Notes
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Correspondance: Dominique Pralong, Hôpital de Gériatrie, ch. du Pont-Bochet 3, route de Mon-Idée, CH-1226 Thônex. Tél.: +41 (0)22 305 71 11. Courriel: Dominique. Pralong@ hcuge. ch
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Ethologie: terme proposé par Geoffroy Saint-Hilaire (1855) pour désigner l’étude des conduites animales dans leur environnement naturel.
Introduction
1Durant mon activité au Cesco, j’ai été confrontée à une situation peu banale mettant en présence la personne en fin de vie et son animal.
2Mme H a été hospitalisée avec son chien jusqu’à son dernier souffle de vie, selon son désir le plus cher. Elle s’en est occupée avec l’aide d’un couple d’amis qui sortaient la chienne quotidiennement à l’extérieur de l’établissement. La nuit, à l’approche de la mort de sa maîtresse, la chienne jappait de plus en plus souvent, sans doute inquiétée par les changements d’attitude de Mme H. Elle devenait agressive à l’égard de Lassie dont elle se sentait perdre le contrôle. Nous sortions alors la chienne mais elle restait, fidèle, couchée devant la porte de la chambre. Au matin, elle manifestait le désir de retourner auprès de Mme H.
3Lorsqu’une des soignantes accompagnait Lassie chez le toiletteur, Mme H qui ne présentait aucune douleur, nous sonnait, nous réclamant des antalgiques supplémentaires. Son niveau d’anxiété croissait et au retour de Lassie, elle retrouvait instantanément calme et confort. Le lien avec son animal était si fort qu’il m’a posé question et conduite à rechercher dans ma pratique professionnelle d’autres situations mettant en présence cette relation Homme – Animal. C’est pourquoi j’ai choisi de réaliser un travail de recherche dans le cadre d’une formation en soins palliatifs et thanatologie sur ce thème.
Problématique
4Peu de travaux ont été fournis dans le domaine des soins palliatifs concernant l’apport bénéfique des animaux de compagnie. La première publication a eu lieu à Belfast en 1989, relatant l’effet apaisant de l’animal de compagnie.
5La deuxième publication citée provient de Londres en 1992 et confirme le rôle anxiolytique de l’animal auprès des personnes en fin de vie. Enfin, une étude australienne a montré que l’animal facilitait les interactions entre soignants et patients, ainsi qu’entre visiteurs et malades. En somme, l’animal améliorerait le moral des patients en détournant leur centre d’intérêt morbide.
6Mon travail au Cesco m’a fait prendre conscience que l’animal pouvait jouer un rôle essentiel dans le contexte des soins palliatifs. Les récits de certains patients ont renforcé ce sentiment. La rencontre avec Mme H fut décisive. Elle nous disait: «sans Lassie, je ne peux pas vivre…».
Question de recherche
7L’ensemble des observations que j’ai pu faire m’a conduite à me poser la question suivante: Pourquoi certains patients en fin de vie accordent-ils une si grande place à l’animal de compagnie?
Hypothèse
8J’ai émis l’hypothèse que si certaines personnes accordent autant d’importance à l’animal de compagnie c’est parce qu’il répond à un besoin d’attachement inconditionnel et persistant qui répond au besoin de la personne en fin de vie.
Cadre de référence
L’Homme et l’Animal: à la vie, à la mort
9Le statut de l’animal a évolué tout au long de notre histoire: d’abord domestiqué à des fins utilitaires, l’animal a pris sa place à côté de l’homme pour lui tenir compagnie, jusqu’à être intégré dans la famille. Un lien affectif s’est donc créé entre l’animal et l’homme, suscitant une relation qui apparaît aujourd’hui comme un véritable phénomène de société. Les chiffres révèlent que le nombre d’animaux de compagnie est en augmentation. Une étude réalisée par un institut Link sur la population des animaux familiers en Suisse montre qu’un ménage sur deux a un animal tout particulièrement en Romandie et plus spécifiquement des chats, il y a en effet 1,3 millions de chats dans les ménages suisses contre 440000 chiens. Ce nombre croissant de chiens induit la probabilité pour les propriétaires d’entrer en relation, l’animal offrant un thème de discussion entre les personnes. En établissant des liens sociaux, l’animal établit aussi des liens affectifs: le chien est considéré par 59% des personnes interrogées comme membre de la famille. Il semblerait même que 25% des Français âgés de 25 à 34 ans préféreraient quitter leur conjoint plutôt que d’abandonner leur animal.
10Assurément cette importance grandissante de l’animal dans la société des hommes a suscité l’émergence d’une nouvelle discipline: l’éthologie [1]. Cette discipline s’est réellement développée dans son acceptation moderne qu’à partir des années 1930 grâce à Konrad Lorenz, l’un de ses fondateurs. Elle nous permet aujourd’hui de mieux comprendre notre propre vie, nos relations affectives, amoureuses, nos liens filiaux et familiaux. L’étude des relations entre l’homme et l’animal, ainsi que leur aptitude à communiquer ont bousculé les idées reçues dans le domaine de la psychologie, de l’anthropologie et de la sociologie.
11Toutes ces études qui sont présentées lors des congrès internationaux nous montrent bien que la seule présence d’un animal au côté de l’homme a un impact sur le bien-être de la personne et sur sa santé mentale et physique. Nous pouvons donc dire que la société actuelle porte un grand intérêt à l’animal qui, en retour, nous permet de mieux comprendre notre propre fonctionnement.
L’Homme et l’Animal: une interaction préventive
12L’hypothèse selon laquelle l’animal pourrait agir à titre préventif a été le point de départ d’une étude de l’Université de Cambridge. Les possesseurs d’un animal ont présenté dès les premiers mois qui ont suivi l’acquisition de leur animal, une diminution importante de l’incidence des problèmes mineurs de santé de l’ordre de 50%. Chez ces propriétaires de chiens, cet effet bénéfique a été complété par l’amélioration de leur perception d’eux-mêmes et par celle de leur bien-être psychologique. Une autre étude a montré que l’espérance de vie des patients atteints de maladies coronariennes serait plus importante chez les possesseurs d’animaux. L’animal réduit le stress de la vie courante et générerait le sentiment d’une réussite sociale tout en permettant de se sentir plus proche de la nature. Les problèmes de la vie courante ne sont pas ressentis avec la même intensité. L’animal offre une compagnie de tous les instants, palliant la solitude de certaines personnes isolées.
13De tels bienfaits s’expliquent grâce à des études concernant les effets physiologiques de la présence d’un animal sur notre santé. En effet une étude a pu prouver que le fait de caresser un animal familier réduisait de manière significative la pression artérielle, la température de la peau et la fréquence cardiaque qui sont autant d’indicateurs de stress. Par ailleurs, une autre étude, menée en Australie en 1995, montre que le taux de cholestérol et de triglycérides ainsi que la pression artérielle sont moins élevés chez les possesseurs d’animaux.
L’Homme et l’Animal: une approche thérapeutique
14Le développement actuel de la thérapie par l’animal plus vulgairement appelé «zoothérapie» nous prouve l’incidence positive de la cohabitation entre l’homme et l’animal et les résultats sont encourageants. En effet, d’un point de vue historique, la thérapie par les animaux semble être présente depuis 20 ans aux Etats-Unis: dès la fin des années 1950, un psychologue, Boris Levinson, accompagné par hasard de son chien constata qu’il lui permit d’entrer en contact avec un enfant autiste. Le principe de la démarche zoothérapeutique consiste à utiliser les rapports privilégiés que certaines personnes entretiennent avec des animaux familiers pour les aider à surmonter leur handicap.
15En Suisse romande, une association «Pattes tendues» s’organise actuellement, composée de personnes bénévoles, propriétaires de chiens éduqués pour visiter des personnes âgées en maison de retraite et des personnes handicapées.
Méthodologie
16Afin de connaître la place de l’animal dans l’accompagnement de la fin de vie, j’ai élaboré un questionnaire (annexe 1) que j’ai soumis à 13 personnes malades, pendant les mois de février et mars 1999: 10 hospitalisées au Cesco, principalement des patients âgés et 3 jeunes gens hors du cadre institutionnel, porteurs du virus du Sida. Ces entretiens ont duré environ une heure dans le respect des règles de confidentialité.
Résultats et analyse
17Ces entretiens ont montré à quel point l’animal comptait dans leur vie et était un soutien comparable et même supérieur à celui de leurs proches.
Nature émotionnelle du lien
18La relation est vécue comme symbiotique, dans une compréhension au-delà des mots: «..la chatte, elle venait dormir deux pattes sur mon épaule, comme ça, protecteur, maintenant que je vais mieux, elle ne dort plus avec moi…». L’animal est ressenti comme empathique: «elle le ressent quand je ne vais pas bien, elle va se coucher dans un coin, et puis elle me laisse tranquille…on dirait qu’elle essaye de me faire aller mieux».
19Il rompt avec la solitude et l’isolement lié à la maladie et maintient la personne dans un rôle en la responsabilisant: «ça n’aurait pas été pour Dolly, ça ne m’aurait rien fait de partir», «les seuls moments où je sortais, c’était pour aller se promener, elle m’a permis d’avoir une hygiène de vie». L’intensité des propos employés pris dans le registre de l’émotionnel ont fait surgir des larmes lors de l’évocation de la perte de cet animal. Nous garderons le souvenir de ce forain, aujourd’hui décédé, qui, dans sa résistance admirable à la maladie, tenait à avoir près de lui son petit yorkshire.
20Ces témoignages montrent l’importance de cet attachement inconditionnel: «je vois qu’il y a des gens qui t’oublient mais tes chiens ne t’oublient jamais», une autre personne me disait: «suivant la personne, j’aime mieux parler à mon chien, ils sont francs, pas faux-jetons».
Synthèse
21J’ai tenté de donner un sens aux propos rapportés à partir de différents apports théoriques. L’animal apparaît comme un régulateur dans la vie extérieure des personnes, il crée un rythme et encourage le jeu qui a une influence positive sur le moral. La présence fidèle de ce compagnon sort la personne de sa solitude dans laquelle elle a tendance à se mettre. L’animal tient le rôle d’objet «transitionnel» favorisant le processus de deuil. Il va rassurer la personne tel l’enfant qui garde à ses côtés son ours en peluche. Le besoin accru d’affectivité décrit au moment de la fin de vie peut se projeter sur l’animal qui, à la différence d’autres humains, offre un lien d’attachement nécessaire à toute existence mais avec la particularité d’être inconditionnel et durable. Cette spécificité du lien unissant l’homme et l’animal revêt une ampleur considérable au cours de la fin de vie puisque l’homme peut recevoir toute l’affection de l’animal sans devoir imaginer un moyen de restituer ce don gratuit, inimaginable entre les hommes.
Conclusion
22Ceci m’a donc permis de confirmer mon hypothèse de départ à savoir que les personnes en fin de vie accordent de l’importance à leur animal parce qu’il offre un lien d’attachement inconditionnel et persistant qui répond à un besoin fondamental c’est-à-dire le besoin d’amour. Si manifestement, ce lien jusqu’au bout de la vie entre l’Homme et l’Animal participe à la qualité de l’accompagnement, qu’en est-il quand cette fin de vie se passe à l’hôpital, l’animal peut-il avoir sa place?
Rive-Neuve : quinze ans d’expérience positive
Néanmoins, certaines précautions de base sont à respecter, soit:
- L’animal doit être en bonne santé, il est donc important de le faire contrôler régulièrement chez un vétérinaire (vaccins, parasites, etc.).
- Certaines précautions doivent être prises lors du changement de la litière : lavage des mains, nettoyage et désinfection du bac environ deux fois par semaine.
- Retirer régulièrement les restants de nourriture de son écuelle et nettoyer celle-ci avec un produit détergent pour la vaisselle ; choisir de la nourriture de qualité irréprochable.
Les problèmes auprès des patients peuvent être d’ordre allergique, notamment des allergies aux poils, aux sécrétions et aux déjections. Dans ce cas, il est important de définir les mesures à prendre, en respectant prioritairement la santé des résidents.
Il n’y a donc aucune raison, notamment pour des questions d’hygiène hospitalière, de renoncer aux animaux de compagnie, car ceux-ci sont, pour certaines personnes (dont je fais partie) d’une importance capitale en tant que compagnon, voire même ami et confident, fidèle et aimant et leur rôle est donc important et bénéfique pour l’équilibre affectif des résidents.
Anne Perrod
Consultante en hygiène hospitalière et hygiène alimentaire,
Fondation Rive-Neuve, 20 Clos du Moulin CH-1884 Villeneuve.
Courriel : info@ rive-neuve. ch
Questionnaire
23Voilà déjà six mois que Christie et Léo de l’association Pattes tendues nous rendent visite. L’heure est donc au bilan!
24Pourriez-vous répondre à ces quelques questions au plus vite, s.v.p.
25Merci à tous.
26Dominique
Trouvez-vous utile Pattes tendues? | Oui | Passable | Non |
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Pensez-vous que ça augmente la charge de travail? | Oui | Passable | Non |
❏ | ❏ | ❏ |
Avez-vous noté un bénéfice pour les patients? | Oui | Non |
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Avez-vous un animal? | Oui | Non |
❏ | ❏ | |
Trouvez-vous appropriée l’heure de la séance? | Oui | Non |
❏ | ❏ | |
Auriez-vous des suggestions à faire? | Oui | Non |
❏ | ❏ |
27Si oui, lesquelles?
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- 1Bonduelle P, Joublin H: L’animal de compagnie, Paris, PUF, 1995. Coll. Que sais-je? N° 2998.
- 2Bouchard C, Delbourg C: Les effets bénéfiques des animaux sur notre santé, Paris, Ed. Albin Michel, 1995.
- 3Cyrulnik B: Mémoire de singe et paroles d’hommes, Paris, Ed. Hachette, 1983.
- 4Cyrulnik B: Sous le signe du lien, Paris, Ed. Hachette, 1989.
- 5Cyrulnik B: Les nourritures affectives, Paris, Ed. Odile Jacob, 1993.
- 6Cyrulnik B et al: Si les lions pouvaient parler, Essais sur la condition animale, Paris, Ed. Gallimard, 1998.
- 7Cyrulnik B et al: L’animal, un thérapeute pas si bête in Journal des psychologues, mars 1999, n° 165, p. 21-53.
- 8De Aulniers L: Les animaux et la mort in Revue Frontières, vol. 10, n° 1, 1997, p. 2-5.
- 9Lorenz K: Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons et tous les chiens, tous les chats, Paris, Ed. Flammarion, 1992.
- 10Rousselet-Blanc V, Mangez C: Les animaux guérisseurs, Paris, Ed. Lattès, 1992.
- 11Soule M: L’animal dans la vie de l’enfant, Paris, ESF, 1980.
- 12Vuillemenot JL: La personne âgée et son animal, pour le maintien du lien, Paris, Ed. Eres, 1997.
- 13Vallotton M: L’enfant et l’animal dans l’éducation, Paris, Ed. Casterman, 1977.
- 14Robinson I: Waltham Book of Human and Animal interaction: Benefits and responsabilities of pet ownership, New York, Pergamon, 1995.
Mots-clés éditeurs : inconditionnalité, relation Homme-Animal, thérapie assistée par l'animal, attachement
Date de mise en ligne : 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/inka.041.0009Notes
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Correspondance: Dominique Pralong, Hôpital de Gériatrie, ch. du Pont-Bochet 3, route de Mon-Idée, CH-1226 Thônex. Tél.: +41 (0)22 305 71 11. Courriel: Dominique. Pralong@ hcuge. ch
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Ethologie: terme proposé par Geoffroy Saint-Hilaire (1855) pour désigner l’étude des conduites animales dans leur environnement naturel.