Couverture de I2D_171

Article de revue

Mener un projet avec le design thinking

Pages 36 à 38

Notes

1Dans son livre intitulé en français L’Esprit design[1], qui a fait découvrir à de nombreux lecteurs le design thinking, Tim Brown, le PDG d’Ideo, distingue dans tout projet trois phases essentielles qu’il nomme inspiration, idéation et implémentation.

2La phase d’inspiration est celle au cours de laquelle des problèmes ou des opportunités sont identifiés. Dans la mesure où l’objectif d’un designer est de satisfaire des utilisateurs, cette phase nécessite souvent des recherches sur le terrain afin de mieux connaitre leurs besoins, leurs pratiques ou leurs modes de vie. Pour ce faire, les designers font feu de tout bois et ils mobilisent des techniques très variées : des méthodes quantitative (basées sur des sondages et des statistiques) aussi bien que des méthodes qualitatives (basées sur des entretiens ouverts, des observations et des descriptions). L’essentiel est d’accumuler un maximum d’informations mais également de dépasser les chiffres bruts ou les simples déclarations verbales pour mettre à jour des pratiques profondément ancrées chez des utilisateurs mais qui peuvent être invisibles à première vue.

3La phase d’idéation consiste ensuite, à partir du matériau recueilli sur le terrain, à générer des solutions et des idées nouvelles et à les rendre concrètes le plus rapidement possible. C’est au cours de cette phase que l’on emploie les techniques créatives auxquelles on réduit souvent un peu vite le design thinking, comme la réalisation de prototypes ou les séances de brainstorming au cours desquels des murs entiers sont recouverts de post-it.

4Une séance de brainstorming ne s’improvise pas : elle nécessite des compétences et une vraie préparation de la part de l’animateur ou du facilitateur, qui doit à la fois construire la séance et s’assurer que les participants suivent bien les règles du brainstorming (ne pas se censurer, ne pas critiquer les idées des autres participants mais rebondir dessus, essayer de produire un maximum d’idées plutôt que de trouver une seule idée de génie).

5La réalisation de prototypes est l’un des traits les plus frappants du design thinking. Un prototype n’est pas forcément une réalisation complexe qui nécessite des talents manuels ou artistiques : c’est avant tout un moyen de rendre des idées tangibles pour pouvoir les tester le plus vite possible. Un simple dessin, un croquis ou un storyboard peuvent déjà être considérés comme des prototypes.

6Pour finir, la phase d’implémentation consiste à améliorer les idées qui ont été ébauchées et les prototypes qui ont été réalisés grâce à une série de tests qui nécessiteront à nouveau de retourner sur le terrain, d’observer ce qui se passe et de générer de nouvelles idées. À partir de là, les étapes précédentes vont se répéter, aussi longtemps que nécessaire. Le design thinking est une méthode itérative : c’est à travers un cycle de recherches, d’essais et d’erreurs qu’un projet est progressivement mis en place. Il faut d’ailleurs préciser qu’en anglais, Tim Brown ne parle pas de « phases » mais « d’espaces » pour bien marquer le fait qu’inspiration, idéation et implémentation ne sont pas des étapes qui s’enchaînent de façon linéaire mais des modes de travail entre lesquels il est possible et même nécessaire d’aller et venir.

Fig. 1

Le processus de design pour Tim Brown

Fig. 1

Le processus de design pour Tim Brown

Trois façons de visualiser le processus de design

7Ce canevas des trois « i » constitue la vulgate du design thinking mais il est également possible de trouver des descriptions un peu différentes du même processus. La d.school entre par exemple davantage dans les détails et identifie neuf étapes différentes [2]. Le Design Council britannique [3] (une institution publique qui prend en charge les questions de design de service au Royaume-Uni) propose un schéma plus original intitulé le « double diamant » où alternent des périodes de pensée divergente (où l’on cherche à produire un maximum d’idées) et des périodes de pensée convergente (où les idées sont triées et sélectionnées). Le point de départ de la divergence et le point d’arrivée de la convergence sont les mêmes : c’est le réel, le terrain, les utilisateurs, dont il faut s’éloigner dans un premier temps – pour voir les choses sous un jour nouveau ou trouver de nouvelles idées – pour mieux y revenir ensuite.

8On doit à Damien Newman (un designer d’Ideo) une représentation visuelle du processus qui est particulièrement parlante et qui est souvent citée. Il s’agit d’un dessin qui prend la forme d’un gribouillis confus (représentant la période de divergence et le tâtonnement initial du projet) qui s’affine progressivement pour devenir une seule ligne claire et nette (le produit ou le service auquel on aboutit).

Design thinking et conduite de projet

9La ligne de Newman, le double diamant du Design council ou les trois espaces de Tim Brown sont trois façons possibles de visualiser le processus de design. Dans tous les cas, il s’agit d’un cheminement qui permet de passer d’une situation problématique ou gênante à une situation plus satisfaisante, bref de mener un projet. Mais, dans ce cas, qu’est-ce qui distingue le design thinking de la conduite de projet traditionnelle ?

10Il faut insister en premier lieu sur les points communs : que l’on fasse du design ou pas, un projet démarre avec une commande ou un « brief. » Un projet nécessite presque toujours de rompre avec la routine du quotidien, de former un groupe de travail et de mobiliser des compétences transversales. Il est généralement limité dans le temps et il donne lieu à une évaluation. Ce n’est pas sur ces aspects que le design thinking innove.

Fig. 2

Les quatre temps du « double diamant » du Design Council

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Les quatre temps du « double diamant » du Design Council

11En revanche, alors que la conduite de projet traditionnelle est un processus linéaire qui met l’accent sur la planification et qui est rythmé par les décisions d’un comité de pilotage, le design est, comme on l’a vu, un processus itératif, qui met l’accent sur la créativité et qui consiste à produire un foisonnement de solutions mises à l’épreuve du terrain. Comme le souligne Donald Norman, c’est une façon de faire très inhabituelle et qui distingue les designers d’autres professionnels du projet : « Les ingénieurs et les commerciaux sont formés pour résoudre des problèmes. Les designers, eux, sont formés pour découvrir les vrais problèmes […] C’est pour cela que, plutôt que de chercher à converger vers une solution, ils commencent par diverger, par étudier les gens et ce qu’ils essaient de faire, générant idées après idées. Ça rend les managers fous ! Les managers veulent des progrès alors que les designers donnent l’impression d’avancer à reculons. » [4]

12Dans l’absolu, l’approche des designers n’est pas plus légitime que l’approche plus courante des ingénieurs et des managers, tout dépend en fait du problème que l’on souhaite résoudre. Lorsqu’un problème est bien connu, lorsque la situation à atteindre a été identifiée et fait consensus, lorsqu’une solution a fait ses preuves ou que sa faisabilité a été attestée, il vaut mieux s’en tenir aux outils traditionnels de conduite de projet et à un rétroplanning rigoureux. En revanche, le design thinking est la méthode idéale pour s’atteler à ce que Horst Rittel et à sa suite Richard Buchanan ont qualifié de « problèmes retors » (« wicked problems » en anglais) [5]. Il s’agit de problèmes dans lesquels le facteur humain tient une place prépondérante, qui impliquent des acteurs multiples, et dont la formulation varie en fonction du point de vue que l’on adopte. Les wicked problems sont des problèmes dont on ne connaît pas la solution tant qu’on ne l’a pas trouvée. Pour être démêlés, ils nécessitent une approche centrée sur l’humain et par petits pas.

13Les disciplines de l’information et de la communication regorgent de problèmes retors : organiser des informations pour des individus ou des groupes nécessite en effet de prendre en compte la culture des utilisateurs finals, leur vision du monde, leurs intentions, leurs pratiques, leurs compétences, leurs besoins latents et d’y répondre en utilisant des technologies variées. Il ne peut pas s’agir d’un processus purement rationnel, linéaire ou abstrait. Sans cela, le designer, l’ingénieur, le concepteur – qui n’est pas un utilisateur comme les autres – risquerait de projeter sa propre vision dans les outils qu’il conçoit et de mettre en place une solution inadaptée.

Fig. 3

Le « squiggle » de Damien Newman

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Le « squiggle » de Damien Newman

La boîte à outils du designer

14Le tâtonnement prôné par le design thinking est un tâtonnement qui est rigoureux à sa manière et qui est abondamment outillé. Certaines techniques employées sont issues du design en tant que tel (comme les différentes méthodes permettant de modéliser l’expérience d’un utilisateur : persona, cartographie d’expérience, etc.). D’autres proviennent de domaines et de disciplines variés. Les designers empruntent aux anthropologues leurs techniques de recherche ethnographique (entretien, observation, immersion), aux créatifs les méthodes de brainstorming qui permettent de générer des idées, aux facilitateurs visuels les représentations graphiques qui permettent de rendre des idées tangibles, aux makers la culture du « faire » et les projets marathons en forme de « sprints. »

15Les articles qui suivent sont rédigés par des designers ou des experts du design thinking, des bibliothécaires et des facilitateurs. Ils reviennent chacun à leur façon sur ces différentes composantes de la boîte à outils du design thinking.

Notes

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