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Article de revue

Le masculin dans ses états

Pages 43 à 54

Notes

  • [1]
    « Ce n’est pas le feu que l’homme abrite dans son tube-pénis, mais au contraire, le moyen d’éteindre le feu, l’eau de son urine. » Freud S. (1932) Sur la prise de possession du feu, in Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Paris, P.U.F., 5e édition, 1998, p. 192.
  • [2]
    Je me suis inspiré de la topologie lacanienne dans l’excellent article rédigé par Conte C., La topologie in L’apport freudien, sous la direction de Pierre Kaufmann, Paris, Bordas, 1993, pp. 428-444.
  • [3]
    « La pulsion sexuelle dont on appellera la manifestation dynamique dans la vie psychique « libido », est composée de pulsions partielles en quoi elle peut aussi se désagréger de nouveau, et qui ne se réunissent que progressivement en organisations déterminées. La source de ces pulsions partielles, ce sont les organes du corps, en particulier certaines zones érogènes éminentes, mais tous les processus fonctionnels importants dans le corps fournissent également des contributions à la libido. Les pulsions partielles prises une à une aspirent tout d’abord indépendamment les unes des autres à la satisfaction, mais au cours du développement elles se regroupent et convergent toujours davantage. » Freud S., Psychanalyse et Théorie de la libido, opus cit., 1923, p. 62.

I – De l’engramme à la cure

1Puisque la probabilité de naître garçon ou fille est assez proche, et que les résultats scientifiques actuels ne mettent pas en évidence de dysfonctionnements cognitifs radicalement différents, typiquement masculins ou féminins, ou qui dans le pire des cas ne seraient compensables ni par l’un ni par l’autre des sexes, apportons une contribution psychanalytique à l’explication de la prépondérance masculine dans la guerre des deux sexes à travers l’histoire.

2Rappelons d’abord que le mythe nous transmet une part de vérité en ce sens qu’il existe dans nos coutumes et nos actes qui nous semblent individuels, un ensemble d’engrammes souvent montrables dans la manifestation clinique de l’inconscient à l’image de l’héritage génétique. L’inconscient, ou si l’on veut, le mythe, est aussi impalpable que l’électron identifié par la trace, jamais observé isolément, et pourtant composant les atomes de la table sur laquelle je m’appuie pour écrire cet article. Rien n’est plus paradoxal que cette stabilité apparente de la matière, dans son histoire et dans l’instant. Nous avons à tenir compte de trois états de mémoire au plan clinique :

  • une mémoire ancestrale consciente, identifiable dans le génogramme;
  • une mémoire inconsciente phylogénique, qui engramme le génogramme;
  • une mémoire inconsciente ontogénique, qui engramme le moi.

3Et nous savons que seul le transfert permet au patient de se déplacer de l’un à l’autre de ces états, afin que les traces mémorielles prennent sens.

4Or, les trajectoires mémorielles dans l’histoire et dans l’instant sont saturées et par conséquent isolément indétectables. Ainsi, par exemple, le masculin ou le féminin n’existent psychiquement pas en soi, mais sont à considérer comme des valeurs, après avoir été appréhendées comme des accidents, c’est-à-dire, comme des particularités locales de l’espace occupé par un individu, parmi toutes les formes d’occupation possibles.

5Sous cet angle, être ou se sentir masculin ou féminin est une particularité, et toujours un état porteur de sens des trois mémoires sus-mentionnées.

6On perçoit la répercussion d’un tel point de vue : l’inconscient est appréhensible en « diachronie », c’est-à-dire, à travers le temps historique du récit émis par le patient, mais aussi en « synchronie », c’est-à-dire, dans la coupe et la présentation de l’actualité du récit.

7En l’occurrence, nous dirons que les états du masculin sont appréhensibles à la fois dans l’histoire et dans l’engramme psychique actualisé. Montrons quelles en sont les constances.

II – Nous retiendrons quatre états du masculin

1. Je panse, donc je bande, c’est-à-dire lier, allier, rassembler, comme dans « former une bande », « une horde »...

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8C’est un état de compensation devant l’impossibilité douloureuse pour le masculin d’enfanter, alors qu’il participe à l’acte de procréation. Pour panser la plaie ouverte du manque, le masculin doit créer une poche au phallus. Le phallus comporte alors une poche assimilable symboliquement à la poche utérine.

1.1. Violence et extension de la poche utérine phallique

9En fait, l’état de ralliement du masculin est matérialisé par la poussée violente, voire, la percée du placenta que constituent les conquêtes, les territoires, les frontières... La trajectoire bombée de la flèche dessine le nouveau territoire à naître. Le surnom donné aux douze princes de Rome a la même origine que « césarienne ». Il faut en effet couper (caedere), par monts et par vaux pour conquérir, tout comme il faut couper l’abdomen, que la femme soit morte ou vivante afin de récupérer l’enfant. Ainsi, l’« art » de la césarienne, – au sens de « technique » –, aura permis de substituer l’efficacité de l’instrument incisif aux vertus des voies naturelles. La métonymie (le tout technique pour la partie utérine), équivaut symboliquement aux milliers d’accouchements inversés à venir. Mais surtout, la plaie ouverte du manque est transférable par l’incision symbolique sur le phallus. Il est justement possible que la circoncision soit aussi un acte symbolique de séparation d’avec la mère. Par l’incision, le pénis encore trop lié au stade urinaire [1] est à présent libéré. Comme l’incision est pratiquée dans la chair, elle ouvre par extension la cavité phallique. La douleur éprouvée à travers la percée initie la défloraison du membre viril.

1.2. L’enfant : couronne solaire du père

10Alors le père l’arrache, l’élève, le brandit vers le ciel et pose enfin sur sa tête l’enfant-phallus de la mère, comme une couronne solaire lors d’un sacre napoléonien. L’enfant a été symboliquement récupéré, fécondé par le divin et donc ravi au féminin lors de l’élévation.

1.3. Énergie masculine et conquête

11Cette énergie masculine perce/explore le corps qui a enfanté. C’est encore cette même énergie qui sous-tend la violence conjugale ou qui explore/ agresse le cercle familial et extra-familial. L’acte de percée/exploration, se retrouve tant dans l’instrument pacifique comme le microscope et l’aiguille autant que dans l’arme guerrière comme l’épée et le canon. Dans tous les cas, il s’agit toujours de conquête.

2. Je pense, donc je « bende », au sens de « tendre sous la pression », selon l’étymologie anglo-saxonne

12C’est un état de développement à l’intérieur de la poche [2], devenue prothèse instrumentale. Car l’art de l’accoucheur est devenu technique de pointe. L’enfant extrait de l’utérus est devenu instrument phallique. Et nous devons à présent considérer son état de développement interne au plan de la virilité. Il faut perfectionner non pas l’instrument viril, mais l’espace interne qui le constitue : maison, et tour se dressent, certes vers les hauteurs, mais le déploiement de l’habitacle est aussi une conquête de l’espace placentaire masculin. Une gamme de voitures s’appelle « Espace » et elle équivaut au développement de l’habitacle des fusées. Pas d’hôtel sans « Palace », pas de train sans « Trans-Orient-Express », pas de bateau sans « Ile flottante », pas d’avion sans « Concorde », pas de voiture sans « 4 x 4 ». Le raffinement, l’efficacité et la puissance qui règnent dans l’habitacle ont été rendu possible par une création placentaire masculine.

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3. Je pense donc je bande

13C’est un état de contention au sein de la poche utérine phallique qui constitue comme un anneau la limite du développement interne de la virilité. L’énergie circule à l’intérieur de l’anneau sans pouvoir se libérer, c’est-à-dire, sans accéder au champ externe qui devient maternité aveugle au masculin. En termes mythiques, la tête du serpent courbé à l’extrême rejoint sa queue. Ce ne sont pas les limites du « plus-de-jouir » chères à Lacan, mais l’angoisse grisante des limites qui ligature et fait suffoquer sous la pression. Car le corps de l’anneau doit être blindé pour supporter la pression interne. C’est l’apnée en tant qu’acte volontaire de contention pour ressentir l’intensité de la tension due au remplissage : l’acte est longuement mûri. Nous sommes dans « l’Empire des sens ». On retrouve là aussi certaines formes pathologiques de grossesse/obésité psychiques masculines. Mais aussi le donjuanisme dans l’acte qui se réclame d’une tension qui ne doit surtout pas être résorbée. On y perçoit certaines formes d’hystéries masculines, dans la perpétuelle consolidation d’un espace où tout est étayé pour annuler toute défaillance du père. On y voit surtout, le fantasme de l’occupation totalitaire d’un univers géocentrique (idéologies, religions...).

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4. Je « pænse », donc je « bænde », ou l’auto-fécondation masculine

14Elle obéit au fantasme de dissolution orgasmique infra-placentaire et non plus placentaire. Ici, au contraire, le phantasme de l’auto-fécondation masculine accompagne la fusion de l’énergie orgasmique qui revient dans la poche pénienne pour « s’entre-tenir », (au sens de se tenir à l’intérieur sans être réinsérée dans l’utérus, et au sens de se perpétuer). Aussi, les guerres masculines et féminines mettent-elles psychiquement en concurrence le contenant phallique et le contenant utérin.

15L’oscillation entre utérin et utérin-phallique est appréciable dans les signifiants visuels et verbaux, comme dans l’alternance a/e du sous-titre.

16N’oublions pas que si le Golem reste muet, c’est aussi qu’il n’est pas issu du contenant utérin. Les fantasmes expliquent l’ambivalence du pacifique et du guerrier toujours indissociables : les guerres modernes commerciales ont souvent été stimulées par le dévoilement de découvertes issues des laboratoires industriels militaires. La lancée du télescope orbital « Hubble » accompagne le programme de la « Guerre des Étoiles » et fait naître le fantasme de pouvoir déclencher, mener et remporter une guerre à partir d’un micro-ordinateur portable. La technologie ne s’est jamais autant rapprochée de la voyance et de la dématérialisation des corps qui, privés de leur enveloppe charnelle voyageraient enfin à la vitesse du photon. Le Grand Corps Virtuel fantasmatique au sein duquel la continuité des inter-connexions prend le pas sur la réelle valeur des contenus émis, est généré par un idéal numérique constituant d’autres soi infra-placentaires enfin débarrassés de la sexualité.

17Le masculin n’a jamais été aussi puissant dans la fertilité de ses trouvailles. Les femmes apparemment plus libres dans nos sociétés occidentales ont occupé consécutivement le creux phallique du fantasme masculin.

III – La cure : de la bouée à l’anneau

18Voici la synthèse de la cure d’un homme de 38 ans qui, pour ressentir une identification masculine, a dû se « blinder », se ligaturer pour rassembler et créer une pression suffisante afin de créer une poche phallique.

19Dès la première séance, je suis frappé par la double contrainte exprimée par M.T. qui vient me voir « pour améliorer ses défauts ». Ses rapports avec sa nouvelle compagne le préoccupent. Il souffre en effet d’une « extrême sensibilité », puisque le simple effleurement des genoux de sa compagne l’amène à éjaculer précocement : ce sont de tels accidents qui ont précipité le divorce d’il y a deux ans. M.T. attend de moi d’être « gonflé » car il ressent un relent de situation similaire, au sein du nouveau couple.

Déficience du père, et éclosion de l’expédition punitive sadique

20La déficience du père de M.T. est bien mise en évidence. Le père réglait l’éducation une fois par semaine, au retour du travail, de manière expéditive, à coup de lanières sur le haut des cuisses et les fesses. Tout cela avait lieu après « le rapport ? (sexuel) fait par ma mère à mon père ». M.T. ajoutera justement : « les femmes disent que j’ai une belle paire de fesses ? fèces ». M.T. se souviendra d’avoir réussi à faire plier sa mère : « Je savais comment agir avec elle pour obtenir quelque chose : qu’elle ouvre le porte-monnaie et qu’elle me l’offre. » La plainte s’installe normalement en séance, et les lapsus confirmant le brouillage identitaire d’un Œdipe avorté apparaissent : « Je t’ouvre ? trouve que le temps pour réaliser ça est trop long ». Ils mettent en évidence que M.T. éprouve un coït regretté à travers le viol de l’autre, c’est-à-dire, de soi. Sa compagne actuelle vivait justement avant leur rencontre, avec quelqu’un d’impulsif qui la battait et M.T. ne comprend bien évidemment toujours pas quelle attitude adopter dans son couple : « Avec l’âge, j’ai le sentiment que mon père devient plus conciliant vis-à-vis de ma mère. Il se laisse diriger par elle ».

21Pendant quelques séances apparaîtront alors des scènes de viol : ainsi, lors d’un rêve-éveillé : « Je m’approche de Blanche Neige. Je lui embrasse la main gauche. Je commence à lui lever la jupe. J’ai le sexe en érection : j’ai envie de lui faire l’amour. Je suis habité par le mal ? mâle intérieurement, sous l’apparence du Prince Charmant. Maintenant ? (maintenir), que je lui ai fait l’amour, je m’en vais. Les nains autour de moi rigolent. Ils disent : « Bien joué, mon gars ! » (...) ». Qui plus est, en rêve-éveillé, M.T. va jusqu’à substituer sa mère porteuse en mère tueuse : « C’est pas toi qui m’auras, c’est moi qui t’aura(s)! (s’adressant à la sorcière). Apportant davantage d’éléments sur sa famille, M.T. constate que dans la vie quotidienne, sa sœur benjamine semblait remplir un rôle de substitut. M.T. constate, dans la foulée, une déficience du « grand-père (paternel) qui s’est suicidé pour emmerder ma grand-mère » en se jetant dans un bassin ? (zone iliaque) pour retenir l’eau de pluie, à peine plus grand que lui.

22De tels événements n’ont pu favoriser « une érection ? (développement) d’un homme qui n’est pas correct(e)», M.T. courant le risque d’un enfermement dans une pensée magique : « Je reproche à mon sexe de ne pas être au garde-à-vous, de manquer de plus de constance. Je claque des doigts ? dois et tu te dresses ! » Ainsi, est-il en attente d’un rapport au surmoi dans le transfert, puisqu’il réitérera sa demande exprimée apparemment par son contraire : « Ce que je reproche à mon chèxe (chèque + sexe), c’est qu’il soit au garde-à-vous. »

Les événements traumatiques personnels associés au statut ambigu du père

23Le transfert étant bien enclenché, M.T. évoque davantage d’événements, sans trop perdre de sa superbe : à « 10-12 ans », il faillit se noyer : « Mon père m’a rattrapé au dernier moment. Il m’a récupéré, alors qu’il ne savait pas nager. Il a complètement oublié qu’il ne savait pas nager, pour ne pas que le tourbillon !... Son aspiration ne réussira pas. Le bras est tendu ? étendu : il faut se raccrocher à ce bras, cette main tendue. » Pourtant le statut du père restera insuffisant, puisque trop associé à un sauvetage héroïque l’enfermant dans un lieu inaccessible alors que la main aurait dû modeler jour après jour le fils. M.T. finit donc par fuguer à 14 ans, et développe une broncho-pneumonie au cours de laquelle il faillit « mouillir (mouiller + mourir)». Il fait également des crises d’asthme, dont il ne se débarrassera jamais. La plainte est réitérée dans le transfert : « Mercredi, j’étais malade depuis 2-3 jours : je suis asthmatique, j’avais du mal à respirer. »

24Enfin, M.T. évoque son grand-père maternel « mort d’hémorragie ? (et mort agit) cérébrale après avoir heurté un trottoir. »

Le statut du père et le risque de l’attraction hystérique

25Vers 15-16 ans, M.T. accorde du pouvoir à « un ami qui passait dans la soirée avec des croix et disait que je mourrais le jour où je ne porterais plus la médaille qu’il m’avait donnée, ou bien si elle se cassait. » M.T s’en débarrasse quand même mais déplace le complexe de castration irrésolu : il acquiert la certitude d’avoir été envoûté, et que « quelqu’un vient se greffer » sur lui. Il a besoin qu’un homme entre en lui pour obtenir « l’absolu ». Alors, « tous les matins, je faisais une prière en embrassant une croix ? (croit ? croît) avec Jésus », pour lui demander de m’aider à m’en sortir ? (naissance). À la 17e séance M.T. énonce qu’« au moment du divorce, celui qui m’a mentalement le plus soutenu ? (sous tenu), c’était mon père ». Le père semble l’accoucheur. Mais en même temps, M.T. semble vouloir féconder le père, en d’autres termes créer une poche pénienne : « Alors que mon père, je ne pouvais pas en profiter : c’était une relation tendue. » Depuis 2-3 ans (divorce), il est ouvert (père utérin) vis-à-vis de moi. M.T. réitère, par conséquent, la double contrainte exprimée lors de la première séance « améliorer ses défauts », sous la forme : « mettre une croix ? (croît) » sur son enfance. Inciser, puis créer la poche pénienne et la rendre progressivement étanche.

Percer l’abcès de la naissance et créer une existence originelle

26M.T. est hanté par le fait de n’avoir pas été désiré par ses parents. Il est un éternel accidenté de la vie : « Tout se crée ? secret au moment de la semence ». « J’avais pas été désiré : j’étais le dernier ? (position/valeur) ». M.T. implique évidemment la responsabilité parentale : trouve que sa « mère l’a trop couvé », et reproche à son père d’avoir défendu sa mère. La gestation lui a pourri la vie, ce qu’il exprime bien en rêve-éveillé : « J’avance à travers ça : c’est tout gluant ! » Il se doit de percer la poche de pus. « La sorcière est un peu comme une morte-vivante, une verrue », afin de s’extraire d’un engloutissement utérin. Ainsi, en rêve-éveillé : « Quand on avance un peu, dans le pré ? près ? prêt, un peu plus loin, on aperçoit la vallée ? l’avalé. »

27Je remarque, que pour exécuter sa signature, M.T. créer d’abord une enveloppe ovoïde puis inscrit son nom à l’intérieur. M.T. évoque à plusieurs reprises « un bouillonnement, dans la tête ? (phallus) qui allait exploser ». « Ça monte du ventre... Ça redescend, parce que ça reste coincé... c’est prêt à sortir, mais au dernier moment, ça retombe, ça n’arrive pas à s’évacuer ». Alors il faut libérer la pression : « Quand cette main enlève le couvercle, c’est un peu comme une guérison, un peu comme quand je vous dis : ça monte en moi... Que ça va sortir ».

L’introjection du surmoi

28« La vie » de M.T. est associée à « l’avis » inscrit inconsciemment dans l’engramme trans-générationnel. L’une est condition de l’autre et réciproquement. C’est justement cela qui perturbe M.T. qui souhaite pouvoir s’extraire du jeu du surmoi étant donné qu’il considère la perméabilité de son être psychique comme de l’impuissance. Il absorbe, en quelque sorte trop d’« avis » pour que l’énergie libidinale circule sans entrave dans l’anneau. Consécutivement, évacuer cette énergie n’est pas une opération qui le satisfait dès lors que l’écoulement le recrée conformément à sa naissance. Ce n’est que dans le transfert (visible ici dans le coût de la séance et relié au « porte-monnaie de la mère » qui est forcé), que M.T. amorce un changement, même s’il lui arrive d’y impliquer sa nouvelle compagne, en utilisant son chéquier. Précisément, sa nouvelle compagne « croque la vie ? l’avis » et M.T. doit lui faire payer symboliquement pour ce qu’elle lui croque ! Ainsi, en rêve-éveillé : « Une sorcière me tend une pomme. J’hésite... Je finis par accepter. Je mords. Je jette le trognon et je vois d’un coup un arbre pousser. » Cet arbre ne peut encore être intégré car il est celui d’un autre : désiré et non acceptable. Cet autre est tour à tour, la mère, le père : « Mon père m’a dit qu’il ne fallait pas arrêter de se battre : ça m’a regonflé oralement ! », la sœur, le directeur « qui me gonfle. » En somme, dans tous les cas de figure, le souffle de vie est transmis oralement ou analement par le phallus, et jamais de manière à enfanter M.T.

29Car M.T. souhaite être inséminé comme un clone et se débarrasser ainsi des parents œdipiens.

L’expression du suicide thérapeutique

30M.T. doit donc « se foutre en l’air », c’est-à-dire, trouver une issue à la décharge libidinale fortement régie par la pulsion de mort : « J’ai eu envie de suicide pour pas que cette sorcière, elle gagne. » « L’arracher de mon ventre, comme pour l’arracher de moi. » Mais M.T. perçoit que pour que l’avis soit supprimable, il faut que la vie aussi soit supprimée. À cela une seule solution : supprimer la vie ? l’avis de l’autre, c’est-à-dire, éradiquer toute vie. Quadruple contrainte que son inconscient exprime admirablement : « Si on la mord ? mort, elle redonne naissance à la vie ? l’avis. » Or, justement, M.T. dit s’être déjà mordu « par expérience, pour voir la morsure disparaître avec le temps. » Sans doute l’envie de tuer sa sœur est-elle lancinante : « La première fille avec qui je suis sorti ? (fusion régressive avec sa sœur) ». Sa sœur était désirée, alors il a dû se fondre en elle, renaître à chaque instant à la place de l’autre, en d’autres termes : se tuer sempiternellement en n’acceptant pas de naître soi. Évidemment, le divorce a été un procédé de réactualisation concret du symptôme : « J’ai l’impression d’avoir vécu cette mort, la première fois quand je suis sorti de l’enfance, et la seconde fois, au moment où j’ai divorcé. »

31Dans l’extrait suivant du rêve-éveillé inaugural de M.T., la problématique qui vient d’être dénouée, était déjà latente : « Dans un champ, le gazon est très haut. Des coquelicots, un arbre, des barbelés qui passent au travers du tronc, sous l’écorce. Le barbelé est sous tension. Des parties anciennes, d’autres plus récentes, neuves. Autour de l’arbre, un pique-nique : un garçon et une fille jouent au ballon. Je prends le barbelé à pleines mains, l’enlève, l’arbre revit : l’écorce se reforme, les branches bougent... À côté, mes parents pensent que c’est de la sorcellerie. Les enfants, eux, restent. Par une petite porte du tronc sort un écureuil. La porte se referme. Je pars, je trouve d’autres champs clôturés par des fils de fer, pas par des barbelés, cette fois. Je vois un arbre, un vélo sur l’arbre. Je le prends. Le chemin est de plus en plus cahoteux. Je vais jusqu’au bout. Un chemin, une forêt, un fleuve : je m’arrête... le quai... les jambes pendent dans l’eau. Je vois une péniche. Une autre qui arrive en face. Quelqu’un qui fait du ski nautique. Je veux plonger dans le fleuve, mais j’ai peur des tourbillons. Je jette ma cigarette et m’en vais. Je vais voir ma sœur. J’entre dans sa maison : trou noir. »

32Nous retrouvons cette envie quasi-psychotique de désagrégation de soi plus loin dans la thérapie, moins associée néanmoins au pouvoir magique véhiculé dans le rêve inaugural : « J’arrive en haut d’un escalier, en haut d’un donjon... Je me mets sur le bord, je saute dans le vide ? l’évide. Je m’empaille ? m’empale dans un pieux ? (lit). J’ai le corps complètement inerte. D’un coup ? cou, je me relève et je me dis que je veux revivre. » Ce pieux tue mais crée consécutivement le vide phallique nécessaire : « Comme si j’étais prisonnier au niveau de l’âme ? lame. » Ce qu’on peut formuler, en autre par : « créer l’incision, et saisir l’embouchure pour gonfler à l’endroit du mort dû ». À cet endroit il lui faut insuffler la vie : « J’ai mal à l’âme ? mâle à lame », « Mon grand-père, son suicide, ça lui a traversé l’esprit. » Paradoxalement, en effet, cette lame n’est pas mortifère mais soignante. Elle est l’outil « qu’il faut pour gratter le sans ? sang (lapsus pour : sol). M.T. veut imperméabiliser la poche phallique. C’est un combat contre soi afin qu’un jour M.T. se sente exister.

33Ainsi, par le transfert, M.T. va progressivement se tuer dans la poche utérine : « Son corps (de la sorcière) se désagrège : il ne reste plus qu’un tas de poussière, un tas de cendres. » Puis il commente son rêve-éveillé : « Un peu comme si tout ce qu’il y avait eu avant n’avait jamais existé ». « Cette personne qui écrit (agression indirecte de ce que je peux reconstituer de son histoire : M.T. tue le dernier témoin de son passé !), elle n’a pas de mémoire. Elle a eu de la mémoire, mais une fois qu’elle s’en est servie pour positiver les choses, sa mémoire s’est effacée... réduite à néant. »

La fermeture de l’anneau : Faire éclater la référence identitaire afin de prendre corps par soi

34Enfin, M.T. doit authentifier le corps obtenu enfin libéré et indépendant du corps de la mère : « Un peu comme un naufragé qui s’attache à une bouée de sauvetage. Une fois qu’on n’est ? naît sur le navire, la bouée est jetée au loin, elle n’a plus aucune utilité, ne sert ? serre plus à rien. » M.T. se référait souvent à l’envie « du cercle fermé des acteurs pornographiques » dans les premières séances. À présent, il reconnaît l’ambiguïté du blindage : « C’est un endurcissement très fort : en me rebellant, je me suis peut-être enfermé dans ce monde. »

35À neuf mois de thérapie, tout en rendant étanche la poche phallique, M.T. commence « à mettre des fondations » dans ses rêves-éveillés. Et enfin, quelques mois plus tard : « On vient de déménager avec Mathilde. » En quelque sorte : M.T. a bien reconstruit une poche phallique, et s’en débarrasse en renaissant à un autre endroit où il choisit de vivre avec sa nouvelle compagne.

36Voici le dernier rêve-éveillé de M.T. qui montre en quoi le travail thérapeutique le sauve en sauvant les autres : « Là, je vois un grand immeuble, une grande tour, comme si un danger la menaçait, que les gens avaient besoin de moi. La tour est menacée par un incendie : un feu prend naissance là-dedans. Les gens paniquent. Je passe devant pour leur montrer le chemin qu’il faut prendre. Je leur demande de me suivre calmement pour que personne ne meurt. Les escaliers sont effondrés : il y a un grand vide. Une lance à incendie, juste à côté. Je la prends ? l’apprends. Je dis aux gens de descendre un par un par cette lance. Au bout de la lance, ils sautent les deux mètres ? maîtres pour passer sur l’autre escalier. Tout le monde est descendu. Je descends. Je saute aussi les deux mètres et j’atterris dans les gens. Tout le monde me suit. En arrivant au dixième étage, il y a le feu (plaisir orgasmique). J’ouvre une porte pour que les gens passent dans l’étage. Il n’y a pas d’autre escalier par où on peut passer (obligé d’assumer l’orgasme). Je vois un pompier (celui qui pompe et qui jette) au bout de la grande échelle. Je prends la chaise et je casse la vitre avec. Tout le monde peut passer sur la grande échelle et se sauver. J’entends un cri : quelqu’un est coincé (libido). La personne (lui-même, qui craint l’orgasme) est entourée par les flammes. Je vais chercher la personne. Je vais le (soi) chercher, et je saute (rappel de la bifurcation suicidaire) avec la personne (c’est-à-dire, ses deux grands-pères, son père et lui) à travers les flammes. J’arrive aussi en bas de l’échelle. Quelques personnes viennent me voir et me remercient. Je m’en vais tout seul, et je disparais plus loin dans la foule. »

37Nous voyons comment la lance à incendie passe du statut de cordon ombilical à celui de pont dressé vers l’Autre. Après la séance interprétative de ces images, je ne reverrai plus M.T. qui m’efface par la même occasion de sa mémoire comme d’un placenta devenu inutile.

Conclusion

38La création de la poche phallique est l’apanage du masculin. Elle ne devient pathologique que lorsque la nécessaire intégration des « pulsions libidinales partielles [3] » masculines, conduit à la violence et à l’anéantissement du féminin.


Mots-clés éditeurs : Phallus, Masculin, Surmoi, Sadisme, Suicide, Hystérie

https://doi.org/10.3917/imin.010.0043

Notes

  • [1]
    « Ce n’est pas le feu que l’homme abrite dans son tube-pénis, mais au contraire, le moyen d’éteindre le feu, l’eau de son urine. » Freud S. (1932) Sur la prise de possession du feu, in Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938, Paris, P.U.F., 5e édition, 1998, p. 192.
  • [2]
    Je me suis inspiré de la topologie lacanienne dans l’excellent article rédigé par Conte C., La topologie in L’apport freudien, sous la direction de Pierre Kaufmann, Paris, Bordas, 1993, pp. 428-444.
  • [3]
    « La pulsion sexuelle dont on appellera la manifestation dynamique dans la vie psychique « libido », est composée de pulsions partielles en quoi elle peut aussi se désagréger de nouveau, et qui ne se réunissent que progressivement en organisations déterminées. La source de ces pulsions partielles, ce sont les organes du corps, en particulier certaines zones érogènes éminentes, mais tous les processus fonctionnels importants dans le corps fournissent également des contributions à la libido. Les pulsions partielles prises une à une aspirent tout d’abord indépendamment les unes des autres à la satisfaction, mais au cours du développement elles se regroupent et convergent toujours davantage. » Freud S., Psychanalyse et Théorie de la libido, opus cit., 1923, p. 62.
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