1Etre polyhandicapé implique souvent une multitude d’a priori parmi les proches et surtout les soignants qui gravitent autour de ces personnes. Les polyhandicapés sont-ils capables de ressentir une douleur, peuvent-ils exprimer une souffrance, ont-ils droit aux soins palliatifs? Et qu’est-ce que ce terme signifie dans cette situation si particulière du polyhandicap?
2Derrière ces questions provocantes se cache une réalité qui a été celle de la gériatrie et celle de la pédiatrie: souffre-t-on si l’on ne peut pas exprimer de plaintes en raison de son âge ou de ses facultés intellectuelles?
3Qui dit soins palliatifs ne dit pas toujours fin de vie et mort, comme cela est encore trop souvent perçu par une grande partie de la population. Au contraire, les soins palliatifs s’inscrivent dans une démarche d’accompagnement qui dure toute une vie dans le cas du polyhandicapé, qu’elle soit courte ou longue. Dès notre naissance, handicapés ou bien-portants, nous disposons tous d’une durée de vie, donc d’un temps qui reste à vivre. Il nous incombe d’utiliser ce temps pour maintenir la meilleure qualité de vie possible. Les soins palliatifs sont un moyen de soutien à cette vie perturbée, parfois du début à la fin. Ils ne sont qu’un instrument à notre disposition pour permettre, quand cela est nécessaire, de garder un sens et une dignité à notre vie.
Les besoins d’une personne polyhandicapée
4La définition du polyhandicap laisse entrevoir la difficulté d’identifier et de nommer la douleur: il s’agit d’un handicap sévère à expression multiple, associant déficience motrice et retard mental, entraînant une extrême limitation de l’autonomie, de la perception, de l’expression et de la communication.
5Le but principal de tout soignant est d’assurer au patient ses besoins fondamentaux tels qu’ils ont été définis par Henderson. Dans le cadre du polyhandicapé, ces besoins sont le plus souvent au nombre de six:
- respirer;
- boire et manger;
- éliminer;
- se mouvoir, maintenir une posture;
- se reposer, dormir;
- apprendre.
Reconnaître et évaluer la douleur
La difficulté de dire
6La personne polyhandicapée doit être appréhendée dans sa globalité, en évitant toute dichotomie corps-psychisme. Il est très important de l’écouter, de déchiffrer sa plainte et d’en découvrir si possible les contenus cachés. S’occuper d’un patient polyhandicapé implique de reconnaître des facteurs endogènes dont la répétitivité devient la norme, et qui peuvent masquer un état de douleur ou de souffrance (mauvaise position; déformation etc.).
7L’image déformée que renvoie le patient polyhandicapé peut amener les soignants à ne pas voir l’inconfort ou la douleur. De par sa fréquente difficulté voire impossibilité à verbaliser, le polyhandicapé se trouve confronté, de même que son interlocuteur, au problème de la reconnaissance de la douleur. Comment envoyer à l’autre le signal que l’on souffre, si ce n’est par des manifestations d’ordre neurovégétatif, comme l’augmentation de la fréquence cardiaque, de la respiration, une sudation excessive et inhabituelle, une variation de la pression artérielle ou encore une modification de la spasticité?
8Le polyhandicapé se heurte donc aux difficultés suivantes: identification de la douleur, analyse de la douleur, réaction à la douleur et communication de cette douleur à l’autre. En d’autres termes, qui va «dire» la douleur?
L’origine des douleurs
9Plusieurs études ont montré que les personnes polyhandicapées souffrent de façon plus ou moins chronique. D’après Schwartz et coll., 63% d’entre elles présentent des douleurs qui durent depuis plus de trois mois, se répercutant plus ou moins fortement sur la qualité de vie dans près de 90% des situations.
10L’origine des douleurs chez le polyhandicapé est très variée, mais relativement bien connue: spasticité, rétraction musculaire, immobilité, points de pression, constipation, reflux gastro-œsophagien, fractures ou tassements sur ostéoporose pour ne citer que les plus fréquentes. On n’oubliera pas les infections urinaires et ORL, les mobilisations inappropriées… et les excès de stress.
11L’anxiété due au long parcours médical de ces handicapés, la peur de l’inconnu, de la douleur si souvent rencontrée et mal contrôlée, l’incapacité à verbaliser, et les «supposés» des soignants sont autant de facteurs aggravants de cette douleur. A juste titre, J. Salome dit que «ce qui n’est pas dit avec des mots sera dit avec des maux».
Croire et diagnostiquer
12Comment diagnostiquer la douleur dans de telles situations? Il est indispensable tout d’abord de croire en la plainte douloureuse, quelle que soit son expression. Il faut ensuite interroger le patient, si possible, mais aussi son entourage. Il convient également de savoir observer et de prendre son temps pour examiner au mieux le patient. Il importe par dessus tout d’évaluer la douleur supposée au moyen de grilles d’évaluation validées, DOLOPLUS [8] chez l’adulte polyhandicapé ou non, mais surtout incapable de s’exprimer, DESS (douleur enfant San Salvador) [9] chez l’enfant polyhandicapé. Bien qu’imparfaites, ces grilles n’en restent pas moins de précieux outils qui vont permettre au soignant d’identifier et de prendre en charge la douleur plus rapidement et plus précisément.
13Un bilan physique et si possible psychologique doit être réalisé à l’admission dans l’institution ou le service; ce bilan devra être répété ultérieurement à chaque trimestre. Toute anomalie par rapport au dossier de base (p. ex. échelle DESS) devra être signalée et analysée.
14Le rôle des soignants est ici capital puisque, dans 80% des cas, ils sont à même d’identifier la ou les causes des douleurs de la personne qui leur est confiée, pour autant qu’ils travaillent au sein d’une équipe entraînée.
15Intégrer la douleur dans son contexte global, traiter la cause si possible, fixer des objectifs et prévenir la douleur plutôt que d’attendre sa réapparition, voilà les tâches principales des soignants.
Traiter la douleur
L’utilisation des médicaments
16Peut-on employer les mêmes médicaments antalgiques – sous-entendu la morphine – chez le polyhandicapé que chez les autres patients? C’est une question fréquemment posée et qui implique d’abord de répondre positivement à cette autre interrogation: utilisez-vous la morphine aussi souvent qu’elle le devrait chez tous vos patients?
17Il n’y a pas plus de contre-indication à l’usage des opioïdes majeurs chez le polyhandicapé que chez toute autre personne, d’autant plus que les problèmes de constipation, de troubles respiratoires sont le pain quotidien des soignants dans le milieu du polyhandicap et que la vigilance est de règle!
18On privilégiera la voie sous-cutanée ou, mieux encore, la voie transdermique, pour éviter tout geste vite ressenti comme agressif. Souvent, la voie orale est contre-indiquée en raison de troubles majeurs de la déglutition. Les patchs de buprénorphine sont d’un usage simple et pratique; ils peuvent être coupés en deux pour obtenir un dosage relativement précis. Les patchs de fentanyl sont fortement dosés et nécessitent préalablement une titration par la morphine.
19En ce qui concerne les AINS, on utilisera avantageusement les anti-COX 2, de longue durée d’action et aux effets gastro-intestinaux relativement peu importants.
20Les douleurs neurogènes sont souvent peu apparentes de par la fréquente utilisation, pour d’autres raisons, de médicaments anti-épileptiques (carbamazépine, clonazépam etc.). Les antidépresseurs sont difficiles à évaluer de par le manque de communication verbale; leur indication reste toutefois utile si l’interprétation d’une grille d’évaluation paraît justifier leur emploi.
L’intérêt de la prévention
21La prévention est le domaine de prédilection de toute personne amenée à s’occuper de polyhandicapés. Les mesures d’hygiène et de nursing, le respect d’un rythme de vie propre à chacun (un temps pour soi), sont les clés de voûte d’une prise en charge optimale. S’ajoutent à cela les thérapies physiques (ergothérapie et physiothérapie), la relaxothérapie (bains, massages, réflexologie etc.), la chirurgie élective parfois, les médicaments souvent, malgré leurs nombreux effets secondaires, le soutien psychologique et spirituel.
22Il est important de ne pas exclure une approche au détriment d’une autre. Comme le préconise Eliane Ferragut: «Ce qui est agaçant actuellement, c’est que le choix de quelques-uns se transforme, par je ne sais quelle alchimie, en règle quasi obligatoire (…). Il est important de ne pas céder à ce genre de pression et de revendiquer le droit en tant que cliniciens, de penser par nous-mêmes».
Le rôle de la famille
23La famille reste le pilier central de la prise en charge du patient polyhandicapé à chaque instant de la vie. En situation de crise, a fortiori dans la décision d’entreprendre des soins palliatifs, la famille traverse souvent les mêmes étapes que le malade (réaction en miroir): déni; colère, angoisse, culpabilité; dépression puis acceptation. Ses membres auront tendance à la fuite dans le travail, au burn-out (épuisement), à la crainte de l’avenir, à la perte de confiance, au repli social et aux conflits familiaux.
24Il appartiendra alors à l’équipe de créer un climat de confiance avec la famille, de la rassurer sur ses compétence professionnelles; il lui incombera la difficile charge d’élaborer des objectifs communs pour optimaliser la prise en charge de celui qui souffre. La famille devra être consultée dans tous les cas lors de problème grave même si ce n’est pas à elle qu’incombe automatiquement la décision finale. La famille devient ainsi un partenaire de soins et également un objet de soins.
Conclusion
25Dans la prise en charge du polyhandicapé qui souffre, «la maladie ne doit plus être l’ennemi à abattre mais un partenaire à apprivoiser». L’intrication de situations curatives et palliatives tout au long de l’existence de la personne polyhandicapée rend d’autant plus nécessaire une évaluation précise de la douleur et la mise en œuvre des mêmes moyens que pour des patients non handicapés. La connaissance du patient dans la durée, son observation quotidienne, une attention soutenue pour ne pas passer à côté d’un instant de douleur vite noyé dans la souffrance permanente et quotidienne plus ou moins tolérée, tels sont les défis que doivent relever soignants et proches dans l’accompagnement palliatif d’une vie de polyhandicapé.
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- 1Collignon P et coll.: Utilisation d’une échelle d’hétéro-évaluation de la douleur chez le sujet sévèrement polyhandicapé. Douleur et analgésie 1997, 1: 27-32.
- 2Collignon P et al.: Validation of a pain evaluation scale for patients with severe cerebral palsy. European Journal of Pain 2001, 5: 433.
- 3Douleur et handicap moteur, évaluation et traitement, Actes des 11es Entretiens de Garches, Paris, 1998.
- 4Ferragut E: Psychopathologie de la douleur. Masson: Paris, 2001.
- 5Ferragut E: Thérapies de la douleur. Masson: Paris, 2002.
- 6Jacquemin D et coll.: Manuel de soins palliatifs. Dunod: Centre d’éthique médicale, 2001.
- 7Schwartz L et coll.: Pain in persons with cerebral palsy. Arch Phys Med Rehabil 1999, 80: 1243-6.
- 8Doloplus-2: Dr Bernard Wary, service régional des soins palliatifs, CHR Metz-Thionville, www. doloplus. com.
- 9Dess: www. doloplus. com et www. sans-douleur. ch.
Mots-clés éditeurs : evaluation, polyhandicap, traitement de la douleur
Mise en ligne 01/01/2007
https://doi.org/10.3917/inka.023.0100