bons moments de toute vie.
13Accompagner, c’est ici paradoxalement redonner vie, permettre l’expression – même douloureuse – de la Vie, identique initialement pour tous.
Savoir être; savoir faire
14Partant du paradigme que toute vie est digne d’être vécue, que tout parcours terrestre a un sens, même parfois non perceptible au bien-portant, alors l’accompagnement de la personne polyhandicapée prend une dimension particulière qui engage tous ceux qui gravitent autour.
15Accompagner c’est vivre, tant pour la personne polyhandicapée que pour l’accompagnant professionnel (toutes professions confondues), c’est communiquer d’une autre façon que par le langage seul, c’est trouver d’autres évidences, c’est utiliser d’autres codes relationnels, c’est enfin une œuvre de création permanente, de redimensionnement de soi, de fusion spirituelle.
16Accompagner une personne polyhandicapée c’est:
- se substituer à la parole;
- accepter de ne pas savoir;
- accepter l’incertitude comme principe de vie;
- reconnaître les limites des mots;
- savoir être humble;
- donner et recevoir;
- reconnaître qu’aucun diplôme ne prépare à la déchirure;
- savoir admettre que l’on se trompe, souvent;
- prendre le risque de faire plus de mal que de bien.
- aller vers et non pas contre.
- accepter la rencontre où chacun communique avec son propre langage.
- s’engager dans la durée.
- accepter le regard critique des proches;
- se connaître pour ne pas projeter ses propres angoisses;
- reconnaître que l’on est au service d’un être humain, qui jouit des mêmes droits que soi.
17Si, raisonnablement, on peut souvent tenter d’établir un pronostic de fin de vie chez la personne âgée ou présentant un cancer terminal, tel n’est pas le cas pour le polyhandicapé, tant la notion et les intrications de vie ou de mort sont souvent confuses.
18Cette vie qui nous semble si fragile ne doit pas nous faire vivre en permanence dans une attente morbide qui transformerait la relation humaine en relation obligée de soins, médicalisée et imposée. N’oublions pas que la personne polyhandicapée a sa vie propre avec ses joies et ses tristesses qui ne doit pas être jugée à l’aulne de nos normes d’individus pour l’instant en bonne santé.
19Travailler dans l’incertitude et l’optimisme en toute circonstance permet d’éviter d’en faire trop, sans risquer de nuire à l’épanouissement de la personne polyhandicapée.
20Déchiffrer la personnalité de l’autre, de celui qui est en face, décrypter ses attentes, ses interrogations, ses doutes et ses peurs relève presque de la mission impossible que pourtant chaque intervenant institutionnel mène au quotidien dans un souci d’interdisciplinarité constant ou supposé tel… Car il s’agit d’abord de faire vivre au mieux plus handicapé que soi.
21Pour le soignant ou l’éducateur, une situation d’accompagnement en fin de vie représente un défi relationnel et émotionnel majeur au vu de la relation plus ou moins fusionnelle qui s’est établie au cours des mois ou des années de contact quotidien.
22Comment garder la bonne distance, comment ne pas confondre les rôles au risque de mal accompagner, surtout lorsque nos propres sentiments interfèrent sans cesse avec nos capacités professionnelles. Cette distance est plus ou moins bien admise et jugée nécessaire selon les diverses professions. Elle n’est pas obligatoire si l’on se connaît suffisamment bien et si l’on est capable, à un moment ou à un autre, de dire non. Si par contre on se doit d’être là, jusqu’au bout de la vie, et que l’on doive assurer une présence active et empathique, la connaissance la plus précise possible de ses propres limites est indispensable.
23Certains doivent être efficaces d’abord, d’autres empathiques et attentionnés avant tout. Le surhomme n’existe pas en soins palliatifs.
24Lorsque la fin de vie approche, on voit souvent la réactivation d’un processus inachevé de deuil, celui de la naissance. Deuil d’un être rêvé, deuil de la norme à sa propre image, deuil des espoirs que chaque individu porte sur sa descendance. Toute une vie de parents, de frère ou de sœur à essayer d’oublier, ou plutôt de composer avec le handicap, de se recomposer un monde qui intègre la notion de maladie ou de différence comme une norme de vie, celle de l’être aimé.
25Tenir compte de ces éléments concourt à la réussite, tout au moins vécue comme telle, de l’accompagnement palliatif de la personne polyhandicapée.
En question
26Nous rapportons ici quelques pistes de réflexion élaborées par un groupe de travail interdisciplinaire sur le thème de l’accompagnement de la personne polyhandicapée. Ce groupe se compose d’éducateurs, d’infirmières, de physiothérapeutes et d’ergothérapeutes, de médecins pédiatres et internistes, de membres de la direction de l’institution et, élément indispensable, de parents d’enfants ou d’adolescents polyhandicapés, garants de la cohésion du groupe et de l’adéquation de son travail.
27Nous relevons quatre points qui ont retenu notre attention:
- Comment communiquer autrement que par la parole.
- Compétences des soignants et autres intervenants.
- Relations avec la famille.
- Relations de la personne polyhandicapée avec son entourage.
- Comment communiquer autrement que par la parole:
- par le regard, le toucher, la respiration, le rythme;
- laisser parler son instinct;
- être inventif, créatif;
- reconnaître les compétences du polyhandicapé dans la relation;
- éviter de ne voir le polyhandicapé qu’au travers de la souffrance;
- dédramatiser la situation afin de ne pas augmenter l’angoisse de celui qui est en face de moi;
- trouver un équilibre entre être et faire; être présent simplement;
- collaborer avec tous les proches, famille, collègues etc.;
- pratique quotidienne de la découverte, du tâtonnement, de la supposition, érigés en moyen de communication;
- dire les choses, c’est notre moyen d’expression; chacun doit communiquer avec ses propres moyens;
- moi, comme «résonance» de l’autre;
- partir de la notion que celui qui est en face de moi, même s’il ne parle pas, comprend à sa manière (peut-être même la mienne) ce que je veux lui dire;
- je parle avec ma voix, il me répond avec son corps;
- quand je parle, mon corps dit aussi quelque chose. Et si c’était cet aspect-là qui est le plus compréhensible à mon interlocuteur?;
- le décodage et l’interprétation des réponses ne peut avoir de sens que dans la connaissance approfondie de l’autre, sur la durée;
- la non-compréhension est souvent plus un problème de connaissances insuffisantes de l’autre qu’un problème de manque de moyens d’expression.
- Compétences des soignants/intervenants:
- savoir partager; faire preuve d’humilité, de respect, d’authenticité, de non-jugement;
- éviter de dramatiser l’action et la parole;
- faire montre d’empathie;
- apprendre au préalable à se connaître soi-même;
- acquérir des compétences auprès de formateurs (techniques de communication, psychiatrie, etc.);
- se connaître pour ne pas se laisser envahir par des problèmes personnels;
- disposer d’une supervision, d’aides extérieures;
- sortir du faire pour simplement être; oser être;
- prendre conscience que le polyhandicapé m’apporte quelque chose. Même si ce n’est pas immédiatement intelligible;
- effort de décryptage et d’analyse indispensable;
- soigner ne suffit pas; il faut bâtir avec l’autre;
- comment ne pas juger dans la relation avec l’autre;
- savoir reconnaître le moment où le résident n’a plus besoin de nous;
- la personne qui ne s’exprime pas pense et agit néanmoins à sa manière.
- Relations avec les familles:
- laisser un espace de parole aux familles pour qu’elles échangent entre elles;
- les intervenants doivent être reconnus dans leurs limites;
- élargir le réseau, le cadre, pour éviter l’enfermement;
- les «supposés» des familles ou des proches doivent être a priori tenus pour fiables; à vérifier toutefois dans le doute en cas de désaccord ou manque de consensus;
- les «supposés» de l’équipe doivent être questionnés: fruits de l’habitude? du confort personnel? Ou réelle connaissance des besoins?;
- proposer mais ne pas imposer.
- Relations de la personne polyhandicapée avec son entourage:
- l’autre me restera toujours inconnu, tout spécialiste que je sois;
- travailler avec un polyhandicapé est un choix, pas un passe-temps;
- considérer cet être comme un «être» alors qu’il est souvent au delà de l’«être»;
- mettre et se mettre en position, en possibilité de dialoguer ou de communiquer (lutte contre la douleur);
- à qui puis-je dire mon inquiétude, mon chagrin, afin que ces affects ne perturbent ni n’angoissent celui qui attend mon aide, ma compréhension? Que doit-il en savoir s’il ne l’a pas déjà perçu…;
- proposer mais ne pas imposer;
- qui suis-je pour imposer à l’autre un discours dont il n’a rien à faire?;
- tout faire pour éviter «d’être dans le pouvoir» lorsque je pense dialoguer;
- reconnaître ses limites et oser le dire;
- savoir se laisser surprendre et remettre en question;
- accompagner, c’est aussi savoir lâcher prise et accepter la régression; c’est savoir ne pas avoir peur;
- essayer de vérifier que ce que je professe est ce que l’autre attend de moi et que cela lui est bénéfique;
- utiliser les supposés pour faire le portrait-robot du résident, ressemblant mais imparfait et inachevé.
Conclusion
28Les difficultés existentielles de la personne polyhandicapée impliquent souvent un accompagnement palliatif, de la naissance à la fin de vie. Cet accompagnement a pour spécificité d’être élaboré sur l’incertitude à plusieurs niveaux (nombre des intervenants; multiplicité des diagnostics; supposés des problèmes) qui occupe le champ du polyhandicap. Cet accompagnement à géométrie variable fait partie de la vie quotidienne du polyhandicapé. Il implique une relation privilégiée dans la durée, l’interdisciplinarité et le rôle essentiel des parents. Il est fait de remises en question permanentes en n’oubliant jamais de mettre en son centre l’être humain avec son cortège de mystères.
29Le nombre toujours élevé d’acteurs qui gravitent dans l’espace vital du polyhandicapé complique l’accompagnement. On se heurte souvent à un problème de primauté du savoir être ou du savoir faire, justifié ou non. Qui de l’éducateur, du parent ou du soignant aura «le droit»de s’impliquer en premier, revendiquant ainsi une hiérarchisation des sentiments.
30Ainsi, l’objet de toute notre attention se trouve relégué, de façon inconsciente, au second plan. L’impact émotionnel de la situation d’accompagnement palliatif est tel qu’il est indispensable de préparer tant que faire se peut de tels moments.
31A cet effet, nous avons mis sur pied un groupe de travail qui se réunit environ six fois par an. En permettant à chacun d’apporter ses émotions, ses doutes et ses connaissances, en étant ainsi forcé de mettre au centre des débats la personne souffrante et non pas nos propres problèmes, nous pouvons ainsi vivre un peu plus sereinement ces instants implanifiables, même avec la meilleure volonté du monde. C’est à ce moment que l’interdisciplinarité passe du stade de concept à celui de vécu. L’accompagnement restera toujours au-delà de toute tentative d’enseignement et de codification; parce qu’il est issu du plus profond de l’individu, parce qu’il est dialogue de l’instant, parce qu’il est le miroir de l’exclusivité de chaque vie et de chaque passage de cette vie vers un au-delà qui appartient en propre à chaque mourant.
32Note de la rédaction:
33En relation avec ce sujet, nous vous signalons la parution récente d’un ouvrage collectif sous la direction de Nago Humbert: Les soins palliatifs pédiatriques, éditions de l’Hôpital Sainte Justine, Montréal, Québec, n° ISBN 2-922-770-98-2.
Cet article se base sur le travail d’un groupe interdisciplinaire de réflexion sur les soins palliatifs auprès des personnes polyhandicapées. Je remercie toutes celles et ceux qui se sont engagés dans cette aventure souvent sans savoir ce qui les attendait.
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- 1Himmelstein BP et al. Pediatric palliative care, N Engl J Med 2004; 350: 1752-61.
- 2Pfister G. Personnes polyhandicapées: pour une approche palliative de la douleur, InfoKara, vol. 17, No 3/2002.
Mots-clés éditeurs : polyhandicap, interdisciplinarité, accompagnement palliatif
Mise en ligne 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/inka.043.0125