Couverture de IDEE_190

Article de revue

L’analyse des problèmes publics

Un champ d’étude interdisciplinaire au cœur des enjeux sociaux présents

Pages 6 à 19

Notes

  • [1]
    Cité dans [1], introduction.
  • [2]
    « Réaliser, reprocher, réclamer. »
  • [3]
    Ball R. A., Lilly J. R., « The menace of margarine : the rise and fall of a social problem », Social Problems, vol. 29, no 5, 1982, p. 488-498.
  • [4]
    Becker H. S., Outsiders : études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 2012 [1963].
  • [5]
    Terminologie empruntée à Karl Marx. Cf. Bourdieu P., Lamaison P., « De la règle aux stratégies : entretien avec Pierre Bourdieu », Terrain, no 4, mars 1985, p. 93-100.
  • [6]
    Cefaï D., Terzi C. (dir.), L’expérience des problèmes publics. Perspectives pragmatistes, Paris, EHESS (Raisons pratiques), 2012.
  • [7]
    Aubenas F., Le quai de Ouistreham, Paris, L’Olivier, 2010.
  • [8]
    Cefaï D., « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, vol. 14, no 75, 1996, p. 43-66.
  • [9]
    Cf. l’article d’O. Baisnée et J. Nollet dans ce numéro.
  • [10]
    Kuhn T. S., La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 2008 (1962).

1 Les jalons proposés ici vont reposer sur trois étapes. Il s’agira d’abord de chercher à définir ce qu’est un problème public, la manière aussi dont cet objet est entré dans les centres d’intérêt des sciences sociales. Une deuxième partie proposera une petite boîte à outils pour analyser les processus d’émergence, de succès ou de déclin, d’impuissance à prendre corps parfois. Enfin, une dernière partie suggérera quelques dimensions d’actualité dans l’analyse de ces problèmes publics.

Penser les « problèmes » comme des processus

2 Il faut penser les problèmes publics comme des processus et non des « choses » ou des objets qui s’imposent à un regard attentif… telles, dit Alfred Schütz, « des billes brillantes sur une surface de sable [1] ». Pour faire formule, il faut ici préférer le verbe « faire » au verbe « être ». Constituer un problème public, c’est transformer une situation, une pratique, une expérience de vie en quelque chose qui se trouve défini comme problématique, c’est-à-dire comme objet de discussion, comme quelque chose qui ne peut être tenu pour normal ou banal. C’est faire d’un enjeu ou d’une activité un objet de débat et de revendication pour qu’une action soit entreprise pour en changer le statut ou les effets. Un classique de la littérature scientifique anglophone sur la sociologie des litiges a pour titre Naming, Blaming, Claiming[2] [2]. C’est de cela qu’il s’agit ici. Pour qu’il y ait un problème public il faut qualifier une situation, l’associer à quelque chose d’inacceptable (une discrimination, un droit dénié), parfois inventer pour cela un mot qui sorte la question de l’invisibilité (« illettrisme » [3], « surdoués », « islamophobie »). Il faut déployer un registre d’accusation (« c’est la faute de… ») et si possible esquisser des revendications qui donnent la solution tenue pour optimale.

3 Concrètement, la liste des faits et des comportements éligibles au statut de problème public est illimitée. Le sac plastique si commode pour envelopper les courses va devenir problème public si des voix s’élèvent pour souligner qu’on en retrouve plein la nature, qu’il tue dauphins ou tortues marines qui l’ingèrent. On peut en sourire, mais la vente de margarine – aliment jugé artificiel, remplaçant maléfique du beurre qui symbolisait, lui, l’harmonie saine du monde des fermiers – a suscité aux États-Unis dans les années 1880 et 1890 des débats passionnés, des lois et même des référendums locaux pour en interdire ou entraver la vente [3] ! Sur un mode qu’on jugera sûrement plus tragique, le flux des migrants venant de Libye ou de Syrie, les catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique, les attentats terroristes peuvent aussi être constitués en problèmes publics. L’emploi de ce « peuvent aussi être » peut surprendre ou choquer. N’est-il pas évident que les terrorismes ou le réchauffement de la planète sont des problèmes ? La réponse n’est pas si simple. S’agissant du réchauffement climatique, on trouve, d’une part, des locuteurs ou des groupes qui y voient autant une chance qu’une menace : on pourra produire du vin en Écosse demain et faire passer les porte-conteneurs par le passage du Nord-Ouest libéré de ses glaces. La nature même du « problème » est aussi objet de discussion : pour Donald Trump ou Claude Allègre, rien ne prouve que ce réchauffement soit d’abord le fait de l’activité humaine. Quant au terrorisme, on peut observer à la fois une très inégale sensibilité à ses expressions – les souffrances infligées aux chrétiens d’Orient sont largement couvertes par les médias, là où les massacres de fidèles chiites qui font plus de victimes encore en Irak font plus souvent l’objet d’une « brève » – et des écarts de qualification de faits en apparence comparables – peu d’articles de presse ont qualifié de terroriste l’assassinat d’une femme par une voiture lancée sur un rassemblement antiraciste à Charlottesville en août 2017, quand le même modus operandi par des islamistes impose cette qualification à Nice, Berlin ou Barcelone.

4 Les problèmes publics sont devenus, spécialement depuis le milieu du XXe siècle, l’objet d’une intense activité de recherche. Celle-ci a pris d’abord naissance aux États-Unis où l’on peut citer comme auteur de référence Joseph Gusfield [4]. Ses travaux sur la manière dont la consommation d’alcool, puis la question de ses effets sur les conducteurs d’automobiles, ont fait l’objet de discussions passionnées et de mesures de réglementation, et ont ouvert un nouvel espace de recherche. Sur un registre plus théorique, moins focalisé sur l’analyse d’un problème spécifique, il faut aussi citer les noms de Malcolm Spector et John Kitsuse [5]. Dans une logique inspirée de la sociologie de Chicago et singulièrement de Howard Becker [4] , ils proposent de fonder l’analyse des problèmes sur ce qui peut sembler un paradoxe : faire la sociologie des problèmes publics ce n’est en aucun cas chercher à dire s’ils sont graves ou dérisoires, illusoires ou d’importance historique. Aborder les problèmes publics d’un point de vue de science sociale c’est suivre l’activité de ceux qu’on peut nommer entrepreneurs de cause (« claims-makers ») et qui agissent pour constituer une pratique ou un fait en problème dont on puisse débattre, sur lequel on puisse agir. On peut penser à l’association ATD Quart-Monde sur l’illettrisme [3], à Attac sur la taxation des transactions financières, à des groupes d’extrême droite sur l’idée d’un « grand remplacement » des populations blanches par des personnes « de couleur ». Qui sont ces entrepreneurs de cause ? Comment font-ils pour donner corps à un problème ? Quel rôle jouent alors les médias, les pouvoirs publics ?

5 Avant d’esquisser des pistes de réponse à ces questions, il faut cependant faire face à une question qui peut se revendiquer du « bon sens ». Peut-on se fixer sur l’activité des entrepreneurs de cause sans se prononcer sur le fond de leurs propos et revendications ? Doit-on prendre leurs revendications, parfois contradictoires, pour argent comptant ? Est-ce que les faits n’importent pas ? N’y a-t-il pas un risque d’en arriver à ne penser les problèmes publics que comme d’habiles effets de discours, en oubliant la matérialité des faits, le poids des souffrances qui peuvent accompagner certaines situations ? On fera ici une réponse à la fois « constructiviste » et attentive aux faits.

6 « Constructiviste », tout simplement parce qu’il n’existe pas de loi de proportionnalité objective entre la gravité de faits ou de situations – avec quels outils mesure-t-on d’ailleurs la souffrance ou les humiliations ? – et l’attention sociale qui leur est accordée. Des situations qui seront rétrospectivement considérées comme génératrices d’immenses souffrances et injustices peuvent susciter à chaud peu de réactions, ou celles-ci peuvent être étouffées. D’autres événements ou dossiers qui, vus avec un peu de distance, seraient souvent considérés comme insignifiants, peuvent déclencher de considérables passions. L’usage de la margarine était-il dans les enjeux incontournables de la vie américaine à la fin du XIXe siècle ? Le port du burkini par de rares baigneuses sur la Côte d’Azur était-il le grand défi vécu par la démocratie française à l’été 2016 ? Comment expliquer symétriquement la rareté des situations où l’expérience, massivement partagée, des difficultés quotidiennes d’accès à l’espace urbain ou aux locaux de travail par les personnes handicapées, celle du chômage de longue durée, occupent durablement l’attention médiatique ou les priorités du législateur ? Ce qu’on nomme « les faits » importe infiniment, mais il est alors raisonnable de consentir à une saine division intellectuelle du travail. Qui peut le mieux dire la dangerosité d’une molécule ou le risque d’une épidémie : le sociologue ou le chimiste et épidémiologiste ? Prétendre dire que tel problème est vital, tel autre faux au nom de la sociologie, c’est descendre dans l’arène et devenir entrepreneur de cause. La chose n’est pas déshonorante et il est de nobles et belles causes. Mais servir une cause d’une part, produire une connaissance distanciée des causalités sociales et être ouvert aux raisons d’agir de tous les acteurs en présence d’autre part sont des activités qui ne se superposent pas toujours facilement. Par ailleurs, penser les problèmes publics comme construits par l’action de groupes et d’institutions n’est pas tourner le dos aux faits, bien au contraire. En suivant les « claims-makers » l’enquêteur va rendre visible une foule de faits et de prétentions : qui identifie un problème et pourquoi ? Quels sont les arguments invoqués ? Y a-t-il des manières contradictoires de constituer les faits en problèmes ? Quels sont les alliés et opposants des entrepreneurs de cause ? Comment font-ils pour capter l’attention des médias, celle d’élus ou de ministres qui peuvent intervenir utilement ? Quelles politiques publiques vont permettre de répondre au problème ?

7 On le voit, suivre les entrepreneurs de cause ne mène pas que vers des mots, mais vers une foule de données diverses, du technologique au politique via la sociologie des groupes concernés. Et il n’est nul besoin de distribuer des bons points pour que deviennent intelligibles les intérêts et croyances en présence, les argumentations qui s’affrontent, les tactiques et les jeux d’alliances pour faire prendre en compte « son » problème et les solutions qu’on lui associe. Suivre les entrepreneurs de cause c’est comprendre comment les structures matérielles du monde social, les cultures, les contextes historiques rendent les discours efficaces ou vains, c’est rendre raison du scandale logique qui veut qu’on ne puisse indexer les chances d’un problème d’être pris en compte sur l’ampleur des souffrances ou des dommages qu’il peut susciter. C’est comprendre, selon le mot de Pierre Bourdieu, qu’entre « les choses de la logique et la logique des choses [5] » il y a quelques distances. Le sociologue états-unien Joël Best [7] parle de manière pertinente d’un « constructivisme contextuel ». Elle prend acte du fait que presque n’importe quoi peut devenir problème public, qu’il y a toujours assez de comportements singuliers, de mécontentements, de tensions sociales pour fabriquer du problème. Mais elle associe à ce point de départ la précision « n’importe quoi, mais pas n’importe où et n’importe quand ». L’histoire des États-Unis peut expliquer que la margarine devienne un problème, plus exactement un symbole sensible, à un moment où une Amérique urbaine et industrielle d’immigrants récents prend le pas sur celle, plus rurale, des fermiers et artisans indépendants. Cette même histoire peut expliquer à quel point la consommation d’alcool y est un enjeu sensible, quand la cause prohibitionniste suscite en France bien peu de sympathie. L’histoire – celle de la colonisation et de ses suites, celle du génocide des juifs d’Europe – explique pourquoi des discours qui définissent tout ou partie des musulmans comme un problème ont plus de possibilités de s’exprimer publiquement dans nos frontières que des propos antisémites.

Un savoir made in USA ?

Compte tenu de l’énorme diversité des enjeux auxquels s’intéresse la sociologie des problèmes publics, de leur côté politiquement « chaud » en bien des cas, comment expliquer que ses travaux fondateurs soient nés presque uniquement aux États-Unis, puisqu’il n’y a guère que des Britanniques à y avoir contribué, et à avoir accordé plus d’attention au rôle des médias dans l’émergence de paniques morales ? N’y aurait-il pas quelque biais, voire quelque snobisme conceptuel dans cette valorisation du made in USA ? On peut suggérer au moins deux types de réponses.
D’une part, l’histoire de la sociologie aux États-Unis est marquée par une institutionnalisation et un développement plus précoces… mais dans un monde académique où des grandes fondations et compagnies financent beaucoup l’université, avec une contrainte d’utilité. La sociologie est invitée à produire des analyses et propositions raisonnables pour répondre sur le terrain aux maux de la société. C’est le point de départ d’une tradition d’étude qui sera initialement au carrefour de la philanthropie, de l’ingénierie sociale et du réformisme « à la petite semaine »… traditions contre lesquelles s’organisent les sociologues de Chicago plutôt de gauche ou critiques, qui créent dans les années 1950 la Society for the Study of Social Problems (SSSP).
On pourrait montrer, d’autre part, que s’ils avaient été publiés aux États-Unis beaucoup de classiques de sciences sociales produits en France auraient été associés à l’idée d’analyse des problèmes publics. Les années 1970 et leur postérité ont en effet fait une large place à des travaux qu’on a parfois associés à la sociohistoire et qui ont exploré la genèse de sensibilités, de perceptions critiques, de catégories d’analyse. On citera l’attention de Michel Foucault aux « problématisations », aux manières changeantes de penser un fait social, de produire une épistémè qui en fasse sens. On se souviendra des nombreux livres d’historiens, sociologues et politistes sur « L’invention de… » ou « La naissance de… ». Pour ne donner que quelques illustrations, une partie des livres de l’historien Alain Corbin sur l’histoire des sensibilités olfactives et de l’hygiène [*], de la prostitution [*], ceux d’économistes sur l’invention du chômage [*], de politistes sur l’invention de la démocratie ont en commun de renvoyer à la manière dont des faits sont pensés comme des problèmes, sur la manière dont des « problèmes » (organiser la domestication du suffrage universel redouté par certaines élites) sont résolus. Si ces traditions intellectuelles ont largement cheminé en parallèle des travaux nord-américains sans les rencontrer, le métissage de ces cadres théoriques est aujourd’hui bien fait par une génération de chercheurs plus jeunes comme Luc Berlivet sur les questions de santé, Jean-Baptiste Comby [6] sur le climat, Ludivine Balland, Xavier Pons ou Franck Poupeau sur l’école.

Cinq opérations de construction et de traitement des problèmes

8 Par où commencer, comment identifier la genèse et le développement d’un problème public ? Un outil pédagogique [1] pour le faire réside dans l’identification de cinq opérations, de cinq moments de « faire ». Une situation ou un comportement va d’abord être identifié, désigné comme problématique par des entrepreneurs de cause. Ils devront ensuite le cadrer, c’est-à-dire produire un récit diagnostiquant la nature du problème, ce qui en relève ou non, ses causes et les actions réparatrices à entreprendre. Les problèmes publics abondant, il faudra aussi justifier, c’est-à-dire argumenter sur le fait que le problème que l’on porte est d’une importance et d’une gravité toute particulière. Il faudra encore populariser, c’est-à-dire faire entendre ces cadrages et justifications à des publics cibles : opinion, groupes concernés, décideurs, et souvent pour cela capter l’attention des médias. Enfin, un problème qui réussit devient objet de politique publique, ce qui est à la fois un aboutissement, une fin… et le commencement possible d’un nouveau cycle quand on découvre que le remède est imparfait, mal mis en œuvre ou qu’il engendre de nouvelles situations qu’on pourra définir comme des problèmes – par exemple quand des mesures de politique sociale créent des situations paradoxales, comme le fait d’avoir moins d’argent en fin de mois si l’accès à un emploi à temps partiel ampute de beaucoup les allocations de chômage.

9 Utiliser le mot « opération » c’est à la fois souligner qu’on est toujours dans le faire, que le moteur de la vie des problèmes tient dans la lutte entre des entrepreneurs de cause aux revendications contradictoires, dans les rapports de coopération et de conflit qu’ils nouent avec des intérêts organisés, des administrations, des journalistes ou des intellectuels. C’est aussi, pour reprendre le titre d’un livre récent [6] , penser en termes d’« expérience » des problèmes publics. Ce qui peut être objet d’analyses savantes ou surplombantes est aussi l’expérience du trouble, du choc pour qui découvre qu’il est exposé à des risques de santé non signalés sur son lieu de travail, pour qui réalise que la construction d’un aéroport va bouleverser ses conditions d’habitat et de vie. Il faut alors faire tout le travail suggéré ici : donner sens à l’imprévu ou au caché, le traduire en mots et argumentaires, s’organiser, se faire entendre… Dire « opération », c’est aussi éviter le mot « étape » avec ce qu’il suggère de chronologie figée, d’enchaînements obligés. Si on retrouve souvent à l’analyse de cas pratiques ces cinq opérations, elles peuvent se télescoper, ne pas se présenter dans un ordre immuable, certaines peuvent même ne pas intervenir – quand par exemple un problème est porté par des porte-parole assez puissants pour être écoutés des autorités publiques sans qu’il y ait besoin de faire campagne via les médias.

Identification

10 Une première opération peut donc être associée à la notion d’identification ou de définition. Elle consiste à désigner une situation, un fait social comme problématique. Elle suppose donc l’intervention d’un promoteur puisque ni le trou dans la couche d’ozone, ni le VIH, ni la précarité dans l’emploi ne parlent tout seuls. Qui sont ces promoteurs ou entrepreneurs de problèmes ? Ceux qu’on a désignés comme les « intellectuels » ont historiquement joué un rôle important pour identifier des faits problématiques, dénoncer des « affaires ». Un ensemble de logiques sociales contemporaines (dimension souvent technique de faits liés à la santé publique, aux pollutions, nécessité de produire des argumentaires pour des publics cibles, tendances à la professionnalisation de la revendication) ont donné depuis un quart de siècle une place croissante à ce qu’on nomme think tanks ou laboratoires d’idées. Ils institutionnalisent une coopération entre chercheurs, leur donnent moyens et stabilité, assurent la connexion avec les mondes politiques et administratifs. On regardera en France à la fois la manière dont certains think tanks inspirent les pouvoirs publics (Fondation Saint-Simon hier, Institut Montaigne et Terra Nova aujourd’hui) ou fonctionnent comme des espaces de critique des définitions dominantes des problèmes publics (Fondation Copernic). Les mouvements sociaux jouent aussi un rôle important dans ces processus de portage des problèmes publics. Ils ont souvent été les promoteurs de causes et revendications inédites et refoulées (droits des femmes, des migrants, commerce équitable, écologie). Avec un répertoire d’actions tout différent, qui repose plus sur la production de dossiers techniques et de projets de normes, sur l’entretien de contacts directs avec les décideurs et non la mobilisation dans l’espace public, les groupes d’intérêt jouent aussi un rôle important tant pour définir des problèmes (par exemple les effets antiéconomiques imputés au Code du travail français) que pour mettre en débat ou en doute ceux portés par des mouvements sociaux. Un des paradoxes contemporains tient probablement ici dans la capacité croissante des groupes d’intérêt à emprunter aux formes et répertoires des mouvements sociaux. La marque de gazon artificiel Astroturf a ainsi donné son nom à des formes de mobilisation de la « société civile » qui sont parfois entièrement organisées et financées par des lobbies, comme lorsque, tous frais payés par la firme américaine Monsanto, une délégation de « petits paysans » latino-américains vient protester lors d’un sommet international contre… les écologistes qui entravent l’accès aux bienfaisantes semences OGM. Les promoteurs de problèmes publics, ce sont aussi les administrations qui identifient des enjeux de politiques publiques à redéfinir, à prendre en charge. Ce sont encore les partis politiques dont les programmes peuvent se lire comme des hiérarchies de problèmes et de définitions de ceux-ci. C’est encore la presse lorsqu’elle révèle des situations qui choquent ou sont analysées comme iniques. Mais s’il faut saluer le journalisme d’investigation et ses audaces (les enquêtes d’Élise Lucet), on soulignera à la fois le peu de médias où il se pratique et le fait que de façon croissante c’est au livre (Florence Aubenas pour parler de la précarité des femmes de ménage [7] ) que recourent les journalistes, faute de trouver un espace d’expression dans les magazines et quotidiens. Faut-il toujours le truchement d’une institution, d’acteurs à fortes ressources pour qu’une situation soit constituée en problème ? Non, une foule de situations montrent combien des citoyens ordinaires sont à même de s’organiser, de transformer une expérience traumatique ou alarmante en un problème qu’ils mettent en débat. Mais sauf à nier l’évidence des inégalités de ressources, les personnes « ordinaires » ont d’autant plus de chances de se faire entendre sur une situation qu’elles tiennent pour problématique qu’elles ont une ressource qui sort un peu de l’ordinaire : des connaissances techniques, un bon stock de contacts Facebook, un ami journaliste, des liens avec un élu local ou un fonctionnaire ayant un peu de pouvoir. L’observation revient aussi à dire que chercher un seul et unique promoteur pour un problème public donné est souvent un peu vain. Comme les prédateurs chassent souvent en meute, une cause a d’autant plus de chances de se faire entendre qu’elle peut enrôler beaucoup de soutiens, fédérer des intérêts variés. Plus un problème est porté par un réseau d’acteurs, plus sa visibilité croît.

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Cadrage

11 Une seconde opération peut s’associer au verbe « cadrer ». Comme le photographe sélectionne ce qui doit être dans le cadre (le château médiéval sur la butte) et ce qui ne doit pas y figurer (l’affreux pylône électrique), les promoteurs de problèmes publics doivent cadrer ; on pourrait aussi dire mettre en récit. Il faut à la fois rendre le problème visible et intelligible, donner idée de ses causes, suggérer des actions pour remédier à la situation. Pour suggérer quelques repères, la question des « causes » – au sens des facteurs déclenchants – demande un travail particulier. Il est important de montrer qu’un problème naît d’une responsabilité humaine et non de la fatalité, que des actions efficaces sont possibles. Bernard Lahire [3] montre ainsi à propos de l’émergence du problème de l’illettrisme qu’il a fallu être habile à en décrire les origines et le périmètre. Un rapport difficile à l’écrit n’est pas une affaire de vieilles personnes peu éduquées car on pourrait dire cyniquement qu’elles auront disparu dans vingt ans. Ce n’est pas un problème d’étrangers ou de français de fraîche date, car le problème pourrait alors être imputé comme un méfait de l’immigration. Mieux vaut souligner que le problème de l’illettrisme frappe des jeunes en échec scolaire, qu’il a aussi des impacts économiques (il écarte des personnes du marché de l’emploi), et des enjeux civiques (ceux qui peinent à lire seraient la proie des démagogues en politique). En des termes pratiques, la mise en récit d’un problème a d’autant plus de chances d’être efficace qu’elle s’appuie sur des croyances, des valeurs, une culture bien partagée dans une société. Aux États-Unis, le mouvement Madd (Mothers Against Drunk Drivers) qui rassemble les victimes d’accidents causés par des personnes ayant bu est infiniment plus puissant que Smart (Stop Marketing Alcohol on Radio and Television) qui intervient sur le même problème. Le premier mouvement tient un discours sur la responsabilité individuelle des chauffeurs ; le second accuse les firmes productrices d’alcool et l’obligation pratique de prendre sa voiture pour sortir le soir. Le premier mouvement joue beaucoup des émotions liées à la douleur des familles ; le second est plus dans une analyse froide des intérêts économiques liés à l’alcool. On comprend alors la difficulté des causes qui doivent se constituer contre le sens commun et les préjugés d’une époque, défier les évidences de leur société. Telle a longtemps été la difficulté pour les homosexuels, socialement stigmatisés, et dont les victoires doivent largement leur visibilité au fait d’avoir su jouer d’une mise en récit qui revendiquait des valeurs communes. Le mariage « pour tous » ne serait ainsi pas un droit spécial, mais l’universalisation d’un droit humain préexistant. Bien cadrer et s’appuyer sur ce que Daniel Cefaï nomme des « trames de pertinence [8] », ce n’est pas seulement avoir une forme de sens commun, de culture partagée, c’est aussi avoir le « flair » de ce qu’on pourra appeler un climat idéologique. Dans un contexte où beaucoup d’aides sociales sont décrites comme un « assistanat » aux influences perverses, il est habile d’associer à la vision d’un problème des solutions qui suggèrent un engagement des bénéficiaires, une aide qui vise à les rendre « autonomes » et non « assistés ». Qu’on pense ici au « I » du RMI qui doit s’accompagner d’une démarche d’insertion, ou aux mécanismes dits de conditionnalité, qui subordonnent la réponse à un problème à la preuve par les personnes qui y font face de ce qu’elles développent tel ou tel type d’action (recherche d’emploi…). S’arrimer aux trames de pertinence c’est enfin savoir anticiper sur les forums et arènes médiatiques ou institutionnelles où un problème va être mis en débat, soumis à des processus décisionnels. Il faut apprendre à moduler son discours et son argumentaire selon qu’on vise à mobiliser les personnes les plus concernées par ce qui serait le problème ou à capter l’attention de soutiens plus lointains ; il faut adapter sa rhétorique selon qu’on parle devant les caméras de France 3 Nouvelle-Aquitaine, devant un groupe d’experts, une commission parlementaire.

Justification

12 Même bien mis en récit par un cadrage habile, et soutenu par des partisans résolus, un problème doit toujours affronter une double dynamique de concurrence. On a parfois parlé de la concurrence des victimes. Qu’est-ce qui sera prioritaire dans les budgets et débats : les chômeurs picards, les réfugiés syriens, les banlieusards du « 93 » entassés dans des transports en commun vétustes et mal entretenus ? Mais la lutte est aussi bien souvent une lutte de cadrage au sein de ce qui est reconnu comme un problème. Après avoir été longtemps dans la négation, les industriels de la chimie ont dû se résoudre à admettre que certains produits désignés comme perturbateurs endocriniens avaient des effets graves sur la santé publique. La lutte consistera alors à discuter du critère de dangerosité. Faut-il la preuve (et administrée comment ?) de la dangerosité certaine et isolable de telle molécule ? Doit-on cibler plus large et bannir toute substance sur laquelle pèse une suspicion raisonnable d’être cancérigène, par exemple ? Le texte adopté le 4 juillet 2017 par l’Union européenne donne une définition longtemps attendue de ces perturbateurs endocriniens… mais c’est celle, restrictive, inspirée par les lobbies de l’industrie chimique allemande et britannique. Dans ces luttes, il faut donc maîtriser une autre opération qu’on nommera « justification » : prouver que « mon problème est plus grave que le tien ! ». On peut identifier ici trois registres principaux. L’un peut être associé à l’idée de « démocratie » ou de vox populi. Un problème est essentiel parce que le peuple le dit. Il l’a dit en choisissant tel parti aux élections. L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française est-elle un blanc-seing au dessein de résoudre les problèmes du chômage et de la compétitivité par une énergique simplification du Code du travail ? Le peuple s’exprime encore en répondant à un référendum, comme lorsque en mai 2017, 58 % des suisses se sont prononcés pour la sortie du nucléaire. La vox populi peut aussi être mobilisée quand des millions de personnes descendent dans les rues pour un problème public, contre une solution qu’elles désapprouvent. Elle peut être sollicitée à partir de sondages d’opinion. Le jeu de la justification peut aussi reposer sur la mobilisation des émotions : horreur, dégoût et compassion devant le traitement cruel infligé aux volailles de batterie ou aux bovins et ovins dans les abattoirs, compassion et honte de la passivité devant le cliché d’un bambin syrien noyé, face dans le sable d’une plage turque. L’émotion, ce peut encore être les affects de révolte contre l’impunité de pédophiles en Belgique hier, la colère devant l’impudence de la corruption ou de l’injustice. Il n’est pas sûr que les intellectuels soient imperméables à pareilles réactions émotionnelles mais ils les regardent volontiers de haut comme irrationnelles, comme propres à des personnes peu sophistiquées. Et si l’émotion était plus souvent qu’on ne le pense l’expression préréflexive de sentiments moraux, la traduction d’un sentiment de commune humanité aux côtés de victimes ? Le chantier d’une sociologie des émotions est en plein essor [8]. Il pose des questions passionnantes : comment se connectent émotions et réflexivité, quelles émotions ont des effets durables et mobilisateurs, quelles autres peuvent avant tout cristalliser des dynamiques de haine ou d’exclusion ? Emmanuel Henry [9] relevait à propos des débats sur les dangers de l’amiante que la peur d’être soi-même intoxiqué par l’amiante présent dans les grille-pain, tables à repasser ou matériaux d’intérieur avait été un levier plus puissant pour faire aboutir des demandes d’interdiction que la compassion, fugitive, pour les ouvriers des usines qui finissaient souvent, eux, par mourir à force d’inhaler les fibres cancérigènes. Mais la compassion est éphémère, bientôt requise par d’autres drames ou reportages.

13 Il faut enfin souligner le rôle devenu central des chiffres et du raisonnement scientifique dans beaucoup de problèmes publics. Difficile de parler de financement des retraites, de mix énergétique ou de risques de santé sans chiffres, connaissances scientifiques et mobilisation d’un minimum d’expertise. Nous vivons par ailleurs dans un monde du chiffre où tout s’objective – de la possession de balle par une équipe de foot aux indices de rayonnement des universitaires, en passant par l’activité des vendeurs ou des soignants. On peut se réjouir de voir s’établir là une forme d’argumentation et de discussion plus rationnelle, plus objective. La réalité est moins belle. Le culte du chiffre et de la science a donné, on y reviendra, naissance à un art de produire de la fausse science. L’intelligibilité des données scientifiques n’est pas toujours simple. À combien de becquerels est-il dangereux de s’exposer ? Qui fait vraiment sens des chiffres du produit national brut (PNB) ou du déficit budgétaire ? L’emploi du chiffre engendre même des pathologies qui consistent non pas à répondre à ce qui serait un problème reconnu par tous, mais à agir sur les chiffres qui rendent le problème visible : les monstrueuses communautés d’universités et d’établissements (Comue), qui rassemblent de manière quasi forcée des universités françaises dans des entités atteignant une taille que l’on n’aurait pas osé envisager à l’apogée de l’URSS, sont censées résoudre le problème du rang modeste de la France dans le classement de Shanghai… sans que les promoteurs de ces réformes se demandent trop ce que mesure ledit classement, ou si l’accouplement forcé d’établissements pauvres et souvent peu attentifs à la recherche va soudain produire autant de Harvard ou de MIT à la française.

Popularisation

14 Les meilleurs cadrages ou les justifications les plus consistantes ne vont opérer que s’ils se font entendre de la population, de groupes cibles concernés par le problème, des décideurs. La popularisation désignera les opérations spécifiquement dédiées à ce travail de diffusion. On rejoint ici les traditions de recherche liées aux notions de « mise à l’agenda ». Comment inscrire un problème en haut de la hiérarchie de ce dont parlent les médias, de ce qui pourra par ricochet devenir un sujet sensible pour l’opinion publique, de ceux qui animent les conversations ? Par quelles actions – et ce ne sont pas forcément les mêmes – parvenir aussi à ce que le problème entre dans « l’agenda » des politiques publiques, dans les sujets sur lesquels les autorités jugent qu’il est urgent ou politiquement rentable d’agir. Le modèle des agendas a donné lieu à une énorme production de recherches, souvent stimulantes. Elles prennent une ampleur nouvelle du fait des gisements de big data (enquêtes d’opinion, baromètres, analyses de corpus de presse) disponibles via Internet ou des banques de données, et qui permettent d’objectiver des hiérarchies de préoccupations, d’en faire la comparaison internationale. Ces recherches souffrent cependant de deux grosses faiblesses. Elles se développent souvent dans l’indifférence à ce qu’est la relation entre les journalistes et leurs sources, comme s’il suffisait de lire des articles et de compter des mots pour comprendre la fabrication de l’information. Elles ne s’articulent aussi que trop rarement à une pensée en termes d’espace public, de jeux de compétition et de coopération pour y propulser des sujets et des manières de les penser ou de les disqualifier.

15 Une piste intéressante serait pourtant de réfléchir aux inégalités de ressources médiatiques. Pourquoi certaines causes ou problèmes reçoivent-ils un large écho médiatique et d’autres moins, ou pas du tout ? Pourquoi Libération consacrait-il en août 2017 dix pages à un dossier sur Act Up et aux mobilisations antisida lors de la sortie du film 120 battements par minute, mais une couverture ténue pour le film Petit Paysan qui évoque les difficultés, le désespoir parfois suicidaire des producteurs de lait ? Pour en rendre compte, il faut conjuguer d’une part la capacité inégale des porteurs de cause à anticiper sur les fonctionnements et catégories de jugement des journalistes, d’autre part la manière dont les rédactions se représentent ce qui est de la « bonne actu », ce qu’attend leur public. La distance sociale pèse ici beaucoup. Laurent Joffrin relevait, avec un sens autocritique peu fréquent dans les rédactions, que le peu de constance de la couverture des problèmes des ouvriers manipulant l’amiante dans les usines du Calvados ou du Puy-de-Dôme venait de leur extériorité au monde de la rédaction : ouvriers, provinciaux, ruraux… Cela ne veut pas dire que ces attributs sont une condamnation à l’invisibilité comme le montre le cas des Molex [9] … mais il a fallu là tout un travail de séduction des journalistes pour retourner le stigmate de l’ouvrier rural présumé un peu arriéré. La sociologie britannique des médias a proposé la notion de « définisseur primaire » pour signaler combien certains acteurs fortement dotés en ressources, ayant un statut institutionnel puissant, peuvent en quelque sorte donner le ton, tenir le diapason pour définir la bonne façon de parler d’un problème ou de le nier. Peut-on imaginer un débat sur le Code du travail où le Medef et divers experts économistes ne soient pas sollicités ? Peut-on avoir un débat sur une forme de délinquance qui ne recueille l’avis du ministère de l’Intérieur, des syndicats de policiers et de quelques experts ès criminologie, dont on remarquera d’ailleurs qu’ils sont rarement ceux que le monde savant des criminologues prend au sérieux ? Ce dernier point vient aussi rappeler qu’un « bon client » – c’est ainsi qu’on nomme dans les rédactions quelqu’un qui parle de façon condensée, imagée, avec émotion jusque sur les sujets qu’il connaît confusément –, même ignare ou idéologue, est toujours plus efficace sur un plateau télé qu’un savant ou une victime qui bafouille ou fait des phrases sans fin. Pour suggérer une dernière piste de réflexion, les problèmes ont aussi à passer dans une série de filtres qui tiennent aux logiques de travail des rédactions. Le sens pratique des journalistes leur fait juger de la « valeur d’information » d’un dossier ou d’un fait. A-t-on des images, un témoignage un peu fort ? Mais toutes les causes le permettent-elles ? Les parents d’enfants mal formés ou handicapés du fait de polluants chimiques ont-ils le désir d’exhiber leurs enfants devant les caméras ? Tous les groupes mobilisés sont-ils capables de donner à une banale manifestation une tonalité un peu rigolote, surprenante ou colorée qui la fera passer au journal télévisé du soir ? Le problème correspond-il à une rubrique, à une spécialisation professionnelle du journalisme qui puisse l’accueillir ? La sous-couverture des questions d’écologie dans les années 1970 devait beaucoup au fait que les rédactions ne savaient où caser cet objet neuf : était-ce de l’économie, du fait divers, de la science ? Et la nature de la rubrique n’est pas sans effets sur le cadrage médiatique, selon par exemple que les positions défendues par les véganes sont traitées par un journaliste politique, celui d’une rubrique style de vie ou encore écologie-environnement.

Mise en politique publique

16 L’objectif des entrepreneurs de cause et de tous ceux concernés par un problème public est de lui voir apporter une solution : que les chômeurs obtiennent travail ou indemnisation, que le terrorisme soit prévenu et ses promoteurs mis hors d’état de nuire. C’est là l’opération de mise en politique publique. Un problème cesse d’être objet de mobilisation et de débat pour devenir aussi objet d’action et de mesures pratiques. Les analyses de John Kingdon [10] sont ici très précieuses quand il suggère que cette réussite suppose la conjonction difficile de trois facteurs. Il faut bien sûr qu’un problème ait réussi à se hisser en haut des agendas, soit devenu assez saillant pour que l’idée de lui donner des réponses soit sinon consensuelle, du moins bien enracinée. Il faut en second lieu que le contexte politique et idéologique lui soit favorable : il faut un certain courage politique pour investir des moyens importants pour l’accueil de réfugiés quand monte la xénophobie ou que les victimes de la mondialisation dans les classes populaires font valoir qu’on a pour elles moins de sollicitude. Il faut enfin qu’existent des solutions pratiques que les administrations existantes puissent prendre en charge, budgétairement acceptables. Ces trois courants (celui des problèmes, celui de la compétition politique et celui de l’action publique) ne sont pas si facilement convergents au même moment.

17 Faire passer un problème de la discussion dans l’espace public à une mise en politique publique, c’est aussi déployer des talents de négociateur, de passeur. Il faut convaincre des administrations et des politiques, passer de la revendication à la proposition, suggérer le contenu de mesures et de décrets, chiffrer des coûts. L’exercice est d’autant plus délicat qu’il peut concerner des formes d’intervention publique qui sont à inventer. La catégorie des politiques culturelles est aujourd’hui évidente. Il a fallu une petite révolution symbolique pour faire initialement admettre qu’une intervention de l’État dans le domaine de l’art et de la culture ne préludait pas à l’instauration d’une forme d’esthétique d’État, liberticide ou totalitaire. Une autre difficulté peut tenir dans ce qu’Emmanuel Henry [9] décrit comme des logiques de confinement. Un problème est alors reconnu, des solutions lui sont associées… mais dans des conditions qui fonctionnent de fait comme une forme d’étouffement ou d’enfermement. D’abord la gestion du dossier peut être confiée à une instance pensée pour mettre les porteurs du problème dans une position où ils auront grand-peine à faire triompher leurs vues, tel fut le cas du Comité permanent amiante dont l’action pour améliorer les conditions de travail n’a en rien empêché l’hécatombe des travailleurs du secteur. Le confinement peut prendre une tout autre forme qui consiste alors à laisser aux acteurs d’un secteur le pouvoir d’auto-gérer un problème, souvent dans des conditions d’opacité remarquables tant vis-à-vis du grand public que des pouvoirs publics. C’est sans surprise qu’on observe qu’un tel confinement de type autogestion n’est offert ni aux représentants de professions exposées à des risques de santé graves, ni à ceux qui revendiquent par exemple plus de transparence dans des situations de conflit d’intérêts, mais qu’il vaut largement pour les acteurs économiques en matière d’OPA ou de gestion bancaire.

18 En associant imprudemment aux opérations parcourues ici une dimension chronologique qu’on avait exclue, la mise en politique publique est-elle la dernière opération ? Oui si l’on veut adhérer à une vision séquentielle. Ou plutôt : oui, mais. Plus souvent encore cette opération est le détonateur d’une nouvelle série de problèmes et d’opérations. La littérature scientifique sur les street level bureaucrats est ici essentielle [11]. Elle montre que tantôt pour défendre leurs routines, mais aussi avec les meilleures intentions ou pour tenir compte de contraintes pratiques, les agents qui mettent en œuvre les politiques liées à un problème n’appliquent jamais les textes mécaniquement. Ils y découvrent des mesures inapplicables (combien de policiers faudrait-il pour appliquer la loi qui réprime les attroupements en bas des cages d’escalier ?). Ils les modèlent dans leurs routines, ils prennent en compte à côté de la règle les particularités d’une personne qui en demande l’application. Il est aussi banal que l’application d’une mesure destinée à répondre à un problème s’avère moins efficace que ses défenseurs ne l’avaient pensé, qu’elle engendre même de nouveaux problèmes – qu’on pense à la manière dont le système APB créé pour répondre au problème des orientations de lycéens vers l’enseignement supérieur aboutit, dans un contexte de misère budgétaire des universités, à des effets inverses de l’efficacité promise : tirage au sort des candidats, réponses fournies en retard, propositions sans rapport avec les désirs des jeunes. La mise en politique publique ouvre donc en réalité un espace nouveau de possibles et d’opérations : se transformer de militants d’une cause en gestionnaires des dispositifs et institutions qui visent à la satisfaire, assister impuissants au détournement ou à l’échec d’une réforme, se remobiliser pour un nouveau combat… mais aussi, fort heureusement, constater parfois que la politique mise en œuvre produit des effets positifs.

Quelle actualité des problèmes publics ?

19 Si les premiers livres ou manuels portant le titre « problèmes publics » remontent aux années 1920 pour les États-Unis, on peut dire qu’une forme de science normale – c’est ainsi que Thomas Kuhn [10] nomme un cadre théorique faisant largement consensus dans le monde savant en un temps t – s’est instituée dans les années 1970 sous l’influence de l’école de Chicago avec la contribution d’auteurs comme Howard Becker, Herbert Blumer, Joseph Gusfield [4], Malcolm Spector et John Kitsuse [5]. L’intérêt de ce cadre théorique « constructiviste » est, on l’a vu, d’avoir véritablement permis l’essor d’un champ de recherche qui s’interroge sur l’émergence, la carrière et les effets des processus de constitution de situations en problèmes. Cette orientation a permis d’une part de se libérer d’une tendance originelle où l’analyse des problèmes publics était profondément normative, recensant des problèmes sociaux (au sens restrictif d’un renvoi à des inégalités ou à la pauvreté) pour tenir sur eux un discours souvent moralisateur, au mieux pour recenser les expériences de réponses promues dans divers pays. Le virage constructiviste a aussi libéré les chercheurs du piège tout aussi normatif qui était de se faire claims-makers d’un jour pour dire ici la gravité ou l’atrocité de la question dont ils traitaient, là pour dénoncer un faux problème. En contrepartie, comme toute science « normale », ce modèle interprétatif a engendré des routines ou des automatismes de pensée. Qui lit dix ou vingt articles dans les numéros anciens de la revue Social Problems ne tarde pas à identifier une sorte de matrice interprétative : une analyse de l’objet choisi qui montre que l’intérêt qu’il suscite de la part d’entrepreneurs de cause correspond rarement à un changement de son statut ou de sa gravité, une explication des intérêts matériels ou idéologiques qu’ont les promoteurs du problème à s’y attacher, une analyse de la manière dont ils parviennent (ou pas) à la valoriser par des stratégies rhétoriques, des jeux d’alliances, éventuellement une lecture des politiques publiques de réponse au problème. Tout cela a donné des recherches de première qualité et des analyses passionnantes, tout cela peut aussi donner à un lecteur assidu le sentiment d’une certaine routinisation. On voudrait, pour la conjurer, suggérer trois pistes d’actualité.

Une culture des problèmes publics

20 La première fait retour vers Gusfield [4], qui évoque une culture des problèmes publics qu’on pourrait associer à notre période des Trente Glorieuses. Dans un contexte de développement de l’État-providence, une forme de sens commun des problèmes publics s’est établie qu’on pourrait résumer cavalièrement en quelques propositions. Elles disent qu’une grosse inégalité ou un dommage anormal subi par un groupe est probablement illégitime et qu’il faut y réagir. Cette réaction doit a priori prendre la forme d’une prise en charge par une bureaucratie (au sens de street level bureaucrats) d’État ou par ses auxiliaires qui mettront en œuvre des mesures réparatrices en mobilisant des ressources publiques. Gusfield évoque avec une teinte d’ironie la face cachée de cette culture qui est aussi un levier de professionnalisation de l’aide à des personnes en difficulté (il cite un adage ironique sur la bonne vie des missionnaires dans les îles du Pacifique « Ils allèrent faire le Bien. Ils ne s’en trouvèrent pas mal ») qui, derrière un souci d’égalité apparent, aboutit aussi à ne pas mettre en débat des remises en cause radicales des inégalités sociales qui sont au départ de beaucoup de problèmes. Faire des classes de CP à douze élèves en quartiers sensibles peut être précieux. C’est aussi plus facile que de donner à tous leurs habitants du travail, de bons logements et des loisirs culturels qui préparent à l’école et complètent ce qui y est fait.

21 La suggestion qu’on fera ici est celle d’une crise de cette ancienne culture des problèmes publics dans un contexte de triomphe des idées néolibérales. Tout l’édifice idéologique qui supportait cette Culture à majuscule vacille. Il se dit désormais que l’intervention de l’État est inefficace, que des budgets en déficit obligent à la réduire, qu’elle engendre autant de nouvelles pathologies qu’elle en résout, en donnant par exemple naissance à une culture de l’assistanat. C’est aussi la définition des situations injustes qui se recompose. Toute inégalité n’est plus perçue comme problématique. Sont injustes les inégalités qui naissent de discriminations (si une personne est professionnellement privée de promotion parce qu’homosexuelle ou femme enceinte), d’une atteinte aux chances de participer à la compétition (comme dans le cas d’ententes entre acteurs économiques). Mais beaucoup d’inégalités seraient en fait le simple reflet de talents ou d’énergie à agir inégaux. Dans cette logique, on peut convenir que la vie d’une caissière d’hypermarché dont les horaires sont fractionnés, le temps partiel sous le Smic, est peu enviable… mais on ajoutera qu’elle n’amène pas sur le marché des talents ou compétences qui justifient une rémunération plus forte. C’est dire que réapparaît aussi la vieille distinction victorienne entre les pauvres méritants et les autres. La montée de la conditionnalité de nombreuses prestations sociales (obtenir une allocation en prouvant qu’en contrepartie on se forme, on cherche un travail, on donne des heures de travail à la collectivité qui finance) est une illustration de ces tendances. Ni les problèmes publics, ni les budgets sociaux ne disparaissent… mais la définition de ce qui est problématique, des institutions chargées de le traiter (montée du privé), des bénéficiaires légitimes d’une aide se recomposent en profondeur. Cette tendance est en cohérence avec la montée de ce qu’on peut nommer paradoxalement « problème public-privé ». Nous désignons par ce terme des situations dont le caractère douloureux ou inacceptable n’est pas contesté, voire souligné, qui sont donc constituées en problèmes… mais en problèmes dont la solution relève d’une action de soi sur soi, éventuellement aidée d’un support en termes de conseil ou de thérapie. Ne pas trouver d’emploi relève alors d’abord d’un manque de formation, d’assurance en soi, de disponibilité à changer de ville… toutes choses auxquelles de la volonté et de la formation pourraient remédier. Alors même que toutes les enquêtes statistiques montrent une corrélation entre l’obésité et la pauvreté, on invitera dans cette même logique les plus démunis à rationaliser leurs consommations, à manger (gratuitement ?) cinq fruits et légumes par jour, à entrer dans des programmes d’encadrement nutritionnels qui peuvent parfois être encadrés par de rentables entreprises (Weight Watchers…).

Le rôle du savoir

22 Une autre rupture tient au rôle du savoir. On peut dire, dans une logique inspirée des Lumières, que dans la constitution des problèmes publics le savoir était une clé d’efficacité, de succès et de plus de justice. Démontrer que les fibres d’amiante en suspension dans les ateliers ou le tabagisme passif dans les bureaux engendrent des cancers, objectiver par des chiffres le plafond de verre ou les écarts de salaire au détriment des femmes, tout cela donnait des arguments puissants, des leviers d’action. Ils ne suffisaient pas à faire aboutir les revendications, mais constituaient, dans ce qu’on a décrit comme un monde du chiffre et de l’argument scientifique, des armes puissantes. Or on a vu se développer depuis un quart de siècle des entreprises [12] – désignées par le terme d’agnotologie – qui consistent soit à diffuser des connaissances sciemment fausses, soit à organiser le scepticisme sur des faits qui sont l’objet d’un consensus scientifique. Les scénarios de réchauffement à l’échéance 2070 peuvent faire l’objet de variantes, mais la communauté scientifique des climatologues est unanime à souligner les causes humaines du réchauffement climatique et sa gravité. La réalité des effets des perturbateurs endocriniens sur la santé ou la capacité reproductive des humains est établie en de nombreux cas, fortement suspectée en d’autres. Mais beaucoup d’entreprises qui fabriquent les produits incriminés ont su mobiliser des armées de juristes, d’experts, parfois de vrais savants généreusement payés ou intervenant au-delà de leurs frontières de compétences [13] pour suggérer que les effets cancérigènes du tabagisme passif, ceux des perturbateurs endocriniens restaient à prouver. Le cas du réchauffement climatique est un exemple caricatural de ces situations, des compagnies pétrolières allant jusqu’à financer des revues scientifiques « bidons » (pas de filtrage des articles par les pairs) où il s’écrit que la fonte possible des banquises ne pose pas de vrais problèmes aux ours blancs. Au-delà des entreprises qui relèvent de la falsification ou de la tentative de réduction de la connaissance scientifique à quelque chose qui refléterait les passions et engagements des savants (forcément hyper-écologistes, rouges et anti-économie de marché), c’est aussi la légitimité des actions organisées visant à poser des règles protectrices de la santé, d’une relative égalité qui sont ainsi l’objet d’une disqualification. Interdire de fumer dans des lieux où des personnes travaillent serait ainsi une résurgence d’un hygiénisme dogmatique venu du XIXe siècle ; prendre en compte la pénibilité du travail qui abrège vies et temps de retraite serait une illustration de la bureaucratie étatique qui empêche les entreprises françaises d’être compétitives et de créer de l’emploi.

Comparatisme

23 Une actualité des problèmes publics et de leur étude tient enfin au comparatisme. Pour des raisons très diverses (facilités d’accès aux données, sous-discipline initialement très focalisée sur les États-Unis) la quasi-totalité des monographies et études réalisées jusqu’à récemment étaient nationales. Depuis une grosse dizaine d’années, on a vu apparaître des recherches passionnantes qui comparent la manière dont un « même » problème se constitue dans deux pays différents ou plus. Cela a donné par exemple des travaux sur la manière dont la question de l’obésité, celle de l’immigration ou du harcèlement sexuel ont émergé en France et aux États-Unis. L’un des apports de ces travaux est d’ouvrir la boîte noire de la notion de « culture » pour comprendre comment des rapports de force différents entre professions, experts et institutions publiques engendrent des trajectoires distinctes, pour voir aussi plus finement comment des traits culturels qu’on désignera alors précisément – Abigail Saguy [14] parle ironiquement d’un « Évangile de l’absence » pour suggérer combien un repas peut être évalué aux États-Unis par ce qu’il ne doit pas contenir (gras, sel, gluten...) quand la pratique française est plus hédoniste. S’il porte de façon plus limitée sur la manière dont les médias français et états-uniens traitent du problème de l’immigration, et non sur la constitution globale du problème, le livre de Rod Benson [15] donne une idée de la richesse de ces approches. Elles s’élargissent plus récemment vers la question de la circulation internationale des problèmes publics : comment fonctionnent (ou pas) les processus d’exportation d’un problème, ceux de constitution d’un problème dans un espace international. Cette veine de travaux a par exemple pu être illustrée par les études sur la manière dont la panique morale à l’égard du « satanisme » et de son influence sur les adolescents franchissait ou non les frontières des États-Unis vers le Canada, l’Australie ou la Grande-Bretagne. Les phénomènes de mondialisation créant des situations qui peuvent être décodées et mises en récit comme des « problèmes globaux » (réchauffement, immigration, circulation internationale des déchets ou des virus), il y a là un filon d’analyse prometteur.

24 Un espace de recherche peut être défini par des questions, des concepts, des auteurs. Il faudrait aussi plus souvent s’employer à le singulariser par l’intérêt pratique qu’il peut avoir et par la jubilation intellectuelle qu’il peut susciter. Questionner les « problèmes publics » c’est, d’une part, se confronter à des objets chauds, à des enjeux qui ne laissent pas indifférents. C’est aussi être obligé de mettre en relation des questions et des sujets que les frontières disciplinaires et académiques débitent en rondelles. Là il faut savoir articuler une sociologie des mouvements sociaux à une analyse des médias, une analyse du travail de la presse et de celle des street level bureaucrats, l’étude des politiques publiques et celle de la façon dont l’opinion perçoit divers enjeux. Ce désenclavement est exigeant, il est aussi passionnant.

25 Et pour clore sur un constat qui n’est sûrement pas d’une stricte orthodoxie constructiviste, on ajoutera que si la question d’une nouvelle culture et de nouvelles grilles de lecture des problèmes publics sont ouvertes, le prodigieux foisonnement des inégalités et – écrivons-le – des injustices qui caractérise notre époque promet un bel avenir à l’action des individus et groupes pour identifier des problèmes publics et lutter pour leur résolution.

Bibliographie

Bibliographie

  • [1] NEVEU E., Sociologie politique des problèmes publics, Paris, Armand Colin, 2015.
  • [2] FELSTINER W. L. F., ABEL R. L., SARAT A., « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, réclamer… », Politix, 1991 (1981), vol. 4, no°16, p. 41-54.
  • [3] LAHIRE B., L’invention de l’illettrisme : rhétorique publique, éthique et stigmates, Paris, La Découverte, 2005 (1999).
  • [4] GUSFIELD J. R., La culture des problèmes publics : l’alcool au volant, la production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, 20089.
  • [5] SPECTOR M., KITSUSE J., Constructing Social Problems, New-York, De Gruyter, 1987.
  • [6] COMBY J.-B., La question climatique. Genèse et dépolitisation d’un problème, Paris, Raisons d’agir, 2015.
  • [7] BEST J., Social Problems, New-York, Norton, 2008.
  • [8] LANE C., Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions, Paris, Flammarion, 2009.
  • [9] HENRY E., Amiante. Un scandale improbable : sociologie d’un problème public, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
  • [10] KINGDON J. W., Agendas, Alternatives and Public Policies, New-York, Harper Collins, 1984.
  • [11] DUBOIS V., La vie au guichet : administrer la misère, Paris, Seuil, 2015 (1999).
  • [12] ORESKES N., CONWAY E. M., Les marchands de doute, Paris, Le Pommier, 2014.
  • [13]CHAMPAGNE P., MARCHETTI D., « L’information médicale sous contrainte », Actes de la recherche en sciences sociales, nos 101-102, 1994, p. 40-62.
  • [14] SAGUY A., What’s Wrong with Fat ?, Oxford, Oxford University Press, 2013.
  • [15] BENSON R., L’immigration au prisme des médias, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018 (à paraître).

Notes

  • [1]
    Cité dans [1], introduction.
  • [2]
    « Réaliser, reprocher, réclamer. »
  • [3]
    Ball R. A., Lilly J. R., « The menace of margarine : the rise and fall of a social problem », Social Problems, vol. 29, no 5, 1982, p. 488-498.
  • [4]
    Becker H. S., Outsiders : études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 2012 [1963].
  • [5]
    Terminologie empruntée à Karl Marx. Cf. Bourdieu P., Lamaison P., « De la règle aux stratégies : entretien avec Pierre Bourdieu », Terrain, no 4, mars 1985, p. 93-100.
  • [6]
    Cefaï D., Terzi C. (dir.), L’expérience des problèmes publics. Perspectives pragmatistes, Paris, EHESS (Raisons pratiques), 2012.
  • [7]
    Aubenas F., Le quai de Ouistreham, Paris, L’Olivier, 2010.
  • [8]
    Cefaï D., « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, vol. 14, no 75, 1996, p. 43-66.
  • [9]
    Cf. l’article d’O. Baisnée et J. Nollet dans ce numéro.
  • [10]
    Kuhn T. S., La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 2008 (1962).
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