Couverture de IMIN_036

Article de revue

« Bug ! » : thérapie et/ou médiation familiale ?

Pages 125 à 139

Notes

  • [1]
    Guignard F. (carnet psy n°144). Cité dans l’article proposé par Geneviève de Taisne dans le présent numéro.
  • [2]
    Dahan J. (1996). La médiation familiale. Edition Morisset. Jocelyne Dahan et médiatrice familiale et formatrice.
  • [3]
    Caillé A. et Grésy J.-E. (2014). La révolution du don. Edition du Seuil
  • [4]
    Godbout J. (2000). Le don, la dette et l’identité. Editions La Découverte/M.A.U.S.S.
  • [5]
    Lemereur A. et Colson A. (2004). Méthodes de négociation. Dunod.
  • [6]
    Duret-Salzer F. (2014). La question de l’autorité du médiateur familial. In Revue Tiers. Edité par l’Association Pour la Médiation Familiale.
  • [7]
    Si la question de l’autorité vous intéresse, je détaille ci après quelques éléments complémentaires (définitions), extraits de ma recherche (voir note (6)) :
    Aborder la question de l’autorité du médiateur familial implique de s’entendre sur la dimension positive de l’autorité. Les travaux d’Hannah Arendt sont à ce titre très éclairants : « l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué ». (Hannah Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? », La Crise de la culture (1968), trad. P. Lévy, Gallimard, coll. « Folio essais », 1989, p. 123-124) Ici, l’autorité est opposée à l’autoritarisme puisqu’il ne s’agit pas de coercition.
    Ceci renvoie, par exemple, aux sujets qui seront travaillés en médiation. Ils sont amenés par les personnes. Le médiateur conduit le processus à partir de ce qu’elles souhaitent résoudre. Jamais il n’imposera les sujets. Il pourra annoncer que ceux qui sont mis sur la table un jour pourront être complétés, modifiés, enrichis ou annulés par la suite. Il donne ainsi une liberté d’évolution dans le respect de ce que souhaitent les personnes dans l’ici et maintenant, dans le respect de ce qui se passera au fil du temps de la médiation et en dehors des entretiens. Comme le médiateur n’oblige pas, son intervention se situe bien dans cette approche d’autorité non coercitive.
    Mais alors, qu’est-ce qui fait autorité ?
    Selon H. Arendt, ce qui définit une relation d’autorité c’est ce que deux entités « ont en commun, c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée ».
    L’autorité est donc ici liée à la légitimité des places et des rôles. Le rôle du médiateur est de conduire un processus en faisant autorité pour que les places et rôles de chacun soient identifiés. L’autorité permet le respect de la déontologie et ainsi le travail qui s’opère en médiation.

1 Préalable : La médiation familiale concerne la famille au sens large : pour le couple (on parle alors plutôt de médiation conjugale), lors de la séparation, entre fratrie, entre parents et adolescents, entre parents et grands-parents, etc... Ceci étant dit, 80 % des situations que nous rencontrons concernent des contextes de séparation et divorce. Ceci explique que nous ferons plutôt référence dans ce qui suit au bug dans ces contextes de rupture.

2 Lorsqu’il y a « bug » dans la famille, tout l’enjeu pour les personnes concernées, est – en substance – de parvenir à comprendre ce qui fait bug. Le travail analytique et celui en médiation accompagnent avec ce même objectif : comment atteindre un meilleur bien-être, accepter le changement et dépasser le bug ? Si les deux démarches ont des objectifs communs, les voies du travail thérapeutique et de la médiation familiale semblent dans l’ensemble bien distinctes. Cet article propose une réflexion sur les spécificités des différentes pratiques et ceci surtout pour entrer dans le détail de celles de la médiation familiale.

1 - Spécificités de la démarche de médiation familiale par rapport à la démarche analytique

3 Les champs d’intervention de chaque professionnel doivent être respectés afin que les personnes qui y recourent puissent avoir une lecture claire des rôles de chacun. L’objectif ici est aussi de bien comprendre les spécificités de chaque pratique afin de mieux comprendre leur complémentarité.

Quelles distinctions entre les deux démarches ?

4

  • La médiation familiale implique un travail en présence des différentes parties, là où le thérapeute peut soit travailler en thérapie de couple, soit en thérapie individuelle. L’enjeu de la médiation porte sur l’échange à propos de la relation à l’autre. Ceci implique la présence de chacun.
  • L’objectif de la médiation familiale est le maintien du lien à l’autre, la restauration d’une relation. Ce travail sur la relation peut-être un objectif en soi. Cependant, la médiation familiale implique le plus souvent aussi une préoccupation pour des décisions très concrètes pour faire face aux changements, au bug : quelle organisation pour l’accueil des enfants ? Quelle contribution financière de l’un à l’autre ? Quelle décision vis à vis des activités des enfants ? etc. Cet objectif de travail sur le concret semble propre à un travail de médiation familiale, là où le thérapeute invitera à un travail plus en profondeur pour que les séances facilitent les mouvements, en dehors de l’espace analytique.
  • En découle la question de la durée des différents accompagnements : la médiation familiale implique un travail sur 3 à 6 entretiens (en général) de 1h30 à 2 heures. C’est un accompagnement court, visant à faciliter la compréhension de ce qui se passe pour chacun afin que les personnes puissent ensemble prendre des décisions, dans le cadre sécurisé de la médiation. Pour sa part, le travail thérapeutique ne se définit pas dans une limite de temps. Le thérapeute parle de « patients », ce qui indique cette non temporalité définie. Chez les médiateurs, nous parlons des « personnes », ou des « médiés » dans un processus court.
  • A titre d’exemple, on ne parle pas de transfert, d’interprétation par le médiateur ni de rêve-éveillé en médiation. La médiation est une invitation à exprimer pour chacun ce qui se passe dans l’ici et maintenant. L’exploration du passé n’y a pas comme objectif l’analyse, mais la compréhension de ce qui s’est passé ou se passe pour chacun afin que la reconnaissance de ce que vit chacun conduise à une meilleure compréhension pour construire l’avenir et permettre aux personnes, ensemble, de passer du « bug » au changement.

5 On pourrait dire, avant de voir les éléments communs, que la médiation accompagne les « bugs » exclusivement sur la relation et vers l’accord avec l’autre, là où le thérapeute va concerner en premier lieu « la construction du Moi et l’amélioration de la nature des défenses qui interviennent dans les relations du sujet avec ses propres pulsions et celles des autres… »[1] Guignard F. (carnet psy n°144)

6 L’analyse cherche la compréhension interne du sujet à lui-même. Alors que la médiation cherche la possible ouverture vers la compréhension à l’autre qui est présent dans l’espace de médiation. Ceci explique qu’il peut arriver d’interroger les personnes sur l’intérêt d’un travail analytique en parallèle à la médiation, qui dans l’idéal, au regard de ce qui vient d’être exposé ici, « devrait » précéder la médiation pour faciliter ses avancées à l’autre. Autrement dit, centrer sur le soi à soi (analyse) avant ou parallèlement de s’interroger sur le soi à l’autre (médiation).

Quels points communs entre les deux démarches ?

7

  • Démarche analytique et médiation sont impactées dans leurs pratiques par les mutations sociétales qui génèrent du conflit. Nous évoluons dans une société qui prône l’importance de satisfaire ses désirs, société qui prône la liberté des choix individuels et facilite l’éclatement des systèmes lorsqu’ils sont contraignants. Le couple a toujours été fait de joie... mais aussi de difficultés. Là où les sociétés qui fonctionnent sur des modes traditionnels insufflent l’idée de dépasser ensemble les difficultés, notre société moderne qui centre sur les désirs des individus facilite le recours à la rupture quand il y a « bug ». Chacun arrive avec l’obsession de la satisfaction de ses besoins, de ses désirs, ce qui, dans le cadre de nos suivis, nous conduit à accueillir le conflit accusatoire : « le problème, c’est l’autre ! C’est l’autre qui freine mes désirs. » Thérapeute et médiateur, chacun à sa manière, vont tenter de faire bouger la personne par la compréhension (médiateur) ou l’analyse (thérapeute) de sa propre responsabilité ou part, dans le conflit qu’elle traverse.
  • Démarche analytique et médiation se mettent en place par la conduite d’un professionnel qui, à sa manière, va proposer un cadre pour favoriser une confiance, ainsi qu’un processus visant la sécurisation et l’avancée. Je détaillerai plus loin les spécificités du processus de médiation.
  • Nous partageons aussi une déontologie : la neutralité qui en médiation se définit comme un engagement du médiateur à offrir un espace le plus neutre possible et une volonté de ne pas faire de projet pour les personnes. Le médiateur n’est pas un conseil : il facilite la compréhension pour rendre possible les décisions formulées par les personnes. Nous partageons la confidentialité qui est un élément déterminant pour la liberté de la parole.

En synthèse :

8 Je souhaite ici faire référence à une métaphore proposée par Jocelyne Dahan [2] : Elle imagine que lorsque les personnes se présentent, elles arrivent comme avec une malle :

9

  • Dans l’espace thérapeutique, le thérapeute va inviter les personnes à ouvrir la malle, retirer les objets qu’elle contient, pour arriver à un double fond dont seul lui, de par sa formation, à la clé. Le thérapeute va aider les personnes à réorganiser cet espace secret qui est le leur, et à remettre les objets pour refermer la malle qui leur appartient.
  • Dans l’espace de la médiation familiale, la malle est aussi du voyage. Mais le médiateur n’est pas habilité à l’ouvrir. Il lui faudra pourtant quelques objets qu’elle contient s’il veut les aider à avancer. Seules les personnes pourront l’ouvrir, et mettre dans l’espace de médiation ce qu’ils souhaitent. Mais jamais le médiateur ne mettra, lui, la main dans la malle, jamais il ne s’approchera du double fond dont il n’a pas la clé.

10 C’est donc avec ce que les personnes amènent, par elles-mêmes, que le médiateur familial va les accompagner dans l’organisation familiale, concrètement. Parallèlement, le médiateur pourra indiquer l’adresse d’un « serrurier » (pour reprendre la métaphore de Jocelyne Dahan), si les personnes n’en connaissent pas et le demandent. Il faut souligner qu’il est très fréquent que les personnes, quand elles viennent en médiation, soient déjà, par ailleurs, suivies dans un espace thérapeutique qui les considère chacun individuellement.

2 - La démarche de médiation familiale

11 Chacun connaît le proverbe : « quand on aime, on ne compte pas... ». On est alors dans le don et la confiance. La relation de confiance permet à celui qui donne de savoir, sans que cela soit formalisé, qu’il y aura un rendu, peut-être sous une autre forme. L’espace de la reconnaissance mutuelle est préservé. On ne compte pas, on donne, on reçoit : on obéit au cycle qui cimente les liens sociaux et amoureux : demander, donner, recevoir et rendre. [3]

12 Ce cycle poussé à son maximum conduit à un état de « dette mutuelle positive » [4] : c’est le don sans compter où chacun est donneur et receveur. Rien n’est comptabilisé et les dynamiques continuelles de don et de contre-don font le lien et la relation, dans la confiance.

13 Cette situation amoureuse idyllique évolue bien souvent en intégrant plus de négociation que de don dans le couple : « je veux bien faire la vaisselle, mais tu couches les enfants, d’accord ? ». Et c’est ainsi que « chacun y trouve son compte ».

14 Le couple négociateur s’organise dans ce système qui protège les intérêts de chacun et de la famille, jusqu’au jour où il y a rupture : de la relation, de la parole, du lien.

15 De fil en aiguille, alors, si comme dit plus haut : « quand on aime, on ne compte pas... », « quand on n’aime plus, on ne fait que ça ». C’est l’entrée alors dans les négociations sur position où le comptage s’organise au millimètre. Certains se mettront à compter même ce qu’ils n’avaient jamais compté. C’est l’obsession du solde de tout compte, l’entrée dans des négociations sur des positions fermes, péremptoires. Le risque est alors d’en arriver à une rupture des négociations. C’est le gel : pas de parole ni d’écoute.

16 Et pourtant, s’ils ne sont plus couple, ils demeurent parents et d’une certaine manière, ils restent interdépendants en ce qui concerne leurs enfants.

17 La médiation intervient alors comme une négociation accompagnée par un tiers : le médiateur. Pourquoi identifier la médiation comme une négociation accompagnée ?

18 Chaque négociation implique 3 axes [5] :

19

  1. QUI ? : les personnes et leurs relations
  2. QUOI ? : les objets de fond à mettre sur la table
  3. COMMENT ? : la manière dont on négocie, c’est-à-dire le processus, la qualité de la communication et de la confiance, la logistique (le lieu, les outils nécessaires pour conduire la négociation).

20 Je considère ici la médiation comme un processus de négociation accompagnée car le médiateur prend en charge l’axe du COMMENT pour que les personnes se comprennent et prennent des décisions par elles-mêmes sur le QUI et le QUOI.

21 Alors que les personnes sont interdépendantes, par exemple vis à vis de leurs enfants, elles peuvent vivre des bugs qui font séisme et rompent toute possibilité de se mettre autour de la table. Les conflits et rancœurs prennent le dessus. L’intérêt de la médiation familiale est de leur proposer un processus sécurisé pour qu’elles puissent reprendre les négociations en sortant des mécanismes d’accusation et d’attaque réciproques. Le médiateur fait autorité sur le COMMENT qui permet la reprise d’un processus de décision pérenne. Il me semble intéressant de présenter brièvement le processus de médiation. Ce qui suit vise à donner une idée sur le processus qui est aussi adapté en fonction des différentes situations.

3 - Le processus de médiation pour dépasser les bugs

22 Lors du premier entretien, les personnes se présentent sans savoir précisément ce qui peut se passer dans cet espace qui les invite à venir s’asseoir à côté de « leur pire ennemi ». Alors que la présence de l’autre leur donne (souvent) l’envie de fuir, cet espace va les inviter à se rapprocher : à s’écouter, à se comprendre, à décider ensemble. Complexe ! Les premiers moments sont déterminants pour la mise en place d’un processus particulier. Les personnes ont besoin que le médiateur fasse autorité en prenant en main l’interaction. Il pose ainsi sa légitimité en tant que tiers. Ceci implique la nécessité d’expliquer les spécificités de la médiation : sur le COMMENT (voir plus haut) pour qu’elles puissent reprendre la main sur les décisions familiales qui les concernent.

23 Il importe d’expliquer le cadre de cet accompagnement en présentant également la déontologie du médiateur (confidentialité, impartialité, neutralité, indépendance). Certaines règles de fonctionnement sont proposées (non interruption, invitation à parler pour soi et éviter tout prêt d’intention, transparence). Il s’agit alors de présenter ces éléments pour voir avec les personnes si ce cadre leur convient pour investir ce processus qui doit demeurer volontaire. Les personnes sont invitées alors à énoncer ce qui les préoccupe, sachant que nous informons que ne seront abordés les sujets que si toutes les parties en sont d’accord. Jamais nous ne forcerons à parler d’un sujet si l’une des parties s’y refuse, et ceci afin de respecter la volonté de chacune. A partir de cet ensemble, les personnes évaluent entre elles puis avec le médiateur, l’intérêt d’investir ce processus.

24 Sur chaque sujet, le médiateur va questionner la manière dont chacun perçoit la réalité liée au problème pour arriver à une compréhension réciproque par chacun de ce qui se passe pour l’autre. A ce stade, il ne s’agit pas de se mettre d’accord sur le fond, mais d’abord de voir dans quelle mesure les personnes peuvent déjà comprendre ce qui se passe pour chacun.

25 Autrement dit, la médiation permet l’expression de ce qui fait désaccord ou conflit dans un espace d’écoute et de sécurité grâce au cadre posé et accepté. L’enjeu est de faire jour sur les incompréhensions liées aux projections et interprétations de chacun, amplifiées par les conflits.

26 Cette compréhension va avoir un effet de reconnaissance puissant qui agit sur la relation (le QUI, voir plus haut). Puis, cela motive les personnes vers l’élaboration d’hypothèses de solution (le QUOI). Plus les personnes sont interdépendantes plus elles vont investir volontiers l’élaboration d’hypothèses de solution car leur interdépendance illustre leur manque d’alternative.

27 Le médiateur vient faciliter les échanges, pose des questions, fait émerger, veille au processus et fait exprimer l’accord ou l’absence d’accord. Selon les cas, cet accord peut être oral. Si les personnes le souhaitent, il peut être rédigé (il doit l’être dans le cas d’une médiation ordonnée par le juge aux Affaires familiales).

28 Ce processus brièvement présenté ici a donc comme premier objectif la compréhension mutuelle pour favoriser des solutions sur la relation (QUI) et/ou sur des éléments de fond (QUOI). Ce processus implique un cadre tenu par l’autorité positive du médiateur. J’ai pu observer et conduire une recherche sur la question de l’autorité du médiateur familial [6]. Cette dernière me conduit à être convaincue de l’importance de l’autorité dans le processus de médiation familiale [7].

4 - La question de l’autorité du médiateur permet de faciliter le processus

29 Ci-après, la proposition d’un cycle global dans lequel s’exerce l’autorité en médiation familiale :

tableau im1
* autorité invisible en filigrane. Construction de la confiance en soi et en sa pratique. Renforcement de sa légitimité
** avec le médiateur et entre les personnes
*** autorité visible, particulièrement en situation de tension, cadrage.

30 La compétence et l’expérience renforcent la légitimité professionnelle et participe ainsi à la construction d’une autorité de posture nécessaire au déroulement du processus. Cette posture contribue à la mise en place d’une confiance relationnelle et pose la légitimité relationnelle. Un travail de médiation commencé avec un médiateur A doit se poursuivre avec ce même médiateur du fait de cette légitimité relationnelle qui participe au processus. Ces premiers éléments sont nécessaires pour que le médiateur puisse recadrer grâce à une autorité de stature (qui ainsi, dans ce processus global, ne peut pas être pris pour un autoritarisme). Cette autorité a pour objectif de renforcer la sécurité afin de favoriser la créativité et le changement... vers un « bugexit ». La question de la sortie du processus interroge son efficacité que je voudrais évoquer à présent.

5 - Peut-on parler en termes de réussite ou d’échec d’une médiation ?

31 Comment évaluer la réussite d’un processus de médiation ? Ma pratique me conduit à observer qu’une médiation qui n’aboutit pas à l’objectif que les personnes se fixent, n’est pas pour autant un échec. A des demandes manifestes non satisfaites, il peut y avoir des besoins sous-jacents qui se trouvent nourris.

32 Situation d’Alain et Nadine : ils sont séparés. Ils viennent en médiation avec, entre autres, une demande d’Alain de voir davantage leur fille de 8 ans. Il exprime son souhait pour une résidence alternée. Nadine refuse en bloc. En médiation, Alain a pu exprimer qu’il avait l’impression que Nadine s’octroyait le droit de décider alors que l’autorité parentale conjointe donne aux deux parents les mêmes droits ! : « De quelle droit te permets-tu de refuser ? » Le cadre de la médiation a permis à Nadine de dire ce qu’elle n’arrivait pas à dire hors médiation : « Tu as raison. C’est juste que je peux pas m’imaginer de ne pas voir notre fille une semaine entière. C’est tout. C’est moi. » (pleurs). Cette reconnaissance a donné lieu à un long silence. Alain a compris ce qui se passe pour Nadine et surtout qu’il n’est pas remis en cause dans sa qualité de père. A partir de là, ils ont trouvé d’autres options « sur-mesure » en médiation. Et Nadine a annoncé spontanément qu’elle allait tout mettre en œuvre (par son travail thérapeutique qu’elle mène en parallèle) pour aller vers la résidence alternée pour l’entrée en 6ème de leur fille.

33 Dans ce cas, la satisfaction n’est pas là où elle était attendue par Alain, mais elle s’est trouvée dans la qualité de la reconnaissance mutuelle de ce qui est important pour chacun. Ils ont pu aussi constater en médiation à quel point ces pas de compréhension étaient importants pour leur relation et donc pour le bien-être de leur fille.

34 Dans d’autres situations, il arrive qu’il y ait une interruption du processus et pas d’accord établi. Même dans ces cas là, le fait d’être passé, même furtivement, par une démarche de compréhension peut avoir un effet sur ce qu’ils feront de leur relation. C’est une hypothèse à laquelle je crois.

35 Pour clore cet article, j’ai voulu vous présenter différentes formes d’accords possibles élaborés dans le cadre de médiations que j’ai conduites (les documents suivants sont anonymes. Les prénoms ont été changés). Ils donnent ainsi une illustration par ces deux exemples de ce que la médiation peut réussir.

36 • CAS 1 : Gabrielle et Etienne : quand se voir n’est plus possible.

37 Gabrielle et Etienne sont séparés depuis 2 ans. Ils ont eu ensemble deux jumeaux de 7 ans. Deux ans auparavant, Etienne a été condamné pour violences conjugales suite à une plainte déposée par Gabrielle. Etienne dit en médiation avoir peur des rencontres avec Gabrielle car : « elle sait me faire sortir de mes gonds. Je ne veux pas être seul avec elle et les enfants. J’ai peur que cela recommence ». Il raconte que cette peur l’a conduit un dimanche soir, alors qu’il devait reconduire les enfants chez leur mère, à demander à un inconnu dans la rue de ramener les enfants. Cet événement a donné lieu à de longs échanges où Etienne a pu formuler que ce type de situation n’est pas possible. Je les ai alors accompagnés dans l’élaboration de l’accord suivant :

Accord de médiation
Entre
Madame Gabrielle XXX
Née le XX
Adresse
Monsieur Etienne XXX
Né le XX
Adresse
Parents de : G et R, Nés le xx/xx/2008
Concernant notre rencontre les dimanches soirs, lorsque comme convenu par le jugement du XX, les enfants doivent être remis au domicile de leur mère, nous nous entendons ce jour sur le mode organisationnel et relationnel suivant :
Lieu : en bas de l’immeuble de Gabrielle
Heure : 18h45
Dès la sortie du métro « XX », Etienne envoie un texto à Gabrielle qui comprendra exclusivement le texte suivant : « bonjour. Nous sommes là dans 5 minutes. »
Gabrielle répond : « ok »
RENCONTRE :
Etienne commence : « bonjour Gabrielle » (sourire)
Gabrielle répond : « bonjour Etienne » (sourire)
Nous nous engageons, à ne pas échanger d’autres informations de quelque nature que ce soit. Nous pourrons faire évoluer ce cadre, après l’accord de chacun, pris en médiation ou en dehors. Mais l’évolution nécessite une co-décision.
Paris le, XX
Signature de Madame
Signature de Monsieur

38 Chaque situation est unique et la médiation permet d’élaborer des accords « sur mesure ». Cette situation est assez extrême par rapport à ce que je peux rencontrer généralement. J’ai choisis de la présenter ici pour illustrer jusqu’où on peut aller en médiation. L’élaboration de cet accord s’est fait sur 1h. Cela peut sembler long et en même temps très court : 1h pour recréer les conditions permettant à Etienne d’assurer son droit de visite auquel il renonçait souvent pour éviter les risques de disputes et de violences, si une modalité de rencontre n’était pas élaborée. Cet entretien de médiation a permis de répondre à une partie importante du bug de cette famille. Les grands « bénéficiaires » de cet accord sont aussi les enfants car l’accord a permis qu’ils voient leurs parents se croiser respectueusement et qu’Etienne ne renonce pas à les voir.

39 • CAS 2 : Sandrine et Francis : quand la médiation est issue du judiciaire. Le juge peut ordonner une médiation pour permettre aux personnes de sortir de leur « bug ». Il peut évaluer que le cadre légal ne répond pas à l’ensemble de la problématique et que l’accord entre les personnes est préférable (en totalité ou en partie) pour en assurer la pérennité.

Accord de médiation (extraits) Entre
Madame Sandrine XXX
Née le XX
Adresse
Monsieur Francis XXX
Né le XX
Adresse Parents de : S, Nés le xx/xx/2006
Nous avons pris contact avec XX en janvier 2014, sur proposition du juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de Paris. Nous souhaitions en effet réfléchir à l’amélioration de nos relations, ainsi qu’à la mise en place d’une organisation familiale qui convienne à chacun et qui préserve l’équilibre de notre enfant. Dès le premier entretien, nous avons été informés de la déontologie inhérente à la fonction de médiateur. Nous en avons respecté les règles de fonctionnement et accepté les principes de confidentialité, de transparence et de respect mutuel. Tout au long de cette médiation, qui s’est déroulée sur dix entretiens, nous avons évoqué les conditions de notre relation en tant que parents séparés, ainsi que nos responsabilités de parents. Nous sommes parvenus à des accords sur les points suivants :
I/ RESPONSABILITES PARENTALES
Au cours de nos rencontres, nous avons pu parler de notre enfant, de sa personnalité, de ce que nous souhaitons pour elle.
Autorité parentale
Parce que nous exerçons en commun l’autorité parentale conjointe, nous sommes d’accord pour nous concerter lors de chaque décision importante (choix d’une école, d’une activité, d’un médecin…) ; de même nous nous engageons à nous prévenir mutuellement des événements essentiels de la vie quotidienne de notre enfant. Il nous semble important d’avoir un discours commun et d’avoir confiance l’un en l’autre.
Article 371-1 du Code Civil : L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité.
Communication
Nous sommes d’accord pour nous faire confiance mutuellement, pour respecter la vie privée de chacun et pour fluidifier la communication :
  • entre nous autour de notre fille
  • entre notre fille et son père quand elle ne réside pas avec lui, et entre notre fille et sa mère lorsqu’elle ne réside pas avec elle.
Nous sommes d’accord pour nous tenir informés des éléments majeurs autour de S.
Plan d’accueil à partir de la rentrée scolaire 2014/2015
L’accueil de notre fille par son père s’effectuera comme suit :
  • En semaine paire, à partir du jeudi après l’école (16h30) jusqu’au lundi matin suivant après l’avoir déposée à l’école (8h30)
  • En semaine impaire, le mercredi après l’école (11h30) jusqu’au jeudi matin 8h30 (heure de l’entrée à l’école)
Vacances (sauf meilleur accord) :
Nous sommes d’accord pour que notre fille passe les vacances :
  • les années paires :
    • avec son père la première moitié des vacances
    • avec sa mère la seconde moitié des vacances
  • les années impaires :
    • avec son père la seconde moitié des vacances
    • avec sa mère la première moitié des vacances
Nous sommes d’accord pour placer ce plan d’accueil sous le signe de la souplesse.
II/ RESPONSABILITES FINANCIERES
Contribution financière à l’entretien et à l’éducation
Nous sommes d’accord pour que la contribution à l’entretien et l’éducation versée par Francis soit de 200 euros par mois par virement bancaire le 5 de chaque mois.
Nous sommes d’accord pour que cette contribution soit réévaluée à partir de janvier XX selon l’indice INSEE de la consommation des ménages urbains, série parisienne, hors tabac et par la suite tous les ans à la même période (janvier).
Part Fiscale
Nous sommes d’accord pour nous partager la demi-part fiscale de S. A compter des impôts de l’année XX, nous diviserons sa part entre nous (0,25 chacun).
Conclusion
Nous souhaitons venir en médiation une fois par an pour échanger sur le plan d’accueil de S. et étudier son évolution, en fonction de nos besoins et de ceux de notre enfant.
Il nous appartient de transmettre ce document à nos avocats ou directement au magistrat en charge de notre dossier au tribunal.
Ce document est établi par nous-mêmes en trois exemplaires
Paris le, XX
Signature de Madame
Signature de Monsieur

40 Cet accord a été par la suite homologué par le juge. Il a été complété par des accords entre eux sur les heures de coucher, les devoirs, l’alimentation, etc... La médiation a été pour Sandrine et Francis l’occasion de recréer une confiance pour assurer ensemble l’autorité parentale.

41 Pour conclure cet article, je voudrais revenir en synthèse sur les spécificités des pratiques de médiation et de thérapie. La thérapie invite à la compréhension pour l’analyse et la prise de conscience pour éviter les mécanismes toxiques et répétitifs. C’est un espace d’interprétation.

42 La médiation vient plus en surface pour favoriser la compréhension pour la relation et l’organisation concrète de l’avenir. C’est un espace de compréhension pour rétablir une relation qui convient aux personnes et favoriser les prises de décision nécessaires, dans un contexte familial où les acteurs demeurent interdépendants. Un processus complémentaire à tenter pour dépasser les bugs.


Mots-clés éditeurs : Mediazione familiare, Changement, Relation, Comprensione, Accordo, Perennità, Cambiamento, Complémentarité thérapie et médiation, Médiation familiale, Complementarità terapia e mediazione, Accord, Autorité, Relazione, Compréhension, Pérennité, Autorità

Date de mise en ligne : 06/04/2016

https://doi.org/10.3917/imin.036.0125

Notes

  • [1]
    Guignard F. (carnet psy n°144). Cité dans l’article proposé par Geneviève de Taisne dans le présent numéro.
  • [2]
    Dahan J. (1996). La médiation familiale. Edition Morisset. Jocelyne Dahan et médiatrice familiale et formatrice.
  • [3]
    Caillé A. et Grésy J.-E. (2014). La révolution du don. Edition du Seuil
  • [4]
    Godbout J. (2000). Le don, la dette et l’identité. Editions La Découverte/M.A.U.S.S.
  • [5]
    Lemereur A. et Colson A. (2004). Méthodes de négociation. Dunod.
  • [6]
    Duret-Salzer F. (2014). La question de l’autorité du médiateur familial. In Revue Tiers. Edité par l’Association Pour la Médiation Familiale.
  • [7]
    Si la question de l’autorité vous intéresse, je détaille ci après quelques éléments complémentaires (définitions), extraits de ma recherche (voir note (6)) :
    Aborder la question de l’autorité du médiateur familial implique de s’entendre sur la dimension positive de l’autorité. Les travaux d’Hannah Arendt sont à ce titre très éclairants : « l’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué ». (Hannah Arendt, « Qu’est-ce que l’autorité ? », La Crise de la culture (1968), trad. P. Lévy, Gallimard, coll. « Folio essais », 1989, p. 123-124) Ici, l’autorité est opposée à l’autoritarisme puisqu’il ne s’agit pas de coercition.
    Ceci renvoie, par exemple, aux sujets qui seront travaillés en médiation. Ils sont amenés par les personnes. Le médiateur conduit le processus à partir de ce qu’elles souhaitent résoudre. Jamais il n’imposera les sujets. Il pourra annoncer que ceux qui sont mis sur la table un jour pourront être complétés, modifiés, enrichis ou annulés par la suite. Il donne ainsi une liberté d’évolution dans le respect de ce que souhaitent les personnes dans l’ici et maintenant, dans le respect de ce qui se passera au fil du temps de la médiation et en dehors des entretiens. Comme le médiateur n’oblige pas, son intervention se situe bien dans cette approche d’autorité non coercitive.
    Mais alors, qu’est-ce qui fait autorité ?
    Selon H. Arendt, ce qui définit une relation d’autorité c’est ce que deux entités « ont en commun, c’est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d’avance leur place fixée ».
    L’autorité est donc ici liée à la légitimité des places et des rôles. Le rôle du médiateur est de conduire un processus en faisant autorité pour que les places et rôles de chacun soient identifiés. L’autorité permet le respect de la déontologie et ainsi le travail qui s’opère en médiation.

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