1Après la mort de Robert Desoille en octobre 1966, ses élèves se sont regroupés et ont constitué en 1968 le Groupe International du Rêve Éveillé Dirigé de Desoille (G.I.R.E.D.D.) précédemment affilié à la Société de Recherches Psychothérapiques de Langue Française (depuis 1960).
2Qui sont-ils ? « Un ensemble de praticiens du Rêve-Éveillé-Dirigé, Psychiatres, Psychologues et Médecins ayant une formation psychologique et psycho-pathologique ».(2)
3Ils se situent clairement dans le registre de la psychothérapie et souhaitent faire connaître l’expérience thérapeutique acquise par les membres du Groupe au cours des années précédentes.
4Ils souhaitent en poursuivre l’enseignement et la recherche, et organisent des Séminaires de travail et des groupes de recherche afin de poursuivre les approfondissements théoriques et techniques de la méthode, tant chez l’adulte que chez l’enfant et l’adolescent.
5La Revue Études Psychothérapiques constitue l’organe officiel de publication du GIREDD, et paraît pour la première fois en 1970.
6Cette Revue « souhaite être ouverte à toutes les tendances psychothérapiques qui, de près ou de loin, peuvent venir éclairer ou compléter la découverte de Robert Desoille ».(2)
7Plusieurs publications verront le jour au cours de cette période. Avec les nombreux articles publiés dans la Revue et les Cahiers, elles constituent le creuset de notre recherche.
8S’y ajoutent la thèse pour le doctorat en médecine de Dominique Roubineau concernant l’Étude de l’évolution des concepts concernant le rêve éveillé de Desoille à travers seize années d’Études psychothérapiques soutenue en 1987(4), ainsi que L’évolution des idées sur le Rêve-Eveillé de Robert Desoille au GIREP de Jacques Launay parue en 1999 (13).
9Enfin, pour les définitions d’ordre psychanalytique, j’aurai recours au Dictionnaire de la psychanalyse publié en 2000 chez Fayard par Elizabeth Roudinesco et Michel Plon (1).
10Quelques éléments du contexte historique :
Le GIREDD est créé en 1968 au cœur du mouvement étudiant des années
1960, qui a caractérisé une période d’importante transformation sociale et
culturelle dans le monde occidental.
11Dans le domaine de la psychothérapie et de la psychiatrie, l’apparition de médicaments psychotropes au cours des années précédentes, ainsi que les percées dans le domaine des neurosciences, ont accentué une transition vers l’axe biologique des pathologies d’ordre psychologique.
12Dans le domaine de la psychanalyse en particulier, les années 1970
semblent cristalliser l’évolution des années précédentes :
Après la deuxième guerre mondiale, le mouvement psychanalytique s’est
scindé en plusieurs obédiences : les théories de l’École anglaise, inaugurées
par Melanie Klein et Anna Freud, poursuivies par D.W.Winnicott, M.Balint,
celles de H. Marcuse et W.Reich aux Etats-Unis, celles enfin de Jacques
Lacan en France – pour n’en citer que les principaux protagonistes– ont
apporté de nouveaux développements au socle freudien.
13En 1974, la France comptait trois groupes analytiques importants possédant chacun sa revue : la Société Psychanalytique de Paris, l’École freudienne de Lacan, et l’Association psychanalytique de France, autour de Jean Laplanche et de Jean-Bertrand Pontalis.
14Ainsi à cette époque, plusieurs courants existaient dans ce champ élargi de la psychanalyse et des psychothérapies dites « analytiques ». Les traductions en français des écrits allemands et anglais affluèrent à partir des années 1960. Munis de ces nouveaux éclairages, les successeurs de Robert Desoille s’attelèrent à la tâche d’inscrire la méthode léguée en héritage, dans « le champ analytique », tout en insistant sur la dimension originale de leur méthode utilisant le rêve éveillé en psychothérapie.
15L’enjeu n’était pas mince; il fut mené avec labeur et passion.
16Il y eut plusieurs étapes :
A. DE 1968 À 1982. DU GIREDD AU GIRED
17 Cette période correspond dans notre souvenir à une période foisonnante d’émergence d’idées, de partage et de confrontations, période extrêmement riche et féconde.
18Cela s’exprimait abondamment dans les Colloques et dans le cadre des Séminaires de Formation nombreux et très fréquentés consacrés aux psycho-thérapies d’adultes, et à d’autres moments, aux psychothérapies de l’enfant et de l’adolescent.
19Années intenses. Publications, exposés, articles se multiplièrent dont l’essentiel concernait la pratique, articulée à une réflexion et un questionnement théorique extrêmement vivants et pointus.
20Il n’est pas possible de rendre compte ici des nombreux travaux, apports, questionnements… qui émergèrent au long de ces années si fructueuses; nous les aborderons en tentant d’en suivre… les fils conducteurs.
21Dans l’article précédent, l’image des fils rouges en interaction, mêlés à de nombreux paramètres, a peut-être permis de se représenter l’aspect dialectique et dynamique des processus à l’œuvre dans les psychothérapies utilisant le rêve éveillé, ainsi que la complexité de l’héritage transmis.(7)
22Des fils rouges furent abandonnés, d’autres furent développés et précisés, d’autres enfin verront le jour.
23Les fils rouges fondateurs furent conservés :
« Un cadre, l’imaginaire en mouvement qui permet la mobilisation de la vie affective (actuelle et ancienne) et son expression symbolique verbalisée »(7) dans un but thérapeutique.
25Les successeurs de Robert Desoille reprennent l’appellation du Rêve Éveillé Dirigé (R.E.D.) pour désigner la méthode, et les propriétés du « rêve éveillé en psychothérapie ».
26Ils en complètent et réaffirment le caractère global, interactif et
dynamique :
Le R.E.D. est un tout. « La dynamique de cette appellation désigne une
psychothérapie constituée par la succession des rêves éveillés et des séances
d’analyse qui y sont associées, dans une relation spécifique qui a sa propre
dynamique. Pour entrer dans le cœur de ce qui se rejoue dans la psycho-thérapie il faut appréhender la totalité des processus. Les autres outils ne
deviennent opérants que dans le contexte de celle-ci ».(2)
27Il s’agit bien de la tresse de fils rouges interactive.(7). Il fut nécessaire de la remettre à plat afin de poursuivre la recherche. Laissant partiellement de côté les finalités personnelles de Robert Desoille, ses successeurs centrèrent leurs observations et leur réflexion sur les ressorts thérapeutiques du rêve éveillé en psychothérapie, à partir de leur propre pratique. À ce titre, des accordages entremêlés vont être particulièrement explorés, étudiés. Ils feront apparaître au long des années :
- La dynamique de l’inconscient à l’œuvre dans les psychothérapies utilisant le rêve éveillé.
- La dynamique du rêve éveillé lui-même qui permet d’en favoriser l’émergence, la mobilisation et la métabolisation.
- La dynamique de la relation donnera lieu à une réflexion complexe et évolutive qui aboutira à l’abandon de la directivité en 1982 (le GIREDD devient GIRED); la prise en compte et la place donnée au transfert et à son traitement, dans le processus psychothérapique spécifique du « rêve éveillé en psychothérapie », autorisera l’inscription de la méthode dans le champ psychanalytique en 1987 (le GIRED devient GIREP).
1. La dynamique de l’inconscient
28Dès le premier numéro de la Revue Études Psychothérapiques en 1970, Jacques Launay, Jacques Lévine et Gilbert Maurey co-signent un article qui, d’emblée, situe le lieu où se déroule le processus thérapeutique des analyses par le R.E.D. : l’inconscient.
29Le Rêve éveillé dirigé « constitue une méthode psychothérapique originale par laquelle on donne à l’Inconscient le moyen de s’exprimer dans un langage symbolique vécu d’une part au niveau du cadre spécifique du R.E.D., d’autre part dans l’analyse qui en est faite secondairement ».(2)
30Ces auteurs développeront ces aspects en 1975, dans leur ouvrage commun : Le Rêve-Éveillé-Dirigé et l’inconscient(3):
« Notre but est de montrer comment le R.E.D., par ses procédures originales et une relation patient-thérapeute spécifique, travaille au niveau de l’inconscient et comment il est instrument de ré-expérimentation, de métabolisation des vécus pathogènes et de réélaboration du système relationnel ».(3) « Il n’est probablement pas de psychothérapie où « l’autre scène », par affleurements successifs, ne devienne plus rapidement, plus facilement « visible » et vivante que dans le R.E.D. Le mérite de Robert Desoille est d’avoir compris qu’il y avait une autre « voie royale » d’accès à l’inconscient que celles décrites par Freud et Jung, et qu’on pouvait l’utiliser, comme « sur commande », au moment de la séance ».(3)
32Dominique Roubineau note « la prudence, les périphrases employées pour signifier le terme d’inconscient »(4). Il est souvent question de « zones non conscientes » de l’appareil psychique, ou plus souvent de « problématique inconsciente ».
33Cette prudence se manifeste également en ce qui concerne la référence aux thèses freudiennes sur l’inconscient :
« Si nous reconnaissons actuellement la nécessité de la théorie analytique pour la compréhension de ce qui se passe dans le R.E.D., notre expérience donne accès à la névrose sous un angle différent et nous nous réservons d’analyser le matériel tel que nous le recueillons sans, par avance, souscrire à tous les aspects de la doctrine freudienne ».(2)
35Jacques Launay précise : « pour notre part, nous pensons que si une thérapie par le R.E.D. forme bien un tout original qui, sur le plan de la méthode et de la relation, se situe en dehors de la pratique psychanalytique, il n’est pas possible de passer sous silence bon nombre d’hypothèses freudiennes, et en particulier le rôle prédominant de la sexualité infantile, l’importance de la relation triangulaire oedipienne et, avant tout, l’existence d’un inconscient ».(3)
a. De quel inconscient parle-t-on ?
« La méthode du R.E.D. constitue une « pratique de l’exploration et de la modification de l’inconscient, se nourrissant de tous les apports de la psychologie contemporaine ».(3)
37La « doctrine freudienne » et la psychanalyse y occupent une position dominante, soit pour s’y référer, soit pour s’en démarquer.
38Nous touchons ici la « constante ambiguïté » des différentes théorisations concernant le Rêve éveillé en psychothérapie et ses rapports avec la psychanalyse.(13)
39La conception freudienne de l’inconscient ayant elle-même évolué au fil des années, il peut être intéressant d’en rappeler les étapes fondamentales :
« Avec Freud, l’inconscient n’est plus une supra-conscience ou un subconscient situé au-dessus ou au-delà de la conscience, il devient réellement une instance à laquelle la conscience n’a pas accès mais qui se dévoile à elle par le rêve, les lapsus, les jeux de mots, les actes manqués, etc. »(1)
41Dans la première topique, il est « une instance ou un système constitué de contenus refoulés qui échappent aux autres instances du préconscient et du conscient ».(1)
42C’est à ce titre, réducteur à ses yeux, que Robert Desoille avait préféré le terme de subconscient à celui d’inconscient.(7)
43Dans la deuxième topique freudienne, l’inconscient n’est plus une instance mais « sert à qualifier le ça, et pour une large part, le moi et le surmoi ». La traduction française révisée de Le Moi et le ça paraît en 1966, puis en 1991.(1)
44Entre l’inconscient de la première topique, et celui de la deuxième, il y a eu la grande refonte théorique freudienne des années 1920.
45Celle-ci est caractérisée par le remaniement de la théorie des pulsions et l’élaboration d’une nouvelle psychologie du moi prenant en compte ses fonctions inconscientes de défense et de refoulement. L’inconscient est plus large que le refoulé. Il est désormais considéré dans sa perspective dynamique.
46Freud utilise la métaphore de l’attelage du cocher et ses chevaux, chère à Platon, pour illustrer la relation hiérarchique, complexe et dynamique, existant entre le Surmoi, le Moi et le Ça.
47Les instances inconscientes (du Ça, du Moi et du Surmoi) sont à considérer dans leur tension antagoniste et dynamique. Leurs relations sont conflictuelles.
48Quelle sera l’issue de ce conflit interne ?
49Pour en cristalliser l’enjeu, Freud énonce le célèbre « Wo es war soll
ich werden », « là où était le Ça le Moi doit advenir », qui donnera lieu à
plusieurs lectures à partir desquelles se sont institués des courants différents
voire contradictoires dans le mouvement psychanalytique :
« deux courants dominants dans la psychanalyse américaine (annafreudisme et egopsychology) vont privilégier le Moi et les mécanismes de
défense au détriment du Ça, de l’inconscient et du sujet. Ils contribueront à
faire de la psychanalyse une thérapie de l’adaptation du Moi à la réalité ».(1)
C’est la primauté du Moi sur le Ça : le Moi doit déloger le Ça.
Si Melanie Klein met l’accent sur la phase pré-oedipienne du développement psychique, Jacques Lacan, à partir de sa théorie du langage, « met l’accent sur l’émergence des désirs inconscients auxquels l’analyse doit frayer un chemin contre les défenses du Moi, position qu’il récapitule en 1967 au moyen de sa fameuse formule « ça parle ».(1)« Deux autres courants (kleinisme et lacanisme) adoptent une orientation radicalement opposée dans la perspective d’un retour à l’inconscient, de la primauté du Ça sur le Moi, selon des voies différentes »(1):
51Ainsi, la « doctrine freudienne » avait essaimé en plusieurs courants qui, tout en restant dans le mouvement psychanalytique, exprimaient des conceptions différentes concernant la notion d’inconscient.
52Ce qui rend plus complexe sans doute, la portée des références post-desoilliennes « à l’inconscient ».
b. Le R.E.D. permet d’accéder à « la problématique inconsciente »
53Le fil rouge du « subconscient » cher à Robert Desoille est abandonné, ainsi que la visée sublimatoire et les mouvements ascensionnels qui y étaient attachés.
54S’éloignant en même temps de l’inconscient « jungien », ses successeurs souligneront en particulier l’accès privilégié à la problématique inconsciente que permet le R.E.D., c’est-à-dire à ce qui « fait problème », derrière le symptôme.
55Jacques Lévine précisera cette notion en parlant d’accès privilégié aux « vécus de rupture qui sont aux sources de la névrose », c’est-à-dire aux « vécus conflictuels » non résolus. La problématique inconsciente exprimerait « la dialectique du conflit, et les scenarii successifs constitueraient une expérience hic et nunc de la rencontre avec « ce qui gêne ».(3)
56Cette dialectique du conflit « se revit au long de la cure, pas sous la forme de simples désirs dont la seule valeur serait d’être compensatoire, mais sous la forme de désirs avec les obstacles qui lui ont été opposés. Il s’agit du recommencement d’un « combat » et l’attention du sujet est tournée vers ces obstacles pour essayer de les lever dans une tentative supplémentaire ».(3)
57Cette position évoque la perspective dynamique de l’inconscient de la deuxième topique freudienne.
58Tout se passe comme si l’outil « rêve éveillé » inscrit dans la dynamique de la psychothérapie, pouvait rendre « comme à la loupe » l’ancienne « tentative dramatique d’une force extrême… de modifier la modification ».(3)
59Ou encore, comme si le rêve éveillé en psychothérapie avait la capacité de rejoindre, de faire émerger dans une tension dynamique, le « vif » du champ de forces conflictuelles. Par les processus spécifiques mis en œuvre, la problématique inconsciente serait rejointe, mobilisée, visualisée, dramatisée, exprimée de manière symbolique, puis métabolisée au cours de la psychothérapie.
60Le lieu de l’inconscient est celui du champ des conflits infantiles non résolus : « Dans le jeu des mécanismes de défense et des résistances, le rêve éveillé en psychothérapie a l’aptitude de remettre le patient dans son vécu, ses démarches infantiles, ses réseaux de sensations, sentiments et souvenirs ».(3)
61Accès aux vécus de rupture de l’enfance, oedipiens et pré-oedipiens.
62En effet, le vécu des problématiques pré-oedipiennes notamment avec les pulsions partielles et les imagos qui en résultent, « ne sombre pas dans l’oubli pur et simple, mais comme Melanie Klein l’a indiqué, il fait l’objet, dans des reprises ultérieures, de symbolisations morcelées et archaïques. Le R.E.D. a une particulière aptitude à les recueillir » conclut Jacques Lévine.(3)
c. Le RE permet d’accéder à la zone d’avant les conflits : « l’archaïque »
63Les travaux de l’École anglaise, avec Melanie Klein, Donald W.Winnicott, Masud Khan, Michael Balint, ont progressivement apporté des outils conceptuels qui permettent de penser et de dire les phénomènes psychiques très précoces du développement, les failles et les manques qui peuvent survenir en ces temps très primitifs, et qui laissent des traces spécifiques.
64Winnicott en particulier développa un ensemble de notions nouvelles à ce sujet, donnant un sens particulier à cette « zone d’avant les conflits »:
65Dans la préface à Jeu et réalité paru en 1971, (traduction française 1975, Paris, Gallimard), Jean-Bertrand Pontalis en précise les aspects essentiels : « Toute la recherche théorique de Winnicott a été marquée par la rencontre de ce qui, dans la psychanalyse, nous confronte « aux limites de l’analysable »: cas-limites, situés entre névrose et psychose, qui défient l’analyste dans ses pouvoirs et dans son être, mais aussi, plus profondément, limites de toute organisation, qu’elle soit névrotique ou psychotique. Même si Winnicott a recours à (des) concepts classiques, on perçoit qu’ils ne sont pas pour lui tout à fait adéquats à ce qu’il cherche à mettre en lumière, que l’idée même d’inconscient, imposée à Freud par le fonctionnement psycho-névrotique, ne lui paraît pas capable de signifier cette dimension de l’absence qu’il reconnaît comme un vide nécessaire chez le sujet. J’avancerais volontiers que la topique freudienne des instances et des localités psychiques, si elle est apte à figurer le conflit intrasubjectif, apparaît chez Winnicott comme seconde, comme une construction où le soi – le sujet– s’est déjà mutilé. Toute notre conception de la réalité psychique s’en trouve modifiée.
66Car quelque chose a eu lieu qui n’a pas de lieu. Ce qui n’a pas été vécu, éprouvé, ce qui échappe à toute possibilité de mémorisation est au creux de l’être; la lacune, le « blanc » sont plus réels que les mots, les souvenirs, les fantasmes qui tentent de les recouvrir. En un sens, il n’est pas d’analyses qui ne nous fassent percevoir cela, dans le vain et laborieux remplissage, interprétatif d’un côté, ou associatif de l’autre, d’un espace désertique.
67Ce blanc n’est pas seulement le simple blanc du discours, le gommé, l’effacé de la censure, le latent du manifeste. Il est dans sa présence-absence, témoin d’un non-vécu; appel, aussi à le faire reconnaître, pour la première fois, à entrer enfin en relation avec lui afin que ce qui n’avait pu qu’être surchargé de sens puisse prendre vie ».
68Ces « sphères primitives » écrit Michael Balint sont aussi le lieu des sensations corporelles : sensations de chaleur, bruits et mouvements rythmiques, murmures vagues et adoucis… pouvoir indéniable de tous ces facteurs de susciter ou d’apaiser les angoisses et les soupçons, de provoquer un état de contentement bienheureux ou une solitude atroce et désespérée ».(20)
69Nicole Fabre développera particulièrement ces aspects dans Avant l’Oedipe Rêve-éveillé-dirigé et fantasmes archaïques publié en 1979(6): « Nous partons à la recherche de l’inconscient là où il n’était pas encore verbalisé ni peut-être verbalisable… Nous plongeons dans un inconscient non encore structuré mais donné de manière brute, globale, imagée, imageante ».
70Les mots hachés, entrecoupés de silences, d’onomatopées, parlent de cet univers de fusion et de défusion où le moi et le non-moi se confondent, monde d’avant la différence des sexes; l’intrication des fantasmes de vie et de mort se disent et se vivent hic et nunc dans l’espace de transition instauré par la relation et l’ouverture que permet l’imaginaire en gestation.
71Le rêve éveillé inséré dans la relation permet de rejoindre de manière privilégiée, cette zone archaïque « aux confins de la parole, de l’image et des sensations corporelles ».(6) Nous verrons ci-dessous, les implications relationnelles et transférentielles que suppose en psychothérapie, l’accès à ces zones inconscientes.
72Nicole Fabre cite S.E.Nacht qui décrit le sens que peut représenter l’accès à cette zone inconsciente, indicible, ineffable : « Je voudrais souligner, écrit-il, la force qu’a, chez certains êtres humains, ce besoin inconscient d’union absolue. Ils gardent dans leur vie un sentiment indéfini d’incomplétude, une nostalgie qui me semble être celle d’une union fusionnelle avec l’objet abolissant toute distance, effaçant toute différence. C’est ce besoin d’union fusionnelle qui, lorsqu’il veut atteindre un autre ordre de connaissance fait les grands mystiques. Mais ceux-ci ont du moins le privilège d’être conscients de ce besoin, et d’en chercher la réalisation. Pour le commun des mortels ce besoin demeure confus et vit au plus profond d’eux-mêmes à l’état latent ».(6)
d. L’inconscient créatif
73Marc-Alain Descamps évoque les points de vue de la psychologie transpersonnelle en particulier selon laquelle il existe une partie saine et positive de l’inconscient. Elle est caractérisée par « les forces de croissance d’attachement, d’amour et le sens de toutes les valeurs vers le Vrai, le Beau, le Bien etc. » Elles sont présentes chez le petit enfant. « Les valeurs du Sacré et de la Transcendance sont aussi très précoces et l’on n’a pas besoin de les apprendre ». Cette partie saine et positive de l’inconscient peut être appelée inconscient créatif et ne doit pas être confondue avec l’inconscient refoulé pathologique. Reconnaître la positivité de l’inconscient créatif et savoir s’en servir donne tout son sens à la psychanalyse rêve-éveillé ».(18)
2. La dynamique de l’imaginaire
74Nombreux furent les travaux en ce domaine.
75Ils font suite à ceux de Robert Desoille, de Gaston Bachelard, de Gilbert Durand sur l’imaginaire, considéré par ces derniers comme une véritable fonction psychique dynamique, produisant ses propres processus.(7)
76Les membres du Giredd poursuivirent cette recherche, précisant et développant les capacités de transformation intra-psychique du rêve-éveillé proprement dit, spécifiques à la méthode.
a. La fonction de représentation et de métabolisation
77La mise en image induit une contrainte à représenter qui, à l’intérieur même du rêve éveillé, dans l’espace et le champ analytique, s’avère être un agent de changement déterminant. Le scénario est une expérience hic et nunc de la rencontre avec la problématique inconsciente et de ce fait tout un plan de la métabolisation de la problématique se déroule sur le clavier symbolique lui-même à l’intérieur même du rêve éveillé.
78Jean Nadal consacrera plusieurs articles à cette fonction de « représentation »:
« La scène du rêve éveillé donne un cadre pour représenter en mettant en forme et en mouvement les désirs, affects, qui restent souvent clivés de la représentation originelle. Cette représentation du champ de l’inconscient donne lieu à des situations dramaturgiques derrière lesquelles se cachent des problématiques que le rêveur présentera, représentera, réexpérimentera autour de quelques thématiques-clefs dont le dénouement lèvera le voile sur les fondements de sa névrose ».(19)
« La représentation que le patient donne à voir à l’autre lui-même et à l’analyste est déjà un mouvement de déplacement par externalisation de sa problématique qui, en se spatialisant et en se figurant, va être déjà une première tentative de mise à distance du conflit intra-psychique. La mise en image induit une « contrainte à représenter » qui devient l’équivalent d’une activité cognitive intra-RE, et qui, replacée dans le transfert par déplacement s’avère être un agent de changement déterminant.(19)
80Pour Jacques Lévine, le rêve éveillé permet une représentation qui est déjà réélaboration. Il s’agit non d’une reduplication d’une réalité, mais bien d’un travail de transformation intra-psychique. Il s’agit d’une expérience de circulation active, grâce à la métabolisation des « nœuds pathogènes ».(3)
b. La fonction spéculaire
81Le lieu et le temps archaïques sont non seulement rejoints mais aussi « visualisés » par et dans le rêve-éveillé.
82Roger Dufour développera cet aspect dans Écouter le rêve qui paraîtra en 1978 : « La fonction spéculaire constitue l’instrument opératoire de l’analyse RED.
83Par le passage à la visualisation, le R.E.D. réinstalle le sujet dans ces étapes premières où a été perdu l’objet initial (bien qu’il ne pût être déjà nommé objet) et où le sujet en formation se mettait à rechercher confusément dans les sensations et images, des renouvellements et des substituts inévitablement inefficaces. Nous sommes là aux origines du désir que Freud situe en ce lieu précis. Le cœur de la cure analytique R.E.D. est le jeu des processus pré-spéculaires, spéculaires et post-spéculaires ».(8)
84Nicole Fabre précise les processus spéculaires en jeu, dans le registre archaïque, et son impact au niveau de l’image du corps : Le Rêve éveillé permet de créer un espace imaginaire. « Le voir, s’y voir et le dire ne suffit pas. Encore faut-il s’y mouvoir. Ce faisant, on incite le patient à percevoir son corps inscrit, dès lors dans la cure, comme « corps imaginaire. C’est rendre à nouveau centrale l’activité spéculaire, c’est renouer avec le temps où, arrachés à la fusion et à la confusion, nous avons pu commencer de percevoir notre expérience propre ».(6) La mise en scène de l’imaginaire dans l’analyse utilisant le rêve éveillé, est à l’origine d’un travail spécifique de la représentation dans ses rapports au spéculaire, à l’imago corporelle, au langage.
c. La fonction symbolique du langage verbalisé
85La voie symbolique spécifique du langage RE offre aux affects la possibilité de prendre corps, d’être figurables grâce à une symbolisation en plusieurs étapes. Ce langage rejoint la problématique inconsciente, la présente et en fait le lieu du « travail psychothérapique » au sens où l’on parle de femme en travail.
86Plusieurs membres du GIREDD approfondiront cet aspect :
« La chose et le vécu se symbolisent en image, puis en mots » écrira Jean
Nadal.(5)
87Gilbert Maurey souligne le constant et réciproque ré-amorçage du mot à l’image : « Le rêve éveill est mis en mots de façon extemporanée, ce processus influençant en retour le déroulement du flux imagé ».(4)
88Roger Dufour consacre un article à ce sujet : Le voir aux prises avec la
parole psychothérapique:
Dans le rêve-éveillé même « cette parole donne une prise sur la fugacité
des images internes et des projections. Elle fournit à soi-même des traces
enregistrées du rêve pour l’appréhender, elle le visualise spatialement dans
un temps stable et non plus dans l’instantanéité de l’éclair. Voir est toujours
porteur d’une issue non formulée; la parole l’avoue finalement ».(11)
89La fonction symbolique met en chantier un processus, opérant à la fois :
- au niveau du sens caché ou potentiel que le symbole véhicule, ouvrant l’accès à une restauration des signifiants. Le rêve a un sens. Le langage du rêve éveillé est un support, un véhicule qui permet de rendre compte du sens qui va continuer de s’élaborer dans la spirale des associations, souvenirs… et des rêves éveillés qui suivront.
- au niveau du caractère éminemment énergétique du symbole comme vecteur des pulsions, des affects.
91Nous retrouvons ici l’apport irremplaçable de Gilbert Durand dans ce domaine de l’imagination symbolique qui permet de « cueillir le symbole en chair et en os ». L’auteur des Structures anthropologiques de l’Imaginaire rappelle « l’insigne productivité psychique » véritable « hormone psychique » qui est celle de l’imagination symbolique.(21)
92Le symbole place « les images dans la perspective d’un sens. Le mot, le mot seul, fiché dans un dictionnaire, n’est qu’un sédiment synthématique, et c’est au poète à lui redonner, par friction sémantique, l’éclat de la parole nouvelle, le feu du message ».(21)
93La poésie est lue, ou entendue. Alors se produit une interaction capitale : « le lecteur du poème n’est plus que le lieu du retentissement poétique, lieu qui est réceptacle fécond puisque l’image est semence, et nous fait créer ce que nous voyons ».(21)
94Ne pouvons-nous appliquer ces propos au rêve-éveillé réalisé, adressé, écouté ? Il apparut en effet de plus en plus évident que ce langage symbolique était aussi adressé à un thérapeute qui écoute, et le sollicite.
3. La dynamique de la relation et le rêve éveillé en psychothérapie
95Qu’en était-il de la dynamique relationnelle à l’œuvre dans une psycho-thérapie opérant au niveau de l’inconscient et utilisant le Rêve éveillé en séance ?
96Il s’agit bien d’une spécificité particulière, soulignée par Daniel Widlöcher : en 1971 : « on peut se demander si l’usage délibéré d’une tâche aussi chargée d’intérêt, ne vient pas naturellement faire écran dans la relation entre le patient et le thérapeute ».(13)
97Cette observation comme celle qui concerne la proposition de thématiques inductrices(4) renvoie à la question de la place et du traitement du transfert et du contre-transfert dans le cadre de la situation relationnelle spécifique créée par l’existence même du R.E. Ces notions suscitèrent travaux, colloques, réflexions et interrogations nombreuses et passionnées au cours de cette période.
98Rappelons la définition du transfert donnée par le Dictionnaire de la
psychanalyse :
« Terme introduit progressivement par Sigmund Freud et Sandor Ferenczi
(entre 1900 et 1909) pour désigner un processus constitutif de la cure psychanalytique par lequel les désirs inconscients de l’analysant concernant des
objets extérieurs viennent se répéter, dans le cadre de la relation analytique,
sur la personne de l’analyste mise en position de ces divers objets.
99Historiquement, la notion de transfert prend toute sa signification avec l’abandon par la psychanalyse de l’hypnose, de la suggestion et de la catharsis».(1)
100Et la définition du contre-transfert :
« Ensemble des manifestations de l’inconscient de l’analyste en relation avec celles du transfert de son patient ».(1)
102Au début des années 1970, la conception desoillienne de l’expression et du traitement des affects relationnels en R.E.D. est restée dominante, à savoir : « dans la plus grande partie des cas », les affects liés à la relation qui s’établit entre le thérapeute et le patient – y compris les affects d’ordre transférentiel– sont vécus et résolus symboliquement dans le rêve-éveillé.
103L’abandon de la notion de subconscient et de la visée sublimatoire chères à Robert Desoille avaient eu pour conséquence l’abandon progressif des propositions de mouvements ascensionnels et de descente.
104Jacques Launay note les conséquences progressives de cette évolution dans la pratique même de la cure, et finalement sur l’énoncé de la règle fondamentale : « Au long de cette période (1968-1982), le rêve éveillé devint de plus en plus spontané, de moins en moins Dirigé… Les discrètes interventions de l’analyste, en début de cure, permettent de préciser une règle fondamentale : laisser venir les images le plus spontanément possible, se créer un espace imaginaire par l’implication d’un mouvement et de déplacements, dire à l’analyste les scènes qui se déroulent au fur et à mesure, exprimer les affects liés au déroulement des situations ».(13)
« Les concepts freudiens et post-freudiens seront progressivement pris en compte dans la recherche qui se veut spécifique au rêve-éveillé en tant que mobilisateur de l’imaginaire. En même temps, la problématique relationnelle sera approfondie tout en évitant de la calquer sur le modèle de la relation psychanalytique ».(13)
106Une autre difficulté – et non la moindre– étant le risque de confusion ou au moins d’ambiguïté, inhérente à l’utilisation de concepts psychanalytiques pris dans un contexte différent.
107Les principales publications de cette époque, témoigneront de la difficulté à intégrer ces évolutions dialectiques et sémantiques dans ce domaine.
108Des courants différents émergèrent dans le Groupe au cours de cette période :
a. Le courant du Rêve éveillé « pivot de la psychothérapie »
109 Dès 1970, Gilbert Maurey attire l’attention sur « le désir thérapeutique du thérapeute »: il s’agit « d’une relation de type horizontal, non dominante où le thérapeute tend à se situer comme n’étant ni omniscient ni omnipotent, proposition qui bien entendu va devoir être confrontée avec l’ambiguïté du désir propre du patient ».(2)
110Il développera cette conception dans la publication de 1975, en privilégiant la notion de « relation d’équivalence » ou plus exactement « projet d’équivalence », pour définir une relation dans laquelle « les deux pôles (patient/thérapeute) sont désignés comme d’égale valeur ».(3)
111Ce projet, précise-t-il, éviterait de favoriser la projection des affects sur le thérapeute… Cette proposition ne les empêche pas d’exister et ces projections devront être reçues et analysées ailleurs. « cet ailleurs sera le rêve éveillé lui-même conçu comme constituant le troisième pôle relationnel ».(3)
112Dans cette perspective, les affects relationnels seront projetés et dénoués dans le rêve éveillé.
113Gilbert Maurey récuse le modèle psychanalytique du transfert dans son application au R.E.D. : « Quelle que soit l’importance des apports freudiens pour le R.E.D., celui-ci, sur le plan de la méthode, diffère profondément de la psychanalyse. Il s’agit donc de ne pas prendre, par un emprunt trop facile, une option sur le mode relationnel du R.E.D. »(4)
114Dans ce courant de réflexion, le rêve éveillé reste le pivot de la psycho-thérapie : c’est-à-dire ce sur quoi repose et tourne tout le reste.
115Au long des années, il fut de plus en plus reconnu que sans la relation, ce pivot fonctionnerait dans le vide.
b. Le courant du « Rêve-éveillé-dirigé analytique »
116Progressivement, la dynamique relationnelle incluant les affects transférentiels, sera considérée, énoncée, étudiée, en tant que processus affectif s’originant dans les relations conscientes et inconscientes que le patient entretient avec son analyste.
117La question du désir du thérapeute – proposant ou pas, de rêver éveillé– articulée à la demande du patient – qui l’accepte ou pas–, s’inscrivit dans la question plus large des transferts dans la cure. Cette spirale interactive complexe posant l’indissociabilité du transfert-contre-transfert, et instaurant le champ analytique.
118Une nouvelle appellation, signifiante, vit le jour : « De psychothérapeutes praticiens du Rêve Eveillé Dirigé de Desoille, nous devenons par modifications des statuts, analystes praticiens du RED de Desoille » note Nicole Fabre, rappelant la décision de l’Assemblée Générale du Groupe, de 1975, in Cahiers de l’Institut du Rêve Éveillé de Desoille, 1986 n°19.
119En 1978, dans son ouvrage déjà cité(8), Roger Dufour aborde le « rêveéveillé~dirigé » sous l’angle analytique. Jacques Launay analyse cet ouvrage : « Le transfert va être le processus essentiel de l’analyse mais il ne se situera pas seulement dans la relation à l’analyste, il se fera sur les trois systèmes où se transféreront dynamiquement la problématique et son travail ». Il s’agit des systèmes représentatifs de l’activité de l’inconscient : rêve nocturne, rêve éveillé, relation transférentielle.
120Le transfert de l’affect dans la cure se situerait en trois lieux : « tout ce qui se joue dans la relation, au niveau de l’imaginaire, au niveau du verbe et du sens ».(16)
121Roger Dufour propose la notion de « rêve éveillé de situation » pour rendre compte de l’émergence du rêve éveillé immergé dans un processus plus large et plus global incluant la dynamique relationnelle.
« Le rythme partiel c’est le rêve-éveillé ou la suite des rêves-éveillés; en revanche, le tout, la cure ou l’analyse-R-E-D ou R.E.D., c’est ce travail global dont les étapes sont « insérées dans une dynamique globale ».(8)
123À partir d’une association verbale, d’un rêve nocturne, d’une émotion, un geste ou une image… « on invite l’analysant à la laisser se développer sur la scène imaginaire ». Ce matériau imaginaire « draine sur la scène de l’analyse conjointement aux associations verbales et aux rêves nocturnes, un matériau imaginaire considérable à l’intérieur duquel (et non à partir duquel) se fait le travail de la cure ».(8) Pour cet auteur, le processus transférentiel est plus large que la simple projection inconsciente et répétitive d’affects sur le thérapeute. En ce sens, l’analyse R.E.D. ne s’achève que par « la désintrication progressive des processus imaginaires dans le double lieu de la production verbale (discours verbal, associations et RE.) et de la relation transférentielle »(8).
124Dans un article datant de 1980, Nicole Dufour-Gompers développera encore cette orientation, donnant la première place aux affects transférentiels.(17) Pour cet auteur, toute la cure constitue un « espace transférentiel » qui inclut et soutient l’espace du rêve lui-même. Et si, dans le rêve éveillé le transfert peut se dire, se vivre, se montrer sous diverses métaphores, c’est aussi « le transfert qui fait vivre le rêve-éveillé, sous-tend les affects réactualisés, les souvenirs, les fantasmes ».(17) Le rêve éveillé en tant que tel est une production faite pour quelqu’un qui la demande, l’attend, en attend quelque chose. Le thérapeute est celui vers lequel le rêve est orienté et « il est alors le représentant ponctuel de tous les autres destinataires du sujet, le lecteur de son journal intime, le témoin ».(17) L’auteur avance une hypothèse : « indépendamment des manifestations imagées du transfert dans le contenu onirique, la dynamique, la thématique et la signification du rêve sont effets de transfert ».(17) Le rêve-éveillé est considéré en tant qu’un élément de l’analyse.
c. Le courant de l’interactivité
125En 1978 puis 1979, paraissent deux ouvrages de Nicole Fabre dans lesquels elle développe sa conception du transfert et du contre-transfert : L’Analyse par le R.E.D. Une étude clinique E.S.F. édit. Paris, et Avant l’Œdipe(6).
126Dans le premier ouvrage, l’auteur « insiste sur la nécessité de centrer le sujet sur le R.E. tout en attirant l’attention sur le ressenti du thérapeute : « le temps du R.E. est un temps privilégié qui, du point de vue clinique et méthodologique, crée la spécificité de la cure R.E.D. pour autant que l’analyste ait sans cesse présent en lui un double souci : repérer ce qui se joue de la relation patient/thérapeute dans le R.E. lui-même comme dans le face à face, afin d’en comprendre l’évolution et de contrôler ses contre-résonances et ses contre-transferts ».(16)
127Dans le second, Nicole Fabre dégage les processus à l’œuvre dans la régression archaïque et en repère les effets tant dans la nature des images que dans la dynamique des scénarios et dans celle de la relation.
128Nicole Dufour-Gompers analyse cet ouvrage et précise :« le rôle du thérapeute est longuement précisé : à la fois analyste « bonne-mère » qui accompagne le sujet au cours du rêve-éveillé et le soutient dans ses efforts, mais aussi analyste « mauvaise-mère » jetant au monde, arrachant de son univers chaleureux le patient-fœtus, enfin analyste-réel, distinct du thérapeute fantasmé en rêve-éveillé, garant de la réalité et de la situation analytique. Se trouve ainsi posée la double exigence de la cure R.E.D. : favoriser la régression et les vécus fusionnels d’une part et de l’autre, maintenir l’altérité prometteuse de dé-fusion. De là l’importance de la voix de l’analyste qui au cours du rêve maintient la présence du réel. »(12)
129Cette notion fait écho à l’intuition de Robert Desoille concernant l’écoute active et participative du thérapeute. (voir Article précédent) Elle souligne l’importance de la dynamique relationnelle : « Tout un travail conscient et inconscient doit s’opérer pour que le patient puisse reprendre possession de sa propre histoire et s’y inscrive en tant que sujet. Ce travail se fait dans et par la relation à l’analyste que (Nicole Fabre) reconnaît comme étant le levier qui a permis l’accession tant aux images qu’à leur sens ».(12)
130Dans ces deux ouvrages, transfert et contre-transfert sont présentés dans leur aspect interactif : « Le patient voit, sent, vit et dit ce qu’il voit, sent et vit. Ce faisant, il donne à l’analyste à voir, sentir, vivre ».(6) Peut-on ajouter que c’est précisément dans la mesure où l’analyste sera capable de voir, sentir, vivre ce que l’analysant lui donne à voir, sentir et vivre… que le processus thérapeutique pourra se déployer.
131Il s’agit bien ici en effet de la spirale interactive qui associe étroitement la spécificité du rêve-éveillé et les vécus relationnels et transférentiels. Il s’agit d’une dialectique dynamique qui parle de cette oscillation mouvante qui accompagne le patient au long des séances.
4. La scission – le GIRED
132Ces différents courants co-existaient et s’exprimaient en même temps que d’autres, dans les Colloques et Journées d’Étude, particulièrement au début des années 1980.
133Ils empruntèrent des trajets parfois complexes, mais constituèrent le creuset d’une réflexion riche et féconde, génératrice d’une effervescence intellectuelle réjouissante.
134Ils engendrèrent aussi des tensions qui aboutirent à une scission, que l’on peut regretter. Scission dont les causes, écrit Jacques Launay, « comme dans toutes les scissions connues, étaient autant relationnelles que théoriques, sinon plus ».(13) Il résume ces courants qui finalement s’affrontèrent, entre :
- ceux qui considéraient le rêve-éveillé dans une optique créatrice et novatrice, restant fidèles à la notion desoillienne de transfert exprimé et résolu dans et par le RE lui-même;
- ceux qui prônaient une intégration totale du rêve-éveillé dans le cadre d’une psychanalyse, le RE n’étant qu’un mode d’accès à l’inconscient parmi les autres;
- ceux qui penchaient pour une spécificité du rêve-éveillé, certes éclairée par les apports freudiens et post-freudiens, mais avec la prise en compte d’une relation de transfert originale.
136Les conséquences de cette « crise » furent :
- Le départ de plusieurs membres du Groupe.
- Le changement de dénomination du groupe, par la suppression du « D » de « Dirigé », tout en gardant un attachement à la production et à la dynamique du RE en tant que mise en mouvement de l’imaginaire dans le cadre d’une relation.
- La poursuite de l’approfondissement de cette relation en référence au transfert et au contre-transfert ».
137Ainsi parlera-t-on de plus en plus de « Rêve-Éveillé analytique » au sein du Groupe International du Rêve Éveillé de Desoille (GIRED).
B. DE 1982 À 1987. DU GIRED AU GIREP
138Au cours de cette période, les courants différents poursuivirent leur chemin. Ils firent l’objet d’un travail important sur les rapports entre rêve éveillé et psychanalyse. Il n’est pas possible de rendre compte ici des apports des uns et des autres. Jacques Launay rend compte de ces travaux(16):
139En 1983, celui de Marc Alain Descamps : La maîtrise des rêves, Éditions universitaires, Paris, dans lequel l’auteur inscrit la pensée de Desoille dans le courant des « psychothérapies transpersonnelles » à côté de Jung, Frankl et Assagioli. « Il insiste sur « la méthode active » que représente le rêveéveillé cherchant à développer toutes les potentialités incluses dans cette pratique « novatrice et originale » qui, selon lui, constitue un « plus » par rapport à la psychanalyse ».
140En 1985, celui de Gilbert Maurey et Nicole Fabre : Le rêve éveillé analytique, Privat, ouvrage à deux voix, « démarche complémentaire mais assez divergente ».
« Gilbert Maurey se situe dans une optique lacanienne, considérant notamment les rapports du Rêve Éveillé et du fantasme en lien avec la triade R.S.I. A travers l’imaginaire RE, c’est « un sujet qui parle » et de ce fait le RE apparaît dans un autre ordre de l’imaginaire. L’auteur récuse la notion de régression. Il insiste sur « la distinction nécessaire entre relation et transfert, transfert et transferts, et sur la place symbolique qu’occupe l’analyste en référence à l’existence du R.E. à condition qu’il soit le pivot de la cure ».(16)
142Pour Nicole Fabre, l’imaginaire RE peut être rapproché de l’espace potentiel tel que l’entend Winnicott, espace potentiel recréé et retrouvé, qui devient l’aire commune de jeu de la cure. Les vécus transférentiels y ont leur place, s’inscrivant dans une interaction qui évoque le « jeu », l’action de jouer, le « playing » winnicottien.
« L’espace du rêve-éveillé, en même temps qu’il est la création commune du thérapeute et du patient, est projection de leur capacité de jouer, preuve de leur capacité de jouer ensemble. Du reste, tant que la relation initiale patient-thérapeute n’est pas suffisamment bonne au sens winnicottien du terme, il est impossible et contre-indiqué de proposer le rêve-éveillé ».(16)
144C’est bien l’illusion-du-rêve-partagé qui parcourt le jeu transférentiel, et qui est le dénominateur commun des modalités selon lesquelles se vivent et se traitent « non seulement l’amour de transfert tel que l’on a coutume d’en parler depuis Freud (l’irruption de sentiments amoureux dans la cure) mais aussi cet autre amour de transfert qu’est l’amour primaire, archaïque et exigeant, retrouvé dans la régression et adressé à l’analyste ».(4)
145À propos de la résolution de l’amour de transfert, Nicole Fabre met en évidence la spirale interactive qui peut jouer à différents niveaux :« quand l’espace de parole, l’espace analytique se concentre de temps à autre en « espace du rêve-éveillé », l’analyste est plus facilement convaincu du caractère imaginaire de ce qui se passe dans la séance et la succession des séances. Le patient aussi peu à peu. En cela réside une des particularités du vécu de transfert dans les analyses utilisant le rêve éveillé, ainsi que du traitement du transfert ».(16)
« Là où nous en sommes, concluait Jacques Launay en 1985, il semble bien que le problème n’est plus de se demander s’il y a ou non transfert en analyse R.E., mais de dégager comment il se manifeste dans une méthodologie qui privilégie l’imaginaire et comment et quand il peut être traité quand le R.E. constitue le pivot des cures et non comme appoint dans une démarche psychanalytique classique. »(16)
147Un groupe de réflexion se constitue en 1986 en vue d’envisager une modification des statuts du GIRED, marquant nettement l’inscription de la pratique du rêve éveillé dans le champ analytique.
148Là encore, il y eut des divergences, qui cette fois aboutirent à un compromis « presque unanime »: c’est la naissance du Groupe International du Rêve Éveillé en Psychanalyse (GIREP) « le en marquant un cadre et le projet de la cure, mais ne réduisant pas le rêve-éveillé à un simple événement de la cure psychanalytique ».(13)
149Par ailleurs, la référence à Desoille était inscrite dans l’article 2 des nouveaux statuts : le GIREP s’inscrit dans le mouvement psychanalytique et maintient l’originalité de son apport fondé sur l’expérience et la pratique du rêve-éveillé qui s’origine dans les travaux de Robert Desoille. Cet article 2 est toujours en vigueur.
Conclusion
150Les travaux du GIREPs’orientent alors vers la place du rêve éveillé dans un cadre analytique, c’est-à-dire dans ses rapports à l’inconscient et à la relation transférentielle, dans cette interaction dynamique qui constitue sa spécificité.
151Presque vingt ans après la mort de Robert Desoille, qu’en est-il de la « tresse de fils rouges » laissée en héritage ?
152Des fils rouges ont été abandonnés : le subconscient et la directivité méthodologique en particulier.
153D’autres ont émergé : les notions freudiennes et post-freudiennes d’inconscient et de transfert, qui autorisent l’inscription du « rêve éveillé en psychanalyse », dans le champ psychanalytique contemporain d’alors.
154Un fil rouge a été conservé depuis l’origine : celui de l’imaginaire en mouvement. Le génie de Robert Desoille fut d’en percevoir les propriétés thérapeutiques, créatrices, dynamiques.
155Il lui appartient en effet d’avoir pressenti non seulement le ressort de transformation et de guérison de « l’action imaginante » décrite par Gaston Bachelard, mais encore son interaction avec la nécessaire écoute active et participative du thérapeute, spécifique à l’écoute du rêve éveillé en psycho-thérapie.(voir l’article précédent)
156Cette interactivité que Robert Desoille nommait déjà « entrée dans le jeu du patient » vient s’entremêler à la dynamique de l’inconscient et à la dynamique même de l’imaginaire. Cet ensemble constitue la spécificité du rêve éveillé en psychanalyse.
157La métaphore de la « tresse de fils rouges » ne convient plus pour rendre compte de cette triple dynamique interactive en mouvement, mais plutôt sans doute, celle, musicale, d’une polyphonie qui rendrait compte de tous ces processus à l’œuvre dans l’aventure à deux qu’est une psychothérapie. Celle de la « fugue » pourrait peut-être convenir, qui introduit les différentes voix entrant successivement en résonance dans une tension dynamique. « Fugue : forme musicale qui comporte une exposition, un développement, des divertissements, des strettes et une coda ».(Larousse) La pratique du rêve éveillé en psychanalyse permet sans doute d’en entendre « l’épaisseur du sens » dirait Gilbert Durand.
158Les approfondissements théoriques se poursuivront au long des années suivantes. D’autres articles, dans ce numéro et, d’une manière générale, dans la Revue Imaginaire & Inconscient en témoignent.
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Mots-clés éditeurs : langage symbolique, imaginaire, spirale interactive, transfert, inconscient
Mise en ligne 22/07/2009
https://doi.org/10.3917/imin.023.0041