1 Ce cinquantième numéro de la Revue Imaginaire et Inconscient chez l’éditeur l’Esprit du Temps s’appuie sur la Journée Scientifique du GIREP du 27 mars 2021, porteuse du même titre « Entre corps et psyché, l’image ».
2 Nous en prolongerons le propos par de nouveaux textes.
3 L’exploration proposée ici se déroule au cœur de l’univers foisonnant, et aux langages parfois étranges et complexes, de l’image :
4 Proto-image à peine formée ; images sensorielles, liées entre elles, entrant en résonance, mais non équivalentes, par exemple une « image » olfactive et une image visuelle (madeleine de Proust) ; image mentale intériorisé, introjectée, la représentation donc ; l’image graphique et picturale projetée sur la paroi de la caverne, sur le dessin d’enfant, sur la toile du peintre, sur la peau tatouée… Image projetée donc. Il y a aussi l’image de l’hallucination, qui se croit être perception réelle et qui sera déclinée ici par Guy Lavallée surtout par le biais de son versant dynamique, créatif, non pathologique, de l’hallucinatoire, « comme condition de toute activité de représentation » (Gibeault 2008, p 40).
L’originaire
5 Commençons par la grotte, puisqu’il faut bien partir de l’origine, d’un lieu originaire…
6 Alain Gibeault dans un très beau texte, Naissance de la symbolisation et art préhistorique, évitant l’écueil d’une lecture collée de l’art pariétal par la psychanalyse, ne s’interdit pas pour autant de faire travailler les effets de résonance entre l’un et l’autre, et de se pencher sur les conditions d’émergence du symbolique chez le sapiens du paléolithique (l’art pariétal paléolithique est situé entre 38000 et 12000 ans avant notre ère), et le sapiens moderne.
7 A la suite de préhistoriens comme David Lewis-Williams, AGibeault met en évidence l’utilisation du relief des grottes dans les représentations graphiques rupestres : la flamme vacillante éclairant la paroi de la caverne évoque au chaman tel animal en mouvement, comme le cheval de la grotte de Pech-Merle dans le Lot.
8 Dès lors, la peinture ou la gravure n’est pas là par hasard : « dans les profondeurs de la grotte, il s’agissait de créer un impact quasi hallucinatoire qui témoignait de la présence vivante des esprits animaux déjà inscrits dans le relief de la pierre » (Gibeault, 2008, p 39). Le trait graphique sur le relief de la pierre n’est pas qu’une facilité technique, mais trouve ses racines dans la pensée animiste : cette pensée, cette croyance animiste, interprète la forme de la pierre, ici le cheval, comme présence réelle, et viendra en re-souligner les contours et lui donner couleur, matière et nouvelle figuration par la représentation graphique… Le cheval est là. L’hallucinatoire a investi pulsionnellement cette perception en lui donnant sens.
9 On voit donc ici un trajet, une boucle qui passe entre la perception visuelle, la représentation psychique puis graphique, qui engendre elle-même une nouvelle perception enrichie par ce trajet qui correspond au travail de l’hallucinatoire.
10 Au fond, ne faisons-nous pas la même chose lorsque nous proposons à nos patients ce qu’on appelle une « épreuve projective » ? Que ce soit le Rorschach, le TAT, le Photolangage : « dites-moi ce que VOUS » voyez dans cette image, dans cette photo. » Dans ce VOIR, il n’est alors pas question que de perception.
Représentation et perception, ou l’inverse ?
11 Cette question traverse en arrière-fond un certain nombre des textes présentés, la perception précède-t-elle la représentation ou lui succède-t-elle ? Comment la représentation, de choses dans la symbolisation primaire, de mots dans la symbolisation, secondaire, investit-elle la perception ? Comment la nourrit-elle ? Et comment se construit la représentation ?
12 G. Lavallée reprend ici son développement sur la polymorphie de la représentation et la dynamique hallucinatoire.
13 Dans l’ouvrage collectif « Les contenants de pensée » (1993, 2003) il soulignait déjà la singularité de l’œil comme organe sensoriel particulier par rapport aux autres, ouïe, odorat… Si ma peau prend plaisir à être touchée, c’est qu’elle est une zone érogène déjà par elle-même, fortement innervée, sensible. Si mon œil prend plaisir à regarder un tableau impressionniste, ou contempler un beau paysage, ce n‘est pas parce que l’œil est une zone érogène, c’est par la richesse des représentations qui entrent alors en résonance, qui sont éveillées, qui se projettent dans ce tableau. Le plaisir est alors un plaisir représentatif : « L’excitation visuelle est psychique ou n’est pas (Lavallée, 2003, p 90).
14 Dès lors, on voit très clairement le lien privilégié, l’intrication entre le psychique et le visuel, matériau privilégié, brique primaire de la pensée. On pense là aussi au pictogramme de Piera Aulagnier. Mais c’est bien dans le substrat corporel, sensori-moteur, sensoriel et émotionnel que se fomentent ces images et Claudia Infurchia propose d’enrichir la compréhension psychanalytique de ces processus par les apports complexes mais complémentaires des neurobiologistes.
15 Le corps est aussi un corps sexué, et N. Denis-Kuhn à partir de son écoute des femmes autour de la contraception montre en quoi le choix contraceptif, dans ses résonances symboliques, n’est pas qu’une histoire de gynécologie…
16 Deux présentations centrées sur la clinique, de F Sardas et A-G Ulloa, nous permettront d’entrer de plain-pied dans le tressage subtil du transfert, de l’image (corporelle, sonore ou visuelle) et des mots, lorsque la thérapeute-psychanalyste, mobilisant le « registre imageant » (Sardas) dans un cadre contenant, s’appuie sur sa capacité de rêverie et de co-rêverie avec son patient.
17 Variations et billet d’humeur rendront compte du travail d’élaboration exigeant et exigé pour penser l’inscription du rêve-éveillé dans le champ psychanalytique.
Bibliographie
- Gibeault Alain, « Naissance de la symbolisation et art préhistorique », Cahiers jungiens de psychanalyse 2008/3 (N° 127), pages 36 à 44 Lavallée Guy, « La boucle contenante et subjectivante de la vision (Sa rupture dans les états
- psychotiques) », in Les contenants de pensée, Didier Anzieu et al. Dunod, 2003, pp 87 à 124